Elementary

Chapitre 9 : La fuite

5335 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 03/03/2021 15:35




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Chapitre 9

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Une semaine passa et la maison des Li semblait peu à peu s'habituer à la présence de Sakura. Les tensions entre elle et l'impulsive Meiling se réduisaient peu à peu, même si elles restaient la source première des agitations dans la demeure. Les deux jeunes filles apprenaient simplement à supporter le fait qu'elles devaient partager le même air. Après tout, elles étaient bien obligées de s’y faire. La plus ennuyée semblait être la jeune chinoise. L’adolescente, possessive au possible, ne supportait plus de voir sa rivale se pavaner dans toute la maison sous les yeux désireux de son cousin... Elle sentait que plus Sakura serait présente, plus cela se révélerait dangereux sur le long terme.

Ce matin-là, Shaolan se réveilla, toujours dans ce même salon avec lequel il commençait à se familiariser, et partit se préparer sans entendre ne serait-ce que l'esquisse d'une voix. Le silence régnait en maître, ce qui n'était pas pour lui déplaire. Une fois lavé et habillé, il descendit et tomba sur son majordome, Wei.

« Bonjour, Monsieur. Votre réveil a-t-il été agréable ? lui demanda-t-il avec la plus grande des politesses.

– Oui, très. Les deux tornades mangent ensemble dans la cuisine ?

– Mademoiselle Li est bien dans la cuisine en ce moment, mais votre invitée est déjà partie depuis une petite heure.

– Kinomoto ? Où est-elle partie ?

– Rejoindre un ami.

– Un ami ? le questionna-t-il, en fronçant les sourcils.

– Un jeune homme du nom de Hiiragizawa, il me semble... Il voulait montrer à Mademoiselle la beauté du nouveau jardin qui vient d'ouvrir, il y a deux jours, à quelques pas de l'hôtel de ville. »

Sa mâchoire se contracta. Shaolan se sentait soudainement irrité de voir à quel point Sakura s'était rapidement rapprochée de ce Eriol. Elle était plutôt du genre méfiant habituellement, il ne la comprenait pas. Comment peut-elle donner aussi facilement sa confiance à un parfait inconnu ? Il est bien trop suspect... Aller voir des fleurs, il fallait lui faire jouer des rôles de jeunes filles de bonne campagne pour s’attirer sa sympathie ? Entre les mains du nouveau, elle semblait si facile à manipuler. Si enfantine de croire à de bonnes intentions de sa part. Après tout, bien qu’il n’ait guère l’apparence d’un meurtrier sanguinaire, il s'agissait aussi d'un Elementary. Et, elle, elle le fréquentait sans se douter de quoi que ce soit !

Surtout que, l’arrivée d’un de leurs semblables ne pouvait pas être une simple coïncidence. Pourquoi un mage viendrait jusqu'à Tomoeda si cela n'avait pas un rapport direct avec Sakura ? Mais cette idiote ne semblait même pas se rendre compte qu'elle était aux côtés d'un individu de la même espèce qu'elle. Même si ces capacités devaient être de l’ordre de l’instinct, elle ne paraissait pas encore sensible aux auras qui l’entourent. D’ailleurs… saurait-elle seulement soupçonner leur existence ? Shaolan soupira. Une idiote finie, naïve au possible... pensa-t-il avec une certaine amertume. Le plus frustrant pour lui était qu'elle multipliait les moments d'intimité avec ce type, échappant ainsi à sa surveillance. Celle-ci était pourtant nécessaire. À croire qu’elle aimait jouer sur sa propre sécurité. Il n'avait de cesse de répéter à cette tête de mule qu'il devait l'avoir à l’œil le plus souvent possible, notamment pour surveiller la progression de ses pouvoirs mais aussi pour voir si des créatures magiques mal intentionnées oseraient s’approcher d'elle. Mais, plus il le lui rappelait, plus Sakura semblait prendre un malin plaisir à se faufiler hors de son champ de vision. Cela l'agaçait. Elle lui échappait.

« Shaolan, on y va ? » proposa Meiling, visiblement aux anges à l'idée de se retrouver seule avec lui.

Quand il n'y a pas le choix... se lamenta Shaolan intérieurement avant de se résigner à sortir de chez lui, sans grand enthousiasme. Il aurait bien voulu vérifier si Sakura allait bien en lui envoyant un simple message. Mais cette petite procédure n’était même pas envisageable, étant donné que cette gamine avait refusé de lui donner son numéro de téléphone, prétextant qu'elle ne voulait pas se sentir harcelée par un pseudo-tuteur. Cette rebuffade avait été particulièrement humiliante pour lui. Comme s'il voulait son numéro pour son intérêt personnel, quelle pimbêche. Il était temps qu'il la reprenne en main avant qu'elle n'en fasse à nouveau qu'à sa tête.

 

De son côté, Sakura flânait dans le parc floral, bien loin des soucis qui la taraudaient ces derniers temps. Pouvoirs magiques, obligations, colocation avec des cousins incestueux, … Ce n’était que le début de la liste, et c’était déjà bien assez pour sa patience. Apaisée par cette accalmie rêvée, elle prenait un grand plaisir à contempler toutes les fleurs qui l'entouraient. Sans Eriol, elle n'aurait certainement même pas soupçonné l'ouverture d'un tel jardin, surtout caché derrière cette grande grille de fer forgé !

« Tu avais raison, ce jardin est vraiment magnifique ! s'exclama Sakura, observant un sublime lys blanc, parfaitement épanoui.

– Je savais que ça te plairait, ce n'est pas étonnant avec un aussi beau prénom que le tien. Sakura, ça signifie fleur de cerisier, n'est-ce pas ? »

Sakura hocha la tête, un doux sourire aux lèvres. C'était sa mère qui lui avait choisi ce prénom, elle trouvait que les fleurs de cerisiers avaient le don d'apaiser les cœurs. Elles laissaient leurs pétales se disperser au gré du vent, imprégnant l'air d'une odeur enivrante qui ne laissait personne indifférent. Nadeshiko voulait que sa fille soit comme une fleur de cerisier, qu'elle soit capable de diffuser la joie grâce à sa simple présence... Un prénom d'une grande ambition. Sakura ne se sentait pas à la hauteur, elle ne savait pas si un jour elle serait capable d'être une fleur de cerisier. Désolée, maman...

« Tu es sûre que ça va, Sakura ? »

L’interpelée, sortie soudainement de ses pensées, eut un petit hoquet de surprise avant de se tourner vers Eriol, avec un sourire qui se voulait rassurant.

« Oui, oui, ne t'inquiète pas. Ces fleurs me rappellent juste certaines périodes de mon passé, je suis désolée si je t'ai paru absente.

– Des périodes tristes ? demanda Eriol, faussement curieux.

– Pas vraiment... plutôt heureuses, innocentes je dirais. »

En disant ces paroles, Sakura tourna son regard vers le ciel. Elle pouvait voir le spectre de la lune qui résistait faiblement au ciel ensoleillé. Sans trop savoir pourquoi, cet astre de la nuit avait toujours eu le don de lui faire penser à sa mère. Si blanc, si pur, si doux... si lointain mais pourtant, toujours aussi présent au-dessus d’elle.

« Je comprends, c'est juste que tu semblais triste... Mais, en vérité, tu es plutôt nostalgique, c'est-ce pas ?

– C'est un peu cela oui... » affirma-t-elle avant de se pencher sur des chrysanthèmes d'un rose pâle.

Quelle ironie... songea le jeune homme, laissant ses basses pensées reprendre les rênes de sa conscience. La belle Sakura, fleur de l'éphémère, observe avec respect la fleur des morts... Le sombre individu, pourtant maître de son rôle, ne put s'empêcher d'afficher un sourire cynique que Sakura, trop absorbée dans sa contemplation, ne remarqua pas. Au fond, il s'impatientait. Elle était si belle, si frêle, ne demandant qu'à se faire cueillir ! Mais, même si son désir devenait de plus en plus pressant, un soupçon de lucidité le poussait à se retenir.

Il devait rester calme, continuer à gagner sa confiance... pour mieux la trahir ensuite. Il imaginait déjà le visage de Sakura, figé par la peur et la haine à la fois. La trahison... Une délicieuse épice. Il n'y avait rien de tel pour réveiller l'instinct vengeur d'une ignivia digne de ce nom. Il allait la faire entrer dans une rage incommensurable, la faire exploser de l'intérieur ! Qu'est-ce qu'il avait hâte... Jouer au gentil petit garçon était d'un ennui monstrueux. Mais c'était là un mal nécessaire. Il savait que la moindre marque d'hostilité l’amènerait à se méfier, à enclencher une carapace qu’il l’empêcherait de l’approcher davantage. Et une fois qu'elle deviendrait distante à son égard, tout serait perdu. Il continuait donc de sourire, de la complimenter, de s'intéresser à elle... Il allait abattre chacun des murs qu'elle dressait, jusqu'à ce qu'il n'en ait plus un seul. Il allait faire tomber toutes ses défenses.

« Je pense qu'on devrait y aller, intervint Sakura en se relevant. Si on continue de s'attarder ici, j'ai bien peur qu'on arrive en retard en cours.

– Tu as raison, allons-y. » admit-il en se tournant vers la sortie.

Une fois qu'ils eurent franchi la grille de fer, ils furent replongés dans le quotidien de la ville, loin de la fraîcheur florale.

« Dis, tu penses que décorer le lycée avec des parterres de fleurs à l'entrée serait une bonne idée ? le questionna la Présidente. J'ai l'impression que la présence de fleurs est réellement bénéfique à l'atmosphère, on a presque l'impression de respirer un air plus sain quand elles sont présentes.

– Je pense que c'est une très bonne idée, affirma-t-il avec son inlassable sourire, cela donnerait une apparence plus accueillante encore au lycée.

– Je le pense aussi. En plus, cela permettrait au club de jardinerie d'exposer leurs activités. Actuellement, ils ne possèdent qu'une petite serre à l'arrière du lycée. Certes, les fleurs qu'ils entretiennent là-bas sont magnifiques, mais personne ne peut en profiter, elles sont cachées des yeux de tous... Je trouve ça dommage.

– Je ne savais même pas qu'il y avait une serre, c'est vrai que c'est triste de ne pas pouvoir montrer à tous le fruit de leur travail.

– C'est décidé, je soumettrai ce projet à la prochaine réunion du Conseil ! déclara-t-elle, d'un air enthousiaste. Encore merci, si tu ne m'avais pas amenée dans ce jardin, je n'aurais peut-être jamais eu cette idée.

– Ce n'est rien, le plaisir me revient entièrement. C'est vraiment agréable d'être en ta compagnie...

– C'est gentil de ta part de dire ça... Il n'y a pas beaucoup de personnes qui partagent cet avis.

– Ah bon ? Et pourquoi cela ? demanda-t-il, en écarquillant les yeux.

– Et bien... Même si, en ce moment, je me sens particulièrement fatiguée, habituellement, j'ai une énergie assez difficile à canaliser. J'ai du mal à gérer la contrariété et je réagis souvent sous le coup de l'impulsivité... Ce n'est pas le genre de personnalité que les gens trouvent... agréable. » avoua-t-elle avec un sourire un peu gêné.

Eriol la dévisagea en silence quelques instants avant de reprendre la parole.

« Je pense que cette impulsivité dont tu parles était peut-être une façon de protéger ton autorité en tant que Présidente du Conseil des Élèves. J'imagine que c'est une position difficile à tenir pour une personne calme et fragile, n'importe qui aurait la possibilité de profiter de ta vulnérabilité si c'était le cas. Mais toi, tu es une fille incroyablement forte, c'est pour cela que tout le monde te respecte autant. Tu es fascinante, Sakura...

– Tu le penses réellement ? demanda-t-elle, le regard tout à coup rempli d'une profonde lividité. Je crois plutôt que j'étais idiote... »

Eriol, perplexe, l’observa avec attention. Pourquoi a-t-elle si soudainement changé d'expression ? Il ne s’était pas attendu à cette réponse, et ne sut pas quoi ajouter, bien trop perplexe. Sakura elle-même ne se comprenait plus. Elle avait l'impression de ne plus être la même depuis que son instinct d'Elementary s'était réveillé. Elle reconsidérait la façon dont elle avait agi jusqu'à maintenant, les choses qu'elle avait faites par le passé. Oui, elle se sentait idiote. Cette impulsivité, cette force, cette agressivité... Elles n'avaient été qu'une façade vaine et stupide. Cela lui avait seulement permis de cacher sa faiblesse derrière une attitude grandiloquente. En repoussant les personnes qui pouvaient lui faire de l'ombre, en essayant de démontrer à quel point elle était forte, elle avait eu l'impression de se construire une barrière invincible. Personne ne l'avait contredit, personne n'avait été à l'encontre de ses idées. Pas par respect, pas par adhésion. Par crainte. C'est minable.

Un seul avait réussi à effriter son masque. Shaolan Li. Lui n'avait jamais eu peur d'elle, il connaissait sa faiblesse. Il la connaissait réellement. Et c'est ce qui l'effrayait le plus chez lui. Il n'est pas humain, je ne peux pas lui faire confiance... Si je lui en laisse l'occasion, je suis certaine qu'il pourrait me détruire. Sakura se sentit soudainement envahie par une profonde tristesse. Elle était arrivée à un tel point qu'elle craignait l’une des rares personnes qui avait réussi à toucher du doigt sa véritable identité. C'était un sentiment assez troublant. Toute personne aimerait que quelqu'un parvienne à la cerner aussi naturellement, rien qu'en un simple regard. Sakura aussi ressentait le besoin d'être comprise, c'est sûr. Mais, d'un autre côté, elle restait une simple froussarde. Son instinct de préservation passait devant.

« Sakura ? l'interpella Eriol, l'air inquiet.

– Désolée, tu me parlais ?

– Ce n'est pas grave, je disais simplement que ce devait être difficile d'être Présidente au Conseil des Élèves, c'est une responsabilité qui doit être difficile à gérer au quotidien.

– Pas réellement, il faut dire que j'ai fait en sorte d'avoir assez de personnes au Conseil pour ne pas être surchargée de travail. Je sais, cela ressemble beaucoup à de la paresse ! admit-elle en riant doucement.

– Pas du tout, je pense qu'au contraire c'est assez judicieux d'ouvrir le Conseil comme tu le fais, cela te permet vraiment de considérer un large panel d'opinions. Ce doit être bien de faire partie de ce fameux Conseil... lâcha-t-il, un léger sourire aux lèvres.

– Tu voudrais en faire partie ? proposa spontanément Sakura, en le regardant droit dans les yeux.

– Je ne suis qu'un nouvel élève, je ne serais pas réellement utile.

– Au contraire. Certes, je ne pourrai pas te donner un rôle de grande importance pour l'instant, il faut d'abord que tu t'habitues à ta vie de lycéen. Mais tu pourrais déjà participer aux réunions en tant que simple conseiller. Le fait que tu sois un nouvel élève apporterait justement une vision plus neuve, ça ne coûte rien d'essayer.

– Tu trouves ?

– Évidemment, sinon je ne l'aurais pas dit. Si tu veux, il y a une réunion demain soir, à dix-huit heures. On se réunit tous les mercredis soir et on débat sur des questions générales, on met en avant des projets potentiels, on montre du doigt des problèmes qui doivent être réglés... Le but étant d'améliorer au mieux la vie au sein du lycée. Donc, si tu sens que tu as l'envie d'y participer, la porte est grand ouverte ! »

Sakura lui adressa un petit clin d’œil. Cela pourrait être intéressant... pensa Eriol. Cela me permettrait d'être encore un peu plus proche d'elle, de mieux la comprendre. C'était décidé, il irait à cette réunion. Toute occasion pour réduire la distance entre eux était bonne à prendre à ses yeux. Non loin de là, devant l'entrée du lycée, Shaolan les épiait d'un regard ombrageux. Il pouvait voir le visage éclatant de Sakura s'adressant avec enthousiasme à ce gars. Ce gars... Il avait beau essayer de le cerner, il ne parvenait pas à se fixer une image claire de qui il pourrait être. Il semblait intelligent, patient, calme. Mais était-ce sa nature ou un simple rôle qu'il se donnait ? Était-il un allié ou un ennemi ? Par instinct, il penchait plus sur la seconde option. Son aura était trop trouble, comme s’il en avait sciemment changé la forme et l’intensité. Ce type ne lui inspirait pas confiance, encore moins quand il adoptait cette attitude nonchalante avec Sakura. Eriol posa sa main sur l'épaule de Sakura. Lâche-la tout de suite... grogna Shaolan. Pourquoi elle le laisse la toucher lui ? Pourquoi ? Ça y est. Il était à nouveau irrité. Il ne comprenait pas pourquoi Sakura pouvait si facilement sourire à tout le monde sauf à lui ! Une seule fois il avait eu l'impression qu'elle s'était ouverte à lui... La fois où elle était venue dans sa chambre, son plateau à la main et les joues empourprées à l'idée de présenter ses remerciements. Mais le lien semblait brisé maintenant. Les yeux qu'elle lui accordait étaient si... menaçants. Elle cherchait clairement à le mettre à l'écart. Était-il seulement possible de récupérer la confiance de Sakura une fois qu'elle était perdue ?

Alors qu'il était plongé dans ses pensées, une main incroyablement douce se posa sur son épaule. Il se retourna dans un geste brusque, sur la défensive. Puis, quand il découvrit qu'il ne s'agissait que de Tomoyo, il se détendit.

« C'est toi, Daidouji ? soupira-t-il. Qu'est-ce qu'il y a ?

– J'aimerais te parler en privé, c'est possible ? » demanda-t-elle en jetant un regard à Meiling qui les observait, pas loin, comme pour acquérir son autorisation.

Shaolan suivit le regard de Tomoyo puis leva les yeux au ciel.

« Tu n'as pas besoin de son consentement. Allons-y. »

Meiling se crispa un peu mais laissa Shaolan s'éloigner avec Tomoyo. Après tout, elle ne la considérait pas comme une menace. Cette dernière ne s'était jamais intéressée aux garçons de la classe et, à l'inverse, elle avait toujours maintenu à une certaine distance d'eux. Elle ne craignait rien. À quelques mètres de là, Tomoyo entraînait rapidement Shaolan dans la cour, dans un coin où ils seraient à l'écart de toutes les oreilles indiscrètes. Une fois cachés derrière un arbre d'une taille assez imposante, la jeune curieuse conserva un moment de silence, dévisageant assez longuement Shaolan comme si elle cherchait à découvrir un détail dans son expression.

« Tu as quelque chose à me dire ? reprit-il, agacé par son inspection.

– Je te trouve changé, déclara-t-elle, avec un sourire malicieux.

– C'est simplement pour ça que tu voulais me parler ?

– J'ai l'impression que ta petite cohabitation avec Sakura a éveillé un petit quelque chose en toi, je me trompe ?

– Quoi ? s'interloqua-t-il, énervé. Comme si je pouvais ressentir quoi que ce soit pour une fille pareille ? T'as disjoncté, Daidouji.

– Très bien. Mais, dans ce cas, je ne comprends pas pourquoi tu semblais être à deux doigts d’assassiner ce pauvre Hiiragizawa tout à l’heure ! » s'exclama-t-elle en riant doucement.

Shaolan se figea. C'était si flagrant que ça ? Il ne supportait pas qu’on analyse son comportement de cette manière...

« Ce n'est pas ça... lâcha-t-il. C'est juste que je ne comprends pas pourquoi elle va si facilement vers lui. Elle est si... hostile envers moi. »

Tomoyo l'observait attentivement alors qu'il prenait tant d'efforts à tenter de trouver les mots justes pour dire ce qu'il ressentait. Il ne la comprend pas... comme beaucoup de monde, songea Tomoyo, amusée. Elle savait que sa meilleure amie était un véritable électron libre. Même elle ne parvenait pas totalement à savoir qui était Sakura. Elle était comme une forteresse imprenable, ce qui pouvait la rendre agaçante aux yeux de certains, et fascinante aux yeux des autres.

« Tu sais, Li... confia Tomoyo. Cela va peut-être t'étonner, mais je pense que tu es l'une des personnes qui connaît le mieux Sakura.

– Je ne pense pas, assura-t-il, animé par un rire soudain.

– Non, je te l'assure... Il y en a beaucoup qui voient en elle une Présidente des élèves confiante, forte et pleine de détermination. Pourtant, elle possède une personnalité beaucoup plus complexe que cela... Je pense que tu as pu commencer le voir, Sakura est fragile. Elle a des faiblesses qu'elle tente par de cacher tous les moyens. Alors, si elle met cette distance avec toi, c'est certainement parce que tu es proche de découvrir qui elle est réellement et qu'elle a peur de ce que tu pourrais faire si tu la perçais à jour.

– Je trouve ça bizarre... souffla-t-il, embrouillé. Si, comme tu le dis, je suis si proche de découvrir la véritable Sakura, pourquoi j'ai l'impression que l'image que j'ai d'elle est de plus en plus floue à mesure que je l'approche ?

– Sakura est elle-même perdue, c'est donc compréhensible que tu ne parviennes pas à avoir une vision précise de la personne qu'elle est. C'est justement si tu avais une image trop claire que tu te serais fourvoyé, parce que cela voudrait dire que tu serais tombé dans l'illusion qu'elle sert à tout le monde pour se protéger. »

Shaolan fronça les sourcils. Pourquoi Tomoyo lui livrait-elle autant de choses sur Sakura ? Il ne comprenait pas ses intentions. La jeune fille, remarquant son air suspicieux, comprit les doutes qu'il nourrissait et prit les devants pour se justifier.

« Lorsque tu as fait ton arrivée au lycée, j'ai d'abord eu une très mauvaise impression. À vrai dire, tu me faisais peur et ta façon de provoquer Sakura m'agaçait... Je ne pouvais pas supporter qu'un inconnu s'amuse à malmener ma meilleure amie alors que j'étais si impuissante. Donc, inconsciemment, je me suis mise à te détester. Puis, peu à peu, j'ai remarqué que ta présence avait changé Sakura. Elle montrait plus d'expressions, semblait plus vivante. Avec toi, sa carapace s'écailler de façon presque imperceptible... Je me suis alors dit que ce n'était pas si mal que tu sois dans notre classe. Tu parvenais à révéler une Sakura dont je n'avais pu voir que des esquisses depuis que je la connais. J'ai beau être sa meilleure amie, elle reste un grand mystère pour moi. Et, finalement, un jour, alors qu'on était en danger, tu nous as tendu la main. J'ai été vraiment choquée, mon point de vue à ton sujet s'est alors totalement renversé. J'avais l'impression d'avoir fait fausse route depuis le début... Maintenant, quand je vois Sakura, je suis surprise de la voir se remettre en question, de la voir mettre à distance ce personnage qu'elle s'était construite depuis tant d'années... Elle commence à montrer qui elle est. »

Shaolan l'écoutait avec la plus grande attention. Il est très surpris de tout ce qu'elle lui confiait... Il n'aurait jamais imaginé qu'il avait eu un tel impact sur Sakura. Étrangement, il sentait que cela lui faisait plaisir.

« … alors, s'il te plaît, Li, continue de l'aider dans sa découverte de soi. Je ne sais pas exactement ce qui a pu se passer entre vous mais je suis persuadée que si tu parviens à lui montrer que tu es une personne digne de confiance, elle se livrera à toi. Tu auras alors devant toi la véritable Sakura Kinomoto. Je ne peux cacher le fait que je t'envie d'avoir cette chance... Mais je suis aussi heureuse qu'elle soit tombée sur une personne qui sera capable de la révéler. Elle a besoin de toi. Elle...

– Daidouji... la coupa-t-il, baissant les yeux sur ses poings serrés.

– Oui ? demanda-t-elle, légèrement surprise par sa réaction.

– Dis-moi... Dis-moi comment je peux amener Kinomoto à me faire confiance ? »

Tomoyo écarquilla les yeux en remarquant les petites rougeurs qui coloraient les joues de ce Shaolan, habituellement si impassible. Un sourire tira ses lèvres.

« Malheureusement, je n'ai pas la recette magique pour cela. Je peux simplement te dire que le temps que tu n'auras pas révélé avec sincérité ce que tu as sur le cœur, elle aura toujours un doute concernant ton honnêteté. Contrairement à nous, elle est assez douée pour cerner son entourage. Elle a un instinct surdéveloppé pour débusquer les mensonges ! »

Shaolan releva son regard à hauteur des yeux de Tomoyo. Il se sentait reconnaissant. Jamais il n'aurait pu deviner ce que pouvait ressentir Sakura si elle ne l'avait pas aussi sagement aiguillé. Sakura semblait si froide, si impassible. Comment aurait-il pu imaginer qu'elle était agitée par de telles émotions ? Soudain, il eut un doute.

« Et... concernant Hiiragizawa...

– Un ami, rien de plus, affirma-t-elle en souriant.

– Tu es sûre ? demanda-t-il, dubitatif. Elle paraissait si proche de lui cette semaine.

– Pour l'instant, elle ne le considère que comme une personne qu'elle doit guider et avec qui elle aime bien échanger. Mais si tu ne te presses pas un peu, il est certain qu'il pourrait aisément prendre de l'avance. Contrairement à toi, il semble plus enclin à exprimer ses sentiments donc, s'il continue sur cette voix, sa sincérité pourrait toucher Sakura. Ce n'est pas pour rien que j'ai préféré t'aider à comprendre la situation.

– Pourquoi ? Tu n'aimerais pas qu'elle se rapproche de Hiiragizawa à ma place ? »

Le sourire de Tomoyo s'effaça abruptement et elle détourna le regard.

« Je ne saurais dire pourquoi, mais Hiiragizawa me fait froid dans le dos... »

Shaolan observa la jeune fille avec beaucoup de sérieux. Elle aussi sentait que ce type était étrange, cela ne faisait donc peut-être pas partie de sa seule imagination.

« Il y a un problème avec lui ? tenta Shaolan pour lui faire préciser sa pensée.

– Ce n'est pas tellement ça... C'est simplement qu'il me donne l'impression de tout faire pour que Sakura fasse céder ses barrières. Il la complimente, lui parle sans cesse, tente de la comprendre... Mais je pense qu'il ne s'est pas encore rendu compte qu'il était dans l'erreur.

– Dans l'erreur ? répéta-t-il, consterné.

– Quand elle est avec lui, Sakura possède son masque habituel, mais de façon encore plus poussée. Son sourire est conventionnel et même quand elle rougit, cela ne semble pas vraiment réel. Elle est simplement désorientée par son comportement et essaye de réagir au mieux vis à vis de lui. Elle ne considère pas ses propres sentiments par rapport à lui...

– Pour une fille qui ne dit pas la comprendre, je trouve que tu l'analyses de façon assez précise, affirma Shaolan, arquant un sourcil.

– C'est simplement qu'au fil des années j'ai appris à lire en elle... Mais, il ne faut pas croire, beaucoup de choses m'échappent encore à son sujet. Je suis même persuadée que tu sais des choses à propos d'elle que je ne soupçonne même pas. » déclara-t-elle en lui jetant un regard taquin.

Shaolan fut pris d'une certaine panique. Elle commence à se douter de quelque chose ? Est-ce qu'elle a découvert une information en rapport avec la nature des Elementary ? Et alors qu'il ouvrait la bouche pour l'interroger davantage, la sonnerie coupa net leur conversation.

« On va devoir y aller si on ne veut pas être en retard en cours. » assura Tomoyo en commençant déjà à s'éloigner.

Shaolan voulut d'abord la retenir mais il se ravisa. Lui poser plus de questions ne servirait à rien. Dans le pire des cas, il pourrait même éveiller des soupçons que Tomoyo n'avait pas forcément. Il se contenta donc de garder le silence et accompagna Tomoyo jusqu'à la salle de classe.

Dans la salle, les élèves étaient presque au complet. Sakura, installée à sa place, attendait avec impatience l'arrivée de sa meilleure amie. Il était rare que Tomoyo ne soit pas présente au premier coup de la sonnerie. Et alors qu'elle commençait déjà à s'inquiéter, elle la vit franchir le pas de la porte en souriant, accompagnée de Shaolan. Étonnée, elle fit les yeux ronds sans trop savoir la réaction qu'elle devait adopter. Tomoyo semblait joyeuse, il ne devait donc pas lui avoir fait du mal... Pourtant, elle n'appréciait clairement pas de voir que Tomoyo traînait avec Shaolan. Surtout qu'à cet instant précis, ils paraissaient plutôt proches. L’hybride, sentant un regard insistant posé sur lui, croisa les yeux de sa déléguée. Il fit voyager son regard entre elle et Tomoyo, commençant à comprendre l’ambiguïté de la situation. Comme si ma posture n'était pas assez compliquée comme ça... Mais, à sa grande surprise, Tomoyo se dirigea immédiatement vers Sakura pour la rassurer. Après quelques mots, la jeune fille, habituellement si volcanique dans ce type de circonstances, sembla s'apaiser. Quelle magicienne cette Tomoyo, songea-t-il, surpris de sa capacité à calmer l’impétueuse tornade.

Rien qu'en observant cette scène, il pouvait voir à quel point Sakura et Tomoyo étaient liées... Et, pourtant, c’était bien celle-ci qui venait de lui avouer que seul lui pouvait approcher la véritable Sakura. Cela lui semblait presque irréaliste. Comment pourrait-il réussir là où une profonde, longue et sincère amitié avait échoué ? À nouveau rongé par le doute, Shaolan se mordit la lèvre inférieure. Comment allait-il s'y prendre pour tisser un nouveau lien avec Sakura maintenant ? Est-ce que lui parler suffirait vraiment ? Il releva son regard et croisa celui de Tomoyo. Celle-ci lui offrit un large sourire avant de se mettre à articuler les mots suivants : Tu vas y arriver. Shaolan se mit à sourire à son tour. Si on lui avait dit un jour qu'il se ferait épauler par une simple humaine, il ne l'aurait certainement jamais cru... Il partit à sa place, le cœur déjà plus léger. Il devait maintenant réfléchir à la façon dont il pourrait procéder pour briser cette distance que Sakura avait si farouchement imposée. Il savait que cela ne serait pas aisé, mais il voulait vraiment essayer... Il allait essayer.

De son côté, Eriol observait avec beaucoup d'intérêt Shaolan. Mon pauvre... Tu sembles aussi instable que ta pauvre mère, songea-t-il, l'air sarcastique. Tu joues à l’humain, et venant d'un Elementary aussi puissant que toi, c'est pitoyable... S'il l'avait pu, Eriol se serait expressément moqué de cet hybride désorienté. Le voir aussi agité l'amusait véritablement. Lui qui lui avait toujours dit qu'un Elementary devait faire preuve d'une certaine impassibilité pour sa propre fierté, il était tombé bien bas ce donneur de leçons ! Mais, au fond, il était ravi de ce rapprochement inopiné entre Shaolan et Sakura. Après tout, il haïssait cet Elementary plus que tout au monde. Et s'il pouvait faire une pierre deux coups en s'en prenant à Sakura, il ne se gênerait certainement pas ! Shaolan Li... Eriol se souvint de cet hybride, froid et puissant, qu'il avait si ardemment combattu à l'époque. Il l'avait détruit, humilié... Et il s'était promis de se venger de cet affront. Mais avant de donner la mort à cet effronté, Eriol devait acquérir plus de puissance. Et cela ne sera possible qu'en absorbant les pouvoirs de Sakura. Il devrait donc se montrer patient... L'heure n'était pas encore venue pour lui.


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