Elementary

Chapitre 8 : Retour aux repères

5730 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 03/03/2021 15:23

 

 

 

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Chapitre 8

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Le téléphone de Shaolan commença son entêtante mélodie, signe qu'il était l'heure pour lui de se réveiller. Il chercha la source musicale d'une main aveugle et lourde mais ne trouva pas sa table de chevet à sa place habituelle. Contrarié, il ouvrit ses yeux à mi-clos et se rendit alors compte qu'il était sur le canapé de son salon. Après un bref instant d'étonnement, il se remémora les événements de la veille...

 

֍ Début de flash-back ֍

« Shaolaaaaaan... geignit Meiling, l'air boudeur. Je refuse de lui donner ma chambre ! C'est la mienne à l'origine, il y a toutes mes affaires dedans.

– Tu es mal placée pour te plaindre, je te rappelle... rétorqua-t-il, désabusé.

– Je sais que ce que j'ai fait est grave... Et je me ferai juger pour cela, mais je ne vois pas en quoi cela a un rapport avec le partage de mon espace personnel ! »

Le jeune homme soupira de plus bel sans répondre à sa cousine. Il chercha Wei du regard, espérant obtenir son aide, mais celui-ci s'affairait à préparer le dîner dans la cuisine, échappant de peu à ce nouveau caprice de Meiling. Quel chanceux... pensa-t-il en faisant tomber sa joue sur son poing fermé. Elle est pénible quand elle s'y met. Et il savait qu'une fois que Sakura serait sortie de la douche, cette histoire de chambre à coucher dégénérerait inévitablement. Accrochée à son bras, la demoiselle aux couettes noires guettait la réaction de son cousin. Elle ne voulait surtout pas que Sakura reste dans cette maison. C’est une menace. Elle avait déjà pu sentir que le regard que Shaolan posait sur la toute fraîche Elementary était bien différent depuis la dernière fois qu'elle les avait vus. La jeune fille se doutait que quelque chose s'était passé, et que leur relation commençait à évoluer. Il était donc hors de question qu'elle laisse le champ libre à cette briseuse de ménage !

« Mei, lâche-moi s'il te plaît... » la pria-t-il en secouant légèrement son bras.

Mais rien n'y faisait, elle était imbattable quand il s'agissait d'agir comme la pire des sangsues...

« Mais Shaolan... Il y a une solution simple si tu veux que je lui laisse ma chambre... susurra-t-elle en le resserrant un peu plus fort contre elle. On peut partager la même chambre, toi et moi ?

– Certainement pas, objecta-t-il, plus rapide que l'éclair.

– Mais pourquoi ? s'exclama-t-elle, visiblement très vexée par sa réponse si catégorique.

– Je refuse de dormir dans la même pièce que toi, tu es tout bonnement insupportable ! »

À ces mots, Shaolan eut le malheur de se souvenir de ces années passées où, quand ils étaient encore tout jeunes, ils avaient pu partager le même lit par commodité. Une horreur. En plus d'avoir un sommeil agité, Meiling était plutôt bruyante, parlant parfois même durant son sommeil ! C'était à peine si le jeune homme pouvait cumuler plus de deux heures de sommeil lorsqu'elle se trouvait dans les parages...

« Je n'ai pas d'autre choix... soupira à nouveau le pauvre Shaolan. Je vais devoir lui laisser ma chambre et je dormirai dans le salon.

– Elle ? Dans ta chambre ? » s'écria Meiling, épouvantée.

Son esprit irrationnel et abracadabrant s'enclencha. La jeune fille se mit alors à imaginer Sakura, reniflant avidement l'odeur des couvertures de son cousin adoré... les resserrant fortement contre elle comme si elle avait Shaolan entre ses bras. La voix angoissante de ses fantasmes les plus inavouables.

« Hors de question ! ordonna-t-elle, les yeux furibonds. C'est moi qui dormirai dans ta chambre et elle dans la mienne !

– Je croyais que tu ne voulais pas qu'elle dorme dans la tienne, Meiling... Tu es agaçante parfois. Je te rappelle quand même que tu as failli tuer sa meilleure amie, et pourtant tu n'as pas vraiment l'air de vouloir te repentir auprès d'elle. »

L’envahissante cousine fronça les sourcils. Elle voulait oublier cette nuit, agir comme si rien ne s'était passé, reprendre une relation normale avec son aimé. Mais celui-ci n'avait que ces mots à la bouche ; « Tu as failli la tuer », « Tu devras payer tes fautes... », ... Elle savait bien que ce qu'elle avait fait était difficilement pardonnable, mais il n'y avait pas eu de mort finalement, non ? Et puis Kinomoto était éveillée, pas vrai ? Tout était bien qui finit bien. Il était certain qu'elle gardait un regret amer en elle et que, si elle pouvait retourner dans le passé, elle n'aurait assurément pas commis les mêmes erreurs. Cependant, pleurer sur le lait renversé était inutile. Maintenant, elle voulait simplement que tout cela appartienne au passé.

Alors que Meiling continuait de rechigner à l'idée que Sakura puisse dormir dans la chambre de son cousin, la concernée descendit à son tour. Elle portait un large t-shirt et un petit short en lycra noir qui lui collait merveilleusement à la peau. Ses cheveux, encore mouillés, caressaient indécemment son cou, laissant quelques gouttes d'eau humidifier le col de son maillot. Le regard de Shaolan fut comme capturé. La jeune fille regarda les deux parents dans le fauteuil, et après avoir croisé ses bras pour leur montrer sa fermeté, elle les toisa d'un regard qui en disait long sur son irritation.

« Je dormirai où il sera possible de dormir, mais ce qui est sûr, c'est que je ne veux partager une chambre avec aucun de vous deux. Alors si vous pouviez arrêter de geindre les deux incestueux, ça me ferait des vacances. »

Elle a tout entendu ? La respiration de Meiling se coupa net. Elle ne se souvenait pas que Kinomoto pouvait avoir une présence et des yeux aussi intimidants. C'était comme si elle te disait : tu n'as pas intérêt à me casser les oreilles avec ces histoires de chambre ou je te le ferai regretter à coup sûr. Elle se détacha soudainement de son cousin, écarquillant ses yeux comme un lapin pris dans les phares d'une voiture.

« Prends la chambre que tu veux ! déclara-t-elle d'une voix étranglée.

– Aaah... Ce n'est pas trop tôt ! lança Shaolan, soulagée de ne plus ressentir la pression du corps de sa cousine sur son bras. Alors on va faire comme ça, Meiling tu gardes ta chambre et Kinomoto, je te laisse la mienne.

– Bien. » répondit Sakura brièvement, aussi glaciale que possible.

Une fois le problème résolu, la jeune rancunière se détourna d'eux pour rejoindre Wei dans la cuisine. Il était le seul qu'elle pouvait supporter dans cette maison...

֍ Fin de flash-back ֍

 

Elle avait vraiment l'air fâché, Kinomoto... se mit à penser Shaolan, assez déçu. D'un côté, après tout ce qu'il s'était passé la veille, il n'était pas étonnant qu'elle ait encore de la haine. Il espérait simplement que le fait de retourner en cours lui apporterait un peu plus de quiétude. Il se leva, affublé de son sempiternel boxer noir, et s'étira douloureusement. Le fauteuil n'était vraiment pas l'idéal pour dormir, mais il devrait s'y faire dorénavant. Il était bien trop éduqué pour laisser une fille dormir dans un fauteuil, et bien trop apeuré à l'idée de partager une chambre avec l'une d'entre elles.

Encore somnolant, Shaolan se laissa guider par une bonne odeur de pain grillé qui l'amena directement dans la cuisine où Wei arrangeait minutieusement le petit déjeuner sur la table. Assises à celle-ci, se trouvaient Sakura et Meiling. La tension entre elles était plus qu'oppressante, à tel point que Shaolan pouvait presque discerner des ondes obscures et menaçantes entourer les deux adolescentes. La cousine fut la première à remarquer la présence de l'hybride.

« Shaolan ! s'écria-t-elle, les yeux ronds. Que tu te balades en boxer quand on est entre nous, ça passe, mais quand une autre fille est présente, c'est hors de question ! »

Elle se jeta sur Sakura, lui obstruant la vue de deux mains pressantes. Celle-ci, avide de pulsions meurtrières, resserra la mâchoire, ce contact ne semblait vraiment pas lui plaire. Elle prit une profonde inspiration avant de dégager les mains de l'importune en donnant un léger coup de tête sur le côté. Une fois débarrassée de la gêne, elle tourna ses yeux assombris vers l'inconsciente.

« Ose encore me toucher, et je te ferai goûter aux pouvoirs d'une vé-ri-table Elementary. »

Touchée. Meiling, vexée mais à court de réponses, se mordit la lèvre inférieure, visiblement frustrée que Sakura sache déjà là où appuyer pour la faire souffrir. Shaolan, simple spectateur de cette scène, soupira et se résigna à se préparer dans sa chambre. Il prendrait juste de quoi déjeuner sur la route.

Il monta silencieusement les escaliers, tentant vainement d'ignorer les grognements qui persistaient dans la cuisine. Il ouvrit sa chambre et s'y engouffra avant de plaquer son dos contre la porte dans un geste de profonde lassitude. La journée promet d'être longue, pensa-t-il avant de se diriger vers son dressing. Au passage, il jeta un regard curieux vers son lit. Sakura avait dormi ici. Les draps étaient parfaitement replacés, dans l'exacte position où ils avaient été avant qu'elle ne passe la nuit-là. Pourtant, il pouvait encore y sentir sa présence... Il ne s'agissait pas seulement de son odeur, il y avait quelque chose de plus entêtant qui embaumait l'air. Une douceur, une caresse immatérielle. Plus Sakura gagnait en puissance, plus son charme devenait indéniable, il se devait de l'admettre... Ce n'était pas étonnant. Le pouvoir, le vrai, avait toujours amener ce mélange si particulier de fascination et de crainte. Ce regard intimidant et cette aura séductrice étaient des manifestations on ne peut plus évidentes de l'accroissement de sa force. Déjà si puissante... Shaolan s'inquiétait. Après tout, elle n'était qu'un être à demi-éveillé et pourtant, elle paraissait déjà bien capable d'asseoir sa domination sur de nombreux Elementary, et même des membres éminents des plus hautes lignées. Pourra-t-elle vraiment gérer cette puissance sur le long terme ? Serait-elle capable de se retenir de dévaster la ville à la moindre frustration ?

Shaolan enfila un jean de couleur crème ainsi qu'une chemise blanche qu'il ne ferma pas jusqu'au dernier bouton. Il remonta les manches de sa chemise jusqu'à ses coudes et tira d'un coup sec sur son col pour le remettre correctement en place. Il était prêt. Il allait parvenir à la maîtriser, il devait y croire.

Au rez-de-chaussée, Sakura aidait Wei à faire la vaisselle, bien que celui-ci lui eut réclamer un bon nombre de fois de ne pas s'en préoccuper. C'était plus fort qu'elle, participer aux tâches ménagères lui donnait un peu plus l'impression d'être chez elle. Chez moi... La jeune fille se remémora le visage souriant de son père, ce visage qu'il lui adressait inlassablement chaque matin depuis toujours. Aujourd'hui, elle ne pourrait toujours pas le voir. Même les chamailleries avec son insupportable grand frère semblaient lui manquer. Heureusement, elle allait enfin retourner en cours. Retrouver sa petite routine la calmerait certainement un peu, enfin elle l'espérait. Elle avait juste besoin de se sentir humaine à nouveau, la séparation avait été trop abrupte. Sakura essuya délicatement l'assiette que venait de lui passer Wei. Elle passa le torchon avec une extrême lenteur, pouvant presque sentir au travers les moindres reliefs qu'offraient les ornements de cette si luxueuse vaisselle. Elle rêvassait à nouveau.

« Mademoiselle ? Vous allez bien ? »

Sakura leva un regard surpris vers le majordome qui penchait un regard inquiet vers elle.

« Oui, oui... Je suis désolée, juste un moment d'absence. Je dois encore être un peu fatiguée, se justifia-t-elle simplement.

– Si vous le voulez, vous pouvez vous reposer encore une journée ici et retourner en cours à partir de demain. Il ne serait pas bon de forcer votre corps dans votre état.

– Je préfère contraindre mon corps si c'est en vue d'apaiser mon esprit, lâcha-t-elle avec un petit sourire en gardant ses yeux accrochés à sa tâche.

– Je comprends. » répondit-t-il, souriant à son tour.

Le majordome observait calmement la jeune fille, à la fois rassuré par sa lucidité mais aussi préoccupé par son futur si incertain. Wei avait pu connaître la mère de Sakura, même si ce fut assez court. Il reconnaissait les traits de Nadeshiko dans ceux de sa fille, elles se ressemblaient tellement, cela le troublait beaucoup. Il ne s’agissait pas simplement de leur apparence, elle dégageait un même charme, arboraient les mêmes expressions… Il avait de très bons souvenirs de l'incroyable aquavia qu'avait été Nadeshiko. Une femme forte, indépendante, souriante et avec un sens aigu de la morale. Son caractère lui avait immédiatement paru incompatible avec le milieu des Elementary. Elle avait été si différente, unique. Son sombre destin semblait avoir été inscrit dans ses veines dès sa naissance. Et le plus horrible pour lui était de penser que Sakura pourrait partager cette même tragédie à l'avenir... La voix de son maître, Shaolan, tira le majordome de ses pensées.

« Kinomoto, on va bientôt y aller, tu es prête ? »

Sakura se contenta de hocher la tête. Elle rangea les dernières fourchettes dans le tiroir qui leur était consacré puis adressa un sourire à Wei avant de partir de la cuisine pour aller chercher son sac de cours. Le majordome regarda la jeune fille partir dans le silence.

Devant la porte, Meiling attendait déjà, tapant nerveusement du pied. Shaolan était avec elle mais semblait absent, le regard à l'ouest. Sakura les rejoint assez rapidement son sac sur une épaule.

« Ce n'est pas trop tôt, se plaignit la jeune fille aux cheveux noirs avant d'ouvrir la porte.

– Si m'attendre t'était si déplaisant, tu pouvais partir en avant. Ta compagnie est loin de m'être indispensable, rétorqua Sakura en prenant les devants.

– Et te laisser seule avec Shaolan, tu plaisantes ? s'énerva-t-elle en s'accrochant au bras de son cousin.

– Comme si ce guignol pouvait m'intéresser, soupira-t-elle sans pour autant croiser le regard du concerné.

– Vous pouvez arrêter de parler de moi comme si je n'étais pas là ? Ce serait sympa. » lâcha Shaolan, contrarié.

Sakura, en réponse, ne fit que lever les yeux au ciel. Elle ne voulait pas leur parler, cela la fatiguait en vérité. Elle était si perdue... Elle en voulait à Meiling, mais son comportement presque détaché la travaillait. Est-ce que risquer la vie d'une humaine avait eu si peu de répercussions sur sa conscience ? Elle trouvait cette idée assez effrayante. En vérité, les Elementary eux-mêmes lui semblaient effrayants. Elle ne pouvait pas ignorer ce cruel manque de compassion. Il en était de même pour cet air d'indifférent que Shaolan affichait depuis que sa cousine était revenue. Elle qui pensait que le jeune homme avait commencé à manifester des sentiments, finalement il paraissait aussi insensible que sa comparse. Elle devait se méfier d'eux. Après tout, ils n’étaient pas humains... Et toi, tu l'es ? l'interrogea une petite voix dans sa tête. Sakura se surprit elle-même de cette pensée. Qu'est-ce que je suis ? Je ne suis pas humaine mais je suis loin de leur ressembler. Elle marchait mécaniquement, se plaçant à une certaine distance des deux autres. Allait-elle perdre son humanité comme eux ? Pourrait-elle oublier la valeur d'une vie ? Pourrait-elle oublier ses sentiments ?

Et, alors que ses réflexions commençaient à lui donner la migraine, Sakura remarqua que le lycée était déjà devant elle. Immense, imposant mais si réconfortant. La jeune fille ne put s'empêcher de sourire en franchissant ces grilles familières. Non, elle ne pouvait pas oublier cette sensation. Le temps qu'elle pourrait s'accrocher à toutes ces petites choses qui ont été des composantes de sa vie en tant qu'humaine, elle sentait qu'elle serait capable de tout affronter et de rester elle-même.

« Sakura ! » l'interpella une voix pleine de joie.

Elle eut à peine le temps de se retourner qu'elle faillit se faire renverser par une Tomoyo heureuse jusqu'aux larmes !

« Tomoyo, je suis vraiment contente que tu sois autant en forme !

– Je suis tellement heureuse que tu sois de retour, je ne peux que déborder d'énergie ! J'ai pris en note tous les cours pour toi, je les ai recopiés à l'ordinateur et j'ai même travaillé la mise en pages pour que tout te semble plus clair.

– Tu sais, tu n'avais pas besoin de te donner tant de peine, soupira Sakura en lui tirant gentiment le coin de la joue. Pour moi, le simple fait de te revoir me suffit. »

En réponse, sa meilleure amie la resserra un peu plus fort dans ses bras. Shaolan, à quelques mètres de là, observait la scène du coin de l’œil. Pour lui, le spectacle d'une amitié débordante entre une humaine et une Elementary était particulièrement inédit. Mais, dans le cas de Sakura, pouvait-on s'attendre à une réaction d'Elementary ? Elle a toujours chéri cette amitié, et ce n'est certainement pas l’émergence de ses pouvoirs qui aurait changé cela, il le savait très bien. Pourtant, il ne pouvait s'empêcher de trouver ce comportement étrange. Après tout, il trouvait que certaines choses avaient changées chez Sakura. Il la trouvait plus intimidante, mais aussi moins équilibrée sentimentalement parlant... Cela commencerait sûrement à avoir des répercussions sur sa vie quotidienne. Mais lesquelles ?

Les élèves commencèrent à se rassembler dans la classe habituelle. Les filles s'étaient réunies autour de Sakura, l'interrogeant tour à tour sur les raisons de son absence, sur les conditions de son agression, sur les raisons du kidnapping, sur son rétablissement. La jeune fille tentait de leur répondre avec le sourire pour les réconforter mais, empêtrée dans les mensonges, elle devait rester concentrée pour éviter de s'emmêler les pinceaux. Elle ne leur livrait donc que des réponses brèves avec un sourire forcé qui finit par alerter sa meilleure amie qui la dévisageait silencieusement. Une fois que le professeur fit son entrée, chacun repartit à sa place et Tomoyo continuait de fixer Sakura avec une pointe de curiosité.

« Tu es sûre que ça va, Saki ?

– Oui, ne t'inquiète pas. C'est juste que je suis un peu fatiguée, se justifia-t-elle, toujours avec cette expression imprimée sur le visage.

– Ah... » se contenta de lâcher Tomoyo, visiblement insatisfaite de sa réponse.

Sakura fit mine de ne pas s'en rendre compte, par peur que cela pousse Tomoyo à se poser plus de questions encore. Au moment où la jeune fille sentit une forme de malaise se former, la voix de Mme Mizuki attira son attention.

« Bonjour à tous, j'espère qu'aujourd'hui vous pourrez avoir un comportement assez correct pour ne pas donner une mauvaise impression à votre nouveau camarade de classe. N'ayant eu que des cours à domicile depuis le début de sa scolarité, il n'est pas habitué à fréquenter des établissements comme le nôtre, j'aimerais donc que vous soyez bienveillants à son égard. Tu peux rentrer maintenant, viens donc te présenter s'il te plaît. »

Une fois cette petite introduction terminée, un jeune homme avec de petites lunettes, une chevelure noire, un teint presque blafard et des yeux d'un bleu profond fit son entrée sous les yeux curieux d'une petite trentaine d'élèves. Sakura, sans trop le comprendre, se prit de fascination pour ce nouvel arrivant. Il avait une posture, un regard... Malgré son apparence fragile, il avait une réelle présence. C'était cela ce qu'on appelle le charisme ? Elle ne le savait pas trop, c'était la première qu'un individu lui laissait une telle impression.

« Je m'appelle Eriol Hiiragizawa, j'espère qu'on va bien s'entendre. »

Ce jeune homme qui s'était présenté sous le nom d’Eriol afficha un sourire des plus cordiaux. Il croisa le regard de Sakura et la fixa droit dans les yeux. La jeune fille, déstabilisée, se mit à lui sourire en retour, avec un soupçon de gêne lui crispant l'extrémité des lèvres. Elle ne saurait dire pourquoi mais il l'impressionnait. Il semblait si sûr de lui, sans pour autant paraître hautain. Au moment où Mme Mizuki proposa à Eriol de choisir sa place, il préféra le siège qui était juste devant Sakura. Et, quand il s'approcha de sa place, il s'attarda en face de Sakura, la saluant expressément. La jeune fille lui rendit ce signe de respect presque par automatisme même si, au fond, elle était désorientée de cette attention qu'il lui accordait en particulier. On se connaît ? Une fois qu'il fut assis, Sakura continua de l'observer, cherchant désespérément à se rappeler si elle avait déjà vu ce visage quelque part dans sa vie.

Meiling, de son côté, avait nettement blêmi à l'arrivée de ce Eriol. Eriol ? Où est-ce qu'il a trouvé un prénom pareil ? Cet imposteur était tout sauf un innocent nouvel élève. C'était l'individu qui l'avait si parfaitement manipulée jusqu'à maintenant... Ce sombre Elementary réincarné dans de sombres circonstances. Même avec les yeux bandés, elle aurait reconnu cette aura entre mille. Une aura brumeuse, presque impossible à cerner. Elle était juste surprise de voir avec quelle facilité il avait pu s'infiltrer dans la classe comme le plus commun des élèves. Il était véritablement prêt à tout pour pouvoir se rapprocher de sa proie. Il allait probablement essayer de précipiter la suite de son éveil. Non, en fait, elle en était même sûre. Il lui avait clairement expliciter ses intentions lorsqu'elle l'avait rencontré pour la première fois. Mais comment allait-il s'y prendre concrètement ? Étant donné ce qu'il lui avait demandé par le passé, elle imaginait bien qu'il ne prendrait pas des pincettes. Nerveuse, elle se mit inconsciemment à se ronger les ongles. Elle ne pouvait rien faire, elle savait que si elle s'opposait à lui, il n'hésiterait pas à tuer Shaolan, et avec la plus grande des cruautés... Elle ne pourrait rien faire pour Sakura, elle était déjà condamnée. L'ennemi était trop puissant et, visiblement, très intelligent.

Eriol se tourna légèrement pour jeter un regard à la jeune Meiling. Il avait des yeux marqués par une profonde soif de domination, il voulait clairement lui faire comprendre que le moindre faux pas de sa part aurait des conséquences désastreuses pour elle... Mais, ce qui lui faisait le plus froid dans le dos, c'était son sourire. Son regard avait beau être menaçant, obscur, il restait là à lui sourire innocemment. Meiling ressentit un frisson glacial parcourir la totalité de sa colonne vertébrale, la paralysant sur son siège. Elle en eut des sueurs froides.

Proche d'elle, son cousin avait remarqué sa réaction de panique. Cela l'avait particulièrement intrigué. Il imaginait que ce jeune homme devait être lui aussi un Elementary que Meiling avait vraisemblablement rencontré par le passé. Enfin c'est ce qu'il supposait depuis sa place de simple observateur. Cependant, il savait que questionner Meiling pour vérifier ses hypothèses ne servirait à rien. Elle paraissait bien trop terrifiée pour répondre à la moindre de ses interrogations. Et puis, Shaolan préférait généralement découvrir les choses par lui-même, et non par des bouches hasardeuses. Certainement par manque de confiance. Meiling l'avait quand même trahi, il ne pouvait pas l'oublier aussi facilement. La tête reposée sur son poing fermé, Shaolan analysa ce nouveau venu du regard. Il sentait une certaine puissance, mais son aura semblait confuse. Il ne pouvait pas clairement savoir si cet individu pouvait représenter une menace potentielle. Il soupira, las. Encore une autre personne qu'il devrait surveiller... Il commençait à s'ennuyer de ce rôle de baby-sitter.

« Mademoiselle Kinomoto, l'interpella Mme Mizuki. En votre qualité de Présidente du Conseil des élèves, pourriez-vous aider Hiiragizawa à se repérer dans l'établissement ainsi que dans les cours qui ont déjà été commencés ?

– Je n’y vois pas d’objection. » répondit simplement la concernée.

Un déluge de regards consternés s'abattit sur la déléguée. Elle n'était pas vraiment du genre à vouloir jouer les guides touristiques, elle refilait souvent ces tâches secondaires à des subalternes, préférant se concentrer sur des projets de plus haute importance. Sakura était particulièrement à l'aise dans le rôle de meneuse, elle savait parfaitement attribuer les rôles à chacun selon leurs capacités. Elle avait un excellent sens de l'analyse et se trompait rarement. Mais quand il s'agissait de s'adonner à des travaux en tant que tels, elle rechignait souvent, se plaignant de perdre un temps précieux. Il était donc compréhensible que la classe entière soit étonnée de cet élan de générosité de la part de l'indomptable Sakura. La professeure elle-même était assez surprise, mais manifestement rassurée de ce retournement de situation.

C'était donc dans une atmosphère plutôt inhabituellement détendue que le cours commença. Seuls quelques bavardages constituaient une certaine nuisance sonore mais, à côté de cela, aucune dispute, aucune tension ne semblait pouvoir faire obstacle au bon déroulement de cette leçon. Ce qui tenait presque du miracle pour cette classe. Au bout de deux heures, la sonnerie signala la fin du cours de littérature et la plupart des élèves sortirent prendre l'air à l'occasion de cette récréation. Sakura, quant à elle, resta assise, curieusement calme.

« Sakura, l'apostropha Naoko, t'as pas vraiment l'air en forme aujourd'hui... Tu n'as pas encore totalement récupéré ?

– Ce n'est pas étonnant, après tout ce qu'elle a vécu, c'est normal, contesta Rika, une autre membre du fan club de Sakura.

– Non, les filles... soupira la concernée. C'est juste que je n'ai plus envie de me prendre la tête avec qui que ce soit, je suis fatiguée de toujours devoir me chamailler pour des niaiseries. »

Les filles regardèrent Sakura, abasourdies. Seule Tomoyo maintenait un petit sourire. Quel changement ! pensa-t-elle, amusée. Elle ne savait pas exactement ce qu'il s'était passé chez les Li, mais en tous cas, cela avait coupé toute envie à Sakura de titiller son rival de toujours ! Et, à ce qu'elle voyait, c'était réciproque. Et, alors que les filles continuaient de soumettre la Présidente à un interrogatoire drastique, Eriol vint à leur rencontre, tout sourire.

« Je suis désolée d'interrompre votre conversation, mais est-ce que quelqu'un pourrait m'indiquer où se trouve le secrétariat ? Je devais aller chercher des papiers là-bas une fois entré dans l'établissement, mais j'ai été pris de court.

– Bien sûr, je t'y conduis tout de suite. » répondit Sakura en se levant, toujours sous le regard médusé de sa petite troupe.

Elle quitta alors la classe, accompagné d’Eriol. Tout en se dirigeant vers le secrétariat, Sakura ne pouvait s'empêcher d'épier son camarade du coin de l’œil. Elle ne pouvait s'en empêcher, il l'intriguait ! Eriol l'ayant vite remarquée, il eut un petit rire amusé avant de la regarder droit dans les yeux.

« J'ai un souci sur le visage ? demanda-t-il d'un ton moqueur.

– Non, non ! s'exclama-t-elle, un peu gênée. Excuse-moi si j'ai pu paraître insistante... C'est juste que je me demandais si l’on s'était déjà vus quelque part. Tu m'as salué assez longuement tout à l'heure.

– C'est simplement parce que tu es la Présidente du Conseil des Élèves et que ta photo trônait sur le panneau d'affichage de l'entrée avec celles de tous les autres délégués de classe, donc je t'ai reconnue assez aisément.

– Aaah... lâcha Sakura, comprenant soudainement que son imagination l'avait peut-être égarée trop rapidement. Il est vrai que j'avais oublié ce détail ! Il faut dire qu'à l'origine je n'étais pas trop d'accord à l'idée que ma tête apparaisse sur le panneau d'affichage du lycée, mais ça a toujours été ainsi.

– Pourquoi cela te dérange ?

– Eh bien, c'est simplement assez gênant de se voir en photo tous les matins en franchissant la grille... On dirait presque que j'essaie d'entretenir une sorte de culte de la personne, alors que ce n'est pas du tout le but.

– Je comprends, mais tu ne devrais pas te sentir embarrassée. Tu es une très jolie fille, il n'y a rien de mal à montrer une photo de toi à tout le lycée, cela te donne plutôt une bonne image je trouve. Et puis au moins, les nouveaux comme moi peuvent plus facilement se repérer s'ils connaissent, dès l'entrée, les personnes à qui ils peuvent s'adresser.

– C'est peut-être vrai. » admit Sakura, légèrement rougissante à cause du compliment qu'il venait de lui glisser. « Merci. »

Eriol lui sourit en retour alors qu'ils arrivaient au secrétariat. Sakura resta à ses côtés le temps qu'il remplisse les quelques papiers manquants, puis ils retournèrent en cours, toujours en discutant de choses et d'autres. Au moment où les deux élèves franchirent le seuil de la porte, ils tombèrent nez à nez avec Shaolan. Celui-ci s'arrêta net et dévisagea l'un après l'autre, Eriol puis Sakura.

« Qu'est-ce qu'il y a, Li ? lui demanda-t-elle en tentant de ne pas paraître agressive, bien qu'elle ne supportât pas sa façon de la regarder de haut en bas.

– C'est rien, c'est juste que vous donnez l'impression de bien vous entendre... Vous vous connaissiez déjà ?

– Pas du tout, Sakura a simplement eu la gentillesse de me montrer le chemin jusqu'au secrétariat. »

Sakura et Shaolan tournèrent tous deux leur regard vers Eriol. L'une semblait soudainement assez gênée, et l'autre, partagé entre la surprise et une forme de... contrariété ? Eriol venait d'appeler Sakura par son prénom. Après un bref instant de silence, Eriol eut un hoquet de surprise avant de se tourner vers Sakura, l'air désolé.

« C'est vrai qu'il ne faut appeler une personne par son prénom que lorsqu'on a tissé un réel lien avec elle, non ? Je n'ai pas vraiment l'habitude de ce type de convenance... Est-ce que cela te dérange si je t'appelle par ton prénom ? » la questionna Eriol, avec une très légère moue.

Sakura, d'abord désemparée, secoua la tête. Il n'avait pas l'air d'avoir de mauvaises intentions, c'est simplement qu'il n'avait pas l'habitude d'appeler les personnes par leur nom de famille. Après tout, s'il n'avait eu que des cours à domicile jusqu'à maintenant, il ne devait pas être trop habitué à être avec des inconnus.

« Non, si cela te permet d'être plus à l'aise, cela ne me dérange pas. » affirma Sakura, lui souriant gentiment.

Shaolan dévisagea une seconde fois les deux adolescents qui lui faisaient face avant de soupirer bruyamment.

« Tu as bien de la chance, Hiiragizawa, Kinomoto ne m'a pas réservé un accueil aussi chaleureux quand je suis arrivé dans ce lycée. »

Il recommençait à être irritant. Sakura lui jeta un regard furibond, comme pour lui signaler qu'il avait plutôt intérêt à ne pas se lancer dans ce genre de jeu.

« Mais tu as oublié de préciser que tu n'as pas eu la même délicatesse que lui quand tu es arrivé à Tomoeda, rétorqua-t-elle en fronçant subtilement les sourcils.

– Ah bon ? Je croyais justement qu'avec ta nature hostile, tu cherchais un rival à taquiner pour animer tes journées un peu trop moroses... La vie d'une Présidente du Conseil des Élèves est vraiment ennuyeuse, je te l'assure, Hiiragizawa. »

Sakura, vexée de cette soudaine provocation de la part de Shaolan, était prête à en découdre quand Eriol prit à nouveau la parole.

« Je ne trouve pas que Sakura soit ennuyeuse. Au contraire, avec le peu de conversation que nous avons partagé jusqu'à maintenant, elle m'a plutôt donné l'impression d'être une fille pleine de vie et particulièrement ouverte d'esprit. »

Ces simples paroles avaient transformé la volcanique Sakura en une jeune brebis égarée face à tant de compliments. Bien qu'elle soit indéniablement une jolie fille, elle ne recevait que rarement d'aussi belles galanteries. Elle remercia Hiiragizawa, les joues doucement empourprées, oubliant presque la présence de celui qui l'avait attaquée. Shaolan, piqué par une frustration qu'il ne comprenait pas, se détourna des deux adolescents pour retourner à sa place. Pleine de vie et ouverte d'esprit ? Non mais elles ont quoi ses lunettes ? s'énerva-t-il intérieurement. Kinomoto est une chieuse de première, provocatrice, capricieuse et sensiblement irascible, rien d'autre. Il ne comprenait pas pourquoi ce nouveau était pris par un tel besoin de jouer les don Juan avec elle. Sakura ne pouvait pas s'intéresser à un simple binoclard dans son genre. Il allait se faire jeter, il le savait. C'était évident ! Ou peut-être était-ce juste ce qu'il espérait ?


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