Elementary

Chapitre 3 : L'ombre

5672 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 03/03/2021 21:12

 

 

 

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Chapitre 3

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La sonnerie du midi signala le départ pour tous les élèves de la classe. Les étudiants, pour la grande majorité, se ruèrent sans attendre hors de la salle, comme des possédés, dans l'espoir d'obtenir une bonne place à la cantine. Sakura se plaisait à observer cette course effrénée, c'était comme si l’appât de la nourriture les avait rendus un peu plus sportifs pour quelques courtes minutes... Paradoxal, non ? La jeune fille esquissa un bref sourire amusé avant de se tourner vers sa meilleure amie qui, elle, lui tendait un magnifique panier repas emballé dans un tissu rose pâle.

« Aujourd'hui c'était à mon tour de te mitonner un bon petit plat, chantonna joyeusement Tomoyo alors que la jeune fille se saisissait du paquet.

– Merci » répondit-elle simplement avant de se diriger vers la sortie, accompagnée de son acolyte.

Elles avaient toutes deux pris l'habitude de se préparer le déjeuner tous les jours, de façon alternée, pour aller pique-niquer dans la cour, sous un cerisier qu'elles connaissaient depuis leur entrée au lycée. C'était une sorte de rituel. Sakura appréciait particulièrement ce moment de tranquillité, loin des agitations de la classe. Car, même si elle refusait l'idée de céder face aux tentatives de mutinerie du nouveau, elle devait admettre que ces conflits la fatiguaient énormément...

Une fois arrivées dans la cour, la jeune fille leva les yeux vers un soleil qui l'éblouit presque instantanément. Elle pouvait sentir sa rétine souffrir de cette agression solaire, ce qui la fit grimacer de façon presque imperceptible. Elle avait l'impression de ne plus rien supporter depuis quelques temps... Elle se sentait incroyablement lourde, facilement à bout de souffle. Naturellement, elle avait mis ça sur le dos de cet enquiquineur de Li. Mais, au fond, elle savait qu'il ne pouvait pas être la source de tous ses maux...

« Sakura, tu es sûre que ça va ? lui demanda son amie, légèrement inquiète, alors qu'elle étalait une petite nappe sur l'herbe pour qu'elles puissent s'asseoir.

– Oui, ne t'inquiète pas... C'est juste que je n'ai pas assez dormi.

– Encore ta cicatrice ? »

Tomoyo était la seule, à l'exception de son père et de son frère, à connaître l'existence de cette cicatrice... Elle préférait généralement la garder secrète pour les autres car elle imaginait bien les questions qui s'ensuivraient. Comment tu t'es faite cette cicatrice ? Elle te fait mal ? Pourquoi a-t-elle la forme d'une flamme ? Rien qu'à l'imaginer, cet interrogatoire l'exaspérait. Surtout qu'en découvrant cette marque du passé, toutes ces personnes, admirateurs ou rivaux, découvriraient son seul véritable point faible et ça, elle ne pouvait pas l'accepter.

Tomoyo était profondément différente à ses yeux, elle ne posait pas de questions inutiles. Elle écoutait seulement ce qu'elle acceptait de lui dire et n'essayait pas d'approfondir vers des sujets plus sensibles... Elle était d'un tact infini et d'une extrême délicatesse. Ce qui faisait d'elle l'unique personne à qui Sakura pouvait se confier sans crainte.

« Oui, elle me brûle de plus en plus ces derniers jours... Je ne peux même plus la toucher.

– Et tu ne veux toujours pas en parler à ton père ?

– Non, je sais que cela l'inquiéterait plus qu'autre chose... soupira-t-elle. Et ça ne servirait à rien, personne ne sait pourquoi cette saloperie me fait encore mal aujourd'hui. »

Tomoyo se contenta de baisser la tête. Elle aurait voulu pouvoir aider son amie... Mais elle savait qu'elle était totalement impuissante. Elle ne pouvait que l'observer. Chose qu'elle faisait mieux que quiconque, elle avait d'ailleurs remarqué à quel point son teint avait viré à un pâle presque maladif récemment, seuls les petits cernes sous ses yeux donnaient une nuance rougeâtre à son visage.

« Bon à part ça, tu en es où dans ton inscription pour l’École de photographie de Tokyo ? l'interrogea Sakura avec enthousiasme pour changer de sujet au plus vite.

– C'est en cours, j'ai prévu d'aller la visiter la semaine prochaine. Ils m'ont même assuré que je pourrai assister à quelques cours ! »

La jeune fille se mit sourire face à l'air jovial de son amie. Elle savait à quel point elle chérissait le domaine du numérique, cette école était un peu comme un rêve pour elle.

« Surtout qu'ils m'ont complimentée sur les photos que j'ai pu prendre jusqu'à maintenant... ajouta fièrement Tomoyo en adressant un petit clin d’œil à sa meilleure amie.

– Non... Ne me dis pas que tu leur as montré les photos de...

– Et si ! la coupa-t-elle. J'ai pu leur montrer une bonne partie des photos que j'ai prises de toi ! Il faut dire que tu es si photogénique... C'est tellement simple d'avoir un beau rendu avec un visage comme le tien ! »

Alors que la petite photographe partait dans un discours élogieux sur son physique, sa morphologie et tout ce qui pouvait la concerner de près ou de loin, Sakura commençait à se sentir légèrement embarrassée. Il est vrai qu'elle avait accepté de servir de modèle à de nombreuses reprises, mais c'était seulement parce que Tomoyo savait user de ses petits yeux de chien battu pour la faire céder. Elle avait toujours eu une admiration sans faille pour Sakura, la montant presque au statut d'une véritable idole. Une position difficile à porter pour une personne comme la jeune Sakura qui préfère rester modeste concernant son apparence...

Une fois qu'elles eurent fini de manger, elles se levèrent pour rejoindre leur casier, échangeant au passage quelques rires en évoquant des anecdotes du passé. Sakura ouvrit le sien en premier, laissant tomber un petit mot qu'elle ramassa immédiatement, intriguée. Elle déplia le bout de papier sous les yeux curieux de sa meilleure amie.

« Une déclaration d'amour ? s'enquit-elle.

– Je ne pense pas » répondit-elle, amusée.

Tout à coup, le regard de la jeune fille aux cheveux châtains changea. La gaieté qui le marquait se transforma en un sentiment d'incompréhension des plus perturbants...

« Tu n'es pas humaine, il faut absolument que tu t'en rendes compte ! »

Sakura arqua un sourcil, pensive, avant de, soudainement, exploser de rire !

« Moi pas humaine ? se moqua-t-elle, la larme à l’œil. Mon écart de ce matin a vraiment dû effrayer quelqu'un pour qu'on en vienne à m'écrire une bêtise pareille ! »

Tomoyo rit avec elle de plus belle. Elles étaient vraiment curieuses de connaître la personne qui avait pu écrire une telle ânerie. Mais ce qu'elles ne savaient pas, c'est qu'à quelques mètres de là, cachée derrière une rangée de casiers, Meiling se rongeait le bout de l'ongle, visiblement très contrariée. Qu'est-ce qu'elle a à se foutre de ma tronche celle-là ? s'énerva-t-elle. Cela n'avait pourtant rien d'une plaisanterie ! Il faut dire que, pour elle, cette révélation était profondément évidente, mais pour une personne qui ne connaît rien du monde surnaturel, cela ne peut qu'avoir l’écho d'une plaisanterie douteuse. Le problème était qu'elle n'avait pas trouvé d'autre moyen pour faire comprendre à Sakura sa véritable nature, ce n'était pourtant pas faute d'y avoir réfléchi pendant une nuit entière ! Et ce n'est qu'au bout de nombreuses heures à se creuser la tête qu'elle avait pu sortir cette idée... assez simplette, il faut l'admettre.

Et alors que Meiling bouillonnait en observant les deux copines ricaner, le téléphone de celle-ci se mit à vibrer dans sa poche. Elle voulut l'ignorer, sachant pertinemment de qui il s'agissait, mais elle se ravisa.

« Oui ? sortit-elle, hésitante.

– Meiling Li, espèce de sombre abrutie. »

La jeune fille sentit un frisson lui parcourir tout le dos comme une onde électrique. La voix était ténébreuse et froide, ce qui la rendait particulièrement effrayante.

« Je voulais juste essayer de...

– Tais-toi, la coupa-t-il brutalement. Spinel m'a dit que tu avais essayé de révéler à Sakura sa nature d'Elementary à travers un stupide petit mot glissé dans son casier ? Est-ce que tu es réellement assez crétine pour cela ? »

Spinel ? s'interrogea-t-elle mentalement. Quel fichu rapporteur ! Elle ne l'avait pas vu venir sur ce coup... Spinel était le familier de l'homme qui l'employait. Un petit esprit, ressemblant vaguement à un chat avec des ailes noires et une queue qui finissait en tire-bouchon... Un peu comme celle d'un cochon. Cette idée fit sourire Meiling intérieurement, même si l'heure n'était pas à la plaisanterie...

« Tu dois employer des méthodes plus efficaces ! Il faut que Sakura ressente le besoin d'utiliser ses pouvoirs, il faut qu'elle sente que sa position d'humaine lui est totalement inutile et qu'il est nécessaire pour elle de faire émerger d'autres forces du plus profond de son être... C'est un sentiment presque instinctif chez les Elementary, les vrais, pas chez les contrefaçons dans ton genre. »

Il avait été dur. Meiling se mordit la lèvre inférieure, sentant un bref sanglot lui tordre la gorge. Elle ne supportait vraiment pas qu'on parle ainsi de sa possible nature nomagis et le fait qu'il appuie précisément là-dessus lui était insupportable. Mais elle n'avait pas d'autre choix que de ravaler sa fierté, ce qui était contraire à sa personnalité.

« Et comment je suis censée faire pour cela ? rétorqua-t-elle, légèrement agacée.

– Ah... En voilà une question intelligente, ma chère... affirma-t-il d'une voix plus languissante. Il y a une fille, cette Tomoyo, ma petite Sakura paraît beaucoup y tenir... Je me demande bien ce qu'il se passerait si jamais Sakura voyait sa chère et tendre amie sur le point de mourir, qu'en dis-tu ?

– Vous voulez que je tue cette humaine ? s'exclama Meiling, horrifiée.

– Moins fort, espèce de sotte ! gronda-t-il. Je n'ai jamais dit que tu aurais à la tuer... Il faut simplement que la mette dans une situation qui peut s'avérer très dangereuse sans une intervention extérieure... Tu me comprends ? »

La complice acquiesça d'un petit oui étranglé. Elle savait que ça allait trop loin... Mais elle savait aussi qu'elle n'avait pas le choix. Elle devait le faire pour Shaolan et elle, il n'y avait que cette solution.

« Surtout, fais-en sorte qu'il y ait de l'eau à proximité... Sa mère était une aquavia et elle lui a légué une partie de ses pouvoirs avant de mourir, elle sera donc plus sensible si tu le fais dans un environnement où l'eau possède une place importante. Et, un conseil, si tu veux survivre, évite d'être à sa portée... Parce que si elle s'éveille et qu'elle sait que c'est toi qui as mis en danger sa meilleure amie, je ne donne pas cher de ta peau. Une nomagis comme toi face à la descendante de Nadeshiko... Tu te ferais écraser à coup sûr, assura-t-il en riant méchamment.

– Je ne suis pas une nomagis ! répliqua-t-elle, excédée.

– Pourtant tu es là, à mes genoux, prête à mettre en danger la vie d'une humaine rien que pour que je t'offre le moyen d'obtenir une alliance avec Shaolan.

– C'est mesquin.

– Réaliste. Tu te dois de l'admettre, la petite miséricordieuse que tu es n'a plus d'autres choix que de manger le pain dans la main des plus puissants... » murmura-t-il d'un ton volontairement provocateur.

Elle ne pouvait pas le contredire, elle dépendait totalement de lui... Il était le seul à pouvoir l'aider. La mère de Shaolan, Yelan Li, n'était pas du genre à contraindre son fils à agir contre sa volonté... Et cet homme, l'homme qu'elle avait au bout du fil, était le seul à pouvoir forcer une alliance entre deux Elementary. Oui, il était bien le seul à être en capacité de l'aider... Cette raison lui suffisait pour lui obéir au doigt et à l’œil. Car sa vie toute entière ne reposait que sur l'amour qu'elle portait à son cousin... Aussi étrange que cela puisse paraître.

Il était une sorte de héros pour elle. Lorsque toute sa famille avait commencé à soupçonner sa nature nomagis, Shaolan avait été le seul à la défendre. Il ne l'avait pas exclue. Il ne l'avait pas rejetée. Le seul. Elle sourit, légèrement mélancolique. Elle se souvenait encore du soir où sa propre mère lui avait dit qu'elle était indigne d'être une Elementary, qu'elle était bien trop faible et qu'elle devait quitter le clan au plus vite pour se mêler à la marmaille humaine... Qu'est-ce qu'elle avait pleuré ce soir-là, elle croyait même que ces pleurs ne s'arrêteraient jamais. Elle s'était sentie tellement abandonnée... jusqu'à ce qu'une main, douce et chaude, se pose sur le haut de sa tête. Elle avait alors pu voir le regard compatissant de Shaolan. Son cœur en avait loupé un battement tant il avait été séduisant, debout devant elle, dans l'obscurité de la nuit. Ses yeux ambre avaient une étincelle, une lueur qui l'avait immédiatement fascinée. Elle était tombée amoureuse de lui cette nuit-là. Et personne au monde ne pourrait l'empêcher d'être avec celui qu'elle aimait.

« Je le ferai, vous n'avez pas à vous inquiéter.

– Si tu le dis, répondit-il d'un air détaché. J'espère que tu ne me décevras pas une nouvelle fois, n'oublie jamais que j'ai des yeux partout. »

Sur ce, l'homme raccrocha. Meiling attendit quelques instants avant de retirer le téléphone de son oreille. Son corps était comme paralysé. Elle avait signé un pacte avec le Diable, elle le savait depuis le début, mais là, ses demandes dépassaient ses capacités. Le mal n'était pas dans sa nature. Pourtant, elle était contrainte d'agir. Le point de non-retour avait été dépassé depuis longtemps déjà.

Elle se laissa tomber contre le casier, plongeant sa tête dans ses mains pour en cacher les quelques larmes qui venaient de couler. Elle devait se reprendre. Après avoir séché les perles salées d'un revers de main, Meiling releva la tête, décidée. Elle agirait le soir même. Plus vite elle ferait le job, plus vite elle pourrait débarrasser sa conscience de la culpabilité qui commençait déjà à grandir là, au creux de son ventre. Elle connaissait déjà le lieu où elle amènerait cette pauvre Tomoyo, il n'y avait que celui-là qui lui venait à l'esprit... C'était comme une évidence.

De son côté, Sakura, en toute insouciance, retournait en cours avec sa meilleure amie. Quelques élèves étaient déjà là à chahuter, mais l'ambiance générale était encore assez calme. Pas étonnant aux yeux de la Présidente puisqu'elle constatait l'absence de Shaolan. Certainement en train de préparer un sale coup avec ses chiens de garde... se dit-elle alors qu'apparaissait dans son esprit une image assez loufoque. Celle du jeune homme en question, avec des cornes démoniaques et un teint rouge presque satanique, murmurant ses méfaits à venir aux oreilles de petites créatures, ressemblant plus à des monstres qu'à des chiens, maintenus fermement en laisse par leur diabolique souverain. La parfaite incarnation de Lucifer. Oui, c'était tout lui. Elle partit s'asseoir en tentant de faire taire son imagination débordante mais, au moment où elle voulut se mettre sur son séant, une douleur aiguë la fit se relever dans un bond spectaculaire ! En remarquant les punaises qui avaient été disposées sur sa chaise, ses joues prirent une couleur écarlate.

« Foutu Li ! » hurla-t-elle en sortant aussitôt de la classe, persuadée qu'il devait être dans le coin, riant bassement de son œuvre.

Tomoyo avait voulu la rattraper, mais la furie qu'était devenue Sakura était bien trop torrentueuse pour elle. Elle savait qu'elle n'avait aucune chance de la calmer quand elle était dans cet état-là. Elle se contenta donc de regarder la chaise de sa meilleure amie où trônaient les petites aiguilles aiguisées, prêtes à faire une nouvelle victime. Il a été plutôt puéril cette fois-ci... admit-elle en faisant tomber sa joue dans sa main grande ouverte, l'air pensif.

Sakura, telle une tempête indomptable, cherchait avec énergie le jeune Li. Que je le trouve... que je le trouve et je lui fais sa fête ! Je vais lui apprendre à vouloir me refiler le tétanos ! Elle observait les alentours mais ne voyait que des étudiants qui s'écartaient prudemment d'elle. Certes, elle était connue pour son calme, mais une fois qu'elle avait explosé, il fallait être suicidaire pour tenter de se mettre sur son passage.

Soudain, elle eut une idée, et sans trop réfléchir à la pertinence de cette pensée, elle donna un vif coup de pied dans la porte des toilettes des garçons. Ce qu'elle découvrit lui fit très rapidement regretter sa trop grande spontanéité... Shaolan était bien là, chemise entrouverte, debout entre les jambes d'une fille vulgairement assise sur les lavabos. Elle était vraisemblablement en train de lui embrasser le cou alors que lui, avait une main posée sur sa cuisse à moitié dénudée par sa jupe soulevée, et l'autre, tout aussi entreprenante, était posée sur la nuque de la jeune fille. Même en entendant le fracas causé par l'ouverture agressive de la porte, la jeune fille, sans-gêne, ne sentit pas le besoin de tourner le regard vers l'importune. Ce fut Shaolan qui posa en premier ses yeux sur une Sakura écœurée.

« Qu'est-ce t'as, Kinomoto ?

– Tu... tu... »

Shaolan la regardait avec dédain, même si, à l'intérieur, il jubilait littéralement. La jeune fille était clairement mal à l'aise, terriblement gênée de l'avoir surpris dans une situation aussi... physique. Comme quoi, l'impassible Présidente avait ses points faibles. Elle ne resta pas plus longtemps dans l'embrasure de la porte et tourna les talons, comme si de rien était, le teint rouge pivoine.

« Hé la Présidente ! l'interpella-t-il alors qu'elle s'éloignait. Tu as aimé le piquant de mes petites attentions sur ta chaise ? »

Sakura serra les poings mais resta silencieuse. Son esprit était bien trop embrouillé pour qu'elle puisse rétorquer quoi que ce soit sans être prise de bégaiements... Et elle ne voulait certainement pas se décrédibiliser davantage devant lui. La porte se referma et Shaolan ne vit rien d'autre que le dos de sa rivale, aussi droit qu'un piquet. Une fois qu'ils furent à nouveau seuls, le jeune homme repoussa doucement sa prétendante par les épaules.

« C'est tout maintenant, je n'ai plus besoin de toi. »

La jeune fille, visiblement déçue, se releva en replaçant subtilement une de ses mèches brunes derrière son oreille.

« Ça ne t'a pas plu ? s'enquit-elle de lui demander, en le dévorant littéralement des yeux.

– Te toucher n'aurait pu m'apporter une once de plaisir, c'est la triste réalité... lança-t-il en se rhabillant.

– Tu semblais pourtant si... bouillant... se défendit-elle, avec le peu d'espoir qui lui restait.

– J'ai toujours eu la peau brûlante, c'est dans ma nature. Tu ne peux pas comprendre. Reprends tes affaires et pars avant que d'autres personnes nous voient. »

Elle ne pouvait plus se retenir, elle s'effondra en larmes devant lui. Shaolan l'observa sans montrer le moindre signe de compassion. Son antipathie pour la nature humaine le rendait totalement imperméable à cette forme de tristesse... Pour lui, elle pleurait maintenant, mais elle rirait à gorge déployée à la seconde où elle rencontrerait un nouveau jeune homme flattant sa rétine. Ces sentiments n'avaient aucune importance à ces yeux, ils étaient éphémères et profondément futiles.

L'entichée partit ensuite des toilettes, non sans renifler bruyamment au passage. Shaolan profita de ce moment de calme pour finir de reboutonner sa chemise. Puis il partit à son tour, avant d'être en retard en cours. Sur le chemin, il repensa à l'expression de Sakura... Il était vraiment heureux d'avoir découvert à quel point la jeune fille était pudique, malgré son caractère de feu. C'était une nouvelle occasion pour lui de lui rabattre son caquet.

Une fois entré dans la classe, tous les regards se tournèrent vers lui. Il était finalement bel et bien à la bourre, mais bon, ce n'était certainement pas les yeux fulminants de son professeur de philosophie qui auraient pu atténuer la joie qui l'habitait. Il se dirigea vers sa place sans même accorder d'attention aux reproches bourrus de son enseignant. Il voulait d'abord voir dans quel état se trouvait Sakura... Ses yeux voyagèrent jusqu'à retrouver l'emplacement de celle-ci, juste à côté de la fenêtre. Elle regardait à l'extérieur, faisant mine de ne pas avoir remarqué son entrée. Cela le fit sourire. Au moment où il arriva à son niveau, il marqua une courte pause dans sa marche pour lancer :

« Je ne savais pas que la Présidente était une petite voyeuse. »

Il surprit le petit sursaut d'épaules dont fut prise la jeune Sakura et cela lui suffisait amplement comme réponse. Il allait être tranquille avec elle pour un bon moment ! Il se remercia intérieurement d'avoir eu une telle idée... Car, en effet, utiliser des punaises n'était pas une fin en soi, c'était plutôt le fait d'avoir mis Sakura dans une position embarrassante qui avait été au centre de son projet. Maintenant, il pourrait jouer de ce moment pour la réduire au silence lorsqu'elle redeviendrait trop arrogante.

Sakura, quant à elle, se sentait humiliée. Elle ne pouvait supporter d'être traitée ainsi. Si ce Shaolan Li pensait que cela suffirait à la faire taire, il se trompait. Car maintenant, elle n'avait qu'une envie, se venger ! Elle se mordit la lèvre inférieure, agacée. Comment pouvait-il faire des choses aussi indécentes dans l'enceinte d'un établissement scolaire ? Elle revoyait cette fille accrochée à son cou... Elle revoyait les cheveux en bataille de Shaolan, la naissance de son torse, la position de ses mains sur le corps de cette indiscrète, ses yeux presque sauvages... Stop !

Elle secoua vigoureusement la tête, surprise de sentir ses joues cramoisir à cette vision. Elle n'avait pas l'habitude d'assister à ce genre de scènes... Elle avait déjà eu des petits copains, c'est clair, mais jamais elle n'avait atteint ce stade, cette étape profondément charnelle. Une main devant ses yeux la fit soudainement sortir de ses rêveries.

« Tu vas bien, Sakura ? s'inquiéta sa voisine de table qui n'avait pas eu d'explications depuis sa sortie précipitée.

– Oui, ne t'inquiète pas... C'est juste que Shaolan sait toujours aussi bien calculer ses coups pour me déstabiliser. Et je hais ça. »

Tomoyo porta un regard intrigué sur son amie sans oser en demander plus... Elle connaissait assez bien le personnage pour savoir qu'il avait encore dû faire des siennes. Elle se remit donc à prendre en note le cours sans poser plus de questions.

À la fin du cours, certains élèves partirent de la classe pour prendre leur pause, mais Sakura, elle, préféra rester dans la salle, trop épuisée par les émotions qu'elle avait ressenti les heures précédentes. Tomoyo se leva de sa place, suscitant ainsi l'attention de sa comparse.

« J'ai oublié le manuel d'Histoire dans mon casier tout à l'heure, je vais le chercher et je reviens. » lança-t-elle avant de se retourner.

Sakura voulait l'accompagner mais, en voyant que Shaolan n'avait pas quitté sa chaise non plus, elle se dit que sa meilleure amie ne craignait rien. Elle la laissa donc partir seule, ce qui lui donna un drôle de sentiment... Après tout, elles étaient rarement séparées au lycée. Elles étaient un peu comme des siamoises, alors il était normal qu'elle ressente ce petit pincement, non ?

La jeune fille se laissa glisser sur sa chaise et ferma les yeux quelques instants pour réfléchir. Bercée par la chaleur que lui offrait le soleil par la fenêtre, elle finit par s'endormir sans s'en rendre compte.

Quand elle revint à elle, quelques minutes plus tard, le cours d'Histoire avait déjà commencé et le professeur n'avait même pas pris la peine de la réveiller, peut-être parce qu'il n'y avait même pas prêté attention. Elle connaissait le caractère assez négligeant de ce professeur. Il se contentait souvent de faire son cours, faisant abstraction de l'agitation environnante pour éviter les conflits. Encore un peu brumeuse, elle porta son regard vers sa droite, ne repérant qu'une chaise vide... vide ? Elle sursauta sur place, maintenant très bien réveillée. Elle laissa ses yeux balayer toute la classe mais elle ne vit Tomoyo nulle part. Un peu paniquée, elle interpella la première fille à sa portée, Rika.

« Elle est partie où Tomoyo ?

– Je ne sais pas, chuchota-t-elle, elle n'est pas revenue depuis la pause, je croyais que tu étais au courant.

– Non. » répondit-elle d'un ton bref.

Elle se retourna vers Shaolan, son principal suspect. Elle souhaitait lui porter un regard aussi noir que possible pour qu'il comprenne qu'il n'avait plutôt pas intérêt à être concerné par cette affaire. Le brun la dévisagea, les bras croisés. Il lui accorda un petit mouvement de tête comme pour lui demander ce qu'elle lui voulait.

« T'as fait quelque chose à Tomoyo ? le questionna-t-elle sans détour.

– Va savoir... soupira-t-il en haussant les épaules.

Sakura se leva d'un coup sec, menaçante. Le professeur, surpris, cassa sa craie contre le tableau.

« Si tu t'en es pris à elle, je te jure que je vais te tuer ! » aboya-t-elle, soudainement enflammée.

Shaolan l'observa sans rien dire pendant quelques secondes qui parurent durer des heures pour la jeune fille en quête de réponses rapides. Finalement, le jeune homme pensa qu'il était inutile de la titiller sur ce sujet... Il savait à quel point Sakura tenait à sa meilleure amie, et ce n'était pas dans ses habitudes de s'en prendre physiquement à une personne, même humaine.

« Non, je n'ai pas touché à ta précieuse amie, lâcha-t-il finalement, l'air agacé.

– Comment je peux croire un connard dans ton genre... » grogna-t-elle.

Elle avait perdu toute maîtrise. Le jeune homme lui adressa un regard mi-surpris, mi-dédaigneux... Il faut avouer que, quand elle était réellement en colère, Sakura pouvait filer les chocottes à n'importe qui. Elle était là, devant sa table, poings et mâchoire serrés, prête à en découdre au moindre mauvais geste de sa part.

« Si tu ne me crois pas, tant pis pour toi. Mais sache que je ne lui ai réellement rien fait, donc plus tu t'attarderas sur moi, moins tu auras de chances de la retrouver rapidement. Surtout qu'elle est peut-être juste partie avec un garçon... peut-être l'a-t-elle même rejoint aux toilettes.

– Espèce de...

– Sakura ! l'interpella Naoko, une petite brune à lunettes qui préférait éteindre le feu qui s'annonçait. Il est resté ici durant toute la pause, donc je ne pense pas que ce soit lui... Elle a peut-être eu besoin d'emprunter un manuel au CDI. »

Sakura se détourna de son rival, elle devait reprendre son calme. Elle profita du silence presque religieux qui régnait dans la classe pour s'adresser directement au professeur.

« Je vais chercher l'élève Tomoyo Daidouji, annonça-t-elle simplement alors que l'enseignant tremblotait légèrement.

– Je ne pense pas que ce soit une bonne idée... Vous êtes sous ma responsabilité... donc je pense que ce serait plus... convenable d'appeler un surveillant, vous êtes d'accord avec ça, non ?

– Non. »

Le professeur d'Histoire sursauta face à ce refus catégorique, mais ne s'opposa pas quand Sakura partit précipitamment de la classe. De son côté, Shaolan observait la scène, songeur... Même s'il en avait plaisanté, il trouvait aussi cette absence inquiétante. Après tout, il était déjà quinze heures quarante-sept... Ce retard ne pouvait se justifier par un simple détour aux toilettes ou même au CDI. Il avait un étrange pressentiment. Surtout que cette absence coïncidait curieusement avec celle de sa cousine... Même si Meiling était loin d'être une élève modèle et qu'elle séchait souvent les cours pour s’entraîner en salle de sport à la place, il trouvait cela intriguant que les deux jeunes filles aient déserté la salle de classe en même temps. Il croisa les bras, est-ce qu'il devait intervenir ? Est-ce qu'il pouvait réellement considérer cette situation comme assez importante pour réagir au risque de trahir la raison de sa présence à Tomoeda ?

Sakura avait fouillé les toilettes, autant ceux des filles que des garçons, avait fait le tour du CDI mais aussi de la cour de récréation sans voir ne serait-ce qu'une mèche de cheveux de Tomoyo. Personne ne l'avait vue, personne ne l'avait entendue. Elle avait simplement disparu. Évaporée. La deuxième sonnerie, annonçant seize heures, avait déjà sonné depuis un moment et Sakura commençait réellement à s'inquiéter. Elle avait appelé plusieurs fois le portable de son amie sans jamais obtenir une réponse... Et, alors qu'elle envisageait la possibilité que Tomoyo soit repartie chez elle, son portable se mit à vibrer. Elle décrocha dans la seconde, sans même regarder qui était son interlocuteur.

« Allô ? s'enquit-elle, fébrile.

– Sakura... »

Cette voix, cette voix faible et emplie de sanglots, cette voix qui semblait totalement apeurée, cette voix n'était autre que celle de Tomoyo. Sakura sentit son cœur se déchirer.

« Tomoyo ? Dis-moi, où es-tu ? Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? la pressa-t-elle, le cœur battant à tout rompre.

– Je n’sais pas... lâcha-t-elle en pleurant, je me souviens avoir été jusqu'aux casiers et après, plus rien. Je pense qu’on m’a frappée à la tête...

– Mais tu es où, bon sang !

– Je sais pas, c'est tout noir... Je peux à peine bouger et... et... j'ai peur... Si tu savais comme j'ai peur. »

Tomoyo s'effondra alors qu'à l'autre bout du fil, le sentiment d'impuissance rendait Sakura totalement folle.

« Tomoyo, s'il te plaît, reprends-toi ! Tu dois bien te souvenir de quelque chose, non ? Une voix, un son, une odeur... Je t'en supplie, concentre-toi, c'est important !

– J'essaie, Saki... J'essaie... Mais j'ai tellement peur... »

Entendre le petit surnom que Tomoyo lui donnait lorsqu'elles étaient petites lui fit l'effet d'une douce lame qui caressait lourdement sa peau, elle sentait quelque chose se broyer dans sa poitrine. C'était simplement insupportable... La sensation de déjà-vu était troublante.

« Il y a quelqu'un, je l'entends...

– Quelqu'un ? s'alarma Sakura. Homme, femme ? Une voix que tu connais ?

– Que... »

Le bip, impassible et glacial, retentit aux oreilles de Sakura. Ça avait coupé. Ça avait tout simplement et tout bonnement coupé. Une larme se mit à rouler le long de la joue de la pauvre Sakura qui, figée, sentait sa gorge se serrer jusqu'à lui faire mal. Que faire ? Il fallait qu'elle trouve un commissariat au plus vite, il lui fallait de l'aide... Tomoyo... Tomoyo avait besoin d'elle ! Elle se mit à courir hors du lycée car elle savait qu'à même pas une centaine de mètres se trouvait le commissariat de Tomoeda. Mais, alors qu'elle était déjà à bout de souffle à cause de la terreur qui rendait tout effort insupportable, elle s'arrêta soudainement de courir. Son téléphone venait de se mettre à vibrer dans sa poche arrière. Elle sentit sa poitrine se gonfler d'espoir puis, quand le cadran afficha le numéro comme inconnu, une crainte indicible fit trembler ses lèvres. Elle fixa son portable pendant quelques instants, sans réellement le voir. Sa vue se brouillait. Elle décrocha, la bouche sèche.

« Qui est à l'appareil ? osa-t-elle demander d'une voix étranglée.

– Si tu veux revoir Tomoyo en vie, je te conseille de venir à l'Aquarium municipal de Tomoeda. Tu as quinze minutes. Viens seule ou Tomoyo en payera les frais. »

Sakura entendit le bip insupportable faire son grand retour, ce qui lui signalait que l'individu venait de couper court à leur conversation. Cette voix, elle ne pensait pas la connaître, pourtant elle lui procurait un mauvais pressentiment. C'était une fille assez jeune, elle en était persuadée... Comment une jeune fille aurait pu être aussi menaçante dans ses paroles ? Comment une jeune fille pourrait-elle vouloir faire du mal à Tomoyo ? Elle ne comprenait pas. Tout ça lui semblait irréel. Elle voulait se réveiller de ce cauchemar... Mais elle n'avait pas d'autre choix que d'affronter la réalité qui s'imposait à elle. Sa meilleure amie était en danger et c'était à elle de la secourir. Hors de question qu'elle se défile ! C'est alors que, prise d'une rage nouvelle, elle fit volte-face pour se diriger vers le fameux Aquarium, elle n'avait pas une minute à perdre. Qu'importe le danger, elle était prête à tout. Elle avait déjà perdu un être cher à cause de son impuissance, il était hors de question que cela recommence.


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