À la recherche du bonheur

Chapitre 5 : Épisode 5

3013 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 07/07/2020 11:30

 Borel sort de son bateau. On vient de l’appeler pour une nouvelle enquête. Sur le ponton il croise Americo, un vieux pêcheur qui passe tant de temps ici que Nassim le considère presque comme un voisin. Il le salue. Le vieil homme est habituellement plein de bon sens et le laisse aller quand il sent que ce n’est pas le moment mais aujourd’hui, il l’arrête.

- Excusez-moi mon petit Nassim, connaissez-vous un homme en fauteuil roulant ?

- Pourquoi ?

- Depuis une semaine, je le vois traîner par ici et regarder beaucoup votre voilier. Je me demandais s’il s’agissait d’un ami à vous.

- Oui je le connais ne vous inquiétez pas.

- Pourquoi ne le faites-vous pas rentrer ?

- Ce … c’est un grand timide.

Americo acquiesce comme si la réponse de Borel est suffisante puis retourne à sa pêche. De son côté Nassim reprend son chemin, intensément troublé. Caïn l’a démasqué. Cela ne peut être que lui. Et ce, depuis plus d’une semaine. Il n’en a pourtant jamais été question. Le capitaine continue d’agir normalement, bien que plus détendu. Borel ne dira donc rien avant que la chose ne vienne de lui.

Tout ce qu’il a à faire pour l’instant c’est se concentrer sur cette nouvelle affaire de meurtre. Au téléphone cela sonne comme une partie de cleudo. La victime a été retrouvée dans le salon d’une maison de campagne au cours d’un dîner de famille.

L’intégralité des personnes présentes durant le meurtre est encore là-bas. Leticia Malorie, puisque c’est comme cela que s’appelait la victime, était venue accompagnée de son mari Edouard. La maison appartient à son père, présent lui-aussi, de même que son frère et sa femme, et sa sœur aînée. Parmi les personnes présentes on compte aussi une bonne, un cuisinier et un jardinier. Tous encore sur place.

Quand il arrive, le capitaine est déjà là. L’idée de faire une réflexion sur ce qu’il vient d’apprendre lui traverse l’esprit mais Caïn n’en a pas parlé alors il fait de même. Tout paraît si normal alors que le nouveau commandant par intérim sait à quel point ce n’est pas le cas.

Tous les suspects ont été réunis dans la même pièce. Certains attendent anxieux, d’autres vaquent à leurs occupations. Pourtant l’arrivée des enquêteurs ne déclenche aucune réaction ni chez les uns, ni chez les autres. Borel et Caïn prient donc tout leur temps pour les examiner.

- Bon vous allez nous interrogez ou vous restez juste là à nous regarder ?

Ils se tournent, surpris, vers le grand-père, qui a parlé.

- Bonjour, je crois tout d’abord que vous devriez savoir que mon beau-père n’est pas malpoli. Simplement il a imposé qu’en ces murs on ne dise que la vérité. Aussi franc et brutal que soit le fond de notre pensée, on doit l’exprimer tel quel.

- Intéressant. Vous êtes ?, demande Caïn.

- Édouard, le mari de Leticia.

- Vous ne paraissez pas vraiment triste, note Borel.

- Ce n’est pas vraiment le genre de la maison mais je suis extrêmement peiné et endeuillé de la mort de ma femme, croyez-le.

- Vous vous entendiez bien avec elle ?

- Absolument mais notre secret c’était de travailler loin l’un de l’autre sinon on ne se serait pas supporté. Ça fait à peine deux jours que nous étions là et nous nous disputions déjà avec virulence au sujet d’un chien.

- Et vous autres, personne n’avait de problèmes avec Leticia ?

- C’était une garce, lâche l’aînée. Je n’ai jamais pu l’encadrer. Elle se croyait meilleure que tout le monde. Sa seule qualité c’est d’avoir appris à rester loin de moi. En revanche inspecteur, je ne l’ai pas tué, je n’aurais jamais pris cette peine pour si peu.

- Ce que ma sœur veut dire c’est que Leticia avait choisi d’être avocate. Cela l’avait rendu proprement insupportable.

- Insupportable au point de vouloir la tuer ?, demande Caïn.

- Non c’était tout de même ma sœur.

- Et pour les autres ?, s’enquiert Borel. Vous madame.

- Moi ? Je ne fais qu’accompagner mon mari ici. Cette Leticia je la connaissais à peine de ce que Jean m’en disait et de ce que je la voyais une fois l’an, ou tous les deux ans, à cette réunion. Pourquoi prendre autant de risque pour quelqu’un qu’on connaît si peu ? Et je ne suis pas femme à prendre des risques.

- Pour ma part je suis arrivée il y a peu, commence la bonne. Je n’ai rencontré mademoiselle Malorie que ce matin brièvement en la croisant dans un couloir.

- Et bien moi j’ai beau travailler ici depuis 20 ans, je ne saurais même pas vous dire à quoi elle ressemble. Par contre je peux vous affirmer qu’elle ne sortait jamais faire un tour dans les jardins.

- Je ne l’ai pas tué non plus. J’étais aux cuisines toute la matinée …

- Dis donc Anthony, interrompt le doyen. Ce n’est pas tout à fait vrai ce que vous racontez à nos amis policiers. Quand je dis pas de mensonges sous ce toit, cela comprend aussi les mensonges par omission ! C’est moi qui l’ait tué et Anthony le sait. Il était le seul à savoir que Leticia avait une allergie terrible aux arachides avant que je ne le lui demande. Je n’ai eu ensuite qu’à l’empoisonner, en prenant bien soin de ne pas mêler Anthony à tout ça.

Le cuisinier garde les yeux rivés sur le sol, il semble prêt à pleurer. Le commandant et son capitaine échangent un regard surpris avant que le téléphone de Caïn ne sonne. C’est Stunia.

- Oui Stunia ? Dites-moi ce que vous savez, toute la vérité et rien que la vérité.

- Leticia Malorie a été empoisonnée. Son dossier médicale fait mention d’une allergie virulente aux …

- … arachides.

- Comment savez-vous ça capitaine ? Mais oui c’est ça.

- Bien, je vous rappelle.

Avant même d’en avoir la confirmation orale Borel sait. Il se dirige vers le grand-père pour lui passer les menottes. Quoi qu’il fasse, Nassim a l’air gentil. Alors qu’il l’arrête, il s’excuse auprès du doyen de devoir lui passer les pinces, l’autre répond toujours avec une franchise déconcertante. Le reste de la famille semble choqué mais on ne leur observe aucun haussement de voix, aucun pleur. Caïn ne s’arrête même pas pour leur expliquer la suite et part après Nassim.

En salle d’interrogatoire, Rémond Malorie est toujours aussi calme et détendu. Caïn et Borel l’observe de l’autre côté de la vitre sans teint.

- Tu crois que c’est parce qu’il ne ment jamais qu’il est si serein ?, demande le capitaine.

Mais il n’attend pas de réponses et s’en va en salle d’interrogatoire. Borel soupire et le suit. Il est rare qu’un coupable confesse son crime si facilement alors même qu’après examen on aurait pu conclure à un simple accident. Ce vieil homme a une discipline de fer et n’a à aucun moment chercher à se défendre.

- Elle devenait comme sa mère. Je n’avais pas le choix. À force de traîner avec tous les gens qui vivent de mensonges, elle devenait comme eux. Ce matin quand elle est arrivée, je lui ai demandé comment elle allait. Vous savez ce qu’elle m’a répondu ? « Ça va ».

Il paraît réellement scandalisé. Caïn, lui, semble fasciné.

- Quel est le problème avec « ça va » ?

- C’est le plus grand mensonge qu’on puisse faire ! Ce n’est même pas une vraie question, c’est une politesse. « Ça va », c’est exactement ce que m’a dit sa mère le matin même où elle s’est tuée.

- Alors vous, vous ne mentez jamais ? Pas le moindre petit mensonge ?, demande Borel.

- J’ai été élevé comme ça commandant. À première vue, on pense souvent que c’est un désavantage mais moi je sais qu’on ne se fait jamais d’aussi bons amis que ceux à qui on ne ment pas.

- Parfois c’est nécessaire de mentir, essaye Borel.

- Non ça c’est ce qu’on veut croire. La vérité peut être douloureuse, absurde, blessante ou terrifiante mais une fois les premiers moments dépassés, elle apporte toujours de la reconnaissance.

- Vous n’êtes pas le genre de personne à qui on confie des secrets vous.

- Détrompez-vous capitaine. Parfois c’est justement parce qu’ils savent que je vais le révéler en toute normalité que mes amis me confient leur secret. Un secret dans la bouche de quelqu’un comme moi c’est juste une vérité de plus.

- Donc vous avouez ce meurtre pleinement ?

- Oui.

- Vous n’avez plus qu’à signer vos aveux.

Rémond Malorie se fait ensuite emmener sans opposer la moindre résistance. Ce vieil homme leur laisse un goût amer dans la bouche. Il leur a volé le sentiment d’une enquête rondement menée et malgré qu’il ait tué sa fille, il a effectivement quelque chose de sympathique. Borel se tourne vers son capitaine.

- Fred il faut que je te dise quelque chose …

Caïn l’arrête sur le champ. Il a bien pensé que le discours de Rémond sur la vérité aurait fait cogiter ce bon Nassim mais lui aussi de son côté a repensé beaucoup de choses.

- Tu n’irais pas briser sa confiance si ? De toute façon je passerais ce soir chez toi alors préviens-la ou pas, je m’en fous. Moi à 20 heure, je serais devant ta porte.

Le capitaine tourne les roues et s’en va. Il ne veut pas voir la réaction de Borel, ni même avoir une réponse. Il a délivré son message et c’est tout. Son retour chez lui ressemble à s’y méprendre à une fuite en avant, peut-être en était-ce une. Caïn ne s’attarde plus à ce genre de détails. Il se dit simplement qu’à défaut de se mettre réellement sur son 31 ce soir, il peut au moins s’offrir le luxe d’une panoplie de vêtements propres.

Camille ne rentre pas et plus l’heure approche, plus Caïn devient fébrile usant frénétiquement ses pneus sur le parquet de sa maison. Finalement il ne peut résister et part en avance. Le port lui paraît plus silencieux que lors de ses séances d’espionnages. Il ne voit jamais vraiment bien au travers des petits hublots, la seule fenêtre plus importante est tournée vers la mer, inaccessible au capitaine.

Le ponton non plus n’est pas très adapté aux fauteuils roulants mais Caïn ne peut pas se concentrer sur quelque chose d’aussi stupide maintenant. Il n’a jamais frappé à la porte d’un bateau pour rentrer. À sa grande surprise c’est Camille qui vient ouvrir.

- Qu’est-ce que tu fais là ?, lui demande-t-elle.

- Ce serait plutôt à moi de te poser la question, lui rétorque son père.

- Nassim est un bon ami. D’ailleurs je ne sais pas s’il acceptera de te faire rentrer.

- Nassim sait que je viens. S’il n’a rien mis en place alors c’est qu’il m’accepte volontiers.

- Il savait que tu allais venir ?

- Oui pourquoi ?

- Parce qu’il nous l’aurait dit.

C’est la voix de Lucie qui répond d’un peu plus loin. Caïn ne peut pas la voir mais le simple fait d’avoir entendu le son de sa voix fait battre la chamade à son cœur. Soudain elle apparaît dans l’embrasure de la porte et Caïn comprend tout.

Pourquoi elle est partie sans rien dire. Pourquoi finalement elle s’est réfugiée chez Nassim à Marseille-même. Pourquoi Camille vient chez Nassim. Pourquoi Lucie l’a nommé commandant. Et surtout pourquoi, après tout ce temps et tous ces efforts qu’il avait déployé, Lucie ne semble absolument pas contente de le voir.

Dans l’embrasure de la porte, elle peut bien froncer les sourcils, montrer les dents, Caïn n’en voit rien. Une seule et unique chose capte son attention c’est son ventre parfaitement rond. Lucie est enceinte.

Dès l’instant où il a réalisé cela, Fred entend, dans un coin de sa tête, des myriades de questions bourdonner. Il ne les écoute pas. Il ne veut même pas savoir de quoi elles retournent. C’est forcément des questions égoïstes et égocentriques. Il n’en veut pas. Tout ce qui doit compter, c’est Lucie. Rien d’autre que Lucie. Caïn pose donc la seule question possible.

- Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?

Tout en gardant un visage fermé, Lucie l’observe de haut en bas, elle prend tant son temps qu’il a l’impression de se tenir à nouveau debout. Caïn attend son jugement, immobile.

- J’ai envie de soupe de poissons.

Et elle repart dans la cabine. Il reste seul à seule, face à face avec Camille. Elle lui sourit.

- Tu vas la faire toi-même ?

- Non, si je veux qu’elle soit mangeable je ferais mieux d’aller en acheter une.

- Le restaurant « La Marée » en fait à emporter pas loin d’ici. C’est là que je vais quand Lucie a envie de poissons.

- D’accord, merci.

En sortant du port, Caïn croise Borel.

- Capitaine ? Mais vous êtes vachement en avance. Est-ce que …

- Je vais chercher à manger.

Il continue sa route, laissant là son commandant. Il trouve sans problème le restaurant et peut commander sa soupe.

- Mais dites-moi monsieur. Vous auriez pas une fille par hasard ?

- Si pourquoi ?

- Camille c’est ça ? Hey Michel ! Je t’avais bien dit qu’il ressemblait à Camille !

- Bernard, tu es trop fort avec ça, con.

- Alors si vous êtes le papa de Camille, la soupe c’est pour Lucie c’est ça ? Hey Michel ! Fais moi une soupe spéciale Lucie !

- Elle a une soupe spéciale ?, s’intrigue Caïn.

- Je la connais pas la petite mais elle mange drôlement épicé. Ne vous inquiétez pas, je fais toujours un plat à part pour elle.

Là, face à ces cuisiniers pleins de bonne humeur, Caïn se sent ridicule. Il l’a cherché pendant tellement longtemps et d’arrache-pied … enfin bref … Tout ça pour que deux commis de restaurant en sachent plus que lui. Si Legrand continue ses recherches comme ils l’avaient toujours fait, il ne la trouvera jamais. Caïn paye en espèces.

Quand il retourne au bateau, c’est de nouveau Camille qui lui ouvre. Il présente la soupe de poissons comme une offrande et elle le laisse passer. Qu’aurait-il pu vouloir de plus, en cet instant, que d’être admis à sa table ? Encore faut-il qu’il arrive jusque là-bas. La cabine d’un bateau n’est visiblement pas faite pour accueillir un fauteuil roulant.

- Désolé Caïn, ma maison n’est pas très aux normes, s’excuse Borel avec un léger sourire.

- C’est pas grave tu sais, la mienne non plus.

Il faut au moins leur reconnaître ça, Nassim et Camille œuvrent dur pour que ce repas n’ait à souffrir d’aucune gêne. Ils ne réussissent pas trop mal, même si Lucie est restée pratiquement aphone. Caïn s’est rapidement éclipsé à terre, pour s’occuper d’Eva. Il a peur qu’on lui demande de partir, alors il s’occupe au mieux pour qu’on l’oublie, pour qu’on le laisse rester encore un peu.

- Pourquoi est-ce que tu fais ça ?, demande soudain Lucie qui est arrivée sans faire de bruit.

- Que je fais quoi ? Jouer avec Eva ?

- Non. Pourquoi tu es venu là ?

- Parce que je voulais te voir.

- Est-ce qu’à un moment tu t’es demandé ce que je voulais, moi ?

- Malheureusement pour moi tu n’avais pas laissé de note. Mais commande et j’obéis. Dis moi n’importe quoi, je veux que tu sois bien.

Il lit dans ses yeux le « Va-t-en », le « Dégage » mais elle ne les prononce pas. Il n’a donc pas à les exécuter. Elle se contente de partir, dans un espace comme celui-là, elle ne va certainement pas loin mais, encore plus sûrement, Caïn ne pourra pas la suivre.

Caïn reste donc couché par terre avec Eva jusqu’à ce que Camille vienne le rejoindre.

- Ça va ?

- C’est plus compliqué que ça, mais ça va venir.


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