À la recherche du bonheur

Chapitre 3 : Épisode 3

2579 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 07/07/2020 11:01

 Borel est assis sur une chaise du bureau de Lucie. Une lampe y est posée et l’éclaire droit dans les yeux. Legrand est debout derrière la table alors que Caïn est juste à côté de lui. L’ex-lieutenant en a marre. L’ambiance est tendue. Aucun de ses deux vis-à-vis ne veut lâcher l’affaire malgré ses prières.

- Pourquoi est-ce qu’elle vous aurait nommé vous ?, demande Legrand.

- Je n’en sais rien je vous dis. Il faudrait lui demander à elle.

- Elle aurait fait ça sans te prévenir à l’avance ? Ou alors elle t’a contacté et tu n’as rien dit !, s’anime le capitaine.

- Lucie ne m’a pas appelé depuis qu’elle est partie, je le jure.

- Donne-moi ton téléphone pour que je vérifie.

- Vous ne pouvez pas faire ça capitaine. C’est personnel.

Caïn réussit tout de même à saisir le téléphone de Borel. Alors que ce dernier s’apprête à se lever pour le récupérer, Legrand s’interpose.

- Ce qui me chafouine c’est que Lucie m’avait, moi, son petit-ami, et Caïn, son … je-ne-sais-quoi, mais qu’elle a quand même voulu que ce soit vous qui la remplaciez.

- Peut-être parce qu’elle pensait que je serais un meilleur commandant.

- Borel qu’est-ce que c’est que ces histoires ? Pourquoi est-ce qu’il y a autant d’appels entre toi et Camille ?

- C’est devenue une amie maintenant. Elle m’appelle pour prendre de vos nouvelles. Parfois je peux même lui donner un coup de main pour Eva.

- Et vous n’avez jamais cru judicieux de m’en parler ?, questionne Caïn subitement froid.

- Je ne croyais pas devoir vous rendre compte de tous mes contacts capitaine.

- Pas tous mais ceux qui concernent ma fille, j’aimerais mieux si.

- Camille n’est plus une enfant. Elle n’a pas besoin de votre permission pour voir du monde. Et moi, non plus d’ailleurs.

Il se lève avec ardeur et sort. Legrand, surpris, ne l’arrête pas et Caïn se met à tourner en rond en fulminant.

- Qu’est-ce qu’on fait ?, demande le lieutenant à Caïn.

- Vous, occupez-vous tout seul. Moi je vais fouiller de fond en comble le téléphone de Nassim. Cette petite boite va me livrer tous ses secrets.

De son côté Borel passe auprès de toutes les équipes. La rumeur de sa promotion l’a précédé partout. Il ne trouve personne qui ne soit pas ravi de ce changement. Certains lui confièrent même qu’ils avaient eu peur que ce soit Caïn qui hérite de ce rôle.

- C’est pas contre lui bien sûr. On sait qu’il est très bon enquêteur mais il est trop soupe au lait pour faire un bon commandant.

Borel a dû rougir à maintes reprises des compliments qu’on lui fait. Il tâche tant bien que mal de rappeler à tous qu’il n’est que remplaçant et qu’il laissera sa place dès que Lucie reviendra, mais il semble que cela fait si longtemps qu’elle est partie que personne n’envisage encore son retour, alors Borel promet qu’il fera de son mieux.

Alors qu’il est encore en pleine discussion avec les archivistes, le nouveau commandant voit le capitaine sortir en trombe du bureau. Il s’excuse rapidement et part derrière lui. Borel lit dans le comportement du capitaine que quelque chose de grave est arrivé. Il sort juste à temps pour voir Caïn claquer la portière de sa Saab. En quelques enjambées, il l’a rejoint et est entré dans la voiture.

- Qu’est-ce qu’il y a ?

- Tu as reçu un message de Camille.

Le capitaine lui a répondu précipitamment, sans le regarder, avant de lui jeter son téléphone sur les genoux. Borel se demande quel genre de message elle avait bien pu laisser pour que le capitaine soit pris d’une telle panique. Dès qu’il ouvre le texto, il comprend.

« Prise d’otage. Resto le panoramique. Peut pas appeler les flics. »

Le cœur du nouveau commandant bondit dans sa poitrine. Il veut réfléchir mais rien ne parvient jusqu’à son cerveau. La seule chose qu’il sait c’est qu’il veut être là-bas au plus vite mais pour ça il n’a même pas besoin de demander, Caïn roule déjà bien au dessus des limitations.

Une fois là-bas que feraient-ils ? Si ses souvenirs sont bons, le restaurant offre une vue dégagée partout. Il est impossible d’approcher discrètement, d’où l’impossibilité d’appeler la police. Malheureusement pour lui, Caïn se gare à fond de train, bien en vue devant le restaurant.

- Capitaine j’y vais, vous vous restez ici.

- Ma fille est à l’intérieur, vous croyez que je vais …

- C’est un ordre. Je suis commandant maintenant. C’est moi qui décide. Contactez les collègues, expliquez leur la situation mais surtout vous ne sortez pas de là.

Sur ce Borel quitte la voiture et avance au petit trot vers la porte d’entrée. Heureusement pour lui, elle n’est pas fermée. Il rentre. L’atmosphère est tendue. Tous sont figés. Les serveurs devant le bar, 5 clients. Borel fait semblant de ne pas voir le septuagénaire qui braque un fusil. Il ne se concentre que sur Camille.

- Désolé, je suis en retard, annonce-t-il de son meilleur air innocent.

- Qu’est-ce que vous faites là ?, demande le septuagénaire.

Le commandant se retourne et feint de le remarquer pour la première fois. Il joue la stupeur et la panique à merveille bien qu’intérieurement il est soulagé de voir que Camille va bien. Il bégaye :

- Je … je suis venu re … rejoindre ma … ma … ma copine … Qu’est-ce qui se passe ?

Il prend la main de Camille et et s’interpose entre elle et l’arme.

- C’est un fou !, s’exclame l’un des serveur.

- Tais-toi, crache le preneur d’otages.

Plus Borel l’examine, moins il lui trouve des airs de fou. Il ressemble à n’importe quel autre retraité avec son pantalon marron, son pull à carreaux et ses lunettes épaisses. Son arme elle-même est une carabine qui doit habituellement servir pour la chasse. Si c’est un chasseur, il saura s’en servir. Si Borel doit continuer les hypothèses, il peut dire que leur agresseur paraît triste.

- Comment est-ce que vous vous appelez ?, demande Borel.

- Qu’est-ce que ça peut vous faire ?, répond-il agressif.

- Moi c’est Nassim. Elle, c’est Camille.

- Moi je m’appelle Myriam, annonce la cliente seule à sa table.

- Nous c’est Noé, Baptiste et Josseu, répond un jeune homme en montrant ses deux amis.

Les deux serveurs restent muets et finalement c’est leur agresseur qui prend la parole.

- Je m’appelle Pierre.

- Bonjour Pierre, reprend calmement Borel. Qu’est-ce qui vous a poussé à venir ici armé ?

- Mais rien ! C’est un vieux sénile malade, s’énerve l’un des serveurs.

Des deux, c’est toujours le même qui parle. Bien qu’ils soient assez différents l’un de l’autre, le commandant leur trouve comme un air de famille. Le bavard a les cheveux courts et ondulés alors que l’autre les retient dans un chignon. Borel ne laisse pas le temps à Pierre de répondre.

- Je ne crois pas. Si Pierre avait voulu de l’argent il serait allé dans une banque ou une bijouterie. Si c’était faire un massacre qui l’intéressait il aurait choisi un lieu plus peuplé et surtout par une carabine. Alors Pierre, pourquoi êtes-vous venu ici ?

- Vous ne bégayez plus du tout, note le serveur à la queue de cheval.

- C’est à cause d’eux que je suis là, répond Pierre en désignant les serveurs du doigt.

- Laissez-moi deviner, vous êtes frères.

- Cousins, corrige l’homme aux cheveux courts.

- Que vous reproche cet homme ?

- Rien. C’est un taré voilà tout !

- Ils ont tué Lucienne !

Disant cela, Pierre se tourne complètement vers eux et les met en joug. Borel s’approche.

- Attendez, attendez Pierre. Si ce que vous dites est vrai il faut les dénoncer à la police. La seule chose que vous allez faire maintenant c’est de vous mettre la justice à dos.

- Ils ne tomberont jamais pour ce qu’ils ont fait !

- Pourquoi ? Expliquez-moi pourquoi.

- Lucienne était âgée et très malade. Elle est décédée dans son lit. Personne ne voudra croire que c’est un meurtre.

- Je ne comprends pas pourquoi ils l’auraient tué.

- Mais qu’est-ce que ça peut vous faire à vous !, explose Pierre en braquant Borel.

Ce dernier prend son ton le plus doux pour expliquer à son agresseur pourquoi il cherche à comprendre. Continuant toujours à parler avec la même voix, le commandant parvient à lui retirer la carabine, à la poser sur la table de derrière et à faire asseoir Pierre. Ce dernier consent à reprendre son histoire depuis de début.

- J’ai rencontré Lucienne à la maison de retraite. Ça a été le coup de foudre tout de suite. On ne se quittait plus. C’est comme ça que je les ai rencontré. Ce sont les petits-fils de Lucienne. Il ne reste plus qu’eux dans l’héritage et avec ce restaurant ils ont besoin d’argent. C’est eux qui ont tué Lucienne.

- Il ment ! On ne passait pas la voir toutes les semaines mamie mais on n’aurait jamais voulu la tuer.

- Pourquoi est-ce qu’elle est morte juste après votre visite alors ?

- C’est une pure coïncidence. De toute façon moi elle avait déshérité mon père, je pensais que ça s’appliquait à moi-aussi.

- De toute façon c’est moi qui suis sur le testament de Lucienne, lâche Pierre. Elle ne vous aimait pas et a été voir son notaire le mois dernier.

L’homme aux cheveux longs, qui jusque là est resté parfaitement silencieux, se saisit de la carabine et met Pierre en joug. Borel s’interpose alors que le coup de feu part.

- Nassim !, s’exclame Camille.

Quand il reprend conscience, Borel est allongé dans un lit d’hôpital. Son épaule le lance furieusement. Dans son esprit embrumé résonne encore la détonation et ses oreilles semblent continuer de siffler. Malgré tout cela, la première pensée que le traverse est :

- Camille … Où est …

- Elle va bien, répond la voix du capitaine tout à côté de lui. On ne peut pas en dire autant du type qui vous a tiré de dessus.

Son assaillant a été déboussolé de son intervention. Dès après avoir tiré il s’est fait maîtrisé par l’autre serveur et Pierre. Il a même pris quelques violents coups par Camille. Une fois pris, il a tout avoué. Le meurtre de sa grand-mère, prémédité pour toucher l’héritage. Son cousin n’a été au courant de rien. Pierre a écopé de quelques mois de prison avec sursis.

- Pas mal pour une première affaire, en tant que commandant, salue Caïn.

- Si je pouvais éviter d’en faire une habitude, j’aimerais autant.

Riant, le capitaine aide Borel à se relever. Ils sortent ensemble de l’hôpital. Il a été touché à l’épaule. Heureusement pour lui la chevrotine n’a fait aucun dégâts graves. Il a simplement fallu aux médecins longtemps pour retirer tous les plombs qui ont pénétré sa peau et ses muscles. Caïn se fait un plaisir de l’escorter comme un grand malade jusqu’à sa voiture et l’assoit sur le siège passager. Il pose ensuite sa vignette handicapée bien en évidence du côté de Borel et démarre.

Borel craint que le capitaine ne veuille le ramener jusqu’à chez lui mais il ne prend pas la direction du SRPJ. Il roule vers l’extérieur de Marseille. Le commandant ne demande rien et laisse Caïn se garer dans une pinède isolée. Là il coupe le moteur et se tourne vers Borel. Suivant un vieux réflexe acquis avec les années, le commandant se recroqueville un peu sur lui-même, ce qui fait courir un frisson de douleur dans toute la partie gauche de son buste.

- Maintenant j’aimerai savoir. Et n’essaye même pas de me mentir. Pourquoi quand ma fille est en danger, c’est toi qu’elle contacte ?

- Elle voulait sûrement ne pas t’inquiéter …

- Et ?

- Je t’ai déjà dit que Camille et moi étions devenus amis.

- C’est pas ce que je voulais entendre.

- Je n’ai rien d’autre à dire.

Caïn a rarement vu son collègue avec un visage si fermé. Le message est clair, il n’obtiendra rien de plus de lui qu’importe le temps qu’il passera à l’interroger. Il doit donc le reconduire au SRPJ sans avoir eu les réponses qu’il voulait. En bon commandant, Borel se lance sans attendre dans la rédaction de son rapport. Caïn, qui gardait un œil sur lui, voit le moment où son ancien lieutenant reçoit un message et laisse tomber la paperasse pour sortir.

- Je peux savoir où tu vas comme ça ?

- Non capitaine. Vous n’êtes pas ma mère.

- Je pourrais vous prendre en filature.

- Et moi je pourrais vous coller aux archives pour le reste de la semaine.

- Finalement je vais peut-être rester et chercher Lucie. Il faut vraiment qu’elle revienne avant que vous ne soyez transformé en monstre.

Borel lui répond par un sourire avant de quitter le commissariat. Le capitaine reste alors seul, sur le pas de la porte à regarder son ancien lieutenant partir. Il a comme l’impression d’avoir manqué une étape dans la croissance de Borel.


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- Merci de m’avoir raccompagné Nassim. C’est vraiment sympa.

- C’est rien. Ah je voulais juste te prévenir, ton père pose des questions sur nous … enfin je veux dire sur pourquoi on s’appelle, ou qu’on s’envoie souvent des messages.

- Ça lui passera ne t’inquiètes pas.

- Moi ? Ça ne m’inquiète pas du tout. Je commence à le connaître ton père, affirme Nassim d’un ton abusivement assuré.

Camille s’approche et l’embrasse.

- Cool. Encore merci de m’avoir sauvé.

Le commandant reste sans voix alors que Camille rentre chez elle en souriant.  


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