À la recherche du bonheur

Chapitre 2 : Épisode 2

2914 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 07/07/2020 10:57

 - C’est quand même bizarre qu’il n’y ait aucun mouvement sur son compte, répète Legrand pour la énième fois.

- J’ai rendu visite à sa mère il y a deux jours, elle m’a encore assuré qu’elle n’avait pas revu Lucie, renchérit Caïn.

Une pile de documents tombe à terre. Ni l’un, ni l’autre ne bouge, ni même ne réagit à cette chute. Ils sont perdus dans leurs pensées. Borel ne frappe même pas à la porte avant d’entrer. Il les regarde tous les deux, à tour de rôle. Ils restent tout aussi amorphes face à cette interruption que face à la pile de dossiers. Finalement le lieutenant soupire et leur jette une pochette.

- Vous me réglez cette affaire. Ensemble.

Et il sort. Depuis la fin de leur dernière enquête, Nassim Borel ne parle à ses deux collègues que le minimum nécessaire. Comme ceux-ci passent leur journées enfermés dans le bureau de Lucie, il arrive qu’ils ne s’adressent pas la parole pendant plusieurs jours d’affilé. Le lieutenant ne digère pas leur comportement, qui par entêtement, qui par laxisme, qui par non-coopération, a failli coûter très cher. Bref, il fait la gueule.

Caïn est le premier à se déplacer pour ouvrir la pochette. Elle contient une affaire de meurtre toute fraîche. Borel a simplement ouvert l’enquête. Tout le reste est à faire. Le capitaine contacte Stunia alors qu’à son tour, Legrand jette un œil à la fiche. Il a tôt fait d’avoir fini.

- Le corps est déjà à l’IML, annonce Caïn.

- J’y vais.

- Moi je vais sur la scène de crime.

Ils se séparent sans un mot de plus. Quand ils traversent l’open-space, Borel n’est pas là. Le meurtre a eu lieu dans un des beaux quartiers de Marseille. Le capitaine n’a aucun mal à trouver, l’agitation des voitures de police fait comme un fléchage multi-colore dans un endroit habituellement si calme. Il remonte le flot de policiers jusqu’à atteindre la porte de l’appartement.

- Ah … luxe, calme et volupté, laisse-t-il échapper.

C’est en effet l’ambiance qui a dû régner ici avant que l’entièreté de la pièce ne soit saccagée. De tous les meubles, le seul qui tient encore debout est une armoire massive en chêne, tout le reste est au sol. Chaque objet qui peut potentiellement casser est brisé par terre. Les couleurs pastels ne peuvent plus grand-chose pour apaiser le tout, maculées de sang comme elles le sont.

- Alors dites-moi donc ce qui s’est passé.

- Nous avons retrouvé la victime ici. Il a eu le crâne fendu par un pied de table mais avant cela il s’était fait rouer de coups.

- La pièce a été réaménagée avant qu’il ne se fasse tuer ?

- C’est ce que montre les traces de sang oui.

Caïn prend un sachet dans lequel il dépose précautionneusement un morceau de verre ensanglanté. Il tend le tout à un agent de la PTS qui est là.

- Vous pourrez me faire analyser ce sang.


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Legrand connait maintenant le chemin entre le SRPJ et l’IML par cœur. On le laisse rentrer sans même qu’il ait à montrer son badge. Dans les couloirs blancs, ses pas appuyés claquent contre les murs et lui reviennent. Stunia est dans le même laboratoire qu’à son habitude.

- C’est vous aujourd’hui ? Où est Caïn ?

- Vous êtes déçue ?, répond un peu trop froidement le lieutenant.

- Pas du tout. Je vais même vous dire que ça me change.

- En bien ou en mal ?

- Dites donc ça n’a pas l’air d’être la grande forme vous en ce moment. On va commencer si vous le voulez bien.

Sans attendre aucune réponse, Stunia s’éloigne pour se rapprocher d’une des tables. Comme toujours le drap blanc cache le corps, mais cette fois-ci, c’est un vrai suspens pour Legrand qui ne sait pas du tout à quoi s’attendre. Le docteur Stunia lève le voile et le lieutenant détourne le regard.

- C’est pas du joli, je vous comprend. Mais bon … la victime a été consciencieusement rouée de coups. C’est un travail d’acharnement spectaculaire. Pas une seule partie de son corps n’a été épargnée. Ce sont probablement les coups à la tête qui l’ont tué. Il est mort hier, dans la soirée. Certainement après 20 heures. Il était marié. Le téléphone qu’on a retrouvé sur lui est en cours d’analyses chez vous.

- Merci docteur Stunia.

Legrand ne se fait pas prier pour quitter l’IML. Avec le téléphone il aura déjà de nombreuses informations pour commencer son enquête. Il fait une fois de plus le trajet jusqu’au SRPJ. Quand il se gare, la Saab du capitaine est de nouveau là. Il en a fini avec la scène de crime. Elle ne devait donc rien receler d’extraordinaire, sinon son supérieur serait volontiers resté à fouiller l’endroit dans ses moindres recoins.

En entrant, il voit tout de suite Caïn. Dans une pièce, le capitaine focalise souvent l’attention, pas à force de charisme mais plutôt parce qu’à la manière d’une diva, il recherche les regards. Si seulement il pouvait rechercher Lucie avec autant d’efficacité. Il a rempli un tableau d’informations, à hauteur qu’il peut les écrire. Visiblement il était revenu pour la même chose que lui.

« Andréas Nicol ». Voilà ce que Caïn s’est démené à écrire le plus haut possible. La photo qui accompagne le nom doit être celle de leur victime. Jamais Legrand n’aurait pu le reconnaître d’après ce qu’il a vu à l’IML. C’était un homme dans la quarantaine, tout ce qu’il y avait de plus ordinaire. D’après le tableau, il n’avait pas d’enfants et vivait avec sa femme, Maryène. Legrand note son numéro de téléphone, l’adresse et s’en va. Il n’a pas échangé un seul mot avec le capitaine.

Ce dernier continue d’extraire les informations du téléphone. Il cherche notamment pourquoi Andréas était dans un hôtel un jeudi soir et pourquoi il avait réservé la chambre au nom du propriétaire des lieux. Caïn sait que certains chefs de service prennent sur eux de couvrir les écarts de leurs gros clients en utilisant leur nom. Mais il n’est fait mention d’Andréas Nicol dans aucun registre.

C’est dans les messages que le capitaine trouve un début de réponse. Un numéro de téléphone inconnu est enregistré dans l’activité du téléphone sans qu’il n’ait laissé de traces ni d’appel, ni de message. Le capitaine déteste les notes vocales qui disparaissent après écoute. Pourtant même sans son contenu, il lui faut se rendre à l’évidence. L’heure correspond. Peu de temps après le contact avec ce numéro, Andréa avait bougé. Il s’est déconnecté du wi-fi de chez lui et en arrivant à l’hôtel, le téléphone y avait de nouveau capté le réseau.

En parallèle Caïn a lancé une recherche sur ce fameux numéro de téléphone inconnu. L’ordinateur le reconnaît tout de suite comme étant un numéro dépendant d’un site internet qui sert à envoyer des messages anonymisés. Ce service étant de plus en plus utilisé, il ne trouvera rien en cherchant de ce côté-là. Son propre téléphone sonne soudain.

- Les analyses sont prêtes.

- J’arrive tout de suite Stunia.

- Pas la peine, je peux vous les communiquer directement.

- Non ! Ça fait des heures que je suis vissé ici à essayer de trouver tout ce qu’il y a à trouver dans ce fichu portable. J’ai besoin de prendre l’air.

- Vous n’avez qu’à m’inviter boire un verre.

- Vous me prenez par les sentiments Élizabeth.


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Legrand essaye de ne pas faire voir son agacement. Ce n’est pas du tout un sentiment qu’il aurait dû avoir en présence de cette femme, qui vient de prendre son mari, mais tout ce qui l’intéresse c’est qu’elle avoue, elle ou un autre, pour qu’il puisse retourner dans le bureau et chercher Lucie.

- Madame je vais devoir vous demander ce que vous faisiez hier dans la soirée.

- Quoi ? Vous pensez qu j’aurais pu faire ça à Andréas ? Sortez de chez moi !

- Madame …

- Sortez !

Legrand se lève et prend la direction de la porte. Derrière lui, Maryène Nicol crie encore.

- Pour votre gouverne, hier soir, j’étais seule ici puisque mon mari n’est pas reve … Je regardais Envoyé Spécial sur France 2. Un numéro sur les bonnes manières, vous devriez le voir ça ne vous ferait pas de mal. Content ? Alors maintenant vous déguerpissez sans oublier de fermer la porte derrière vous, avec mon poignet cassé, je n’y arrive plus.


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- Vous dites Stunia qu’il y a deux sangs différents dans la pièce.

- Pas de doute possible là-dessus. Et avant que vous ne demandiez, j’ai vérifié. Il ne s’agit pas du sang de sa femme.

- Alors une première personne entre, quelqu’un lui fait sa fête au point de mettre du sang partout. Puis on vient dérouiller notre cher Andréas et s’acharner sur les meubles.

- Autre détail intéressant. J’ai trouvé des traces de javel sur les mains de votre victime.

- Comment ?, ironise Caïn. Monsieur Nicol était un agent d’entretien, ou bien il n’était pas aussi blanc que ce que l’on croyait. Je vais retourner faire un petit tour à l’hôtel. Il y a quelque chose que j’ai manqué. Merci Élizabeth vous êtes toujours mon phare dans les ténèbres.

Caïn quitte le bar et fait exactement ce qu’il a dit. Lampe à lumière noire entre les dents, il parcourt la chambre. Il lui semble que chacune des surfaces est recouverte de sang. Mais cette lumière lui permet tout de même de voir quelque chose. Une trace étrange s’étire vers la porte où la poignée et le chambranle sont marqués.

Le capitaine suit cette piste jusqu’au dehors. Bien que ténues, les traces, majoritairement des gouttelettes nettoyées à la hâte, le conduisent jusqu’à l’ascenseur. Cadeau du ciel pour lui, le tueur avait marqué aussi le bouton sur lequel il avait appuyé. C’est ainsi que rapidement, Caïn se trouve à explorer le local poubelle. Ayant trouvé ce qu’il cherche, il prend son téléphone.

- Je vous manque déjà capitaine ?

- Ah chère et tendre Élizabeth vous ne savez pas à quel point. C’est pourquoi je vous ai trouvé un nouveau cadavre. J’ai hâte de vous y voir au plus vite.


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Legrand étoffe ses soupçons. Il a trouvé dans l’agenda de Maryène Nicol, ainsi que dans son téléphone, non pas des preuves, mais quelques faits troublants. Tout laisse penser que cette femme a un amant. Le lieutenant en a même isolé le numéro et trouvé à qui il appartient. Thomas Bonnont. À chaque fois qu’il a essayé de le contacter, Legrand a atterri dans la messagerie. Il essaye une nouvelle fois et, cette fois-ci, quelqu’un décroche.

- Monsieur Bonnont ? C’est la police, lieutenant Legrand à l’appareil.

- Qu’est-ce que vous faites vieux dans ce téléphone, Legrand.

- Capitaine c’est vous ?

- Apparemment oui. Vous cherchiez à joindre qui ?

- Thomas Bonnont. Je pense que c’est l’amant de madame Nicol.

- Dommage pour vous on s’apprête à le mettre en sachet.

Caïn a accompagné Stunia jusqu’à l’IML et pendant qu’elle autopsie leur homme, lui fouille les poches de leur victime. Outre le téléphone, avec lequel Legrand l’avait appelé, il trouve un porte-feuille contenant la carte de l’hôtel et un numéro écrit au dos que le capitaine s’empresse évidement d’appeler.

Il tombe sur le directeur de l’hôtel. Celui-ci est apparemment un ami très cher du défunt et il ne cache pas utiliser son nom quand son ami commande des chambres. L’homme confirme que Thomas Bonnont avait une maîtresse qui correspondait au portrait de Maryène Nicol. Caïn le laisse alors cordialement à son chagrin et reprend son exploration.

- Élizabeth ? Sauriez-vous me dire ce que c’est que ça ?

Il lui tend une fiole au nom imprononçable. Elle la regarde avec intérêt avant de se lancer vers son ordinateur.

- Mais bien sûr !

- Qu’est-ce qu’il y a ?

- Dans les analyses de sang de Andréas Nicol. J’avais trouvé une substance que je ne m’expliquais pas. Ça vient de là.

- Et moi à quoi ça peut me servir ?

- Cette substance, à petite dose, elle soigne mais si elle est prise en trop grande quantité, c’est un poison.

- Vous voulez me dire que ma victime serait aussi un meurtrier ?

- Je dis simplement que si l’injection à haute dose n’est pas un hasard, Andréas Nicol serait certainement mort sans qu’on ait besoin de le passer à tabac.

- En combien de temps ?

- Avec ce genre de produit, on peut compter une demi-journée.

- Donc Thomas fait venir Andréas pour l’empoisonner mais les choses ne sont pas assez rapides et la victime finit par se retourner contre son tueur pour le tuer. Il transporte son corps jusqu’au local poubelles. Ce qui veut dire qu’une troisième personne entre alors en jeu pour faire du tartare de Nicol. Notre victime s’est faite assassinée deux fois durant la même journée.

- Il se peut que l’état de la pièce lui soit imputable alors parce que ce produit-là attaque le cerveau, ce qui aurait pu occasionner cette folie destructrice.

- Le meurtre était conscient en tout cas puisqu’il a rangé derrière lui.

Caïn repart le sourire aux lèvres. Finalement cette affaire est très divertissante. Elle lui change efficacement les idées.


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- Madame Nicol, c’est encore moi.

- Que me voulez-vous cette fois ?

- Juste quelques questions.

Ce n’est qu’avec une mauvaise volonté évidente qu’elle le laisse entrer chez elle. Legrand a tout revérifié. Il sait exactement comment il va mener ses soupçons.

- Premièrement madame j’ai un problème parce que votre dossier médical vous vous êtes cassée le poignet il y a un mois et demi et vous êtes remise.

- Mon médecin m’a prescrit une rallonge car tout n’était pas encore bien remis.

- J’ai eu votre médecin. Ce n’est pas ce qu’il m’a dit.

- En quoi est-ce important ?

- Pourquoi portez-vous une atèle ?

- J’ai le poignet encore fragile. J’ai dû faire un faux-mouvement.

- Comme frapper à de nombreuses reprises votre mari ?

- Je ne vous permets pas !

- Était-il au courant pour votre amant ?

- Comment ?

- C’est notre métier.

- Ils se sont entre-tués. Lui et Thomas.

- Cela ne concorde pas avec les évènements, madame.

Elle ferme les yeux, soupire et lance :

- Quand Thomas m’a envoyé un message en me disant qu’on serait bientôt libres j’ai su qu’il allait faire une bêtise. C’est pour ça que je suis allé à l’hôtel. C’est là que je l’ai trouvé. Andréas était dans la chambre. Il y avait du sang partout, Andréas était devenu fou. Il ravageait tous les meubles, cassait tout. En le regardant, j’ai vu rouge. J’ai pris un pied de table qu’il avait lui-même cassé et j’ai frappé.

Au SRPJ, Caïn est de retour dans le bureau alors que Legrand finalise la paperasse de l’enquête. Ils ont été d’une efficacité redoutable. Une fois qu’il a terminé, il rejoint le capitaine. Borel arrive peu de temps après.

- Bravo pour l’enquête. Vous voyez le SRPJ a besoin de vous aussi.

Derrière lui le directeur arrive. Il se dirige droit sur eux.

- J’ai une lettre recommandée de la part de Lucie Delambre. Elle nomme le lieutenant Nassim Borel commandant remplaçant.


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