Addiction
La dernière chose que Caïn dit à Lucie avant qu'ils ne sortent de la voiture pour entrer au SRPJ fut :
- Même ici je ne te lâcherais pas d'une semelle.
Malgré la consonance brusque de cette déclaration, cela rassura la commandante qui n'ouvrit sa portière qu'une fois son partenaire de nouveau sur ses roues. En avançant vers l'entrée Caïn remarqua qu'elle marchait très subtilement un petit pas derrière lui, tout en ne s'éloignant pas tout à fait. Juste avant de passer la porte Lucie enfonça un peu plus son bonnet sur sa tête et se voûta très légèrement. Caïn s'arrêta mais Lucie lui fit signe que tout allait bien alors ils pénétrèrent dans le commissariat.
Legrand leur sauta sur le poil dès leur arrivée. Il s'inquiéta d'abord pour Lucie ensuite s'interrogea sur le bonnet. Cette dernière lui répondit de manière évasive, certifiant tout de même à plusieurs reprises qu'elle allait bien. Caïn voyait bien que ce n'était pas le cas. Elle paraissait terrifiée par cet assaut de questions. Le capitaine la voyait reculer petit à petit alors que Legrand, inconsciemment, s'approchait encore.
En lui-même Fred mourrait d'envie d'intervenir mais il ne se souvenait que trop bien des mots que Lucie avait prononcé à peine quelques jours auparavant. Il la laisserait gérer son amant sans interférer. Cependant au moment même où il se faisait violence pour garder bien en mémoire cette résolution qu'était la sienne, Lucie jeta un regard dans sa direction.
Dans ses yeux il pouvait voir tant de choses. Personne, pas même Legrand, n'eut soupçonné les larmes qui menaçaient mais que Lucie gardait admirablement cachées. Mais ce qui donna le plus grand coup de fouet au capitaine fut la détresse qu'il sentit. Sans même prendre le temps de réfléchir il s'interposa entre eux, roulant au passage sur les orteils de Legrand.
- Excusez-moi mais je dois m'entretenir seul à seul avec ma patronne un moment.
- Mais …
- Ça ne te dérange pas si je te l'emprunte.
Ce n'était pas une question. La tournure de la phrase l'empêchait aussi d'être tout à fait un ordre mais le lieutenant ne s'y trompa pas. Lucie quant à elle était déjà en route vers son bureau. Caïn la l'y suivit mais avant d'entrer fit un signe à Borel qui vint derechef le voir.
- Est-ce que tu pourrais me trouver une table pas trop grande sur laquelle je pourrais travailler et me l'installer dans le bureau de Lucie ?
- D'accord mais capitaine que vous est-il arrivé ?
Legrand avait été tellement focalisé sur Lucie qu'il n'avait même pas posé de question. En effet même si le week-end avait permis à ses ecchymoses de s'estomper un peu, il avait partout sur le corps de grandes tâches verdâtre ou jaune et notamment une sur toute une partie du visage. Caïn prit quelques secondes pour réfléchir à sa réponse, comme s'il hésitait. De toute façon s'il parlait normalement personne d'autre ne pourrait entendre quoi que ce soit.
- Lucie m'a cassé la gueule.
Borel resta interdit face aux propos eux-même mais aussi à cause de la nonchalance avec laquelle il avait dit cela. Caïn s'amusa à compter les secondes qu'il mettait pour réagir. Il avait presque atteint 10 lorsque Borel reprit.
- Je vais vous chercher une table.
- Merci Borel.
Alors que son lieutenant s'éloignait, Caïn rentra dans la pièce. Lucie avait déjà tiré tous les stores et s'était assise, prostrée, à son bureau. Il s'approcha d'elle doucement comme s'il ne voulait pas l'effrayer. Dès qu'il fut assez à proximité elle l'attira dans une étreinte. Caïn se laissa faire malgré sa surprise.
Elle se perdit rapidement dans une litanie de pessimisme que Caïn n'écouta même pas. Il l'arrêta en lui pressant un mouchoir juste sous le nez. Elle eut d'abord un mouvement de recul mais en voyant que Caïn ne bougeait pas elle s'approcha de nouveau de lui et le laissa réajuster le mouchoir.
- Calmes-toi. Tu saignes du nez.
À chaque fois qu'il prenait cette voix douce, Lucie frissonnait. Cette fois-ci ne fit pas exception. Elle savait qu'il pouvait être attentionné pour l'avoir vu avec son fils ou à l'occasion avec Gaëlle ou Sonia. Malgré cela l'observer de si près avec la face toute couverte du soucis qu'il se faisait pour elle, la frappait tant qu'elle prenait ses paroles comme des commandements.