Vice-versa
- Bonjour docteur Weis. Nous sommes de la police.
- Nous aurions quelques questions à vous poser au sujet du meurtre de Lara.
- Elle est morte ?
La psychiatre les laissa rentrer et alla s'asseoir dans l'une des chaises de son cabinet. Delambre lança un regard de reproches à Caïn avant de s'avancer vers Weis.
- Oui. Toutes nos condoléances. Votre cousine a été retrouvée à son domicile. Savez-vous si elle avait des ennemis ?
- Pas vraiment. C'était quelqu'un de simple. Mais pourquoi venir me demander ça à moi ?
- Vous les psys, vous croyez tout savoir sur tout.
- Ce que le capitaine Caïn veut dire c'est que Lara semblait très proche de vous. Aviez-vous remarqué des changements chez elle dernièrement ?
La praticienne se releva. Elle respirait légèrement plus fort que la normale. Delambre lui apporta une bouteille d'eau qui traînait sur son bureau. Elle l'engloutit presque entièrement.
- Votre collègue est constamment énervé ou il s'est levé du mauvais pied ?
- En ce moment, il est souvent comme ça mais dites-moi plutôt …
- C'est une énergie mal canalisée qui se traduit par un surplus d'agressivité. Cela peut venir d'un trouble affectif ou d'un manque de confiance en soi. Je pencherais plus pour …
- Excusez-moi mais pour la séance d'introspection à deux balles, je repasserais. Qu'est-ce que vous savez sur votre cousine qui pourrait nous aider à trouver celui ou celle qui l'a tué ?
- Cela devrait vous plaire. Lara était conformiste sauf pour l'une de ses passions. Elle pariait sur des combats clandestins. Elle s'était pas mal endettée d'ailleurs. Je dois avoir l'adresse quelque part.
La psy leur fournit l'adresse. Elle se souvenait même des jours de rendez-vous et des heures. Caïn pressa sa partenaire de ne rien dire à Moretti et ils se rendirent sur place le soir-même. Parmi les autres entrepôts de la zone, celui qui accueillait soit-disant les combats ne dénotait pas des autres. Une fois entrés, les capitaines se trouvèrent face à deux vigiles au moins larges comme le fauteuil de Delambre.
- Désolé mais on n'accepte pas les handicapés ici.
- Tu ne vas pas me faire croire qu'il y a des règles comme ça ici. C'est quoi ton problème ?
- T'es un chien enragé toi. Ok pour la petite dame … à une condition. Tu combats ce soir. Un de nos gars s'est désisté en dernière minute.
- Caïn vous ne devriez pas …
- J'accepte.
oOo
Le trajet du retour fut bien silencieux. Delambre avait forcé Caïn à laisser sa moto sur place et à monter avec lui. Il n'avait pas opposé de résistance. Il était beaucoup trop heureux pour ça. Avant même de quitter la zone industrielle, il s'était endormi, un sourire béat aux lèvres.
Il se réveilla en entendant Delambre remonter son fauteuil, alors il se leva et prit la direction de sa fenêtre. Il voulut saisir l'un de ses appuis mais ses mains meurtries n’agrippaient plus rien. Il retomba lourdement sur le dos.
Une fois allongé par terre, il considéra sérieusement la possibilité de passer la nuit à la belle étoile. Quelque chose vint lui taper contre l'épaule. Caïn ouvrit les yeux et vit Delambre, au dessus de lui.
- Je ne vous avais jamais vu sous cet angle.
Malgré son ton joyeux et son sourire légèrement faussé par une lèvres enflée et sanglante, Delambre lui répondit froidement.
- Levez-vous.
Caïn obéit, faisant fi des douleurs que son empressement occasionna. Il ne se redressa cependant pas tout à fait, restant courbé dans une position qui épargnait son dos.
- Suivez-moi.
Quand le capitaine se vit ouvrir la porte, il se rendit compte du nombre minime de fois où il avait emprunté cette voie-là pour entrer dans la demeure. Il pouvait les compter sur les doigts d'une main.
- J'en suis réduit à rentrer à la maison par la grande porte.
- Prenez une chaise et allez m'attendre dans la salle de bain.
Une fois encore, il s'exécuta. Delambre n'était apparemment pas prête à entrer en réelle interaction avec lui et se contentait de japper ses commandements. Elle entra dans la salle d'eau avec une trousses de premiers soins. Caïn s'assit et la laissa faire.
- Vous êtes vraiment stupide capitaine, lui reprocha-t-elle en lavant son visage du sang et de la sueur qui le maculaient. Qu'est-ce que vous aviez besoin de répondre à cette demande insensée ? On aurait simplement montré nos insignes et ils nous auraient laissé passer.
- Par ce biais-là on a obtenu plus d'informations et on en obtiendra encore davantage la prochaine fois.
- Parce que vous comptiez y retourner ? Je ne vous laisserais pas faire.
Elle appuya ses paroles d'une pression traîtresse sur une surface rouge de sa joue qui ne tarderait pas à prendre les couleurs de l'arc-en-ciel.
- J'ai passé les éliminatoires. Si j'y retourne, je serais avec les habitués.
- Allez vous laver. Pourquoi tenez-vous tant à vous battre ?
Delambre se tourna vers la porte et Caïn se déshabilla. Il dut répondre en parlant haut pour couvrir le bruit de l'eau.
- C'est bien la psy qui m'a dit que je devais évacuer mon trop-plein d'agressivité. Et bien pour une fois je pense qu'elle n'avait pas tort. Je ne me suis pas senti aussi bien depuis longtemps.
- Ce n'est pas ça que le docteur Weis vous a recommandé, capitaine. Elle vous a dit de régler votre trouble affectif. Vous devriez aller parler à votre femme.
- Pour encore tomber sur Antoine ? Non merci.
Le capitaine se sécha rapidement puis enroula la serviette autour de sa taille avant de se rasseoir avec la docilité d'un enfant. Delambre entreprit alors de passer du contre-coup partout où la peau du capitaine commençait à changer de couleur et de désinfecter toutes les plaies ouvertes.
- C'est un peu votre faute si elle m'a quitté.
- Pardon. Et pourquoi ça ?
- Elle croit que nous sommes ensembles.
- Quoi ? Mais c'est ridicu …
Elle se tut soudainement. Caïn savait qu'elle venait réaliser, comme lui l'avait fait face à Gaëlle. Ils travaillaient ensemble. Ils vivaient sous le même toit. Et puis ce soir, il se trouvait presque nu dans sa salle de bain alors qu'elle lui passait de la pommade.
Pour autant elle ne s'arrêta pas. Caïn ferma les yeux et commença à somnoler, répondant instinctivement aux demandes de sa partenaire en levant un bras ou en se tournant d'un quart. Finalement elle le libéra. Il ne monta même pas les escaliers et se contenta de s'affaler dans le canapé. Il s'endormit aussitôt.
oOo
Quand on frappa à la porte le lendemain, Caïn se leva par réflexe. On l'avait recouvert d'une couverture, ce qui n'était pas une mauvaise idée puisqu'il n'avait pas pris le temps de se rhabiller. Il l'enroula autour de lui et partit ouvrir la porte.
- Bonjour ?
C'est quand il se retrouva face à cette personne inconnue, qui semblait presque aussi surprise de sa présence qu'il ne l'était, que Caïn se rappela qu'il n'était pas chez lui. Pour ne rien arranger il sentait presque ses cheveux dressés en épi sur sa tête, tête qui d'ailleurs ne devait plus ressembler à grand chose.
- Bonjour. Vous êtes ?
- Agathe. La mère de Lucie.
- Ah ! Entrez donc.
Le capitaine l'éloigna de l'entrée laissant soin à madame Delambre de fermer derrière elle. Quand il sortit son bras de la couverture pour attraper un mug, il eut un aperçu de ce à quoi allait ressembler le reste de son corps. De grandes tâches jaunes s'étalaient sur sa peau. Il était sûr qu'elles auraient été noires sans les bons soins de Delambre fille.
- Je vous sers quelque chose ?
- Un café sera très bien.
Caïn attrapa donc une autre tasse et fit couler deux cafés. Évidement il n'y avait rien à manger. Comme il allait à la boulangerie tous les matins, ils avaient appris à ne pas faire de restes. Heureusement pour lui, madame Delambre partageait sa vision des visites matinales et avait apporté avec elle pain et viennoiseries.
- Et vous ? Vous êtes …
- Ah oui pardon, Frédéric Caïn. Je suis le coéquipier de votre fille au SRPJ.
- Je sais qui vous êtes. Lucie m'a parlé de vous. En revanche, elle ne m'a rien dit qui justifierait votre présence ici de si bon matin et dans cette tenue.
- Il vit ici.
Le capitaine fut assez surpris qu'elle dise cela si simplement et même qu'elle ait choisi ces termes-là plutôt que de dire qu'il squattait.
- Bonjour ma chérie.
- Bonjour maman.
Alors que les deux femmes s'embrassaient, Caïn servit les cafés et prit une troisième tasse pour faire de nouveau tourner la machine.
- Lucie, quand tu dis qu'il vit ici …
- Non ! C'est strictement amical.
- Disons plutôt que j'ai colonisé le premier.
- Le premier étage ?
Étrangement la mère de Delambre semblait plus surprise par le fait qu'il occupe cet étage que par le fait qu'il occupe la maison. Elle s'était retournée vers sa fille en levant haut le sourcil. Pour la première fois de sa vie, Caïn vit Delambre rougir de gène.
- Caïn a quelques problèmes personnels en ce moment alors je l'héberge.
- Depuis combien de temps ?
- Quelques … mois.
- Et tu n'avais pas cru bon de m'en parler ?
- Je n'ai jamais trouvé la bonne manière de m'y prendre.
- Et pourquoi est-ce que je ne l'ai jamais vu avant ?
C'est vrai que habituellement il était parti. Ces histoires de combats clandestins l'avaient perturbé. On était samedi matin. Le capitaine avala donc son café avant de filer en haut pour s'habiller. Alors qu'il enfilait son marcel, il entendit d'en bas.
- Caïn ! Vos affaires !
Il redescendit les marches quatre à quatre, déposa la couverture devenue inutile sur le canapé et réunit les vêtements qu'il avait laissé dans la salle de bain avant de repartir à l'étage, sans oublier de souhaiter la bonne journée aux Delambres en passant.
Peut-être la mère se poserait-elle des questions en ne le voyant pas redescendre ? Delambre aurait alors à lui expliquer que lui entrait et sortait par la fenêtre. Rien que d'imaginer ce qu'elle pourrait trouver à dire le faisait sourire.
Sortir de la maison fut douloureux. Puis il se souvint que sa moto était encore dans la ZI. Le SRPJ était moins loin. C'est donc jusque là-bas qu'il irait en courant. Même si chaque foulée était une souffrance, Caïn ressentait encore la béatitude de ses combats. Il rejoint Ben avec sa Saab. Son fils s'affola de son état mais ils passèrent la journée ensemble.