Vice-versa
Alors qu'il avait décidé d'y retourner sans rien lui dire, Delambre l'attendait devant l’entrepôt lundi soir. Elle paraissait énervée.
- Je vous interdis d'y retourner.
- C'est mignon de vous inquiétez pour moi mais je suis un grand garçon.
- Vous faites bien de le répéter j'ai failli oublier.
- Delambre vous savez aussi bien que moi que sur un terrain comme celui-là, l'infiltration est le meilleur moyen d'obtenir des informations.
- On commence à bien se connaître capitaine, si vous pouviez au moins avoir la décence de ne pas me mentir.
- Je veux y retourner parce que j'adore ça.
D'agacée, son expression se changea en consternée. Le capitaine lui souriait de toutes ses dents et quand il essaya d'entrer elle ne l'arrêta pas et le suivit même.
- Déjà remis Fred ?
- Tu parles ! Pour deux ou trois bleus.
- Ce soir ce sera plus tranquille. Tu n'as qu'une manche à jouer.
Les gardes laissèrent passer Delambre sans lui accorder un regard. C'est là qu'ils se séparèrent. Lui prenait la direction des vestiaires et elle, du public.
Caïn portait certes encore bien les traces de son passage du vendredi mais il était un habitué de la baston de bar et se trouvait donc rarement dans des conditions idéales au combat. Par chance il tomba sur un petit jeune qui devait avoir appris à frapper dans un manuel. Au moment où il fut déclaré vainqueur, il chercha Delambre des yeux.
On lui dit plus tard qu'elle était sortie dès qu'il avait mis K.O. son adversaire. Il rentra tranquillement ensuite et passa par la fenêtre même s'il était certain que Delambre lui avait laissé la porte ouverte. Au petit-déjeuner le lendemain matin, elle ne fut pas très bavarde si bien que Caïn ne lui fit pas part de ses avancements. Il attendit d'être rendu au SRPJ pour lui dire.
- Lara avait au moins un amant parmi les combattants.
- Et vous ne me dites ça que maintenant ?
- Voyons capitaine, je ne l'ai appris que hier soir. Comment aurais-je pu vous mettre au courant plus tôt ?
Caïn savait qu'elle avait aussi bien conscience que lui des gens qui l'entouraient. Elle était bridée dans ses réponses.
- Lara avait des dettes mais relativement peu à son habitude. Elle était une bonne payeuse, bien qu'irrégulière, et tous semblaient bien l'aimer.
- On creuse du côté de l'amant alors ?
- Comment comptez-vous vous y prendre ?
Le capitaine lui fit un clin d’œil et partit dans son bureau. Delambre le suivait et une fois entrée, ferma la porte.
- Arthur m'a donné rendez-vous ce soir pour un entraînement. C'est un des tauliers de la bande et j'ai entendu dire que c'est lui qui couchait avec Lara.
- J'espère qu'il va vous faire souffrir.
oOo
- Frappe. Frappe. Frappe. Pare.
- Toi, tu la connaissais Lara ?
- Je vois que tu es attentif aux ragots. C'était une amie.
- Ce n'est pas exactement ce qui se dit.
- Lara était une femme attirante. Notre proximité faisait des jaloux mais elle était du genre polyamoureuse. Et oui, puisqu'il n'y a que ça qui t'intéresse, j'ai entretenu une liaison avec elle.
- Tu fais un tueur crédible. La police va finir par te tomber sur le dos.
Arthur fit un mouvement soudain et parvint à soulever Caïn pour le plaquer au sol. Le capitaine fut content de s’entraîner sur un tapis épais.
- Dis donc Fred, tu arrives ici juste après le meurtre de Lara et tu poses des questions à tout va. Si tu es venu foutre ta merde, tu peux aussi bien repartir maintenant. Les flics seront bien assez pour faire ce travail. Ils n'ont pas besoin d'un pseudo-enquêteur dans ton genre.
- Qui te dit que je n'en suis pas un ?
- Un flic ? Non Fred, pas à moi. Je me suis souvent battu avec des policiers ou des gendarmes, toi tu n'en es pas un. T'es du genre justicier solitaire, ou presque.
Arthur s’ôta d'au dessus du capitaine, il l'aida à se relever et ils reprirent l’entraînement.
- Tu faisais déjà tes petites enquêtes avant ou tu as commencé après ce qui t'est arrivé avec cette femme ?
- Et moi qui croyais être bavard. Tu es psy dans la vie ?
- Non mais je travaille dans un centre social avec des ado, c'est presque pareil. Les mots mentent, les poings jamais. Il faut juste savoir déchiffrer.
- Qu'est-ce qui te dit que c'est une femme ?
- On en voit défiler pas mal des gars comme toi ici. Ils viennent se faire casses la gueule pour oublier des problèmes de petite-amie, de femme ou de cette amie dont ils sont amoureux sans oser agir. Ces gars-là sont enragés.
- Tu es en train de dire que je suis un pauvre cœur dont le seul ressors est la violence.
- Exactement, sauf que toi tu es pire que les autres. Tu sais te battre. Alors dis-moi ce qui se passe. Sinon on peut jouer aux devinettes, je te préviens, je suis plutôt bon.
- Je suis en instance de divorce.
- Tu étais marié depuis longtemps ?
- Je suis toujours marié. On se connaît depuis qu'on est ado. Elle s'appelle Gaëlle. On a un fils, Ben, c'est un garçon formidable.
- C'est elle qui t'a jeté ou toi ?
- C'est elle. J'ai découvert un bellâtre chez moi. Gaëlle a dû vouloir faire le ménage.
- Et si tu me donnais la vraie raison. Ce ne sont pas tes déboires matrimoniaux qui sont ton problème. Aucune commentaire ? J'ai raison alors. Est-ce que ça n'aurait pas plutôt à voir avec la minette avec laquelle tu es arrivé ?
- Je vois que les nouvelles circulent bien.
- Qui est-elle ?
- C'est une amie.
- Voilà qui est plus intéressant. Rien à voir avec le divorce ?
- Gaëlle est persuadée qu'il y a quelque chose entre nous.
- Elle a vu juste ?
- Et toi ? Tu vas me dire que tu ne ressentais rien pour Lara.
- Pas comme tu le sous-entends. Mais tu veux un conseil Fred ? Si tu cherches quelqu'un qui aurait vraiment pu faire du mal à Lara par amour, tu devrais aller voir Ali.
- Tu penses qu'il pourrait l'avoir tué ?
- Ali est un homme impulsif et jaloux. Si quelque chose est arrivé, il n'aura sûrement pas fait exprès. Je n'ai assisté qu'une fois à l'un de ses excès de rage et j'en porte encore la marque.
Pour illustrer ses propos, Arthur leva son T-shirt et Caïn put voir la balafre qui lui barrait le haut du bassin.
- Pourquoi tu n'en as pas parlé à la police ? Je croyais que …
- Lara est mon amie. Je suis attristé de ce qui lui est arrivé crois-moi mais je me bats avec Ali depuis des années. Je ne peux pas le balancer aux flics.
- Tu m'en as parlé pourtant.
- Toi ce n'est pas pareil. On est égaux maintenant.
Arthur essuya du pouce le sang qui coulait de son nez et le montra à Caïn. Le capitaine fit de même avec la blessure de sa lèvre. Ils se serrèrent la main en se regardant dans les yeux.
- Allez, il est temps de rentrer.
Les vestiaires n'étaient pas aussi importants que l'ampleur de la structure le laissait penser. Ils prirent leur douche en silence et eurent terminés de se rhabiller quasiment en même temps. Sur le parking, il n'y avait qu'une moto et une voiture, les leurs. Caïn avait enfourché son deux-roue et s'apprêtait à mettre son casque quand Arthur l’interpella.
- Tu sais que tu es chanceux, Fred.
- Vraiment ? Et pourquoi ça ?
- Je n'en connais pas beaucoup de femmes qui acceptent de libérer leurs hommes.
- Comment ça ?
- C'est bien l'essence même de ton divorce ? Tu en aimes une autre, ta femme le sait. Au lieu de te pourrir la vie, elle te laisse partir. Vous êtes séparés en bonne intelligence, la situation parfaite pour refaire sa vie sans vous blesser l'un l'autre ou porter préjudice à votre fils.
- Je te laisse, il faut que j'aille vérifier quelque chose.
Arthur ne put répondre que déjà Caïn était parti. Il aurait bien voulu rouler le plus vite possible mais son cerveau marchait à cent à l'heure et ne le laissait pas se concentrer sur sa conduite. Arthur avait raison. C'est tout à fait le genre de chose que ferait Gaëlle, et cela expliquerait le divorce soudain après des années de hauts et de bas bien plus importants. Quelle plus belle preuve d'amour que cela ?
Le capitaine s'était donc retrouvée face à un dilemme déterminant. Il pouvait la jouer comme à son habitude. Aller voir Gaëlle, tenter de s'expliquer mais finir par s'engueuler. Ou il pouvait lui rendre la pareille, même si cela lui donnait raison en montrant qu'il avait vraiment changé.
Il avait pris sa décision dès le premier coup de gaz et ne l'avait pas changé en s'arrêtant devant la maison dont il n'avait lu l'adresse qu'une fois mais qui était restée imprimée dans son esprit.
Quand il vit celui qui se tenait sur son seuil, l'homme eut un mouvement de recul. Caïn en profita pour entrer dans la maison. Le salon n'était pas vraiment bien rangé, quelques consoles et un nombre astronomique de jeux de société occupaient toutes les surfaces planes disponibles autre que le sol.
Devant la télé à grand écran se trouvait un immense canapé, des fauteuils, tabourets, poufs dont quelques uns étaient occupés par des jeunes qui s'affrontaient dans un jeu vidéo de course. Le plus costaud d'entre eux s'était levé à l'arrivée de Caïn.
- Un problème Antoine ?
- Non il n'y en a aucun. Je veux juste lui parler seul à seul à un moment.
Le jeune ne semblait pas convaincu et Antoine n'avait pas l'air plus rassuré qu'avant mais Caïn se montra pressant en le forçant presque à changer de pièce. Il fit semblant de ne pas faire attention à la porte restée ouverte.
- Gaëlle m'avait prévenu que vous pourriez venir.
- Ah oui ? Et qu'est-ce qu'elle t'a dit de faire dans ce cas-là ?
- Elle m'a demandé de l'appeler immédiatement mais je suis sûr que nous pouvons nous montrer raisonnables.
- En effet, si tu réponds correctement ce ne sera pas long.
- Et si je ne donne pas les réponses que tu attends ?
- Alors là tes ados ne seront pas assez pour te protéger.
Antoine jeta un regard en direction du salon. Il n'avait pas peur pour lui-même mais pour les jeunes. Alors comme ça, il le pensait vraiment capable de casser la gueule à des gamins.
- Est-ce que tu aimes Gaëlle ?
À voir son changement d'expression, il ne s'attendait pas du tout à cette question. Une fois la surprise passée, il fronça les sourcils. Caïn l'entendait presque se demander si c'était un piège. Finalement il prit une grande inspiration et le regarda droit dans les yeux.
- Oui.
- Très bien alors maintenant écoute-moi bien. Ma femme est belle, intelligente et aimante. Elle est capable de sortir les griffes pour ceux qu'elle aime et de montrer plus de clémence qu'elle ne devrait parfois. Mais elle a aussi un caractère de cochon et est têtue comme pas deux. Tu as intérêt à la chérir plus que je ne l'ai jamais fait sinon je te ferais regretter le jour de votre première rencontre.
- Impossible.
- Est-ce qu'on s'est bien compris ?
- Si jamais je la fais souffrir, Fred, je veux que tu sois le premier au courant. Qu'importe les raisons que j'évoquerais alors, je compte sur toi pour me rappeler que rien ne justifie de causer du tort à une femme aussi formidable que Gaëlle.
- Bien. Et une dernière chose, promets-moi que tu ne lui répéteras pas un mot de cette conversation.
- Entendu.