Partenaire
Alice et Caïn trouvèrent un arrangement. Il avait l'exclusivité des visites le matin pour l'accompagner à la rééducation et en échange Alice le forçait à passer des après-midi et des soirées hors du CHU. Lucie, Félix et Nassim venaient la voir tous les jours, Alice reçut même la visite de la mère de Lucie et d'autres agents du service. La douleur d'Alice progressait pour ne plus se faire sentir que lorsqu'elle utilisait ses jambes. Ce n'était pas très avantageux mais au moins elle pouvait dormir correctement.
Ainsi elle était rapidement passé du déambulateur aux béquilles. Caïn lui avait aussi très souvent servi d'appui si bien que lorsqu'elle réintégra le service, elle pouvait donner le change, en durée limitée avec une cane et l'épaule du capitaine. Elle ne se plaignait pas mais ne mentait jamais. Quiconque lui demandait comment elle allait se voyait répondre un chiffre correspondant à une échelle de 0 à 10 pour la douleur. Tous lui épargnaient les détails sauf Caïn et Félix qui prenaient longuement de ses nouvelles chaque jour.
Elle avait repris à marcher sans cane depuis peu lorsque Lucie les convoqua dans son bureau pour une nouvelle affaire.
- On a un meurtre. La victime est une femme d'une quarantaine d'années. Elle a été abattu d'une balle dans la tête. Deux mots ont été écrit au sol avec le sang de la victime « Plus près ».
- Il nous reste encore du travail à faire ou tout est déjà dans le dossier ?, demanda Caïn.
- Vous avez rendez-vous sur la scène de crime dans la matinée.
- Où ça ?, questionna Alice.
- À Aix-en-Provence.
- Pourquoi ce ne sont pas les collègues sur place qui s'en occupent ?, s'interrogea Caïn.
- Parce que l'affaire n'a qu'un seul témoin et ce dernier ne veut parler, je cite « qu'à l'handicapé et sa fillette de Marseille ».
- Je ne suis pas une fillette !
- Ce n'est pas « ma » fillette !
Après leur indignation simultanée ils échangèrent un regard et sortirent aussitôt pour rejoindre la Saab. Cet homme était peut-être un témoin mais il venait de se mettre à dos ceux qu'il avait ardemment souhaité voir. Lucie pouvait dire que ni Caïn, ni Alice n'allait lui faire le moindre cadeau. La commandante leur envoya l'adresse par texto.
Arrivés sur la scène de crime, ils furent accueillis pas un flic à la silhouette de catcheur. Il n'avait pas l'air ravi de les voir ici, ce que les deux Marseillais comprenaient très bien. Il n'y avait pas plus emmerdant que deux débarqués venant mettre leurs pattes dans une affaire. Mais eux non plus n'avaient pas envie d'être là.
- Lieutenant Moreau, chargé d'enquête au SRPJ d'Aix.
- Bonjour lieutenant. Capitaine Caïn et capitaine Alice. On ne vous embêtera pas longtemps.
- Si vous voulez bien me suivre.
La scène de crime était telle que la commandante la leur avait décrit. La victime avait trouvé la mort dans un cul-de-sac qu'un quartier désert. Il était assez surprenant de savoir qu'ils avaient un témoin dans de telles conditions.
- La victime s'appelait Louise Belavre. Elle était originaire de Marseille ? Un seul coup de feu. Le tueur se tenait derrière elle.
- Et qu'es-ce qu'elle faisait là ?, demanda Alice.
- La porte ici mène à une entreprise de boxes de stockage. Elle avait une clé sur elle. Son boxe n'est pas très grand. Quelques vieux meubles, un matelas et des cartons de paperasse d'enfance. Rien qui sorte de l'ordinaire.
Alors qu'il n'avait rien dit jusque là, Caïn se dirigea à l'intérieur en appelant les techniciens. Alice s'excusa auprès de Moreau et le suivit. L'intérieur était classique, un long couloir flanqué de portes. Pas très loin de la sortie l'une d'entre elle était ouverte et la PTS s'y agitait comme des fourmis sur une goutte de sirop. Parmi eux, une femme semblait diriger, elle n'était pas une scientifique mais Caïn l'ignora pour demander.
- Est-ce qu'elle gardait ses photos de classe ?
Alice, elle, s'approcha de celle qui devait être la chef.
- Veuillez excuser le capitaine Caïn, il est un peu brut de décoffrage. Lieutenant Alberti. Nous sommes du SRPJ de Marseille.
- L'handicapé et la fillette ? On vous attendait. Je suis le capitaine Ousbir, Nabila Ousbir. Notre témoin est au commissariat, il n'a rien demandé d'autre que vous voir.
- On lui tirera les vers du nez et on vous laissera tranquilles.
- Je savais que je connaissais ce nom. Louise Belavre.
Le capitaine les avait interrompu sans aucune gêne. Il tendait à Alice une photo de classe.
- Là c'est elle et là c'est moi. Elle était dans ma classe durant mes années de collège.
- Vous connaissez la victime ?, s'enquit le capitaine Ousbir.
- Vaguement. On n'a jamais été ami. On ne s'est même pas vraiment parlé à l'époque …
Alice ne l'écoutait pas, elle restait fixée sur la photo. Caïn avait bien changé depuis cette époque mais Alice l'aurait reconnu sans qu'il ait besoin de le lui indiquer. Il avait dû avoir son succès. Grand avec une gueule d'ange et un sourire charmeur. Peut-être d'ailleurs la différence n'était-elle pas tant marquée physiquement que par l'expression sur le visage du jeune Frédéric.
Le jeune homme qui posait au milieu de ses camarades avait l'insouciance et l'innocence de son âge imprimées sur le visage. Il était assez visiblement de ceux dont les préoccupations s'arrêtait à leur bande d'amis et à une fille dans le pire des cas. Lorsque Alice regardait le capitaine qu'elle avait devant elle, elle voyait le poids des ans, pas seulement dans son corps brisé par l'accident. Quelque chose, dans ses yeux, était fondamentalement différent.