Partenaire
En partie installé sur ses pieds, Caïn dormait profondément alors qu'Alice était toujours parfaitement réveillée. Elle fixait les étoiles pour essayer d'oublier la sensation de picotement qui lui avait envahi toutes les jambes. Elle connaissait déjà par cœur le magazine posé sur sa table de chevet et ne voulait pas allumer la télévision par peur de réveiller Caïn. Petit à petit des fourmillements désagréables se mêlèrent aux picotements. Chaque sensation lui était douloureusement décuplée, si bien que la pression légère qu'exerçait Caïn devint rapidement une torture. Durant toute la nuit, elle souffrit en silence.
Au matin, lorsque Fred ouvrit les yeux il la trouva couverte de sueur, le visage crispé et les mains serrées dans les draps. Aussitôt il se redressa et perçut le soulagement d'Alice. Caïn se plaça au niveau de la tête de lit, remit les mèches de cheveux collées à ses tempes derrière son oreille et lui demanda le plus doucement possible, sachant d'avance que la réponse ne lui plairait pas :
- Qu'est-ce qu'il y a ?
Alice prit plusieurs inspirations profondes pour calmer son souffle légèrement erratique. Elle força un sourire sur ses lèvres. Après une telle attitude Caïn s'attendait presque à ce qu'elle lui dise que tout allait bien.
- C'est mes jambes. Le moindre toucher me fait un mal de chien.
- Pourquoi tu ne m'as pas demandé de m'enlever ? Tu veux que j'appelle les médecins ?
- Ils ne pourront rien faire. Ma cam c'est l’anesthésiant et je ne vais pas leur demander un fix.
Caïn savait qu'elle avait raison mais pressa tout de même le bouton rouge. Le docteur qui se présenta fut d'accord avec eux. Lui procurer un antidouleur reviendrait à jouer les dealers et ni le praticiens, ni les policiers n'acceptaient cette solution. En revanche il fit travailler les jambes d'Alice. Tout en lui tenant le pied il lui demandait d'accompagner son mouvement. Alice serrait la mâchoire et broyait la main que Caïn lui avait si gracieusement offert.
Lorsque le médecin les laissa, Alice en aurait pleurer de soulagement. Les mouvements, encore plus que le contact, la faisaient souffrir. Elle appréhendait déjà les séances de rééducation que le docteur lui avait prescrit et qui commençaient le lendemain même. Dans l'après-midi elle reçut la visite de Lucie, Nassim et Félix. Caïn ne fut pas surpris de voir que le juge semblait connaître les deux autres. Il faudrait qu'il les surveille plus dorénavant car il se passait, juste sous son nez, beaucoup plus que ce que son instinct de flic ne trouvait confortable.
En attendant il avait serré ses freins dans un coin de la pièce et observait la scène. Alice faisait tous les efforts du monde pour leur cacher ses grimaces de douleur. Personne ne posa de question mais dès que Lucie et Nassim eurent fermés la porte derrière eux, Félix l'interrogea. Elle lui décrivit avec le plus de détails possibles et sans aucune gêne tout ce qui se passait dans ses jambes mais elle le rassura aussi en lui disant que cela faisait partie du sevrage. Félix partit en lui faisant promettre qu'elle mettrait son portable sur silencieux. Il avait décidé de l'appeler dans la nuit pour lui tenir compagnie, si et seulement si elle ne dormait pas déjà. D'où le silencieux.
De même, après moult négociations, elle obtint de Caïn qu'il rentre dormir chez lui en lui disant qu'elle lui enverrait un SMS au moindre problème. Il fut tout sauf ravi de quitter la chambre mais respectait le choix d'Alice. Une fois seule Alice put se laisser aller à toutes les grimaces qu'elle avait retenu jusque là. Elle ne dormit pas mieux que la nuit précédente, surtout qu'à partir de 21 heure ses jambes se mirent à trembler en la faisant souffrir le martyr. L'appel de Félix fut une délivrance.
5 minutes après que les visites soient ouvertes, Caïn entrait dans la chambre. Il avait apporté des croissants. Il découvrit Alice semblable à la veille sauf que ses jambes n'avaient toujours pas arrêter de trembler. Il voulait aider alors il fit la même chose que le médecin la veille, il déplia et replia précautionneusement toutes les articulations de la cheville à la hanche. Alice ne pouvait même plus retenir certains glapissements de douleur. Le spectacle était insoutenable pour Caïn.
Heureusement ces bons soins lui firent beaucoup de bien car après cela le tremblement s'arrêta presque tout à fait. Ils mangèrent en ne parlant surtout pas de l'hôpital. Caïn la briffa sur l'avancement de leur affaire. Alice le gronda sans force car il n'avait pu faire cela que la veille au soir, sur son temps de sommeil. Ils continuèrent ainsi jusqu'à ce qu'une infirmière rentre. Elle venait bien entendu prendre des nouvelles d'Alice mais surtout l'emmener en rééducation. Caïn les suivit.
La verticalisation ne fut pas un problème. Alice n'avait pas connu, comme la plupart, plusieurs mois allongée. Alice voyait bien que Fred n'était pas des plus à l'aise au milieu de tous ces gens qui réapprenait à utiliser leurs jambes et leurs bras, mais elle savait aussi qu'il n'aurait servi à rien de lui demander d'attendre dehors.
L'infirmière qui s'occupait d'elle l'aida à se mettre debout entre deux barres qu'elle tenait avec ses mains. Alice reposait tout son poids sur ses bras car avec les jambes flottantes elle n'avait presque plus mal. Mais ce n'était pas l'exercice. L'infirmière la força à poser les pieds et à avancer. Forcer sur ses cuisses pour les faire bouger la faisait ouvrir la bouche dans un cri de douleur muet. Caïn en avait mal lui-même. Après une heure de cette torture, l'infirmière la laissa aller se reposer. Caïn se dirigea vers l'aide soignante.
- Alors comment ça se passe ?
- Ce n'est pas trop mal au niveau de la motricité mais la douleur du sevrage est un vrai obstacle. Sa prise d'autonomie va sûrement dépendre plus de cela que de ses capacités physiques seules. Habituellement les drogués qui arrivent ici nous donne tout, sauf de l'empathie mais Alice … elle a dû avoir une détermination de fer pour s'infliger tout ça. J'espère que ça en valait la peine.
- Moi aussi.