Inconnue au bataillon
Le lendemain Caïn ouvrit les yeux sous l'effet conjugué du soleil et d'une douce odeur de café. Il ne fut pas surpris de voir qu'il n'était plus seul dans la chambre. Borel était là, une tasse à la main. Sans rien dire il la tendit au capitaine qui se frictionnait les paupières. Il remercia Borel et but tout son café presque d'une traite. Le lieutenant resta encore silencieux jusqu'à ce que le capitaine prenne la parole.
- Je vous manquais tant que ça ?
- Non, enfin si bien sûr mais c'est avant tout Lucie qui m'a demandé de venir vous briffer sur les avancées de Stunia.
- On daigne enfin me mettre au courant !
- Elizabeth a trouvé l'identité de la victime. Vous avez raison. Elle s'appelle Alice.
- Vous déconnez Borel.
- Non. Capitaine Alice Alberti. 22 ans. Originaire de Paris.
- Capitaine ?
- Elle est de la maison. Elle travaille à la PJ de Paris, 20ème. J'ai son dossier complet si vous …
- Je le savais.
- Pardon ?
- Je l'avais deviné. Notre victime est une pauvre petite fliquette qui cherche à griller les étapes. Elle a surpris une conversation qui mentionnait un policier ripoux, a sauté sur l'occasion en se disant que ça propulserait sa carrière. Sauf que, pas de bol, une fois arrivée ici elle se rend compte que le grand méchant inspecteur est handicapé. Elle prend pitié en même temps qu'une balle pour moi. Terminé, bonsoir.
- Ne parlez pas d'elle comme ça ! Son dossier est exemplaire. Sa carrière a le vent en poupe.
- Ne me dites pas que vous aussi vous êtes tombé sous le charme de la belle Alice ? Vous devriez former un fan club avec Lucie et Elizabeth. Je me fous d'en connaître plus sur elle. Parlez-moi plutôt de la voiture.
- Mais capitaine …
- La voiture.
Il était évident que Borel aurait voulu protester mais l'attitude du capitaine ne lui laissait pas beaucoup de choix. Il prit tout de même la liberté de faire comprendre à Caïn qu'il ne soutenait pas son comportement subjectif et borné mais lui donna ce qu'il voulait.
- J'ai trouvé la serrure qui correspondait à ma clé. C'était un petit coffre-fort caché dans une portière. À l'intérieur il n'y avait qu'une clé USB mais elle est protégée par un code.
- Et bien qu'est-ce que vous attendez ? Filez au SRPJ pour me trouver une solution. Je vous rejoins et j'y jetterais un œil.
Caïn avait clairement exprimé que la conversation était close. Peut-être, dans un bon jour, Borel eut-il pris le courage de dire ce qu'il pensait mais aujourd'hui le capitaine semblait de bien trop mauvaise humeur pour tenter quoi que ce soit. Le lieutenant prit donc ses clics et ses claques et sortit de la chambre. À peine la porte fut-elle fermée que Caïn se retourna vers Alice, puisque tel était son nom.
- Toi je ne t'aime pas. Tu as commencé par me ruiner une après-midi en me donnant de faux-espoir d'une enquête intéressante, tu me donnes ton identité une fois que je n'en ai plus rien à foutre et par dessus tout tu me laisses seul à jouer dans la même équipe qu' « Aimé » parce que tu te mets tout le monde dans la poche. Et bien moi je ne t'aimes pas !
Et il sortit. Le garde devant la porte le regarda passer avec étonnement. Il l'avait sûrement entendu crier. Caïn s'en foutait. Il n'aurait jamais pensé que passer ses nerfs sur une personne inconsciente puisse être si libérateur. Il se sentait léger de ne plus prendre pour cible de son courroux que cette Alice qui était à l'origine de tous ses problèmes.
Son entrée au SRPJ causa un silence à peine dissimulé. Caïn vit tout de suite que leur tableau avait été mis à jour et qu'une autre section avait été ouverte comprenant une liste effroyablement longue de noms. Caïn s'approcha et put en lire l'intitulé : commanditaires possibles pour le meurtre de Caïn. Cela le fit sourire. Il prit le stylo et s'approcha pour ajouter deux noms : Aimé Legrand et Lucie Delambre.
Il avait encore la pointe du stylo sur le tableau que la commandante arriva. Elle avait d'abord une expression qu'elle arborait souvent lorsque lui était censé aller mal puis elle vit son nom sur la liste et tout changea.
- Je peux savoir pourquoi vous avez mis mon nom là ?
- Vous pourriez me tuer non ?
- Peut-être mais je ne déléguerais jamais ce travail à quelqu'un d'autre.
Caïn sembla considérer l'idée un moment puis se munit du chiffon pour effacer le nom, en prenant soin de laisser en place celui de Legrand, pour lequel elle ne dit rien. Legrand n'était d'ailleurs pas encore là. Étrange. Il arrivait souvent en même temps que Delambre, sentant le même savon et échangeant des regards complices qui se voulaient discrets.
Le capitaine s'approcha de Borel qui lui laissa gracieusement la place devant l'ordinateur. Il se lançait au travail alors que la commandante arrivait dans son dos. Il fit semblant de ne pas sentir son regard sur lui et continua ses explorations. Delambre se racla la gorge une fois, puis deux.
- Si vous voulez il y a des pastilles pour la gorge à l'infirmerie.
- Borel vous a briffé sur … notre victime ?
- Collatérale. Victime collatérale. Oui. Alice Alberti. Capitaine à la PJ de la capitale. 20ème arrondissement. Sûrement en vacances ici, elle n'a rien trouvé de mieux que de se faire tirer dessus. Putain d'ordinateur !
Sans se laisser distraire par ses violences verbales envers le matériel électronique du SRPJ, Delambre posa à côté de lui le dossier d'Alice en lui demandant d'y jeter un œil durant la journée. Son ton était sans appel, c'était à la supérieure qu'il avait affaire. Caïn retint sa colère, contourna le mot de passe et s'énerva enfin complètement.
- Mais elle me fera vraiment chier jusqu'au bout ! Merde !
- Qu'est-ce qu'il y a parton ?
- Même en ignorant le mot de passe, on n'arrive à rien. Les fichiers sont illisibles. Le code fait aussi office de clé de cryptage. Tant qu'on n'aura pas le code, on ne pourra rien tirer de cette clé USB.
- Tant qu'Alice ne se sera pas réveillée on va devoir se concentrer sur le commanditaire de votre assassinat, déclara Borel, cherchant visiblement à calmer le capitaine.
- Et vu le nombre de personnes qui semblent vouloir votre peau on en a pour des semaines à tous les interroger.
Caïn se tourna vers Delambre et soupira profondément. De toute façon tout cela était de la faute d'Alice.