Inconnue au bataillon
De retour au SRPJ, ils trouvèrent un message de Borel. Il avait la voiture mais n'aurait sûrement fini ses examens que le lendemain. En attendant ils étaient libres d'avancer car il n'avait rien trouvé qui sorte de l'ordinaire. Lucie chargea Legrand de l'appeler pour lui transmettre les nouveaux éléments de l'enquête. Caïn était déjà sur le tableau en train de coller sa propre photo sous le mot CIBLE ?. La commandante ne comprenait pas comment il pouvait rayonner dans un moment pareil.
Le sourire du capitaine ne fit que s'agrandir lorsqu'il se retourna pour voir Stunia entrer au poste. Il alla immédiatement à sa rencontre. Quand Delambre vit Elizabeth chercher son regard à elle, elle s'approcha. La légiste était si tendue que cela se voyait à l’œil nu. Elle avait la mâchoire crispée et les doigts serrés autour du dossier qu'elle apportait avec elle.
- Alors Stunia quelles magnifiques nouvelles m'apportez-vous ? Aujourd'hui c'est ma journée.
- J'aimerais parlé au commandant Delambre, répondit-elle froidement.
- Et pour mes résultats ADN ?
- J'en référerais également au commandant … en privée si possible.
Lucie était presque aussi surprise que Caïn. Le capitaine levait haut un sourcil et continuait de l'interroger à propos de « son » enquête et de « son » ADN de victime mais une fois qu'Elizabeth avait fait connaître ses intentions elle resta muette et attendit Delambre. Cette réaction était d'autant plus surprenant que la relation entre Caïn et Stunia fonctionnait comme une tenaille, plus la pression exercée était grande, plus ils étaient soudés. Ils se faisaient une totale confiance sans jamais déroger de l'image qu'ils s'étaient faits l'un de l'autre. Ainsi Caïn la soutenait contre vents et marées et Stunia savait le ramener à l'ordre ou à lui-même quand le besoin s'en faisait sentir.
Ce fut donc un grand moment de gêne lorsque Lucie guida Stunia dans son bureau en fermant la porte derrière elle, laissant Caïn dehors. Sous le regard de la légiste, Delambre abaissa aussi les stores à ses fenêtres. La commandante se retourna vers Stunia.
- Qu'est-ce que ça veut dire ? Pourquoi Fred ne peut …
- J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle.
Lorsque Legrand eut fini d'appeler Borel la première chose qu'il vit fut le bureau de Lucie fermé et occulté à la vue, puis il remarqua le capitaine en train de faire des allers retours incessants sur la longueur du bureau. Pour beaucoup de choses, le fauteuil ralentissait Caïn mais quand il s'agissait de faire les cent pas, ses roues lui octroyaient un rythme étourdissant. Il changeait de direction en un coup de poignets et repartait aussi vite.
Legrand ne le suivit qu'une minute mais déjà sa tête tournait. Il s'approcha du capitaine et, sans oser l'arrêter directement, se mit sur son chemin. Le lieutenant n'imaginait pas ce qui avait pu le mettre si rapidement de mauvaise humeur après une telle crise de gaîté. Le capitaine lui lança un regard meurtrier mais Legrand savait que cela ne lui était pas adressé directement. Pas vraiment.
- Dites-moi Legrand, c'est bien moi qui dirige cette enquête ?
- Oui capitaine.
- Alors pourquoi est-ce que ma légiste avec mes tests ADN n'estime pas nécessaire de me transmettre les informations capitales !
- Vous ne devriez pas vous énerver comme ça, tenta de l’adoucir Legrand.
- ET POURQUOI ?!?, rugit ce dernier.
- Parce que vous avez fait sursauter la moitié du SRPJ.
Caïn croisa plusieurs regards agacés et apeurés. Il aurait voulu casser quelque chose. Au lieu d'attirer encore plus l'attention sur lui, il serra les dents et sortit. Legrand n'avait aucune envie de suivre le capitaine mais capitula face à quelques personnes insistantes. Caïn était, comme souvent, sur le bord du quai, face à la jetée.
- Capitaine, si Lucie n'a pas …
- Fermez-la Legrand.
Le lieutenant fut frappé par le ton presque violent de son supérieur mais surtout par la fatigue qu'il entendait dans sa voix. Il voulut répondre quelque chose. Le capitaine se retourna et lui en ôta l'occasion.
- Vous m'emmerdez Legrand. Vous êtes là à jouer les bienfaiteurs, les nounous auprès du pauvre petit handicapé alors que l'on sait tous les deux que vous auriez été bien plus tranquille si ce tireur de merde ne m'avait pas raté.
- Je ne crois pas que vous avoir à mourir dans les bras de Lucie aurait beaucoup arrangé mes affaires avec elle.
- Croyez ce que vous voulez moi je rentre chez moi.
Sans laisser le temps à Legrand de répondre quoi que ce soit, Caïn fila vers sa voiture et partit. À vrai dire il ne rentra pas tout de suite chez lui. Il était en plein enquête et un élément déterminant sur leur victime était très certainement en train de leur être transmis à l'instant même où il s'éloignait du poste. Il se gara sur le parking du CHU et éteignit son portable avant de descendre pour se réfugier dans la chambre d'Alice.
La jeune fille était toujours si obstinément amorphe. Son visage n'était maintenant plus dissimulé que par un tuyau qui lui passait sous les narines. Elle inspirait et expirait lentement si bien que durant les premières minutes le capitaine calqua sa respiration sur celle d'Alice pour se calmer. Il s'était mis au plus près d'elle au chevet du lit de façon à pouvoir presque lui parler à l'oreille.
- Alice, Alice, Alice … Tu permets que je t'appelle comme ça ? C'est le surnom qu'on t'a donné pour l'enquête. On patauge alors si tu pouvais quitter le pays des Merveilles pour revenir faire un tour à Marseille ça m'arrangerait. Je commence à en avoir marre de toi, c'est drôle au début ton numéro de la belle aux bois dormants inconnue mais ça y est je ne joue plus. Lucie t'adore pour aucune raison et Stunia garde tes petits secrets. C'est mon enquête et j'ai l'impression que tout le monde s'en fout. En même temps moi, on me met des bâtons dans les roues, j'avance plus. J'aurais dû lever haut les bras et crier ? …
Caïn continua de se plaindre, revenant de temps en temps à des problèmes qui concernaient Alice mais digressant souvent jusqu'à ce qu'enfin le sommeil le fasse taire. Il ne fut pourtant pas des plus reposant. Il rêva qu'il était au SRPJ, qu'Alice était là, bien éveillée et qu'ils s'engueulaient. Tout le SRPJ les regardait. Le capitaine avait vaguement conscience que le sujet de leur rixe était Lucie mais surtout qu'il était en train de perdre le « débat » quand la-dite Lucie arriva. Ils s'arrêtèrent d'un seul mouvement et se tournèrent vers elle. Ils lui laissaient le choix entre Alice et lui. Cela devrait aller vite. Mais il fut réduit à regarder, impuissant alors que Lucie s'avançait et enlaçait Alice.