Inconnue au bataillon
Ils venaient à peine de s'installer dans la voiture que la commandante reçut un appel. Elle décrocha et fit un geste à Caïn qui démarrait. Ce dernier comprit et attendit en tendant l'oreille. Rien de ce que disait Delmabre ne pouvait l'aider à comprendre la situation. Finalement elle raccrocha en fronçant les sourcils.
- C'était la balistique. Ils veulent nous voir tout de suite.
- Où ça ?
- Sur la scène de crime.
Habituellement se faire convoquer par la PTS mettait le capitaine dans tous ses états mais ce jour-là sa curiosité était piquée. Sur le chemin, Legrand ajouta même que le premier rapport de la balistique était assez flou sur certains points clés. Delambre dût rappeler plusieurs fois Caïn à l'ordre pour que ce dernier lève le pouce de l'accélérateur.
Dès qu'ils arrivèrent, les policiers purent voir des uniformes dans la rue, sur le toit-terrasse et au balcon de l'immeuble. Ce fut un des agents au sol qui les héla en premier. Caïn s'avança.
- Bonjour capitaine Caïn. Excusez-nous mais on aurait besoin de vous et du commandant Delambre en tant que témoins. Est-ce que vous seriez capables de reprendre la place exacte que vous aviez au moment du coup de feu ?
Comme un seul homme Caïn et Lucie s'avancèrent au milieu de la rue et s'arrêtèrent au même instant. L'agent sembla satisfait de les voir si raccord. Il observa autour d'eux et mesura la distance qui les séparait d'un marquage au sol à quelques mètres devant eux.
- Vous souvenez-vous de la personne qui était devant vous ? La moindre information pourrait nous être utile : taille, sexe …
- Je vous arrête tout de suite.
- Il n'y avait personne devant nous.
L'agent les regarda un instant comme s'il venait de lui donner la mauvaise réponse. Il s'avança et se mit juste au dessus du marquage.
- Vous êtes sûrs qu'il n'y avait personne à cet endroit ?
- Absolument.
- Mais ce n'est pas possible, il devrait …
L'agent fut coupé dans son élan par la sonnerie de son téléphone. Il s'excusa et prit l'appel en se retournant pour regarder, sur le balcon, un autre agent qui avait aussi un téléphone à l'oreille. Il écouta un moment puis raccrocha. Il rangea lentement son portable dans sa poche et se retourna vers eux comme s'il voyait Caïn pour la première fois.
- Vous êtes handicapé.
- Vous avez eu besoin de combien d'années d'étude pour en arriver à cette conclusion ?
- Ce que je voulais dire c'est que vous avons effectué tous nos calculs en nous basant sur une taille moyenne comprise entre 1 mètre 70 et 1 mètre 80. Mais vous êtes …
- Où voulez-vous en venir ?, l'interrompit Delambre.
- La douille que vous avez trouvé est la signature d'un sniper connu de nos services. Il est connu pour sa précision sans faille pourtant votre victime est à l'hôpital pas à la morgue. Le rapport de votre légiste fait état d'une blessure traversante à l'abdomen alors que F privilégie toujours la tête. Ce qui nous laisse envisager qu'elle n'était pas la cible de cet assassinat.
- Vous seriez en train d'insinuer qu'Alice aurait été encore une fois au mauvais endroit au mauvais moment ?, demanda Caïn sur un ton exagérément surpris.
- Aurait-elle pu simplement se trouver sur la trajectoire de la balle ?
La commandante semblait très sceptique mais le scientifique ne l'écoutait presque plus. Il avait sorti un calepin, prenait divers mesures. Il avait marmonner « pas vraiment » avant de continuer ses calculs. Caïn et Delambre le regardaient se baisser et coincer sous la roue du capitaine son mètre. Il le déroula à côté de Caïn et prit un air grave. Delambre échangea un regard avec lui.
- Vous ne croyez pas aux coïncidences non plus à la Crime, n'est-ce pas ? Un tireur d'élite qui rate sa cible je trouve ça déjà étrange mais en plus qu'il « rate » son tir selon l'angle exact qui l'aurait fait trouer la boite crânienne du capitaine ici présent, c'est plus que suspect
Delambre regardait avec une vague horreur le point entre les deux yeux de Caïn que l'agent désignait. Ce dernier avait d'abord semblé surpris puis s'était fendu dans un sourire qui ne le quittait plus. Il était visiblement ravi. C'est Legrand qui le questionna sur sa bonne humeur soudaine.
- Mais enfin Legrand, qui n'a jamais rêvé d'enquêter sur son propre meurtre ? Les choses deviennent de plus en plus intéressantes.
Il laissa là Delambre et Legrand bouches bées en partant interroger d'autres membres de la PTS présents sur le site. Le lieutenant se ressaisit et posa lui-aussi des questions à l'agent qui était avec eux depuis le début. Lucie s'éloigna et s'assit sur un banc au bord de la rue piétonne. Elle avait besoin de se mettre en retrait. La tentative d'assassinat d'Alice l'avait secoué mais si en plus maintenant il s'agissait de Fred qu'on avait voulu tuer …
Lucie sentit monter en elle une vague d'angoisse, elle saisit son téléphone et appela l'agent de garde à l'hôpital. Elle avait besoin de savoir qu'Alice allait bien et ne fut rassurée qu'après avoir reçu une photo. Malgré cela quelque chose en elle ne parvenait pas à se calmer. Si Alice n'avait pas été la cible, que c'est Fred que l'on visait, ce dernier avait toujours un contrat sur sa tête. La commandante sentait son cœur s’emballer quand une main se posa sur la sienne. Elle leva les yeux. Fred était là.
- Vous avez-l'air inquiète. Tout va bien Lucie ?
- Pourquoi ça n'irait pas ?
- Votre petite Alice n'est qu'un dommage collatéral à cause de moi.
- Idiot. Je m'inquiétais pour toi aussi. Si Alice n'était pas visée, cela veut dire qu'il y a toujours quelqu'un dans la nature payé pour te tuer.
- Et pourtant je suis toujours là. Apparemment je ne suis pas si facile que ça à avoir.
- Ne vous vantez pas trop fort.
- Vous seriez triste de me perdre ? Vraiment ?
- Vous êtes mon petit lapin, lui rappela-t-elle dans un effet miroir qui les fit sourire. Au début on s'en fout, on aurait voulu un chien ou un poney et puis finalement on s'attache.
De là où il était Caïn pouvait voir Legrand approcher mais pas Lucie alors il se délecta de déclarer de façon audible :
- Ça me plaît bien d'être votre petit lapin, mais plus sérieusement pourquoi quelqu'un qui semblait si prompt à vouloir me faire déchoir a-t-il soudainement risqué sa vie pour protéger la mienne ?
- Peut-être qu'Alice a compris qu'il n'y avait pas que le moyen de locomotion qui avait changé chez toi.
Caïn la regarda perplexe mais l'arrivée de son lieutenant lui empêcha toute question.