Spike, dans la lumière
Chapitre 2 : C2 : La promesse de l'aube
3895 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 09/11/2016 19:03
CHAPITRE II : La promesse de l’aube
— A l’aide ! Police !
Un appel dans son dos le fit sursauter, l’arrachant à sa contemplation réticente d’un job rémunéré. Se retournant pour voir ce qui venait, il découvrit une mère mexicaine de cent dix kilos arborant une expression proprement dévastée. C’était à lui qu’elle s’adressait.
— Monsieur ! Aidez-moi ! Il a pris mon bébé !
Elle désigna l’autre trottoir d’un doigt désespéré et Spike vit un genre de grand démon cornu en train de rouler tranquillement un petit dans une poussette mauve… Sans nez, les oreilles pointues, les yeux comme deux billes blanches et bleues dans des orbites caverneuses, son grand squelette épais saillait sous une peau passablement décharnée, avec un pantalon en loques pour parachever le spectacle.
— Ça c’est une bonne petite, marmonnait-il au-dessus de la poussette dans un rictus plein de dents. Quelle jolie petite fleur !
Le vampire jura intérieurement face à la laideur du démon, mais étant donné la faim qu’il avait, sa seconde pensée fut de se demander s’il pouvait être comestible… Avec un geste d’apaisement envers la mère, il lui demanda d’attendre là où elle était et s’apprêta à entamer les pourparlers en traversant la route.
— Hep, face de morve ! déclara-t-il de but en blanc avec son arrogance coutumière. Ecarte-toi de cet enfant !
Contre toute attente, le démon s’arrêta et posa un doigt sur sa bouche en émettant un sifflement chuinté.
— Shhh, elle s’est endormie.
— J’ai dit : dégage !
Spike le repoussa violemment des deux mains et le démon alla percuter dans sa chute un brasero de rue qu’il renversa dans un grand fracas de flammes. Celles-ci commencèrent à se répandre tout autour avec un feulement avide et force crépitements – faisant fuir les deux clochards qui essayaient péniblement de s’y réchauffer.
Le dos aux flammes, la créature se releva et tendit un doigt moralisateur levé dans sa direction.
— Comment oses-tu ?
Puis marchant droit sur Spike, il lui colla une droite foudroyante dans la mâchoire.
Passant une main sur sa figure, le blond peroxydé constata du bout des doigts que sa physionomie venait de muter en un instant, libérant le visage de son propre démon intérieur : front plissé, yeux jaunes, pommettes saillantes et longues canines acérées.
—Là on y est ! répondit-il en revenant à la charge.
Fonçant sur le ravisseur du bébé, il entama le combat avec lui. Crochet du droit, prise en cisaille avec les jambes… A force de sollicitations, ça n’avait pas raté ! Sa botte émit un craquement sinistre comme il la balançait dans les gencives du démon.
En le voyant par terre, Spike pensa à tort que l’autre avait son compte et commençait à remettre de l’ordre dans sa tenue quand son adversaire le saisit traîtreusement par l’arrière, en tirant sur ses cheveux.
— Pas les cheveux ! PAS LES CHEVEUX ! cria le vampire en levant les mains car sa récente décoloration capillaire lui faisait toujours un mal de chien.
Méprisant totalement l’avertissement, le démon lui fit embrasser vigoureusement le pied voisin d’un réverbère en fonte. Cette fois, il avait définitivement passé les bornes. Spike vit rouge et se releva lentement avec une physionomie générale plus menaçante que jamais.
— Ok, maintenant je suis en colère...
D’un dernier coup de pied, le vampire fit craquer les os du thorax de son agresseur en le réexpédiant par terre. Groggy, le démon resta une minute à genoux à essayer de reprendre son souffle, à côté de la poussette.
— Ok t’as gagné, gronda-t-il finalement, comme il retrouvait l’usage de la parole.
Il se remit sur pied et souleva le gamin pour le brandir devant lui. Spike se figea et reprit aussitôt son visage humain.
— Tu le veux ? fit le démon. Prends-le donc ! Il sent mauvais de toute façon !
Et il jeta le bébé tout droit dans les flammes ! Un instant stupéfait, le cerveau du vampire en panique hésita entre deux options : régler son compte à la créature ou sauver le bébé ?...
— Et puis merde !
Comme ses réflexes étaient bons, il plongea dans les flammes, les mains tendues vers l’enfant qu’il récupéra à temps avant qu’il ne s’écrase au sol. Avec des gestes doux, il le plaça précautionneusement dans le col ouvert de son manteau de cuir pour le protéger et, le tenant serré contre sa poitrine où aucun cœur ne battait, affronta les flammes qui faisaient rage tout autour.
Non loin, il entendit retentir le cri vibrant de désespoir de la mère, témoin de toute la scène et qui n’espérait sûrement pas revoir sa petite fille vivante. Emergeant alors des flammes, il donnait inconsciemment l’image parfaite d’une madone infernale avec ce bébé sur la hanche, alors qu’un large sourire de victoire éclairait son visage… redevenu vampirique !
En le voyant sortir tout fumant de l’incendie, la mère, un instant pleine d’espoir, ne dit rien tout d’abord, une main incrédule portée à sa bouche. Mais comme il approchait pour lui redonner son enfant, elle ne tarda pas à s’époumoner en le traitant de monstre.
Portant une main vérificatrice à sa joue, Spike soupira. Chiottes ! Il avait encore morphé sous la poussée d’adrénaline…
— Je suppose que vous ne voulez pas entendre parler d’une récompense… demanda-t-il à tout hasard d’une voix rendue plus grave par la mutation.
La mère du petit se mit à hurler « Police ! » et Spike, résigné, déposa le nourrisson à ses pieds.
— D’accord. C’est bien ce que je pensais.
Et il déguerpit avant qu’elle ne rameute tout le quartier pour le jeter à ses trousses.
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Tandis qu’il remâchait sa frustration face à ce monde rempli d’ingrats, tout en mourant toujours de faim, les pas de Spike l’avaient insensiblement conduit jusqu’au seul lieu de tout Greenville où il devinait qu’on lui réserverait peut-être le meilleur accueil du coin : la maison de Dylan.
Aussi ne fut-il pas réellement surpris lorsqu’elle apparut bien vite dans l’encadrement des rideaux vermillon d’une fenêtre de son premier étage. Elle l’ouvrit pour l’interpeler.
— Qu’est-ce que vous faites ? Un piquet de grève devant chez moi ?
— Dylan ?... Je passais justement dans le coin…
— Oui j’ai bien vu. Et vous êtes enfin décidé ?
— A quoi ?
— A entrer !
Quand elle lui avait ouvert, elle portait un simple tee-shirt vert sur un jean. Etait-ce la contemplation de sa saine et simple beauté ou son invitation à franchir le seuil de sa maison qui lui donnait ce frisson si caractéristique des grandes expectatives ? Il n’aurait su le dire.
— Je suis si contente que vous soyez passé me voir, William, babillait-elle. Est-ce que je peux vous appeler Bill ?
— Sous aucun prétexte… répondit-il en découvrant la pièce à vivre de son modeste intérieur.
Là, adossés à un mur dans un coin du salon, il repéra une pile de quelques tableaux aux couleurs vives qui lui permirent de trouver de quoi alimenter la conversation. A défaut d’autre chose.
— Ce sont les vôtres ? demanda-t-il poliment.
— Oh… Oui ! Ce sont les derniers que j’ai peints.
Manifestement ravie de pouvoir parler de sa passion, elle se pencha gracieusement pour saisir une nature morte en expliquant qu’elle l’avait faite le matin même, avant de lui tendre une autre toile présentant un couple de moineaux qui selon elle, était sa préférée... Les mains dans les poches, Spike considérait attentivement les toiles naïves d’un air songeur.
— Ça fait si longtemps maintenant… J’avais oublié comme ça pouvait être beau pendant la journée.
Elle esquissa un ravissant sourire en baissant les yeux sur ce qu’elle avait peint, comme pour vérifier qu’il regardait bien la même chose qu’elle.
— Vous dites des choses vraiment très bizarres !
Il allait protester mais fut stoppé net dans son élan. Son regard venait de tomber sur le mur près de son meuble bibliothèque. Avec angoisse, il vit qu’y était accroché un énorme miroir au cadre de bois doré… où, bien sûr, il ne se reflétait pas !
— C’est un sacré grand miroir que vous avez là ! s’étrangla-t-il un peu, apparaissant soudain inexplicablement mal à l’aise.
— Oui, ça permet d’apporter plus de lumière à la…
Il pouvait ruiner toutes ses chances en moins d’une seconde chrono… En désespoir de cause, Spike sortit les mains de ses poches et attrapa aussitôt la jeune femme aux épaules pour qu’elle reste de dos et ne remarque pas l’absence de son reflet près du sien. Il préférait éviter que ne se posent trop tôt les questions qui fâchent…
— Fermez les yeux tout de suite ! intima-t-il d’un ton pressant.
— Et pourquoi diable ? se rebiffa-t-elle sans comprendre, les sourcils légèrement froncés.
— Faites-moi confiance, c’est tout ! répondit le vampire en quittant la pièce immédiatement.
Elle rouvrit les yeux très vite et le chercha. Où était-il passé ?
— William ?! Mais qu’est-ce que vous faites dans la cuisine ?
— Euh… Pour être honnête, je déteste… je déteste les miroirs. La tête que j’ai m’insupporte vraiment…
Elle le rejoignit dans la cuisine et tâcha de l’encourager patiemment avec un demi-sourire indulgent :
— Allons, revenez dans l’autre pièce enfin…
— Jamais de la vie ! se buta-t-il d’un ton catégorique.
En voyant cela et peu désireuse de braquer davantage son excentrique invité, elle haussa une épaule et attrapa une veste sur une patère de l’entrée.
— OK. Vous êtes vraiment spécial… Sortons alors, si vous ne voulez pas rester. J’avais envie de vous montrer quelque chose d’exceptionnel.
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Projetant sa lueur blafarde au-dessus de Greenville, une lune décroissante s’était levée au-dessus d’une barre d’immeubles tout proches. Ils foulaient une petite étendue herbeuse à la sortie de la ville. Un parc naturel, peut-être. On y voyait juste un bel arbre surplombant une petite colline et c’est là qu’elle avait l’air de vouloir le conduire. Seul le couinement désespéré de la botte moribonde de Spike perturbait le silence de la nuit.
— C’est un olivier. Est-ce qu’il n’est pas magnifique ? Le seul à des kilomètres à la ronde.
— Qu’est-ce qu’il fait là ?
Ils venaient enfin de faire une pause près de l’arbre dont le vampire toucha du plat de la main l’écorce rugueuse.
— Je n’en ai pas la moindre idée, avoua-t-elle simplement. Mais il est splendide, non ? Quelqu’un a dû le planter là il y a des années, pour une occasion spéciale. On ne saura jamais pourquoi. Mais je l’adore. Il est si mystérieux !... Un peu comme vous, ne put-elle s’empêcher d’ajouter.
— Vous n’imaginez pas combien…
— Alors, c’était ça ! Vous avez un secret ! dit-elle toute contente en croyant l’avoir percé à jour. Je le savais ! Un lourd et ténébreux secret ! Je peux savoir ?
Il refusa en secouant la tête avec un léger sourire avant de s’appuyer de l’épaule sur l’arbre.
— Non, non, non. Jamais de lourd et ténébreux secret au premier rendez-vous, ma belle.
Son petit poing contestataire piqué sur la hanche, elle contre argumenta aussitôt avec amusement :
— Mais ce n’est pas notre premier rendez-vous, c’est le second !
— Non, c’est bien le premier ! La nuit dernière ne comptait pas…
Par un fait extraordinaire, la distance entre eux s’était considérablement réduite, peut-être parce qu’il parlait d’une voix étonnamment douce qui l’incitait à s’approcher pour mieux l’entendre.
— Et pourquoi non ? questionna-t-elle en fixant ses beaux yeux clairs qui la fascinaient.
— Parce que la nuit dernière, on ne s’est pas embrassés… répondit-il avec la tranquille assurance de ceux qui énoncent une évidence.
Voyant où il venait en venir, elle se croisa les bras pour répondre avec aplomb :
— Mais à ce compte-là, ce soir non plus !
— La nuit est encore longue, répondit-il avec une touche d’espoir, en détournant les yeux pour estimer l’heure à la couleur du ciel.
Elle le fixait avec une légère hésitation, pas vraiment sûre qu’il sous-entende ce qu’elle comprenait. Son discours aurait été assez clair, si on attitude n’avait pas été aussi réservée.
Histoire de faire quelque chose pour atténuer un peu la tension légère mais agréable qui commençait à s’installer entre eux, elle vint s’asseoir dans l’herbe sous les branches tandis qu’il restait près de l’olivier. Derrière, elle. A une distance suffisante de sa jolie nuque.
— Alors c’est pour ça que vous m’avez amené ici ? demanda-t-il prudemment. Pour voir un arbre ?
— Oh, non ! Ce n’est qu’une fraction du cadeau complet. Mais pour la suite, il va falloir attendre un peu.
Il s’assit à son tour, mais toujours à distance prudente de la tentation qu’elle offrait pour toutes ses faims.
— Pas de problème.
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Non loin de là, le démon cornu aux yeux de glace venait d’emprunter la dernière rue déserte qui le mènerait bientôt à sa destination. Dans sa grande main griffue, il tenait celle d’un autre bambin blond qui trainait la patte en gémissant qu’il voulait sa maman… Malgré des encouragements que le démon voulait un minimum affectueux, le petit n’arrêtait pas ses jérémiades. Il le souleva alors d’une main comme s’il ne pesait rien pour lui parler au visage et mettre les choses au clair.
— Allons, chut maintenant ! Mon joli petit ! C’est moi ta nouvelle maman ! Je te donnerai tout ce dont tu as besoin !
Ils étaient à présent en vue de la cabane où il mettait les autres, au fond d’un petit parc tranquille. Le garçonnet avait fini par se taire. Une main posée sur l’épaule de l’enfant pour le pousser dans la bonne direction, la créature lui ouvrit la porte pour le faire entrer et se permit d’ajouter d’un air terrifiant :
— Mais aussi longtemps que je pourvoirai à tes besoins, tu feras la même chose pour moi !
Il claqua la porte et laissa l’enfant enfermé dans le noir.
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S’étant assise délibérément plus près de Spike, Dylan s’était résolue à faire le premier pas puisqu’il avait l’air aussi timide.
— Je vous propose un marché.
— Dites-moi...
— Votre secret contre un baiser !
Il poussa un léger soupir résigné et ferma les yeux. Il était hors de question qu’il avoue ce qu’il était à cette mignonne complètement inconsciente. Y avait-il un moyen d’atténuer la vérité plutôt que de mentir encore ?
— Ce que je peux vous dire, c’est qu’autrefois... je n’étais pas quelqu’un de bien. Je croyais que j’agissais ainsi pour me protéger mais en réalité je ne faisais que du mal aux gens… admit-il, les yeux perdus au loin, comme s’il contemplait les souvenirs qu’il évoquait à mots couverts.
Elle l’écoutait attentivement. Il y avait une certaine compassion dans le mouvement de ses sourcils. C’était étrange de pouvoir le ressentir aussi clairement maintenant. Même s’il avait vraiment le sentiment de ne rien mériter de tout ça.
— Mais aujourd’hui, je me suis un peu… réveillé et j’essaie plutôt de les aider.
Comme elle ne disait rien d’autre, il tourna la tête vers elle, l’air interrogateur. Elle lui tendit le puits profond de ses yeux noirs et ses lèvres qui souriaient doucement.
— C’est plutôt pas mal, murmura-t-elle avec gentillesse.
Au moment où leurs lèvres se joignirent pour un baiser beaucoup plus doux que tous ceux qu’il avait pu connaître récemment, il ressentit comme une chaleur tiède lui picoter la joue mais qu’il ne chercha pas à identifier tout de suite, juste pour s’abandonner au moment présent et à ce qu’il lui offrait… autant que sa nature le lui permettait.
Quand ils se séparèrent, il se surprit à penser qu’un peu moins de passion furieuse et de morsures, ce n’était pas désagréable non plus. Mais comme il ne trouvait pas les mots pour lui dire ce qu’il ressentait, il demanda plutôt :
— Est-ce que c’était pour ça que tu m’as fait venir jusqu’ici ?
Le joli visage de Dylan était tout illuminé par la lueur ambrée du matin qui montait de l’ombre.
— Non. Regarde ! Ça commence… lui souffla-t-elle.
Le ciel était devenu translucide comme derrière les immeubles, un grand soleil pâle commençait son inexorable ascension : l’aube était le véritable cadeau que la belle voulait lui offrir.
— C’est la chose la plus belle que j’ai jamais vue, commenta-t-elle en le regardant d’un air heureux.
— Oui, c’est un spectacle incroyable, convint-il pendant une longue seconde avant de déclarer sans autre explication : Il faut que je file !
Rabattant son manteau sur sa tête, il se leva pour partir en hâte. Ses mains exposées aux cruels rayons fumaient déjà légèrement. Derrière lui, Dylan était désemparée. Comment ne l’aurait-elle pas été ?
— Spike ! Spike ! Qu’est-ce qui se passe ? Spike, attends !
Le vampire gagna rapidement le fond du parc où des ombres protectrices s’allongeaient encore auprès d’autres grands arbres, moins rares et moins précieux.
— Pauvre imbécile ! murmurait-il pour lui-même. Tu n’apprendras donc jamais ?
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