Spike, dans la lumière
Chapitre 3 : C3 : Cent mille dollars au soleil
3255 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 12/11/2020 18:34
CHAPITRE III : 100 000 dollars au soleil
Il sauta par-dessus une palissade en bois et sa semelle émit une protestation ignoble et mouillée. Il se réceptionna malgré tout sans encombre, juste le temps que son ouïe plus développée que la moyenne ne perçoive des pleurs discrets, relativement proches de là où il se trouvait. Un enfant appelait sa mère et demandait de l’aide. Il avait dû faire un peu de bruit en atterrissant ; quelqu’un s’en était rendu compte et se signalait…
Se dirigeant au son, il s’approcha d’une cabane dont il arracha la porte sans effort. Les petits yeux suppliants et apeurés de cinq enfants, dont un nourrisson, clignèrent dans la faible lumière du matin naissant. Spike n’eut pas le temps de finir de leur demander des explications sur leur présence dans ce trou à rats puant, car une voix rugit dans son dos.
— Toi ! Eloigne-toi de ma famille !
Se retournant pour voir à qui il avait affaire, Spike reconnut le démon cornu qui avait changé depuis la dernière fois : six tentacules épais et frangés comme de petites capes lui étaient poussés sur le dos et il avait perdu son pantalon ! Il n’en finissait plus de se transformer ! Au bout de son bras, pendait un nouveau tout petit bébé brun vêtu d’une barboteuse bleue et dont le sang commençait à affluer à la tête, à force d’être tenu à l’envers.
— Lâche ce petit, sac à morve ! répliqua Spike aussi sec en ôtant son manteau de cuir pour se battre plus à l’aise.
Le vampire se précipita sur le démon qui se trouvait – malheureusement pour lui – en plein soleil levant et engagea le combat au son de ses rugissements furieux. A se battre ainsi en terrain trop lumineux, la créature le mit vite en fâcheuse posture. La peau de Spike fumait dangereusement mais il réussit malgré tout à assommer son opposant. Pour combien de temps, rien n’était moins sûr ; il avait déjà prouvé qu’il était coriace.
Derrière lui, Dylan, attirée par les échos de la bagarre, venait d’arriver sur les lieux et il en profita pour lui confier le bébé.
— Spike, tu brûles ! s’écria-t-elle.
— Attrape les enfants et fuyez ! ordonna-t-il tout en remettant son manteau pour se protéger.
Pendant la cavalcade pour revenir vers la ville, alors qu’ils portaient chacun un petit et que les plus âgés les suivaient de leur mieux sur leurs courtes jambes, Dylan eut le temps de lui demander ce qu’était cette chose qui les poursuivait.
— Je ne sais pas du tout !... reconnut-il en lançant derrière eux un regard nerveux pour voir s’ils n’étaient pas suivis. Pour ça il me faudrait, une sorcière, un petit génie de l’informatique… ou un bibliothécaire !
Mauvaise surprise : ils butèrent bien vite sur le démon qui, ayant coupé par une autre rue, leur faisait face à nouveau ! D’une main, ce dernier saisit le vampire au col et de l’autre, il récupéra le tout-petit qui commençait à devenir un peu bleu, une fois remis la tête en bas.
— Rends-moi mes bébés ! intima-t-il en les secouant tous deux. Trouve-toi en tout seul !
Spike grimaça et son visage muta tout d’un coup.
— Je me suis pris d’affection pour les tiens, mon pote !
Et dévoilant ses crocs démesurés, il fit ce dont il avait envie depuis un bon moment : mordre le poignet du démon pour lui faire lâcher sa prise sur le petit. Le démon rugit de douleur et de surprise, ce qui permit à Spike de réceptionner le bébé.
— Attrape ! dit-il en le lançant à Dylan qui écarquilla les yeux.
— Spike ! Ton visage !
— Mes petits chéris ! gémit le démon cornu en voyant tous les enfants lui échapper.
Le vampire ne le laissa pas les poursuivre : il entrava les jambes de la créature à l’aide de ses deux bras pour l’abattre au sol. Quant elle fut à terre, il ne parvint pas à se contrôler davantage... Le crâne de Spike commençait à s’enflammer mais il s’en fichait. Juché sur le dos du démon maintenu au sol, il tira sa tête vers l’arrière pour dégager son cou puissant.
— Ah ! Enfin un repas décent ! jubila-t-il d’une voix rendue trop rauque par l’impatience.
Les petits se cachèrent les yeux ou la bouche de leurs mains, soit pour ne pas voir, soit pour ne pas crier d’horreur.
Mais dès que la première goulée de sang emplit sa bouche et coula dans sa gorge, le vampire comprit son erreur. C’était infect ! Ce truc avait un goût de levure de bière !
Le démon rassembla ses forces et s’ébroua pour se débarrasser de sa sangsue, projetant Spike droit par-dessus la rambarde élevée d’un balcon voisin. Quand il se remit sur pied, le vampire apprécia de pouvoir dominer la situation perché sur son rebord. Et au moins, il était loin du soleil…
— Hey, Monsieur Mucus, le provoqua-t-il pour détourner son attention des autres. Tu n’as plus l’air si grand vu d’ici. Pourquoi ne pas être raisonnable maintenant et jouer plutôt avec quelqu’un de ta catégorie ? Les enfants d’ici ne t’apprécient pas !
La réaction du démon, tout à fait indigné d’avoir été mordu, ne se fit pas attendre : il étendit ses bras en l’air et se saisit d’un bord du balcon de fer d’où Spike le narguait. Avec une traction de ses bras puissants, il l’arracha du mur de l’immeuble pour le faire tomber sur le trottoir, déséquilibrant le vampire de son perchoir. Il fut éjecté en avant vers le sol, et dès qu’elles furent touchées par les rayons du soleil, sa tête et ses mains refirent un nouveau feu de joie.
A partir de ce moment, le démon le battit comme plâtre, le rouant de coups ou l’envoyant briser quelques vitrines en lui recommandant de lâcher l’affaire. Puis quand il estima que le « flamboyant » vampire avait son compte, il l’abandonna sans autre forme de procès. Il voulait juste qu’on l’aime, après tout.
Brûlée au troisième degré, la peau de Spike était dans un état horrible, semblable à une effrayante bouillie magmatique rouge. A bout de forces et quémandant son aide, il tendit une main implorante vers Dylan qui s’était figée à sa vue.
— Mais qu’est-ce qui se passe ici à la fin ? Par tous les diables, qu’est-ce que tu es ?
— Je peux t’expliquer…
— Ne bouge pas ! lui ordonna-elle en se reculant.
Rassemblant les enfants autour d’elle, elle s’empressa de les entrainer loin de lui, pour les emmener là où ils seraient tous sains et saufs.
Continuant de brûler inextinguiblement sur le bord de la route, Spike rejeté de tous, s’effondra face contre terre.
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« J’arrive à peine à comprendre comment je ne suis pas mort. Pourtant, à tout prendre, j’aurais franchement préféré. Pas tellement à cause de la douleur, non. Pour ça, j’avais connu bien pire…
Mais me faire tabasser devant mon flirt au premier rendez-vous… ça c’était minable !
Donc. J’ai trouvé refuge dans une cachette au fond d’une cave où je me suis terré pendant quelques petites semaines, le temps de me refaire une santé... Dieu merci, il y avait des rats. Ce n’est pas trop mauvais quand on a suffisamment faim. Ça a un goût de poulet.
Une seule et unique pensée me permettait de tenir pendant ce temps, brûlant toujours sans répit au creux de mon esprit enfiévré : cent mille dollars ».
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Le visage à demi défiguré de Spike était éclairé par le bout rougeoyant d’une cigarette fichée au coin de son rictus satisfait. Son sourcil gauche, déjà coupé par une précédente cicatrice, était à présent mangé par le masque de cuir froissé de sa peau qui n’avait pas complètement récupéré de ce côté-là. Pour moitié, il avait un peu la tête de Freddy Krueger…
Posté à l’angle d’une rue perpendiculaire donnant sur le magasin du prêteur sur gages, ses yeux plissés révélant une détermination et une avidité intactes, il réfléchissait intensément à ses options en tirant sur sa cigarette.
Il ne pouvait pas cambrioler la boutique, ni tuer les propriétaires ; avec sa nouvelle âme, la sensation aurait été horrible… Est-ce qu’il pouvait mentir ? Il imaginait sans peine qu’il pourrait vivre avec un mensonge sur la conscience !… Sauf que Buffy, elle, n’aurait jamais fait ça...
Il fallait bien manger, pourtant, mais comment ?Au bout d’un moment, à force de tourner le problème dans sa tête, la solution parfaite lui apparut enfin : il allait marchander !
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Derrière le comptoir du magasin, il y avait un vieil homme discret vêtu d’une chemise de soie rouge qui l’était moins et d’un chapeau assorti ourlé de noir. Ses petits yeux de myope enfoncés, derrière ses lunettes rondes, le regardaient sans la moindre expression. Le propriétaire, probablement.
— Bonjour, patron ! La boutique est à vous, n’est-ce pas ? Et bien, j’ai une offre à vous faire ! Que diriez-vous si je pouvais vous obtenir cinquante mille dollars en quelques minutes ! Et tout ce que je demande en échange, c’est de… creuser un peu votre plancher. Alors, qu’est-ce que vous en dites ?
— Mais de quoi parlez-vous, jeune homme ?
— Je parle de nous rendre riches tous les deux ! Il n’y a aucun risque pour vous, je vous en donne ma parole ! déclara Spike avec une infernale bonne humeur tant il était satisfait de son plan.
— Partez s’il vous plait, lui enjoignit doucement le vieil homme.
Le vampire laissa tout de même apparaître une certaine stupéfaction. Cette réaction n’était pas du tout celle qu’il anticipait… C’était une offre qu’il estimait vraiment très sérieuse, parfaite en tous points et il comprenait mal qu’on puisse la rejeter sans examen d’un simple revers de la main...
— Mais… qu’est-ce que vous voulez dire avec votre « partez » ?
Ce fut beaucoup plus clair juste l’instant qui suivit. Le rideau menant à l’arrière-boutique s’ouvrit, laissant le passage à la vieille petite chinoise à laquelle il avait déjà eu affaire. Son dos s’en souvenait encore. A voir l’expression contrariée qu’elle arborait, nul doute qu’elle l’avait reconnu aussi !
— C’est lui l’homme bizarre, Chow ! Le méchant clochard dont je t’ai parlé et qui voulait saccager notre magasin !
— Non, attendez une minute ! protesta Spike en levant les mains comme son balai réapparaissait quasi magiquement entre ses vieux doigts osseux.
— Dehors ! Dehors ! Retournez à l’hôpital vous faire soigner ! Vous ne trouverez pas d’aide ici !
Elle lui renouvela ses vifs encouragements en lui tapant dessus avec son foutu balai pour le pousser – à nouveau – droit vers la sortie.
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Tout en se grillant nerveusement une énième cigarette, il contemplait tristement le magasin et ses aguicheuses perspectives qui menaçaient de lui échapper par la faute d’un vieux bout de bois. Certes, il n’était pas du genre à plaisanter avec les bouts de bois, surtout s’ils étaient pointus… Un accident était si vite arrivé… Mais ses mains en tremblaient tant il avait faim !
Il essayait d’être gentil mais qu’est-ce que ça lui rapportait ? Rien du tout ! A cette minute, il n’avait qu’une envie impulsive et impérieuse : déchirer de ses dents la gorge de cette vieille râleuse !
Frissonnant, il essaya de se secouer et se dit qu’il fallait essayer encore en tentant une autre approche. Il ne pouvait pas rester sur ce nouvel échec. Il entra à nouveau dans le magasin d’un pas décidé et leur dit tout de suite avant qu’ils n’aient le temps de rien objecter :
— Ecoutez, je ne veux rien, juste que vous m’écoutiez… Sous votre plancher, il y a à peu près cent mille dollars et c’est moi qui les y ai mis. Alors voilà, vous pouvez tout garder mais je veux juste être là quand vous les sortirez, c’est d’accord ?
Le vieux couple se consulta du regard d’un air suspicieux et cupide à la fois. Puis le vieux chinois se tourna posément vers sa femme :
— Ming, peux-tu me laisser regarder un instant ?
Tandis que le vieil homme s’agenouillait pour soulever sans difficulté une dalle carrée du faux parquet, sa femme continuait à tenir Spike en joue du bout de son balai agressif, en lui recommandant bien de ne faire aucun mouvement brusque. La voix du vieux Chow s’éleva soudain :
— Oh mon dieu, Ming !
Spike et la vieille tournèrent simultanément une tête intéressée dans sa direction, alors qu’il se relevait en tenant dans ses deux mains trois liasses épaisses de billets verts.
— Le vagabond disait vrai ! s’écria-t-il avec surprise.
La vieille chinoise n’en revenait pas et Spike se croisa les bras, arquant un sourcil satisfait et vaguement suffisant.
— Si vous voulez m’offrir une récompense, ce sera bien volon…
— C’est notre argent ! le coupa aussitôt sèchement la vieille. Et ceci est notre magasin, pas le vôtre !
— Mais…
Pendant que le vieux sortait les liasses une par une pour les empiler en un monticule conséquent, elle chassa une dernière fois le vampire, selon sa bonne vieille technique.
— Je vous ai dit de sortir ! Dehors, fainéant ! J’appelle la police !
— Arrêtez de me frapper ! grimaça Spike en se faisant claquer la porte au nez.
Elle obtempéra quand il fut sur le trottoir. Le panneau « ouvert » passa aussitôt sur « fermé » et le vampire frémit de rage en soupirant :
— Oh ça, c’est le pompon ! J’aurais dû m’en douter !
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Les mains dans les poches et les épaules lasses, il commença à remonter la rue en ruminant cette nouvelle défaite humiliante. Du bout de sa botte béante, il défoula sa frustration en dégageant méchamment une pauvre canette vide qui restait en travers de son chemin. A quoi bon rester ici maintenant ?
— Ingrats ! Tous des ingrats ! Tous autant qu’ils sont ! grommela-t-il.
Derrière lui, pourtant, de petits pas très légers qui se rapprochaient résonnèrent sur le pavé.
— Jeune homme ! Attendez !
Spike se retourna avec étonnement. Le vieux Chow l’avait suivi, levant une main en signe d’apaisement.
— Je suis désolé, pour ma femme. Elle a eu une vie très dure, c’est difficile pour elle de faire confiance…
— Ça j’avais cru remarquer !
— Je vous ai vu l’autre soir. Vous regardiez ces bottes dans la vitrine… poursuivit le vieil homme en clignant des yeux obliquement derrière ses petites lunettes rondes.
Il s’approcha et posant une main sur l’épaule du vampire, il les leva pour les lui offrir.
— Faites-moi plaisir, prenez-les. Vous êtes un homme bon.
— Oh, n’en parlons plus ! répondit Spike avec une surprise ravie alors que le vieil homme lui remettait la paire presque neuve avant de le laisser.
Tenues attachées par les lacets, il les hissa nonchalamment à son épaule, avant de s'en retourner d'un pas plus léger mais résolu. Il valait sans doute mieux qu'il parte tant qu'il était encore temps, tant que c'était toujours possible, et qu'il rentre chez lui avant que d'autres bonnes personnes n'aient encore à souffrir par sa faute...
La lune triomphante était pleine et éclairait brillamment son chemin. Il reprit sa route pour regagner la rue principale, et sans doute tourner définitivement la page sur Greenville.
ÉPILOGUE
Debout devant une petite maison de bois, un livreur matinal en uniforme, portant une plante en pot dans un panier d’osier blanc, se mit à frapper énergiquement à la porte. Il repoussa la casquette de son uniforme à l’arrière de sa tête en voyant la jeune beauté brune qui venait lui ouvrir, pas encore bien réveillée et serrant son peignoir rose au niveau du cou.
— Des fleurs pour vous, Miss ! déclara-t-il ravi en lui tendant le panier où s’épanouissait une plante aux feuilles violettes et aux petites fleurs blanches.
— Vous êtes sûr ? s’étonna-t-elle.
Le livreur opina et lui tendit un crayon avec son bordereau clippé sur un porte-document rigide.
— Signez ici, s’il vous plaît.
Elle obtempéra avec perplexité et le laissa partir. Fermant la porte, elle vint déposer la plante sur la console où trônait son grand miroir. Il y avait une carte pliée en deux piquée en son cœur. Elle l’ouvrit, un peu intriguée et découvrit les quelques lignes suivantes :
« Cadeau d’adieu de la part d’un survivant. Ne la laisse pas à l’ombre car, pour sa part, elle adore la lumière. Fais attention à toi, William. »
FIN
Cette fic était une expérience.Le défi : traduire et novéliser une bande dessinée en anglais sortie en août 2014 (Spike into the light), dont le scénariste n’est autre que… James Marsters. Si vous n’avez pas eu l’occasion de l’acheter, peut-être en aurez-vous envie ensuite. Le dessin est bon. Tout fan a le droit le plus entier d’imaginer ses propres histoires à propos des héros de « Buffy », mais voir Spike par les yeux de celui qui l’avait si intimement côtoyé… j’admets que c’était une perspective assez alléchante.Dans la droite ligne des disclaimers habituels, cette fanfic m'appartient donc encore moins que toute autre... Je n'ai évidemment rien changé au scénario qui, de l'aveu même de l'auteur n'avait pas l'ambition d'être une grande épopée, mais juste une petite aventure sans prétention. Cependant, une BD n'étant par essence qu'un simple recueil d’images et une suite de dialogues minuscules casés dans des bulles, pour la porter en courte nouvelle sans trop susciter l’ennui, il a bien fallu que j’ajoute quelques descriptions et pensées de mon cru, absents du script original mais qui, j’espère, pouvaient rester plausibles pour ce personnage à ce moment troublé de son histoire.