Shanshu II - Wolfram & Hart

Chapitre 27 : Chapitre 27 RETOUR AUX SOURCES 1ère partie

20102 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a 6 mois

                       Chapitre 24 RETOUR AUX SOURCES - 1ère partie

 

 

Alex.

                                                            

Nous y voilà. Où ? Là où on doit être...j’imagine. Enfin, là où nous sommes, c'est déjà plus exact. C'est l'évidence même, et la seule certitude qui s’impose, là, tout de suite. Nous marchons dans ce qui s'apparente à des ruines d'un ancien bâtiment, en plein cœur de Los Angeles, au nez et à la barbe de ces milices qui, tout à coup, me semblent bien moins terrifiantes que dans mes souvenirs. Après avoir affronté des sorcières et tout le folklore magique, la vie réelle m’apparaît, comment dire... moins lourde à porter. Avoir une armée de Mages à nos côtés, forcément, ça rassure. J'ai tendance à penser qu'ils peuvent tout faire et défaire, créer et disloquer à leur gré, comme des Dieux ou des façonneurs de monde. Ils ne sont rien de tout ça. Pour avoir côtoyé Willow depuis l'enfance, j'affirme qu'eux sont dépendants du monde qui les façonne.

 

Comme les spartiates en leur temps, nous sommes légion et nous marchons. Leina et moi occupons l'amont de la horde, qui s'étend silencieusement derrière nous. Buffy et Willow nous devancent de quelques pas, et nous suivons leur trace, comme au bon vieux temps. Dans la pénombre comme dans la vie, la tueuse demeure ma boussole. Mon regard est attiré par ses cheveux dorés, légers, qui flottent sur la faux écarlate accrochée à son dos. Malgré le poids des années, elle n'a rien perdu de son charisme. Bien au contraire. Quelque part, je ne sais pas si c'est de l'admiration que je lui porte, ou des relents de sentiments refoulés d'un autre temps. Du loin de ma mémoire, elle m'a toujours attiré, et si l’amitié a définitivement pris le pas sur le sentiment amoureux, il se peut que ces concepts, aussi abstraits soient-ils, se perdent dans des itérations plus complexes.

 

Derrière, j'entends quelques poursuivants se prendre les pieds dans les résidus de verres brisés et autres bouillies d'atomes défragmentés, le tout ensevelis sous un manteau de poussière, figé dans la matrice de ce labyrinthe lugubre. C'est étrange, mais après tout ce que j'ai vécu ces derniers temps, je ne serai pas étonné de tomber sur le Minotaure ou autre créature mythologique. Car si la vie m'a appris une chose, c'est que l'homme n'a rien inventé, et si c'est le cas, il était en dessous de la réalité. Qui aurait pu imaginer que « ma sorcière bien-aimée » un vieux sitcom des années 60, retracerait en partie l'histoire de ma vie aujourd'hui ?

 

Quand je tourne le regard, je la vois se tenir fièrement à mes côtés, à la fois fragile et incroyablement forte. Elle sait que je l'observe, mais elle ne me renvoie pas le change. Elle reste fixée sur sa propre boussole, rousse et fibrée de contraste verdoyante. Pas besoin de se parler, ni de se regarder pour se comprendre. Si le silence planait sur nous, il s'accorderait à chanter sur la même tonalité, mais le sienne vibrerait plus intensément.

 

Leina.

  

Difficile de se traîner sans risquer une foulure dans cette obscurité morbide. On progresse à tâtons, lentement, prudemment vers l'inconnu, et les surprises ont tendance à ne plus piquer ma curiosité. La stabilité d'une vie ordinaire me manque. Rien ne se passe pendant des années, et tout à coup, tout s’accélère, tout part à volo, et ça nous prend aux tripes et au dépourvu, si bien que les choix qui s'imposent à nous ne sont jamais les bons. Je ne sais pas où je vais, mais heureusement, les traceurs que sont Spike et cet homme dégarni, un ancien compagnon de route, si j'ai tout assimilé en prêtant  l'oreille ici et là, ont l'air de savoir où ils vont.

 

Pour revenir à ce Charlie boy, comme aime à le nommer le vampire, Faith semble l'avoir déjà rencontré. Lorsqu'elle l'a vu, ils se sont pris dans les bras, et les accolades, c’est pas vraiment son genre. Ça n'avait pas l'air de plaire à la jeune femme légèrement délurée qui l'accompagnait, pourtant, à bien les observer toutes les deux, on sent qu’elles partagent un je ne sais quoi d’extrêmement commun. Cette Gwen aurait pu être la jeune sœur de Faith dans une autre vie. Quoiqu'il en soit, pas mal de nouvelles têtes nous accompagnent, comme cette fille blonde répondant au nom de Lockley, je crois, et ces types habillés façon hip-hop. Difficile de comprendre comment ils ont pu passer inaperçus. Il faut dire qu'ils étaient présents sur les lieux bien avant nous.

 

C'est plutôt rassurant, et en même temps, je ne vois pas ce que nous cherchons dans les entrailles de ces galeries manquant de s'effondrer, de nous piétiner, ou de nous étouffer à tout moment. La menace peut survenir sous nos pas ou au-dessus de nos têtes. Les timides réactions des uns et des autres répondent au même excès de prudence. Peu d'entre nous savent ce qu'ils font ici, mais beaucoup doivent le ressentir : cet endroit est loin d’être ordinaire. Ces ruines regorgent d'ondes négatives. Si moi, simple sorcière en herbe, je les ressens, alors Willow doit les percevoir aussi. Pourtant, elle n'en montre rien. Elle suit le troupeau sans se poser de question. J'aurais tant aimé qu'elle se retourne pour me faire part de son ressenti, qu'elle me rassure ou au contraire qu'elle confirme mes sens. Au moins pour me prouver que je ne suis pas folle. Mais peut-être le suis-je, après tout. Il faut bien l’être un peu pour retenter l'aventure après tout ce que nous avons vécu récemment. Il faut être folle pour risquer sa vie une fois de plus, en abandonnant lâchement sa fille. Je me déteste.

 

La première fois aurait dû me servir de leçon, mais non, il a fallu que je replonge. C'est quoi mon problème ? Souffrir de folie chronique ou porter le pire costume qui soit pour une femme, celle d'une mauvaise mère. Pendant que je marche, je me demande ce qu'elle fait, ce qu'elle pense, si elle est triste ou si au contraire, Andrew parvient à la faire rire et sourire, à endosser le rôle que nous avons, son père et moi, délaissé.

 

Alex tente de captiver mon attention par des petits regards, mais je n'y réponds pas. Je fais comme si je ne le remarquais pas, et lui fait semblant d’y croire. La colère voilerait mes sentiments, et comme toujours, il en pâtirait. Il encaisserait ma violence. Il trouverait les mots, et je passerais, une fois n'est pas coutume, pour la garce de service. Que dire... Ce serait entièrement justifié, parce qu'il ne calcule pas. Ses réactions, sa personnalité, tout son être est porté par un instinct bienveillant, sans cesse guidé vers un optimisme déconcertant. Alex est pur au sens où il ne triche et ne ment pas. Pour couronner le tout, il ne manque pas de courage.

 

J'ai fait un choix et j'aurais aimé qu'il en fasse un différent. L'un de nous aurait dû rester avec Sarah. Mais comment lui faire comprendre que j'étais de loin la plus disposée à prendre part à la horde. Il se serait senti rabaissé, et je n'ai pas eu le courage de lui infliger ça. Ainsi sont les hommes : toujours à vouloir jouer les héros. Lui n'a pas hésité à me dissuader d'embarquer dans ce foutoir. C'est sans doute pour cette raison que je le déteste de m'avoir mise dans cette position.

 

Quand sa main effleure la mienne, je commets l'erreur de croiser son regard : mielleux, tendre, amoureux.

 

-Ça va bien se passer ! me rassure-t-il sur un ton protecteur.

 

Il me réconforte, et je ne trouve rien d'autre à faire que de mimer un sourire. Son visage, bien qu'effacé, me transparaît comme une lumière au cœur des ténèbres, et c'est pour y ajouter un contraste sombre, noir, indécelable pour qui tendrait l’œil. À cet instant, je sais que nous sommes deux à nourrir ce même fardeau. Pour le meilleur et pour le pire.

 

 

Seyia.

 

Au cœur de la meute, cette sensation tenace de me jeter dans la gueule du loup ne me quitte pas. Les mages constituent le gros des troupes, si l'on met de côté les soldats escortés par Riley, et les hommes de Gunn. Notre excursion dans l'autre monde aura donc servi, à minima, à fortifier considérablement notre puissance de frappe. Cette seule raison justifie tous ces efforts. En plus du retour de Buffy, nous avons considérablement étoffé l'effectif. Les ennemis d'hier réunis pour briller sous la même bannière. Kteal et Willow, marchant côte à côte, on peut dire qu'on revient de loin, mais on l’a fait.

 

Seule ombre au tableau : une équipe composée uniquement d'individualités, fussent-elles de la plus grande qualité, restera vouée à l'échec, sans alchimie ni esprit de sacrifice. J'en sais quelque chose. Marcher dans la même direction ne signifie pas lutter les uns pour les autres, mais c'est tout de même un début. Si ça va prendre ? Nous en aurons le cœur net bien assez tôt. J'ai la sensation que tout commence à prendre forme. Enfin, l'action nous appelle. Enfin, nous déplaçons nos pièces sur l'échiquier. Il était temps. Je commençais à perdre patience, même si tout reste encore très vague, très incertain.

 

Riley avait reçu le signal, et ce fut le point de départ d'un vaste plan d'ébauche pour parvenir jusqu'à ces lieux sans nous faire prendre. Aucune explication ne nous a été donnée, mais le type qui se fait appeler Gunn semble savoir ce qu'il fait. Comme personne ne semble s'en inquiéter, j'ai décidé de ne pas jouer les trouble-fête. Faith et Spike lui font confiance. À la bonne heure, leur jugement fait loi. Nous nous sommes mis en ordre de marche, et pour une raison qui m'échappe encore, je me suis retrouvé à battre la bouillie de pavé dans le ventre mou du serpent, au côté de ce cher Kteal, toujours aussi peu loquace. J'aurais pu prendre la tête avec Buffy et les autres, mais je me sens redevable envers Kteal. Sa présence a le don de m'apaiser. Nos tempéraments, à l'extrême opposés, y sont certainement pour quelque chose. Il possède une sérénité à laquelle j'aspire, et je ne perds pas l'espoir de lui céder un peu de ma vivacité caractérielle.

 

À côté de lui, je me sens toute petite. Sa stature efface la mienne, et sans même me porter un regard, je devance par intuition son intention.

 

-Cet endroit est malfaisant ! dit-il calmement sans puiser dans le registre émotionnel propre aux communs. Une énergie obscure émane de ces débris.

 

-Au moins, on a la certitude de ne pas être ici par hasard.

 

Sans le déceler, j’imagine déjà son sourcil arqué feindre un semblant de réaction. Nul besoin d'appartenir à la confrérie ésotérique pour percevoir les invisibles onduler, tournoyer, s'épancher par tous les pores de nos sens éveillés, tenant le décor défragmenté comme messager. La pression est telle que nous étouffons à trop la respirer. L'appel d'air sur ma gauche m’offre un bref répit. À travers la façade endommagée, nous respirons par instinct, machinalement, à poumons déployés. L'obscurité opaque de l'intérieur s’efface brusquement, pour céder la place à celle, plus pâle, d'une nuit étoilée.

 

J'en profite pour me laisser aller à de plus douces pensées, dont celle de ma rencontre avec l'italien. Je ne l'ai pas revu à mon retour, et c'est sans doute mieux ainsi. Je souhaitais que ce moment de rencontre reste tel qu'il fut : un instant éphémère n'amenant aucune conclusion, n'appelant aucune suite, comme tous ces films numérotés à n'en plus finir, annihilant l'essence même du premier. La vie est faite de rencontres et toutes n'ont pas vocation à perdurer, ou à mener sur un embranchement de finalités utiles.

 

L'ossature du bâtiment reprend ses droits, et l'atmosphère s’alourdit encore et encore, à mesure que je m'éloigne de mes songes.

 

 

Riley.

 

Giles et Ethan ferment la marche, tandis que Sam et moi jouons les garde-fous. Comme dans toutes armée, les plus faibles sont prostrés à l'arrière, sauf que cette stratégie prévaut à la seule condition de faire face à une attaque de front. À trop forcer sur une structure versatile, les derniers arrivés sont souvent les moins bien servis. Une branche ne cède que par l'accumulation des forces à laquelle elle se confronte, à plus forte raison lorsque la structure même de la matière est érodée par le temps. Enfin, j’imagine qu’il faut faire avec. Giles et Ethan nous devancent. L'observateur ne cessera jamais de m'épater. Je l'ai toujours considéré comme un exemple.

 

Sam et moi n'étions pas convaincus de sa participation. Lorsque j'en ai parlé à Buffy, afin qu'elle le dissuade de prendre part à l'aventure, c'est tout juste si elle ne m'a pas ri au nez. Son ami, lui, suscitait moins de débat. Faith m'avait donné une seule directive : faire en sorte que ces deux-là ne s'entre-tuent pas avant d'arriver à destination. Jusqu'à présent, l’absence de dialogue entre eux arrangeait mon affaire. Bien sûr, ce serait encore mieux si Ethan ne draguait pas ma femme à toute occasion, en la couvrant d'éloges shakespearienne avec le charme effronté d'un Britannique zélé débordant de culture jusqu'à l'indigestion. S'il la connaissait comme moi, alors il tenterait une approche plus directe, moins raffinée, plus simpliste. Sam est militaire, et non pas qu'elle ne soit pas réceptive à la beauté du langage, mais elle considère les paroles pour ce qu'elles sont, un artifice conférant à masquer l'essentiel. Les mots ont tendance à glisser sur elle comme les vagues sur les rochers.

 

Mine de rien, Ethan participe à sa façon à détendre l'atmosphère, et dans ce bourbier, ce n'est pas de trop. J'imagine que l'ambiance en queue de peloton est assurément plus légère qu'à la pointe. J'ai appris à apprécier le vampire, mais de là à le supporter au quotidien, c'est bien au-dessus de mes forces, surtout en considérant la nouvelle donne. Bref, restons concentrés. En tant que serre-file, je m'assure de ne perdre personne sur le trajet. Dans cette foutue obscurité, il convient de rester groupé et de ne pas bifurquer. Un pas de côté mal calibré et un drame pourrait aisément survenir.

 

Sam est vigilante, et je dois le rester aussi. Devançant les doyens, je perçois les pas lourds et cadencés des gladiateurs. Ce Trepkos et ce Boon sont impressionnants de puissance brute. C'est toujours rassurant d'avoir des mastodontes de leur trempe à nos côtés, même si je prie, à chacun de leur pas, que le sol ne s'effondre pas.

 

-Troisième ligne décalage gauche, tempère ma coéquipière en remodelant la trajectoire des troupes.

 

Si je suis plus doué dans l'action brute, en tant que soldat, Sam me surpasse sur bien des points. C'est l'une des raisons pour lesquelles je l'admire. Elle anticipe, comprend, et voit tout avant tout le monde. Sa faculté de concentration et d'analyse ferait d’elle un bien meilleur leader que moi. En longeant une énorme fissure dans la façade donnant sur l'extérieur, j'en profite pour analyser notre position. Le moins qu’on puisse dire, c'est qu'une chute de cette hauteur ne serait pas sans conséquence. Je renforce d'autant ma vigilance.

 

...J'espère qu'ils savent où ils vont.

 

-Ne t'en fais pas, la rassurai-je, Gunn est un homme de confiance.

 

-Ce n'est pas de lui dont je doute, mais en pleine nuit, sans visibilité, dans un endroit aussi casse-gueule, je reste persuadé qu'il y avait mieux à faire.

 

Je ne peux pas vraiment lui donner tort, et pourtant, c'est ce que je fis.

 

-Agir en pleine journée aurait été trop risqué.

 

-Je ne vois pas en quoi. Après tout, Willow et les mages ont usé d'artifice pour nous rendre indétectables. Je ne vois pas pourquoi ça n'aurait pas fonctionné ici.

 

Le questionnement de Sam est pertinent, comme toujours.

 

-Je n’en sais rien, mais ils devaient avoir leur raison.

 

-Je déteste avancer sans savoir où je vais.

 

-Tu es soldat, tu devrais avoir l'habitude.

 

Je sens le poids de son regard me confronter un court instant, avant qu'elle ne se recentre sur la zone. Sam est ainsi. Elle n’accorde pas facilement sa confiance, ce qui peut être à la fois une qualité et un défaut. J'observe la ligne se déstructurer. Un soldat manque de trébucher. Je saisis l’occasion pour me distinguer et affirmer mes propres directives.

 

...Quatrième ligne décalage droite. Restez concentré. Devant, on ne s'éloigne pas les uns aux autres.

 

J'ai hâte que cette randonnée finisse. Plus elle s'étire, plus notre concentration s'amenuise. Il n'empêche que je n'arrive pas à m'enlever de la tête, la folle ambiance qui doit régner là-haut. Spike, Fred et Buffy…, la tension doit être insupportable. Perdu dans mes pensées, je suis sur le point de perdre l’équilibre, mais Sam me rappelle à l'ordre.

 

-Mais à quoi tu penses ? Je ne peux pas veiller sur les autres et sur toi en même temps.

 

-Désolé, léger manque de concentration.

 

 

Spike.

 

Bon sang ! Si j'avais su… En fait, j’crois que j’serai venu quand même, au moins par curiosité. Charlie Boy a pris le sens des responsabilités. Il s'est autoproclamé leader de l'expédition. Il avance à tâtons, sa lampe torche effleurant les cadavres d'un passé qu'on aurait tous préféré oublier. Sa gonzesse, pas mal foutue au passage, nous avait concocté un tour de passe-passe en faisant jaillir des éclairs de ses doigts. Un truc pas commun, mais pas du goût de tout le monde. Il ne s'agissait pas d'attirer l’attention en terrain ennemi, alors elle a pas insisté. À la place, notre improvisé traceur utilise sa petite lampe, une babiole pas très efficace, mais au moins, ça évite à l'avant-garde de se prendre les pieds dans le tapis. Après tout, s’il y a bien un gars qui sait où il fout les pieds, c'est bien lui.

 

Si j’étais un emmerdeur de première, alors je dirais que j'ai une certaine légitimité à trôner à la tête du troupeau. D'une part, ces lieux ne me sont pas inconnus, et puis, j’suis sans doute le seul à y voir vraiment clair dans ce taudis. Vision vampirique oblige, j'ai l'impression d'être un voyant guidé par un presbyte. Le seul problème avec mon foutu pouvoir, c'est que bien malgré moi, j'arrive à reconstituer les fragments de matière explosés à nos pieds, et à restituer l'espace dans son intégrité première, avant le tremblement de terre, l'apocalypse, et tout le panel de catastrophes, la vie quoi. C'est con à dire, mais mauvais souvenir ou pas, y a une certaine nostalgie qui se dégage de tout ce merdier. Après tout, j'ai hanté ces mûrs, et j'ai ressuscité dans ces locaux. Deux fois. Çà forge.

 

Y en a une qui ne peut pas en dire autant. Fred a quasiment perdu la vie ici. Je dis quasiment, parce que comme moi, elle a ressuscité, même si les circonstances étaient très différentes. Le jour où elle s'est éteinte, elle était ailleurs. Welsey l'avait raccompagnée chez elle, après que le grand manitou et moi avions voyagé au centre de la Terre pour tenter de la sauver. Si j'avais su que ça ne mènerait nulle part, alors j'aurais certainement tenté autre chose d'aussi fou et d'aussi inutile. Quand je la regarde, elle semble ailleurs. Revenir ici s'avère plus difficile pour elle que pour n’importe lequel d'entre nous. Qui peut l'en blâmer ? Wesley doit habiter ses pensées comme il occupe les miennes, et j'espère pas de la même façon. À l'époque, je trouvais qu'ils formaient un joli couple. Ouais, c'était vraiment le cas. Si tu m'entends, mon pote, sache que Fred et moi, ça s’est fait sans prévenir. Pas le genre de truc calculé, alors j’espère que tu m'en veux pas trop. Elle t'a aimé et t'aimera toujours, mais sur ce plan d'existence, je peux veiller sur elle, tandis que toi, t'es légèrement occupé ailleurs.

 

Fred, bon sang, ça me démange, mais j'ai pas l'intention d'interférer dans sa psyché, alors je la soutiens à ma façon, en restant silencieux et en respectant son intimité. On a tous nos démons à porter. Le mien, il avait un nom : c'était un esprit, légèrement suranné, un tantinet orgueilleux, et le tout saupoudré d'une habileté à tromper la mort. La Faucheuse, ou Powel pour les intimes. Un enfoiré de première auquel je me suis fait un plaisir de botter le cul, astralement parlant. Fred avait trouvé le moyen de le matérialiser. On l'avait immobilisé et enfermé dans un tombeau, en lui promettant une vie de souffrance éternelle. Espérons que l’éternité n'a pas pris fin lors de l'effondrement des locaux, sinon il faudra y remédier en temps et en heure, une fois de plus. C'est fou ce que le passé peut nous rattraper quand on s'y attend le moins. Après tout ce temps, je lui garde toujours une certaine rancœur, avec ce goût d'inachevé. J'aurai adoré éprouver la salvatrice sensation de mon poing sur sa figure, je veux dire réellement, dans le monde tangible.

 

En parlant de réalité, cette histoire avec Buffy…, ça me mine encore. J'ai fait un choix et il n’est pas toujours facile à assumer. S’il y a bien une personne que je n'ai pas voulu blesser, c'est elle. Dix années, ça a le don creuser un fossé. Elle en avait conscience, alors que moi, j’ai mis du temps à percuter. Faith s'est placée entre nous. Pas une mauvaise idée, vu les circonstances, même si la culpabilité continue de me ronger. Ma relation avec Fred a fait le tour du proprio, et tout le monde semble désorienté, mal à l'aise. Pas autant que moi, mais c'est comme ça. Je le regrette pas.

 

 

Fred.

 

J'en ai la chair de poule. Mon cortex cérébral m'incite à entamer un réset, mais je l'en empêche. Je ne fuirai pas mon passé. Tout se joue dans ma tête, alors ma fille, sois courageuse, et cesse de te comporter comme... ça. C'est étrange, cette sensation d'un retour aux sources, alors que plus rien n'existe à proprement parler : ni les fondations, ni rien, si ce n'est cette conscience que mon cerveau projette comme un vieux film en noir et blanc. En réalité, plus teinté de noir et de rouge.

Ma gorge se noue et les images reviennent. Des moments sacrés, d'autres moins. Je n'ai jamais considéré cet endroit comme mon chez-moi, mais il l'a été de bien des manières. Je ne peux pas le nier. Aujourd'hui, il n'en reste que des cendres, des ersatz, mais plus que la matière, l'espace, ce vide entre le rien et le tout, vivant ou mort, il existe et existera toujours. Je nous revois lors des premiers jours, à nous perdre dans les locaux, à ne pas nous y sentir à notre place. Bien sûr, ça ne l'était pas. Les doutes de chacun, mon laboratoire, les bureaux de Charles et Wesley côte à côte, notre premier baiser, la chaleureuse présence de Lorne, Angel et Spike se chamaillant jour après jour…, et pour une raison qui m'échappe encore, Ève et Harmony viennent compléter le tableau. Faith, impatiente, hausse la voix derrière moi et me sort de mes songes.

 

-Charles, tu sais vraiment où tu vas ?

 

-Ne t'en fais pas, si j'ai bien suivi les recommandations, je ne peux pas me tromper. On arrive bientôt.

 

-Si ? répète-t-elle, légèrement sceptique.

 

-Fais-moi confiance, je suis sûr de mon coup. Relax.

 

Enfin une bonne nouvelle. L'idée, c’est d'arriver à destination, et Charles ne nous aurait pas emmenés ici sans raison. Derrière son côté extraverti et rassurant, je sais qu’il ressent la même souffrance. Je le connais. Il n'en laisse rien paraître, par altruisme ou par fierté, les deux n'étant pas incompatibles le concernant. En tant que Leader, il ne veut surtout pas impacter notre moral. Nous sommes comme ça dans notre famille de chasseur de démons : pas besoin de se parler pour se comprendre. Nous faisons partie d'un tout, et nos interférences sont alignées sur les mêmes ondes.

 

En esquissant un sourire, une douleur vive traverse mon cerveau. Ce fut vif, instantané et le mal s'estompa aussitôt qu'il était venu. J’entrevois toutefois les conséquences directes, de par ma vision troublée, voilée d'un nuage vaporeux. Mon corps répond toujours mécaniquement, mais je ne le contrôle plus. Il n'est plus qu'une coquille vide, sans pilote. De l'extérieur, personne ne remarque ma détresse, pas même Spike. Je me sens comme figé, en stase entre deux mondes, mais je n'ai aucune crainte. Les premières fois avaient été éprouvantes, mais désormais je suis en terrain connu.

 

Après tout, mon corps ne m'appartient plus complètement, et elle aussi a son mot à dire. Illyria me parle, non pas pour prendre ma place, mais parce qu'elle souffre autant que nous tous, et je suis la seule capable de l'écouter, de la comprendre. Cet ancien cabinet d'avocat est lié à elle, et elle à moi. Je partage sa douleur comme une sœur, parce qu'elle l'est devenue par la force des choses. Elle naît de mon émotion et je nais de la sienne. Le réseau qui nous lie ne cesse de s'amplifier avec le temps, et sa silhouette se dessine dans ma psyché. Je la vois, j'ai l'impression que je pourrai la toucher. Nous nous sommes beaucoup affrontés, et comme toute relation, il a fallu s'apprivoiser. Je lui suis redevable de me laisser le champ des possibles. Si ça reste une contrainte pour nous deux, elle endosse le plus gros sacrifice : celui de l'ombre derrière mon ombre.

 

Transportée par sa mélancolie, je tente de la prendre dans mes bras, mais elle disparaît comme un mirage. Lorsque je me réveille, Spike me tient la main. Réceptif à l'invisible, il répond à sa façon, sans chercher à me brusquer ou à exercer une quelconque pression à mes non-dits. Il me soutient sans contrepartie. Il est ma force.

 

 

Faith.

 

En passant par l'étroite lucarne désincarnée, nous parvenons sur une surface plus vaste. Nous n'y voyons pas à plus d'un mètre, mais le mouvement s'arrête soudainement en amont, nous prenant de court. On pense tous alors à un léger contre temps, un obstacle sur le chemin, mais il en est tout autre.

 

-On est arrivé, assure Gunn. Le sol est stable. Plus besoin d'avancer en file indienne. Vous pouvez occuper la surface. On ne risque plus rien.

 

La nouvelle est accueillie avec soulagement. Willow nous devance alors, utilisant ses talents pour raviver la structure de la salle avec ses lucioles luminescentes. Des dizaines de halos sphériques se dispersent dans la pièce, offrant un contraste tamisé par endroits, et nourrissant un clair-obscur agréable à l’œil, contraint que nous étions jusqu'alors à arpenter les ténèbres. Les contours émergent sous un voile de poussières, répondant aux pas de la foule qui se disperse tout autour. La matière en décomposition révèle des restes de fournitures de bureau, des planches d'escaliers, et tout le bordel qu'on trouve habituellement dans les locaux administratifs de ce genre. Des cadavres de micro-ondes, de chaises, de tableaux défragmentés sont éparpillés dans ce vide, conçu pour limiter l'apport calorifique des matières inflammables. Sans doute les débris du hall principal. Ironie du sort, seules subsistent intactes, sur un pan de cloison artificielle, les inscriptions en filigrane de la firme maléfique que Riley s'empresse d'harmoniser à coups de crosse, attirant par la même l'attention de toute la horde. Le soldat ne cessera jamais de m'étonner, lui d'ordinaire si posé. Il faut croire que sa récente collaboration avec Spike a eu le mérite de le dévergonder, tout ce qu'il faut de subtilité pour me plaire. Les personnes trop parfaites m'ont toujours tapé sur les nerfs. Question d’affinité.

 

Charles se place au centre de ce merdier en maître de cérémonie, tandis que nous, ses groupies du moment, attendons le show qui, je le devine à son sourire, s’annonce spectaculaire. Les membres de la famille se regroupent face à lui, comme attirés par les liens tissés dans le marbre du temps. De Giles à Seyia, les anciens compagnons de route se rassemblent, s'échappant de la foule compacte pour préexister au-dessus des autres figurants, tout comme le font les satellites de Charles à s’agglutiner autour de leur meneur. Je choisis ma place, une fois encore au côté de Buffy, là où tout a commencé. Les autres restent à fond de cale. Ils n'osent pas briser les deux masses compactes que nous avons forgées à coups de chair et de sang. Le temps à beau œuvrer à nous disséminer, à nous tordre, à nous crever, il en résultera toujours cette force brute et inextinguible, caractéristique du bloc moral qui nous unit. Une horde dans la horde à laquelle je suis fière d'appartenir.

 

Buffy.

 

Le retour aux affaires est plus difficile que je ne l’avais imaginée. J'ai constamment l'impression d'être à côté de la plaque et je déteste ce sentiment. Je me laisse porter par les événements sans rien maîtriser. Si j'ai un certain talent pour m'adapter aux situations les plus... bizarres, subir n'est pas ma philosophie. Le problème quand on change le monde, c'est qu'il nous change également.

 

Spike et Fred sont à quelques mètres, et je ne sais pas quel comportement adopté en leur présence. j'encaisse à ma façon, et plutôt bien, je dois l'avouer. Il faut croire que j'ai évolué, comme tous les autres. Heureusement, j'ai mes amis, ma famille autour de moi, la seule chose qui ne changera jamais. Je lutterai de toutes mes forces pour préserver ces liens. Je me raccroche à ça. Ensemble, on peut y arriver.

 

Je ne sais pas si c'est un élan d'optimisme ou si je me mens à moi-même, mais j'ai l'impression qu'on peut réussir, qu'on peut encore changer les choses et retrouver le statu quo. Autant de grands projets alors que je n'ai aucune idée de ce qu’on cherche dans ces ruines. Nous n'allons pas tarder à en avoir le cœur net. Gunn s'apprête à nous dévoiler le plan. Enfin, les choses sérieuses commencent.

 

-Bien, désolé de vous avoir gardé dans l'obscurité jusqu'à maintenant, mais moins on en sait, moins.. Euh et ben vous savez, moins on se fait piéger. Pour ceux qui auraient l'envie de nous trahir, faudra le faire à la prochaine étape, parce qu'on ne peut plus reculer.

 

Difficile de déceler l'ironie lorsqu'il n'y en a pas. Gunn a son style, et on ne peut pas dire qu'il soit très rassembleur, mais il a le mérite de la franchise. Certains apprécient, d'autres s'indignent, moi... j'aime assez.

 

-C'est quoi toutes ces cachotteries ? Qu'est-ce qu'on fout ici ? À quoi ça rime tout ça ? peut-on entendre protester dans la foule.

 

Les mages, en général, ne semblent pas apprécier le voyage. Willow les comprend parfaitement. Ils ressentent les forces invisibles comme personne. Une protestation en appelant une autre, le tohu-bohu explose par endroit. Face à ce soulèvement impromptu, la jeune Faith prime se décide à réagir en se dépossédant de son gant. Des étincelles jaillissent du bout de ses doigts, et l'onde de choc se propage dans le vide avant de se transformer en onde sonore. La décharge d’énergie arrache aux molécules une puissance qui explose en photon, à la manière d'un feu d'artifice contenu. Les restes digérés de mes anciens cours de science, comme quoi, je n'ai pas tout perdu. Un souffle chaud effleure nos têtes à quelques centimètres de hauteur, de quoi rendre silencieux les plus récalcitrants. Willow semble intriguée.

 

-Ce n'est pas à proprement parler de la magie, mais un pouvoir inné. Une sorte de super héros, me briefe-t-elle suspicieuse, et un brin admirative.

 

-Tous ceux qui veulent se barrer, on ne vous retient pas, ajoute miss éclair dans la foulée. On n’a pas le temps de douter, ou de râler, alors à ceux qui ont des choses à dire : fermez-la.

 

Le panache et l'autorité naturelle d'éclair girl furent aussitôt approuvés par le sourire au coin de Faith. L’ego de chacun en prend un coup, et c'est tant mieux. Pour mener une troupe aussi pléthorique vers un but commun, rien de tel qu'un meneur fort et sans compromis. Gunn s'est admirablement entouré. Fred, Lockley…, en somme l'ancienne équipe d'Angel à Los Angeles. J'ai quelques souvenirs à partager avec bon nombre d'entre eux, et Kate en fait partie. J'ai parlé de souvenirs, pas forcément des bons. On s'est à peine côtoyé, mais revoir des têtes connues reste toujours appréciable.

 

-Qu'on soit clair, reprend Gunn. Ici c'est chez moi, c'est mon monde. Je suis un enfant de cette ville. J'ai lutté toute ma vie dans ces rues, comme beaucoup d'entre vous. On vient tous de quelque part. Sauf qu'un jour, des Dieux se pointent avec l'idée de nous chasser de nos terres et de nous asservir comme du bétail. J’vais pas vous refaire l'histoire. Je sais pas vous, mais moi j'ai l'intention de leur botter le cul. Le seul truc, c'est que rien ne se joue ici. Le cœur de la bête, l'endroit où il faut frapper, c'est Londres, et c'est là-bas que nous allons.

 

OK, d'accord. Je dois dire que je ne m'attendais pas à ça. Et donc ? Qu'est-ce qu'on fait là ? Il me semble qu'il n’existe aucun moyen de créer un portail capable de faire voyager tout ce petit monde sans l’apport de Dawn. Si ? Non, Giles l’aurait su. Rien n'échappe à Giles, pas même la fois où j'ai tenté de lui cacher que j'avais un rendez-vous en prétextant que j'allais patrouiller... Buffy, arrête de te triturer les méninges, et ...non, vraiment, Giles, non...C'est Giles tout de même.''

 

 

Gunn.

 

Stupeur dans la salle. Cool, l'effet a été plutôt convaincant. Ils me fixent tous en espérant que je leur explique, et pour tout dire, je risque de les décevoir. OK, on m'a briefé, mais même quand Angel a essayé de me traduire le discours de Djézabelle, j’étais complètement largué, et c'est pas faute d'avoir essayé. Alors j'ai fait comme si, en retenant les grandes lignes. Le boss m'a certifié qu'il n'y avait pas besoin de comprendre, qu'il suffisait juste de suivre le manuel. C'est dans ces cas-là que Wesley me manque. Lui, c'était le cerveau. Lorsqu'il s'agissait d'expliquer l'inconcevable, il assurait un max. Mon pote, si tu me regardes de là-haut, sois indulgent.

 

Je sens l'impatience monter dans les rangs, alors je me lance sans réfléchir. Je récite comme une évidence un discours monté de toute pièce, et ça à l'air de fonctionner. Ils m'écoutent. Je leur parle des runes entourant le périmètre, puis de l'accès dimensionnel à la chambre blanche, celui que j'ai tant de fois emprunté pour rendre visite au gros chat et à mon double maléfique. Je leur explique le plan dans les grandes lignes. Se servir de l'espace dimensionnel utilisé par Wolfram et Hart pour en dévier le flux énergétique, et nous transporter à des milliers de kilomètres de Los Angeles, dans une dimension affiliée à Londres.

 

J'essaie d'assurer avec mes mots, et autant dire que le coup de la chambre blanche, c'est du chinois pour beaucoup, sauf pour une personne. Je perçois dans le regard de Fred une lueur s'illuminer. Je sais à cet instant précis que dans sa tête tout s'est aligné, formule mathématique, E=mc2 et tout le reste.

 

-Charles, c'est ingénieux, la chambre blanche étant un espace situé hors de notre axe temporel, il est forcément relié à son penchant inter dimensionnel et par la même occasion à la terre. Si ça agit comme un trou de verre et si l'on part du principe que la chambre blanche à le pouvoir de connecter plusieurs points par la courbure de l'espace-temps, ça justifierait totalement la théorie de Lorenz et par la conséquente celle d'Enstein et de Rosen. Mieux, ça les compléterait.

 

Elle m’épate.

 

-Euh oui...C'est, ce que je disais....

 

-Ce serait l'équivalent des portails reliant les autres dimensions à la terre, sauf qu'au lieu de relier deux dimensions en deux points, celle-ci serait connectée en trois phases interdépendantes. 'A' serait la dimension émettrice, 'B' le réceptacle, l'antenne ou converge les ondes entre elles, et enfin 'A#' représentant les différents points terrestres, en sachant qu'il en existe une multitude. Si nous y avons accès à Los Angeles, il doit forcément exister d'autres accès ailleurs, dont un à Londres. Il me semble que Wolfram et Hart possédaient des succursales installées un peu partout, par conséquent, si chaque succursale possède un lien avec la chambre blanche alors c'est autant de pied-à-terre à disposition.

 

J'acquiesce en souriant. De toute façon, quand elle part dans ses délires, personne ne peut la suivre. Pour autant, elle me conforte dans l'idée que ce que je m'apprête à faire se conditionne à une logique...qui m'échappe, mais qui lui parle à elle, la nana la plus intelligente qu'il m'ait été donné de côtoyer sur ce plan d'existence, donc je suis du genre serein.

 

-Il y avait bien une succursale à Rome, reprend Spike. Angel et moi, on y a foutu les pieds quand on a voulu retrouver Buf...

 

Le vampire semble avoir suivi. Étonnant, surtout sa façon de s'arrêter en pleine révélation. Mais si mes souvenirs sont bons, c'était pour retrouver le capo de famiglia et empêcher une guerre de gang. Il y avait aussi cette histoire d'immortel… Ah, Buffy, c'est vrai. J'avais presque oublié. C'était elle qu'ils cherchaient en priorité. Inutile de ressasser le passé. La tueuse à l'air gêné, et le vampire ne l'est pas moins. Ce qui compte, c'est ce qui se joue ici et maintenant. Tout ça pour dire que mon ex est un vrai génie, et j'en suis pas peu fier.

 

-Charles ! me reprend Gwen à la volée comme si elle avait senti que je m'éloignais de l'essentiel. Les explications, on s'en fiche. Fais quelque chose parce que t'es en train de les perdre.

 

Heureusement, je peux toujours compter sur sa franchise pour me remettre dans le droit chemin. Je ne sais pas où j'en serais si elle n'était pas venue me trouver dans cette chambre d’hôpital. Elle m’a aidé à remonter la pente à un moment de ma vie où j'en avais désespérément besoin, et elle ne m'a jamais lâché depuis. Je réalise à quel point j'ai de la chance de l'avoir à mes côtés. Elle a raison. Le temps des explications est révolu. Place aux actes. Charles Gunn est dans la place, et il est temps d’enchaîner avec le clou du spectacle.

 

 

Giles.

 

Et c'est ainsi qu'il pianote quelques touches sur une sorte de télécommande reliée à Dieu sait quel mécanisme physique, ou d'ordre ésotérique, dont je ne décèle pas encore la nature. Au bout du compte, nous sommes tous interloqués d'apercevoir cette lumière irradiante prendre vie, et nous envelopper de sa blancheur immaculée. Pendant une fraction de seconde, pas assez pour le ressentir pleinement, mais suffisamment pour en détecter l'anomalie, mon corps me donne l'impression de se défragmenter pour mieux se restructurer dans une autre temporalité, un autre lieu.

 

Pris d'un vertige, le souffle coupé, soumis à la pression d'une vitesse fulgurante, le temps d'un battement de cil, nous nous retrouvons ailleurs. C'était tout simplement sensationnel, au-delà de toutes mes connaissances pratiques et théoriques. Je suis, malgré tout mon savoir et mon expérience, en face d'un mystère qui me dépasse complètement. Tandis que je devine la peur s'inscrire sur certains visages, je puise en cette découverte, un attrait, un goût de l'aventure disparu depuis tant d'années à perdre goût en toute chose. Je renais de cette soif de conquête insatiable et d'apprentissage, ce besoin viscéral de comprendre, de puiser dans la matière pour y soustraire l'essence d'un savoir inaccessible.

 

Au crépuscule de ma vie, je finis par comprendre que mon esprit m'avait enfermé dans une fatalité cloisonnée sur ses acquis, alors que j'avais encore tant à apprendre. La soif de l'infinie sagesse, cette quête perpétuelle de se dépasser, de percevoir l'autour pour se dépecer de l’entre-soi venait de renaître en moi, en même temps que le chagrin immuable de l'échec à l'avoir si aisément perdu. L'esprit de découverte illimité plane sur chacun d'entre nous et nous absorbe, nous forge, mais il ne demeure pas inné. Il demande de l'entretien, de la persévérance, de la passion et une curiosité de la vie qui suscite de ne jamais avoir peur de tout remettre en question.

 

Structure et déstructure, c'est ce que je ressens dans cette antichambre de rien et de tout, ce désert monochrome, ce vide que nous nous efforçons chacun de combler de notre présence. Aucun angle, aucune matière sur laquelle la vision se raccroche, si ce n'est ce panel de couleur que nous composons à l'encre de nos vies sur une feuille vierge. Dans ce néant, une entité ne tarde pas à se révéler à nos yeux écarquillés. Une fissure dans l'espace-temps l'a fait apparaître d'un trou noir à tête d'épingle sans cesse grandissant, jusqu'à ce que cette masse malléable ne prenne forme.

 

 

Willow.

 

Un frisson parcourt mes veines à la vue de cette énergie noire qui emprunte au corbeau son enveloppe d’ébène, capturant chaque nuance de son intimité croâssante. Les êtres réceptifs à l'invisible le perçoivent déjà, et en moi, mon sang afflue, il boue comme jamais à l'idée que cette aura de ténèbres ne m'est pas complètement inconnue. Lorsque je l'avais affrontée à l'époque, elle m'avait ensevelie, littéralement abattue. Mes pouvoirs, que je pensais incommensurables, s’étaient alors révélés d'une détestable faiblesse. Si je possède une part de mal en moi, alors je suis persuadé d'être en face de son maître, de celui qui l'a engendrée.

 

''La force'' était d'une autre nature, destructrice, nihiliste. Celle-ci me semble plus vile, plus insidieuse, plus sournoise. Elle ne dit pas son nom, ne suggère rien. Elle nous désarme de notre volonté, draine nos espoirs, les affaiblit pour asservir nos âmes. Je ne me l'explique pas. Je le ressens, comme cette fois-là au centre de la Terre, lors de mon affrontement avec Djézabelle. Il y a des ondes qui ne trompent pas. Aujourd'hui, elles me paraissent plus fortes, moins diluées dans l'espace, purifiées de toute hésitation visant à l'affaiblir, brute dans sa substance la plus pure.

 

Buffy le ressent également. Elle n'en montre rien, mais elle se tient sur ses gardes. Son essence de tueuse, d'une manière ou d'une autre, semble liée à ces mêmes ténèbres. Seyia, moins expérimentée, montre des signes de nervosité. Gunn s'approche de l'animal, serein, trop pour ne pas le suspecter d’en être à sa première rencontre. Lorsqu’il s’adresse à elle, son ton est détaché de toute appréhension, comme s'il conversait avec un vieil ami. Il fait mention, dans son monologue, d'un changement de forme, d'une petite fille, d'une panthère et d'un double, en usant d'un humour qu'aucun d'entre nous n’assimile.

 

L'entité ne semble pas concernée. Gunn doute et l'exprime librement, sans que le volatile ne lui fournisse de réponse. Passé le temps des politesses, son visage se décompose de la plus froide expression. Laissant de côté la légèreté de ses propos, il opte pour une approche plus frontale, et ordonne à l'esprit de nous guider à destination. L'entité le toise longuement, immobile, sans entamer la moindre réaction. Nous attendons tous la suite des événements. Mais, à contre-courant de la ferveur générale, il ne se passa rien pendant quelques secondes, jusqu'à ce que l’atmosphère s'alourdisse et que la structure se désagrège sous nos pieds.

 

Encore le même procédé. Je suis tout d’abord aveuglée par cet éclat vif et oppressant, puis vient la sensation de perdre pied, comme si le sol se dérobait sur du vide, congestionnant les fibres de mon corps pour mieux les tordre et les disperser à travers une intense vibration organique. J'avais l'habitude de voyager astralement hors de mon être, et d'emprunter divers portails, mais rien de comparable à ce que j'éprouve à cet instant. J'ai l'impression d'être aspiré dans un siphon chargé d'ondes négatives.

 

Heureusement, ce fut bref, à la limite de l’instantanée, le temps d'une inspiration incompressible, d'une inhalation de ténèbres à gorge déployée, stimulée plus que tout autre, je le sais, par mes sens de sorcière.

 

 

Angel.

 

Tapi dans l'ombre du manoir, j'observe la vaste étendue verdoyante que compose l'arrière court. Sur l'herbe rendue humide par la rosée, un cercle fourni de talismans runiques occupe toute mon attention. Pour le commun des mortels, ce ne sont que des pierres, immobiles, inertes, une matière inorganique, et j'attends le moment où elles déjoueront leur propre nature. Pour l'occasion, j'ai pris sur moi de me présenter dans le plus simple appareil, le visage délivré de toute entrave.

 

Il m'arrive souvent de repenser à numéro cinq, au fardeau assumé qu'il entretenait quotidiennement en portant le masque. J'en découvre, chaque jour, les sacrifices encourus. Lui, le portait par conviction. Je le porte par obligation. À l'extérieur, c'est devenu mon garde-fou, un bouclier me préservant du monde, mais pas ici. Dans le périmètre de l'établissement, comprenant les allées et les cours extérieures, je ne risque rien. Le goût de cette liberté restreinte, je le dois en grande partie à Djézabelle et ses sœurs. Ayant parfaitement joué leur rôle dans l'intronisation de Wolfram et Hart au pouvoir, elles se sont vu octroyer un blanc saint, une sorte d’immunité diplomatique leur permettant d'échapper aux radars de l’empire.

 

Pour autant, si le bâtiment échappe aux drones et autres satellites, conformément à la charte en vigueur, les sœurs de la confrérie ont usé de sortilèges afin de préserver les lieux de toute intrusion visuelle extérieure. Ça, c'était pour la foule, le commun des mortels. Pour échapper aux puissances d'en haut, la malice de Lindsey fait amplement l'affaire. Du moins, je n'ai pas eu à m'en plaindre jusqu'ici. Et puis, j'ai un autre atout dans ma manche : un allié de poids sans qui je ne serais pas présent aujourd'hui. Whistler me fait vaguement penser à Doyle, sans doute à cause de son look et sa nature délurée, mais la comparaison s'arrête là.

 

Je ne sais rien de lui, si ce n'est qu'il a toujours été là aux moments clés de ma vie. Ma lutte contre le mal, ma rencontre avec Buffy, et même mon retour après que Djézabelle m'ait projeté à travers un portail. Tout ça, c'était son œuvre. Depuis, il n’apparaît que de moi seul, et dans l'intimité de nos discussions, j'apprends à mieux percer le mystère qui l'entoure. D'une manière ou d'une autre, il est lié aux puissances supérieures, même s'il m'affirme une certaine indépendance. Je n'ai pas cherché à en savoir plus. Ses actes parlent pour lui, et ça me suffit.

 

Encore aujourd'hui, il demeure la passerelle permettant ce miracle tant attendu. Djézabelle me rejoint. Ça signifie que ça va arriver. Les sœurs rappliquent une à une, et se tiennent la main pour former un cercle autour du cercle.

 

-Prêt à retrouver ton ex ? me lance-t-elle avec ironie avant de s'en aller combler le dernier maillon de la chaîne.

 

Je décèle dans sa réaction une pointe de jalousie, mais je ne lui en tiens pas rigueur. Ce serait mentir que de prétendre ne rien éprouver à l'idée de la revoir elle et les autres, mais ce qui s'annonce va bien au-delà de mes sentiments personnels, et Djézabelle le sait parfaitement. Malgré la perte récente de ses pouvoirs, elle n'a rien perdu de son charisme. La contempler dans la vacuité de son art attise toujours en moi cette fascination inextinguible. De par ses sacrifices et ses luttes intérieures, elle a su me réconcilier avec la nature humaine.

 

Les runes s'illuminent enfin, tandis que les voix s’accordent en parfaite harmonie. C'est alors qu'un halo de lumière enveloppe le cercle et m'aveugle par l'intensité de son rayonnement.

 

 

 

 

Djézabelle.

 

Mission accomplie. Ils sont apparus à l'endroit escompté, aussi interloqués que je le suis, bien que je n'en laisse rien paraître. Au fond, c'est un soulagement, car la magie n'est aucunement une science exacte, mais une croyance indéfectible à l'irrationnelle, aux forces invisibles que nous nommons pour mieux nous rassurer, mais dont l'essence, le noyau de son fondement nous échappe complètement, et sans doute nous échappera toujours. Plus que ma personne, je perçois son soulagement, la lumière de ses vibrations communicante derrière mon épaule, et j'en suis la première ravie. Après tout, c'était loin d'être gagné.

 

Après un rapide tour d'horizon, des visages familiers s'extirpent de ma mémoire, remodelés par une décennie d'histoire ou leurs rôles furent effacés de la marche du monde. Dans la foule d'individus marqués par le sceau de l'incrédulité, une vérité me saute aux yeux : leur nombre ne sera jamais suffisant pour redessiner les contours d'un nouvel élan de révolte. Je me désespère à y penser. Non, Angel a un plan, et au même titre que l'ésotérisme, je dois moi aussi faire acte de foi, parce que plus qu'à nul autre, j'ai foi en lui.

 

De par le nombre, mon regard est attiré par celle que j'envie sans le vouloir. Son premier amour. Buffy, la tueuse de vampires. Titre ô combien usurpé, si l'on considère que les vampires ne représentent qu'une infime partie des maux de ce monde. Mon cœur se serre quand elle croise mon regard. Elle possède cette flamme dans les yeux, cette force psychique capable de vous mettre KO sans combattre. Son énergie spirituelle est fascinante à plus d'un titre, et je dois bien admettre que sa beauté ne s'est pas flétrie avec l'âge, à mon grand désarroi. Par chance, la mienne non plus. Je me sens puérile de nourrir cette rivalité sentimentale en de telles circonstances, mais je suis ainsi faite, et je ne doute pas de sa réciprocité.

 

Spike, l'autre vampire, est présent lui aussi. Son manteau sur la tête ne le protège que partiellement des rayons du soleil. De la fumée commence à l'envelopper, et Fred, le sosie d'Illyria, semble prendre son parti, mais je fais la sourde oreille. Il souffre, et je dois bien avouer que j’éprouve un certain plaisir à voir les rôles s'inverser. Angel n'est certes pas rancunier, mais moi si. Enfin, je ne serai pas trop cruelle. Après tout, les circonstances étaient légèrement différentes à l’époque.

 

Je vais tâcher d'abréger son calvaire, mais en tant qu'hôte, il est de mon devoir de rassurer mes invités. Un juste retour de politesse pour avoir été, moi aussi, contrainte à cette position, il y a quelques années. Les discours, d'ordinaire, me procurent une source de plaisir inépuisable à manier les mots, les tordre pour mieux piquer mes interlocuteurs. Pas aujourd'hui. Il faut croire que je mûris avec l'âge. Ou peut-être pas.

 

-Bienvenue dans mon orgueilleuse demeure. Ne soyez pas surpris par la beauté de ses fondations, et ne vous sentez surtout pas indignes d'y pénétrer. Pour certains, nous nous connaissons déjà, et bien que la situation puisse prêter à un remake du passé, nous espérons une toute autre finalité. Pour ceux qui ne me connaissent pas encore, je suis Djézabelle, hôtesse de ce manoir. Afin de dissiper toute ambiguïté : je travaille officiellement pour l'empire. Officieusement, j’œuvre pour moi-même. Pour ceux dont je perçois l’énergie négative, calmez vos ardeurs. Vous n'êtes pas en territoire ennemi, mais soyons clair : je ne suis pas votre amie pour autant. Au cas où ça aurait échappé à certains, ici, vous vous trouvez au cœur de Londres, soit pile dans la gueule du loup. Votre clairvoyance intellectuelle vous imposera donc une discrétion à toute épreuve.

 

Je fais preuve de toute la bonté dont je suis capable pour lui faire plaisir, pourtant je sens que dans ce domaine, mes lacunes restent à combler. Pour autant, ils m'écoutent, alors j'en profite pour assener les dernières directives. Je déteste ça.

 

...Encore une chose. Nous sommes nombreux, et ce manoir n'est pas extensible, aussi je demanderai à chacun de canaliser ses frustrations. Si ça peut vous aider, dites-vous que celle dont l'espace vital est violé, c'est moi, votre hôte. Si j'encaisse, faites-en autant. Pour le reste, vous pouvez entrer. Il y a de quoi vous sustenter à chaque étage. Quant à l'espace de repos, chaque mètre carré de plancher fera l'affaire. Enfin, pour ce qui est du dernier étage, ma chambre vous restera inaccessible. Je tiens à mon confort personnel et à mon intimité, et il n'y a aucun risque que vous et moi partagions quoi que ce soit de charnel, alors je vous saurai gré de respecter mon espace. De mon côté, je me ferai un plaisir de violer le vôtre, puis qu’ici rien ne vous appartient, si ce n'est votre bonne humeur et vos bonnes manières.

 

Je leur fais signe d'entrer. Sans surprise, le vampire décoloré se précipite en premier vers le palier. Celle que je devine être Fred me perce d'un regard méprisant, tandis que Willow, pour des raisons qui me sont totalement étrangères, semble ravie de me revoir. Son sourire respire la sincérité. Elle me glisse même un « coucou » de la main. Tant mieux. Vu sa puissance, autant m'en faire une alliée. J'ai le sentiment que je ne pourrai hélas plus rivaliser avec elle, mais ça, elle ne le sait pas encore.

 

Faith, à son tour, me passe sous le nez en me susurrant un « ça a l'air plutôt cool comme piaule », puis Buffy arrive enfin, visiblement dépourvue de toute animosité. A ma grande surprise, elle me laisse entrevoir l'ombre d'une timidité que je ne lui connaissais pas. Sans doute est-ce le fait d'avoir combattu à ses côtés, mais elle ne me renvoie ni rancœur ni la moindre hostilité.

 

Dans la foule, certains visages familiers portent des noms, d'autres pas. Quand je me retourne, je remarque Fred, Faith et Willow dans les bras de mon homme. Déconcertant. Buffy, elle, reste en retrait, et attend son tour. Je ne sais pas si la voir aussi distante doit me rassurer, ou si cela implique ce genre de malaise lié à des sentiments sous-jacents. Ça me travaille, mais après tout, qui suis-je pour interférer dans son intimité ? Il est heureux de les retrouver, et c’est bien là l’essentiel. Ces gens-là font partie de son passé, de son histoire. Ils représentent sans doute ce qui se rapproche d'une véritable famille pour lui. Je vais devoir m’y faire. Je sens que les prochains jours vont être très longs.

 

 

Leina.

 

Je suis enfin chez moi, dans mon Londres, et le pire, c'est que je suis assignée à résidence. Dire qu'il me suffirait de quelques pas pour redécouvrir le film de mon enfance…, mais ce jour n'est pas encore arrivé. Pas tant que ma ville ne sera pas libérée. Alors seulement j'irai, nous irons redécouvrir mon pays, mes racines en famille. Je l'espère de tout cœur. En finir une bonne fois pour toutes avec cette souffrance, retrouver le goût du bonheur, de la liberté, et le faire découvrir à Sarah.

 

Le but est proche, plus qu'il ne l'a jamais été, mais je sais aussi que la dernière ligne droite sera la plus éprouvante de toutes. Le plus important reste encore à accomplir. Après nous être éparpillés sur tous les étages, nous nous sommes installés comme on a pu. Les sœurs de la confrérie nous ont accueillis chaleureusement. Désormais, elles se dépatouillent pour subvenir aux besoins de chaque individu. La tâche s'avère ardue, mais elles ne le montrent pas. Elles gardent ce sourire bienveillant qui nous a tant fait défaut jusqu’alors. Ces petites attentions réconfortantes nous rassurent et préservent l'illusion d'une situation presque normale. Rien ne l'est.

 

Le bâtiment est certes vaste, mais la densité est telle qu’il devient presque impossible de trouver un coin de place attitré. Si l'on devait établir une étude sociologique, alors assurément, il y aurait matière à réflexion. Les mages avec les mages, les soldats avec les soldats, et un groupe fidèlement délimité comprenant notre équipe, ainsi que celle d'Angel et Gunn. Chaque étage entretient nos différences et je ne peux m'empêcher de penser : est-ce que nous subirons le même facteur anthropique sur le champ de bataille ? Je prie pour que cela ne soit pas le cas.

 

Ces retrouvailles ont un goût de surnaturel. Depuis notre intronisation en ces lieux, j'observe des réactions pour le moins étranges. Djézabelle et Angel semblent absents. J'aurais pensé qu'au moins le vampire entretiendrait de longues discussions avec Buffy et nous autres, ne serait-ce que pour ressasser le bon vieux temps, mais il n'en est rien. Ils ont mieux à faire ailleurs, ou peut-être s'affairent-ils à quelques préparatifs. Quoiqu'il en soit, nous restons dans le flou. Giles paraît inquiet. Ce retour aux sources doit lui peser, mais je suspecte Ethan d'être à l’origine de son mal être. Les anciens complices ne se lâchent plus d'une semelle.

 

Alex s'est empressé d'aller rejoindre Buffy et Willow, comme au bon vieux temps. Ces trois-là, malgré les années, demeurent inséparables. Quand je les observe, je ne peux pas m'empêcher de penser à Dawn. J'ai envie de la revoir, de retrouver l'amie qui me manque tant. Nous aurions pu reformer ce fameux trio, comme à Cleveland. Cette période d’insouciance me manque parfois.

 

Je me tiens volontairement en retrait, à siroter un rafraîchissement. Ils ont besoin de se retrouver. Ça leur fait du bien, ça lui fait du bien. Spike est en pleine discussion avec Fred et Gunn, tandis que quelqu'un m'interpelle. Une voix rassurante que je me plais à entendre.

 

-Boire seule, quelle tristesse.

 

-Oh Seyia, mais je t'attendais, figure-toi.

 

Sans lui laisser le choix, je saisis le premier verre posé sur le comptoir circulaire et le lui glisse entre les mains. Elle humecte la surface du liquide, visiblement peu convaincue.

 

-Du vin ? Euh, tu sais moi et l'alcool c'est pas...

 

-Bois ! lui ordonnais-je avec l’autorité d’une grande sœur. Un petit rouge ne te fera pas de mal, et puis, c'est pas comme si on en trouvait partout de cette qualité-là.

 

Elle défie son verre, se rétracte, puis se lance en trinquant. À son visage légèrement déformé, j'en déduis que je suis la seule à apprécier pleinement l’instant. Par challenge sans doute, elle me tient tête, à tel point que je la suspecte d'en apprécier à minima la saveur.

 

-On ne pourra pas dire qu'on n’a pas voyagé ces derniers temps. Le monde magique, la virée dans cette dimension bizarre, et maintenant ici. Après tout ça, il sera difficile de revenir aux transports en commun.

 

-Alex s'en passerait bien, répondis-je en souriant. À chaque fois, ça le rend malade. Quoique cette fois, il n'a pas vomi, Dieu merci. Moi, ça ne me dérange pas.

 

-Vous êtes tellement différents tous les deux. Pourtant, je dois avouer que vous m'avez impressionné. Au fond, vous êtes vraiment complémentaires.

 

-Tu nous as pas mal impressionnés toi aussi. Alex m'a même certifié que tu es plus forte que Buffy au même âge, mais chut, ça reste entre nous.

 

Seyia commence à rougir. Elle met ça sous le compte du vin, mais je sais pertinemment que la comparaison la touche plus qu'elle ne veut bien l'admettre.

 

-Et maintenant, soupire-t-elle. Il ne s'agirait pas de se louper. Il va falloir assurer.

 

L'alcool commence à produire son petit effet, et un vent d'optimisme me frappe soudainement. Je sens qu'avec cette équipe, rien n'est impossible.

 

-On va assurer, dis-je, comme pour m'en convaincre en me servant un autre verre. On va assurer.

 

Sous notre nez, déambulent trois personnes au demeurant totalement inconnues. Une magnifique jeune femme aux cheveux nacrés avance d'un pas assuré, suivie de deux compagnons. L'une des sœurs les escorte en se faufilant parmi la foule. Je finis par les perdre de vue.

 

-Le mec est plutôt beau gosse, relève Seyia.

 

Moi, c'est la fille aux cheveux blancs qui m'intrigue. Sa silhouette était entourée d'une aura sombre et inquiétante. Une sensation déjà éprouvée, mais où et quand ? Je ne parviens pas à mettre la main dessus. Mes sens de sorcière ne sont pas assez développés, mais j'ai l'intime conviction qu'elle est en tout point spéciale. Le vin ne me réussit peut-être pas tant que ça.

 

 

 

Chris.

 

Je n'arrive toujours pas à le croire, ni à le concevoir. Chiara, fille de la grande prêtresse Djézabelle. Elle nous a bien caché son jeu. Sur le chemin, elle a su nous en expliquer la raison, et à sa place, j'aurais certainement gardé le silence, mais tout de même. La situation me paraît irréaliste. Et toutes ces personnes que nous avons croisées dans ce manoir. À quoi ça rime ? Même Chiara semblait en être étonnée.

 

-On arrive, alors s'il vous plaît, laissez-moi parler, et surtout, je parle pour toi Chris, n'oublies pas que nous ne travaillons plus pour l'empire. Tu devras oublier tout ce qu'on t'a mis dans le crâne jusqu'ici.

 

La voix de Chiara m'interpelle. Rarement je l'ai entendu employer un ton aussi impersonnel à mon égard. Je ne l'ai peut-être jamais perçue de cette manière, mais ces dernières années, elle a incontestablement gagné en maturité. Sans ciller, elle inverse les rôles et me met dans la position du bleu, voire du trouble-fête. Difficile à encaisser, mais je ne suis pas dans mon élément ici, et il y a sûrement des règles de convenance à respecter. Lara semble ailleurs, et ce, depuis notre départ précipité de ce champ de mort. Je revois encore ces cadavres par centaine, gisant à nos pieds. J'en frissonne de rage. Lara n'a toujours pas encaissé. Elle s'inquiète toujours du sort réservé au chef et à Peter. Nous avons dû couper toute liaison avec eux, mais je reste persuadé qu'ils vont bien. Wolfram et Hart ont d'autres chats à fouetter que de se pencher sérieusement sur leur cas, ou sur le nôtre, ce qui nous arrange.

 

Lorsque nous arpentons l'escalier en colimaçon, mon cœur s'alourdit. J'ignore quel accueil nous réserve la grande prêtresse, sa mère...Non, décidément, je n'arrive toujours pas à y croire. Encore sous le choc des dernières révélations, j'ai l'impression d'arpenter les sentiers d'un cauchemar en perpétuelle expansion. Quand Chiara pousse la grande porte menant dans la pièce de chambrée, tout s'éclaircit. La grande prêtresse nous fait face. Comble de l'ironie, le vampire avec une âme, l'être le plus recherché de l'empire, est présent à ses côtés. Mon sang ne fait qu'un tour. La première pensée qui me traverse l'esprit est de dégainer mon arme et tirer. Un réflexe que des années de lavage de cerveau quotidien, opérés par l'entremise des médias, avaient fait proliférer comme un virus dans mon cortex cérébral. Mes réactions conditionnées justifiaient à elle seule le chemin emprunté. Je dois me désintoxiquer de tout ce qui m'apparaissait jusqu'alors comme une évidence, lutter contre l’algorithme incrusté dans la toile de mon réseau.

La grande prêtresse nous dévisage aussitôt, sans doute aussi étonnée que nous le sommes de se retrouver dans cette situation. Elle commande à Chiara de la rejoindre à l'arrière de la salle, près de ce grand lit à baldaquin, pour s'entretenir à l’abri de nos indiscrétions. Le vampire m'observe avec insistance, comme s'il avait deviné mon intention première. Il exerce même un sourire sarcastique à mon encontre, avant de les rejoindre dans une discussion animée, portant sans nul doute sur notre présence non désirée.

 

Lara et moi restons à l'écart, dans l'attente du verdict. J'en profite pour observer les lieux et m’acclimater. Cette chambre à coucher est si vaste qu'elle pourrait aisément contenir, en population, la moitié des étages inférieurs. Entre le lit à baldaquin et la grande cheminée, une immense table rectangulaire trône, ornée de bois finement travaillé et de motifs raffinés, d'une valeur sans doute inestimable. Chaque détail de la pièce transpire la richesse d'un monde complètement déphasé de son environnement extérieur. La décoration semble appartenir à une époque médiévale, et seuls quelques aménagements que je devine de dernières minutes font écho à la modernité. Dans l'angle de la pièce, un petit bureau a été placé, comme tous les objets contemporains, sans aucune intention esthétique. En temps normal, je ne l'aurais même pas décelé, mais les meubles dénotent tellement avec tout le reste qu'il est bien difficile de ne pas s’y attarder.

 

Longeant le petit bureau, un écran aussi fin qu'une feuille de papier diffuse les dernières nouvelles de l'empire. C'est à cet instant précis que Lara m'interpelle d'un léger coup d'épaule, ses yeux rivés sur le contenu. Son visage semble plus pâle que d'habitude, et je ne tarde pas à en comprendre la raison. Rien sur le massacre, pas un mot destiné à cette folie meurtrière. Pour autant, les mauvaises nouvelles se succèdent, m'aspirant dans un gouffre toujours plus profond. Les gros titres annoncent l’arrestation de la reine des damnées. Magdala, emprisonnée pour trahison envers l'empire. Je n'en crois pas un traître mot. Ma gorge se noue lorsque j'apprends les détails de la mutinerie. Il est mentionné que la reine de damnées plongeait dans des affaires criminelles, coupable d'une série de meurtres épouvantables, sévissant depuis des années à l'ombre d'une église maculée de sang. Évidemment, tout ceci n'est que pure invention.

 

Magdala n'a rien d'une criminelle en puissance. Bien trop consciente des enjeux, elle a toujours préservé, à la seule force de sa volonté, une cohabitation à laquelle elle aspirait de ses vœux. Mais comment une vampire aussi puissante a-t-elle pu se laisser berner de la sorte, sans combattre ni opposer de résistance ? Son clan n'aurait jamais accepté de subir une telle machination sans réagir. Quelque chose cloche dans cette histoire.

 

C'est alors que ma crainte se fonde en contemplant le nom de celle qui revendique sa place : Harmony. Atterrés par la nouvelle, Lara et moi restons bouche bée face à l'inconcevable. La vidéo, mettant en scène la nouvelle reine des damnées, montrait en second plan la présence d'une vampire beaucoup plus dangereuse.

 

-Dis-moi que je rêve, ajoute-t-elle interloquée. C'est un cauchemar, on va finir par se réveiller.

 

-Ils ont fini par l'évincer pour mettre leur pion à la tête du clan. Et cette folle de Drusilla semble avoir été intégrée à leur famille.

 

-Mais comment ça a pu se produire Chris ? Magdala possède une puissance considérable. Personne n'aurait osé s'attaquer à elle. Même Wolfram et Hart la craignaient.

 

-Non, ils ne craignaient pas son pouvoir, mais son influence. Ils ont trouvé le moyen de l'évincer pour placer cette détraquée à sa place, un pion qui suivra leurs directives sans rechigner. Ça signifie qu'ils ont désormais un contrôle total sur les vampires. Comment ont-ils pu accepter de se ranger sous les ordres de cette pimbêche des médias ? Et merde.

 

L'envie me prend de cogner, de briser mon poing contre tout et n'importe quoi. Ces mensonges, je ne les supporte plus. Je nourris une profonde haine des médias, et plus encore envers ces moutons, figés derrière leurs écrans, à boire leur parole sans se poser de question, préférant se soumettre au mensonge par peur d'affronter leur propre lâcheté. Je canalise en moi une frustration, un dégoût de tout ce que les êtres portent en eux de nauséabond, de faiblesse d'esprit, avant de me confronter à ma propre décadence. J'ai été comme eux. Pris dans ma colère, je n'avais pas décelé la présence de Chiara et de nos hôtes du jour, eux aussi soumis à la même gravité numérique.

 

-Drusilla ! marmonne Angel, visiblement perturbé par l'annonce. Elle est encore en vie.

 

-Une amie à toi? interroge Djézabelle, curieuse.

 

-Une vieille connaissance...

 

-On a eu à faire à elle, reprend Chiara. Magdala devait la garder enfermée dans un cachot. Cette meurtrière est responsable de la perte d'un membre de notre famille. J'espère qu'il n'est rien arrivé à Adam.

 

Je note que Chiara parle de notre groupe comme de sa propre famille, sans détachement. Elle nous a intronisés comme tels, ce qui nous enlève le poids considérable d'avoir à justifier notre présence.

 

-Vous êtes encore en vie, annonce froidement le vampire. Vous avez de la chance. Drusilla est folle à lier, mais sa folie la rend imprévisible et dangereuse. On ne sait jamais à quoi s'attendre avec elle.

 

-Encore une partie de ta vie dont je ne sais rien ou si peu, souffle Djézabelle, presque agacée.

 

-Crois-moi, tu n'as pas envie de savoir, rétorque-t-il avant de se tourner vers Chiara. Tu as mentionné Magdala ?

 

Profitant de l'occasion, je m’immisce dans la conversation. Je considère la reine des vampires comme une alliée, et il est hors de question que je reste sur le bas-côté.

 

-Oui, on a eu le plaisir de la rencontrer. Elle nous a aidés dans l'une de nos missions. C'est la doyenne des vampires, une légende pour les créatures...comme vous.

 

-Tu ne l'as jamais rencontrée ? s'étonne Chiara en s’adressant à Angel.

 

-Non. Je n'ai pas eu cette chance. J'en ai seulement entendu des échos. Ça remonte au temps du maître. Il parlait souvent d'elle. Il la chérissait. Quand j'ai connu Darla, le maître avait déjà fondé l'ordre d'Aurélius. Magdala n'était qu'un conte pour nous autres, une histoire ressassée par un vieux vampire qui essayait de s'en affranchir, mais il n'y est jamais parvenu. Il restait très évasif à son sujet, mais quand j'étais Angelus, je ressentais son amertume chaque fois qu’il mentionnait son nom. À cette époque, ce genre de sentiments me débectait. L'amour et toutes ces notions n'avaient aucun sens pour moi. Je détestais le maître parce qu'en dépit de toute sa force, je le considérais comme faible.

 

-Charmant ! s’exclame Djézabelle, sarcastique.

 

-C'est bien beau de remuer le passé, insistai-je... mais qu'est-ce qu'on fait pour elle ? On ne peut pas la laisser moisir dans une cellule en attendant son exécution. Elle est innocente.

 

-Bien sûr qu'elle l'est ! réplique la prêtresse, presque indifférente à son sort. Comme tu nous l'as présenté. Aussi téméraire qu'impulsif. Il me fait vaguement penser à quelqu'un.

 

Chiara hoche des épaules. C'est l'instant que trouve le vampire pour me sermonner.

 

-Chris, c'est ça ? Je sais ce que tu ressens, mais tu dois te sortir cette idée de la tête. On a plus important à régler dans l'absolu. Une guerre se prépare. Si on veut avoir une chance de l'emporter, il ne faut pas se tromper de cible, et encore moins se disperser. On ne peut pas sauver tout le monde.

 

C'est alors qu'il nous expose son plan, à Lara et moi. La raison de la présence de tous ces gens dans ce manoir, et ce qu'il attend de notre coopération. Chiara avait vu juste. Je finis par comprendre que c'est ici que tout va se jouer, que nous sommes exactement là où nous devons être. Ce vampire m'a toujours été décrit comme un assassin, un danger pour le monde, pourtant dans les yeux de Chiara, il n'est rien de tout ça. Je ne sais pas s'ils sont dignes de confiance, mais une chose est sûre : je me fierai toujours à ces deux éclats d'émeraude animant son regard, une lueur dans laquelle je me découvre un attrait presque hypnotique.

 

 

Giles.

 

Quelques fois, il fait bon à être un observateur. Je ne parle pas de la fonction, mais de son étymologie. Se tenir en retrait, et observer d'un œil distant les liens se faire et se défaire, les sourires, les visages apeurés, la solitude, et les espoirs naissants et envolés. Nous sommes tous réunis pour un but commun et pourtant, chacun garde en lui ses propres motivations, sa propre histoire. Nous ne sommes guère plus qu'une addition d'ego aspirant à viser l'étoile, comme le Sagittaire pointant sa flèche vers un absolu inatteignable.

 

Nous rêvons tous, à un moment de notre vie, du parcours héroïque. S'élever par un instinct de transcendance ne relève pas d'un vecteur, d'un mouvement naturel. Il demande de franchir un cap, un palier, de répondre à l'appel de l'évolution en défiant les normes extérieures, et la clé, c'est la volonté. Toutes ces personnes n'ont pas les mêmes objectifs, mais elles sont toutes animées du même feu sacré : celui qui modulera les forces métaphysiques du monde de l'invisible et façonnera le monde civilisé.

 

J'ai longtemps pensé au sens que je donnais à ma vie. J'aspirais moi aussi à devenir un héros, parce que les masses dormantes ne m'ont jamais attirée. Détenir la clé des secrets de l'univers, avancer là où nul ne pourrait me suivre, laisser une trace indélébile de mon passage, combler mon ego narcissique d'exister au-delà des autres.

 

Avec l'âge, l’expérience et les rencontres, je me suis rendu compte que j'aspirais simplement à les voir sourire. Buffy, Alex, Willow, Leina, et tous mes enfants. L'inconnu, les secrets, la face cachée m'ont toujours attiré et m'attireront toujours, mais j'ai perdu ce besoin viscéral d'élévation, de toucher le Graal de mes mains, quitte à écraser autrui sur mon passage. Je ressens une certaine paix intérieure m'envelopper, m'attirer au cœur de mon cœur, tandis que lui sera toujours habité par ce désir de s'extirper de son être centré, dans la volonté de commander aux Dieux. Héritier de Janus, et son totem à double visage dont il se considère l’apôtre, son regard a totalement délaissé le passé pour embrasser un futur dont lui seul serait à même d'en détenir la clé, d'accorder le passage, détenteur de l'aube et du crépuscule, des commencements et des fins. Ethan ne changera plus, et je dois me faire une raison, en accepter le risque, jusqu'à un certain point.

 

-Tu devrais goûter ça, Rupert. Ces vins feraient honneur à Satan lui-même.

 

Il tournoie son verre en y humectant son propre reflet. Il savoure par gorgées lentes, palais semi émergé, comme le ferait un sommelier de premier ordre. En toute chose, il fallait qu'il se démarque pour qu'on le remarque lui et personne d'autre.

 

...J’te comprend pas Rupert. T'as passé ton temps à t'abreuver d'alcool bas de gamme, et quand te vient l'opportunité de savourer le breuvage des Dieux, tu t’évertues à jouer le rôle de la vierge effarouchée.

 

-Que veux-tu ? J'ai toujours eu le goût des choses simples. Tu devrais essayer à l'occasion.

 

Sans attendre sa réaction, je me libère de sa présence. Je me suis fait une raison. Avec toute la volonté du monde, je ne pourrai jamais opérer une surveillance de chaque instant sur sa personne. Ce n'est pas ainsi que je souhaite consacrer ce temps si précieux. Buffy, Alex et Willow sont postés près de l'imposante fenêtre à carreaux, offrant une vue dégagée sur l'arrière-cour de la bâtisse. À leurs visages concentrés, je mesure l'étendue d'une réflexion menant sur l'après, et peut être y ajouterais-je mon expertise. Willow me remarque avant tout le monde.

 

-Tenez, notre Giles est là. Venez nous tenir compagnie, ça a un côté rassurant de s'imprégner d'un nouvel environnement en famille.

 

-Il est vrai que tout ceci semble précipité et étrange. Après avoir passé tant d'années à stagner, nous retrouver ici, en plein cœur de Londres, dans cette ambiance que je qualifierai de...

 

-Festive, légère, amicale, illusoirement normale...conclut Buffy. C'est sûr que ça change.

 

Elle n'a pas son pareil pour simplifier ma pensée. Une habitude qui demeure, et dont je m’accommode pleinement.

 

-Alors Giles, vous vous êtes enfin décidé à lâcher ce bon vieil Ethan ? me demande Alex, avec un sourire en coin.

 

-Et bien...Oui. Votre conversation me semblait bien plus intéressante, et à vrai dire, je ne supporte plus sa présence. C'est au-delà de mes forces.

 

-C'est... Ethan, justifie Buffy. Pourquoi il est là déjà ?

 

-Pour le garder à l’œil, avouais-je. Il y a un adage qui dit : « gardes tes amis près de toi, et tes ennemis encore plus »

 

-C'est de Sun tzu ça ? me rétorque Alex avec la naïveté qui lui sciait.

 

Je ne sais pas ce qui m’étonne le plus : qu'il cite Sun Tzu, ou que je doive le contredire pour lui annoncer une réponse qu'il aurait dû me fournir à la connaissance de son impudente cinéphilie.

 

-En vérité, cette citation provient du roman de Mario Puzo « Le parrain ». Tu as dû t'en imprégner dans le film.

 

-Pourquoi le film ? Qui vous dit que je n'ai pas lu le livre ?

 

Buffy et Willow compensent son air offusqué, d'un regard inquisiteur prêchant l'évidence.

 

...OK, je n’ai pas lu le livre, mais j'aurais pu...Dans une autre vie.

 

-Ne t'en fais pas, Alex. Si ça peut te consoler, je ne l'ai pas lu non plus. Toutes ces histoires de baron de la drogue, c'est un peu trop réaliste pour moi.

 

Willow lui fournit un alibi plutôt convaincant.

 

-Ah-AAA, souscrit-il avec fierté. Vous voyez que ça arrive même aux meilleurs de ne pas tout connaître.

 

Nos regards se croisent dans une tentative commune de ne pas fausser ses espoirs. Je prends sur moi de changer de conversation pour revenir à des éléments plus concrets, plus terre à terre.

 

-Puis-je savoir de quoi vous parliez avant mon arrivée? vous sembliez soucieux.

 

C'est à leur tour de se toiser dans le blanc des yeux, visiblement gênés d'aborder le sujet, jusqu'à ce que Willow me dévoile le centre de leur préoccupation.

 

-En fait, Giles on se demandait...

 

La sorcière prit une profonde inspiration.

 

...OK, pourquoi les vaisseaux dans Star Wars tombent quand ils sont détruits, alors qu'il n'y a pas de gravité dans le vide interstellaire ?

 

-Pardon ? répliquai-je, quelque peu désemparé.

 

-Comment ça, Giles ? s'interroge Buffy, stupéfaite par ma non-réaction. « la Force est avec vous », « Je suis ton père », ne me dites pas que vous ne connaissez pas Star Wars.

 

Mais pour qui me prennent-ils ? Parfois, j'ai l'impression qu'ils me considèrent comme un fossile. Je leur assure que je suis parfaitement au fait de la franchise, et leur rétorque qu'ils n'étaient pas nés à l'heure de sa sortie au cinéma. Alex me cite alors la prélogie qui, je dois bien l'avouer, m'est complètement inconnue. Difficile de rivaliser face à la légèreté d'un univers partiellement dénué d'intérêt.

 

Pendant ce temps, je remarque Buffy s'éloigner de la conversation, intriguée par je ne sais quoi à l'extérieur. Ses yeux se plissent, et le débat n'existe déjà plus dans son esprit. Sans prévenir, pour une raison totalement hors de notre portée, elle ouvre la baie vitrée et opère un saut de trois étages. Le temps d’observer en contrebas qu'elle disparaît à travers le monticule d'arbres, à l'est de l'arrière court. Seyia et Leina ayant aperçu la scène, s'empressent de nous rejoindre.

 

 

 

Ryane

 

Ces lieux ne me sont pas inconnus, au même titre que celle qui y réside, la grande prêtresse Djézabelle. Chaque année, ces fondations abritent un banquet réunissant l’élite de l'empire : généraux, politiciens, et affairistes de tout bord. Mon grade de général en chef des armées me conférait automatiquement une invitation à ces évènements, pour autant de refus assumés. J'ai toujours préféré me tenir à l'écart des mondanités. On me rétribuait pour commander les troupes, satisfaire la soif de conquête de mes maîtres et maintenir l'ordre. Je considérais toute autre distraction comme futile et inutile à l'exercice de mes fonctions. Grossière erreur de ma part. J'aurais pu m’imprégner de la topographie des lieux, et ainsi m’introduire plus aisément à l'intérieur de la résidence.

 

La leçon du jour : ne jamais refuser une invitation, à plus forte raison lorsqu'elle provient d'une femme que l'on prétend aussi belle et énigmatique que la Voie lactée. Djézabelle jouissait d'une solide réputation. Si mon parcours et la propagande assumée m'ont proclamé héros de l'empire, la prêtresse est sans doute plus à même d'endosser ce titre. Son rôle, plus que le mien, fut décisif à l'intronisation de Wolfram et Hart dans notre plan d’existence. Pour autant, sur sa vie, rien ne filtrait jamais. Un voile de mystère l'entourait. Peu de privilégiés avaient l’honneur de partager sa présence. En dehors du banquet annuel, elle ne se montrait qu'à de rares occasions.

 

Les rumeurs allaient bon train la concernant. Certaines la dépeignaient comme une déesse, au même titre que les trois Déités, celle par qui la lumière nous parvint. À chaque miracle, son prophète. Elle était citée et vénérée dans les textes sacrés, chantée par les adeptes des faux Dieux, et sa gloire précédait la mention de mon nom dans les livres d'histoire. Je me demande d'ailleurs si, depuis ma sédition, mes exploits sont toujours cités dans les hauts lieux de l'éducation. Dépeindre un héros en tyran souscrit à quelques préparatifs, mais je reste persuadé que le pouvoir en place saura combler mes attentes. L'histoire regorge d'anciens héros de guerre transformés en traître de la nation. Dans un premier temps, ils voudront faire taire ma défection pour ne pas attiser le goût de la rébellion, mais après les atrocités commises, je doute qu'ils ne s'arrêtent à ça.

 

La seule question qui m’importe concerne la tueuse. Le radar est formel. Il ne saurait trahir sa position. Je pensais qu'elle se terrait dans les souterrains. Il n'en est rien et ça complique d'autant plus mes manœuvres. Jamais je n’aurais imaginé faire face à l'empire dans de telles circonstances. Pas aussi tôt. Traverser la ville en déjouant les postes de sécurité et ces foutus drones n'a pas été une mince affaire, mais pénétrer dans le manoir sacré de la prêtresse est une autre paire de manches, même pour moi. Le périmètre a été minutieusement protégé par un envoûtement. Sans ma perception accrue, je n'aurais jamais détecter le piège. De l'extérieur, la cour n’apparaît pas telle qu'elle est réellement. Tout y est paisible et rien ne semble induire ce qui s'y trame factuellement. Les runes encerclant la pelouse, les ombres déambulant à travers les grandes lucarnes vitrées, rien de tout ça n'est visible en dehors du périmètre définissant le domaine.

 

En plus de l'écran brouillant nos perceptions, une fois pénétré dans l'enceinte, j'ai dû déjouer un barrage psychique. La magie utilisée, bien que puissante, s'était érodée avec le temps. Rien ne demeure fondamentalement immuable, et grande prêtresse ou pas, malgré ses pouvoirs, alimenter indéfiniment les puissances de l'occulte relève de l'impossible. J'ai failli y perdre la mémoire, mais mon esprit, forgé dans l'enfer des batailles, m’a permis de résister à ce sortilège conçu pour briser les êtres faibles. Je suppose que ce procédé servait à éloigner les indésirables et les curieux. La loi devait dissuader les plus téméraires de violer l'intimité d'un domaine sacré, sous peine de sanctions débouchant sur une exécution sans appel, mais apparemment l'excès de prudence en ces lieux confère à la psychose. Seul l'imposant portail à l'entrée semble échapper à tout l'attirail ésotérique, compensé par un système de sécurité fourni par L.M tech, la société en charge de tout le matériel de dernière génération militaire de l'empire, ceux-là même à l’origine du projet « HM 200 ». Autant dire que je n'ai pas tenté l'approche frontale.

 

En pénétrant sous l'ombre des hauts platanes bordant la cour, je me dérobe à leur champ visuelle. Prostré derrière un tronc suffisamment large pour me dissimuler, je jette furtivement un coup d’œil afin d’évaluer la situation. C'est alors qu'un sentiment d’oppression me frappe et ma paralyse. Une sueur froide me parcourt l'échine. Un léger bruissement de branches résonne au-dessus de ma tête. Le temps d'esquisser un mouvement, qu'une ombre plonge sous ma garde et m’assène un coup violent au foie. L'onde de choc irradie le long de mon plexus pour atteindre mon réseau cérébral. Je plie sous la douleur, et dans la seconde qui suit, mes jambes sont fauchées. Pas le temps de comprendre ou d'analyser. Je roule sur le côté pour mieux distancer mon assaillant, et d'un appui sur le terrain conciliant, je me relève, prêt à faire face. Contracter ma sangle abdominale m'aide à soulager la souffrance, mais elle persiste toujours.

 

Quel coup! En levant les yeux, je me retrouve face à celle que j'ai tant cherchée : la tueuse que j'ai affrontée au centre de la Terre. Buffy.

 

-On ne t'a jamais appris à sonner avant de rentrer par effraction chez les gens ? Euh, non... enfin, logique, si tu entres par effraction, tu ne sonnes pas. Faut croire que j'ai perdue en répartie depuis le temps.

 

Sa voix, je la reconnaîtrais entre mille. J'ai tant espéré ce moment, tant fantasmé le jour où nos chemins se croiseraient à nouveau. Pourtant, ce n'était pas dans le même optique. Je comptais la rallier à ma cause, mais désormais, je n’espère qu'une chose : rallier la sienne. Seul hic, je ne suis pas encore certain de son appartenance à l'un ou l'autre des camps.

 

...Tes qui toi au juste ?

 

Son regard me perce à jour. Son visage se déforme. Elle se pose des questions. Si j'avais l’intention de l’attaquer, ce moment d'hésitation serait idéal. Mais non. Je dois lui parler.

 

...Ta tête me dit quelque chose, insiste-t-elle, tandis que je perçois filtrer dans son regard, le spectre des mauvais souvenirs. C'est toi...

 

La dernière fois qu'elle a croisé ma route, c'était sur le champ de bataille. Nous étions momentanément alliés. Aujourd'hui, elle me considère comme un ennemi.

 

-Non attends ! Les choses ne sont pas ce qu'elles semblent être.

 

Mais je le vois dans son regard, il est déjà trop tard. Son instinct de combattante a pris le dessus. Elle se jette sur moi en balayant net ma vaine tentative d'apaisement. Je n'ai plus le choix. Inutile de la raisonner. Ses yeux brûlent d’une flamme que je connais trop bien : celle de la vengeance. Mon instinct de tueur revient à la charge. Je sens mon corps trembler d’excitation à l'idée d'affronter l'une de mes semblables. La tueuse la plus puissante de cette époque.

 

 

Buffy.

 

Le premier coup l'a ébranlé plus qu'il ne veut bien le montrer. Il me faut maintenir la pression. Ses mouvements sont restreints. À moi d'en profiter. J’accélère la cadence, réduisant l'espace qui nous sépare, puis j’enchaîne une série de coups de pied en changeant perpétuellement de trajectoire. Alors que je fais mine de frapper le bas du corps, d'un bref mouvement de hanche, je module mon appui pour viser la pointe du menton. Le coup claque contre sa mâchoire. Pas le temps de m’en réjouir. Un coup porté n'est jamais une fin en soi, seulement le début d'un enchaînement destiné à terminer le job.

 

Je change de garde et frappe son bassin de ma jambe gauche. Il pare mon lancé, mais dans le prolongement du mouvement, mon poing droit percute sa mâchoire. Mes phalanges vibrent sous l'effet de la percussion. Il vacille, ébranlé, mais loin d’être vaincu. En perte d'équilibre, il récupère ses appuis d'une impulsion de sa main, et se redresse avec une dextérité telle que je mesure la puissance de son corps, à même d'encaisser les attaques les plus fulgurantes.

 

Sans me laisser le temps de réagir, il réduit la distance. Ses mouvements sont plus vifs. Il a récupéré. J'essaie tant bien que mal de préserver mon espace. Nous cherchons tous deux à nous déséquilibrer. Lorsque j'accélère, il ralentit, et lorsqu'il accélère, je ralentis. Chacun de nous tente de perturber le rythme de l'autre, dans un jeu du chat et de la souris où nous devenons tour à tour le chasseur et le gibier.

 

Nous partageons la même science, le même instinct du combat, pour autant, nos gabarits diffèrent. Il est plus grand et dispose d’une meilleure allonge. En revanche, mon centre de gravité est plus bas, plus ancré au cœur de la terre. Son vif et le mien se percutent. Les coups pleuvent. Il prend l'ascendant. La cadence s'élève petit à petit, jusqu'à ce que je ne puisse plus le suivre. En résulte une intense douleur au bas ventre, et la seconde d'après, son poing heurte mon visage. Il en faudra plus pour m'avoir. Je m'adapte à ma perte d’équilibre, prenant appui sur ma jambe gauche pour pivoter sur mon axe, et lui assener un fouetté du pied en pleine figure.

 

Nous reculons tous les deux. Le goût cuivré du sang noie ma salive. Pour l’instant, nous nous neutralisons, mais je vais l'emporter. Je trouve toujours un moyen. Je ne le laisserai pas s'échapper. Ça mettrait à mal tous les sacrifices consentis jusqu'ici. Si les premiers échanges n’étaient qu’un moyen de le sonder, il est désormais temps de passer aux choses sérieuses.

 

J’empoigne ma Scythe, et j’effectue quelques moulinets du poignet, pour le simple plaisir d'entendre la lame argentée siffler à nouveau. C'est comme si je ne l'avais jamais quittée. L'osmose entre l'arme et mon corps opère, et une sensation de puissance enveloppe tout mon être. Il brandit sur moi un katana à la lame étincelante qu'il tenait sanglé à son dos. Alors que je m'apprête à me lancer corps et âme dans la bataille, il réalise un geste qui annihile en moi toute réaction guerrière. Nonchalamment, il jette son épée au sol, hors de portée d'un quelconque stratagème conçu pour me piéger.

 

-Attends, me souffle-t-il en exposant ses mains, paumes ouvertes, dans un geste d'apaisement. Inutile d'en arriver là. Je ne suis pas ici pour te combattre, mais pour obtenir des réponses. J’espérais que tu pourrais m'en fournir.

 

Il a l’air sincère, suffisamment pour que je restes sur mes gardes. Peut-être cherche-t-il à gagner du temps, ou à me manipuler. Rien de tel qu'une boutade pour peaufiner ma stratégie.

 

-Je suis navré, mais je n'ai pas vraiment le temps de m'occuper de tes problèmes psychologiques. J'ai été assistante sociale il fut un temps, mais tu sais ce que c'est... On essaie d'aider, on donne de sa personne, et au final, on récolte souffrance, mort, trahison. Et étant donné que je viens à peine de surmonter mes propres psychoses, tu comprendras que je ne sois pas prête à faire état des tiennes.

 

-Nous sommes dans le même camp ! ose-t-il résolument. Enfin, si ton camp est bien celui auquel je pense, mais là, tu vois, je ne suis plus sûr de rien .

 

Mais à quoi joue-t-il, au juste ?

 

-Pour un combattant de l'empire, tu n’es pas totalement dépourvu d'humour. Mais je vais être fair-play. Je déteste les combats inégaux.

 

Je me débarrasse de la Scythe en la projetant nonchalamment à quelques mètres derrière moi. D’une manière ou d’une autre, il est parvenu à semer en moi le germe du doute. Au-delà des mots, voyons ce que ses poings ont à me révéler.

 

 

 

Willow.

 

Buffy a fait le grand saut, nous laissant pantois d'incompréhension. Dans la précipitation, nous nous sommes rués à sa poursuite, en prenant l'escalier pour ma part. Seyia a hésité avant de l'imiter et d'amorcer la grande descente. Les tueuses ne font décidément rien comme tout le monde. J'aurais pu utiliser les arcanes de lévitation, mais il est inutile d'attirer l'attention. Et surtout, j’éprouve le besoin de revenir aux fondamentaux. Se servir de ses jambes est moins épuisant pour l'organisme, et vu ce qui nous attend, préserver mes forces me semble plus que judicieux.

 

Son comportement est en tout point étrange. Elle a dû repérer quelque chose, et nous n'allons pas tarder à savoir quoi. Leina me suit à l’extérieur. Nous nous engageons à travers un talus d'arbres hauts, où le tumulte d'une lutte silencieuse est trahi par le clapotis léger de leur pas. Buffy est aux prises avec un homme. Tous deux se tiennent en respect. Mon regard se perd sur Seyia. Déjà présente sur les lieux, cette dernière semble figée, comme paralysée. Elle n'esquisse pas le moindre geste, privée de toute intention offensive. Ses poings sont serrés, en total décalage avec sa mine totalement désemparée. Une émotion, dont je ne mesure pas la teneur, émane de son être profond. J'en frissonne.

 

Leina l'a rejointe, tandis que je m’efforce de me concentrer sur le combat. Réfléchir, il me faut réfléchir. Intervenir ? Trouver l'ouverture pour lancer un sort...de feu ? Non, d'immobilisation. Ne distinguant pas clairement l'opposant, je n'ose interférer sous peine de commettre une bourde irréversible, voire de désavantager celle que je souhaitais aider. La proximité de leur corps, et la fluidité de leurs mouvements rendent toute intervention risquée. Finalement, je renonce. Buffy vaincra comme elle l'a toujours fait. J'ai confiance en elle.

 

Soumise à une nostalgie inappropriée en de pareilles circonstances, j’éprouve honteusement du plaisir à observer la tueuse en pleine action, à plus forte raison face à l’adversité. C'est dans cet intervalle qu'elle sait le mieux se surpasser. Le combat à main nue est une science qui m'est totalement étrangère. Quand je les observe, tout semble irrationnel, surnaturel, hors de ma compréhension. C'est ça, pour moi, la véritable magie. Sous leur pas, le temps se décompose à leur gré. Leurs gestes obéissent à des lois bien définies : l'inné, les réflexes, la conscience sans conscience. Ils ont dépassé la technique et le rationnel, se rendant coup pour coup, parant, évitant, contre-attaquant, se déplaçant sans cesse, de droite à gauche, en avant et en arrière, ne laissant pas même l'intervalle d'un cheveu entre la frappe et le son. Devant mon regard, ils livrent une symphonie de tonalités purifiées de toute approximation.

 

A mesure de leurs échanges, une poignée d'individus nous rejoint, mais je ne les perçois que comme une masse brumeuse. Je demeure hypnotisée, fascinée par l'expression de leur art. Dans une explosion d’échanges, Buffy parvient à projeter violemment son adversaire contre la cime d'un grand chêne. L'impact fait danser quelques feuilles dans les airs, bercées par l'attraction terrestre. C'est alors qu'une ombre surgit, voilant brièvement l'interstice de ma vision. Profitant de l'ouverture, Seyia s'élance vers l'inconnu, Scythe en main. D'un terrible revers au visage, elle l'empêche de se relever. Après avoir fait tournoyer son arme, elle la dresse, prête à le pourfendre.

 

-Ne fais pas ça ! hurle Buffy en interrompant son élan.

 

Habitée par la colère et l'indignation, la jeune tueuse tremble de tous ses membres, comme déchirée par un lourd dilemme.

 

-Donne-moi une bonne raison, proteste-t-elle !

 

-Quand je l'ai combattu, je n'ai ressenti aucune intention meurtrière. Je sais que ça paraît léger, mais j'ai l'intime conviction que si ça avait été le cas, il ne se serait pas débarrassé de son arme.

 

-Intention meurtrière ? Tu n'étais pas là quand il a débarqué avec ses soldats dans les souterrains. Moi, j'y étais. Tous ces morts, toutes ces victimes innocentes... Robson... C'est un meurtrier.

 

-Peut-être, mais pas toi. Pas comme ça. Pas un homme désarmé.

 

-Mais c'est un soldat de l'Empire...

 

-C'est ce que je me tue à expliquer, rétorque l'inconnu, à son corps défendant. Vous vous méprenez sur mes intentions. Je ne fais plus partie des leurs. Si c'était le cas, je ne me serais jamais mis dans une situation aussi périlleuse.

 

-Ferme-la ! vocifère Seyia. Ta parole ne vaut rien.

 

-Il faut qu'on écoute ce qu'il a à dire, intervient Buffy. J'ai l'intuition qu'il dit vrai !

 

-Qu'il dise vrai ou pas, ça n'enlève rien à ce qu'il a fait.

 

Je n'ai jamais vu Seyia animée d'une telle rage. Dans cet état, je doute que quiconque puisse la raisonner.

 

-On n’a qu'à l'interroger, propose Leina en s'extirpant de la foule. On aura tout le loisir de décider de son sort après.

 

-Seyia ! insiste Buffy. Quand tu es venu me trouver, je t'ai fait confiance. Fie-toi à moi. Si tu le tues, tes émotions auront pris le dessus sur ta conscience, et tu le vivras comme un échec. Peut-être pas tout de suite, mais pour le restant de ta vie.

 

Les paroles semblent glisser sur elle, sans jamais l'atteindre vraiment. Tant pis. Je déteste utiliser mes pouvoirs contre mes amis, mais c'est pour son bien. Ce sort est basique. Il ne lui fera aucun mal. Je ferme les yeux, concentre mon esprit dans sa direction, et invoque la source de l'élément de l'air.

 

-Duratus !

 

Le tour est joué. Aussitôt, elle se fige. Mon sort a fonctionné... Non… elle continue de bouger. Incroyable ! Sa volonté dépasse les entraves élémentaires. La faux vibre, lutte, résonne. D'un cri rageur, Seyia se libère de mon empreinte. La lame scinde l'air en un sifflement. Par réflexe, je ferme les yeux, terrifiée à l’idée d’assister à l'horreur. Le bruissement me glace. Je n'ose pas regarder et pourtant, animées d'une curiosité morbide, mes paupières s'ouvrent. A mon plus grand soulagement, la lame est plantée dans l'écorce ébréchée, à quelque millimètres de l'irréversible. Seyia le dévisage avec dédain avant que Kteal ne s'approche pour la libérer de son fardeau. D'un regard approbateur, il l'invite à le suivre, et elle s’exécute, sombre et silencieuse. Ensemble, ils s'extraient de la foule, laissant le sinistre individu exposé à nos regards inquisiteurs. Le malaise ne dure pas. L'une des sœurs prend la parole et ordonne qu'on le conduise à l’intérieur de la bâtisse, afin de le soumettre à un interrogatoire.

 

 

 

Leina.

 

Sous le coup de l'émotion, je me laisse porter par la foule. Mon idée première n'était pas d'intenter un procès, mais de gagner du temps. Peut-être me suis-je avancée trop vite. Nous forçons cet homme à nous suivre jusqu'au rez-de-chaussée du manoir, où l'attend son jugement. La masse grouillante l'entoure, en quête de réponse. Un torrent de questions habite mes pensées. Je ne peux m'empêcher d'établir un parallèle, sans doute peu opportun, avec les chasses aux sorcières d’autrefois. Ces fameux tribunaux de guerre, jugeant à la volée les coupables désignés, bien souvent en se montrant plus cruels et infâmes que lesdits coupables. Bien entendu, il est toujours plus facile d’éprouver de l'empathie envers un condamné quand nous ne sommes pas nous-mêmes liés de prêt à l'affaire. Seyia, elle, pense différemment. C'est de bonne guerre.

 

Dans ces cas-là, j'ai tendance à me projeter dans la peau de la victime. Si cet homme avait fait du mal aux miens, je serais sans doute la première à désirer sa mort, à vouloir le faire souffrir à petit feu. J'en invoquerais la vengeance en maître mot, piétinant du talon la loi du talion, torturant l’infâme créature dépourvue d'humanité jusqu'à m’enivrer d'une cruauté coupable, brisant son esprit, broyant son corps, dévoyant ses fugaces espoirs que j'attiserais pour mieux les tordre à ma convenance, dans l'expiation vaine d'une damnation rédemptrice. Seyia ne l'a pas fait. Son geste n'était pas anodin. Noyée dans son dilemme moral, elle a entrevu une lumière, et je refuse que nous trahissions son sacrifice par peur ou calcul.

 

La guerre a tendance à insuffler ses effets pervers aux plus vertueux, et je ne veux pas nous voir endosser le rôle du bourreau. Alex a suivi Buffy et les autres à l'intérieur du cercle, mais moi, je m'en éloigne, encore. Je déserte à ma façon cette plaidoirie dont je crains la finalité. Les masses me terrifient lorsqu'elles se substituent à l'unité d'une conscience.

 

 

Ryane.

 

La maîtresse des lieux se dévoile enfin, escortée par un groupe composé de deux hommes et deux femmes, dont l'une arbore une chevelure cendrée. Celui qui attire mon attention, se révèle être l'ennemi public numéro un, celui de l'empire, plus le mien. Le vampire l'accompagne, et soudain, s'opère en moi une refonte des éléments jusqu'alors inaccessibles à ma compréhension. Les réponses affluent, et tout prend sens. Je discerne, à leur proximité, la nature de leur relation, le rôle de la grande prêtresse dans cette affaire, ainsi que son engagement en faveur de la rébellion. Jamais personne ne l'aurait soupçonné de trahison envers les Dieux, compte tenu de la nature même de sa fonction. Quel habile subterfuge ! La tournure des événements bascule enfin en ma faveur. Je suis désormais persuadé d’être au bon endroit.

 

La foule s'écarte au passage de la prêtresse, tandis que le vampire reste en retrait, les bras croisés. Ce qu'on prétend de cette femme est bien en deçà de la réalité. J'ai tout loisir de contempler de prêt la noblesse de son allure qui s'accorde merveilleusement à sa beauté vénéneuse. Son regard bleuté me désarçonne, me déroute, et m'enchante à la fois. Djézabelle me reconnaît et ne semble guère surprise de me voir ici. Son visage, ses traits, le langage de son corps : aucune émotion ne transparaît de sa personne. Elle me fixe, habillée d'un léger sourire au coin. Ses lèvres brillent d'un rouge écarlate, comme attisées par le sang, en l’occurrence le mien.

 

-Voyez-vous cela ! Le grand général daigne enfin m'honorer de sa visite. Je n'en attendais pas tant, mais j'ai cru comprendre que vous n'appréciez guère les convenances.

 

-Ex-général, la corrigé-je afin de dissiper toute ambiguïté sur ma position.

 

-Oui, il est vrai que j'ai appris avec enchantement votre défection, bien que cela ait eu pour conséquence d'installer à la tête des armées un fou sanguinaire. Enfin, disons, un peu plus dérangé que vous l'étiez vous-même.

 

Malheureusement, elle parle en toute clairvoyance. Je conçois cet état de fait, et je prends note qu'au moins, je n'aurai pas à prouver ma bonne foi.

 

...Puis-je savoir ce qui vous amène chez moi ? Ou plutôt, ce qui vous pousse à entrer par effraction dans une propriété que j'imaginais inviolable ?

 

-À vrai dire, cet endroit n'était pas l'objectif initial. Je suivais une piste, et elle m'a menée jusqu'ici.

 

-Quel heureux hasard ! affirme-t-elle avec un soupçon de suspicion.

 

-Le hasard n'a rien à voir là-dedans. C'est le fruit d'une stratégie établie depuis des mois.

 

-Et peut-on savoir en quoi consiste cette stratégie ? À vous faire tuer par mes invités ? Alors que si vous aviez sonné à la porte, sans doute vous aurai-je reçu, ou sans doute pas, qui sait ?

 

-À vrai dire, je n'étais pas certain de me trouver dans le bon camp. J'ai bien tenté de m'en expliquer, mais les mots n'ont de valeurs que lorsqu'ils se déploient.

 

-Les mots déployés servent bien des causes. Les actes, eux, parlent d’eux-mêmes, et les vôtres demeurent pour le moins ambigus.

 

-Mes mots et mes actes se rejoignent aujourd'hui, tout comme ils se rejoignaient hier. Je ne demande rien d'autre que de parler en vérité. Le reste, ce sera à vous de décider. J'ai pris d'énormes risques pour venir jusqu'ici. Entendez au moins ce que j'ai à dire.

 

-L'honnêteté peut jouer en votre faveur. Personnellement, je sais déjà où tout cela mènera, mais il ne s'agit pas de me convaincre moi.

 

Les paroles de la grande prêtresse me renvoient à tous ces regards haineux, qui me scrutent avec le désir de me faire taire à tout jamais. Ils me haïssent, et je ne leur jette pas la pierre. Ils ne sont que l'expression de mes crimes passés, mais je me dois d'en faire abstraction. J'ai l'intention de tenir ma promesse. Liv m'attend. Il est hors de question que je périsse ici sans avoir eu l'opportunité de combattre notre ennemi commun.

 

La jeune tueuse, celle qui m'a épargné, se tient à l'écart. Mon plaidoyer s'adresse à elle plus qu'à quiconque. Je me tourne dans sa direction, décidé à lui livrer la vérité. Je ressasse un passé sombre, marqué par mes mauvais choix. Je ne renie rien. J'énonce les faits, et rien que les faits. Je révèle comment, lors de notre affrontement dans les souterrains, je lui ai implanté un traceur de la taille d'une aiguille dans son avant-bras. Comment je l'ai traquée dans l'espoir qu'un jour, elle me mène à Buffy pour que je puisse l'enrôler dans mon armée.

 

Je parle de ma rencontre avec Liv, de mes doutes, de la bataille du désert, de ma rébellion qui a mené à ma fuite en Écosse, jusqu'à mon intrusion ici, guidé par cette puce implantée à son insu et qu'elle s'efforce d'extraire depuis qu’elle en a pris conscience. J'expose dans les moindres détails toutes les péripéties, mon état d'esprit du moment, sans rien omettre, parce que je n'ai plus rien à cacher ni à calculer. J'ai besoin de convaincre, or la vérité ne souffre d'aucune altération, d'aucune fourberie. Elle est lumière, et l'obscurité s'évince à son contact.

 

La haine persistera toujours, les rancœurs aussi, mais le doute se dissipera. Il ne s'agit pas de mots, d'une intonation particulière dans le timbre d'une voix, ni d'une prédisposition du corps à casser les codes de l'esprit. La vérité s'impose à tout artifice parce qu'elle se libère du jugement, de la perception de la subjectivité induite. Je leur exprime mon envie de les rejoindre, de risquer ma vie à leur côté, non pas pour expier mes fautes passés, mais pour créer ensemble un avenir meilleur.

 

Leina,

 

Son discours n'est pas celui d'un condamné, mais d'un homme honnête, qui a probablement commis l'irréparable et aspire à changer. Je souhaite que ma symptomatique naïveté devienne contagieuse et qu'elle opère sur les autres, au moins qu'on le maintienne à l’abri d'une meute enragée trop focalisée sur son instinct de survie pour se fier à l'évidence, celle qui me saute aux yeux et attise une clémence dont je ne m'enorgueillis point. Cet homme est assurément coupable. Coupable d'avoir été manipulé par le destin, par les circonstances, et par les Dieux eux-mêmes. Là où tous y voient un assassin, je ne peux m'empêcher de percevoir une victime, comme tant d'entre nous.

 

Dans l'attente du verdict, des murmures s’élèvent de toute part, au sein d'une foule tiraillée par des opinions contradictoires. Certains se méfient, d'autres ruminent leur désir de vengeance, tandis que la majorité silencieuse ne souhaite pas faire étalage de ses luttes intérieures. Au fond, nous étions tous suspendus au verdict, sans en déduire la forme qu'il prendrait. Serait-ce un vote à main levée ? Ou édifierions-nous un conseil de « sages » ? Non. Il est évident que la foule tranchera. Et la foule m’effraie. l'émulation de la négation l'emportera toujours sur toute forme de débat. De même qu'il est plus facile de détruire que de construire, il est d'autant plus risqué d'accorder sa confiance à l'équation d'une inconnue dont la résultante, au mieux incertaine, serait capable d'engendrer notre annihilation.

 

Il ne s'agit pas d'incriminer les craintes légitimes de chacun. Je les respecte et les comprends, mais je ne les partage pas. J'ai l'intuition que, si nous nous érigeons en bourreau, alors l'avenir que nous tentons de bâtir sera à jamais entaché par le sceau du souffre et du sang. Djézabelle met fin à mes tourments en frappant dans ses mains pour apaiser la foule. Elle porte une voix forte, intransigeante, autoritaire, teintée d'une sensualité capable de charmer les plus réfractaires. Quelle femme. Imaginer Alex, pendu à ses lèvres, me rend folle.

 

-Bien... Il a parlé. Je sais ce que certains d'entre vous pensent, et à vrai dire je m'en moque. Nous avons tous une opinion, mais ma demeure ne fait pas office de tribunal. Cet homme a commis des actes répréhensibles, c’est un fait. Figurez-vous qu'à mon niveau, j'ai commis bien pire. J'ai cru comprendre que la seule personne à même de le juger a décidé de l'épargner, alors qui sommes-nous pour contester cette décision.

 

Seyia reste imperturbable. Impossible d’évaluer ce qu'elle ressent, mais elle dégage une force intérieure, une énergie vibratoire aussi puissante et lumineuse que celle de Buffy. Son parcours chaotique l'avait en quelque sorte doté d’une profonde maturité. Suite à son déchaînement de colère sur la cime de l’arbre, elle apparait enfin en paix avec elle-même, comme si par ce geste, ses démons intérieurs s'étaient momentanément dissipés. Au ban de la foule, elle semble subir les événements autant que moi. Bien sûr, les murmures demeurent légion, mais la grande prêtresse, appuyée par les regards approbateurs de Buffy et des autres, reprend la parole avec assurance et une certaine nonchalance assumée.

 

...Soyons clair. Si cet homme avait dissimulé ses véritables intentions, alors je l'aurai moi-même châtié comme il se doit. Il ne s'agit pas là de bonté, mais de pragmatisme. Je sais déceler les mensonges pour ne pas me laisser berner impunément par n'importe quel imbécile venu, et je ne décèle rien de tout cela en lui. S'il désire se battre à nos côtés, alors il est le bienvenu. Non pas parce qu'il m'inspire une quelconque sympathie, mais parce qu'il sera, j'en suis persuadé, un atout plus que considérable dans notre lutte, bien plus que la majorité d'entre vous. Mon verdict est sans appel, à moins bien sûr qu'une belle âme ne se désigne pour mettre un terme à sa vie. Auquel cas, je ne m'y opposerai pas. Il conviendra toutefois d'un affrontement dans les règles de l'art, et non pas d'une vulgaire exécution.

 

Les railleries deviennent soudainement moins pressantes. Seuls quelques hommes appartenant à la garde rapprochée de Gunn continuent d’exprimer leur désir d'en découdre. Kate, la femme blonde, prend un malin plaisir à les remettre à leur place, tandis que Gunn semble entretenir une discussion animée avec Angel. Sans entendre leur discours, je devine à leurs visages apaisés qu'ils approuvent l'annonce de la prêtresse. C'est à cet instant que le vampire entre en scène en rejoignant Djézabelle au centre de l'arène.

 

-Bien ! Problème réglé ! annonce-t-il en sondant les masses. Ici, il n'y a désormais que des alliés, alors faisons tous un effort pour cohabiter. Sur le terrain, les troupes de Wolfram et Hart ne feront aucun cas de vos différences.

 

Spike observe Angel, raillant un discours qu'il trouve pompeux. Fred, toujours attentive, lui tape sur l'épaule en le reprenant à l'ordre. Ces deux-là forment un duo étonnement bien assorti. Quant à la relation entre les deux vampires, ça me dépasse complètement. Alex a bien essayé de me briefer, mais j'ai eu tôt fait d'abandonner. Buffy, elle, semble conquise par le ténébreux. Y a pas à dire, il existe une attirance entre eux, une alchimie qu'il est bien difficile de ne pas remarquer. Alex! Il revient vers moi. Son sourire m'a manqué. Plus il s'éloigne, plus je me rends compte que j'ai besoin de l'avoir à mes côtés. Finalement j'ai eu tort. Je devrais, moi aussi, reprendre confiance en nous, en notre lutte, parce que nous avons tant échoué par le passé qu'il finira bien un jour ou les tendances s'inverseront. À ses côtés, il ne peut en être autrement.


A suivre…

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