Shanshu II - Wolfram & Hart

Chapitre 24 : Liberté

3717 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 03/10/2024 17:11

                        Chapitre 24 LIBERTÉ

 

Aujourd'hui, je ne ferai plus ce qu'ils attendent de moi. Qu'ai-je à perdre à ne plus suivre le troupeau ? Je n'ai ni femme ni enfant. Je suis seul avec ma vieillesse qui n’emporte petit à petit vers l'oubli. Que laisserai-je derrière moi quand je ne serai plus là ? À quoi ça aura servi, toute cette vie à trimer comme esclave dans ce monde qui tourne à l'envers ?

 

Aujourd'hui marque le début du reste de mon existence. Ils me chercheront, sans doute ma traqueront-ils, mais le temps qu'ils me retrouvent, j'aurai gagné ma liberté.

 

J'ai écrit ce livre, relatant l'histoire d'une héroïne trouvée un soir dans une ruelle paumée de Londres. C'était une jeune femme mystérieuse, provenant des souterrains, de là où traînent la crasse et les factions rebelles. Sans doute en faisait-elle partie. Alors j'ai créé un univers autour d'elle en imaginant qu'elle serait la pierre angulaire des changements à venir.

 

Je ne sais pas ce qui adviendra de cette histoire, lorsque je ne serai plus. Sans doute brûleront-ils mes écrits si d'aventure ils mettaient la main dessus. J'entretiens l’espoir que, caché dans un coffre à quelque mètre de profondeur sous terre, la personne qui les trouvera, je croise les doigts, dans un avenir meilleur, pourra avoir un aperçu de ce qu'ont été nos existences. Celles des pauvres gens sous la domination de ces faux Dieux.

 

J'ai l'espoir qu’un jour, cette femme comprendra que sa rencontre a bouleversé ma vie, même si ce n'était qu’un court instant.

 

Ce matin, en me levant, le café n'avait plus le même goût. Le changement ne provenait pas de lui, mais bien de moi. D'ordinaire, je me levais dans l’urgence, prisonnier d’une peur irrationnelle de manquer de temps, ou pire, de ne plus être capable de suivre ce chemin quotidien vers cette usine de mort. À vivre sur le fil du rasoir, on en finit par devenir des automates.

 

Combien ai-je vu de collègues à l'agonie, se trainer jusqu’à leur poste, les mâchoires crispées, de peur qu'on leur retire le maigre salaire nécessaire à leur survie ? Beaucoup trop. Nous n'étions plus traités comme des êtres humains, mais comme du bétail. Pire que des numéros, de la chair à canon interchangeable du jour au lendemain. Dire qu'il fut un temps où je me plaignais du manque de reconnaissance, jamais je n'aurais imaginé que la situation puisse empirer à ce point. Personne ne l'avait anticipé.

 

Si vous me demandiez pourquoi maintenant ? pourquoi aujourd'hui ? Je n'aurais sans doute pas de réponse claire. Peut-être est-ce parce que j'ai achevé mon roman, ou à cause des rayons de soleil qui, ce matin, ont filtré à travers l'embrasure de mes volets. Non, je mentirais si je prétendais que c'est sur un coup de tête. Ce n'est pas non plus le fruit d’une longue réflexion. Disons qu'une fois que l'idée vous a traversé l'esprit, elle continue de germer dans votre tête quelque part, et il suffit d'un simple moment où vous êtes plus réceptif qu'un autre, et les roulements de la machine s'engrangent malgré vous.

 

L'hiver a été rude, mais l'été commence à pointer timidement. Le printemps ? le changement de saison ne fait plus sens lorsqu'on ne fout plus les pieds dehors.

 

J'ouvre les volets, juste pour respirer un bouffée d'air frais. Y a pas à dire, c'est une magnifique journée. Le ciel est d’un bleu limpide, les oiseaux chantent, et l'odeur suffocante de la pollution est légèrement atténuée par celle de l'herbe fraîche et des fleurs sauvages qui persistent, malgré la marre de bitume. Il me reste un peu de café, juste assez pour l'accompagner de la cigarette du matin. En la portant à mes lèvres, je me dis que c'est peut-être la dernière fois que je l'apprécie sur le rebord de la fenêtre. Pas de quoi me rendre sentimental, mais tout de même, ça fait quelque chose.

 

L'heure affichée sur ma pendule, me conforte dans l’idée que je peux encore faire marche arrière. En me pressant, je pourrais toujours prendre le premier métro et, pourquoi pas, arriver à l'heure. Une pensée fugace, mais à l'idée de revivre chaque jour la même routine, je ne reviens pas sur mon grand projet. Allez, plus j'attends, et plus je risque de douter, et hésiter, c'est déjà renoncer. La lâcheté m'a caractérisé toute ma vie, alors pour une fois que je peux prétendre être le héros de ma propre histoire, y a pas à chier, je ne vais pas me faire prier.

 

Je récupère mon sac à dos, soigneusement préparé la veille, et abandonné sur mon vieux canapé de cuir usé. Il ne pèse pas bien lourd. J'ai même cette sensation de ne rien transporter lorsque je l’enroule autour de mes épaule. En me dirigeant vers la porte, un nœud se forme dans ma poitrine. Je me refuse à jeter un dernier regard à cet appartement. C'est étrange de constater à quel point, lorsqu’on est seul, on finit par s’attacher aux biens matériels, à les personnifier comme de vieux compagnons de route. C'est dire si la solitude rend misérable. Ces escaliers, en revanche, ne vont pas me manquer. Les descendre est une chose, mais monter au quatrième étage, encombré de courses, sur ce plancher grinçant, à mon âge et avec mes muscles en perdition, ça s'apparentait aux douze travaux d'hercule.

 

La rue est bondée, comme toujours. Des milliers de véhicules s'entrecroisent sans répit. Une vraie fourmilière cette cité. Le vent frais s'engouffrant sous ma chemise à manche courte me procure un bien fou, de quoi entamer ma marche pénible en parcourant les grands axes de la ville.

 

Le vent de la liberté accompagne mes pas. Je sors du troupeau, je ne vais pas là où on m'attend, mais là où j'ai choisi d'aller. Dommage pour mes vieilles guimbardes que la destination soit si lointaine. Je ne prendrai pas le métro. Hors de question de ne pas profiter du grand air, aussi vicié soit-il. Quand bien même cette ville est une prison à ciel ouvert, autant respirer pendant que j’en ai encore l’occasion.

 

Sur ce long chemin, je revois tout ce qui a façonné mon existence. Mon enfance, mes réussites, mes échecs, des lieux, des sensations m'ayant marqué étant plus jeune lors des grandes découvertes, et puis cette ville, effrayante et sombre, n'étant plus que l'ombre de ce qu'elle fut jadis. J'y ai tant de souvenirs précieux, et ils ont tout détruit.

 

Je ne leur pardonnerai jamais, ni à eux ni à ceux qui ont baissé les bras. Si nous en sommes là, c'est à cause de notre propre lâcheté. J'y ai pris ma part en restant muet devant l'intolérable. Les gens ont abandonné, terrassés par la peur, mais je la certitude que tout peut encore changer. Qu'il suffît d'une étincelle, un souffle, pour que le feu reprenne. Et pourtant, partout où mes yeux se posent, l'ombre oppressante des milices veille à chaque coin de rue, menaçante, omniprésente.

 

Depuis l’ascension au pouvoir du général Drago, les exactions perpétrées par les soldats de l'Empire se sont dramatiquement intensifiées. Pas un seul jour ne s’écoule sans son cortège de morts tragiques. Les exécutions se sont multipliées et ce ne sont pas les motifs qui manquent. D'ailleurs, en ont-ils encore besoin ? Ces messagers de la mort ont la gâchette facile.

 

Pour espérer échapper à leurs griffes, mieux vaut éviter de tomber sur un contrôle. Mes yeux, avec le temps, sont devenus de véritables radars à milice. D’un coup d’œil furtif, j’identifie une petite ruelle, à l’abri des regards, et m’y glisse, ni vu ni connu. Ces monstres passent leur temps à terroriser la population, croyant étouffer dans l’œuf, toute velléité de rébellions. Autant dire que sur moi, ça a eu l'effet inverse, ce qui signifie que je ne dois pas être le seul dans ce cas.

 

Cette population vaut mieux que ce qu'ils pensent. Ce peuple est grand et il attend, j'en suis persuadé, le moment propice pour se réveiller. Ils ont commis une erreur monumentale. En brutalisant les opprimés, en les poussant dans leurs derniers retranchements, ils attisent, sans le savoir, leur soif de liberté, leur envie de révolte. L'histoire ne leur a donc rien enseigné ? C’est précisément lorsque le lion est acculé, au seuil de la mort, qu'il devient le plus dangereux.

 

Autrefois, l'ancien général s’efforçait de maintenir un semblant d'équilibre, mais ce n'est pas le cas de son successeur. Dans mon usine, les murmures de mécontentement se sont fait plus audibles. Certains ont été balancés, on ne les a plus revus. Ils doivent certainement croupir, le corps criblé de balles, dans les fosses communes à l'heure qu'il est. Triste sort pour ces pauvres bougres, mais au moins, ils n'auront plus à subir cette vie miséreuse.

 

Qu'est-ce que je suis en train de faire ? Relater ces événements, c'est déjà jouer leur jeux. Ce sont peut-être mes derniers moments et voilà que je les passe dans leur monde. Non, je refuse de partir ainsi. Ce n'est pas ma ville et il est temps de la retrouver, de l'évoquer dans ma mémoire : mon histoire, celle qui débute dans les pages d'un conte de mon enfance.

 

Alors que j'aborde avec prudence le quartier de Westminster, des sonorités mélodieuses infiltrent ma tête. On l'appelait le West End, tous ces quartiers de l'Ouest londonien où se produisaient jadis les plus belles représentations musicales du monde, en concurrence avec Broadway.

 

Je me revois au bras de cette magnifique jeune fille que j'essayais d'impressionner. À cette époque, la nuit, les lumières des grands théâtres illuminaient les rues et attiraient les regards comme un appel à la découverte. J'avais l'embarra du choix, mais ce soir-là, les multiples affiches mettant en scène « Les Misérables » m'avaient envoûtées, et nous avions alors passé une soirée mémorable à rêver, à pleurer, devant l'interprétation magistrale de Léa Salonga et de tout le casting.

 

Ce fut le point de départ de ma première histoire d'amour. À la fin du spectacle, je nous revois encore nous perdre dans les ruelles éclairées, sillonner les trottoirs humides à la recherche d'un pub où prolonger la magie de la soirée. Londres m'était alors apparue comme une ville vibrante, pleine de vie et de promesses, sans doute la plus belle ville du monde. Aujourd'hui, les théâtres sont morts. Le West End n'est plus, et seules demeurent les façades ternies de ces édifices, vestiges d'un passé autrefois glorieux.

 

Mon regard est attiré par un bout de papier déchiré, accroché obstinément à un pan de mur appartenant au Queen Theater. J'en devine les traits. C'est Cosette, ou du moins ce qu'il en reste. Je ne saurais d'écrire l'émotion qui me transporte. Malgré les années et les ravages du temps, cette affiche n'a jamais pu être effacée complètement. Quelque part, je retrouve l'espoir. J’interprète cette découverte comme un signe, un symbole silencieux et puissant.

 

J'en ai la certitude, ils ne parviendront jamais à nous faire oublier ce que nous étions, comme je n'oublierai jamais son visage. Chaque souvenir me ramène à son sourire, à ses colères, à ses larmes, au réconfort de ses bras. Je parcours son corps peut-être pour la dernière fois. Elle m'apaise, me rend fier et m'accompagne dans mon dernier voyage. Londres fait partie de moi. La traverser, c'est revisiter chaque moment de mon existence, chaque battement de mon cœur.

 

Après avoir rejoint Westminster, je décide d'entamer un détour du côté de st James Park. Dans le temps, j'apercevais la garde royale y faire quelques promenades à cheval. J'avais pour habitude d'y pratiquer le footing lorsque mon corps me le permettait encore. Quel plaisir de courir autour de ce lac, peuplé par des milliers d'écureuils et d'oiseaux joyeusement intégrés au parc. Je revois encore les sourires des enfants qui s'amusaient à les nourrir. Une vague de tristesse m’envahit en constatant la dure réalité. Comment un lieu autrefois si débordant de vie peut-il finir de la sorte, dépourvu du sourire des enfants ?

 

Je ne m'attarde pas. Je dépasse le mémorial de la bataille d'Ypres, direction le palais de Buckingham. Une fois devant la palissade, je me rends compte que des gardes armés protègent les grilles et m'observent d'un œil sévère. La garde royale a été substituée par les milices, beaucoup moins glamours et surtout infiniment plus dangereuses. À cet instant, mon cœur bat la chamade. Je fais mine de ne pas croiser leur regard en priant pour qu'ils ne me contrôlent pas. Contre toute attente, ma prière est exaucée. Me désintéressant de mon objectif initial, je poursuis la route en contournant le parc jusqu'à atteindre l’une des places les plus emblématiques et animées de Londres : Trafalgar Square.

 

La colonne de Nelson, ce monument de quarante-quatre mètres, a été dépossédée de son héros. En levant les yeux, j'aperçois avec écœurement les statues du loup, du cerf, et du bélier, trôner en son sommet. Ce lieu me renvoie aux sorties scolaires de mon enfance. J'entends encore Miss Anderson nous conter avec fierté la mise en déroute de la flotte française et espagnole par le sacrifice de l'amiral Nelson. À vrai dire, ce qui m'avait le plus marqué n'était pas tant l'histoire, mais le goûter qui s'en était suivi, autour des deux fontaines situées à quelques pas du National Gallery, le musée d'art, point d'orgue de notre embardée de l'époque. Désormais ce n'est plus qu'un mausolée lugubre abritant les symboles d'une guerre vieille de dix ans.

 

En haut, dans le ciel, je distingue les drones qui survolent la ville, implacables sentinelles à la recherche de Dieu sait quoi. Ces engins de mort, scrutant et scannant la population sans relâche, font désormais partie du paysage. L’œil inquisiteur de Big Brother est partout, omniprésent. Je sais qu’à cette heure précise, mon absence a déjà été remarquée. Mon nom figure sans doute dans leurs fichiers, une cible parmi tant d’autres. Une seule idée me traverse l'esprit : fuir ces oiseaux de malheur.

 

Je descends le long de Northumberland avenue, où se trouvent les anciens ministères. Je passais souvent dans le coin pour me rendre au bar « Le Sherlock Holmes » avant qu'il ne mette définitivement la clé sous la porte. En suivant ce chemin familier, je parviens enfin aux quais bordant la Tamise. Le clapotis de l’eau et le léger vent me guident jusqu’au Hungerford Bridge, cette imposante passerelle qui enjambe le fleuve, reliant les deux rives comme un pont entre deux époques. Alors que je progresse sur ses planches métalliques, mes souvenirs me ramènent au temps, où l’œil de Londres, majestueux, dominait l’horizon. A ses pieds, de petits commerces touristiques ajoutaient à l’effervescence du lieu.

 

Désormais, la seule attraction qui subsiste est cette tour de Babel sombre, marquée du joyau, supplantant, à l'image de ses deux sœurs, le ciel londonien. Je détourne le regard, désirant préserver, à l’abri de cette aberration, mes souvenirs d’antan. Suivant la direction des quais, l'envie me prend de m'en griller une. Bon sang, qu'elle fait du bien celle-ci. C'est étrange, en temps normal, je n'aurai pas été capable de parcourir autant de distance, mais aujourd'hui, j'y parviens sans difficulté. Comme si, finalement, tout n'était qu’une question d’état d'esprit, et que le corps, docile, se pliait à sa volonté, jusqu'à un certain point, j’imagine.

 

La longue distance qui me sépare de mon objectif se fait néanmoins dans la souffrance. Le poids de la vieillesse me rappelle à l'ordre. Mon discours sur la vue de l'esprit était sans doute un tantinet trop hâtif. Une fois entré dans le quartier de Borrow, je continue sur Clink Street en traversant un bâtiment au toit de verre donnant sur les quais. Au loin, la Skyline de la City se dessine, dominée par ses buildings imposants, dont l’un, particulièrement vertigineux, arbore le symbole du miroir.

 

La peur commence à s’insinuer en moi, à mesure que je me rapproche de ma destination finale. Mon cœur bat à tout rompre, comme pour me rappeler qu'il existe. Mes pas me portent le long des quais, presque mécaniquement, mais mon esprit, lui, s’emballe. Eviter de réfléchir devient une tâche laborieuse. Pour échapper à mes craintes, je décide de me focaliser sur le premier objet qui croise mon regard. En l’occurrence, c’est cette sculpture ovale en forme d’œuf qui accapare toute mon attention. Un œuf de métal, froid et immobile, planté la devant le City Hall. J’ai beau l’avoir croisé des centaines de fois, je n'ai jamais compris ce que l'artiste voulait exprimer à travers cette œuvre si singulière. Peut-être une métaphore de la fragilité, ou du renouveau. Peut-être rien du tout.

 

Le temps d’élaborer toutes sortes de théories loufoques que j'avais déjà traversé le London Bridge et rejoins la City. Il y a quelques mois, c'est non loin d'ici que je l'ai rencontrée : la fille de mon roman. Celle qui, sans le vouloir, avait bouleversé le cours de mon existence. Nous, les anciens, nous pouvons avoir honte. Nous avons laissé la jeunesse se battre à notre place, incapables de défendre ce qu’ils tentaient de sauver. Une faiblesse que je m'en vais bannir de ce pas.

 

Mon chemin touche bientôt à sa fin. L'instinct de préservation me pousse pourtant à fuir, à dépasser les buildings pour suivre White Chapel, le fief de Jack l'Éventreur. Les souvenirs affluent malgré moi, et je me revois enfant, écoutant ma mère me raconter ces histoires terrifiantes sur le premier tueur en série de l’histoire. Elle menaçait de faire appel à ses services à chaque fois que je ne me tenais pas à carreau. L'éducation à l'ancienne, sévère, mais cruellement efficace.

 

S'il y a bien un regret qui persiste en moi, c’est celui de n'avoir jamais été père. J'aurais apprécié qu'on m'appelle ‘papa’, au moins une fois, juste pour savoir ce qu'on ressent. Cette pensée me hante, mais elle se dissipe rapidement lorsque je réalise que je fais face à cet immonde édifice. En levant la tête au ciel, je le défi du regard, lui et tout ce qu'il représente. C'est de ce lieu que surviennent toute les manipulations et l'asservissement des peuples. De ces murs suintent les idées qui servent leurs intérêts, les mensonges qui nous ont enfermés dans cette cage invisible. Il est temps de retourner leurs propres armes contre eux.

 

Je sais ce que je risque. J'en tremble. Allez, une dernière pour la route. Cette cigarette me semble plus difficile à consumer que les autres. Ce satané bras me donne un avant-goût de ce qu'aurait été ma vie si j’avais été frappé par la maladie de Parkinson. J'y parviens tout de même et, chose assez rare pour le mentionner, ma tête commence à tourner sous l'effet de l'inhalation.

 

Bon sang, qu'est-ce que je fous là. Mon cœur tambourine dans ma poitrine, et déjà, le bourdonnement des drones se rapproche. Ces engins me traquent, comme des mouches attirées par l’odeur de ma sueur. J'en frémis d'avance. Désormais, plus de retour en arrière possible. Je suis condamné à aller au bout. J'ai peur. Non, ça va au-delà de la peur. J'ai l'impression de tomber en syncope. Des frissons jusque dans les cheveux rendent ma tête et l'ensemble de mon corps plus légers qu'une plume. Sûrement l'adrénaline. Il faut que je le fasse, avant de ne plus en être capable.

 

Merde, j'entends les pas de la milice accourant dans ma direction. Les drones, eux, sont déjà en train de me scanner. Vite, je sors de mon sac à dos le drapeau sur lequel j'ai gravé ce simple mot, incrusté en lettres de sang. Je l'accroche au trépied, tandis que les vautours mécaniques détectent l’anomalie. Leurs canons intégrés me visent, et leurs caméras enregistrent chacun de mes mouvements. Je suis à deux doigts de tomber dans les vapes. Je ne sais même pas comment mes jambes tiennent accrochées au bitume.

 

On m'interpelle. La voix du milicien résonne à travers le vacarme de mon esprit, son arme braquée sur moi, prêt à tirer. Il m'invective, mais je ne l'écoute déjà plus. Je suis allé au bout de moi-même. L’adrénaline fait battre mes tempes. Un dernier espoir me traverse : que tout ceci soit diffusé en direct, que mes derniers gestes ne soient pas vains. Bien évidemment, ils ne manqueront pas l'occasion d'avertir la population sur le risque qu'ils encourent à se rebeller, et je compte là-dessus. Je suis Seldon, j'ai vécu en esclave et je meurs en résistant. La mort, non je ne veux pas, j'ai peur, je…

 

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