Shanshu II - Wolfram & Hart

Chapitre 22 : COOPERATION CONTRASTEE

15543 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 15/09/2024 16:31

                                                          Chapitre 19 COOPERATION CONTRASTEE

 

Le Hummer noir patrouillait dans les petites rues de la ville tentaculaire, évitant soigneusement l'heure de pointe et les contrôles inopinés des grandes avenues. Fred, à la place passager, venait d'endurer les heures les plus longues de son existence, prise à partie entre deux têtes de mules incapables de s'accorder. Le plaisir de retrouver Los Angeles, cette ville dont elle rêvait toujours avec une certaine nostalgie, se trouvait terni par les invectives incessantes et la mauvaise foi qui régnait dans l’habitacle. Riley avait dû concéder à un long détour avant de parvenir, en fin de matinée, à la cité des anges, ce qui ne fut pas du goût de Spike, quelque peu sceptique sur l'itinéraire choisi.

 

-Bon sang, si ça ne tenait qu'à moi, ça ferait longtemps qu'on serait arrivé.

 

-Ça fait dix fois que je t'explique qu'il fallait faire des détours pour éviter les barrages, répondit Riley, les mains sur le volant. On a peut-être fait quelques kilomètres en plus, mais au moins, on est toujours en vie.

 

-Quelques kilomètres ? T'as fait le tour de la Californie, et puis c'est quoi ces chemins que t'as pris. J'avais l'impression d'être bringuebalé dans un avion en plein crash.

 

-J'ai suivi ce petit boîtier directement lié aux fréquences émises par l'empire, se défendit fièrement le soldat en touchant du doigt l'émetteur-récepteur encastré sur le tableau de bord. J'avais pas le choix. Un contrôle d'identité et on était bon pour une exécution, mais bon la technologie, c'est pas ton fort.

 

-Super idée, se moqua le vampire. Emprunter des passages ou personne ne va. Pourquoi pas faire coucou aux drones pendant que t'y es. T'as jamais compris que la meilleure façon de passer inaperçu, c'est d'agir comme tout le monde ? On vous apprend quoi à l'initiative. Pas étonnant que Buffy ait grillé ta couverture en moins de deux.

 

Riley bouillonnait de l'intérieur. La remarque sur son ex ne passait pas, surtout en tenant compte de l’acharnement avec lequel le vampire avait, à l’époque, semé les graines de la discorde dans leur couple. Un ressentiment que le temps n'avait pas amenuisé.

                                                                 

-T'étais pas obligé de venir, répliqua le soldat en contenant sa colère. J’te rappelle que tu n'es qu'un invité et pas le mien. D'ailleurs il fait un soleil radieux dehors, je suis persuadé qu'une bonne balade au grand air te ferait le plus grand bien.

 

Spike le perça d'un regard noir. Un bref silence plana, comme un accalmie avant la tempête, puis il reprit aussitôt en usant d'une répartie fraîchement trouvée.

 

-Tu veux que j’te dise...

 

-Stop !!! hurla Fred proche de s'arracher les cheveux. Ça fait des heures que je vous écoute vous écharper et je suis à bout. Pourtant, je pensais avoir atteint la palme de l'absurde entre Angel et toi, Spike, mais j'étais à cent lieues d'imaginer qu'avec vous deux, ce serait la même chose, et j'en ai ma claque d'avoir affaire à deux enfants immatures incapables de s'entendre. Si j'avais su que vous étiez aussi puérils alors je me serai passé de votre soutien. Je vous rappelle qu'on est dans le même camp alors imprimez-le, faites votre mea-culpa et agissez en adultes responsables.

 

La gueulante eut l'effet escompté, laissant les deux rivaux face à leur accablante turpitude. Impressionné par le caractère bien trempé de la belle, Riley réalisait que sous cette frêle silhouette se cachait une femme de poigne qu'il ne valait mieux pas contrarier. Spike, coutumier du fait, n'osa pas broncher et pour cause : Fred était l'une des seules à pouvoir le recadrer de la sorte sans qu'il n'y trouve à redire. Pourtant, une fois la colère retombée, la belle éprouvait toujours cette légère culpabilité, comme un petit ange sur son épaule lui rappelant sa réaction excessive, en totale contradiction avec son tempérament habituel, doux et réfléchi. Heureusement, le petit démon contrebalançait le tout, lui procurant cette douce sensation de délivrance après tant d'effort à encaisser leur infantilisme jusqu'à saturation.

 

-Elle a raison ! concéda docilement Riley en jetant un coup d’œil condescendant dans le rétroviseur.

 

-Hé ! rétorqua Spike avec agacement. Elle parlait aussi pour toi au cas où tu ne l'aurais pas remarqué.

 

-L'adresse ! annonça Fred, les yeux rivés sur son écran de téléphone. On ne devrait plus être très loin. C'est censé se trouver à quelques pâtés de maisons d'ici. Prends la première sur ta droite.

 

Riley s’exécuta sans un mot, et le Hummer s'engagea silencieusement dans la 5ème avenue, à Downtown Skid Row, dans le quartier d'affaire, en plein cœur de Los Angeles. Pourtant, à quelques rues seulement des plus imposants gratte-ciel de la cité, s'étendait une autre réalité, bien moins reluisante : celle des exclus, des oubliés, vivant à l’ombre du pouvoir et de la richesse. Les rues, baignées par la lumière du jour, étaient envahies par des campements de fortune, des tentes usées et dépareillées, dressées de manière anarchique sur les trottoirs.

Ces refuges précaires pour les sans-abri, constituaient un point de chute incontournable pour les toxicomanes de tout bord. A l’ombre de ces toiles usées, les injections se faisaient à la vue de tous, et avec toutes sortes de stupéfiants.

Malgré cette misère affichée, des signes d’espoir persistaient. Le quartier était aussi le théâtre d’un combat plus discret mais tout aussi acharné, mené par des associations d’aide, dévouées à soulager la détresse de cette population. Des bénévoles, inlassablement présents, distribuaient nourriture, vêtements, et une écoute attentive à toutes celles et ceux qui en avaient besoin.

 

Étant tristement familiers des lieux, Fred et Spike ne constatèrent pas d'évolution notable depuis l’avènement de la nouvelle ère, si ce n'est une misère toujours plus abondante. Seule source d'optimisme : aucune milice à l'horizon exerçant leur tyrannie.

Riley, au volant, avançait à une allure réduite, son regard parcourant cette scène de désolation avec une pointe d’incrédulité.

 

-Ces gens sont pauvres ! souffla-t-il, secoué par l’ampleur du spectacle. Mais au moins, ils ont l'air libres. Je n'arrive pas à croire que Wolfram et Hart ne contrôlent pas cette zone. J'ai entendu parler d'une résistance accrue dans ce secteur, mais un tel attroupement en pleine journée, au nez et à la barbe de l'empire, ça je ne l'aurais jamais cru.

 

-Ouais, confirma le vampire. Faut croire que ces gens ne peuvent pas descendre plus bas et qu'ils n’intéressent personne. Pas assez d’enjeux pour attirer l’attention de l’empire.

 

-Non ! réfuta Fred. Je n'imagine vraiment pas Wolfram et Hart concéder du terrain en plein cœur de Los Angeles. Il doit y avoir une explication. La milice ne s'est jamais embarrassée d'une population inutile. Généralement, ceux qui ne sont pas en état de participer aux finances de l'empire sont traqués, voire même pires. Il se trame des choses pas normales ici.

 

-Parce que tu trouves qu'il peut y avoir pire que ça toi, continua Spike. Regarde-les. Ce sont tous des zombies. Ils n'attendent plus rien de la vie.

 

Sur les accotements, à l'ombre des bâtiments délabrés, des groupes se manifestaient ici et là, certains s'apparentant à des gangs, d'autres à de pauvres gens se réunissant pour chanter et partager leurs espoirs, tandis que les plus vulnérables, allongés à même le sol, décuvaient et pourrissaient dans l’indifférence générale autour des seringues usagées, de l'urine, et des détritus.

 

-Ça risque d'être difficile de passer inaperçu, s'inquiéta Riley sur le qui-vive. On n’arrête pas de nous observer depuis notre arrivée.

 

Le Hummer noir faisait l'objet de toutes les attentions. Les regards insistants et menaçants les scrutaient scrupuleusement, et cela ou qu'ils aillent. Les guetteurs, dissimulés dans les ombres, murmuraient dans leurs téléphones, sans doute pour annoncer leur présence et ameuter les loups. Reniflant le danger, Riley pressa l’accélérateur et bifurqua à l'angle de la première rue.

 

...Ou tu en es ? s'enquit-il. On ne peut pas s'éterniser ici. Je ne suis pas certain qu'ils apprécient les étrangers.

 

-À Los Angeles, nous sommes tous des étrangers, assura le vampire. Il va falloir te mettre à la page mon gars.

 

-On y est presque, dans moins d'un kilomètre, déclara Fred d’une voix assurée. Continue tout droit et tourne à droite sur st Rai….

 

Mais avant qu’elle ait pu terminer sa phrase , une vision familière frappa sa conscience de plein fouet.

Un tag imposant, peint à la hâte sur le mur décrépit d’un immeuble abandonné, avait attiré son attention. Les contours bruts et agressifs de ce symbole éveillèrent en elle un souvenir enfoui, une réminiscence d’un passé empreint d’une douce nostalgie.

 

...Ralentis ! insista-t-elle subitement, la voix tremblante et le souffle court, ses yeux rivés sur le symbole.

 

Riley, surpris par la brusquerie de son ton, obéit sans poser de question. Spike, quant à lui, se redressa légèrement depuis la banquette arrière, intrigué par l’attitude de la jeune femme.

 

-Qu'est ce qui t’arrive ? demanda le vampire, avec une pointe d’inquiétude. T'as vu quelque chose ?

 

Encore sous le choc, Fred s'accorda quelques secondes pour s'assurer du bien-fondé de son ressenti. Aucun doute ne subsistait. Sa mémoire ne lui jouait aucun tour. Elle se souvenait parfaitement de cette carte de visite créée par Cordélia, du temps où ils tenaient une agence de détectives, bien avant qu'elle n'intègre Angel et son équipe. Le logo était resté tel qu'elle l'avait aperçu à de multiples reprises, traînant dans des bacs de paperasse à l'hôtel Hypérion. Il symbolisait un Ange grossièrement dessiné avec un rond mal tracé représentant la tête, deux ailes esquissées, et une sorte de trait formant un L en guise de corps. Pas le genre de dessin que l'on oublie aisément.

 

-Ce symbole sur le mur, je le connais.

 

Suivant le tag du regard, Spike et Riley s'affichèrent sceptiques.

 

-Quoi tu veux parler de ce truc-là ? s’étonna le vampire, les sourcils froncés, un brin moqueur. Je vois rien de spécial, juste un gribouillage comme tant d’autres. On dirait que ça a été tagué par un gamin.

 

Riley, quant à lui, se contentait de fixer le symbole silencieusement. La tag lui semblait sans intérêt particulier, juste un autre graffiti parmi les innombrables marques de dégradation qui parsemaient les rues délabrées de la ville.

 

-T’es sûre que c’est important ? ajouta-t-il, cherchant à comprendre ce qui la troublait à ce point. On parle bien de ce … papillon. Enfin, ça ressemble plus à un oiseau. Oui, c’est ça, une chouette.

 

-C’est un ange ! répliqua Fred, agacée par la légèreté avec laquelle ils traitaient la situation. 

 

-Quoi que ce dessin puisse représenter, reprit le soldat, je l'ai aperçu à plusieurs reprises sur les murs du quartier. C'est peut-être bien la marque d'un gang.

 

-Non ! s'emporta la jeune femme, exaspérée. Ce n'est pas le signe d'un gang, c'est …

 

Elle se tut. À quoi bon leur expliquer ? Ils ne comprendraient pas. Ce symbole revêtait une valeur particulière à ses yeux, une empreinte invisible qu’elle seule pouvait ressentir. Il évoquait une époque révolue, des souvenirs que ni Spike ni Riley n’étaient à même d’appréhender.

Voyant le silence s’étirer, ces derniers échangèrent un regard. Ayant la désagréable impression de l'avoir offensée, le vampire et le soldat attendaient des éclaircissements, une justification, mais elle coupa court à tout questionnement en prétextant une simple confusion.

 

Parvenus enfin à la destination indiquée par le Gps, les pneus se cristallisèrent sur l'asphalte et le moteur vrombissant se fit silencieux.

 

-Tu es sûre que c'est bien ici ? questionna Riley, en scrutant les alentours.

 

-Pas de doute, répondit Fred avec assurance. C'est bien la bonne adresse.

 

Face à eux, se dressait un petit entrepôt à l’allure moribonde. Sa façade, rongée par le temps, semblait indiquer un abandon de plusieurs années. Les mûrs étaient effrités, recouverts de salissures et de graffiti délavés par les intempéries. Pourtant, un détail tranchait avec cette apparence morne : ce symbole de l'Ange, imposant et clair, recouvrant la majeur partie du portail clos, qui donnait accès à l’unique quai de chargement. Juste à droite, une petite porte métallique, légèrement rouillée et précédée de trois marches, permettait d'accéder à l’intérieur.

 

Riley et Fred descendirent du Hummer, tandis que Spike hésitait à les suivre. Sa condition de vampire ne lui permettait pas de s’exposer en plein soleil, aussi y réfléchit-il à deux fois avant d'ouvrir la portière. Le regard circonspect de son rival le décida néanmoins à tenter le diable. Hors de question pour lui de passer pour un poids mort.

 

-Bon sang ! grommela-t-il comme pour se donner du courage. Par l'enfer.

 

Le vampire empoigna sa longue veste de cuir, se couvrit la tête et le haut du corps avec, puis s'extirpa du véhicule en se précipitant vers la zone d'ombre projetée par le bâtiment délabré. Fred, inquiète pour son sort, s'empressa de le rejoindre.

 

-Spike. Ça va aller ?

 

Toujours abrité sous son manteau, le vampire suait à grosses gouttes, et désormais de fines volutes de fumée s'échappait de sa peau diaphane.

 

-J'ai connu pire. J'ai aussi connu mieux.

 

-OK, on ne va pas avoir le choix, déclara le soldat, pragmatique. On entre dans le bâtiment. Quoiqu'on cherche, on devrait le trouver à l'intérieur.

 

-Super initiative, capitaine, ironisa Spike, pressé de se mettre à l’abri. Vous m'en voudrez pas si je passe devant.

 

Le vampire se précipita en direction de la porte, mais, réalisant que ses compagnons ne le suivaient pas, il freina sa course et se retourna, perplexe. Emmitouflé dans son manteau, il n'avait pas détecté l'arrivée fortuite d'une bande de rudes gaillards à la mine patibulaire, surgissant de l'arrière de la ruelle.

 

Ces individus portaient des vêtements amples et des sweats à capuche, qui cachaient partiellement leurs visages. Cependant, au-delà de leurs accoutrements, les armes blanches et les battes de base-ball qu’ils brandissaient ouvertement, révélaient clairement leurs intentions. Certains semblaient impatients d'en découdre, notamment les mieux armées.

 

Après une brève analyse, Riley en compta sept : il avait déjà identifié le plus dangereux.  

 

-Hé cabron ! les interpella le leader de son sourire vil en tapotant le bout de sa batte contre la paume de sa main. On peut savoir ce que vous foutez chez moi ?

 

De ses camarades, il n'était ni le plus grand, ni le plus costaud, pourtant Riley avait vu juste en décelant chez lui plus que chez les autres, un attrait pour le sang. Le reflet de prédateur émanant de son regard ne trompait pas.

 

-On ne veut pas d'ennui, tempéra Riley, en levant légèrement la main dans un geste d’apaisement. On recherche quelqu'un, sans doute un ami. Il est censé habiter à cette adresse.

 

-Ah bon ? Et on peut savoir qui ? Parce que comme je te l'ai dit, c'est chez moi ici et j'attendais pas d'invités.

 

-Je sais que ça va paraître quelque peu inapproprié en de telles circonstances, s'avança Fred... mais on ne connaît pas à proprement parler l'identité de cette personne. On le saura quand on la verra.

 

En les observant, elle prit conscience que chercher à parlementer n’altérerait en rien leurs sombres desseins. Aussi, esquissa-t-elle quelques pas de retrait lorsqu'elle croisa le regard lubrique de son opposant.

 

-Ben tu vois ma jolie, j’me dis que j’pourrais croire à tous tes boniments, mais pour me convaincre, il va falloir que tu y mettes du tien, si tu vois ce que je veux dire.

 

Le leader, soutenu par les sourires en biais de sa meute, bombait le torse pour mieux imposer sa présence. L'allusion salace la rebutait profondément, mais Fred, habituée à ce genre de provocations, ne se laissa pas démonter. Après tout, elle possédait toujours son arme de poing à l'intérieur de sa poche, à utiliser en dernier recours. Son doigt effleura lentement la crosse, tandis qu’elle maintenait son regard rivé sur celui de son opposant.

 

-Désolé, dit-elle avec une froideur maitrisée. Je ne suis pas d’humeur à jouer.

 

Pour le vampire, bouillonnant au propre comme au figuré, la coupe était pleine. Chaque seconde passée à écouter ces provocations ne faisait qu’aggraver son irritation. Son tempérament explosif finit par prendre le dessus.

 

-Bon assez discuté, s'emporta Spike, avant de balancer un coup de pied violent contre la porte de l’entrepôt, qui s’ouvrit en grinçant.

 

Dans un élan purement instinctif, le vampire empoigna le bras de Fred et d'une impulsion, la poussa à l'intérieur de l'entrepôt.

 

...Reste là, lui ordonna-t-il d’une voix ferme. On n’en a pas pour long.

 

Il claqua la porte derrière elle, coupant Fred du danger qui la guettait à l'extérieur. Lorsqu’il se retourna, il trouva Riley à ses côtés, prêt à faire face à la menace grandissante. La réaction ne se fit pas attendre et déjà les malfrats se ruèrent sur le vampire suffoquant et le soldat prêt à en découdre.

 

De son côté, Fred, plongée dans l’obscurité du hangar, écoutait, impuissante, les premiers éclats de violence filtrer de l’autre côté de la porte. Une fois de plus, elle se sentait écartée, jugée trop fragile et inutile, alors qu'elle-même se considérait apte à leur fournir une aide précieuse. La violence, bien qu’elle eût toujours préféré l'éviter, faisait partie intégrante de son existence, et ce, depuis ce jour maudit où elle fut envoyée dans la dimension de Pyléa par son ancien professeur d'université. Par la suite, côtoyer Angel, Wesley et les autres, lui avait permis de se former auprès des meilleurs. Elle avait appris à se défendre, à se battre, à analyser les situations sous pression. Son expérience sur le terrain, face à des ennemis aussi variés que dangereux, surpassait celle de la plupart des mortels, de ce fait, elle ne comprenait pas bien la réaction du vampire.

 

Du temps où ils travaillaient ensemble pour le cabinet d'avocats, Spike ne s'était jamais montré aussi protecteur envers elle, excepté cette fois avec l’affaire de la faucheuse. Wesley l'avait surprotégé de la même façon par le passé, et cette intervention inutile lui avait valu une blessure à l'épaule. Elle ignorait si sa condition de femme ou son apparence fragile incitait les hommes à la prendre en pitié, mais elle désirait plus que jamais être traitée à égalité, sans cette constante condescendance.

 

Déterminée à prouver sa fiabilité, Fred se préparait à les rejoindre dans l'arène, sans se douter que dans la cage aux lions, elle s'y trouvait déjà prisonnière. Lorsque les néons du plafond s'éclairèrent soudainement, leur éclat brutal transperça l’obscurité, et l'effet de surprise lui glaça le sang. Bien que disposée à agir selon le cheminement tracé mentalement dans sa tête, son courage se dissipa aussitôt que l'imprévu la frappa en plein cœur. D'ordinaire plutôt douée pour se confronter aux situations les plus chaotiques, elle semblait cette fois bien démunie face à une dizaine de gaillards autrement mieux armés.

 

Dans la tourmente, elle se sentit prête à raviser son jugement et implorer de l'aide, mais à la place elle arbora son plus beau sourire de façade, puis d'un geste peu assuré de la main, salua l'assemblée.

 

-Bonjour ! lança-t-elle d’une voix faussement enjouée, espérant que son ton ne trahisse pas sa nervosité.

 

 

*

 

De l'autre côté du mûr, Riley, aux prises avec plusieurs adversaires, fit étalage de toute sa dextérité. Bien que son fusil d’assaut soit solidement harnaché à l’arrière de sa combinaison, il préférait s’en passer. Le combat à main nue, à ses yeux, offrait un défi plus stimulant, et sa maitrise du corps à corps justifiait pleinement cet excès de confiance. Après avoir combattu pendant une bonne partie de son existence des démons de toutes sortes, les humains ne lui apparaissaient plus si dangereux malgré leurs nombres.

 

-Spike ! l'interpella-t-il en parant d’un revers le couteau d’un assaillant. Tant qu'on n’en sait pas plus, on ne les tue pas.

 

-Tu ne m'apprends rien le boy-scout, répliqua poussivement le vampire, contraint à forte opposition. Et c'est bien dommage.

 

Spike ne s'affichait pas au sommet de sa forme. En plus de l'adversité, il devait constamment prendre garde à ne pas se laisser entraîner dans la lumière, sans quoi il prendrait feu comme un fétu de paille. Déjà diminué par une exposition trop forte au soleil, le manteau qu'il tenait à bout de bras sur le sommet de son crâne entravait drastiquement ses mouvements.

 

Pris à partie, le vampire fut pilonné de tout côté au rythme des battes de base-ball et des barres de métal claquant contre ses côtes et ses reins. Sous pression, il fut contraint de plier genoux à terre. Les trois acharnés le ruaient de coups sans ménagement, tandis que le vampire encaissait en grinçant des dents sous sa couche de cuir poussiéreuse.

 

Riley, quant à lui, s'en sortait mieux. Il venait de mettre hors d'état de nuire le leader du groupe et désormais il tenait la dragée haute à trois assaillants qui, malgré leur surnombre, peinaient à le déstabiliser. Déséquilibrant ses adversaires avec une habileté déconcertante, le soldat profita du moindre intervalle pour les foudroyer de coups bien sentis, cueillant l'un au foie, puis l'autre au menton, avant de parachever son œuvre par une projection qui envoya valdinguer son dernier opposant dans un bac à ordure.

 

Indifférent aux sorts de ces malheureux qui se tortillaient au sol comme des larves, Riley se précipita pour prêter main-forte au vampire en fâcheuse posture.

 

Spike ne lui laissa pas le temps d'intervenir. Il s'empara d'un éclat de verre brisé traînant au sol et le planta dans une cuisse, arrachant à son agresseur un hurlement aigu. Délesté de l'un de ses assaillants, il réajusta son long manteau noir sur ses épaules et entraîna les deux autres combattants dans son sillage en les plaquant violemment à terre. Désormais découvert et en plein cagnard, chaque seconde comptait. Il fallait en finir vite avant que l'astre solaire ne parachève son œuvre.

 

Faisant fi du choc thermique et de sa peau en fusion marquée par les signes annonciateurs du désastre, le vampire envoya son poing s’abattre sur l’un, puis frappa l’autre d’un coup de coude, mettant ainsi un terme à la lutte. Des vapeurs de fumée s’échappaient de tous les pores de sa peau, et bientôt l’entièreté de son corps s'embraserait pour devenir poussière.

 

Riley, réalisant la situation critique, se précipita vers la porte et la défonça d'un puissant coup de pied, afin de faciliter le passage du vampire et le mettre définitivement à l’abri. L'initiative ne fut pas récompensée. Face à l'urgence, Spike plongea à travers l'embrasure de la fenêtre la plus proche et se réceptionna en catastrophe à l’intérieur du bâtiment.

 

Le corps encore fumant, il se démena comme un beau diable pour étouffer, de ses mains, les résidus tenaces toujours en combustion. Une fois en sécurité, le vampire s'allongea nonchalamment sur le dos, le nez pointé au plafond, savourant le bonheur d'être encore de ce monde.

 

-Si j'avais cette foutue bague d'Amara, regretta-t-il en se remémorant une relique du passé plus qu'utile en ces conditions.

 

Les rangers du soldat claquèrent à quelques centimètres se sa tête.

 

-Je n’irai pas jusqu'à dire que ça m'inquiète, mais comment tu te sens ?

 

-Ça irait mieux si t'évitais de poser ce genre de question.

 

-Au risque de me répéter, persévéra Riley... je t'ai prévenu.

 

-Ouais, ben tu sais ce qu'on dit, lui rétorqua Spike en se relevant tout en époussetant sa veste. Il vaut mieux guérir que prévenir, ça forge l'expérience.

 

-Je doute qu'être transformé en torche humaine forge quoique ce soit.

 

-Détrompe-toi, assura le vampire en cherchant Fred du regard. Ça peut t'ouvrir les portes d'un cabinet d'avocat véreux.

 

Riley ne comprenait pas bien la référence, mais il ne comptait pas insister. Tenir le bout de gras avec le vampire ne l'enchantait pas des masses, et il n’avait aucune raison de s'infliger un tel fardeau. Pour autant, la mine déconcertée de Spike lui suggérait une anomalie poindre à l'horizon.

 

...Bon sang ! jura le vampire. Qu'est-ce que... ?

 

-Quoi ? s'inquiéta Riley en œuvrant une volte-face.

 

Lorsque le soldat balaya la salle du regard, ce fut la stupeur. Des corps ensanglantés tapissaient le sol de l'entrepôt, avec éparpillés à côté d'eux, des armes à feu encore fumantes, dont certaines complètement morcelées. Cette vision s'apparentait à un véritable carnage.

 

-Fred ! s'inquiéta le vampire, en la cherchant parmi les victimes. Bon sang ! Ou tu es ?

 

Le soldat, refusant de céder à la panique, esquissa quelques pas de retrait pour analyser le champ de bataille. Après la brève inspection vint la délivrance. Fred ne s'y trouvait pas. S'approchant de la première victime au sol, il posa ses doigts sur son cou pour y déceler le pouls. Intrigué, il fit de même avec le suivant, puis celui d'après.

 

-Ils sont vivants, annonça-t-il au vampire qui faisait les cent pas.

 

-Quoi ? réagit Spike, trop nerveux pour prêter attention à ses dires.

 

-Ils sont vivants, répéta Riley. Ils sont dans un sale état, mais ils respirent toujours.

 

Cette réponse ne semblait pas importer au vampire, dont la seule obsession consistait à retrouver Fred.

 

-Ouais ! Et qu'est-ce que tu veux que ça me fasse ?

 

-Ce sont des humains et on se trouve sur leur territoire. Dans l'histoire, on n’est pas forcément du bon côté.

 

-Parle pour toi, répliqua Spike, en colère. Humains ou pas, je ne fais aucune distinction si ce sont ces enfoirés qui ont attaqué Fred.

 

-On n’en sait rien, raisonna le soldat. Personne ne sait ce qui s'est passé ici.

 

Quelques mètres plus loin, un gémissement suivi d'un léger mouvement interpella les deux guerriers.

 

-On ne va pas tarder à le savoir, assura le vampire en se précipitant à l'encontre du blessé.

 

Ce dernier se tortillait sur le sol, en proie à d'intenses douleurs au bas ventre, ce qui ne l'empêcha pas de proférer quelques injures. N'ayant pas l'intention de faire dans la dentelle malgré son piteux état, Spike tenta une approche directe.

 

...Y avait une fille ici. Où elle est ?

 

-Va....Va te faire foutre, résista l'homme agonisant dont l'allure rappelait celles de leurs agresseurs à l'extérieur.

 

-Mauvaise réponse ! répliqua Spike en l'empoignant par le col et en le soulevant brutalement jusqu'à ce que ses pieds ne touchent plus terre.

 

Riley accourut en catastrophe.

 

-Qu'est-ce que tu fais ? Tu vas le tuer si tu continues.

 

Le vampire continua son interrogatoire en faisant fi des remontrances du soldat.

 

-Dis-moi ce que tu sais où tu vas faire connaissance avec mon mauvais côté.

 

Aussitôt, ses traits vampiriques déformèrent son visage. Ses yeux brillèrent d’une lueur bestiale, tandis que ses crocs pointaient, prêts à mordre si nécessaire. La menace ne tomba pas dans l'oreille d'un sourd. Effrayé du traitement susceptible de lui être réservé, l'homme ouvrit les vannes, déballant sans retenue tout ce qui lui passait par la tête.

 

-OK mec... T'énerve pas... C'est la fille... C'était un... Démon...On n'a rien pu faire....

 

-Où elle est passée? Parle ou je t'arrache les membres un à un.

 

Effrayé, le loubard désigna, d’un geste tremblant, la bouche d'égout entrouverte à l'angle de la pièce. Sans ménagement, le vampire le projeta à quelques mètres, comme s'il se débarrassait d'un vulgaire sac d'ordures. Le pauvre bougre s'effondra lourdement au sol avant de sombrer dans l’inconscience. Riley, témoin de la scène, s'empressa de placer son corps en opposition du vampire, puis l'empoigna par le col.

 

-Qu'est-ce que tu fais ? T’aurais pu le tuer. On aurait pu le cuisiner, savoir ce qu'ils voulaient. À cause de toi, on se retrouve dans une impasse.

 

Le vampire se libéra d'un brusque mouvement d'épaule.

 

-Il va s'en remettre, et j'ai toutes les informations qu'il me faut.

 

-Ça suffit, insista Riley en le défiant dans un tête-à-tête musclé. C'est ma mission, et si tu n'acceptes pas de suivre mes directives, alors tu n'as rien à faire ici.

 

-Y a un truc que t'as pas compris le boyscout. Je n'obéis à personne et alors surtout pas à toi.

 

-C'est quoi ton problème ?

 

-Mon problème c'est toi, continua Spike en bousculant Riley pour se frayer un chemin en direction de la bouche d'égout. J'ai pas le temps pour une séance de psy.

 

-On m'avait dit que t'avais retrouvé ton âme. Perso, j'ai du mal à voir la différence.

 

Le vampire s’immobilisa avant d'incliner la tête sur le côté. Les mots employés par son rival l'impactèrent, assez pour ne pas en rester là. Hésitant à aborder le sujet, Spike rebroussa chemin pour régler ses comptes avec le soldat.

 

-C'est ce que tu cherches depuis le début hein ? Tu aimerais que je sois resté celui que tu as connu parce que tu ne supportes pas qu'elle m'ait aimé.

 

Riley resta impassible en soutenant solidement son regard.

 

-Je ne vais pas te mentir, je ne t'aime pas. Mais ce qui m'importe là maintenant, c'est pas notre rivalité. J'ai passé l'âge pour ces conneries. Pour le moment, la seule chose qui m’intéresse, c'est Fred, parce que je compte bien la retrouver, et je ne peux pas me permettre de la mettre en danger en gérant ton impulsivité. À toi de me dire si le nouveau Spike est prêt à faire un effort pour qu'on agisse en bonne entente, et ça passe par mon commandement. Alors la véritable question est, te sens-tu capable de l'accepter ?

 

Dans l'entrepôt, le souffle du vent s'engouffrait dans l'embrasure de la fenêtre fissurée, exacerbant une tension à fleur de peau, jusqu'à ce que Spike ne brise l'omerta.

 

-Si le commandant veut bien se donner la peine, s'inclina le vampire en invitant Riley à prendre les devants, non sans une profonde ironie.

 

Il n'avait pas trouvé de façon plus aimable de lui annoncer sa collaboration. Fred, c'était tout ce qui comptait pour Spike, et le discours de Riley eut pour mérite de pallier au plus important. Malgré leur mésentente, une certitude s'imposait. Ils gagneraient en efficacité en travaillant de concert. Riley, ayant parfaitement saisi le message, ne cachait pas une certaine satisfaction à l'heure d'établir de nouvelles bases dans leurs relations. Évidemment, cette entente n'était que passagère. Aucun d'eux ne consentirait à autant d'efforts une fois la mission accomplie.

 

**

 

Surplombant la bouche d'égout ouverte sous ses pieds, Riley décrocha sa lampe torche de sa combinaison pour observer en contrebas. Le faisceau perça l’obscurité oppressante du conduit, révélant les contours humides et crasseux des parois souterraines.

 

...Bienvenue dans mon monde, fit Spike en se laissant tomber dans les profondeurs sans demander son reste.

 

En se réceptionnant quelques mètres plus bas, le soldat ne manqua pas d'éclabousser le vampire qui par réflexe, se décala sur le côté en fusillant son vis-à-vis du regard.

 

-Ça va être difficile à croire, mais je l'ai pas fait exprès.

 

-Ouais, à d'autres, répliqua Spike en affichant un scepticisme farouche. Tu peux éteindre ta luciole, on va pas en avoir besoin.

 

Riley s’exécuta en inspectant le tunnel faiblement éclairé par quelques ampoules câblées au plafond, qui s'étendaient bien au-delà de leur champ de vision. Dès les premières respiration, la puanteur fétide, un mélange d’humidité rance, de moisissures et d’eaux stagnantes, envahit ses narines, le faisant grimacer sous l’effet de la nausée. Le vampire, lui, s’en accommodait.

 

...Ah, tu sens ça ? Cette bonne vieille odeur d'eau croupie. Il est là le véritable visage de Los Angeles. Y a pas de doute, on se sent comme à la maison.

 

-Je ne savais pas que tu avais vécu longtemps ici, s'étonna Riley en entamant sa marche, aux aguets.

 

-Longtemps, je dirai pas ça. Mais j'en ai eu assez pour une vie entière.

 

-Ouais, je vois ce que tu veux dire. J'avais le même sentiment à Sunnydale.

 

-Sunnydale, c'était le paradis à côté... enfin, excepté la bouche de l'enfer. Quoiqu'à une époque, ça me dérangeait pas plus que ça.

 

Les deux guerriers arpentaient les chemins serpentés d'une démarche prudente. Le tunnel semblait s’étirer sans fin, ses recoins sombres peuplés de mouvements furtifs. Quelques rats effrayés se dispersèrent sous leurs pas.

 

-Y a une chose que je ne comprends pas ! confia Riley.

 

-Si y avait qu'une chose...

 

-Je suis sérieux. Fred. Si tu savais qu'elle abritait un démon en elle, pourquoi tu ne l'as pas laissé combattre à nos côtés ? Elle ne risquait pas grand-chose face à des humains.

 

-Elle peut être pas, confirma Spike la mine sombre. Mais Illyria, celle qui partage son corps est horriblement puissante. Tu as vu ce qu'elle a fait à ces pauvres types ? Dis-toi qu'elle s'est retenue. Il y a une époque où elle n'aurait pas été aussi clémente.

 

-C'est pour les protéger d'elle que tu as décidé de la tenir à l'écart ?

 

-Ces types ? Non, eux je m'en tamponne. C'est juste que chaque fois qu' Illyria fait son apparition, ça détruit Fred de l'intérieur. Elle ne le montre pas, mais je le sais, et Illyria en souffre tout autant, alors si je peux éviter de leur infliger ça. Et puis le transfert entre les deux corps n'est pas sans risque. Illyria possède une marge de manœuvre limitée. Il suffit d'une émotion pour qu'elle redevienne vulnérable, et si ça arrivait en pleine bataille, j’te laisse imaginer ce que ce ça pourrait engendrer comme conséquences pour Fred.

 

-Ce démon, Illyria, tu sembles t'en soucier également.

 

-Les deux sont des victimes, affirma Spike avec une gravité inhabituelle. Elles n'ont pas demandé tout ce qui leur est arrivé.

 

-Et Fred. Elle m'a l'air d'être quelqu'un de spécial pour toi. J'me trompe ?

 

Le vampire le tança de l'un de ses regards soulignant la limite à ne pas dépasser.

 

-J'ai accepté de bosser avec toi, pas de répondre à tes foutus questions. J’te rappelle que je ne t'apprécie toujours pas.

 

En fin observateur, Riley se dispensa de réponse. L'attitude du vampire était assez éloquente pour révéler le lien évident qui l'unissait à la jeune femme. Non pas que Riley soit curieux, mais se tenir au fait des comportements et des motivations de ses alliés pourraient s'avérer utile sur le champ de bataille et Spike ne dérogeait pas à cette règle. Laissant de côté ses questions quelque peu intrusives, le fusil d'assaut en main, le soldat se focalisa sur les claquements étouffés provenant des profondeurs. Sur le qui-vive, le vampire pressa le pas. Après quelques centaines de mètres de progression pénible à travers la crasse et les effluves nauséabonds, ils atteignirent un espace souterrain duquel émanait l'origine du vacarme.

 

Dominant la scène de leur hauteur, ils s'accroupirent en toute discrétion pour décrypter les événements se déroulant sous leurs pieds, dans la trouée. Dans l'excavation, une silhouette sombre livrait une bataille acharnée contre plusieurs démons à la carrure massive, protégés par des armures clinquantes. Sous le falot central, initiant une lueur terne et imprécise, les ombres grandissantes dansaient sur les parois rocheuses, accompagnées par des cris guerriers et des gémissements de terreurs.

 

C'est alors qu'elle apparut, éclaboussée par les giclées sanguinolentes d'un corps scindé en deux. Désormais, il ne subsistait qu'un seul démon encore debout. Une formalité pour la déesse démone qui s’apprêtait à parachever son œuvre en lui fendant le crâne de son poing.

 

Pourtant, si l'action entreprise se révéla fidèle à l’intention, pendant l'intervalle où ses phalanges se fermèrent jusqu'à la finalité de la collision, un chamboulement interne opéra au sein de son propre corps. À mesure que ses mouvements se décomposèrent en trajectoire rectiligne, sa silhouette démoniaque se métamorphosa en celle d'une humaine, empêchant le point d'impact d'atteindre son plein potentiel. En lieu et place d'une attaque mortelle, son poing échoua lamentablement sur le visage granuleux du démon, ne lui procurant pas même l'effet d'une piqûre de moustique.

 

Fred, complètement désorientée par ce changement brutal, accusa le coup d'un réveil brumeux, ignorant tout du danger imminent qui la menaçait. Le démon, prêt à fondre sur sa victime, arma son puissant bras, sous le regard horrifié du vampire. Dans un élan désespéré, Spike se jeta d'un bond dans la trouée. Riley, en position de tir, s'agenouilla, l’œil dans le viseur.

 

À l'instant crucial où Fred allait être emportée par la faucheuse, le démon fut repoussé par une salve de balles ricochant contre sa protection métallique.

 

-Merde ! ragea Riley, frustré de ne pas avoir atteint son objectif.

 

Les tirs cadencés du soldat eurent toutefois le mérite de retarder l'échéance, permettant ainsi à Spike de tirer Fred de ce mauvais pas en la dérobant aux griffes meurtrières du démon déjà sur le retour. Ayant fait écran de son corps, le vampire se retrouva à califourchon sur sa protégée. Leurs deux visages se frôlèrent.

 

-Spike ? réagit-elle, toujours sous le choc.

 

-Tout va bien ma belle, je m'occupe de lui.

 

Le vampire se redressa aussitôt, puis se lança à l'assaut de son adversaire. Déployant toute sa rage, il martela de coups le visage du démon. Ses phalanges s'enfonçaient dans la mâchoire carrée du golgoth, déversant à chaque impact des giclées de bave sous le fracas des claquements incessants.

 

Subissant les poings dévastateurs du vampire, la mâchoire du démon se déboîta dans un craquement horripilant. Ce dernier, débordant de rage, se ressaisit aussitôt en expédiant son agresseur contre la paroi murale. Spike n'eut pas le temps de se relever que déjà le démon se ruait sur lui. De sa lourde masse, il l'immobilisa en le pilonnant à même le sol.

 

Trois coups de semonce retentirent en même temps que des étincelles jaillirent de sa nuque, le contraignant à lâcher sa proie pour se retourner. Face à lui, Fred se tenait fièrement debout, le canon de son arme de poing en évidence.

 

-Laisse-le, insista-t-elle courageuse.

 

Ses vœux furent exaucés lorsque le démon changea de cible en entamant sa lourde démarche dans sa direction. Les coups de feu à bout portant ricochèrent sur son torse cuivré.

 

Avec Spike hors d’état de combattre et Fred en fâcheuse posture, Riley, toujours posté en hauteur, s'efforça de trouver une ligne de tir, mais la jeune femme cachait partiellement son champ de vision. Son cœur se serra au constat glaçant que toutes tentatives seraient vouées à l'échec. Plus le temps de réfléchir, il lui fallait agir rapidement et efficacement. Insufflé par l’adrénaline, son cerveau récolta une multitude d'informations défragmentées. Dans une perception du temps soudainement ralentie, son corps répondit instantanément.

 

Le soldat exécuta un bond et se réceptionna dans l'arène, fusil d'assaut prêt à l’emploi. Autour de lui, les corps démembrés des démons gisaient au sol, victimes de la fureur d’Illyria, mais toute son attention fut accaparée par le denier survivant. Pourtant, le problème persistait toujours. L'ennemi, totalement focalisé sur Fred, paraissait invulnérable. Du moins, avant que le déclic n'opère. Y décelant un point faible commun à tous types d'hostiles sub-terrestres, Riley roula sur le côté pour modifier son angle de tir.

 

Le profil du monstre désormais dans sa ligne de mire, il pressa la détente. Instantanément, la balle propulsée par le ressort de l'arme traversa les orifices auriculaires du démon, détruisant son système nerveux. Dans la seconde, le corps massif alla s'écraser aux pieds de la jeune femme pétrifiée. Les bras légèrement tremblants, Fred peinait à tenir sur ses jambes.

 

Spike, tout juste remis, se précipita vers elle. Riley le rejoignit, son fusil d’assaut baissé mais toujours en alerte.

 

-Est-ce que ça va ? s'inquiéta le vampire en la dévisageant avec compassion.

 

-Je ne sais pas… répliqua Fred encore sous le choc. J'étais là et puis je n'y étais plus et... enfin, je suis encore en vie, alors j'imagine que ça pourrait être pire à en juger par la carrure imposante de ce démon et ce qu'il t'a fait subir.

 

-C'est comme ça que ça se passe ? questionna Riley. Elle peut apparaître et disparaître à tout moment ? Je ne comprends pas. Si cette Illyria est censée te protéger, pourquoi c'est quand tu en as le plus besoin qu'elle s'évapore ?

 

Le cheminement opérant en interne dans le corps de Fred restait une énigme pour Riley. Pour autant, cette dernière, toujours perturbée par le réveil brutal, ne se trouvait pas en état de s'épancher. Spike, reconnaissant envers le soldat, se décida toutefois à aborder le sujet.

 

-On ne sait pas encore comment ça fonctionne vraiment, mais c'est arrivé à plusieurs reprises par le passé et...

 

-Non, le coupa Fred. C'est à moi d'en parler. Je crois que je vous le dois à tous les deux.

 

Spike s'étonna du ton employé qui suggérait des révélations dont il n'aurait pas été informé. Il la fixa d'un regard inquisiteur.

 

...Je... Enfin...

 

Elle hésita un temps, s'employant à trouver les bons mots.

 

...Pour être franche, ce n'est pas vraiment un fait scientifique établi, c'est pour cette raison que je ne suis pas à l'aise pour en parler, mais c'est de l'ordre du ressenti.

 

-Qu'est-ce que tu ressens ? s'enquit le vampire, désireux d'en apprendre plus.

 

-Quand Illyria imprègne mon corps, elle en devient la pilote et ses choix lui appartiennent. Il n'y a aucun doute là-dessus. Mais nos subconscients sont liés d'une manière ou d'une autre. Je n'ai pas de preuves de ce que j'avance, mais elle et moi sommes deux personnes totalement différentes. Bien que je ne sois plus consciente à ce moment-là, il se peut que lorsqu’elle commette un acte que moi-même je n'aurais pas cautionné, une partie de moi cherche à ressurgir et à imposer sa propre volonté. C'est encore très flou, mais j'ai l'impression, je sais pas, que je peux établir un contact avec elle.

 

-Pour résumer, reprit Riley... quand vos deux consciences s'affrontent, ça crée un conflit entre vos deux personnalités et c'est ce qui expliquerait ce transfert ?

 

-C'est probable, avoua Fred. Je sais juste qu'Illyria apparaît dans les moments critiques, mais il arrive également qu'elle apparaisse parce que secrètement, j'en ai émis le désir. Dans ce cas, le retour à mon état normal se fait plus en douceur. Mais encore une fois, ce n'est qu'une hypothèse. D'une manière ou d'une autre, elle et moi sommes liées. Je ne sais pas encore comment ce lien opère, mais j'ai parfois cette impression que je pourrais lui parler, échanger. Je sais que ça peut paraître bizarre et ça l'est, mais nous existons toutes deux dans le même corps, et il m'arrive d'éprouver des émotions qui ne m’appartiennent pas. Si elle peut déteindre sur moi alors l'inverse doit être vrai également.

 

-Incroyable, réagit Riley avec compassion. J'aurais bien voulu t'aider, mais je dois bien avouer que je suis complètement largué. J'en ai connu des situations étranges, mais jamais rien de comparable à ce que tu vis.

 

Fred lui sourit timidement.

 

-Tu m'as déjà bien aidée. Sans votre intervention à tous les deux, je ne serais plus de ce monde, alors merci.

 

-Tu vas pouvoir marcher ? s'inquiéta le vampire.

 

-Oui, ça va aller. Ça va déjà beaucoup mieux.

 

-Je ne sais pas ce qui nous attend au-delà, annonça Riley sceptique. Ni même si ce qu'on fait ici à un sens. Rien ne t'oblige à risquer ta vie. Ces démons n'étaient pas présents en ces lieux par hasard. Il se pourrait que les choses s'enveniment.

 

-Non, rien ne m'y oblige, mais si Angel m'a fourni cette adresse, c'est pour une bonne raison, et j'ai bien l'intention de la découvrir !

 

-Ouais ! désapprouva Spike. Fais-moi penser de lui en coller une quand je le verrai pour nous avoir envoyer au casse-pipe. 

 

-Bien ! annonça Riley, résolu à lever le voile sur cette affaire. Voyons ce qui nous attend.

 

***

 

En enjambant les restes de cadavres purulents traînant sur le sol humide, les trois explorateurs empruntèrent la seule issue encastrée dans la fosse. L’air lourd et vicié semblait imprégner chaque recoin du tunnel qui prolongeait l’enclave. Le vampire, familier des lieux, prit naturellement la tête de l'expédition. Fred le talonnait de près tandis que Riley, plus en retrait, fermait la marche. L'éclairage défaillant ne facilitait pas leur avancée, pour autant les prédispositions vampiriques de Spike comblaient ce désagrément.

 

Sur les murs, des symboles ésotériques et des messages cryptiques parsemaient la pierre, mais ceux retenant leur attention furent ces étranges pictogrammes en forme d'ange. La gravure apparaissait partout où ils posaient le regard, bien souvent en petit caractère à peine visible, et quelques fois s'étalant plus manifestement sur la surface, de telle sorte que nulle ne puisse les manquer.

 

Parmi le trio, seule Fred savait de quoi il en retournait, avec l'encourageante impression de se rapprocher du but. Le vampire et le soldat, peu au fait de cette version, envisageaient la suite bien moins sereinement et se montraient d'autant plus prudents. Leur récente altercation avec les démons à la puissance colossale était une mise en garde. Tous deux prenaient conscience que sans l'intervention d'Illyria, leur progression aurait été fortement compromise.

 

En bon chef de file, Spike les mena sur quelques centaines de mètres avant que le tunnel ne débouche sur un espace plus ouvert. À la manière d'une poupée russe, le tunnel s'imbriquait dans un autre, jusqu'à parvenir à un gigantesque cul-de-sac.

 

À l'intérieur de la fosse, l’obscurité régnait en maître, permettant au seul vampire de distinguer l'immense symbole de l'ange gravé à même la façade murale en amont, ainsi que les passerelles sur les hauteurs venant s'encastrer dans la roche. En s'approchant, Riley et Fred partagèrent à leur tour la stupéfaction de découvrir l'immense fresque.

 

-On y est, constata le vampire dubitatif.

 

Fred se montrait complètement absorbée par l’environnement. De son côté, le soldat affichait un air circonspect. Ce cul-de-sac marquait la fin de leur dangereux périple, pourtant, la conclusion ne s’avérait pas à la hauteur des sacrifices consentis.

 

-Super ! Tout ce chemin pour se retrouver face à un mur, et toujours aucun indice à se mettre sous la dent. Tu es sûre qu'Angel est fiable? La seule fois où je l'ai rencontré, on ne peut pas dire qu'il m'ait laissé une forte impression. Je n’ai jamais eu confiance en ce type-là.

 

-Il y a forcément une issue, s’obstina Fred en caressant la colossale masse argileuse, à la recherche du moindre espace susceptible d'entretenir une ouverture. Si Illyria a décidé d'emprunter ces tunnels, ce n'est certainement pas sans raison. Il y a forcément quelque chose qui devait l'attirer. Oh... et pour répondre à ta question, oui Angel est fiable. Il ne m'aurait pas induit sur cette piste sans raison.

 

-Si ce n'est pas lui le problème, c'est peut-être nous, reprit le soldat en affichant un scepticisme déconcertant. On s'est peut-être trompé d'adresse. Après tout, peut-être que ce n'est pas le bon bâtiment ou la bonne rue.

 

-C'est ici, confirma Fred agacée. Fais-moi confiance, et un peu d'aide ne serait pas de refus. Je sais pas moi, les garçons, rendez-vous utile ! vérifiez s'il n'existe pas une ouverture quelque part. Spike, tu peux atteindre ces passerelles ? Elles n'ont pas été placées ici par hasard. Elles doivent forcément mener quelque part.

 

Après une légère inspection dans les hauteurs, le vampire ne semblait pas emballé à l'idée.

 

-Je suis un vampire ! pas superman !

 

Fred avait déjà vu Angel exercer des bonds extraordinaires pour un vampire, mais ses souvenirs restaient flous et sans doute avait-elle légèrement présumé de la situation.

 

-OK ! réagit-elle en se recentrant sur la paroi. Laissez-moi le temps, je vais trouver la solution. Il suffit juste de chercher...

 

Laissant son élan en suspens, elle effleura la surface et dénicha un renfoncement invisible à l’œil nu, mais clairement perceptible au toucher.

 

...le mécanisme.

 

Un cliquetis résonna dans l’air étouffé du tunnel. Aussitôt, un amas de poussière s'effrita de la paroi murale, déclenchant une légère ouverture en trompe-l’œil. Une porte, jusqu’alors parfaitement dissimulée dans la cloison, apparut en léger décalage par rapport à sa surface.

 

-T'es un véritable génie ! s'enthousiasma le vampire.

 

-Oui ! C'est un fait pour le moins avéré, affirma-t-elle fièrement en esquissant un grand sourire.

 

-Attends ! réagit-il brusquement, alerté par son ouïe fine.

 

Lorsque Spike leva les yeux en direction de la passerelle, il fut ébloui par des dizaines de rayons lumineux qui se croisaient et se décroisaient dans l'espace en les ciblant tour à tour. Les faisceaux, vifs et précis, formaient une toile écarlate dans la pénombre, si bien qu'aveuglés par les prismes de lumière, ils se trouvaient dans l'incapacité d'identifier leurs agresseurs. Piégés comme des insectes dans la toile de l’araignée, Riley et Spike n'eurent pas d'autre choix que de placer leur corps en écran, afin de protéger Fred. Dans le tumulte, une voix forte et efféminée annonça la couleur.

 

-Lâchez vos armes !

 

Pas décidé, Riley garda son calibre braqué au hasard des passerelles. Fred de son côté, tenait fermement son arme de poing, plus par réflexe que par volonté de s'en servir.

 

...Ici le colonel Lockley, s'annonça distinctement la silhouette située en hauteur sur la plate-forme. Je répète, lâchez vos armes.

 

-Je suis Riley Finn, se présenta à son tour le soldat en haussant la voix. C'est moi qui dirige cette opération.

 

-Finn, si vous ne voulez pas sacrifier votre vie et celle de vos hommes, déposez les armes immédiatement, insista-t-elle d'une voix forte, mais néanmoins mesurée. Vous vous trouvez dans notre ligne de mire et vous êtes en contre bas. Inutile de vous dire que vous n'avez aucune chance. C'est ma dernière sommation. Je ne me répéterai pas.

 

La menace se voulait sans équivoque. Conscient de leur posture, Riley se décida enfin à abdiquer. Le soldat serra les dents, avant de finalement jeter ses armes au loin. Le cliquetis métallique résonna dans le silence oppressant du lieu. Spike, les yeux rivés sur Fred, lui fit signe d’en faire autant. Son arme de poing rejoignit celle de Riley au sol. Tous trois se retrouvaient désormais à la merci de leurs assaillants, vulnérables et sans moyen de défense.

 

-Et merde, jura le soldat. J'aurais dû le voir venir. C'était pourtant évident. J'en reviens pas d'être tombé dans ce piège.

 

Spike tourna le regard dans sa direction.

 

-Si ça peut te consoler, dis-toi que t’es pas le seul. Ils sont peut-être pas aussi nuls qu'on le pensait.

 

Des cordes affluèrent simultanément des passerelles. Quelques assaillants se laissèrent glisser jusqu'à la terre ferme tandis que d’autres continuaient de les tenir en joue depuis les hauteurs. Fred, Spike et Riley virent débarquer sur eux des dizaines de combattants qui, aussitôt le pied au sol, cloisonnèrent le périmètre en les menaçant de leur fusil d’assaut.

 

De par leur méthode de combat, Riley pensait avoir à faire à des militaires, mais telle ne fut pas sa surprise lorsqu'il découvrit une troupe de citadins, d'âges et de sexe très disparates, pour la plupart des adolescents tout juste prompts à entrer dans l'âge adulte. D'autres, plus chevronnés, donnaient l’impression d’appartenir à un gang, avec leur bandana sur la tête et leur pantalon amples semblables à ceux portés jadis par les prisonniers.

 

Alertés par des bruits de talons claquant sur le sol détrempé, les assaillants se dispersèrent pour laisser place à leur supérieure hiérarchique.

 

Le colonel Lockley, une femme d'âge mûr, blonde aux yeux bleus perçants, se tenait là avec une assurance décomplexée, presque désinvolte. Son long imperméable noir dissimulait partiellement une combinaison tactique, ornée de multiples ceinturons remplis de munitions et d’armes de toutes sortes. Malgré sa carrure ordinaire, il se dégageait de sa personne une autorité naturelle, et il en fallait assurément pour commander à cette troupe de lascars, en jugea Riley en décortiquant la scène.

 

Un son hachuré s'extirpa de ses poches. Celle-ci venait de recevoir des nouvelles du front, et elles n'étaient pas bonnes. Une fois la transmission achevée, le colonel Lockley reconsidéra son attention envers les otages.

 

-Comment vous avez fait tous les trois pour parvenir jusqu'ici ? Et surtout, comment avez-vous fait pour vous débarrasser des Grimloks ?

 

-Grimloks ? questionna le vampire. Ah oui, ces démons. Ben, ça n’a pas vraiment été une partie de plaisir.

 

Les yeux bleus de Lockley se fixèrent sur le bavard, le fustigeant d'un regard assassin. Fred, consciente que Spike n'était pas du genre à tempérer la situation, s'engouffra dans la brèche et prit les devants.

 

-Nous ne sommes pas vos ennemis, déclara-t-elle dans l’urgence. Enfin, du moins, pas autant que les apparences ne le laissent croire.

 

Lockley fut éprise d'un rire cynique.

 

-Ben voyons, non, bien sûr. Vous avez juste attaqué notre avant-poste, éliminé les gardiens, et vous étiez à deux doigts de débarquer dans le quartier général, sans doute dans le but de nous rendre une petite visite amicale. Vous me prenez vraiment pour une idiote.

 

-Pas vraiment, lui rétorqua Fred dont la marge de manœuvre s'amenuisait à chaque justification. Je sais que c'est difficile à admettre, mais ce sont vos hommes qui nous ont attaqués. Nous n'avons fait que nous défendre.

 

-Laisse tomber Fred, intervint Riley. Quoiqu'on dise, son opinion est toute faite, alors à quoi bon.

 

Interpellée par le soldat, Lockley plissa les yeux à son encontre, comme pour sonder le fond de sa pensée.

 

-Vous voulez que j’vous dise ce que je crois ? Il paraît évident que vous êtes à la solde de l'empire, et que vous avez tenté une infiltration très spectaculaire et totalement peu subtile dans nos rangs, ce qui fait de vous des cadavres en sursis.

 

-Vous nous avez bien regardés, ricana le vampire. Vous pensez vraiment qu'on à la dégaine de ces enfoirés de l'empire. Si vous les détestez autant que nous, alors il semble qu'on soit dans le même camp.

 

Elle le dévisagea longuement, laissant entrevoir à travers son expression une légère réflexion.

 

-Bien essayé ! avoua-t-elle... mais les apparences sont souvent trompeuses. Croyez-moi, j'en connais un rayon sur le sujet.

 

-Le symbole ! raisonna Fred à voix haute.

 

-De quoi vous parlez ? interrogea Lockley.

 

-Le symbole, celui dépeint sur tous les murs du quartier. Celui sur ce mur, je suis la seule à savoir d’où il provient. Angel investigation, l'un de vous est forcément au courant.

 

À cet instant, tout se bascula dans la tête de l'ex-inspectrice Kate Lockley. Les mots prononcés par Fred la ramenèrent à des souvenirs enfuis, connus seulement de quelques initiés.

 

-Que savez-vous de ce symbole ? demanda-t-elle sous le regard confus du soldat et du vampire.

 

-Absolument tout. Il a été conçu à son origine par Cordélia Chase. C'était une carte de visite pour promouvoir le cabinet de détective d'Angel investigation. Si je le sais, c'est parce que j'ai travaillé pour cette agence. Angel, Cordélia, Wesley, Gunn, nous formions une équipe et si quelqu'un se sert de ce symbole alors j'aimerais savoir qui ? Si nous sommes ici, c'est parce qu'Angel lui-même nous y a conviés. J'imagine que ce n'était pas dans le but de nous faire attaquer. Nous ne sommes pas ici pour vous nuire, mais pour trouver des réponses.

 

Après quelques secondes de battement, le doute se dissipa. Kate devait bien l'admettre, les preuves de leur bonne foi ne manquaient pas. Elle le certifiait pour avoir elle-même côtoyé Angel à la création de son agence de détectives.

 

Inspecteur de police à l'époque, sa relation avec le vampire s'était révélée pour le moins conflictuelle, mêlée d'amour et de haine. La mort de son père, survenue dans des circonstances tragiques, avait terni leur relation, avant que le vampire ne la sauve du suicide, provoqué par son licenciement des forces de police. Ces événements l’avaient poussée à quitter Los Angeles pour refaire sa vie ailleurs.

L'avènement des Dieux tyrans avait précipité son retour aux affaires, mais combattre le mauvais ennemi traçait la limite de son engagement.

 

-Vous êtes Fred, réalisa-t-elle stupéfaite, en ordonnant d’un geste à ses soldats de baisser leurs armes. Winnie-Fred Burckle.

 

L’atmosphère s’allégea immédiatement. Spike et Riley, silencieux jusqu’alors, échangèrent un regard, soulagés de constater la menace s'éloigner. Pour autant, des tonnes de questions restaient en suspens, à savoir comment diable se connaissaient-ils ? Fred avait omis de leur révéler la vérité sur le symbole et peut être en dissimulait-elle d'autres en réserve. Le vampire se sentait trahi. Ils s'étaient accordés pour ne plus rien se cacher et Fred venait de rompre le contrat de confiance.

 

Pour autant, sa déception ne fut que passagère. Préserver son jardin secret relevait parfois d'une nécessité. Lui, le comprenait mieux que quiconque. Après tout, elle venait de leur sauver la mise, ce qui amenuisait pour partie ce ressentiment teinté d'amertume.

 

-Mais qui êtes-vous ? questionna Fred, fortement intéressée. Comment connaissez-vous mon nom ?

 

-Disons que je suis une amie, affirma Kate dont le changement d'attitude étonna ses propres hommes. J'ai connu votre patron quelque temps, bien avant votre retour de Pyléa. Oui, je connais toute l'histoire. Du moins les grandes lignes de tout ce que j'ai manqué.

 

-Ex-patron ! lui rétorqua le vampire en accentuant le fait. Fred n'est plus aux ordres de personne.

 

-Et vous êtes ? demanda l'ex-policière, intriguée par le look très rock et la chevelure platine du vampire.

 

-Officiellement, son garde du corps. Officieusement, le cauchemar de son ancien Boss.

 

-Ce que tu peux déblatérer comme bêtise, lui reprocha Fred.

 

-Oh, tilta Kate. Je vois. On m'a parlé de vous également. Vous êtes ce fameux vampire fan de Billy Idol. Comment c'est déjà... ?

 

-Spike ! répondit-il, légèrement vexé par le sourire moqueur de Riley. Et non, je n'ai jamais été fan de ce crétin. Qu'on soit clair, c'est lui qui m'a tout pris.

 

-Oui ! acquiesça Kate sceptique. C'est sûrement ce qui explique sa renommée alors que vous …

 

-Hé ! protesta le vampire. Dans le milieu de la nuit, je suis une véritable légende. Mais contrairement à tous ces abrutis, je ne suis pas là à le prôner sur tous les toits.

 

Face aux moqueries étouffées de ses convives, Spike pesta intérieurement.

 

-Mais qui vous a parlé de nous ? s’intéressa Fred… et pourquoi ce symbole ?

 

-Vous aurez des réponses, mais ce n'est pas à moi de vous en parler. Suivez-moi !

 

****

 

En franchissant la porte encastrée dans la paroi, un Nouveau Monde se dévoila à leurs yeux ébahis. Derrière cette façade rugueuse se cachait une immense base souterraine, grouillante de vie. Des centaines de personnes armées déambulaient en vaquant à leurs occupations. De ces gens défavorisés de la ville, aucun ne portait de tenue militaire, de sorte que leur milice passerait assurément pour une bande de novices aux yeux d'un gradé. Il n'en était pourtant rien. Aussi expérimentés que tout corps d'armée, ils excellaient en méthode de guérilla urbaine, comme en attestait leur récente manœuvre.

 

Intrigué par leur formation, le soldat inspecta le moindre recoin de la zone. Le plafond en forme de dôme, d’une hauteur vertigineuse, contenait sur sa structure, des matériaux de construction sans le moindre accord esthétique. On y percevait des échafaudages enchevêtrés, ainsi que des plates formes grillagées et câblées, fabriquées avec les moyens du bord pour supporter le poids d'un individu, afin de fournir un accès aux néons d'éclairage. Une accumulation d’outils de toutes sortes complétait ce tableau d’ingéniosité brute.

 

Les passerelles entraperçues dans le tunnel continuaient leur tracé à travers les hauteurs du secteur, dont elles longeaient le large périmètre. Le plancher, quant à lui, était épuré de toute source de confort. Pas un siège, ni même un fauteuil. Rien que l'espace nécessaire à l'approvisionnement d'arsenal de guerre en tout genre.

 

Au fond, légèrement surélevé, un secteur vitrifié et entièrement cloisonné accueillait les convives à l'abri des regards indiscrets. Un bureau ovale et quelques chaises meublaient cet espace restreint, créant un contraste saisissant avec l’austérité environnante.

 

-J’ai l’impression qu’on nous apprécie pas des masses, constata Spike en fermant la porte derrière lui.

 

-On se demande pourquoi ! réagit Kate en s'appuyant sur le recoin de la table pour leur faire face. Vous n'avez fait que tabasser une bonne partie de nos guerriers et envoyer dans l'autre monde nos principaux alliés à même d'assurer notre protection contre les intrusions extérieures. Vous ne vous rendez pas compte du temps et des concessions qu'il nous a fallu pour pactiser avec les démons Grimlocks. Prétendre qu'ils ne vous apprécient pas est un euphémisme.

 

Le vampire, quelque peu gêné, fit profil bas.

 

-C'est bien beau tout ça, continua Riley... mais je ne comprends toujours pas ce que vous faites ici, ni qui vous êtes.

 

-Vous n'avez jamais entendu parler « des Anges », le seul groupe de résistants ayant réussi à repousser les milices de l'empire et les tenir en respect au sein même de l'une des villes les plus prisées du globe. Vous ne le savez peut-être pas, mais le cabinet de Wolfram et Hart avait élu domicile ici, bien avant l'apocalypse.

 

Spike leva la main.

 

-Moi je l’sais, annonça-t-il fièrement à la manière d'un écolier. D'ailleurs à cette époque, on était leur golden Boys. C'était nous qui dirigions leur boîte et j'ai pas le souvenir de vous y avoir croisé.

 

-Je connais l'histoire, reprit Kate en déclenchant un haussement de sourcil circonspect chez son vis-à-vis. À vrai dire, à cette époque, ça faisait un bail que j'avais quitté Los Angeles, mais ils étaient présents bien avant votre promotion.

 

-Les Anges ! réalisa le soldat assis à l'angle de la table. Ça me revient. Il faut croire que vos exploits résonnent au-delà de ces murs. Nous aussi nous œuvrons pour la résistance. Nous avons établi une base en Californie. Vous avez dû entendre parler de nous également. On n’a pas de nom à proprement parler, mais...

 

Elle hocha la tête en répondant par la négative.

 

...Oh, constata-t-il amèrement. Le fait de ne pas posséder de logo n'a sans doute pas aidé à nous faire connaître non plus. Notre champ d'action ne s'arrête pas à nos frontières. Il s'étend jusqu'au vieux continent.

 

-Incroyable ! déplora le vampire en coupant l'herbe sous les pieds de Riley. Deux berceaux de la résistance à si peu de distance et vous n'êtes même pas foutu de communiquer.

 

-En parlant de communication, releva Fred... je n'ai pas pu m'empêcher de constater l'absence d'écrans et d'appareils électroniques. Vous n'avez même pas installé de caméras, où en tout cas, je n'en ai remarqué aucune.

 

Étonnée par la perspicacité de la brune, Kate la considéra d'un œil attentif. Bien des éloges lui furent contés concernant la jeune femme et elle en découvrait en partie la raison.

 

-Et vous avez remarqué ça en quelques secondes ? Vous m'impressionnez. Vous avez raison. Ici, on évite tout ce qui nous permettrait d'être tracés ou hackés. Aucune information, aucun papier ou message écrit ne circule au-delà de ces lieux. Ça permet d'éviter les problèmes. On aime à se faire discret.

 

-Ça explique pourquoi on n’a pas pu établir de contact, raisonna Riley. C'est un avantage, mais aussi un inconvénient lorsqu'il s'agit de créer des alliances.

 

-Détrompez-vous, lui rétorqua-t-elle d'un sourire énigmatique. Des alliances nous en créons.

 

Ne récoltant pas plus de précisions quant à ces dites alliances, Fred s'apprêtait à lui poser la question lorsqu'on frappa à la porte pour annoncer la venue du patron. Affichant un air réjoui, Kate suscita chez ses invités une curiosité naturelle.

 

-Le chef ? interrogea Fred en fixant son hôte prestement. Je pensais que c'était vous qui dirigiez ?

 

L'ex-inspectrice se terra dans le silence en considérant la porte s'ouvrir avec entrain.

 

-Kate, l'interpella une voix sensiblement irritée. C'est quoi ce merdier ? Qu'est-ce qui s'est passé... ?

 

Face à l'effet de surprise, l'individu balafré perdit complètement ses moyens. La scène donna lieu à un silence, ponctué par des mines circonspectes dont seul Riley semblait, pour une raison ou une autre, complètement hermétique. Pour Spike, la surprise fut de taille, mais concernant Fred, l'électrochoc enduré allait bien au-delà. Sa poitrine se serra et sa gorge se noua, si bien qu'elle en resta pantoise, totalement bouleversée par cette présence inattendue.

 

Pour le balafré, revoir Fred après tant d'années, plus vivante que jamais, fut une sensation plus forte encore, et plus terrible à encaisser du haut de son imposante carrure. Son regard d’attarda sur elle, oscillant entre l’incroyable joie de la revoir et la peur que ce soit qu’une illusion.

 

-Illyria ? Fred ?

 

Il hésita un moment avant de remettre ses idées en ordre et ainsi confirmer sa première vision. Sans se concerter, ils se précipitèrent l'un vers l'autre et s’enlacèrent à bras le corps.

 

-Charles, murmura-t-elle en le dévisageant avec toute la tendresse qui l'animait.

 

-Fred ! souffla-t-il enfin, la voix brisée par l’émotion. Dites-moi que j'rêve.

 

Concernant Gunn, ces retrouvailles tenaient du miracle. Fred et lui s'étaient aimés par le passé. Même après leur séparation, ils étaient restés proches l'un de l'autre jusqu'au jour où il signa ce fichu bout de papier, source de bien des malheurs. Dans une vie caractérisée par des mauvais choix, ce fut sans doute le pire. Suite à la disparition de cette dernière, sa culpabilité l'avait rongée de l'intérieur. La revoir en chair et en os marquait en lui un sentiment de rédemption, et plus encore, de joie infinie à retrouver l'être aimé, car l'amour avait le don d'endosser plusieurs formes.

 

Autour d'eux, Spike et Kate savouraient ces réjouissances à leur manière, sans ne rien en montrer. Ignorant la nature de leur relation, Riley en déduisit aisément la teneur. Une femme à la tenue délurée, répondant au nom de Gwen, rejoignit discrètement l'équipe, tandis que Gunn, dans sa tenue décontractée rappelant ses grandes heures à batailler contre les vampires dans les rues de L.A, vint à la rencontre de Spike en le checkant de l'épaule.

 

-Yo mon pote. T'as pas changé. Faut dire, le côté vampire, ça a ses avantages.

 

-Charlie Boy, reprit Spike en souriant. T'as l'air plus en forme que la dernière fois que je t'ai vu.

 

L'allusion à cette fameuse bataille perdue, suite à la mise en péril des membres de l'aiguille noire, n'était pas sans rappeler de douloureux souvenirs au balafré.

 

-J'ai failli y passer ce jour-là. Si vous ne m'aviez pas ramené à l'hosto au bon moment, je ne serais plus de ce monde à l'heure qu'il est.

 

-Et le coup de la cicatrice ? C'est pour le look ?

 

-Ouais, acquiesça Gunn en effleurant sa joue. Ben mon gars, c'est que t'as pas vu toutes celles que j'ai sur le corps. C'est le risque à payer quand on lutte avec les frères et j'en suis plutôt fier.

 

-Vu comment tu t'y prenais par le passé, c'est un miracle que tu sois toujours en vie.

 

-Ça, tu vois, je le dois en grande partie à la miss, avoua Gunn en adressant un regard reconnaissant à sa moitié.

 

La jeune femme, à peine plus sobrement vêtue qu'à l'époque, se fendit d'une moue à peine voilée. Son nombril apparent mettait en évidence la trace d'une blessure mal cicatrisée sous son léger Sweat-shirt noir.

 

-Coucou, tout le monde, se présenta Gwen d'un geste de la main en préservant ses distances. Fred, tu ne m'en voudras pas si je ne te serres pas dans mes bras.

 

Spike et Riley ignoraient tout des pouvoirs d'électrique girl. Sans sa puce, le moindre contact avec une partie dénudée de son corps engendrerait des conséquences désastreuses.

 

-J'aime ton style ! s’exclama le vampire, attiré par le côté rebelle et non conformiste de la jeune femme aux cheveux colorés.

 

-Et lui c'est qui ? questionna Gunn en désignant le militaire du coin de l’œil.

 

-Riley Finn, se présenta-t-il en tendant courtoisement sa main.

 

Gunn l'observa d'un air condescendant, avant de le saluer d'une façon plus hip-hop, le prenant légèrement au dépourvu.

 

Une fois les présentations effectuées, Charles eut une discussion avec Kate sur les récents événements, regrettant son arrière-garde décimée inutilement. Après un rapide état des lieux, ils s'installèrent tous autour de la table pour ressasser le temps perdu. Fred lui narra le pourquoi du comment de son retour, ce qui ne manqua pas de le surprendre.

 

-Illyria et toi dans le même corps ? J'ai vraiment du mal à l'imaginer. C'est.., ben j'sais pas, j'ai pas les mots, c'est bizarre.

 

-Oui, mais on s'y fait. Mais laisse-moi encore te regarder, tu... enfin, je n’ai pas les mots non plus, rétorqua Fred dont la joie immense débordait de son large sourire. « Les Anges », ce symbole, j'aurai dû m'en douter.

 

-Ouais, acquiesça-t-il fièrement. J'avais besoin d'un petit retour aux sources, et puis ce symbole, ça comptait beaucoup pour moi. C'était ma façon de rendre hommage à... enfin, tu sais.

 

-On dirait que t'as fait du chemin depuis la dernière fois, reprit le vampire. Tenir tête aux milices de l'empire, j'avoue que ça m'épate.

 

-On est parvenu à faire bouger quelques lignes, concéda-t-il. Je ne dis pas que ça a été facile, mais on a persévéré et ça a payé. J'avais passé une bonne partie de mon existence à nier qui j'étais et d’où je venais. Je n'étais pas fait pour porter un costume. J'suis né dans la rue et ce n'était pas ces tocards en uniformes qui allaient imposer leurs lois dans ma ville. Si j'ai bien appris une chose en compagnie de tous ces gens, c'est qu'ensemble on peut déplacer des montagnes, et c'est ce qu'on a fait. Mètre après mètre, place après place, on les a repoussés.

 

-Incroyable ! réagit Riley. Vous vivez au nez et à la barbe de l'empire et ils vous laissent tranquille. C'est un cas d'école. Je n'ai jamais vu ça ailleurs.

 

-Les milices sont en sous-effectifs, annonça Gwen. Leur véritable influence n'est pas aussi importante qu'ils le laissent paraître. Les gens se rebellent un peu partout dans le monde, mais leurs actions sont passées sous silence par les médias pour ne pas attiser la rébellion.

 

-Ce n'est hélas pas ce que j'ai constaté à Londres, déclara le soldat avec rancœur. Leur pouvoir est total là-bas et il s'étend à l'ensemble de la planète.

 

-Londres n'est pas le monde, rétorqua Gunn. Leur effectif limité ne leur permet pas encore de s'étendre comme ils l’espèrent. Si leur pouvoir reste concentré à Londres, c'est parce qu'ils n'ont pas le choix. Ces enflures doivent dépenser une énergie incroyable pour sceller le portail qu'ils ont eux-mêmes créés. Tant qu'ils n'auront pas mis la main sur Angel, leur marge de manœuvre restera retreinte.

 

Suscitant les regards insistants de ses invités, il crut bon d'ajouter.

 

...Ouais, le patron m'a mis au jus. Il est passé nous rendre visite. Vous devriez le voir avec son masque, il a des petits airs de numéro cinq.

 

-Angel, continua Fred. C'est lui qui m'a fourni cette adresse. Il m'a certifié que j'y trouverais un membre de la famille, et il n’avait pas tort, mais pourquoi est-il revenu ici ? Qu'est-ce qu'il cherchait ?

 

-Tu connais le boss. Il n'est pas venu pour prendre de mes nouvelles, plaisanta Gunn. Si tu veux tout savoir, il prépare quelque chose de grand. Il est venu s'assurer que le jour J, je serai de la partie et il n’a pas été déçu du voyage. J'ai déjà loupé la grande bataille, alors hors de question de manquer l'apothéose. Quand le moment viendra, je serais à ses côtés pour foutre la raclée du siècle à Wolfram et Hart.

 

-Le grand stratège t'a fait part de ses plans ? accentua le vampire, non sans ironie.

 

-Nous rassembler, affirma Gunn. Il se démène pour rassembler tous ceux qui veulent lutter et ça va bien au-delà de Los Angeles. Votre présence ici n'est pas un hasard. Ça fait partie de son plan. On en fait tous partie.

 

-À la bonne heure, soupira Spike. Rappelez-moi la dernière fois qu'il a pris une bonne décision.

 

-J'ai déjà essayé de prévenir Charles, avoua Gwen... mais il ne veut rien entendre. Il lui fait entièrement confiance. Plus qu'à moi, à vrai dire.

 

-Angel a ses défauts, reprit Fred... comme nous tous. Mais il a toujours agi pour le mieux et si Charles lui fait entièrement confiance, c'est également mon cas. Il ne faut pas oublier que sans lui, on ne se serait jamais retrouvé.

 

Fred, soutenue par Gunn et Kate, venait de mettre en porte à faux tous les détracteurs du ténébreux en prenant sa défense. Un silence gênant s'instaura, jusqu'à ce que le soldat ne délie les langues.

 

-Et plus précisément ? continua Riley. Tu parles d'un plan, mais ce qu'il faut viser, c'est la maison mère, et nos marges de manœuvre restent restreintes. Pour ça, il nous faudrait des effectifs infiniment plus élevés, sans compter que voyager tranquillement jusqu'à Londres est impossible. On a déjà eu un mal de chien à ne pas se faire repérer sur un petit chalutier. Même en conjuguant nos forces, je ne connais aucun moyen d'accéder à la baie en passant inaperçu, à considérer qu'il nous faudrait un énorme navire pour nous transporter et qui dit énorme dit pas très discret.

 

Gunn et son équipe ne semblaient pas prendre la réflexion du soldat en considération.

 

-Ce n'est pas vraiment un problème, avoua Kate en suscitant l'étonnement autour de sa personne. Comme Charles vous l'a dit, Angel à un plan et il n'est pas venu seul. Il y avait cette femme à ses côtés, plutôt délurée, une sorte de..., je ne sais pas comment je pourrai la décrire, mais il fut un temps où elle m'aurait rendue jalouse. Bref, ce que j'essaie de vous dire c'est que cette sorcière possède le pouvoir de nous rassembler. Et je ne parle pas de prendre la mer ou la voie des airs.

 

Ayant conscience de l'identité de la fille en question, Spike doutait du bien-fondé de l'opération. Sa confiance en Djézabelle souffrait de quelques aspérités. Compter sur une sorcière à double casquette ne lui paraissait pas l'idée du siècle en temps de guerre.

 

-Ne me dites pas que vous voulez encore utiliser un foutu portail, déclara-t-il sceptique. Et après ça, on n’est pas dans une foutue série B. Et puis pour déplacer autant de monde, il faudrait retrouver Dawn. C'est elle qui nous a permis de traverser le portail menant au puits sépulcral il y a dix ans.

 

-Il semblerait que la sorcière ait trouvé le moyen de le faire, expliqua Gunn. Personnellement, j'ai décidé de lui faire confiance. Elle avait l'air de maîtriser son sujet. De toute façon, qu'est-ce qu'on a à perdre ?

 

-La vie, répondit Gwen sur un ton désintéressé. Mais on en est plus là. On a tous tiré un trait sur une fin idyllique. Il faudra nous rejoindre à un endroit précis. Pour nous et nos troupes, ce ne sera pas un problème. On connaît Los Angeles comme notre poche. Il nous sera facile de passer outre la surveillance des milices, mais pour vous, il va falloir trouver un moyen de vous déplacer sans vous faire repérer. Trois dans un véhicule, ça peut passer, mais des milliers à vouloir prendre les armes, autant dire que ça ne sera pas la même affaire.

 

-Ça c'est le moins qu'on puisse dire, se désespéra Riley. Mais si ça peut nous permettre de voyager à moindres frais et en première classe, alors pourquoi ne pas tenter le diable.

 

-Quand le moment viendra, on vous contactera, assura Gunn. Le seul hic, c'est que je ne sais pas encore comment. Les réseaux et tout ça, c'est pas trop notre domaine.

 

-Je connais le moyen de nous faire garder le contact, proposa Riley. Mais ça ne pourra pas se faire sans une liaison avec le réseau. On a une informaticienne de génie dans nos rangs qui a mis tout ça en place, alors ça ne devrait pas poser de problème.

 

-Ouais, c'est ce qu'on dit toujours avant les problèmes, déplora Gunn. Non, il faudra trouver un autre moyen.

 

-Bonne idée, ironisa Fred. On n'aura qu'à s'envoyer des signaux de fumée.

 

-Je pensais plutôt à un messager, conclut Gunn avant de se tourner en direction de sa chère et tendre. Gwen, vas prévenir Randall et les autres qu'on a de la visite. Que tout le monde imprime leurs visages. Ils sont ici chez eux.

 

En proie au regard insistant de la belle, il ajouta un tendre « s'il te plaît » avant qu'elle ne quitte la pièce.

 

-Tu as vraiment changé Charles, reprit Fred. Je te savais capable de rassembler du monde, mais mener à toi seul un bastion de la résistance, et tout ça sans utiliser le moindre réseau. 

 

-Ouais, on fait le travail, mais nos activités ne se réduisent pas à ça. Venez ! Je crois qu'il est temps de vous montrer le cœur de notre organisation.

 

*****

 

Sillonnant le long tunnel sur le retour, Gunn emprunta un autre passage encastré à même le mur et donnant accès à une plaque d'égout. L'embouchure trouva sa finalité à quelques pâtés de maisons, au cœur même du quartier, dans une petite ruelle à l'ombre des bâtiments. Heureusement, le vampire n'eut pas à se couvrir longtemps avant de rejoindre un centre d'accueil en pleine effervescence.

 

À l'intérieur, l'on se ruait de toute part pour encadrer les arrivées des pauvres miséreux qui se voyaient offerts dans l'urgence, le gîte et le couvert. Au sein de cette organisation, une femme en particulier prenait son rôle à bras le corps, en organisant la réception d'une main de maître. Dans le feu de l'action, l'apparition de Gunn et sa bande ne la fit pas dévier de ses activités, trop occupée à pallier au plus important.

 

...Sacré Anne, toujours surmenée, constata Gunn en se tournant vers ses invités. Les gars, ça vous dirait de donner un petit coup de main.

 

Sans hésiter, Riley, Spike et Fred, se fixèrent sur la cadence en fournissant couvertures et provisions à des familles visiblement éreintées et totalement désorientées par leur nouvelle situation. Riley et Fred souriaient chaleureusement aux personnes qu’ils aidaient, tandis que Spike apparaissait un peu moins à son aise. Jouer le bon samaritain ne lui allait pas au teint et il dut se faire violence pour assener quelques sourires. Cependant, un enfant fit fondre sa carapace de son regard épris de reconnaissance. Fred le guettait du coin de l’œil, en appréciant le découvrir dans un rôle auquel il n'était pas accoutumé. Le vampire se donnait des airs de solide gaillard que rien ne semblait pouvoir intimider. L'observer ainsi sur la défensive, face à un enfant, le rendait, à ses yeux, plus charmant que jamais.

 

Lorsqu'au détour d'un regard, leurs visions s'accordèrent, Fred baissa aussitôt la tête, rougissante de honte. Une fois leurs tâches accomplies, ils se regroupèrent tous autour de cette femme aux longs cheveux blonds et aux yeux d'un bleu éclatant. Emmitouflée dans son jean et son sweat-shirt léger coupé aux épaules, elle accusait le coup d'une session exténuante.

 

-Je ne sais pas qui vous êtes, mais merci, apprécia-t-elle en les dévisageant tour à tour avant de fixer Gunn. Des amis à toi, je suppose.

 

-Et comment, ajouta-t-il en souriant. J’te présente Riley, Fred une sœur, et Spike un vampire doué d'une âme.

 

-Un vampire avec une âme ? tu veux dire comme Angel ?

 

-Euh oui ...plus ou moins, balbutia maladroitement Gunn afin de ne pas vexer le peroxydé. Et donc, je vous présente Anne. Celle sans qui nos vies seraient un véritable enfer. Elle veille sur nous tous ici et ce n'est pas une sinécure.

 

-Oui, confirma-t-elle. Et ce n’est rien de le dire. Comme vous le voyez, il y a beaucoup à faire. On n’arrête jamais.

 

-Mais d’où viennent ces gens ? s’intéressa Riley.

 

D'un mouvement de cil, Anne induisit Gunn en porte-parole.

 

-Ce sont des familles qu'on a sorties d'affaire. On fait des excursions dans les quartiers occupés et on intervient quand il le faut. Cette famille allait être exécutée pour ses croyances. Ce n'est pas un cas isolé. Dès qu'une personne affiche un désintérêt pour le dogme de l'empire, ou s’il y a un léger doute sur leurs intentions, alors ils ne s’embarrassent pas. Ils tirent dans le tas et en font un exemple. Dans la zone, ils sont en sous-effectifs alors c'est la seule solution pour eux de faire respecter leur tyrannie. Ils tiennent les gens par la terreur.

 

-Et il y a assez de place pour tout le monde ? s'enquit Fred.

 

-Non ! répondit Anne. Malheureusement non. Notre territoire se limite à quelques pâtés de maisons bien trop étroits pour rassembler autant de personnes. On essaie de répondre aux besoins immédiats en fournissant un emplacement et de la nourriture au plus grand nombre, mais comme vous avez pu le voir, nos réserves ne sont pas illimitées. Beaucoup vivent à même la rue, sur le trottoir, dans des tentes, ou ce qu'on peut trouver pour leur fournir un abri. On essaie d'alterner quand c'est possible pour contenter le plus grand nombre, mais ce n'est pas toujours aussi simple.

 

-Ouais, confirma le vampire. On en a eu un léger aperçu en débarquant.

 

-Je ne dis pas que c'est parfait, mais si on devait se lamenter sur le sort de chacun alors ça fait longtemps qu'on aurait abandonné. On voit des gens arriver tous les jours, et il est impossible de contenter tout le monde, alors on fait du mieux qu'on peut avec ce qu'on a. Le côté positif, c'est que les gens s'entraident, mais pour être franche, je ne sais pas pendant combien de temps on va pouvoir tenir à ce train-là. La violence, la drogue ne nous épargne pas, et le jour où l'armée de l'empire débarquera avec des renforts, je crains le pire. On vit avec cette peur constamment. Pourtant il faut s'efforcer de garder le sourire parce que notre confiance les aide à faire face.

 

-C'est tout à votre honneur ! apprécia Fred, impressionnée par la force de caractère de cette femme. Espérons qu'on puisse apercevoir la lumière au bout du tunnel.

 

-Ça viendra, certifia le balafré. Nos efforts finiront par payer.

 

Suite à cette entrevue, Fred, Gunn, et tous les autres, profitèrent de la journée pour partager leur soif de liberté et leur espoir quant à la suite des événements. Gunn leur confia l'adresse du rassemblement pour le moment venu, à la grande stupeur de Spike et Fred pour qui ce lieu évoquait de douloureux souvenirs. Une bonne partie de leur temps fut dédiée à l'élaboration d'un plan afin de sortir de Los Angeles sans ameuter les milices.

 

Profitant de cette occasion, Riley dût batailler sévèrement pour faire accepter à Gunn un petit boîtier de communication leur permettant de rester en contact malgré la distance. Tout d'abord sceptique, Charles se laissa convaincre par Fred qui lui certifia la fiabilité de ce réseau clandestin, indécelable pour quiconque y était étranger.

 

Une fois leur violon accordé, les trois aventuriers se décidèrent à rentrer au bercail afin d'établir le rapport à Faith et aux autres. Lorsque Gunn les accompagna à leur véhicule stationné aux abords de l'entrepôt, ils eurent la mauvaise surprise d'en constater la disparition.

 

-Je n’ai pas rêvé ? s'étonna Riley, un brin suspicieux. On l'avait bien laissé là ?

 

Alors que Fred et Spike se tançaient d'un regard éloquent, Gwen et Gunn exprimèrent un léger soupir de désarroi.

 

-Randy ! soufflèrent-ils d'une seule voix.

 

-Randy ? s'inquiéta le soldat. Euh, c'est bon signe ou ...

 

-Y a pas à s'en faire, reprit Gwen. Enfin, à part si tu tenais à son apparence d'origine.

 

 

 

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