Shanshu II - Wolfram & Hart

Chapitre 21 : Chapitre 21 LIXUS

13195 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 23/08/2024 13:38

Chapitre 21 LIXUS

 

Cette sensation humide, froide et rocailleuse infiltrant ses mains et ses pieds, cette légère bise imprégnée d'air ionisé, le tumulte des vagues s'écrasant sur les rochers : la surprise fut à la hauteur de ses attentes. Alors que Seyia s'était réceptionnée maladroitement sur le sol fortement instable, une vague vint la frapper dans le dos et la traîna dans son sillage comme un vulgaire objet inanimé. À peine le temps de débarquer en terre inconnue que déjà les ennuis pointaient le bout de leur nez. Immergée sous le poids de la déferlante, elle cramponna le peu de masse solide à sa portée, manquant de peu de s'étouffer en buvant quelques tasses sous l'effet de surprise. Heureusement, prenant toute la mesure de son point de chute, elle se ressaisit aussitôt et escalada les premières roches du récif pour gagner un peu de hauteur.

 

Les vagues parvenaient toujours à ses pieds, mais elle se trouvait en sécurité, du moins aussi longtemps que la marée montante daignait le lui accorder. Courbée sur ses genoux, la tueuse tenta de régurgiter le trop-plein avalé. Vomir semblait la seule perspective et bien qu'elle l’envisageât par contrainte, l'effet ne fut que passager.

 

En levant la tête pour mieux analyser son environnement, Seyia ne fut que très peu surprise de se trouver au pied d'une falaise, avec pour seul issue à lui opposer, l'océan à perte de vue, scintillant sous les contrastes crépusculaires d'un horizon se confondant entre la terre et le ciel. La temporalité subissait le contre coup d'un léger décalage. Lorsqu'elle avait quitté l'autre monde, la nuit était déjà entamée alors qu'ici, la soirée annonçait ses premiers balbutiements.

 

-Merci Willow, maugréa-t-elle en considérant son état, trempée de la tête aux pieds. La prochaine fois, envoie-moi directement dans la fournaise, ce sera plus rapide.

 

Un léger bourdonnement, accompagné d'une petite lumière, captiva ses sens. La luciole assura quelques cercles de voltiges, comme pour attirer son attention. Willow l'avait prévenue : cette petite bille de lumière serait sa seule source d'orientation. Perdue dans ce lieu étranger, elle comptait sur la magie de la sorcière pour retrouver celle à qui elle vouait une admiration sans faille. Comme une boussole, la luciole indiquait clairement le chemin à suivre. Sans surprise, sa trajectoire pointait vers les hauteurs. Une seule alternative s'imposa naturellement : continuer son ascension jusqu'au sommet de la falaise.

 

Bien que l'idée ne l’enchantât pas de gravir les roches humides dans ses vêtements lourdement trempés, ses semelles, contrairement à la plante de ses pieds, présentaient l'avantage d'adhérer plus aisément aux contraintes du terrain. Ainsi débuta son ascension malgré le ''sploutche'' horripilant survenant à chacun de ses pas. La montée abrupte à flanc de falaise ne constituait pas une difficulté majeure. Un enfant aurait pu l'escalader ou la dévaler sans risque apparent, mais après avoir subis pléthore de blessures dans l'autre monde, un geste aussi simple que de placer un pas devant l'autre entraînait des complications inattendues. La douleur au bas ventre avait disparu. Willow s'en était assurée. Pour autant, la fatigue pesait. L'ensemble de ses muscles et articulations l'incommodaient d'une souffrance chronique. Suite à de rudes efforts, elle parvint malgré tout à atteindre la surface.

 

Enfin l'espace se révéla et les alentours se dessinèrent devant ses yeux contemplatifs. Cet endroit ne possédait aucune caractéristique d'un autre espace-temps, ou d'un autre monde. Non, celui-ci semblait bien ancré sur terre. La pauvreté qui en émanait n'avait rien de surnaturelle. À sa droite, un cimetière surmonté d'une tour blanche à l'architecture Arabo Andalouse bordait la falaise, tandis qu'à sa gauche et plus largement en face, s'étendaient des rangées de vielles maisons aux toits plats et aux volets bleu ciel, pourvues d'un ou plusieurs étages.

 

Alors qu'elle arpentait l'angle de la rue terreuse, une légère odeur de pneu cramé mélangée à celle de déchets en décomposition imprégna l'air d'une exhalation nauséabonde. La puanteur provenait d'un bout de terrain défraîchi, longeant les habitations de l'autre côté de la rue. Quelques chiens errants, à l'apparence squelettique, fouinaient dans les détritus parsemés sans distinction ici et là.

 

Le premier contact ne jouissait pas d'une forte impression pour la tueuse, s'imaginant mal ce que Buffy ferait dans un endroit pareil, à des années-lumière de la vie californienne et occidentale. Elle n'eut pas le temps de tergiverser. La luciole poursuivit son parcours et elle se précipita à sa poursuite. Seyia arpenta la légère pente avant de bifurquer sur sa gauche, à l'angle du premier pâté de maisons. La ruelle étroite et silencieuse, entourée de parcelles, se révélait morne, presque déserte. Longeant les habitations en suivant scrupuleusement la lumière, la tueuse s'arrêta à mi-chemin lorsque la luciole pénétra l'antre d'une maison en disparaissant dans ses fondations.

 

La façade était garnie de feuilles de vignes sauvages, déployant leurs racines de la terrasse en amont, pour retomber comme un Saul pleureur, en liane sur la devanture. Devant la maison se tenait un vieil homme vêtu d'une longue djellaba bleue et d'un léger kuffi de toile blanc sur le sommet du crâne. Assis sur sa vieille chaise en bois, il semblait attendre paisiblement que le temps passe.

 

-Bonjour, se présenta timidement Seyia, légèrement mal à l'aise à l'idée d’apparaître dans cet état. Je sais que ça peut paraître bizarre dit comme ça. Je suis une étrangère et vous n'avez aucune raison de m'accorder l'hospitalité, mais je dois rentrer dans cette maison. Je suis à la recherche d'une amie et...

 

Le vieil homme lui sourit de ses petits yeux noirs en amande, accentuant la sagesse naturelle émanant de sa personne. Il ne répondit pas, comme si la barrière de la langue l'empêchait de répondre. Pourtant, malgré le silence, il donnait l'impression de percevoir l'intention derrière les mots, et cela ne semblait pas l'importuner d'une quelconque façon que ce soit. Bien sûr, elle n'était pas persuadée qu'il ne lui sauterait pas dessus dès qu'elle aurait franchi le portillon extérieur, mais le risque en valait la peine. Elle poussa le petit portail à hauteur de ceinture puis pénétra dans le porche étroit sans susciter de réaction de la part du vieil homme. Ce dernier continuait de sonder la rue comme si elle regorgeait de trésors.

 

Seyia déverrouilla les trois loqueteaux de l'imposante porte vitrée et arpenta un petit vestibule donnant sur une autre porte, plus petite et légèrement entrouverte. Devant cette dernière, un escalier en colimaçon donnait accès à l'étage supérieur. Suivant le sillage de la bille de lumière, Seyia monta les marches. Des objets usés et de vieilles bouées pour enfants à l'odeur caoutchouteuse pendaient aux cloisons murales. Au sommet de l'escalier, la luciole lumineuse perdit son éclat et retomba à même le sol, inerte. Lorsque Seyia la ramassa, l'éclat lumineux vidé de sa substance avait l'apparence d'une bille terne, semblable à celles utilisées par les enfants dans les cours d'école.

 

L'escalier la mena sur une terrasse à ciel ouvert, bordée de murets en briques terreuses. Une silhouette s’y tenait accoudée, son caftan ondulant au rythme de sa longue chevelure dorée sous le souffle du vent. Cette dernière lui tournait le dos.

 

Les ondes crépusculaires imprégnèrent le corps de cette femme d'un halo de lumière onirique. Le cœur battant à tout rompre, Seyia s'approcha timidement, éprise d'un frisson épidermique. Le corps léger comme une plume, elle avait la sensation de perdre le contrôle de ses émotions. Concentrée dans une vision contemplative du soleil avalé par l'immensité bleue, l'étrangère ne se retourna pas, bercée par le grondement continu de l'océan qu'elle scrutait de sa hauteur.

 

Seyia, stimulée par un sentiment d'incertitude, se refusait à tout optimisme. Après toutes ces années à se bercer d'illusions, à braver déception après déception, le traumatisme d'un nouvel échec ébranlerait ses dernières lueurs d’espoir, et elle souhaitait s'épargner ce fardeau. À la croisée des chemins, le moment de vérité allait sonner, et elle n'était pas persuadée de vouloir en connaître l'issue. Tout autour d'elle se dissipait, rien ne subsistait autre que cette étrangère à la grâce divine dépeinte comme un tableau, un moment d'éternité figé dans cet intervalle ou le paradis et l'enfer, le jour et la nuit livraient leur dernière bataille.

 

Pétrifiée, le souffle court, bouleversée par un chamboulement interne, le fil de sa vision se découpa en saccades lorsque la silhouette se retourna et révéla son profil légèrement dissimulé par cette éclipse de clair-obscur. Traversée par un torrent d'émotions, son corps ne toucha plus terre. Des larmes sillonnèrent sa peau, inspirées par la finalité d'une conviction portée au-delà de toute résignation. Lorsque leurs regards se croisèrent, un silence béat prit l’univers à témoin de ces retrouvailles inespérées.

 

Son visage, essuyant le poids des années, affichait quelques rides supplémentaires aux coins des yeux, et quelques traits sillonnaient son front : pas de quoi ne pas la reconnaître cependant. C'était bien elle, plus resplendissante que dans ses lointains souvenirs. Sa peau hâlée, brunie par la douceur du soleil, exaltait l'éclat de son regard vert, reflet de son expression médusée.

 

-Buffy ! souffla-t-elle comme un murmure exprimé du creux de ses lèvres.

 

Immobile, partagée entre le rêve et la réalité, Buffy peinait à réaliser l'étendue de cette apparition invraisemblable. Le doute la submergea, puis l'évidence s'imposa d'elle-même. Celle qu'elle pensait tombée sur le champ de bataille lui faisait face, plus réelle, plus vivante que jamais. Redoutant l'esprit d'un fantôme, elle resta stoïque, jusqu'à ce que Seyia s'approche et l'entoure de ses bras. Dès l'instant où sa peau entra en contact avec la sienne, le doute se dissipa.

 

Sans esquisser le moindre geste, Buffy se laissa transporter par une émotion indescriptible. Des larmes perlèrent à son tour, stimulées par cette étreinte qu'elle savourait comme un présent du ciel. Elle posa ses mains sur les épaules de sa disciple et prit un peu de distance pour mieux la contempler. Toutes deux s’isolèrent dans ce silence immobile, à échanger des regards chargés d’émotion. Réfugiées dans leurs bulles, sur cette terrasse, témoin passive de leurs retrouvailles, elles avaient l'impression d'être seules au monde.

 

C'est alors que Seyia, déterminée à marquer ce moment d’une empreinte indélébile, saisit la Scythe derrière son dos et la présenta à son maître d’armes.

 

...Elle te revient. Il est temps qu'elle retrouve sa véritable propriétaire.

 

Dans l'obscurité d'une nuit sans nuages, Buffy considéra l'arme luisante d'un rouge éclatant. Hésitante à l'idée de s'en emparer, ses mains tremblèrent à mesure qu'elle s'en approchait, redoutant le moment où elle renouerait le lien avec cette relique d'un passé révolu. Lorsqu’enfin, elle se décida à en saisir le manche, le contact de la matière lui fit l'effet d'un choc. Une énergie phénoménale l'enveloppa, imprégnant chaque parcelle de son âme. La résonance de leurs premiers accords raviva en elle des visions par centaines, perceptions cauchemardesques d'un passé qui tel un fantôme revenait la hanter. Un défilé d'images se succéda, relatant les instants clés de son histoire, de la première fois où elle l'avait extirpé de la roche pour combattre Caleb, jusqu'au champ de bataille contre la Force et l'armée de Wolfram et Hart, ravivant malgré elle la mémoire de ses troupes complètement décimées.

 

La Scythe, cet objet inanimé, tomba à ses pieds. Ses mains tremblaient toujours et elles les fixaient avec effroi, comme si elles étaient imbibées de sang, ce qui ne manqua pas d'alerter Seyia sur le traumatisme vécu par son maître pendant toutes ces années.

 

...Buffy, tu vas bien ? Je suis désolé si j'ai...

 

-Non ! Ne t'en fais pas. Ça va ! Oublions ça... Tu dois être fatigué. On a tant de choses à se raconter. Le mieux, c'est que tu te changes. Je te préparerai un bon repas, ça te donnera l'occasion de te réchauffer. Tu es toute trempée.

 

La jeune tueuse n'était pas rassurée. Buffy avait fait en sorte de noyer le poisson et ne faisait plus cas de l'arme gisant au sol. Ne souhaitant pas approfondir le malaise, Seyia acquiesça docilement en feignant un sourire de façade.

 

-Désolé, je suis dans un sale état et j'ai dû te tremper sans le vouloir.

 

-Tu sais, ici les vêtements ne restent jamais humides bien longtemps, répliqua la tueuse. Allez viens, suis-moi ! Je vais te faire visiter. Dawn est sortie. Elle sera heureuse de te retrouver à son retour.

 

Quelle joie pour Seyia d'entendre le nom de la petite sœur de la tueuse. Cela signifiait qu'elles allaient bien toutes les deux, et cette nouvelle ne manquerait pas d’enthousiasmer Leina, Alex, Giles et toute la bande. Les sources de satisfaction se faisaient rares, et ce jour, elle en était convaincue, marquerait les prémisses d'un nouvel élan.

 

Pourtant, alors qu'elle suivait son hôte dans l'escalier, Seyia détourna le regard sur la Scythe traînant au sol, comme s'il s'agissait d'un vulgaire objet sans intérêt. Habitée par le réflexe d'aller la récupérer, son hôte stoppa ses ardeurs aussitôt en lui prétextant que l'arme ne craignait pas d'être volée. Rien de très engageant, mais Buffy étant la véritable propriétaire, sa volonté primait, aussi se força-t-elle à mettre cette préoccupation de côté.

 

-Dawn va bien ? s'enquit la brune en dévalant les escaliers.

 

-Plus que jamais, mais tu constateras par toi-même.

 

Buffy prit les devants et ouvrit la porte donnant accès au séjour. Une visite des lieux s'imposa naturellement. L'intérieur de la pièce n'affichait aucun superflu. Un carrelage en zellige ornait le sol, tandis que les murs en carreaux de faïence colorés formaient une mosaïque harmonieuse. Un sedari d'angle et une table basse rectangulaire longeaient la façade de droite, laquelle desservait deux chambres. La façade opposée accueillait une immense salle de bain et une troisième chambre, d’où émanait une étrange aura mystique.

 

Au fond de la pièce, un vieux meuble de bois soutenait une vieille télévision à tube cathodique, tel un vestige du passé subsistant aux méandres du temps. Une délicieuse odeur de légume à la vapeur émanait de la cuisine située en amont du séjour. Contigüe à celle-ci, un patio à ciel ouvert, entrecoupé d'une grille délimitant l'accès à la terrasse du dessus, entretenait quelques plantes et quelques ustensiles servant à l'entretien de la maison. De la grille en hauteur tombaient quelques grappes de raisins entretenues sauvagement et s'éparpillant jusqu'à la devanture.

 

Après lui avoir fait découvrir le tour du propriétaire, Buffy lui proposa une serviette et des vêtements de rechange. Remplissant une grande bassine d'eau froide dans la salle de bain, elle y déversa l'eau chaude qu'elle venait de faire bouillir dans une grande marmite. Elle expliqua à son invité que l'eau était une denrée rare et qu'il fallait l'économiser, qu'ainsi vivaient les gens dans cette lointaine contrée.

 

Pendant que la tueuse s'attelait au repas, Seyia en profita pour se relaxer et prendre un bain bien mérité suite à toutes ses récentes péripéties. Ici, pas de douche ni de baignoire, seulement une immense bassine, du savon et un seau. La chaleur de l'eau sur ses plaies récemment ouvertes la tiraillait de toutes parts, mais cela n’altéra en rien son plaisir. Elle demeura adossée au bord, la tête inclinée vers l'arrière. Assaillie par une multitude de questions quant à l'étrange réaction de Buffy envers la Scythe, Seyia laissa ses pensées dérivées en ayant conscience que les réponses surviendraient bien assez tôt.

 

Une fois propre, elle évacua l'eau de la grande bassine puis enfila la djellaba de satin noir brodée de fils d'or, que son hôte avait laissée à sa disposition. Peu habituée à revêtir de tels accoutrements, elle se surprit à s'y sentir à son aise. En jetant un œil au miroir, la projection de sa silhouette ne lui déplaisait d'aucune sorte. A sa sortie de la salle de bain, elle découvrit un grand plat garni de légumes et de viandes posé sur la table du salon, embaumant la pièce d'une alléchante odeur d'épices. Buffy l'attendait, assise sur le divan, les jambes croisées.

 

...Ça te va à merveille ! la complimenta-t-elle de sa posture.

 

Seyia, quelque peu gênée, n'osa pas répondre et trouva bon de changer de sujet.

 

-C'est toi qui as préparé tout ça ?

 

-Oui, ça paraît dingue hein ? Il faut croire que les années passées ici ont quelque peu éveillé la cuisinière tapie au fond de moi. Je te rassure tout de suite, je foire mes repas la plupart du temps. Dawn par contre assure. Il faut croire qu'elle s'est mieux adaptée.

 

Buffy en femme de maison : Seyia ne le croirait pas si elle ne le constatait pas de ses propres yeux. Pourtant ce n'était pas la cuisinière qu'elle était venue retrouver, mais bien la guerrière intrépide capable de changer à elle seule le cours d'une bataille. Ne sachant pas comment aborder le sujet, elle s'installa à ses côtés, l’esprit tourmenté par les questions et les souvenirs.

 

-Donc tu vis toujours avec Dawn ?

 

-Non...pas vraiment. Enfin, Dawn est avec quelqu'un maintenant. Elle vit à quelque pas d'ici, au bout de la rue, mais chaque soir, elle passe prendre le repas avec moi. C'est un peu notre rituel de sœur.

 

-Et toi ?

 

Buffy esquissa un sourire timide.

 

-Moi ? Avec quelqu'un ? Non. Il y a bien eu certaines rencontres, mais je crois que je me sens mieux célibataire, et puis depuis le temps, je me suis fait une raison. Toutes mes histoires de cœur finissent mal, alors je ne cours plus après.

 

Seyia n'en croyait pas un traître mot.

 

-Tu ne te sens pas trop seule ?

 

-Non ! réfuta Buffy. Cet endroit n'a rien de comparable avec les États-Unis. Les gens vivent avec les autres, parfois chez les autres, et à toute heure de la journée. La mentalité est différente. Disons qu'ici, on se sent comme dans une grande famille. Quoiqu'il arrive, on est jamais seul. Ce n'est pas toujours pour le meilleur, mais dans l'ensemble, c'est mieux ainsi.

 

-Ici ? Mais ou somme-nous, exactement ?

 

Buffy sembla désorientée par la question.

 

-Lixus, une ville perdue aux confins de l’Afrique. C'est l'un des rares endroits sur terre ou Wolfram et Hart n'ont pas étendu leur influence. Il faut croire que cette région est trop pauvre pour intéresser les grands de ce monde, mais je ne doute pas qu'un jour, leur soif de domination les amène jusque-là. J'y pense, comment es-tu venue jusqu'ici si tu n'as aucune idée d’où tu te trouves ?

 

-Willow m'a envoyée à toi.

 

En entendant le nom de sa meilleure amie, l'expression sur le visage de Buffy se métamorphosa.

 

-Willow ? Comment va-t-elle ?

 

-Mieux maintenant, mais c'est une longue histoire, et il n'y a pas qu'elle. Leina et Alex m'ont accompagné pour vous retrouver. 

 

À la mine déconfite de Buffy, la brune s'empressa d'ajouter.

 

...Ils vont bien. S'ils ne sont pas avec moi, c'est parce que je leur ai demandé de rester en retrait. Je ne voulais pas prendre le risque de les entraîner dans un monde inconnu. Ils avaient assez donné de leur personne comme ça. J'étais loin de me douter qu'il n'y aurait aucun danger. Lorsqu'on est habitué au pire, on finit par s'y attendre.

 

Buffy se livra à une introspection passagère avant de fixer sa disciple d'un air grave.

 

-Tu es venue chercher ici quelque chose que je ne peux pas te donner, avoua-t-elle du bout des lèvres, comme une confidence.

 

-Je suis venue te chercher, affirma Seyia en haussant légèrement la voix. Le combat n'est pas perdu. On lutte toujours. Faith, Giles, Spike, ils attendent tous ton retour.

 

Seyia se doutait pertinemment qu'en citant le vampire, elle susciterait une réaction et celle-ci ne se fit pas attendre.

 

-Spike ? Comment va-t-il ?

 

Elle hésita avant de s'interrompre.

 

...Non, peu importe. Il doit m'oublier. Ils doivent tous m'oublier.

 

-Mais de quoi tu parles ?

 

-Je ne suis plus celle que tu as connue. J'ai changé. C'est ce que fait le temps, il nous change et nous devons l'accepter. J'ai raccroché. Cette vie, ce n'est plus pour moi. J'ai tout abandonné le jour où j'ai décidé de m'extraire de tout ça.

 

Le discours défaitiste de la tueuse fit prendre conscience à Seyia qu'elle faisait face à une personne brisée, et que la tâche s'avérait ardue de recoller les morceaux.

 

-Ce n'est pas ce que tu m'as appris ? Ne jamais abandonner. Lutter jusqu'au bout. C'est de ce bois dont nous sommes faites, nous les tueuses.

 

-S'il te plaît, la supplia Buffy. Je ne veux plus ressasser le passé. Il n'y a plus de tueuse. J'ai laissé cette vie derrière moi et je te demande de ne pas insister.

 

Les intentions de Buffy se présentaient sans équivoques. N'ayant pas l'intention de renoncer, Seyia ne souhaitait pas gâcher ces retrouvailles pour autant, aussi abandonna-t-elle l'idée d'aller plus loin. Au même moment, le bruissement d'une porte accompagné de quelques rires résonna à l'entrée. Un homme, une femme et un enfant firent irruption dans la pièce. Le garçon se précipita aussitôt dans le salon, bondissant sur le canapé pour se jeter dans les bras de la tueuse.

 

-Buffy, on est là, s'annonça une voix douce et enjouée. J’espère que t'as pas commencé à manger sans...

 

En remarquant la présence d'une invitée, la femme s'interrompit brusquement. Le silence opéra, le temps d'estimer la situation. La nouvelle arrivante n'osa tout d'abord pas y croire. Serait-ce un fantôme ressurgissant du passé ? Elle considéra une fois de plus Seyia puis, pour s'assurer qu'elle ne délirait pas, osa prendre les devants.

 

...On se connaît ?

 

La jeune tueuse se leva et, toujours sous le coup de l'émotion, acquiesça comme il se devait.

 

-Oui. On a vécu dans le même manoir pendant des années, mais ça remonte maintenant.

 

La réponse ne souffrait d'aucune ambiguïté. En proie à une vive émotion, l'arrivante lâcha son sac à main au sol, sous l’œil déconcerté de l'homme qui l'accompagnait. Elle ne rêvait pas, pourtant, malgré ses certitudes, elle éprouvait toutes les difficultés à concevoir cet état de fait.

 

-Tu n'es pas un fantôme ? demanda-t-elle incrédule.

 

-Elle est bien réelle Dawn, annonça Buffy. Ça m'a fait la même sensation quand je l'ai vue.

 

Dawn s'avança au-devant de Seyia, la considéra d'un regard bienveillant et l'enlaça avant de la reconsidérer à nouveau.

 

-Tu as un peu changé, mais ton visage, je le reconnaîtrai entre mille. C'est inespéré que tu sois toujours...Enfin, peu importe. C'est...je ne trouve plus les mots.

 

-Les mots exacts sont vivante et incroyable, continua Seyia. Et oui, j'ai survécu. J'ai eu cette chance.

 

Seyia était heureuse de retrouver Dawn après tant d'années. Sa mémoire regorgeait de souvenirs en sa compagnie dans le manoir de Cleveland. En ces temps, la sœur de la tueuse avait l'ingrate mission de servir d'intermédiaire entre le groupe des combattantes et le quartier général. S'il subsistait jadis chez Dawn quelques infimes traits enfantins, il n'en restait plus rien désormais. Rivalisant de beauté avec sa grande sœur, elle paraissait plus élancée que dans ses souvenirs. Sa longue chevelure en vague teintée de noir, avec une mèche élégamment placée sur le côté, et ses boucles d'oreilles cerclées d'or, sublimait davantage ses magnifiques yeux verts. Dans sa robe de soirée, Dawn revêtait une allure de Diva, et en comparaison, la jeune tueuse se sentait appartenir à un autre monde.

 

...Tu es une femme magnifique, la complimenta Seyia. Je suis vraiment heureuse de te revoir.

 

Dawn rougit tandis que l'homme qui l'accompagnait se tenait toujours en retrait, sans oser interférer dans de si intenses retrouvailles. Saisie de stupéfaction, la sœur de la tueuse en oublia presque les bonnes manières.

 

-Désolé, dit-elle en tournant le regard derrière son épaule. Seyia, je te présente mon compagnon. Miani. Et le petit démon que tu vois là-bas, c'est mon fils, Akil.

 

Stupéfaite, la tueuse tressaillit sous l’effet de cette annonce qu'elle aurait préféré moins brutal. Le temps de réaliser que Dawn était devenue maman, et tout prit enfin sens malgré la latence de son cerveau peinant à concevoir la vacuité d'une temporalité soumise à une évolution constante. D'abord Alex, maintenant Dawn : Seyia se sentit vieillir d'un seul coup. En restant toutes ces années enfermée dans sa bulle de vengeance, elle en avait fatalement oublié le cycle de la vie continuant son cours inexorable. Pendant que Buffy, Dawn, et tous les autres, avaient avancé, évolué, elle en était restée au même point.

 

Heureuse et un peu envieuse sur le coup, Seyia aurait souhaité pouvoir passer à autre chose, mais elle en était psychiquement incapable. Constatant son désarroi, l'enfant l'observa de son regard espiègle. Le teint mat, les cheveux bouclés en bataille, les yeux en amande : le jeune garçon ressemblait comme deux gouttes d'eau à son père, si ce n'est ses pupilles nuancées d'un vert éclatant empruntées à sa mère. Quant à Miani, il passait assurément pour un bel homme. Sa fine chemise cachait bien mal les contours d'une musculature en tout point proportionnée, et son regard charmeur ne laissait pas indifférent. Ce dernier s'avança en tendant sa main à la nouvelle venue, toujours sous le coup de l'émotion.

 

-Heureux de faire ta connaissance !

 

-Oui, répondit-elle comme un automate, presque machinalement... Je veux dire, moi aussi, heureuse de vous connaître. Désolé, ça fait beaucoup d'informations d'un coup.

 

Il lui adressa un sourire sincère, puis porta son attention sur son fils.

 

-Akil. Allez on rentre. Tante Buffy et maman ont besoin de se retrouver seules.

 

Le jeune enfant fit la moue en réponse au sourire de sa tante qui lui pinça tendrement la joue.

 

-Allez petit diable, écoute ton père. On se verra demain.

 

Akil chercha un soutien du côté de sa mère, mais il déchanta rapidement. Un léger haussement de sourcil et un regard perçant suffirent à lui faire comprendre que toute tentative resterait vaine. Miani prit son fils par l'épaule avant de quitter la pièce, couvé par le regard amoureux de sa femme. Une fois seules, les trois femmes profitèrent de ce bon repas pour échanger sur le temps perdu.

 

Seyia leur conta tous les périples l'ayant menée jusqu'ici : de son réveil sur le champ de bataille, en passant par sa lutte au côté des rebelles dans les souterrains de Londres, l'odyssée en mer avec Riley et Sam, ainsi que sa rencontre avec tous les membres du scooby-gang, jusqu’à sa venue à Lixus. En prêtant une oreille attentive au récit de son ancienne disciple, Buffy culpabilisait. Elle aurait tant aimé les revoir, lutter à leurs côtés, mais elle ne s'en estimait plus capable. Ici, elle avait trouvé un équilibre, un endroit où elle se sentait enfin heureuse, loin de son devoir, loin de ce chaos incessant.

 

Dawn quant à elle, fut agréablement surprise d'apprendre qu'Alex et Leina, ses deux meilleurs amis, étaient également devenus parents. Leurs parcours se ressemblaient tellement qu'elle aurait souhaité partager ces précieux moments à leurs côtés. La présence de ses amis lui manquait atrocement.

 

Au fil de la discussion, Seyia fut éprise d'un sentiment d'amertume. La teneur de leur échange n'allait pas dans le sens qu'elle aurait souhaité, désormais certaine que Buffy ne la suivrait pas dans sa lutte. Dawn, ayant décelé l’inquiétude sur son visage, jugea bon d'intervenir.

 

-Il ne faut pas nous en vouloir. Nous aurions aimé que les choses soient différentes, mais Buffy et moi avions fait notre choix il y a bien longtemps. Les autres voulaient continuer la lutte, mais avec Willow, nous avions choisi une autre voie. Je sais que ça peut paraître lâche dit comme ça, mais nous ne regrettons rien.

 

-Je ne comprends pas, réagit Seyia en sautant sur l'occasion pour aborder le sujet. Wolfram et Hart, ils sont plus puissants que jamais, et je ne connais personne d'autre que toi Buffy pour mener l'offensive. Nous avons besoin de toi. J'ai fait tout ce chemin pour te retrouver et ramener l'espoir à tous ces gens épris de liberté.

 

-Non, réfuta Buffy. Vous avez déjà celle qu'il vous faut. Faith, c'est elle qui mène ce combat et comme tu me l'as dit, elle se débrouille plutôt bien. Je ne suis pas l'élue qui sauvera le monde. Quand nous avions réuni toutes les tueuses, alors c'était vous les élues, celles qui feraient pencher la balance. Vous étiez l'avenir. Moi, je n'étais déjà plus qu'une relique du passé. Je sais que c'est difficile à admettre, mais mon dernier combat, c'était lorsque j'ai mené toutes ces filles porteuses d'espoir à leurs pertes. La tueuse est morte ce jour-là, pour laisser place à celle que je suis réellement. Une femme banale, avec une vie banale. C'est ce que j'ai décidé d'être et je suis heureuse comme ça. Désolé de devoir briser tes attentes.

 

-Pas autant que moi! déplora Seyia. Désolé ! Je pense que je n'aurai pas dû venir. Willow m'avait prévenue que c'était peine perdue. J'aurais dû l'écouter. Au moins, je pourrais leur annoncer que vous allez bien toutes les deux.

 

-Reste, insista Buffy. S'il te plaît, j'aimerais qu'au moins tu passes la journée avec nous demain. Ça fait tellement longtemps, je te croyais... Enfin, accorde-nous un peu de temps. J'aimerais que tu comprennes certaines choses. Tu veux bien m'accorder cette faveur ?

 

-Je...

 

La tueuse hésita longuement.

 

...Une journée alors. Je ne voudrais pas que les autres s'inquiètent et je ne voudrais pas les faire espérer non plus.

 

-Merci, acquiesça Buffy.

 

La discussion changea de registre et la nuit résonna de leurs expériences respectives, de leur joie, de leurs peines, et du plaisir à vivre le moment présent. Seyia s'informa sur le vieux monsieur, assis devant la maison. Buffy resta évasive à son sujet, mentionnant qu'il s'agissait du propriétaire des lieux, un homme discret, auquel il ne fallait pas prêter attention. Une fois le repas terminé, Buffy s’affaira à préparer la chambre d'ami pendant que Dawn et Seyia passaient un petit moment sur la terrasse, à écouter le chant de l'océan et à s'imprégner de l'air iodé. Les nuits se voulaient douces dans cette contrée et Seyia en savoura chaque instant. Profitant de cette sérénité apaisante, Dawn se décida à aborder le sujet qui lui tenait à cœur.

 

-Il faut que tu comprennes une chose sur Buffy.

 

Seyia lui prêta un regard avant d'observer le ciel étoilé, cheveux aux vents.

 

...Quand la bataille s'est achevée, ce n'était plus la même. Elle était dévastée.

 

-Je l'étais aussi, répliqua la brune. Je n'ai jamais cessé de l'être.

 

-Alors tu peux comprendre mieux que personne. J'ai grandi avec Buffy. J'ai partagé ses victoires et ses innombrables défaites, ses moments de joie et de doute, mais jamais je ne l'avais vu dans cet état. Si elle était restée, elle serait morte à l'heure qu'il est. Tu sais ce que ça fait d'avoir quelques personnes sous ta responsabilité.

 

-C'est dur et culpabilisant, se remémora Seyia. Quoi qu'on fasse, on a l'impression de prendre continuellement les mauvais choix et c'est encore pire quand des vies sont en jeu. Vivre avec le fait que la moindre de nos décisions puisse impacter la vie des autres, il n’y a rien de pire. On se sent impuissante, seule.

 

-Alors, imagine-toi ce qu’elle a dû ressentir après cette défaite et ces milliers de filles disparues alors qu'elles étaient sous sa responsabilité.

 

Seyia resta sans voix. Elle n’avait jamais abordé la question sous cet angle, aussi réalisa-t-elle toute l’ampleur du traumatisme et les conséquences engendrées. Ne s'étant jamais réellement remise de la perte de ses coéquipières, elle entrevoyait désormais l’énorme gouffre qui les séparait. Ce sentiment de culpabilité en tant que cheffe d'escadron persistait à la hanter depuis le jour du drame. Il lui arrivait encore fréquemment de revivre la scène dans sa tête et de la modifier continuellement en fantasmant une meilleure finalité. Comment pourrait-elle blâmer Buffy alors qu'elle-même n'avait pas su tourner la page.

 

-J'ai été idiote, avoua-t-elle. Pour moi, Buffy était une héroïne, une légende, à tel point que j'en oubliais son humanité, ses failles.

 

Son visage s'illumina d'un sourire.

 

...Je peux bien l'avouer maintenant. Si j'espérais son retour, c'était pour moi et pour moi seule. Je voulais fuir mes responsabilités, parce que je ne sais pas où je vais et je me suis dit que si elle revenait alors je n'aurais plus à me poser de questions. Pourtant je l'ai toujours su. Buffy ne peut pas sauver ce monde, pas plus que nous. Égoïstement, je voulais qu'elle me guide comme elle l'a toujours fait, qu'elle m'aide à trouver mes propres repères, mais je suis vraiment ridicule.

 

-Non, tu ne l'es pas, reprit Dawn. On a toutes nos croix à porter, et tu as la tienne comme tout le monde. Au fond, que l'on soit perçue comme une super héroïne ou une personne ordinaire, on ressent tous la même chose. Il arrive toujours un moment dans notre vie où tout s'écroule, où on se sent paumé. En venant ici, elle a changé de vie. Elle a laissé son passé derrière elle. Je ne prétends pas que c'était la meilleure chose à faire, mais c'est ce qui l'a sauvé, alors sûrement que c'était ce qu'il fallait. Ça n'a pas été facile au début, mais les gens de ce village sont parvenus à lui faire reprendre goût à la vie. Ça a fonctionné pour moi.

 

Dawn glissa une main amicale à son épaule avant d'entamer quelque pas en direction de la sortie. Seyia, quant à elle, resta accoudé au muret en contemplant l'obscurité céleste.

 

...Au fait, annonça Dawn en s'arrêtant sur le palier menant à l'escalier. Il arrive que le phœnix renaisse de ses cendres. Quelques fois, c'est pour raviver la flamme d'antan, et d'autres fois, c'est pour en créer une totalement différente. L'important c'est que la flamme subsiste, quoiqu'il arrive.

 

En l'observant quitter la terrasse, Seyia se rendit compte que la Scythe avait été déplacée et entreposée soigneusement sur la paroi murale, en haut de l'escalier. Ne sachant pas comment l'interpréter, elle décida de le prendre comme un bon présage.

 

*

 

Plus tard, dans la nuit, Buffy lui présenta la chambre d'ami, une petite pièce entourée de sedaris moins confortables que ceux du salon, avec à l'entrée une multitude de couvertures et de draps entreposés les uns sur les autres. La literie ne lui serait pas d'une grande utilité, eut égard à la chaleur accablante régnant dans la pièce. Pour achever de la convaincre, l'odeur de tissu ancien qui s'en dégageait ne l'incitait pas à s'en servir. Seyia ouvrit la fenêtre, prenant soin de refermer les vieux volets en accordéon. Leur état de délabrement avancé permettait de laisser filtrer l'air marin dans la pièce en apportant une fraîcheur bienvenue.

 

Le sommeil, bien que présent, fut difficile à trouver. Ouvrir la fenêtre n'offrait pas que des avantages. Les aboiements de chiens sauvages communiquant à distance ne présentaient pas l'attrait d'une berceuse efficace. Ajouté à cela le sedari étroit et dur, et tous les éléments concouraient à un sommeil perturbé. Ce fut le cas lorsqu'en plein milieu de la nuit, Seyia fut éprise d'une migraine intense. Incapable de discerner le cauchemar de la réalité, la sensation éprouvée paraissait authentique. Ses tympans tambourinaient au rythme de l'horloge accrochée au-dessus de la porte. Pire encore, la sensation de son crâne heurtant chaque pan des murs de sa chambre la plongeait lentement dans une folie dont elle ne parvenait plus à s'extraire.

 

Dans sa tête, une voix se mit à résonner toujours plus fort, lui soumettant une série de chiffres sans queue ni tête qu'elle devait résoudre par le biais d'une équation, et elle n'y parvenait pas. Multiplier ces chiffres inconcevables aboutissait constamment au même échec. La solution restait irrésolue, et pendant ce temps, la sensation de son crâne se fracassant contre les mûrs persistait toujours sur ce même rythme effréné. Comme possédée par une entité cherchant à prendre le contrôle de son âme, Seyia se débattit, lutta de toute ses forces, tenta d'entrevoir une porte de sortie, mais en vain. Sa seule perspective consistait à répondre à ce maudit calcul, à résoudre cette équation invraisemblable quoiqu'il en coûte.

 

Et puis, lors d'un moment de lucidité, elle se posa la bonne question. Pourquoi chercher ? Pourquoi répondre à une équation inutile ? En prenant conscience de l’absurdité de la situation, sa folie se dissipa en même temps que son mal de crâne.

 

Elle se redressa du sedari, en sueur. Incapable de déterminer si ce délire était causé par une fièvre intense et passagère, ou par une influence mystique, elle le ressentait jusque dans sa chair. Elle n'avait pas rêvé.

 

Prise dans la tourmente, le chant du muezzin, appelant à la prière, vint la sortir de sa torpeur. Buffy l'avait briefée sur les quelques différences culturelles et elle n'en fut pas surprise. Épuisée par toutes ces péripéties mystiques, elle se rendormit d'un sommeil paisible.

 

Quelques heures plus tard, la bille de lumière s'illumina en même temps que l'aube, éclairant la pièce d’une lueur douce et rassurante.

 

**

 

À travers les volets vétustes, la luminosité extérieure ondulait en faisceaux sur les murs de la chambre, reflétant son tracé sur le visage de la belle endormie. Accompagnée du tumulte extérieur, Seyia ouvrit un œil, puis deux, avant de s'étirer de tout son long sur son lit de fortune. Lorsqu'elle écarta les volets, elle eut la surprise d'y découvrir un point de vue direct sur le petit terrain jonché de poubelles aperçu lors de son arrivée. Cette désagréable odeur de matière en décomposition se trouvait toutefois contrebalancée par les effluves enivrantes émanant des stands de fruits exotiques installés de l'autre côté du chemin bordant le terrain défraîchi.

 

De sa fenêtre, elle apercevait le petit marché monté plus tôt dans la matinée, grouillant de monde. Attirée par la bonne odeur de pain grillé, Seyia se dirigea vers le salon où l’attendait une Buffy déjà levée aux aurores. Sur la table, une thermos de café noir exhalait ses vapeurs parfumées, accompagnée de pain frais et de quelques pots de miel et de beurre.

 

-Bien dormi ? s'enquit Buffy souriante.

 

Ne souhaitant pas lui faire part de l'étrange sensation survenue dans son sommeil, Seyia opina du chef. Alors qu'elle lui servit une tasse de café, une voix, provenant de la porte d’entrée, vint les interpeller dans la langue du pays.

 

...Toujours à l'heure, s'exclama Buffy en se levant du sedari. Viens, suis-moi.

 

Derrière le petit portillon donnant sur l'extérieur, une vielle paysanne voilée se tenait sur un maigre mulet aux braiments capricieux. L'animal transportait de part et d'autre de sa panse, deux lourds paniers en osiers. Buffy et la vieille femme échangèrent quelques politesses avant que cette dernière ne descende de sa monture et n'aille puiser dans ses paniers du lait frais et du beurre issu de sa récolte. Le lait entretenait une odeur plus forte qu'à l'accoutumée et le beurre ne possédait pas la forme épurée et rectangulaire de celle que l'on trouve dans les chaînes industrielles. Tous les aliments paraissaient authentiques.

 

...Tu verras, la prévint Buffy. Ici, tout ce que tu mangeras aura une saveur que tu ne trouveras jamais en occident. Tu vas redécouvrir le véritable goût des aliments.

 

Seyia n'allait pas la contredire en appréciant plus que jamais le petit déjeuner concocté. Le goût, les arômes, la texture, absolument tout lui semblait plus prononcé, plus savoureux. Exit du petit déjeuner américain à base d’œufs brouillés, ici les habitudes étaient différentes. Pas le temps de se laisser aller à l'oisiveté pour autant. La journée venait de débuter, entretenant son lot de tâches à accomplir. Buffy sollicita l'aide de sa disciple afin de réaliser les basses besognes. La liasse de linge sale fut transportée par la jeune apprentie sur la terrasse ensoleillée, tandis que Buffy s'évertuait à remplir la bassine d'une eau tempérée dans laquelle elle y déversa des cristaux de lessive.

 

-Tu n'as pas de machine à laver ? questionna Seyia en plaçant la pile de linge à proximité.

 

-Non, répondit-elle en se saisissant d'une rapière de bois dentelée qu'elle positionna à l'intérieur de la bassine. Le confort moderne à ses avantages, c'est certain. Il faut un temps d'adaptation, réapprendre à donner un peu de sa personne pour parvenir à un résultat, revenir aux fondamentaux et à des conditions de vie plus rudimentaires. Ça n'a pas que des mauvais côtés. On peut dire que la vie est un peu moins stressante. On se pose, on respire le grand air et on prend le temps. Regarde, c'est plutôt facile, même si ça demande quelques efforts.

 

La blonde saisit le vêtement, le plongea dans la bassine, puis le posa, imbibé d'eau, sur la rapière. À l'aide d'une brosse, elle en frictionna ardemment toute la surface avant de le replonger dans le liquide. Enfin, elle essora le tissu à la seule force de ses mains pour le disposer, prêt à sécher.

 

...Tu vois, rien de compliqué, sourit Buffy.

 

-Pas plus facile qu'une machine à laver, répliqua Seyia totalement intriguée par l'évolution de son ancien maître d'armes. Je peux ?

 

Buffy lui céda volontiers sa place. La brune s'imprégna des mêmes gestes, mais au moment de frotter, le vêtement se déchira sous sa force. Son visage se décomposa, prenant l’expression d'une gamine honteuse à l'idée d'avoir commis une bourde.

 

...Oups ! Je suis désolé .

 

-Ce n'est rien ! la réconforta Buffy en ne cachant pas l'étendue d'une contrariété prononcée. C'était juste ma plus belle robe. Mais tout va bien. Dire que j'avais mis des mois à travailler pour me l'offrir.

 

-Désolé ! culpabilisa Seyia. Vraiment... Je suis vraiment maladroite.

 

-Je plaisante! reprit Buffy en la toisant d'un sourire moqueur. En fait c'était à Dawn !

 

Cette réponse ne la soulagea pas pour autant. Son hôte, consciente d'être allée un peu trop loin, se décida à lui fournir quelques explications.

 

...Tu possèdes en toi la force d'une tueuse, et c'est un bon exercice pour apprendre à la maîtriser, tu ne crois pas ? Enfin, si tu pouvais apprendre vite, ça m'arrangerait assez. Tous ces vêtements n'appartiennent pas à Dawn.

 

Prenant cela comme un challenge, Seyia répéta le mouvement inlassablement, et alors qu'elle pensait enfin gérer la situation, un bruit de craquement retentit, avec pour conséquence, la parure de drap écorchée sous les grincements de dents d'une Buffy désabusée.

 

...Laisse-moi te donner un conseil. Respire, rien ne presse. Tu n'as pas à te précipiter. Tu dois oublier la notion du temps qui passe pour te focaliser sur l'idée de bien réaliser tes mouvements. Ton esprit est constamment ailleurs. Recentre-toi sur ce que tu fais, et fais-le à fond. Ça fait longtemps que je ne t'ai pas vu, mais tu me sembles plus nerveuse que dans mes souvenirs.

 

-Je ne sais pas si je pourrai. J'ai une sorte de rage en moi et je n'arrive pas à retrouver un semblant de sérénité. J'essaie pourtant.

 

-Arrête d'essayer. Fais-le, tout simplement.

 

Ce conseil avisé lui rappelait tous les cours particuliers en compagnie de son maître d'armes, dans le manoir de Cleveland. Un sentiment appréciable sur le coup. Finalement, certaines choses ne changeaient pas. Après plusieurs tentatives, elle parvint à se maîtriser et la pile de vêtements propre prit définitivement le dessus sur celle usagée.

 

Accroupies autour de la bassine, les deux femmes œuvraient, l’une après l’autre, à se substituer dans le geste. Pour Seyia, partager ces petits moments d'intimité avec la personne qu'elle respectait le plus en ce bas monde était une bénédiction. Il faut dire qu'elle revenait de loin. Les deux travailleuses s'accordèrent une petite pause, inspirant à plein poumon le flux d'air marin, comme si elles communiaient avec la nature.

 

Au même moment, le vieil homme fit son apparition sur la terrasse, les bras croisés derrière le dos. Il flânait aux abords des grappes de raisin qu'il appréciait à examiner d'un œil expert.

 

-Cet homme est étrange, soutint Seyia. Je ne l'ai même pas senti arriver. 

 

-Tu parles de Judd'i ? Oui, il est...

 

Elle sembla hésiter.

 

...Enfin, c'est un homme sage et bon. Il aime ses terres et je crois qu'il nous aime aussi, à sa façon. Nous sommes ses invités après tout.

 

-Judd'i ? C'est son nom ?

 

-Non ! Ça veut dire « grand père » dans la langue du pays. C'est un peu le grand-père de tous ici. Il ne se révèle qu'aux personnes qu'il juge dignes.

 

-Alors c'est qu'il ne doit pas m'apprécier des masses, parce qu'il ne m'a pas adressé la parole une seule fois.

 

L'affirmation de la brune eut le don de la faire sourire.

 

-Allez ! Il ne reste plus qu'à étendre le linge et on aura terminé.

 

Suivant le geste à la parole, elles entassèrent les linges humides sur les câbles sillonnant la terrasse. Buffy vida ensuite la bassine afin d'en nettoyer la surface. Quelques coups de balai à paille plus tard et le dur labeur du matin toucha à sa fin, leur laissant le soin de se préparer pour une tâche autrement plus stimulante : une balade dans le marché le plus prisé de la ville.

 

***

 

Une fois sorties de la maison, elles longèrent le long chemin en bordure de falaise en passant par les petites échoppes de fruits entrevues par Seyia au levé du lit. Délaissant la corniche quelques centaines de mètres plus en amont pour s'éloigner des falaises, leur pas les conduisirent entre trois bâtiments, sur une place bondée de monde. Des stands extérieurs envahissaient les trottoirs, exhibant une diversité éblouissante de fruits et de légumes.

 

De belles tomates juteuses, des melons jaune et vert en forme de ballon de rugby, des pastèques, du raisin : il ne manquait de rien. D'étranges poires de couleur orangée couvertes d'épines interpellèrent la jeune touriste. De mémoire, la jeune tueuse n'en avait jamais vu auparavant, et leur apparence insolite éveilla sa curiosité.

 

-Ce sont des figues de barbarie, annonça Buffy. On les appelle des Hendi dans la langue locale.

 

-Des figues ? s'étonna Seyia. J'ai déjà vu des figues et ça ne ressemblait pas vraiment à ça.

 

La remarque eut le don de l'amuser.

 

-Tu n'as pas grandi en Californie, répliqua-t-elle. Ces fruits proviennent des cactus. Ils trouvent leur origine au Mexique. Ici, le climat est parfait. Je vais en prendre quelques-uns. Tu pourras goûter.

 

La transaction laissa place à un questionnement fondamental.

 

-Je ne veux pas paraître trop indiscrète, mais comment fais-tu pour gagner de l'argent ? interrogea Seyia en flânant, l'air de rien, parmi les échoppes. Pour vivre tout simplement ?

 

-Disons que je me débrouille. Je fais quelques petits dépannages ici et là et il m'arrive de donner des leçons d'anglais. J'ai tiré un trait sur mon rôle de tueuse, mais j'ai gardé certaines prédispositions et elles s'avèrent utiles quand il le faut.

 

-Tu chasses toujours ?

 

-Rarement. Ce n'est pas un lieu prisé par les vampires et les démons. Ceux qui peuplent ces terres sont pacifiques, pour la plupart. Ils se cachent comme nous. Comme je te l'ai dit, j'ai laissé tout ça derrière moi, mais il m'arrive de gérer quelques situations périlleuses. Pour faire simple, je ne patrouille plus. J'offre mes services de temps à autre, mais ça s'arrête là. La majorité de la population est pauvre et dans le besoin alors j'aide quand c'est dans mes cordes. Pour Dawn, c'est différent. Elle travaille dans une pharmacie avec son mari. Elle gagne honnêtement sa vie. Il m'arrive de lui filer un coup de main dans la boutique. J'ai fini par assimiler le fait que la violence ne résout pas tout et que le don de soi peut être tout aussi bénéfique. Disons que moins je cherche les ennuis, moins les ennuis me trouvent. C'est difficile à expliquer, mais le monde change quand tu te décides à le percevoir différemment.

 

-Ouais, soupira Seyia. C'est étrange, depuis toute petite, j'ai toujours eu l'impression de me focaliser sur le plus important, mais je n'ai pas le souvenir d'avoir vraiment vécu. Ne serait-ce que me promener ici avec toi sans avoir à combattre, à tuer ou à me sortir de situations plus périlleuses les unes que les autres. Cette sensation est nouvelle pour moi et je dois dire que ce n'est pas désagréable.

 

-C'est normal, assura Buffy. Lorsque tu es habité par ta mission de tueuse, alors il n'y a plus de place pour le reste. Je ne me suis jamais sentie aussi seule que quand mon devoir passait par-dessus tout. Ce n'est que lorsque j'ai tiré un trait sur ce rôle que j'en ai réellement pris conscience. Mais peu importe nos choix, ce qui compte aujourd'hui, c'est le moment présent alors s'il te plaît, oublie le côté tueuse et profite comme n'importe qui.

 

-Çà risque d'être difficile, regretta Seyia. Mais je vais faire un effort !

 

Après une brève excursion à l'extérieur, elles pénétrèrent une grande bâtisse abritant un immense marché couvert. La partie essentiellement réservée aux produits frais provenant du port abondait de poissons, de mollusques, et autres crustacés en tout genre, allant de la crevette jusqu'au requin, selon la pêche du jour. Buffy y acheta quelques dorades puis se dirigea vers la section dédiée aux épices.

 

Devant le regard ébahi de la brune, s'exposait une explosion de couleurs et de saveurs, présentées en pyramides sur les comptoirs. Après avoir fait l'acquisition de cumin, de coriandre et de poivre, toutes deux rebroussèrent chemin pour rentrer à la maison. En chemin, elles ne manquèrent pas de bifurquer par la petite épicerie au coin de la rue, afin de s'approvisionner en succulents pains ronds, parfaits pour l'accompagnement.

 

À l'heure du repas, Dawn, Miani, et leur fils se joignirent aux deux convives. Le couple, ayant pris sa journée, aida à la préparation, et tous profitèrent du délicieux plat concocté, dans les rires et les discussions légères. En dessert, Seyia se délecta des « hendi » dont elle prit plaisir à découvrir la saveur atypique.

 

Dans le fil de la conversation, le jeune Akil sauta de joie lorsque Dawn proposa de passer une après-midi à la plage. Légèrement prise au dépourvu, Seyia s'inquiéta de sa tenue, et c'est tout naturellement que la sœur de la tueuse lui proposa l'un de ses maillots de bain deux pièces.

 

Buffy lui expliqua que la chaleur accablante, en pleine journée, incitait les gens à se baigner dans l'océan ou à rester cloîtrer chez eux pour se reposer. La ville s'éveillait véritablement le soir, en même temps que les commerces, au profit d’un climat plus clément.

 

Ainsi ils partirent tous cinq, sacs en bandoulières et casquettes sur le sommet du crâne. Ils longèrent la corniche jonchée de palmiers et de piliers de marbres blancs rappelant les vestiges de la Grèce antique. Sous ce soleil éclatant, le décor semblait se noyer dans l'océan à perte de vue. Ce panorama fantasmagorique se voulait, pour Seyia, bien plus mémorable que les paysages rencontrés dans l'autre monde, en ceci que le magnifique tableau dépeint devant ses yeux demeurait bien réel.

 

Dévalant la côte par un petit chemin courbé, ils parvinrent à un petit port d’embarcation à l'allure malfamée. Une odeur infecte régnait en ces lieux, bien plus que celle émise par les déchets en bas de sa fenêtre. Dans cette ville, la beauté se mêlait indissociablement à la misère. En bas des marches, une dizaine de barques déjà bondées entamaient la traversée jusqu'à l'autre rive tandis que d'autres attendaient de se remplir. L'accès par ce petit fleuve protégé des vagues, menait à une longue digue derrière laquelle s'étendait, sur plusieurs kilomètres, une plage bordée de dunes de sables clairs.

 

Cette après-midi fut, par bien des aspects, inoubliable pour la tueuse qui en savoura chaque instant. Les barques remplies à ras bord avec leurs passeurs musclés à force de ramer toute la journée, les sonorités reggae s'échappant du petit bar à côté de la digue, les vendeurs circulant sur la plage en poussant des chariots de glaces et de boissons, ceux trimbalant sur leurs épaules d'énormes tubes de nougats blancs enrobés dans une fine couche de papier transparent, la houle des vagues puissantes s'écrasant sur son corps comme un tsunami et ces moments hilarants en compagnie du petit Akil à construire des châteaux de sable et à s'amuser à défier les caprices de l'océan, sans oublier les photos prises à dos de chameau, les sensations de frayeur lors de la relevée de l'animal, ainsi que tous ces moments de baignade avec Buffy, Dawn et Miani : chacun de ces précieux instants éveilla chez elle ce sentiment nouveau de plénitude et de joie qu'elle découvrait comme dans un rêve, oubliant pendant un magnifique instant sa mission, son devoir, et l'état du monde.

 

À leur retour de la plage, ils prirent tous un bon bain, avant de savourer avec leurs cafés, les « sfungs », ces délicieux beignets achetés sur le chemin du retour près de la digue. Seyia se surprit à sourire en observant le vieil homme s'amuser avec les enfants de la rue. Il prenait plaisir à leur infliger quelques taquets sur le sommet du crâne, à l'aide de son pouce. L'expression chaleureuse et un brin malicieuse de son regard resta gravée dans son esprit pour une raison qu'elle ne s'expliquait pas.

 

****

 

Cette dernière soirée, elles décidèrent de la passer entre filles, en allant se promener au centre-ville. Leurs tenues décontractées laissèrent place à des vêtements citadins, et à un maquillage de circonstance. « La médina » comme Buffy se plaisait à la nommer, regorgeait de monde et de merveilles.

 

Le centre-ville consistait en un immense rond-point entouré de bâtiments à l'architecture Arabo-Andalouse, dont le terre-plein central, essentiellement piéton, accueillait les petits vendeurs à la chaîne sous les gigantesques palmiers. Entourée de cafés en terrasse et de restaurants, la place centrale située à quelques rues du port et des piliers antiques, s’érigeait en plaque tournante, si bien qu'une concentration de la population y affluait de toute part. La grande place desservait, par rayonnement, des dédales de petites ruelles étroites et labyrinthique, bordées de vieilles maisons colorées au pied desquelles s’adossaient quelques pauvres âmes esseulées.

 

En passant sous la magnifique arche hispano-mauresque, Buffy et Dawn entraînèrent Seyia vers le point névralgique de la ville : le souk, lieu de toutes les transactions commerciales. Contenue entre deux lignes de bâtiments, cette longue et large ruelle arborait en son sein tous les attraits et le génie de l'art de vivre autochtone.

 

Des murs de babouches colorées, des étals de tapis orientaux, des poteries : toute une diversité de savoir-faire artisanal traditionnel côtoyait sans distinction, les disquaires, les boutiques de vêtements en tout genre, sans oublier les éternels marchands de fruits et de légumes. Une délicieuse odeur d'épice et de cuir imbibait les narines de Seyia qui prenait plaisir à découvrir tous ces trésors, sous les conseils avisés de ses gardiennes attitrées.

 

La notoriété de Buffy et Dawn aidant, à chaque échoppe on leur proposait un thé à la menthe et des offres attrayantes. Dawn expliqua à Seyia que les commerçants se comportaient de la sorte parce qu'ils les considéraient comme faisant partie des leurs, et qu'ils ne réservaient pas le même accueil aux étrangers, bien souvent en se livrant à une hausse des prix et à quelques arnaques pécuniaires. Ce n'était évidemment pas par méchanceté, mais la misère n'étant pas toujours synonyme d’honnêteté, l'appât du gain prévalait dans les contrées où la pauvreté hantait chaque coin de rue.

 

Seyia ne se sentit pas tant dépaysée, à considérer ces dernières années passées à survivre dans les rues londoniennes, certes plus modernes, mais pas moins miséreuses lorsqu'il s'agissait de fouiner dans les bas-fonds. Pour autant, la tueuse fut accueillie comme une reine et ressortit du souk avec une ribambelle de petits cadeaux, dont une magnifique djellaba traditionnelle offerte en souvenir par ses hôtesses du jour. La jeune femme avait bien tenté de s'y soustraire, ne souhaitant par leur faire dépenser un argent difficilement gagné, mais Buffy et Dawn ne lui laissèrent pas le choix.

 

Sur le chemin du retour, les trois promeneuses firent une halte pour admirer les piliers de marbre blanc, à proximité du centre-ville, en se laissant transporter par le chant des vagues qui se fracassaient contre les rochers en contre bas. Seyia se sentait partagée entre la tristesse de devoir partir et le bonheur de cette journée mémorable en leur compagnie. Vivre ces moments d’insouciance imprégna en elle le goût des jours heureux et l'espoir de l'étendre au reste du monde.

 

En s'éloignant de la ville, la sérénité des petites ruelles mal pavées et non éclairées les guida jusqu'à leur domicile. Il se faisait tard et Dawn rejoignit sa famille, stipulant qu'elle viendrait lui dire au revoir lors de son départ, le lendemain à l'aube.

 

En pénétrant dans la maison silencieuse, Seyia fut interpellée par une lueur étrange provenant de la chambre à côté de la salle de bain. Malgré les rideaux voilant légèrement sa perception, elle aperçut l'ombre du vieil homme assis sur son lit et un jeune enfant, se tenant debout à son chevet, essayant à l'aide d'un briquet de lui allumer la cigarette qu'il tenait en bouche. La fumée obscurcissant sa vision, elle détourna le regard par pudeur.

Témoin de cet instant volé, la complicité entre le vieil homme et le jeune garçon résonna en elle comme un écho de sa propre histoire. Cette sensation éprouvée dès leur première rencontre ne s'expliquait toujours pas. Chose étrange, aucune odeur de cigarette en combustion n'avait filtré de la chambre. Une pensée fugace qu'elle jugea inutile avant de s'en aller rejoindre son ancien maître sur la terrasse.

 

Accoudée au muret de brique, la tête dans les étoiles, sa longue chevelure dorée au vent, Buffy semblait pensive.

 

-Belle nuit n'est-ce pas ? constata Seyia. Tu aimes te réfugier ici.

 

-Je m'y sens bien. À cette heure-ci on ne voit plus l'océan, mais on le ressent, on l'entend, et cette légère brise me remplit de quiétude. Je respire à plein poumon et je m’évade. Chaque soir, c'est une sorte de méditation.

 

-Et je peux savoir où tu vas quand tu t'évades ?

 

Buffy, silencieuse, répondit par un sourire énigmatique. Constatant qu'elle n'aurait pas le fin mot de l'histoire, Seyia changea de sujet.

 

...Merci ! murmura-t-elle.

 

-De quoi pourrais-tu bien me remercier ? s'étonna Buffy en se tournant vers sa disciple.

 

-De tout. De ces années où tu m'as formé et de cette magnifique journée. Merci de m'avoir montré ce que c'est de vivre comme une femme et non plus comme une tueuse. Je.... je préfère te remercier parce que je ne sais pas si dans le futur j'aurai l'occasion de te revoir et de te le dire, alors...merci pour tout.

 

Les paroles de la brune la bouleversèrent, mais Buffy, peu disposée à dévoiler ses émotions, n'en montra rien.

 

-Tu ne t'en rends peut-être pas compte, mais c'est moi qui devrais te remercier, avoua-t-elle. Tu as consenti à tant de sacrifices pour me retrouver et j'ai bien conscience que je ne me suis pas montrée à la hauteur de tes attentes.

 

-Non. Je comprends ce que tu ressens et j'ai fini par l'accepter. Ta place est ici désormais. J'ai eu tort de vouloir te ramener à tout prix sans comprendre ce par quoi tu es passé, ce que tu as enduré.

 

-Quelque chose me dit que Dawn t'a parlé.

 

-Oui, c'est vrai, assuma Seyia. Elle m'a fait prendre conscience de certaines choses. Ce qui te rend si exceptionnelle aux yeux de tous, ce ne sont pas tes pouvoirs de tueuse, mais la femme que tu es au fond de toi. Je le comprends aujourd'hui et je respecte ton choix, parce que sans ça, cette femme n'existerait peut-être plus à l'heure qu'il est.

 

Un court silence invita Buffy à la réflexion.

 

-Et toi alors ? Quelle vie as-tu choisie ?

 

-Continuer la lutte, affirma Seyia avec opiniâtreté, le nez planté vers l'horizon. Plus que jamais combattre pour semer les graines de la liberté, pour que d'autres endroits comme celui-ci fleurissent à travers le monde. Je me battrai pour ça. C'est le sens que je veux donner à ma vie. Je veux me battre pour que d'autres aient la chance de passer une journée comme celle-ci.

 

Buffy mesurait toute l'étendue de cette détermination qui, à bien des égards, la ramenait à une époque lointaine ou elle aussi se trouvait imprégnée de la même ardeur. Fière de sa disciple plus que quiconque, elle voyait en Seyia son digne successeur, celle qui véhiculerait tous ses espoirs. Aujourd'hui, les rôles venaient de s'inverser et l'élève était devenue une source d'inspiration pour le maître.

 

-Tu ferais mieux d'aller dormir, lui conseilla Buffy sur un ton monocorde, comme une automate, l'esprit légèrement ailleurs.

 

Seyia n'en éprouvait pas l'envie. Elle savait que la nuit passerait comme une étoile filante et que le temps des au revoir et des adieux surviendrait bien trop tôt. À cette idée, un lourd pincement au cœur l'étreignit. Elle aurait souhaité prolonger ce moment, qu'il dure encore, mais face à l'inéluctable, inutile de résister. Épuisée par cette longue et merveilleuse journée, elle jouirait au moins du privilège de s'endormir avec de belles images en tête.

 

-Et toi ? s'enquit Seyia en constatant son immobilité.

 

Aucune réponse. Résignée, la brune souhaita une bonne nuit à son hôte, puis quitta les lieux. Pendant ce temps, Buffy resta figée, le regard absorbé par un horizon qu'elle ne percevait plus. En proie à ses démons intérieurs, son corps fit volte-face, attiré par cette lueur étincelante provenant du couloir, en haut des escaliers. Positionnée devant elle, la Scythe résonnait avec son être, comme unis par un lien surnaturel. Elle la considéra longuement, puis, d’une main hésitante, l'effleura, avant de la saisir fermement. À son contact, son corps fut submergé d'une énergie mystique, par un sentiment et une sensation disparus depuis longtemps. Un instinct, provenant du fond des âges, hérité de toutes celles et ceux qui l'ont précédée, émergea en elle pour ne plus la quitter.

 

*****

 

Le lendemain, à l'aube, Seyia fut réveillée par la vibration de la luciole lumineuse attachée à son poignet. Comme redouté, le pincement au cœur fut tel qu'elle aurait préféré rester endormie. Pourtant elle allait devoir s'y faire. C'était l’heure de rentrer au bercail et malheureusement, les nouvelles qu'elle apporterait ne seraient pas des plus réjouissantes. Comment leur expliquer le choix de Buffy ainsi que son état d'esprit, sans causer de ressentiments chez ses amis et surtout chez Spike. Elle se consola en songeant que, si toutefois Alex, Leina et tous les autres souhaitaient rendre visite à la tueuse, par l'entremise de Willow, cette alternative existait toujours.

 

En poussant la porte de sa chambre, elle fut surprise de retrouver Dawn, Miani, Akil et Buffy déjà levés, sur le pied de guerre. Les visages minés par la tristesse révélèrent une ambiance étrangement pesante. Un détail interpella Seyia : la Scythe accrochée au dos de Buffy et cette tenue de ville qu'elle portait de si bon matin.

 

-Tout va bien ? demanda la jeune tueuse, peu rassurée.

 

Dawn paraissait accuser le coup. Effleurant le malaise du doigt, Miani jugea bon de répondre.

 

-Oui ne t'en fais pas. Nous sommes venus te dire au revoir. Il y a juste une équation que nous n'avions pas prévue.

 

L'air hébété de Seyia incita Buffy à clarifier la situation.

 

-Je t'accompagne, affirma-t-elle sans rechigner.

 

Stupéfaite par cette réponse, la brune ne considéra pas tout de suite la mesure de l’événement.

 

-Quand tu dis que tu m'accompagnes, c'est à dire...?

 

-Je rentre avec toi, confirma Buffy

 

À cet instant, tout se bascula dans sa tête et son cœur pulsa dans sa poitrine à la manière d'un marteau piqueur. Réalisant cette volte-face inattendue, elle s'imaginait encore allongée dans son lit à rêvasser.

 

-Je ne comprends pas, je pensais que t'étais heureuse ici.

 

-Je l'ai été, avoua Buffy en toisant sa sœur d'un regard complice. Vraiment, voir Dawn devenir maman, vivre une vie normale, c'est tout ce dont j'ai toujours rêvé.

 

-Alors pourquoi ? 

 

-La Scythe ! répondit Buffy. À son contact, j'ai ressenti le pouvoir des tueuses et le lien qui nous unissait toutes. La première fois, j'ai été terrifié. Ça a fait renaître en moi des souvenirs douloureux que j'avais scellés dans un coin de ma tête, ces mêmes souvenirs qui m'avaient plongée dans le plus profond désespoir sauf qu' hier, après que tu sois parti te coucher, pour la première fois j'ai réussi à faire face, à l'accepter, et c'est grâce à toi.

 

Seyia ne comprenait toujours pas en quoi elle était responsable et l'expression de son visage suscita une explication en bonne et due forme.

 

...Souviens-toi ce que tu m'as dit hier soir. Te battre pour que d'autres puissent vivre ces moments. Tu m'as fait prendre conscience que j'ai une responsabilité envers celles et ceux dont je dois honorer la mémoire et plus encore, envers ceux que je vais laisser ici. Cette oasis de liberté, je veux la défendre. Faire en sorte qu'ils ne parviennent jamais à mettre la main dessus. J'ai une dernière mission à accomplir avant de définitivement prendre ma retraite et je compte bien la mener à son terme.

 

Cette lueur dans le regard, il ne subsistait plus aucun doute. Buffy, la tueuse, marquait son retour, imprégnée de cet esprit de révolte qu'une simple parole avait déclenché au détour d'une discussion. Plus jamais Seyia ne doutera du pouvoir des mots dont Alex se voulait si friand. Pourtant, alors qu'elle devrait s'en enthousiasmer, une certaine retenue s'imposa naturellement. Tout le monde ne se réjouissait pas de cette nouvelle. Dawn devait accuser le coup et, certainement, éprouver du ressentiment à son encontre. Heureusement, la sœur de la tueuse ne laissa pas le doute planer bien longtemps.

 

-Ne t'en fais pas, réagit Dawn ! Tu n'y es pour rien. Je l'ai su dès que tu es apparu. À vrai dire, je crois que je le savais bien avant. Je ne voulais pas penser à ce jour parce que je le redoutais, mais au fond, j'ai toujours eu l'intime conviction que, dès lors qu'elle trouverait la paix avec elle-même, la tueuse reprendrait le dessus. C'était une évidence.

 

Dawn s'orienta vers sa sœur.

 

...C'est ce que tu es, ce que tu as toujours été. Une super grande sœur et une super héroïne. Je regrette juste de ne pas pouvoir t'accompagner pour ton dernier combat. Je ne suis plus seule désormais.

 

Buffy saisit les mains de sa sœur en la considérant d'un tendre regard.

 

-Je suis tellement fière de toi. Tu t'es enfin trouvé, tu as une vie, une famille, tu es devenue une femme extraordinaire, bien plus forte que je ne l'ai jamais été. Tu es mon héroïne.

 

Des larmes affluèrent de ses yeux vert émeraude, mais Dawn demeura comme à son habitude, digne, et la tête haute.

 

-Je déteste ça, reprit Dawn.

 

Buffy l'observa perplexe.

 

...Tu sais bien, ça ! Ces moments où on se dit de belles choses parce qu'on ne sait pas si on va se revoir et il est hors de question qu'on en arrive là.

 

Buffy s’apprêta à réagir quand Dawn l'interrompit.

 

...Non, laisse-moi parler. Je me fous de savoir comment, mais quoi que tu fasses, je veux que tu me promettes de revenir vivante, parce qu'il est hors de question que j'annonce à mon fils qu'il ne reverra plus sa tante.

 

-Je reviendrais, assura Buffy avec conviction. Je te le promets !

 

-Bien ! acquiesça Dawn de son regard de panthère. T'as intérêt.

 

Sans attendre, les deux sœurs s'enlacèrent avec force, s'empoignant passionnément pendant quelques longues secondes où elles se chuchotèrent tout l'amour qu'elles éprouvaient l'une pour l'autre. Le jeune Akil ne comprenait pas bien la situation. L'absence de sa tante pour une durée indéterminée constituait sa seule certitude, et instinctivement, il alla se coller à ses jambes.

 

-Tu reviens bientôt, hein ? lui demanda-t-il, inquiet.

 

Buffy s'inclina à genoux et le serra chaleureusement contre sa poitrine. Plongeant son regard dans le sien, elle posa ses mains sur ses frêles épaules.

 

-Je ferai de mon mieux pour te revoir le plus rapidement possible. En attendant, je veux que tu sois courageux et que tu prennes soin de tes parents. Tu peux faire ça pour moi ?

 

Il y consentit tristement, la tête basse.

 

...Je t'aime, avoua Buffy en l'étreignant avec force.

 

Puis vint le tour de Seyia de saluer chaleureusement Miani, Akil et enfin Dawn.

 

-Je ne sais pas comment vous remercier, exprima-t-elle humblement. Je suis navrée de vous causer tous ces ennuis.

 

-Comme je te l'ai dit, il arrive que le phénix renaisse de ses cendres. Avec ou sans toi, c'était acté, quoiqu'il arrive. D'une certaine façon, c'est moi qui devrais te remercier. Grâce à toi, ma sœur a su vaincre ses démons et je ne voudrais pas être celle qui l'empêcherait de s'accomplir. 

 

Le temps des au revoir achever, Buffy et Seyia poussèrent le portail sans se retourner. Buffy savait que prêter un regard par-dessus son épaule, l'inciterait à rebrousser chemin, alors elle s'abstint avec raison. Après tant d'années passées en ces lieux, ce départ lui procurait un goût amer, et la ruelle baignée de soleil ne lui parut jamais aussi morose qu'à cet instant. Seyia, de son côté, repensait au vieil homme. Elle aurait aimé lui faire ses adieux, au moins le remercier pour son hospitalité. Malgré son silence, son regard si tendre et poignant avait éveillé en elle une mélancolie dont elle ne parvenait toujours pas à discerner le sens. Cette sensation de le connaître depuis toujours la troublait, et l'absence de réponse lui laissait comme un goût d'inachevé.

 

Après avoir dévalé la ruelle, leurs pas les conduisirent jusqu'à la bordure de la falaise, non loin du cimetière. Une silhouette se révéla à mesure qu'elles s'en approchèrent. Cette djellaba bleu ciel, ces petits yeux perçant le fond de l'âme… le vieil homme se tenait fièrement debout en les observant. Un sourire perceptible, énigmatique, empreint de pudeur, illuminait son visage terni par le poids des années. Buffy s'arrêta à sa hauteur et ils se scrutèrent tous deux dans un silence éloquent. De l'élève au vieux sage, il existait un profond respect, peut-être même plus que cela, une véritable reconnaissance. Les mots n'avaient jamais eu leur place et n'en auront jamais.

 

Seyia avait enfin l'opportunité de le remercier. Pourtant elle resta muette lorsque le vieil homme, tel un mirage, traversa le corps de Buffy pour lui faire face. Elle aurait pu s'étonner, pousser un cri de stupéfaction, mais pas une fois cela ne lui traversa l'esprit. Elle plongea simplement son regard dans le sien, tendre et bienveillant. Transportée par une vive émotion, son cœur s'étreignit et de ses yeux coulèrent des larmes, faisant écho à ce lien immuable existant entre ces deux âmes que le destin n'aura jamais permis de les faire se rencontrer de leurs vivants. Il ferma son poing, le leva doucement au sommet de son crâne et d'un geste vif, lui assena du dos de son pouce, une petite pichenette avant de s'évaporer, imprégnant en elle à jamais l'image de ce visage radieux.

 

-Ça va ? s'enquit Buffy, en considérant la mine bouleversée de sa disciple.

 

-Oui ! acquiesça-t-elle, le regard tourné vers le ciel en se frottant la tête. C'est juste que son coup m'a fait mal.

 

Buffy ne comprit pas, mais la mine extatique de la brune la rassura et elle n'osa pas interférer dans sa plus profonde intimité. Dévalant la falaise, leurs pas les menèrent enfin à destination. Seyia sortit la bille lumineuse de sa poche. Cette dernière vibrait sous ses doigts, plus vive que jamais. L'air se fissura. Il y eut des étincelles puis un souffle, et enfin le portail s'ouvrit dans l'océan. Buffy et Seyia se tenaient prêtes à faire le grand saut. Avant de partir, les deux tueuses promenèrent leurs regards en direction de la ville. Était-ce seulement un adieu ou un au revoir, seul l'avenir le dirait. Ne restait pour l'heure que cette tristesse indicible fermant une porte sur le passé pour en ouvrir une autre sur l'avenir.


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