Shanshu II - Wolfram & Hart

Chapitre 18 : NOUVELLE TERRE

13243 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a 12 mois

NOUVELLE TERRE

 

Si pour Alex et Leina, traverser un portail relevait d’une grande première, il n'en était rien pour la tueuse, pourtant l'expérience se révélait à cent mille lieux de son vécu. Son corps lui donnait l'impression de se défragmenter, de se tordre sous la pression d'un souffle qui comprimait chacun de ses membres. Son estomac jugea bon de migrer dans des parties de son être encore inexplorées, si bien que la nausée s'accentua jusqu'à ce qu'elle soit sur le point de dégobiller. Non pas qu'elle se retenait. Prise dans ce tourbillon, personne ne l'aurait remarqué. Son allure ainsi que sa pudeur naturelle ne constituaient pas ses principaux soucis du moment. Son métabolisme, bringuebalé dans tous les sens, avait totalement perdu ses repères, et ce vrombissement assourdissant d'une montgolfière en pleine chute libre n'arrangeait rien à son affaire. Pour l'heure, seule la survie comptait et de son point de vue, ses chances ne paraissaient pas optimales.

 

Comme piégée au cœur d'une tornade, son corps se mit à tourbillonner à une vitesse folle et exponentielle. Seyia s’efforçait d’ouvrir la bouche, mais le courant s'y engouffrait aussitôt, l'empêchant de respirer la moindre bouffée d'oxygène. Dans ces conditions, impossible d'établir une seule pensée cohérente. Son instinct de préservation lui martelait sans cesse, telle une petite voix à son oreille : ''plus dure en sera la chute'', car si chute il devait y avoir, alors ce serait pire que tout le reste, bref et définitif, sans espoir de retour à la case départ. Ayant frôlée les frontières de l'inconscience, une sensation d'apaisement la prit à contre-pied. Son corps venait de se stabiliser soudainement, comme enveloppé d'un nuage de volupté. Ses facultés cognitives se régénéraient en même temps que son aisance à respirer, ce qui ne prêtait à aucun soulagement puisqu'elle s'imaginait avoir quitté le monde des vivants pour emprunter l'autre versant. C'est en observant autour d'elle qu'elle réalisa son erreur. Elle n'avait pas quitté la tornade. Elle s'y trouvait toujours à l'intérieur. En totale contradiction avec le flux puissant d'énergie dont la trajectoire orbitait autour de sa personne, son centre de gravité s'immobilisa. Comme en apesanteur, elle se sentait flotter au milieu d'un déchaînement de forces, avec le sentiment d'en être elle-même l'origine et la maîtresse. Une fausse impression, à considérer son incapacité à contrôler quoi que ce soit, si ce n'est son habileté à subir les événements.

 

Soumis à la gravité, son corps fut contraint de glisser lentement dans les profondeurs du tourbillon. Au début, la descente n'avait rien de brutal. Cela lui procurait la même sensation qu'un saut en parachute, lent et maîtrisé. Ce n'est qu'après avoir franchi plusieurs paliers que le voile se perça. Exit du parachute, il n'en restait rien à l'heure de la chute libre. Elle avait beau chercher à stabiliser et cambrer son corps comme l'aurait fait tout expert en voltige, c'était peine perdue. Voyant sa fin survenir, elle ferma les yeux et serra les dents en appréhendant une mort rapide et sans douleur. Un terrible grondement martela ses tympans, puis plus rien. Ne demeurait que le silence et la sensation de sa joue délicatement amortie par l'herbe fraîche. Les effluves naturels, imprégnant ses narines, lui apportaient une étrange sensation de réconfort. La tueuse, tout juste remise de ses émotions, resta allongée sur le ventre, le temps de retrouver l’usage de ses membres engourdis. Prenant appui sur ses avant-bras, elle se redressa en inspectant les alentours. À Quelques pas de sa personne, ses compagnons gisaient, étendus sur le sol.

 

-Alex, Leina, cria-t-elle en accourant vers eux. Est-ce que ça va ? Répondez-moi.

 

En les bousculant à tour de rôle, la tueuse fut grandement soulagée d'observer une réaction. Ils étaient bel et bien vivants, même si toujours éprouvés par les vicissitudes d'une telle embardée.

 

-Plus jamais je n'aurai peur de l'avion après ça, réagit Alex en peinant à retrouver son équilibre. Je ne sais pas si c'est ma tête qui tourne ou si c'est le monde autour de moi.

 

Le voyant tituber, Seyia lui offrit un semblant de stabilité.

 

-Doucement, doucement, le soutint-elle en accompagnant sa masse corporelle à bout de bras. Ne t'en fais pas, ça va aller mieux dans quelques instants. D'ici là, tiens-toi à moi.

 

De son côté, Leina donnait l'impression de mieux encaisser le choc. Ne souffrant d'aucune sensation désobligeante, elle se releva sans aide.

 

-Ouah ! s'extasia la blonde aux cheveux ébouriffés. Je n'ai jamais ressenti un truc pareil de toute mon existence. Je viens de prendre conscience de chaque organe de mon corps et c'est plutôt flippant.

 

-Oh... Je...

 

Alex, sur le point de régurgiter, porta précipitamment une main à sa bouche.

 

...Je crois que …

 

Il repoussa Seyia à bout de bras, puis se plia en quatre pour vomir ce que son estomac ne parvenait plus à contenir. Grimaçante, la tueuse tourna la tête pour ne pas assister à la vision d'horreur se jouant à quelque pas de sa personne. L'odeur poignante qui en découlait la fit s'écarter davantage. Leina quant à elle, esquissa un sourire moqueur.

 

-De nous deux, tu as toujours été le plus sensible.

 

Alex se redressa, la tête basse et les mains appuyées sur ses genoux.

 

-Merci, ça va beaucoup mieux, c'est sympa de demander, ironisa-t-il en se débarrassant des brins d'herbe collés à ses vêtements. Je sais pas où on est, mais je crois que je vais apprécier.

 

Seyia et Leina ne l'écoutaient déjà plus, fascinées par le magnifique panorama qui s'offrait à elles. Tous trois restaient bouche bée face à ce paysage verdoyant irradié de soleil. De toute part fleurissaient des Pivoines roses et blanches, des Tournesols, des Hortensias bleutés, de la Lavande ainsi que des Dahlias, et tant d'autres espèces qu'il serait impossible de les énumérer. Toutes ces fleurs dégageaient un parfum enivrant, tandis que la douceur du vent accordait sa musique en s'infiltrant à travers un tapis de tiges dansantes. L'horizon dégagé au Nord étalait sa beauté au-delà de ce qui était percevable à l’œil nu. Au sud, un long bosquet formait un barrage naturel composé de grands arbres millénaire à la hauteur vertigineuse. Des Hêtres, des Dragonniers de Socotra et des Sequoias dont les branches s’entremêlaient de façon presque surnaturelle, dessinaient les contours de ce décor enchanteur. Non loin de leur point d'impact, un sentier de briques jaunes, tracé à même le sol, serpentait en direction des fourrés.

 

...Dites-moi que je rêve, s'extasia Alex. Après avoir passé dix années à se terrer comme des rats, ça fait un choc.

 

-Cet endroit est bizarre, observa Leina dont la raison finissait toujours par l’emporter. Tout semble trop beau pour être vrai.

 

-On ne va pas s'en plaindre, répliqua Seyia. Personnellement, j'en avais un peu marre de la grisaille et de la morosité des profondeurs. Ici, j'ai l'impression de respirer.

 

-Désolé les filles de gâcher ce petit moment détente, mais je rappelle qu'on est là pour Willow, alors si l'une de vous deux sait quel chemin emprunter, je serai ravi de l'entendre.

 

La tueuse, en opérant un rapide tour d'horizon, se sentit plus déconcertée que jamais. D'un côté, ce sentier sinueux menant à un barrage naturel presque infranchissable, et de l'autre, une vaste étendue de terre s’étirant à perte de vue, dont la traversée prendrait bien plusieurs jours de marche ininterrompue, et rien ne justifiait d'une quelconque finalité derrière. Indécise, Seyia décida de s'en remettre à Alex et Leina. Hélas, le couple ne semblait pas plus avancé. Chacun exprima une opinion contraire, ce qui n'arrangeait aucunement la prise de décision. Leina défendit l'idée qu'un sentier débouchant sur un mur naturel n'était pas anodin et qu'il fallait le suivre, alors qu'Alex misait sur sa logique de mâle dominant, dont la génétique, à ses dires, l'avait doté d'un sens de l'orientation et de l'instinct hors du commun. Le borgne savait se montrer persuasif quand il le voulait, si bien qu'il finit par obtenir gain de cause. En définitive, ils optèrent pour les longues journées de marche.

 

Alors qu'ils entamaient leur randonnée, un phénomène en tout point étrange stoppa leur avancée. Les fleurs, somme toute assez ordinaires malgré leur beauté, poussèrent subitement jusqu'à les dominer de leurs hauteurs. Les pétales triplèrent de volume et les tiges s'extirpèrent du sol, créant un barrage infranchissable. Les trois aventuriers reculèrent sans se concerter. La main posée sur le manche de la Scythe attachée à son dos, Seyia se tenait prête à toute éventualité.

 

-Restez derrière moi ! ordonna-t-elle.

 

Alex et Leina, sur leurs gardes, obéirent sans poser de question.

 

-J'aurai dû m'en douter, dit-il préoccupé... y a toujours un vice caché.

 

Seyia empoigna son arme avec détermination, anticipant une potentielle attaque qui, contre toute attente, ne se matérialisa pas. Les fleurs restèrent figées, sans montrer le moindre signe d’agressivité. Au fait de cette étrange passivité, Leina, résolue à faire preuve d'audace, s'approcha lentement de ce barrage inopiné.

 

-Fais attention, réagit la tueuse. Tu prends trop de risques.

 

-Tes folle ou quoi ? la sermonna Alex. Ce sont peut-être des plantes carnivores.

 

La jeune femme ne fit aucun cas des remontrances et poursuivit son approche. Ses doigts effleurèrent le végétal, sous les regards attentifs et inquiets de ses deux compagnons désemparés.

 

-Ce ne sont pas des plantes carnivores Alex, juste des fleurs, le rassura-t-elle avant de se tourner vers la tueuse. Tu peux ranger ton arme. On ne craint rien. Elles sont totalement inoffensives.

 

Seyia hésita, puis, constatant l'absence de danger, raccrocha la Scythe à son dos. La jeune sorcière en herbe venait d'établir une étrange connexion avec les fleurs qui s'inclinèrent à sa hauteur pour caresser son visage de leurs pétales. La flore semblait dotée de conscience, à tel point qu'Alex rejoignit sa femme pour profiter à son tour de ce miracle.

 

-C'est incroyable ! s'exclama-t-il alors qu'une tige venait de s'enrouler délicatement autour de son bras. Tout bonnement fascinant. C'est ce que Giles aurait dit s'il était là.

 

La tueuse, toujours méfiante, préserva ses distances. N'étant pas tactile avec les humains, elle n'avait pas de raison de l'être plus avec les végétaux. Ce contretemps, bien que fascinant à bien des égards, restait tout de même une entrave à leur progression.

 

-Super ! Quand vous aurez fini de sympathiser, vous pourriez peut-être leur demander de nous laisser passer, ironisa-t-elle d'un air las.

 

Aussitôt les fleurs de dressèrent, droite et rigide. Leina opta pour une hypothèse.

 

-Je crois qu'elles essaient de communiquer avec nous et le message me paraît plutôt clair. Elles ne veulent pas qu'on emprunte ce chemin.

 

-Oui et c'est bien ça le problème, rétorqua la brune.

 

Leina se retourna pour faire face au barrage.

 

-Quitte à avoir l'air idiote, autant y aller à fond.

 

La jeune femme s'adressa aux fleurs comme elle l'aurait fait avec n'importe quel être humain.

 

...Vous ne désirez pas qu'on emprunte ce passage, observa-t-elle en suscitant les ricanements de son mari. Écoutez ! Nous sommes des voyageurs venant d'une lointaine contrée et nous sommes perdus. Nous recherchons une amie, une sorcière du nom de Willow, mais nous ne savons pas où aller. Pourriez-vous nous indiquer le chemin ?

 

L'attente d'une quelconque réaction fut gênante pour Leina dans l'intervalle ou il ne se passa rien. Ce n'est qu'à contretemps, que l'herbe autour d'eux se mit à onduler. C'est alors que des profondeurs de la terre s'extirpèrent des milliers de racines qui dessinèrent un couloir de fleurs rejoignant le sentier jusqu'au bosquet. Piégés à l'intérieur, ils n'eurent d'autre choix que d'arpenter le seul chemin à leur disposition.

 

-Je sais que je l'ai déjà dit, mais c'est incroyable, s'enthousiasma Alex. On se croirait dans un conte de fées. À notre retour, on aura de belles histoires à raconter à Sarah.

 

Leina acquiesça en souriant. Seyia ne partageait pas leur optimisme. Sa nature de tueuse l'incitait à rester prudente, surtout en terre inconnue. Ayant reçu une formation guerrière, elle entrevoyait les ennuis poindre à l'horizon, en compagnie de ces deux-là qu'elle jugeait trop naïfs et inconscients pour une mission de cette envergure. Elle allait devoir se montrer moins procédurière qu'à l'accoutumée et elle prenait ça comme un défi.

 

-Allons-y ! ordonna-t-elle. De toute façon, ce n’est pas comme si on avait le choix.

 

Tous trois arpentèrent le sentier de briques jaunes jusqu'au bosquet. Comme prévu, le chemin les mena face à un barrage naturel infranchissable.

 

...Nous voilà bien avancés, protesta la tueuse.

 

-Un peu de patience, suggéra Alex. Il y a forcément une explication. Après tout, peut-être qu'il faut demander gentiment comme tout à l'heure.

 

Le borgne n'eut pas le temps de s'y essayer qu'un curieux phénomène se produisit. Des centaines d'oiseaux à la robe colorée jaillirent des bosquets. Leurs battements d'ailes simultanés causèrent un bref effet de panique chez les aventuriers. Passé le cap de la surprise, le spectacle qu'offraient les volatiles en formation, se targuait d'un attrait fascinant. Les feuillages des arbres se mirent à osciller et ce n'était pas sous l'effet du vent léger. Ils ne le percevaient pas encore très bien dans toute cette masse, mais les branches, elles aussi, se déplaçaient dans l'espace. Le bruissement des rameaux et des feuilles, s’entremêlant pour mieux se séparer, interrompit leur contemplation. Tout le bosquet semblait en perpétuel mouvement et empreint d'une vie propre. Les fleurs germèrent sur la cime des arbres, tandis que les oiseaux revinrent se poser sur leur trône en entonnant leurs chants mélodieux. Les troncs se séparèrent pour créer un vaste passage, révélant un panorama surréaliste à leurs yeux émerveillés.

 

Le chemin de briques jaunes menait à un gouffre dont la descente abrupte dissimulait ses profondeurs mystérieuses. Le sentier s’enfonçait et se diluait dans ce déclin vertigineux, ne révélant rien de ce qui se cachait dans ses entrailles. La première vision fut celle de ce paysage lointain émergeant derrière l'autre versant. À l'horizon, une rivière s'écoulait des montagnes verdoyantes pour venir se heurter aux rochers jouxtant la falaise et s’acheminer, en rideaux de chutes d'eau, dans la trouée en contre bas.

 

-Sésame, ouvre-toi, ajouta Alex fier de sa fausse contribution.

 

-Ton instinct de mâle dominant hein ? se moqua Leina.

 

Le borgne fit mine de ne rien entendre. Son ego en avait déjà pris un sacré coup et toutes tentatives de réponses n'auraient fait que mettre en évidence ses propres tares. Au lieu de cela, il prit les devants en se positionnant à la tête de l’expédition. Ils dévalèrent ainsi le chemin de pierre menant dans les profondeurs du gouffre. La pente se voulait abrupte et le moindre écart s'avérait périlleux. Alex, en bon meneur, avançait avec prudence. Dès lors qu'un léger obstacle obstruait sa route, il le signalait pour ses deux collègues en retrait dont il masquait partiellement la vue. De leur hauteur, il apparaissait clairement que le sentier les conduirait au-devant d'un grand chêne au tronc large et à l'écorce robuste. La perspective fut trompeuse puisqu'à mesure de leur descente dans la trouée, le grand chêne se révéla gigantesque, à l’instar des hautes fleurs barricadant le chemin de pierre.

 

Parvenus à destination, telle ne fut pas leur surprise en découvrant une grande porte de bois incrustée à même le tronc. Une petite lucarne ovale, à la droite, confirmait ce constat sans appel. Le chêne cachait une demeure habitée. Chose étrange, le temps de la descente, le ciel s'était assombri abruptement. Au départ, Leina attribua ce phénomène à leur position dans les profondeurs, mais en observant la teinte violacée du ciel, elle comprit que le lien de cause à effet n'existait pas. La descente fut certes longue, mais pas assez pour justifier un changement brusque de temporalité. Autre cas étrange, les hautes fleurs brillaient désormais comme des lucioles. Ne souhaitant pas perdre plus de temps en contemplation inutile, Seyia s'avança sur le perron. Elle s’apprêtait à tambouriner, mais en armant son geste, la porte s'ouvrit d'elle-même.

 

-Entrez voyageurs ! résonna une voix douce et suave provenant de l'intérieur.

 

L'intonation correspondait à celle d'une femme. Les aventuriers s'épièrent du blanc de l’œil sans dire un mot. Ils n'hésitèrent pas longtemps. L'invitation semblait amicale, et puis ils n'avaient pas d'autre endroit où aller. Peut-être allaient-ils pouvoir glaner quelques informations concernant leur amie sorcière. C'est dans cette optique que Seyia, Leina et Alex, pénétrèrent dans l'antre. Une fois le seuil franchi, la porte se referma délicatement derrière eux. L'espace à l'intérieur apparut fortement restreint, avec tout juste assez de place pour circuler. À leur grande surprise, personne ne vint les accueillir.

 

...Veuillez-vous asseoir, je suis à vous tout de suite.

 

Les trois compagnons obéirent et s'installèrent sur le canapé. Celui-ci, légèrement arqué, était recouvert de laine et d'oreillers rouges sur toute sa longueur. Le sofa occupait à lui seul, le tiers de la superficie. Confortablement assis, Alex ne décollait plus son regard de la table basse à ses pieds, taillée à même le bois, avec pour design, la forme d'une feuille d'érable.

 

-Je ne sais pas qui est l'architecte, mais on ne voit pas ça tous les jours.

 

Leina se montrait plus intéressée par les cloisons murales granuleuses en terre cuite. Les parois offraient une luminosité naturelle à la pièce et contenaient, incrustées dans ses crevasses, une ribambelle de trésors, tous fabriqués en bois de bouleau, de noyer cendré et de pins. La décoration semblait appartenir à une autre époque, ce qui ne manqua pas d'attiser sa curiosité.

 

-Regardez-moi ça, s'enthousiasma-t-elle. Tous ces objets sont uniques et taillés à la main. Ils doivent posséder une valeur inestimable.

 

Seyia resta de marbre. N'ayant aucune fibre artistique, la décoration intérieure ne l’intéressait aucunement, au contraire d'Alex qui avait exercé une partie de sa vie en tant que maître de chantier. La curiosité de la tueuse fut néanmoins animée par la douce senteur d'infusion de plantes émanant de la pièce voisine, séparée de la leur par une voûte en arceau. C'est là qu'elle apparut, tenant un plateau de service à thé entre ses mains. Une authentique fée de roman. De longs cheveux dorés encadraient un visage cristallin, tandis que ses yeux, d'un vert éclatant, contrastaient avec une bouche menue soutenue par un nez fin et délicat. Elle portait sur sa peau blanche et lisse une robe longue épousant parfaitement les formes sveltes et élancées de son corps. L'étrangère se voulait la réincarnation de la femme parfaite, du moins pour Alex dont l'expression se révélait assez éloquente pour attiser la colère de sa bien-aimée. La maîtresse des lieux approcha de la table basse, y déposa le plateau, et fit face à ses invités en les gratifiant d'un sourire cordial.

 

-Je suis heureuse de vous savoir ici. Je vous attendais.

 

-Vous nous attendiez ? reprit-il intrigué. Nous ? Je n’veux pas vous décevoir, mais vous faites sûrement erreur. Il y a de ça quelques heures, on ne savait même pas que ce monde existait. D'ailleurs on ne sait même pas ou on est ni qui vous êtes.

 

-Vous vous trouvez dans le monde d'Ulticia et je m'appelle Rose. Je suis une magicienne. Si je prétends vous attendre, c'est que j'ai déjà fait connaissance avec l'une d'entre vous.

 

Son attention se porta sur Leina. Cette dernière n'avait eu de cesse de la dévisager depuis son apparition, et pour cause, son visage lui paraissait familier.

 

-Mais bien sûr ! Vous êtes la dame du lac. Celle que j'ai aperçue lors de mon voyage transcendantal. Vous m'aviez demandé de l'aide et c'est suite à cet échange que le portail est apparu.

 

-Oui, acquiesça l’hôtesse en souriant. Si vous êtes ici, c'est de mon fait. J'avais besoin d'établir un lien avec votre dimension pour vous faire venir à moi et vous m'en avez offert l'opportunité. Mais nous avons tout le temps pour en parler. D'ailleurs, il y a tant à dire et je répondrai à toutes vos questions. En attendant, permettez-moi de vous servir un peu de thé. Je pense qu'il a fini d'infuser.

 

Délicatement, Rose disposa les coupelles sur la table, et y déversa le liquide parfumé aux fleurs d’hibiscus. Une fois la théière reposée, elle s'installa au bout du canapé en affichant une posture droite et noble, les mains platement posées sur ses cuisses resserrées.

 

N'attendant pas son reste, Alex fut le premier à se délecter du savoureux breuvage.

 

-Hm, c'est délicieux ! ajouta-t-il en y trempant ses lèvres. Juste une question en passant. Est-ce que l'infusion a été concoctée à partir des fleurs qu'on a croisées sur le chemin ? Non, si je dis ça, c'est qu'on a plutôt sympathisé.

 

-Alex, le reprit Leina consternée avant de reporter son attention sur Rose. Désolé si je vais droit au but, mais nous ne sommes pas ici par hasard. En fait, nous recherchons une amie. À vrai dire, c'est avec elle que j'ai tenté d'établir une connexion astrale. Comment se fait-il que ce soit vous qui ayez répondu à l’appel ? Je ne comprends pas.

 

-C'est simple, répondit la magicienne. J'ai un lien très particulier avec la personne que vous recherchez. Elle attendait votre arrivée, mais hélas, étant dans l'incapacité de répondre, elle m'a confié la lourde tâche de le faire à sa place. Willow et moi sommes très proches.

 

Leurs cœurs se synchronisèrent d’un bond, à l’annonce du nom de leur amie sorcière. Tous trois extériorisèrent une jubilation de circonstance. Enfin, l'espoir renaissait. Plus de doute admis, ils étaient sur la bonne piste. Leurs efforts venaient de porter leurs fruits.

 

-Willow, vous avez bien dit Willow ? insista Alex comme pour s'assurer de ne pas avoir rêvé.

 

Leina lui serra l'avant-bras en se joignant à son émotion débordante. La confirmation fut sans appel. Ils avaient bien entendu. Leurs visages manifestaient la délivrance suscitée par cette nouvelle inespérée. Si à l'origine ce voyage inspirait à Seyia une conviction intime de réussite, il en était tout autre concernant le couple. Après de nombreuses années sans nouvelle de la sorcière, Alex et Leina s'étaient résignés à l'idée de la revoir un jour. Accéder à la requête de la tueuse représentait pour eux une façon d'établir le deuil, de ménager leur conscience. Cette odyssée devait être le coup de la dernière chance, celui où ils pourraient se dire qu'ils avaient tout tenté pour la retrouver, mais qu'il était désormais temps de passer à autre chose. Jamais, ils ne furent plus heureux de se tromper.

 

Seyia, la plus détachée des trois, se décida à reprendre le fil de la discussion.

 

-Écoutez ! Willow est très importante pour nous. Nous avons besoin de la retrouver. Savez-vous où elle se trouve ?

 

L'ombre d'une tristesse planait sur le visage de Rose.

 

-Je sais où elle est, affirma-t-elle d'une voix basse. Mais la retrouver ne sera pas chose aisée.

 

Submergée par les regards insistants, elle crut bon d’apporter quelques éclaircissements.

 

...Willow est retenue prisonnière dans la citée d'Altor. La capitale de ce monde.

 

-Prisonnière ? s'indigna Alex. Mais pour quelle raison ?

 

Rose les observa, un peu décontenancée.

 

-Bon, écoutez-moi, annonça-t-elle solennellement. Je m'y suis mal prise en ne vous dévoilant pas le contexte dans lequel vous évoluez. Ça fait tellement longtemps que je suis retenue ici que j'en oublierai presque les bonnes manières. Je suis navré.

 

-Racontez-nous, implora Leina. N'omettez rien s'il vous plaît.

 

-Bien sûr. Je vais tout vous raconter, mais avant, j'aimerais clarifier certaines choses. Tous les habitants de ce monde sont liés à la terre. Cet endroit n'est pas réel au sens propre du terme. C'est une sorte de sanctuaire créé par les plus puissants mages, afin de fuir le dictat imposé par les Dieux du crépuscule.

 

-Vous voulez dire que nous n'évoluons pas dans une autre dimension, mais dans une sorte d'espace-temps créé artificiellement par des sorciers, s'étonna la sorcière blonde. Je ne pensais pas cela possible.

 

-Si je comprends bien, on se trouve dans la version nec plus ultra du sanctuaire créé par Rack, ajouta Alex. Un monde indécelable pour le commun des mortels juste sous leur nez.

 

-Oui, c'est à peu près ça, sauf que nous y avons apporté quelques légères modifications. Disons, pour parler simplement, que nous avons fermé l'accès à double tour et qu'il est impossible de pénétrer ces lieux sans établir un lien entre les deux mondes. De ce côté-ci, il est impossible d'en ressortir de la même façon. Ce sanctuaire a été créé dans un but définitif. Il était hors de question que quiconque s'en échappe et ne compromette la sécurité de tous en dévoilant le secret.

 

-Attendez une seconde, s’inquiéta-t-il. Quand vous dites qu'on ne peut pas quitter cet endroit, ça signifie que quoiqu'on fasse, on ne pourra jamais regagner notre monde d'origine ? Notre fille nous attend de l'autre côté, il est hors de question que nous restions bloqué ici.

 

Leina éprouva le même sentiment. Sarah était la personne la plus chère à son cœur et elle ne s'imaginait pas en être séparée éternellement. Percevant toute l'étendue de leur détresse, la magicienne s’empressa de les rassurer.

 

-Allons, il est inutile de vous inquiéter. Si j'ai appris une chose en magie, c'est que rien n'est complètement irréversible. Ce qui a été fait peut toujours être défait. Willow est capable de bien des prouesses, mais je ne vous apprends rien, n'est-ce pas ?

 

-Elle a raison, renchérit Seyia en tâchant de leur remonter le moral. On trouvera une solution. On trouve toujours une solution. Une fois Willow avec nous, on avisera.

 

La tueuse prit subitement l'hôtesse à partie.

 

...Par contre, il y a des zones d'ombres que j'aimerai éclaircir. Vous l'avez dit vous-même, Willow est certainement la sorcière la plus puissante qui existe. Je doute qu'elle se soit laissé faire sagement. Que s'est-il passé ?

 

Rose soupira en ressassant de douloureux souvenirs. Elle se redressa du fauteuil, puis entama quelques pas avant de faire face à ses invités.

 

-C'est une longue histoire. Lorsque j'ai connu Willow, elle était totalement dévastée. Elle avait perdu tout espoir et elle n’était pas seule. Alors nous nous sommes réunis. Tous les plus puissants mages de la terre, démons et humains, peu importe les différences. Nous avions créé cet univers parallèle dans lequel nous pourrions vivre libres et en paix, un monde féerique où nous n'aurions plus à avoir peur.

 

-C’est donc vrai ce qu’on dit, réagit Seyia. La magie permet de tout réaliser. C’est terrifiant.

 

-Il existe des limites en toutes choses, répondit Leina. Mais je vous en prie, continuez. 

 

Rose acquiesça d’un tendre sourire.

 

-C'était vraiment bien au début. Aucune règle n'existait, aucune limite autre que notre imagination, si ce n'est celles imposées par nos propres pouvoirs. Nous vivions tous égaux. Il n'y avait pas de chef. Et puis, il a fallu que certains se trouvent des ambitions plus politiques. Un démon sorcier s'est mis en tête de créer un monde hiérarchisé dans lequel il y aurait un ordre. Il prétendait que la gouvernance était une alternative au chaos et qu'il fallait un maître à bord en cas de problème. Ça allait à l'encontre de tout ce que nous avions décrété. Pourtant, malgré les réticences de beaucoup d'entre nous, le démon a su rallier une majorité à sa cause. Willow, la plus puissante de notre ordre, se désintéressait du pouvoir, tout comme moi. La bataille contre le démon sorcier et ses troupes fut rude. Nous les avions vaincus au prix de lourds sacrifices.

 

-Mais l’histoire ne s’arrête pas là, regretta Alex.

 

-Willow avait compris que peu importe l'intention de départ, le mal finirait toujours par l'emporter. Cette guerre inutile l'a affaibli et la sorcière de l'ombre en a profité pour l'attaquer et l'emprisonner. J'ai essayé de l'en empêcher, mais je n'étais pas assez puissante et j'ai été bannie. Depuis, la sorcière de l'ombre règne sur le royaume d'Ulticia et gouverne Altor avec ses alliés. Voici toute l'histoire.

 

Les trois aventuriers accusèrent le coup.

 

-Bon sang, soupira-t-il totalement déconcerté. Pourquoi faut-il toujours que tout soit si compliqué. Une sorcière tyrannique, ça nous change de Wolfram et Hart... Attendez, en fait, pas tant que ça. Où qu'on aille, l'histoire se répète.

 

Leina se réfugia dans le silence. Au-delà de cette histoire de sorcière, l'idée de rester bloquer dans ce monde l'angoissait au plus haut point. Elle regrettait de s'être jetée à corps perdu dans cette aventure sans avoir pu faire ses adieux à sa fille. À la seule pensée de ne plus jamais la revoir, elle éprouvait le besoin d'hurler, de reprocher à son mari son manque de discernement à l’avoir accompagnée, alors qu'il aurait dû rester auprès de Sarah. Ne souhaitant pas attiser des tensions inutiles, elle n'en montra rien.

 

La tueuse, de son côté, prévoyait les difficultés et imaginait les différentes façons de s'y confronter. Formée à agir en fonction des événements, elle s’efforçait de garder la tête froide, malgré un scepticisme prononcé.

 

-Une sorcière ! pensa-t-elle tout haut, le regard morne et figé. Une foutue sorcière.

 

Seyia avait combattu des démons de toute sorte, mais elle redoutait les sorcières par-dessus tout. De toutes les stratégies de combat envisagées, aucune ne lui paraissait viable à ses yeux.

 

Consciente de leur avoir miné le moral, Rose se sentait démunie face à la triste réalité. Malgré tout, elle gardait espoir. Il était primordial que ses invités croient en leurs chances de réussite.

 

-Relevez la tête, ordonna-t-elle d'une voix tonitruante. Ce n'est pas le moment de se laisser abattre. Je sais que vous y arriverez. Vous trouverez le moyen de libérer Willow. Pour se faire, vous devrez rejoindre la capitale. Vous passerez sans nul doute inaperçus là-bas, mais ce ne sera pas le cas lors de votre périple. Vous aurez à traverser les montagnes de Yarle et la forêt des damnés avant de parvenir à destination. Ces endroits ne sont pas réputés pour accueillir les humains. Ce sera dangereux. Il vous faudra évoluer en toute prudence.

 

-Montagnes de Yarle, forêt des damnés, s’exclama la tueuse… ça fait un peu trop héroïque fantasy à mon goût, mais au point où en est. Vous nous accompagnez ?

 

-Hélas, j'ai été bannie. Je suis assignée à résidence. Vous avez remarqué le ciel violacé lors de votre arrivée. C'est un sort qui me retient prisonnière. Je suis navré, vous ne pourrez compter que sur vous-même.

 

-Ça fait beaucoup de bonnes nouvelles d'un coup, ironisa Alex.

 

Rose leur adressa un timide sourire.

 

-J'ai préparé des petits gâteaux, si ça peut vous remonter le moral.

 

*

 

Le lendemain, les trois aventuriers initièrent leur ascension à travers les hautes montagnes du sud. En arpentant la vallée inondée de soleil, ils longèrent le long tapis de rivière des kilomètres durant, entrevoyant avec découragement l'étendue du chemin à parcourir. Vu d'en bas, les lignes de montagnes s’érigeaient en obstacle insurmontable, et aucun d'eux n'étaient prédisposés aux longues randonnées pédestres, à plus forte raison après avoir limité leurs déplacements durant des années. Les champs fleuris qu'ils sillonnaient de leurs pas lourds tenaient bien mal la comparaison avec les hautes fleurs. Ici, tout apparaissait plus quelconque, plus ancré dans la réalité. La flore, correctement proportionnée, ne croissait plus sur leur passage, pour autant, le voyage venait de commencer et établir un état des lieux s'avérait précoce.

 

Avant de partir, Rose leur avait fourni des petits sacs de provisions contenant quelques fruits et une gourde. Pas de quoi entretenir un festin, mais le minimum syndical pour combler quelques fringales et apporter quelques vitamines nécessaires, ni plus ni moins. Alex trouvait cet apport calorifique un peu trop maigre à son goût, mais il ne s'en plaignit pas. Afin de lutter contre les caprices du temps, un poncho de laine grise leur fut offert. Les différences de températures entre les bas plateaux et les sommets étant très variables, leurs équipements revêtaient une importance non négligeable quant à la bonne tenue de leur périple. Le tissu enroulé autour du cou recouvrait une grande partie du thorax jusqu'aux avant-bras, leur conférant bien malgré eux, une allure de cow-boys. Alex, muni de son cache-œil, semblait tout droit provenir d'une convention costumée. Un brin malicieuse, Leina ne manqua pas de lui lancer quelques piques à cet effet.

 

Si au départ le trajet se fit aisé et dans la bonne humeur, les premières tensions ne tardèrent pas à apparaître. Dès lors qu'il s'agissait de traverser les plaines, cela ne posait aucune difficulté, mais délaisser la vallée pour arpenter les sentiers à flanc de montagne constituait une autre paire de manches. Bien souvent, les chemins tracés ne menaient nulle part et les contraignaient à revenir sur leur pas. Après plusieurs tentatives avortées, Alex fut éclairé d'une idée lumineuse. Celle de grimper à travers champs. Sa théorie stipulait que si les chemins tracés à même le sol ne menaient sur rien alors arpenter des chemins inexistants mènerait peut-être quelque part. Peu convaincues, mais sans autres alternatives, les filles décidèrent, de lui réitérer leur confiance.

 

Parcourir les terrains scabreux et sinueux ralentissait considérablement leur parcours, mais au moins ils avançaient. La montée fut laborieuse et les efforts fournis, éprouvant pour les muscles, à tel point que Seyia prit la tête de l'expédition pour mieux les encourager. Ses réflexes et son instinct de tueuse leur permirent à maintes reprises d'éviter les pièges de mère Nature. Ainsi, les ravins dissimulés par les feuillages touffus, les pentes trop étroites qui, à chaque appui mal calibré justifiaient le risque d'une chute vertigineuse : tous ces désagréments furent soigneusement évités grâce à son sens aigu de l'observation. Ils progressèrent inlassablement durant quelques heures sans s'arrêter, lorsqu'un tremblement se fit ressentir. La terre vibra sous leurs pieds, tandis qu'un vacarme provenant des hauteurs les alerta d'un danger imminent.

 

-Un éboulement, cria Seyia.

 

Lorsque Alex et Leina levèrent la tête, ils virent débouler sur eux des pierres roulantes sur flanc de montagne, à une vitesse faramineuse. Une parmi la multitude accapara leur attention, de par l'ampleur de sa dimension. La tueuse se projeta par réflexe sur le côté, évitant de justesse la collision. Dans son esquive désespérée, une frayeur de tous les diables l'avait submergée. Lors de la chute, Alex et Leina se situaient quelque pas derrière elle. Ayant à peine eu le temps de réagir, elle n'avait rien pu faire pour les secourir. Son cœur fut pris d'effroi lorsqu'elle porta le regard sur leur dernière position. Ils avaient disparu. C'est alors qu'un effet de panique l'ébranla en imaginant ses deux compagnons emportés par l'éboulement. Aussitôt, elle se précipita au bord du gouffre pour scruter les profondeurs, à la recherche d'un signe de vie de ses coéquipiers. Elle scanda leurs noms et réitéra son appel à plusieurs reprises, avec pour seule réponse, son propre écho résonant dans l'immensité.

 

Après s'être rendue à l'évidence, elle s'effondra sur ses genoux. Son corps ne la portait plus. Son regard avait beau balayer la zone en contre bas, il ne subsistait rien d'autre qu'une traînée de roches traînant timidement dans le sillage de celles qui les avaient précédées. De par sa masse, la grosse pierre s'était morcelée de toute part, si bien qu'il n'était plus possible de la discerner dans cette densité opacifiante. La tueuse, pétrifiée, fixait le lieu du drame, lorsqu’elle fut rejointe par deux silhouettes derrière son épaule.

 

-Ouah on l'a échappé belle, réagit Alex en scrutant le ravin. Un peu plus et on finissait écrabouiller.

 

Seyia, sans réaction, acquiesça bêtement puis sursauta de stupéfaction. Ses deux coéquipiers avaient survécu et apparaissaient en pleine forme.

 

-Qu'est-ce que tu regardes, demanda Leina en sillonnant l'horizon. Impressionnants, tous ces rochers éparpillés dans le décor.

 

-Quoi ? Comment ? Où ? questionna-t-elle totalement désemparée. Comment vous avez fait ? Vous étiez là et puis plus rien... J'ai cru que vous étiez morts.

 

-Respire, respire, tout va bien. Quand tu nous as prévenus, Leina et moi on s'est jeté sur le côté. Je suis bien content d'avoir gardé mes anciens réflexes. Attends, tu veux dire que tu pensais qu'on était... Ben non, tu vois, on est là... bien vivants. Désolé de t'avoir causé du souci.

 

La tueuse s'effondra une nouvelle fois, mais de soulagement. Convaincue de les avoir perdus à jamais, elle craignait de devoir annoncer la mauvaise nouvelle à leur fille, ainsi qu'aux autres. Heureusement, ce tourment venait de lui être épargné. Cette aventure ayant été initiée de son fait, elle ne se pardonnerait jamais pareil scénario. Constatant son apparente fébrilité, Alex lui tendit la main. D'un coup sec, il l'attira à lui pour la remettre sur pied.

 

...Assez perdu de temps, se hâta-t-il en observant les sommets. Il nous reste encore du chemin.

 

Une centaine de mètres plus loin, la reprise de leur ascension fut écourtée par un cri rauque et strident s'apparentant à un gémissement.

 

-Vous avez entendu ? réagit Leina en sondant la provenance du hurlement.

 

-C'était par ici, continua Seyia, en accourant en direction d'un tas de pierres fraîchement formé par le dénivellement.

 

À mesure de leur progression, les geignements se firent plus gutturaux, plus grossiers, plus proches de la bête que de l'humain. Sur ses gardes, la tueuse empoigna son arme en s’approchant prudemment de l’amas de roche éparpillée.

 

Dans les débris gisait un être en tout point particulier, prisonnier des roches. Sa jambe écrasée sous les gravats présentait quelques ecchymoses sur sa surface. Lorsque son regard croisa celui de la tueuse, le braillement se métamorphosa en hurlement hostile. Pris de panique, la créature se débattit sauvagement, accentuant ses grognements bestiaux. Même allongée, son imposante stature avait de quoi impressionner. Armés de griffes acérées, ses membres supérieurs et inférieurs se prévalaient d'une puissante musculature. Son corps, partiellement recouvert d'une fourrure bleutée, portait sur sa chair des ornements tribaux à la taille et aux avant-bras. Son visage touffu, pourvu d'un museau et de deux yeux jaunes de prédateurs rappelait celui d'un félin, tandis que sa longue chevelure robuste, formée de deux tresses tombant de part et d'autre de son visage et d'une queue de cheval à l'arrière, évoquait la culture viking. Au milieu de son front, une protubérance apparente en forme de corne brisée trônait telle une défense de rhinocéros. Sa physionomie s'apparentait à celle d'un guerrier. La lance gisante au sol à quelques mètres en attestait, de quoi se montrer très prudent quant à l'approche souhaitée.

 

...Du calme, réagit la tueuse en exposant sa main en signe d'apaisement. Je ne te veux aucun mal.

 

Joignant le geste à la parole, elle rengaina son arme.

 

-T’es sûre ? s'inquiéta Alex. Il n'a pas l'air très amical.

 

Dépassant son mari, Leina rejoignit la tueuse, à proximité de la bête gémissante.

 

-Il souffre, affirma-t-elle compatissante. Je peux peut-être faire quelque chose. Je connais un sort basique capable de le calmer un peu. Ça nous permettrait de le débarrasser de cette pierre. Si on s'y met à trois, on devrait pouvoir y parvenir.

 

-Tu peux faire ça ? s'enquit la brune.

 

Leina haussa les épaules. À son approche, la bête poussa un terrible grognement. La jeune femme ferma les yeux et par un effet de magnétisme, effleura la gueule baveuse de la créature, en récitant le sort. L'impact fut immédiat. Le sentiment de colère disparut au profit d'un apaisement à la limite de l'endormissement. La respiration du bipède se stabilisa. La douleur semblait avoir été temporairement anesthésiée. Il n'en fallut pas plus pour que l'intervention puisse avoir lieu. Alex, Leina et Seyia coordonnèrent leurs mouvements, et à bout d'effort, parvinrent à déplacer la roche de quelques centimètres, suffisamment pour libérer le membre meurtri. Groggy par le sort, la bête au bord de la somnolence, resta sans réaction.

 

-OK, super ! reprit Alex en nage. On vient de sauver une espèce sanguinaire qui aura tout loisir de nous sauter à la gorge dès son réveil. En parlant de ça, l'effet du sort est à durée limitée ?

 

Leina n'eut pas le temps de répondre qu'un grognement bestial détonna dans l'atmosphère. D'un bond, le bipède se redressa sur ses deux puissantes pattes, prenant au dépourvu les trois aventuriers sur la défensive. Seyia, percutée par la masse en mouvement, bascula sur le côté. La bête récupéra aussitôt sa lance puis se retourna en fixant, de ses yeux de fauves, les deux amants effrayés. Conscient de la menace, Alex exposa son corps en protection de celui de sa femme. La bête vociféra rageusement avant d'opérer un revirement et de disparaître sans demander son reste.

 

-Où est-il ? cria la tueuse, la Scythe prête à l'emploi.

 

Le silence éloquent de ses deux compagnons clarifia la situation. Leina, en proie aux regards accusateurs de ses coéquipiers, se réfugia dans une posture d'innocence.

 

-Ben quoi ? Vous oubliez que je ne suis pas une experte en magie. Je suis une débutante tout au plus, et puis on s'en est plutôt bien sorti.

 

-Le seul qui s'en soit bien sorti, c'est ce monstre, répondit Alex. J'espère qu'on ne le recroisera plus de sitôt. Aidez vos prochains qu'ils disaient.

 

-Allez ! les motiva Seyia. Il faut se remettre en route. Si jamais il décide de nous attaquer, cette fois, je ne le manquerai pas.

 

**

 

Suite à ce contretemps, le trio reprit la route. Forts de cette expérience inattendue, ils redoublèrent de vigilance, attentifs aux moindres signes suspects de nature à entraver leur expédition. De longues heures durant, ils gravirent le versant sans escale. Le climat se fit moins clément à mesure de leur montée en altitude, impactant par la même leur capacité respiratoire. Partis dès l'aube pour profiter pleinement de la lumière du jour, cette dernière déclina considérablement à l'approche du sommet.

 

Les arbres frémissaient sous le vent et les premières blancheurs se dessinaient sommairement ici et là, jusqu'à absorber totalement l'environnement. Le pic n'était plus très loin, le crépuscule non plus. Éreintés et totalement obnubilés par leur désir de franchir ce géant des glaces, ils auraient pu négliger cette vision paradisiaque, si d'aventure Leina, perdue dans ses pensées, n'avait pas daigné détourner le regard en contre bas. Totalement subjuguée par le panorama, la jeune femme demeura figée sur place. Ses deux comparses, interpellés par son inertie, furent contagieusement touchés du même symptôme. Les trois aventuriers étaient montés si haut qu'ils surplombaient littéralement les immenses couches de nuages à l'aspect irréellement laiteux et intangible. Accentuée par la teinte violacée du crépuscule, la somptuosité des couleurs offrait à leur contemplation, un attrait empreint de pur onirisme. La sensation de se trouver seul au-dessus du monde exacerbait leur conscience de n'être que très peu de chose dans cet univers si vaste.

 

Le vent glacial écourta leur fascination, les incitant à dénicher un abri dans les plus brefs délais, s'ils ne souhaitaient pas faire partie intégrante de ce décor figé dans l'éternité. Les extrémités de leurs membres se rigidifiaient, sans compter les innombrables gerçures et crevasses infligées à leur épiderme craquelé par endroits. La sensation de brûlure fut à la limite du supportable. Ils eurent beau recouvrir leur nez et leurs oreilles de leur plaide, exposant seul le haut de leurs visages au gel, du givre perlait obstinément sur leurs cils et leurs cheveux, réduisant leur vision à peau de chagrin. Alors qu'ils gravissaient la pente escarpée couverte de roches gelées, leur silence avait l'éloquence de la résiliation et de l'effort. La tueuse, malgré les orteils frigorifiés, continuait d'avancer à un rythme soutenu, en prenant soin de jeter quelques coups d’œil furtifs sur ses poursuivants. À son plus grand soulagement, Alex et Leina parvenaient à suivre la cadence imposée. Grelottant de froid, la jeune sorcière s'était vu offrir par sa moitié, le partage de son poncho et le réconfort de ses bras. Seyia savait la situation délicate. Dans une heure tout au plus, la nuit tomberait, et le froid déjà insupportable n'aurait de cesse de croître, annihilant leur mince espoir de survie. Avisée par Rose sur les difficultés d'un tel périple, elle aurait apprécié en connaître les détails. Certainement se seraient-ils mieux préparés en effectuant une halte plus bas dans les crevasses, là où les conditions climatiques se voulaient plus clémentes. Désormais, il était trop tard pour rebrousser chemin. Leur condition physique ne leur permettrait pas.

 

À force d'efforts, ils atteignirent les sommets. La pente se fit moins raide et les appuis, moins éprouvants. Pour autant, les rafales de vent ne facilitaient pas leur avancée poussive. En tendant l'oreille, Seyia fut interpellée par les lamentations du vent aux tonalités changeantes. Le bruit sourd, comparable aux hurlements d'un spectre, provenait de l'est. La tueuse refréna sa course, permettant à ses deux poursuivants de rejoindre sa position.

 

-Qu'est..c... i se passe ? interrogea Alex dont la voix fut partiellement éteinte par les puissantes bourrasques.

 

Seyia modifia sa trajectoire sans fournir d’explications. Le couple échangea un regard intrigué avant de se lancer à sa poursuite. Après une embardée de plusieurs centaines de mètres, la tueuse découvrit comme une libération, la provenance de la dissonance. Un soubassement incrusté dans la falaise, à hauteur de mi-homme et s'étirant à peine plus en largeur, reposait sous ses pieds. Après s'être accroupie, elle s'y introduisit en rampant sur le sol froid et humide. Alex et Leina l'imitèrent. De l'autre côté, la transition fut brutale et fortement appréciée. Le vent glacial contenu à l'extérieur par la barrière rocheuse chantait son amertume à ne pouvoir sévir de l'autre côté du rideau. Ainsi, les trois aventuriers se délectèrent tout particulièrement du rehaussement de la chaleur ambiante. Seule la luminosité leur faisait défaut, au point où ils se retrouvèrent dans l'obscurité la plus totale.

 

-lux in tenebris lux tua!

 

De la voix même de Leina, la lumière apparut sous forme de petites lucioles en apesanteur, révélant le singulier décor dans lequel ils venaient de s’établir. La caverne, assez vaste pour accueillir des dizaines de personnes, contenait dans ses parois de calcaire rocheuses, des crevasses qui s'étendaient bien au-delà du présentement visible. De multiples embouchures en forme de tunnels s'engouffraient plus profondément encore. Au centre, des bûches de bois avaient été entreposées. Les traînées de cendres tout autour justifiaient d'une utilisation récente. Leina n'attendit pas le consentement des deux autres pour réitérer son enchantement.

 

...Nascitur ex lignis et igne comburunt ualde.

 

Aussitôt, les flammes consumèrent le bois mort intensément, projetant l'ombre de leur présence sur les parois murales. Tous trois s'agglutinèrent autour du feu pour réchauffer leurs membres pétrifiés.

 

-J'ai vraiment cru qu'on allait y rester, avoua Alex, soulagé, en confondant ses mains aux flammèches.

 

-Oui, je dois bien avouer que vous m'avez surpris, répliqua Seyia, accroupie au coin du feu. Tous les deux, vous êtes plus coriaces que vous en avez l'air.

 

Grelottant de tous ses membres, Leina insuffla la chaleur de son haleine à l'intérieur de ses paumes.

 

-Ça va aller? s'inquiéta-t-il en collant son corps à celui de sa femme, tout en l'enlaçant de ses bras réconfortants. Je vais te transmettre un peu de ma chaleur.

 

-Ce.. Cet en.. Endroit semble avoir été habité, remarqua-t-elle en bégayant.

 

-Ouais, assura la tueuse. Ça en a tout l'air. On va dormir ici ce soir et demain on pourra repartir du bon pied. Le plus dur est derrière nous. La descente devrait être plus facile. Avec un peu de chance, demain en milieu de journée, nous devrions avoir franchi l'autre versant de cette montagne de malheur.

 

-Qu'est-ce qu'on fait pour les galeries derrière? demanda Alex en scrutant la pénombre. Elles doivent bien mener quelque part.

 

Seyia observa, d'un œil sombre, les embouchures creusées dans les parois de la caverne.

 

-Ce n'est pas le moment d'être trop curieux. On ne sait pas où elles mènent. Je sais pas vous, mais j'ai pas envie de risquer de revenir sur nos pas en les empruntant, ni d'ailleurs de faire une découverte hostile. Notre mission est bien assez suicidaire pour ne pas y rajouter d'autres ennuis. On n'évolue pas dans un monde rationnel ici, pour autant que l'on puisse considérer notre monde comme tel.

 

-Ouais, soupira-t-il de dépit. C'est toujours comme ça. Au départ on débarque dans un monde paradisiaque, on se dit que tout va bien se passer, et on se retrouve en enfer. Des fois, j'ai l'impression d'être un personnage de roman. Pourquoi la traversée ne pourrait pas, je sais pas moi, pour une fois bien se passer. On arriverait dans la ville sans problème, on retrouverait Willow qui nous accueillerait tout sourire avec Buffy à ses côtés et on retournerait tous au bercail comme si de rien était.

 

-Si c'était un roman, soutint Leina... alors ton histoire n'aurait strictement aucun intérêt.

 

-Je suis un mec banal, j'aime les histoires sans intérêt.

 

-Tu es tout sauf un mec banal, rétorqua-t-elle en l'embrassant.

 

-Tu vois, ta réplique aurait fait forte impression dans un roman. Finalement j'aime assez, continua-t-il d'un doux baiser.

 

Seyia détourna la tête pour les laisser à leur intimité et surtout pour ne pas souffrir d'une solitude qui commençait à peser dans sa vie. Éreintée par cette traversée, la tueuse se proposa de monter la garde. Alex et Leina ne se firent pas prier et s'assoupirent rapidement au coin du feu. Les genoux serrés contre sa poitrine, la tueuse regretta aussitôt de s'être proposée comme veilleuse, à la considération de ses paupières dont elle peinait à soutenir la lourdeur. Pour ne pas se laisser aller au sommeil, elle secoua sa boîte crânienne plusieurs fois en s'infligeant quelques claques revigorantes au passage. Pas assez cependant pour la remettre définitivement d'aplomb. La plainte aiguë du vent provenant de l'extérieur officiait en berceuse, tandis que la chaleur émise par les bûches de feu accentuait son confort, si bien qu'il lui paraissait impossible de résister. Ses paupières se fermèrent quelques secondes tout d'abord, puis les secondes se prolongèrent, encore et encore. Suite à une série de soubresauts, elle ne lutta plus. Son corps se renversa lentement pour s'étendre dans la position la plus agréable qui soit, la joue posée sur son avant-bras.

 

Pendant un temps, l'atmosphère resta paisible. Seul le vent mélangé au crépitement du feu suggérait leur présence, jusqu'à ce qu'un tapage accablant, soutenu par des faisceaux lumineux, ne vienne troubler leur quiétude tout juste retrouvée. Sonnés par le boucan se profilant de par les tunnels, les trois explorateurs se réveillèrent en sursaut. Seyia fit mine d'empoigner son arme, mais un coup dans la mâchoire eut tout loisir de briser son élan de rébellion. Alex et Leina, collés l'un à l'autre, furent assaillis par des lances dont les pointes merveilleusement taillées flirtèrent avec leurs jugulaires. Totalement démunis, ils levèrent les mains en signe de reddition. Tout s'était passé si vite. En proie à la panique, le trio n'avait pas su réagir et quand bien même, le rapport de force les désavantageait, face à une tribu appartenant à la même espèce que celle de la bête dont ils avaient sauvé la vie précédemment. Munis de torches enflammées, les assaillants devaient bien être une vingtaine, et tous de forte constitution. Trop ressemblants pour en désigner le chef, Alex s'essaya à un dialogue désespéré.

 

-Bonjour ami! dit-il l'air hébété en mimant le geste à la parole. Je ne sais pas si vous parlez ma langue, mais nous, pas vouloir problème. Nous, être simplement de passage. Toi comprendre ce que moi dire.

 

ALex ne savait pas pourquoi il employait ce langage abrutissant, mais ce n'était pas prémédité. Comme toujours face au danger, ses réactions se targuaient d'un naturel qu'il aurait souhaité réprimer, aussi se fit-il la réflexion qu'il devait être un peu demeuré dans le fond. Parmi la horde, un guerrier exhibant une cicatrice à son œil droit et une toison plus blanche que les autres s'approcha de lui. Entrevoyant une possibilité de négociation, le borgne livra son plus beau sourire. Une seconde plus tard, il gisait au sol inconscient.

 

-Misérable chien! rétorqua la bête d'une voix rauque en dévisageant l’homme à terre. Toi et tes amis allez payer pour avoir osé franchir nos frontières. Qu'on les embarque!

 

Suite à l'ordre donné, les soldats portèrent Alex et Seyia sur leurs épaules. Leina, encore consciente, eut tout loisir de constater, à la façon d'avoir été soulevée comme un poids plume, leur effroyable puissance. Tous trois furent embarqués dans les profondeurs des tunnels, laissant comme seul témoin de leur passage, le feu crépitant mourir lentement sur ses propres cendres.

 

****

 

Seyia patrouillait en compagnie de son escouade. Joy, Léa et Helena, toutes revêtues de leur combinaison militaire, affrontaient des vampires. Pieux en main, elles les réduisaient en poussière avec une facilité déconcertante. Les tueuses semaient un véritable carnage au sein du nid ayant élu domicile dans les fondations d'un immeuble désinfecté. Le sourire aux lèvres, Helena transperça de son arbalète, le cœur de ses victimes, tandis que Joy et Léa firent danser leurs pieux dans les cendres, en y prenant un plaisir à la limite de l'indécence. Seyia, elle, adopta une posture contemplative. Elle en ignorait la cause, mais revoir leurs visages irradiant de vie, lui procurait un sentiment d'allégresse mêlé à un malaise qu'elle ne parvenait pas à définir. Pourtant, rien ne semblait anormal. Il s’agissait d’une mission ordinaire, comme elles en avaient effectué tant d'autres auparavant. Une fois la zone nettoyée, elles se regroupèrent autour de leur cheffe.

 

-Berk ! se plaignit Helena. C'est horrible, j'ai hâte de prendre une douche. Je crois même que j'en ai dans les cheveux.

 

-Voilà pourquoi moi je les laisse courts, rétorqua Joy. C'est beaucoup plus pratique et puis au-delà de l'aspect pratique, ça évite de se les faire empoigner en plein combat. Tu devrais délaisser la mode et privilégier ta vie, mais te connaissant, c'est peine perdue.

 

-Tu dis ça parce que tu manques de charme et qu'avec ta coupe de garçon manqué, les gens te prennent pour une lesbienne.

 

Léa esquissa un sourire timide, un peu gênée par la remarque d'Helena qui allait inaugurer une dispute en devenir.

 

-On ne peut pas tous se prévaloir d'être une pimbêche de luxe, gronda Joy avant de se retourner vers sa cheffe d’escouade. Dis-lui toi. Au moins, si on est plusieurs à lui faire remarquer, elle va peut-être en prendre conscience.

 

Silencieuse, Seyia prenait un malin plaisir à les observer se crêper le chignon. D'ordinaire, elle en avait par-dessus la tête de subir leurs piques et leurs mésententes perpétuelles, mais pas aujourd'hui.

 

-Tu vas bien? s'inquiéta Léa. Tu as l'air bizarre.

 

Helena agita ses bras en brassant de l'air afin de sortir la tueuse de sa catharsis.

 

-Hé oh, la terre à la lune, tu nous reçois!

 

-Oui oui, acquiesça la tueuse. Tout va bien. Tout va très bien. Je suis contente que cette mission ait été une réussite, c'est tout.

 

-Pourquoi? Tu en doutais? reprit Joy. Avec des supers nanas telles que nous, il ne pouvait de toute façon pas en être autrement.

 

-Ça, c'est le moins qu'on puisse dire! ajouta Helena en enlaçant sa rivale et amie par les épaules. On est les meilleures. D'ailleurs, la prochaine fois, si tu pouvais nous aider au lieu de nous regarder faire, on ne t'en voudras pas non plus.

 

Seyia se sentit légèrement hébétée, mais ses amies géraient parfaitement la situation et elle n'avait pas jugé bon d'intervenir et de briser ce plaisir non dissimulé de les admirer dans l'action. Elle ne s'en lacerait jamais.

 

-Bon! s'impatienta Léa. Qu'est-ce qu'on fait ? On retourne au bercail ? On doit établir notre rapport à Buffy et Faith.

 

-Non! répondit brusquement Seyia. On peut rester un peu, savourer le moment, on a le temps.

 

La tueuse avait réagi à brûle pour point. Elle-même ne savait pas pourquoi elle tenait tant à s'éterniser en ces lieux. Son instinct lui dictait de ne pas franchir la porte menant à l'extérieur du bâtiment.

 

-Je confirme, ajouta Léa. T'es vraiment bizarre aujourd'hui.

 

-Non, je t'assure tout va bien. C'est juste qu'on ne prend jamais vraiment le temps de se parler.

 

-Se parler? s'étonna Helena. Tu commences à me faire flipper là. On ne fait que ça, se parler, établir des plans d'action et tous les trucs super barbants que Faith nous a appris.

 

-Je te parle d'autre chose que des discussions de travail. Je sais pas moi, on pourrait parler de l'avenir par exemple. Quand tout sera terminé, et qu'il n'y aura plus besoin de tueuses. Vous y pensez jamais?

 

À cet instant, un léger malaise s'instaura dans la pièce anormalement assombrie. Léa, Helena et Joy s'épièrent puis portèrent simultanément un regard désincarné sur leur cheffe.

 

-Mais notre avenir, nous le connaissons déjà, annoncèrent-elles d'une seule et même voix.

 

-Pardon? fit Seyia un peu déconcertée. Personne ne connaît son avenir. C'est ridicule.

 

-Nous avons déjà eu cette discussion, confessèrent-elles comme des automates. Nous n'existons plus dans aucun avenir. Nous appartenons au passé. L'avenir, tu le portes en toi. Nous, nous sommes mortes et enterrées, totalement effacées du registre de l'existence. Nous ne sommes plus rien.

 

-Non c'est...

 

Aussitôt, le souvenir de ce jour maudit brisa toutes ses certitudes. La vision de leur sacrifice lors de cet affrontement contre l'arachnide infesta son esprit, comme un fantôme du passé revenu la hanter.

 

-Seyia! répétèrent-elles... Réveille-toi. Seyia...

 

La voix d'Alex, se confondant avec celle de ses coéquipières, l'incita à ouvrir les yeux.

 

...Enfin, fit le borgne ficelé à un poteau sur sa droite. J'ai pensé que tu ne te réveillerais jamais.

 

Venant d'immerger, Seyia peinait à prendre conscience de la situation. Perturbée par ses songes, elle ne se trouvait plus en mesure de discerner le rêve de la réalité, ou plus exactement, elle ne le souhaitait pas. Le ressentiment et l'amertume d'une réalité fantasmée, la retenaient prisonnière d'un déni qu'elle désirait prolonger plus que de raison. Une douleur persistante à la mâchoire eut tôt fait de lui remettre les idées en place.

 

-Alex? Où sommes-nous? Mais que...

 

Prenant conscience de ses membres entravés, elle s'agitât dans tous les sens dans l'espoir de se libérer. Peine perdue. Le cordage remplissait parfaitement son office. Pieds et poings liés, quelques mouvements de nuque à droite et à gauche, lui permirent de distinguer Leina et Alex dans la même situation, littéralement cloués au pilori.

 

-Comme tu peux le voir, reprit-il... la famille de la créature qu'on a sauvée semble, pour une raison qui m’échappe, très rancunière. Oh, et au fait, ils parlent parfaitement notre langue.

 

-Leina, tu vas bien?

 

-À considérer que je suis la seule à ne pas m'être fait assommer, on peut dire que ça va. Pour le moment.

 

Seyia en profita pour identifier les lieux. Bien que sa visibilité souffre de quelques altérations dans l'obscurité ambiante, quelques torches enflammées ainsi que l'odeur de roche humide lui permirent de se situer. Ils étaient retenus prisonniers dans les entrailles de la montagne. De ce fait, les différentes galeries souterraines aperçues en amont devaient forcément mener à cet endroit lugubre. Incapable de se résoudre à abandonner, la tueuse gesticula dans tous les sens lorsque des bruits de pas annoncèrent l'arrivée fortuite de leurs assaillants. Débarquant d'une galerie tapie dans l'ombre, les guerriers se séparèrent en deux lignes distinctes, à quelques mètres de leurs potences. Le chef, à la cicatrice apparente, s'approcha d'une démarche conquérante.

 

-Je vois que vous êtes enfin revenu à vous, annonça-t-il d'un air bourru, le torse bombé et les bras croisés derrière le dos, à la façon d'un maître de guerre.

 

-C'est comme ça que vous nous remerciez d'avoir sauvé l'un des vôtres, lui rétorqua Seyia en espérant toucher la corde sensible.

 

Intrigué par les paroles de la jeune femme, il s'approcha et pénétra son regard, comme s'il souhaitait sonder l'étendue de sa bonne foi.

 

-Sauver l'un des nôtres, dis-tu ? Les bourreaux osent se prétendre sauveurs ? Nous sommes réduits à traîner dans ces montagnes sous cette apparence, alors que toi et les tiens êtes libres de vous pavaner dans le confort de la capitale.

 

-Nous n'avons rien à voir avec votre condition. Nous n'appartenons même pas à ce monde. Si on est ici, c'est pour...

 

-Silence!!!!

 

Éprise d'une rage folle, la créature pointa le bout de sa lance à quelque centimètre de sa jugulaire.

 

...Ose encore prononcer un seul mot et je me ferai un plaisir d'arracher ta langue de vipère.

 

De son visage colérique suintait une haine tangible. Le museau plissé, les narines dilatées, les crocs acérés en évidence, la bête inspirait une terreur telle que la tueuse ne tenta pas le diable en provocations insensées. Elle l'avait lu dans son regard. À la moindre occasion, il n'hésiterait pas à mettre ses menaces à exécution. De sa position, rien ne lui serait plus facile, à plus forte partie face à une tueuse immobilisée et désarmée. Remarquant la docilité affichée de la prisonnière, il écarta sa lance et l'appuya contre le sol.

 

...Bien. Maintenant, vous allez répondre à mes questions, et gare aux mensonges. Je sais les déceler. Quand j'en aurai terminé avec vous, alors je vous châtierai selon votre culpabilité. Pour commencer, dites-moi ce que des suppôts de la sorcière de l’ombre sont venus faire sur nos terres.

 

-Si vous permettez, ajouta audacieusement Leina. Je promets de répondre à vos questions avec sincérité.

 

La créature tourna la tête dans sa direction, intriguée par les révélations que la jeune femme était sur le point de lui fournir. Comme avec Seyia, son regard donnait l’impression de la sonder au plus profond.

 

-Parle, nous t'écoutons.

 

Sans se débiner, la jeune femme le fixa avec détermination.

 

-Tout d’abord, nous ne sommes pas des suppôts de la sorcière de l'ombre, bien au contraire. Si nous sommes ici, c'est pour la combattre. Elle retient notre amie prisonnière.

 

-Mensonge, pesta la bête en rugissant tel un lion affamé.

 

-Laissez-moi finir, vociféra Leina sur un ton colérique, suscitant l'effroi de son mari qui craignait pour sa vie. Nous n'appartenons pas à ce monde. Nous venons de débarquer d'un portail. Pour atteindre la cité d'Altor et libérer notre amie, nous n'avions pas d'autres choix que d'emprunter ces montagnes. Votre existence nous était jusqu'alors parfaitement inconnue. Tout ce que je vous dis est la stricte vérité. Cette sorcière de l'ombre que vous haïssez tant est également notre ennemie. Si vous pensez que je vous mens, tuez-moi tout de suite. Si vous ne voulez pas entendre la vérité, alors il n'y a rien que je puisse dire ou faire de plus.

 

Le long discours de la jeune femme semblait l'avoir perturbé, mais pas au point de le convaincre.

 

-Penses-tu vraiment que je sois assez naïf pour boire les paroles émises par le serpent que tu es ? Tu nous as bien observés? Contemple ce que la sorcière a fait de nous. Nous étions des hommes, de simples humains avant qu'elle ne nous transforme en démons. Nous avons été privés de nos incantations, de notre dignité, et désormais vous êtes là à nous narguer sur nos terres. La sorcière a fait de nous des monstres, pourquoi voudriez-vous qu'on se comporte autrement. Votre apparence parle pour vous. Vous êtes des leurs.

 

Le chef se retourna pour faire face à sa horde.

 

...Mes frères, il nous faut décider de leurs sorts. La vie ou la mort?

 

À l'annonce du jugement, il paraissait évident, aux yeux de Leina, que la messe était dite. Elle projeta un regard épris de remords sur Alex, lui-même réduit à haïr sa propre impuissance. Le brouhaha et le fracas des lances percutant le sol annonçaient un bain de sang dont les créatures semblaient se languir d'avance. À l'intérieur de la foule en ébullition, une voix discordante étouffa pourtant toute manifestation tribale. S'extirpant de la masse, un guerrier s'approcha à son tour. Seyia, Alex et Leina l’identifièrent aussitôt. Il s'agissait de la créature rencontrée plus tôt dans la montagne, reconnaissable à la défense brisée sur son front. Celle-ci s'avança et les épia avec insistance. Après un long silence, la bête se tourna vers son leader pour lui murmurer quelques mots. De sa hauteur, Alex s'évertua à tendre l'oreille, mais rien ne filtra, si ce n'est la mine décomposée de ce dernier et un mot, “ Brat”, certainement le nom de la créature à la cicatrice. Une vive discussion s'anima entre les deux guerriers, visiblement en désaccord. Grognant de rage, le chef tourna les talons, puis quitta les lieux, suivi de ses troupes. Seule la bête à la corne brisée resta sur place. Seyia, en sondant son regard, y perçut un espoir, une aura bienfaitrice que ses sens en éveil décryptèrent par-delà cette carapace de haine.

 

-Vous nous croyez n'est-ce pas? fit-elle concise.

 

-Pourquoi m’avez-vous sauvé? ajouta-t-il d'une voix grave et sereine, les yeux rivés sur la tueuse.

 

-Parce qu'il faut une raison pour aider une personne dans le besoin?

 

Un léger sourire au coin déforma son visage peu enclin à s'y prêter.

 

-Je vous ai bien observé... et j'ai décidé de vous croire.

 

Alex soupira profondément.

 

-Ouf, J'ai bien cru que notre dernière heure avait sonné. Et maintenant? Vous allez nous détacher?

 

La bête inclina la tête sur le côté.

 

-Hélas ce n'est pas aussi simple. J'ai défié l'autorité du maître. Nos règles sont claires. Je dois l'affronter en combat singulier. Si je l'emporte, alors vos vies seront sauvées.

 

-Et si tu perds? s'inquiéta Seyia.

 

Son silence terne constituait une réponse éloquente. Le guerrier tourna les talons. Avant qu'il ne sorte, la tueuse lui demanda son nom.

 

-Kteal! répondit-il. Dans cinq minutes, des gardes viendront vous mettre en cage. Ne résistez pas. Demain, aux premières lueurs de l'aube, vous serez fixés sur votre sort.

 

-Seyia... Je m'appelle Seyia.

 

Le guerrier hocha timidement la tête avant de disparaître dans la pénombre. Kteal représentait leur dernière chance de salut, mais la tueuse ne s'en inquiétait pas outre mesure. Son instinct lui inspirait une confiance irraisonnée en cet être que la destinée avait placé sur leur chemin.

 

****

 

Le lendemain, comme prévu, on vint les sortir de leur cage. Ils furent transportés dans les innombrables galeries troglodytes sillonnant le cœur de la montagne. Seyia avait tenté de mémoriser la cartographie des lieux, mais en vain. Les embouchures s'entrecroisaient de toute part, à la manière d'un labyrinthe, à ceci de différent que les galeries ne s'étendaient pas seulement en longueur, mais également à la verticale. Après avoir traversé plusieurs tunnels, ils furent conduits dans un espace plus éclairé où les attendaient d'autres créatures. Ces dernières formaient un cercle autour des deux combattants. Surélevés sur une estrade de fortune taillée à même la roche, les trois prisonniers eurent tout loisir d'assister à la scène.

 

Les deux créatures se firent face pendant que les spectateurs, postés autour, entonnaient un chant guerrier, en percutant l'extrémité de leur lance contre le terre-plein. Seyia fut rassurée lorsqu'elle vit les deux combattants armés de bâtons cordés aux extrémités. Leurs armes, certes puissantes, ne possédaient aucun caractère léthal visible. Il ne s'agissait pas là d'un combat à mort, mais d'une joute dans les règles de l'art entre deux guerriers honorables. Alors que généralement le coup d'envoi s'amorçait par le biais d'un son strident, ce fut le silence qui lança les hostilités. Dès lors que les lances cessèrent leurs vacarmes, les deux adversaires se ruèrent l'un sur l'autre, tels deux tigres enragés, s'intimidant à celui dont le rugissement portait le plus haut. À ce jeu, Brat prit aisément le dessus. Ses coups furent les premiers à faire mouche. Kteal mordit la poussière à plusieurs reprises. Seyia trouva étrange sa façon de se mouvoir. En analysant le combat de son œil affûté, elle décela chez son défenseur une certaine passivité dont elle s’échinait à fournir une quelconque explication. Kteal bénéficiait de quelques ouvertures évidentes, pourtant il n'en profitait pas, comme s'il retenait ses coups.

 

Le claquement de leurs armes de bois résonna dans tout l'espace. Leurs imposantes carcasses se déplaçaient avec agilité et leurs lourds bâtons, à défaut de porter des coups rapides et vifs, infligeaient de terribles dégâts lorsqu'ils défragmentaient la chair. Alex et Leina s'inquiétaient d'autant plus en observant leur champion se faire ainsi malmener, face à une foule aux abois totalement soumise au parti du dominant. Les multiples assauts de Brat ne laissèrent aucun répit à Kteal, dont la principale stratégie consistait à parer et esquiver, non sans subir quelques dommages au passage. Son adversaire occupait le centre de l'arène tandis que lui gravitait autour, en peinant à se maintenir sur ses pattes. Brat, conscient de la récente blessure de son adversaire à la jambe, n'hésita pas à en tirer avantage en martelant celle-ci dès que l'occasion s'y prêtait. Grimaçant, le guerrier à la corne brisée dut se résoudre à limiter ses mouvements. Malmené, il inclina un genou à terre.

 

-Allez mon vieux, bouge-toi! l'encouragea Alex, conscient que leur sort était mal engagé.

 

-Ce n’est pas juste, s'exclama Leina. Kteal est blessé. Ce combat n'est pas loyal.

 

Ce discours teinté de naïveté eut le mérite d'exaspérer la tueuse. Silencieuse et plutôt sereine en vue des circonstances, Seyia resta focalisée sur le prochain coup. Pour vaincre, Brat devait briser toute résistance chez son opposant et Kteal, malgré sa mauvaise posture, préservait dans son œil l'éclat de la persévérance. Armant son bâton, Brat frappa de toute sa hargne en visant le crâne de son adversaire, mais ce dernier intercepta son attaque, bloqua le bâton sous son bras, puis d'une rotation, l'entraîna au sol en le dépossédant de son arme. Allongé sur le dos, l'extrémité du bâton appuyé contre sa glotte, Brat accepta son sort. Kteal venait d'être proclamé vainqueur, sous le silence médusé de ses compagnons, contrebalancé par la clameur bruyante d'Alex et Leina, soulagés d'assister à cette victoire miraculeuse. Seule Seyia se montra stoïque. Le vainqueur proposa son bras au vaincu et ce dernier, loin de se montrer rancunier, accepta sans rechigner. Bon perdant, le vieux guerrier accepta son sort et donna même l’impression de s'en réjouir.

 

-Tu m’as vaincu, avoua Brat en saisissant virilement l'épaule de Kteal. L'élève a désormais dépassé le maître.

 

-Ne dis pas de bêtise vieil homme, tu as encore beaucoup de choses à m'apprendre.

 

-Vieil homme?

 

Brat soupira.

 

...J'en oublierai presque que nous ayons été des hommes.

 

Il posa un regard maussade sur son ami.

 

...Alors comme ça, tu leur fais confiance.

 

-Je pense qu'ils disent la vérité, mais je ne suis pas le seul, n'est-ce pas?

 

Quelque peu gêné par la question, Brat préféra botter en touche.

 

-Qui sait?

 

D'un signe de main, le chef ordonna de libérer les prisonniers.

 

...Tu as fait ton choix. Je ne saurai être plus fier de ce que tu es devenu. Quand tu reviendras, tu seras tout désigné pour prendre la tête de notre ordre.

 

-Quand je reviendrai mon ami, l'ordre n'aura plus de raison d'être. Nous serons enfin libres.

 

-La liberté sonne bien à l'oreille, mais serons-nous libres si nous demeurons dans ce monde factice?

 

Kteal venait de comprendre le sens des paroles professées par son maître. Cette nouvelle perspective germa en lui comme une nouvelle conviction, supplantant la précédente sans doute moins ambitieuse. Leina, Seyia et Alex, défaits de leurs entraves, s'approchèrent de leur sauveur. Le maître observa les étrangers d'un œil sévère.

 

-Kteal vous a offert sa confiance alors je me fie à son jugement. Il vous accompagnera dans votre quête. Tâchez de le garder en vie. Avec votre naïveté, vous faites une proie bien trop facile. Ce qui vous attend n'a rien d'une promenade de santé.

 

-Nous ferons en sorte de nous montrer dignes de votre confiance, assura Seyia.

 

-Finalement, il est vachement plus cool que ce que je pensais, chuchota Alex à l'oreille de Leina.

 

Suite à cette brève entrevue, le trio récupéra tout le matériel confisqué. Seyia, plus que tout autre, se trouva particulièrement heureuse et soulagée de reprendre possession de l'arme légendaire de la tueuse. Après s'être sustentés en compagnie de leurs hôtes, ils traversèrent les galeries creusées dans la montagne, jusqu'à enfin apercevoir la fameuse forêt des damnés.


... A SUIVRE....

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