Shanshu II - Wolfram & Hart

Chapitre 16 : NOUVEAUX HORIZONS

17144 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 21/06/2024 05:48

                                                          Chapitre 16 NOUVEAUX HORIZONS

 

Les rescapés embarquèrent à l'intérieur de la fourgonnette noire garée sur le parking extérieur. Fred occupa le côté passager, tandis que Spike, Faith, Boon et Trepkos, s'installèrent à l'arrière du véhicule, avec ligoté à leurs pieds, l'invité de marque emmitouflé dans sa tunique romaine. Le prisonnier gesticulait entre les deux démons. Suite à quelques menaces en l'air accompagnées de protestations incessantes, la tueuse prit l'initiative de coller à ses lèvres du chatterton, non sans lui causer quelques légères souffrances passagères. Réduit au silence, l'empereur fit profil bas en s’apitoyant intérieurement sur ses espoirs volatilisés et son futur peu reluisant. Il liait à son sort une sorte de fatalité, un juste retour des choses considérant la longue partie de sa vie à s'être érigé en messager du chaos. Seul le silence malaisant lui procurait le sentiment jubilatoire et quelque peu sadique de ne pas être le seul à souffrir de cette situation. Autour de lui, les visages taciturnes affichaient l’étendue d’une contrariété non feinte. Chacun se trouvait sous le coup de l'émotion, partagé entre le soulagement d'avoir échappé au pire et l'incompréhension de leur fuite désespérée auréolée d'un succès improbable.

 

Tout s'était passé si vite. Avalés par une sorte de portail, ils furent téléportés à l'extérieur du stade, dans un espace souterrain sécurisé. Le pentacle tracé en lettres de sang sous leurs pieds constituait alors le seul indice à leur disposition. Quelqu'un les avait volontairement extirpés de cette situation en ayant eu recours à la magie noire. Bien que Spike ait suspecté Willow d'en être l'initiatrice, Faith eut tôt fait de réduire ses espoirs à néant. Après s'être longuement observés et assurés que les réponses ne surviendraient pas, ils avaient rejoint la surface par le biais d'une bouche d'égout, accédant directement au parking où Sam les attendait à bord de sa fourgonnette. Les drones entourant l'enceinte, victimes d'un mystérieux dysfonctionnement, s'étaient écrasés contre le bitume, leur laissant ainsi tout loisir de s'enfuir sans éveiller les soupçons.

 

Alors qu'ils arpentèrent les rues de la ville en croisant une chaîne ininterrompue de véhicules de l'empire aux sirènes stridentes, il fallut patienter jusqu'aux étendues désertiques pour qu'enfin la pression redescende.

 

-On va pouvoir respirer, réagit Sam, le regard concentré sur l’horizon restreint. En pleine nuit, et au milieu de nulle part, y a peu de risques pour qu'ils nous mettent la main dessus.

 

Boon et Trepkos siégeaient en face de Spike et Faith sur la banquette arrière. Les deux démons avaient suivi le mouvement en embarquant, bien malgré eux, dans cette galère. Leur accointance affichée avec les fugitifs les avait érigés en ennemi de l’empire, au grand damne de Boon, toujours prompt à faire part de son spleen. Trepkos, quant à lui, se montrait fidèle à ses habitudes, impassible et silencieux.

 

-Me v’là bien ! soupira le démon bleu. Pour commencer, j’me fais battre par Monsieur ça m’ferait mal de sourire, et cerise sur le gâteau, j'me retrouve à flirter avec un groupe de tarés, prêts à sacrifier leurs vies sans raison. Angel, c'est bien la dernière fois que j’te file un coup de main.

 

La réaction ne se fit pas attendre. Les regards conjoints de Faith et Spike sur sa personne, lui firent réaliser qu'il en avait trop dit.

 

...J'ai dit Angel ?... Non , je voulais dire Daniel...Un type freluquet, blond... oh et puis a quoi bon, se résigna-t-il en soupirant. Ouais, vous avez parfaitement entendu, je parlais du ténébreux, celui avec le grand front, qui boude en permanence, bref, je ne vais pas vous faire un dessin.

 

-Qu'est-ce que cet enfoiré a à voir là-dedans ? réagit abruptement Spike.

 

Boon, interpellé par le regard pesant de Trépkos, se tourna brièvement vers son complice.

 

-Au point où on en est, je ne vois pas l’intérêt de garder ça pour nous.

 

-Tu veux bien accoucher oui, continua Faith, impatiente d'en apprendre plus.

 

Lorsqu'il s'agissait d'Angel, la tueuse éprouvait toujours le sentiment d'être plus concernée que les autres. Dix longues années sans la moindre trace du ténébreux laissait présager du pire. Dès lors, entendre son nom au détour d'une conversation ravivait l’espoir de le savoir en vie.

 

-OK, vous avez gagné, abdiqua Boon. Je vais tout vous dire. Et puis je ne supporterai pas une seconde de plus vos faces de déterrés. Si vous voulez tout savoir, c'est Angel qui nous a demandé de participer à ce tournoi. Il savait que tu t’y trouverait, et il voulait qu’on garde un œil sur toi, c'est aussi simple que ça. Pour quelle raison? J’en n’ai aucune idée. Quand on a une dette envers une personne, on ne pose pas de question.

 

-Foutaise, s'emporta Spike. C'est un ramassis de conneries. Comme si j'avais besoin de deux boulets pour me coller aux basques. Et Angel...

 

Le vampire dut se faire violence pour contenir l'élan de colère qui le submergeait.

 

...Je le connais mieux que quiconque et je peux vous assurer que c'est bien la dernière personne sur terre à se soucier de mon sort, ou de celui des autres. Si c'était le cas, je crois que je le prendrai comme une insulte. Et puis, tout ça n'a aucun sens. Comment aurait-il pu savoir que je participerai à ce tournoi ?

 

-Laisse-le parler, suggéra Faith. Je ne vois pas l’intérêt qu'il aurait à mentir. Si j'ai été informé de ta présence, pourquoi pas lui.

 

-En parlant de ça, reprit le vampire. C'était quoi le plan ? Me retrouver pour te jeter dans la gueule du loup en ma compagnie. Sans compter que j'aurais pu te tuer.

 

-Je ne suis pas du genre à établir de plans. Je fonce et je m'adapte sur le coup. Angel est différent. Il est réfléchi. Pour savoir que tu participerais, il nous a suffi d'une génie en informatique.

 

Le vampire s’afficha perplexe.

 

-C'est de Angel qu’on parle. Il n’est pas foutu d'utiliser un téléphone correctement, alors pour le génie de l'informatique, permets-moi d'en douter.

 

La tueuse, après une brève introspection, dut bien se résoudre à confirmer l'évidence.

 

-Tu marques un point.

 

-Il n'est peut-être pas seul sur le coup, continua Fred sans oser soutenir leurs regards. Et puis, vous ne trouvez pas ça étrange que comme par hasard, au moment où tout semblait perdu, ce portail soit apparu. Il y a bien quelqu'un qui veillait sur nous sans qu'on soit au courant.

 

La voix légèrement vacillante de la brune interpella le vampire. La connaissant par cœur, Spike avait pu déceler dans son intonation une légère anomalie. Il laissa néanmoins sa réflexion en suspens.

 

-J'y crois pas une seconde, réfuta le vampire excédé par toutes ces supputations. La magie n'est pas tellement son fort non plus. Pour créer un tel portail, il faudrait au moins une magicienne du niveau de Willow, ce qui n'existe pas sur ce plan d'existence.

 

Une fois de plus, tous les regards portèrent sur Boon.

 

-J'ai été clair non ! reprit le démon. Angel voulait que tu restes en vie. Le reste, j’en sais pas plus que vous. Il devait avoir ses raisons. Après tout, il a toujours un coup d'avance sur les événements. C'était déjà le cas du temps où il combattait ces foutus avocats.

 

Spike ne partageait pas l'opinion de son vis-à-vis.

 

-Ouais, parfaitement ! toujours un coup d'avance pour nous envoyer droit dans le mur et plonger ce monde dans l'apocalypse. Bon sang ! Ce qu'il ne faut pas entendre comme connerie.

 

-Faudrait un jour qu'on m'explique la rancœur qui existe entre vous, interrogea Faith. Enfin, y a Buffy, mais j'imagine que c'est plus profond qu'une simple rivalité de plumard.

 

-Buffy ! s'exclama le vampire comme un retour de boomerang en pleine figure. Est-ce....est ce qu'elle va bien ?

 

Faith détourna le regard. Elle avait tant redouté ce moment où elle devrait mettre le sujet sur la table. Encore des espoirs qu'elle se verrait dans l'obligation de fouler aux pieds de la dure réalité. Enfin, elle devait prendre ses responsabilités et éteindre cette lueur qui transparaissait de son regard. Dans le métier de tueuse, c'était ce qui la rebutait le plus, et le temps ne rendait pas la tâche moins ingrate. Elle prononça alors les mots, et à mesure de sa longue explication, le visage du vampire se décomposa pour arborer une noirceur indicible. Fred esquissa la même réaction. Cette dernière espérait tant trouver une lumière au bout du tunnel. 

 

« Si proche et pourtant si loin » pensa-t-elle en se recroquevillant sur sa personne, la tête basse.

 

La jeune femme le considérait comme un échec personnel. Elle, qui s’était évertuée à cacher ses intentions et ses rendez-vous avec Angel, éprouvait une culpabilité constante, d'autant que la finalité s'avérait, une fois de plus, décevante.

 

-Ne soyez pas trop déçu ! ajouta Sam, l'œil dans le rétroviseur. Peu importe où elle se cache, elle doit certainement s'y trouver en sécurité. Tous les espoirs ne sont pas perdus. Quelquefois, la vie réserve de bonnes surprises. Après tout, qui aurait dit qu'on vous retrouverait après toutes ces années.

 

-Elle a raison ! continua Fred en forçant une mine enjouée vis-à-vis du vampire. On finira par la retrouver. Ce n'est qu'une question de temps.

 

Ce n'est que lorsqu'elle croisa son regard qu'elle comprit. Rien ne transparaissait, mais déchiffrer cette expression si tristement familière relevait d'une formalité pour la jeune femme. Pas le genre à s’apitoyer sur son sort ni à dévoiler ses faiblesses aux autres, Spike n'avait eu de cesse de se montrer fort et de contenir ses émotions sans ne jamais les exprimer. Parfaitement consciente de cela, Fred en éprouva une frustration d'autant plus intense. Incapable de soutenir cet élan de déception, elle concentra son attention sur le paysage défilant derrière la vitre. Une main compatissante vint se poser sur sa cuisse. Fred croisa le regard compréhensif de Sam avant que cette dernière n'empoigne le micro relié au tableau de bord.

 

-Sam pour Alex, je répète, Sam pour Alex, est-ce que tu me reçois ?

 

-Cinq sur cinq, répondit la voix légèrement hachurée à la radio. Content d'avoir de tes nouvelles. Où en est la situation ?

 

-Tout va bien, nous avons exfiltré Spike et Fred. Nous sommes sur le retour.

 

Alex laissa échapper un soupir de soulagement, accompagné de quelques autres autour de lui.

 

-Fred ? Avec Spike ? Je croyais en voyant Illyria que... enfin peu importe, content de l'entendre. On n’a rien manqué du spectacle sur les écrans. En vous voyant disparaître dans une sorte de portail, on a eu peur qu'il vous soit arrivé malheur.

 

-Oui. On n’a pas tout compris non plus, mais tout le monde est en un seul morceau, alors on ne va pas s'en plaindre.

 

-J’te le fait pas dire. D'ailleurs, Riley et Robin sont à côté de moi...et les gars, poussez pas... N'oubliez pas que je suis le patron ici...

 

Sam ne put s'empêcher d'exprimer un sourire lorsqu'elle entendit les voix simultanées de toutes les personnes soulagées de recevoir de leurs nouvelles.

 

-Désolé les gars, vous parlez tous en même temps, on ne s'entend plus. Je coupe, on n'en a plus pour long.

 

Elle raccrocha d'une pression sur l'interrupteur.

 

…Les hommes. Tous les mêmes, constata-t-elle avec tendresse. Tenez-vous bien à l'arrière, on va accélérer.

 

*

 

La mission consistant à rapatrier le vampire fut adoptée dans la précipitation. La marge de réussite n'avait pas enthousiasmé grand monde. Bien que Giles et Riley aient usé d'arguments visant à la dissuader d'entreprendre une telle folie, Faith n'en avait pas démordu. Leur volonté de l'accompagner pour assurer ses arrières fut rejetée par la tueuse, prétextant que le risque en valait la peine, à condition qu'elle soit la seule à le prendre. Au grand soulagement de l'équipe confinée à la base, la mission se solda par un franc succès. Désormais, Riley, Robin et les autres pouvaient enfin souffler. Dans la salle informatique, Alex et Leina, garants de la transmission, durent subir la présence de leurs collègues et l'angoisse s’en trouva décuplée. Aussi, ce fut vécu comme une délivrance lorsque les indésirables quittèrent la pièce pour les laisser à leur intimité de couple.

 

-Faith est décidément surprenante, s’enthousiasma le borgne assis sur son siège. Soit elle a une chance phénoménale, soit elle est vachement douée.

 

Leina enlaça le cou de son bien-aimé qui lui tournait le dos.

 

-Tu sais ce qu'on dit, lui susurra-t-elle sensuellement à l'oreille. La chance, ça se provoque.

 

La belle couvrit sa nuque de baisers, jusqu'à le faire frémir d'extase.

 

-Mmm, savoura Alex en s'abandonnant à cette douce sensation. J'aime quand tu es entreprenante.

 

D'un geste, elle fit tournoyer sa chaise munie de roulettes. Alex sentit son corps pivoter sur son axe et s'arrêter brutalement face à sa partenaire. Elle le chevaucha tendrement tandis qu'il demeura adossé à son siège.

 

...Tu sais. Ça m'avait manqué cette proximité entre nous.

 

-Et moi dont. On a été beaucoup pris ces derniers temps.

 

Elle le gratifia d'un doux baiser, bannissant toute hésitation de son esprit. Dans cet intervalle de détente, le désir de s'enlacer prit le pas sur les mots et tout le reste. Alex se considérait chanceux. Savourer un moment de pure intimité devenait compliqué, à plus forte raison dans un lieu où la vie en communauté complexifiait bien souvent les relations. Dieu que ça lui manquait, ces moments privilégiés à même de concilier leurs deux âmes sans se soucier du monde extérieur.

 

Une fois endossé le rôle de parents, leur vie changea drastiquement, et cela sans prendre en compte leur situation les contraignant à vivre cachés dans les profondeurs. La première année fut difficile. S'occuper d'un bébé s'était révélé bien plus exténuant que prévu et les seuls instants de répit octroyés furent consacrés au travail et au repos. Quelques années plus tard, la vie de parents prit le pas sur leur vie de couple. Bien sûr, ils ne le regrettaient pour rien au monde, mais quelquefois, ils caressaient l'espoir de partager des moments n'appartenant qu'à eux seuls. Comme Alex avait coutume de dire : « s'occuper d'une enfant était plus difficile que de combattre tous les démons de l'enfer ». Comme Leina avait coutume de dire : « s'occuper de deux enfants s'avérait bien plus compliqué encore ». L'immaturité de son cher et tendre avait le don de l'agacer parfois, mais avec le temps, l'accoutumance avait comblé ses exigences. Après tout, l'amour qu'elle lui portait ne se dissociait pas de ses innombrables défauts.

 

Entraînés par l'euphorie du moment, les deux amants désiraient se retrouver comme à l'aube de leur relation. S'embrasser jusqu'à en perdre haleine, ressentir leurs cœurs battre comme au premier jour. La chaise supporta le poids de leur enlacement en s'affaissant, puis en roulant jusqu'à percuter le tableau de bord. Totalement accroc, le couple échangea un langoureux baiser. Le plaisir de la chair prit ainsi le pas sur la raison, laissant l'instinct primitif dicter sa loi. Un élan mis à mal par une entrée pour le moins inopinée. Le grincement de la chaise avait masqué le timide bruit de pas dans la pièce.

 

-Maman! Papa ! Vous faites quoi ?

 

Leurs deux cœurs explosèrent de concert, tandis qu'un frisson de montagnes russes traversa leurs corps de toute part. Leina eut le réflexe de retirer brusquement ses lèvres sans pour autant changer de position. Ne souhaitant pas donner l'impression d'avoir été prise au dépourvu, elle préserva une attitude en apparence sereine. Évidemment, il n'en fut rien. Les deux parents, pris sur le fait, éprouvèrent une honte perceptible, à tel point que leur réaction souffrait de quelques maladresses qu'un adulte aurait su déceler sans effort. Heureusement, ce n'était qu'une enfant de sept ans, ignorant tout des actes que l'innocence prohibait. Par chance, ils portaient toujours leurs vêtements, et c'est tout naturellement que Leina se tenta à noyer le poisson.

 

-Je... papa avait une poussière dans l’œil alors j'essayais de lui enlever.

 

Leina simula le geste, en feignant de toujours chercher.

 

… Ça va mieux chéri ?

 

-Oui, interpréta-t-il maladroitement alors qu'il restituait un sourire embarrassé à sa fille. Maman est gentille. Déjà que je n'ai qu'un œil, si en plus je ne vois plus de l'autre.

 

Leina se releva, puis, dissimulant son immense frustration, s'approcha de sa fille emmitouflée dans son pyjama rose.

 

-Sarah ! s'emporta-t-elle. Mais qu'est-ce que tu fais encore debout à cette heure-ci ? Tu devrais être au lit. Demain tu as école.

 

La jeune fille avait tout du parfait mélange de ses deux parents. Sa tignasse noire bouclait sur son visage d'ange duquel ressortaient deux grands yeux bleus teintés de mélancolie, semblables à des larmes de crocodile. En parents avisés, la comédie de la jeune fille ne les toucha pas autant qu’espérer.

 

-Je n’arrive pas à dormir, chouina-t-elle en se frottant les yeux. Peut-être que si tu me racontais une histoire, je pourrais trouver le sommeil plus facilement.

 

Alex et Leina se toisèrent, totalement désemparés. Leur tendre enlacement allait une fois de plus devoir attendre.

 

-Très bien ! j’arrive, renonça Leina. Mais à une condition...

 

Elle s'accroupit à la hauteur de sa fille afin de mieux transmettre son message. Ce procédé, glané dans un magazine, stipulait que c'était une façon pour les parents de capter l'attention de leurs enfants. Bien entendu, aucuns des conseils volés ici et là ne se montrèrent d'une efficacité monstre, mais il fallait bien vendre du papier.

 

...Je te préviens, une fois l'histoire terminée, que tu dormes ou pas, tu resteras dans ton lit. Si tu te réveilles en pleine nuit, il est hors de question que tu viennes te réfugier dans le lit de papa et maman. Tu n'es plus un bébé.

 

Leina tourna la tête en direction d'Alex, toujours affalé sur sa chaise.

 

...Et puis papa et moi, on a énormément de choses à rattraper.

 

La jeune fille n'objecta pas, mais n’acquiesça pas non plus, ce qui en général n'était pas le signe d'une franche entente. Leina lui prit la main, prête à l'accompagner dans son lit.

 

-Hé ! mademoiselle Harris, l'interpella Alex. T'es sûre que tu n'as rien oublié ?

 

Aussitôt, la jeune fille accourut dans les bras de son père pour le gratifier d'un bisou baveux sur la joue.

 

...Dors bien princesse !.

 

**

 

Ayant subi son lot d'inquiétude pour la soirée, Giles éprouva le besoin de s'isoler afin de se remettre de ses émotions. Il pénétra dans sa chambre, déboutonna son col de chemise et s'en alla rejoindre la petite table de nuit sur laquelle étaient entreposés des parfums en tout genre ainsi qu'une bouteille de whisky à moitié entamée. Un Tormore écossais, quatorze ans d'âge. Rien de tel pour dissiper la pression et lui offrir un moment de détente qu'il n'aurait pas eu autrement.

 

Son âge avancé ne lui permettait plus d'encaisser avec autant de recul et d'aisance qu'il y a quelques années. La vieillesse n’était un cadeau pour personne et Giles ne dérogeait pas à la règle. Entamant quelques pas jusqu'à son lit, il s'assit sur le matelas, puis plongea son regard dans le flot tourbillonnant du liquide jaunâtre entre ses mains. Les arômes s'extirpèrent du verre jusqu'à ses narines. En s'abreuvant d'une gorgée, son regard fut attiré par le cadre d'une photo entreposée en évidence sur sa table de nuit. Il la saisit lentement et la fixa avec une tendresse et une mélancolie non feinte. Cette photo représentait Willow, Alex, Buffy et lui-même, en train de prendre la pause en souriant. Elle datait de l'époque du lycée. Une époque si lointaine qu'il lui semblait l'avoir rêvé. Revoir les visages radieux de ses protégés lui rappelait à quel point ce monde avait basculé dans l'horreur, emportant dans son sillage l'espoir et les rêves d'une génération sacrifiée. Le pire échec pour un observateur consistait à perdre la tueuse dont il avait la charge, mais le concernant, sa fonction supplantait le cadre d'une simple mission de travail. La perte de deux membres de sa famille relevait d'une véritable tragédie pour le vieil homme. Buffy et Willow lui manquaient terriblement, atrocement, si bien qu'à chaque fois qu'il posait les yeux sur cette photo, une tristesse infinie ensevelissait son âme. Pourtant, impossible pour lui de s'en empêcher. Cette douleur lui était nécessaire pour ne pas sombrer définitivement. Cette lumière dans leurs yeux, ces sourires figés, éclatants, œuvraient à le maintenir à flot.

 

Une thérapie à double tranchant, atténuée par le breuvage du diable et l'instrument à cordes siégeant à côté de son lit. Cette guitare de bois massif et d'épicéa ne le quittait jamais. Ses doigts cornés attestaient d'une pratique rude et continue que le confinement souterrain n'avait pas amenuisée. Pourtant, Giles n'éprouvait plus le même plaisir à exercer son doigté expert sur des cordes aussi usées que sa personne, et pour cause sa maîtrise souffrait de quelques altérations. Sans en déceler la raison, ses mains s'étaient mises à trembler avec l'âge, rendant parfois difficile la pratique de l'instrument. L'effet de l'alcool estompait les tremblements, mais il se s’agissait pas d’une solution à long terme. Trop souvent, la sonorité d'une mauvaise note le plongeait dans une colère noire. Plus vraiment lui-même, Giles ressentait, enfui en lui, une haine, une nervosité dont il ne parvenait pas à se débarrasser. Le stress était devenu à ce point chronique, que même dans les moments de calme, il bouillonnait de l'intérieur, si bien que chaque petite contrariété se voulait prétexte à un débordement de violence incontrôlé. Devant les autres, il contenait ses pulsions. Seule son intimité contribuait à libérer le démon en lui. Il ne comptait plus les fois où il avait dû rafistoler sa vieille guitare après en avoir brisé le manche ou après l'avoir balancée par impulsivité, ni le nombre de renfoncements de la taille de son poing incrustés dans la cloison murale.

 

Alors qu'il s'essaya à gratter quelques notes, ses doigts ripèrent sur la frette et un son inharmonieux agressa ses tympans. Il délaissa aussitôt la guitare pour s'exercer à un exercice de relaxation aux effets apaisants. Plongé dans l'obscurité de la pièce, il éprouvait le besoin salvateur de respirer l'air pur de la surface. Enfermé depuis bien trop longtemps dans cet environnement factice, ce simulacre de la vie réelle, Giles ne supportait plus ce Sunnydale de remplacement qui ne lui inspirait que dégoût et désespoir.

 

Issu de l'ancienne génération, il avait connu le meilleur ainsi que le pire d'une époque déchue, rendant la transition d'autant plus difficile à supporter. Ayant assisté dans sa prime jeunesse au festival de Woodstock, emblème de la culture hippie, il avait vu les aspirations de l'époque s'éloigner radicalement de la réalité. La musique endiablée de «My Génération » interprétée par les « Who » sonnait dans un coin de sa tête, en même temps qu'une envie folle de tout envoyer valser. Giles saisit son vieux tourne-disque et lança « With a little help from my friends de Joe Coker » en montant le volume à pleins décibels. Il s'approcha de son lavabo, enleva ses lunettes et s'observa longuement dans la glace comme s'il défiait son propre reflet. Il laissa couler un peu d'eau dans le creux de ses mains et en imbiba ses cheveux en les aplatissant vers l'arrière. Entraîné par le refrain, sa rage explosa. Son poing fissura le miroir, déformant ainsi le reflet de son propre visage. N'ayant pas l'intention de s'arrêter en si bon chemin, il cogna sur tous les meubles et objets à sa portée. La table de nuit, la guitare, les bouteilles de verre, tout à proximité succomba à cet excès de rage. La folie l'avait submergée, éveillant une partie de lui qu'il s'était toujours évertué à maîtriser. Ce déferlement de colère lui procurait un bien fou. Sirk avait toujours eu raison. Enlevez à l'homme ses repères et sortez-le de sa zone de confort, il n'en restera qu'une bête obéissant à ses plus bas instincts. Le beeper dans sa poche se mit à vibrer, le ramenant petit à petit à la raison. Le retour de Faith venait de s’annoncer. Il dévisagea le miroir brisé, réajusta ses lunettes, puis se recoiffa convenablement avant de quitter la pièce dans une sérénité nouvellement retrouvée.

 

***

 

Seyia errait comme une âme en peine dans les artères sombres des basses ruelles. Assister passivement à un événement auquel elle n'avait pas été conviée la contrariait. Bien qu'inquiète pour Faith, elle se refusait à porter le fardeau des autres sur ses épaules. Son inaction lui était devenue insupportable, alors, pour se changer les idées, elle décida de se promener au hasard des sentiers étriqués. La finalité importait peu. Plus question de rester immobile et cogiter. Il lui fallait bouger, respirer, laisser ses pensées divaguer au gré de sa marche contemplative. Son sang de tueuse bouillonnait dans ses veines. Les jours passés n'avaient fait que confirmer ses propres certitudes. Sa place n’était pas ici. Le discours de Wood, lui suggérant de prendre son mal en patience, avait résonné un temps dans sa tête, assez pour accepter sa situation jusqu’à la saturation. Elle y avait consenti de rudes efforts à agir comme les autres l'entendaient, mais à quoi bon persister à vivre dans le déni. Dans cette ville souterraine, elle se sentait prisonnière, bien plus qu’à la surface. La sensation de fuir la cruelle réalité pour vivre dans ce monde idéalisé lui donnait l'impression d'interagir dans une simulation grotesque. Retrouver Buffy et continuer la lutte à ses côtés, cette idée ne l'avait pas quitté depuis. Du moins, une partie d'elle-même désirait encore croire à cette perspective. Dans les faits, la tueuse semblait plus perdue que jamais. Des centaines de questions se bousculaient dans sa tête et la seule réponse à ses doutes, sa seule certitude, se confondait en un seul nom. Buffy. Toujours elle. La tueuse saurait forcément quoi faire. Ce besoin viscéral de la retrouver, de lui parler ne se basait sur rien d'autre qu'une obsession sans fondement rationnel. De ce fait, la tâche s'avérait ardue de l'expliquer aux autres. Ils ne comprendraient pas. Elle aurait dû se considérer chanceuse d'avoir rejoint leurs rangs, éprouver à leur égard une certaine gratitude, à la place de quoi elle se sentait étouffer et périr dans ce lieux dépourvu d’horizon.

 

Alors que les rues s'étaient tristement vidées de leurs enthousiasmants vacarmes, une étrange sonorité parvint à captiver ses sens. Le chant maladroit d'une voix tremblante et peu assurée avait discrètement tracé un chemin vers sa personne. Il ne s'agissait pas là, d'une prouesse artistique, ni même d'une performance musicale, mais elle percevait l'intention derrière les mots, et toute la sincérité qui en découlait. Seyia s'interrogea sur l'identité du chanteur. Elle fut agréablement surprise de constater l'homme en question, pourvu d'une élégance et d'un charisme totalement à son goût. L'individu tenait passionnément le micro relié à un petit écran duquel défilaient les paroles d'une chanson en Italien. Absorbé dans son interprétation, il ne remarqua pas sa présence. Une aubaine pour Seyia dont l'intention n'était aucunement d'entraver un élan si passionné. La tueuse croisa les bras et savoura cet instant volé, comme un secret intime dévoilé par mégarde. La chanson, empreinte d'une douce mélancolie, dépeignait un amour perdu, du moins, pour ce qu'elle parvenait à décrypter. L'individu l'interprétait avec tant d'empathie qu'il semblait être l'acteur de cette si triste histoire. Lorsqu'il expira la dernière note, des applaudissements inopinés le firent sursauter de frayeur. Il se retourna à la hâte et se tint la poitrine en remarquant la présence de la tueuse.

 

-Bravissimo ! le félicita-t-elle dans la plus belle langue du monde. Jolie performance.

 

L'homme en question se montra quelque peu intimidé. Une fois remis de ses émotions, il s'approcha de la curieuse.

 

-Tu es ?

 

Il la dévisagea longuement.

 

...la tueuse ?

 

Seyia venait de comprendre les raisons de cette intimidation. « Cette satanée prophétie », tiqua-t-elle sur le coup. Dans l'esprit des habitants, elle était dépeinte comme l'élue, celle qui apportera la lumière. Évidemment, composer avec ce mensonge la rebutait.

 

-Je suis Seyia, insista-t-elle en lui tendant la main.

 

Il n'hésita pas à la serrer délicatement.

 

-Gabriel, répondit-il en plongeant ses yeux azurés dans les siens. Je suis enchanté.

 

Lors de l'échange, la tueuse éprouva un léger frisson à son contact. La réaction purement chimique l'intimida à son tour. Le charme typiquement méditerranéen de l'individu, à la peau mate et aux cheveux ondulés jusqu'à la nuque, la déstabilisait bien malgré elle.

 

-Je...ne savais pas que tu m'écoutais ! constata-t-il timidement avec une pointe d'accent. Je n'ai pas pour habitude de chanter devant les autres.

 

-Et bien tu devrais, parce que tu chantes merveilleusement bien. Tu parles couramment italien ou tu ne faisais que lire le prompteur ?

 

-L'italien est ma première langue. J'ai vécu en Sicile avant de débarquer aux États-Unis.

 

-L'Italie, ça doit être magnifique ! rêva Seyia. De l'Europe, je ne connais que l'Angleterre.

 

-Alors tu es sûrement passé à côté du plus beau pays du monde, poursuivit-il le sourire aux lèvres. Enfin, j'imagine que chaque pays doit posséder un charme qui lui est propre, mais l'Italie vaut la peine d'être visitée, ou valait. Je ne sais plus ce qui est ou ce qui n'est plus. Les temps changent.

 

Elle le lisait dans ses yeux. L'amour voué à son pays se voulait criant de vérité tant son visage s'illuminait en le dépeignant. Souvent, les Italiens étaient considérés comme des gens passionnés et fiers de leur culture. Gabriel semblait répondre parfaitement à ce cliché.

 

-Cette chanson, elle est vraiment mélancolique, s’enthousiasma-t-elle en chantonnant l'air imprimé dans sa tête.

 

-Oui, elle traite d'un amour perdu. Certains prétendent qu'elle traite d’une banale rupture amoureuse, et d'autres, comme moi, sont persuadés que les paroles font allusion à la perte d'un être cher, à la douleur d'un homme désemparé face aux caprices du destin.

 

-La deuxième version me semble plus profonde, tragique et merveilleusement mélancolique à la fois. On ressent cette souffrance éprouvée. Celle du deuil. Du moins, c'est ce que j'ai ressenti. Au-delà des paroles, la mélodie nous renvoie ce sentiment.

 

Gabriel la fixa longuement. Une lumière dans ses yeux, semblables à celle projetée lorsqu'il parlait de son pays natal, accentua le léger désarroi dont elle fut éprise. La tueuse sentit ses joues et ses oreilles prendre soudainement feu. Consciente de tomber sous son charme, elle s'imposa une rigueur mentale l'empêchant de se projeter dans des conclusions hâtives, à plus forte raison considérant ses expériences passées. Elle savait que bien souvent, derrière les visages angéliques se cachaient des démons de la pire espèce. Ne laissant pas le silence s'installer plus longtemps, l'italien prit les devants.

 

-Alors comme ça, tu es celle qui va nous sortir de ce trou et sauver le monde.

 

La façon détachée d'employer ces mots interpella la tueuse.

 

-C'est moi ou j'ai l'impression que tu n'y crois pas une seule seconde ?

 

-La prophétie ? ricana-t-il. Si tu veux mon avis, personne n'y croit. Les gens font juste semblant, histoire de se rattacher à quelque chose. Tu es une tueuse et tu me sembles être une femme exceptionnelle, mais nul ne détient le pouvoir de combattre seul un empire. Toute cette histoire n'a jamais été crédible une seule seconde.

 

Quel soulagement ce fut pour Seyia, qui ne se voyait pas endosser le rôle du sauveur à son insu. Elle en avait assez de briser les espoirs des autres. En sa présence, elle n'aurait pas à composer un rôle, ce qu'elle apprécia tout particulièrement.

 

-Au moins, je n'aurai pas à décevoir tes attentes. J'aimerais en dire autant des autres.

 

-Hé ! l'interpella-t-il en posant une main à son épaule. Tu veux un conseil, cesses de te demander qui tu vas décevoir. Les gens ont chacun leurs rôles à jouer et chacun est responsable. La seule personne que tu ne devrais pas chercher à décevoir, c'est toi même. Pour le reste, nous ne sommes pas des enfants qui attendent un héros providentiel. Si on veut que les choses évoluent, c'est le rôle de tous. Tu n'as pas à porter cette responsabilité sur tes épaules.

 

Ces paroles touchantes la réconfortèrent. C'était la première fois qu'elle le rencontrait et pourtant, l'impression de le connaître depuis toujours la décontenançait au plus haut point. Il existait une proximité entre eux, une facilité à communiquer, alors qu'ils n'étaient l'un pour l'autre que de parfaits étrangers. Malgré cela, Gabriel avait su trouver les mots justes. En exprimant son opinion, il venait de mettre le doigt sur ce qu'elle désirait entendre.

 

-Je..., je sais que ça peut paraître déplacé, mais je peux te poser une question ?

 

Il hocha la tête.

 

...S’il y avait quelque chose en toi qui t'animais, qui t'obsédais à tel point que tu n'en dormes plus la nuit, avec la crainte que ce ne soit qu'au fond une pulsion égoïste, un rêve qui t'éloignerais de tes obligations, de ton devoir. Que ferais-tu ?

 

Un court silence s'instaura, invitant à la réflexion.

 

-C'est un choix difficile, admit-il. Quelquefois, quand le monde semble aller contre ta volonté, alors tu te dis que c'est parce qu'ils ont raison. Le nombre fait loi, et bien souvent, étouffe les rêves des gens. Seulement, arrivera un jour ou tu seras au crépuscule de ta vie et à ce moment-là, tu penseras : Est-ce que j'ai assez vécu ? Est-ce que j'ai été au bout de ce qu'on attendait de moi, ou est-ce que j'ai bravé les tempêtes et les naufrages pour aller au-delà de ce que j'aurai voulu être, de ce que j'aurai voulu faire. C'est peut-être parce que j'en ai toujours fais qu'à ma tête, mais je ne m'imagine pas souffrir d'un quelconque regret, alors pour moi, le choix est vite fait. J'irai au bout de ce que je suis. Si je me ramasse alors, ce ne sera pas un regret parce que ça aura été mon choix et je l'assumerai. L'échec, c'est ce qui arrive aux gens qui essayent. Qu'est-ce que la réussite, si ce n'est la persistance face à une succession d'échecs. Si tu veux suivre la foule par contrainte alors tu ne créeras ni l’échec ni la réussite, tu resteras un fantôme errant parmi les autres. Je ne t'imagine pas être ce genre de personne, j'me trompe ?

 

Les muscles de son visage se délièrent. Un large sourire imprégna ses lèvres. Seyia n'éprouva pas le besoin de répondre. Tout venait de s'illuminer dans son esprit. Partagée entre la crainte et le doute, cet homme venait de faire pencher la balance. De toute façon, elle ne s'imaginait pas arpenter un autre chemin. C'était une évidence depuis le début, mais elle avait juste besoin de l'entendre, de se sentir soutenue. Subitement, une légère vibration dans ses poches la piqua au vif. Elle jeta un œil sur son beeper qui la conviait à accueillir le retour de Faith.

 

-Je dois partir ! dit-elle en esquissant quelque pas avant de stopper sa course et de se retourner. Gabriel c'est ça ?

 

Il acquiesça en souriant.

 

...Merci. Je ne t'oublierai pas.

 

Sur ces mots, elle prit congé de l'Italien. Ce dernier l'observa s'éloigner jusqu'à ne plus l'apercevoir.

 

-Moi non plus, murmura-t-il subjugué par cette merveilleuse rencontre.

 

****

 

De retour dans la base, les arrivants se révélèrent bien plus nombreux qu'attendus. Un comité d'accueil fut dépêché à l'entrée. Giles, Alex, Leina, Riley, Robin et tous les autres : nul ne manquait à l’appel malgré l'heure tardive. Chacun s'était fait un sang d'encre et au soulagement de revoir leurs amis en vie, s'ajoutait l'excitation de retrouver un ancien compagnon d'armes. Si les retrouvailles s’annoncèrent chaleureuses, d'ailleurs un peu trop au goût de Spike qui dut subir une fois de plus l'étreinte interminable d'Andrew, Fred ne le vivait pas de la même façon. Cette dernière se présentait en parfaite étrangère. Bien qu'elle partageait le même corps qu'Illyria, le côté moins bleu et moins démoniaque prêtait à quelques hésitations concernant la conduite à tenir en sa présence. Alex se chargea de débrider tout le monde en la serrant dans ses bras en guise de bienvenue.

 

-Si on m'avait dit que sous cette peau bleue se trouvait une véritable femme, je ne l'aurai jamais cru. Je suis Alex, Willow m'a parlé de toi. Elle a omis de dire que tu étais aussi canon. Enfin, tu l'étais déjà quand tu étais bleue, sauf que là, tu es tout à fait normale. Pas normale dans le sens banal, je veux dire, humaine. Ce qui ne signifie pas, bien entendu, que les démons ne sont pas normaux, non, je n'ai rien contre les démons... Bon sang, aidez-moi.

 

-Ce qu'il veut dire, c'est que tu es la bienvenue parmi nous, ajouta Leina. Ne t'en fais pas, mon mari perd tout le temps ses moyens lorsqu'il se retrouve confronté à une jolie fille.

 

Dans l'embarras, Alex relâcha son étreinte, mais aussitôt Andrew s'empressa de prendre la relève. Fred, qui ne s'attendait pas à un tel élan d'affection à son égard, se tint droite comme un I, les bras serrés le long du corps. L'expression sur son visage montrait tout son désarroi. Andrew était la seule personne qu'elle connaissait, et bien qu'elle ait partagé quelques courts moments en sa présence par le passé, rien ne justifiait un tel débordement physique. Du reste, elle ne s'en plaignit pas. Durant cette franche accolade, Alex en profita pour s'approcher de Spike. Le vampire lui fit comprendre d'un regard que toute tentative d’épanchement serait vouée à l'échec.

 

-Spike ! le salua-t-il d'un large sourire. Content de te savoir parmi nous.

 

-Harris ! répondit le vampire aussi cordialement que possible avant de porter un regard incrédule à l'encontre de Giles. Bon sang, c'est vous Ruppert ? Mais vous avez encore pris un gros coup de vieux. À ce train-là, il va vous falloir des cannes.

 

L'observateur retira ses lunettes.

 

-Oui, et bien, nous ne pouvons pas tous nous targuer de posséder ta constitution vampirique. C'est le lot des vivants. Nous vieillissons.

 

Tandis que Robin se précipita à l'encontre de Faith pour s'enquérir de son état, Riley rejoignit Sam avant de porter son attention sur Spike. Ce n'est que lorsque le vampire perçut quelques ondes hostiles envers sa personne, qu'il se tourna vers la cause du malaise.

 

-Bon sang. Toi ? Ici ? Dieu que le monde est petit.

 

-Comme tu dis, répliqua Riley d'un ton glacial. Il faut croire que nos chemins étaient destinés à se croiser.

 

Une tension lourde se ressentait entre eux deux, et pour cause, leur histoire commune ne prêtait pas à de chaleureuses retrouvailles. Du temps où Riley et Buffy partageaient leur vie, Spike avait usé de tous les stratagèmes pour les éloigner, et son acharnement avait fini par payer. Lorsqu'un an après leur séparation, Riley marqua son retour pour quémander l'aide de son ex, ce fut une bien mauvaise surprise pour le soldat de la découvrir au pieu avec le vampire. Revoir Spike lui remémorait tous ces mauvais souvenirs. De ce fait, l'envie de lui coller son poing dans la figure le démangeait. Le soldat calma néanmoins ses ardeurs. De l'eau avait coulé sous les ponts depuis, et réagir bêtement aurait des conséquences néfastes sur son couple actuel. Sam ne comprendrait pas que son homme garde rancune à ce point pour une histoire d'ex. Elle l'interpréterait comme la preuve évidente de son incapacité à tourner définitivement la page, et il refusait que le vampire ne soit une fois de plus l'artisan de ses problèmes sentimentaux. L'arrivée inopinée de Seyia permit de dérider l’atmosphère. La tueuse salua timidement, d'un léger revers de main, avant de les glisser dans ses poches. Les réunions de groupe avaient le don de la mettre mal à l'aise.

 

-Toi... ? s'étonna agréablement Spike. Tu es...

 

-Toujours en vie, l'interrompit la tueuse. Contente de constater que toi aussi. Tu fais partie du club.

 

Seyia ne le montrait pas, mais le retour de Spike lui procurait une joie indescriptible. Il y a quelques années, le vampire lui avait sauvé la vie lors d'une mission périlleuse dans un cimetière, et elle n'était pas près de l'oublier. Lorsque son regard croisa celui de Fred, elle fut éprise d'un doute.

 

...Je suis persuadé de t'avoir déjà vue quelque part, mais où ?

 

-J’imagine que c'est parce que j'étais bleue à l'époque, en déduisit Fred dont les références à Illyria n'avaient de cesse de la poursuivre depuis son arrivée.

 

-Oh, réalisa Seyia en éclaircissant les zones d'ombres. OK, je vois.

 

-Il ne faut pas leur en vouloir, s'avança Faith. Pour ceux qui ne t'ont pas connu avant, c'est un petit choc, mais ils sont tous ravis de te savoir parmi nous. Je me souviens, la première fois que j'ai rencontré Illyria, j'ai été surprise de la même façon. Elle te ressemblait tellement.

 

-Ne t'en fais pas, répondit Fred en affichant un grand sourire. Je ne le prends pas mal. Illyria a su tisser des liens avec vous et j'en suis la première surprise, et ravie.

 

-Faith ! l'interpella Giles. Il me semble que nous avons des invités.

 

Derrière l'attroupement se tenaient Boon et Trepkos, avec à leurs pieds, le maître de cérémonie agenouillé et ligoté. Les deux démons échangèrent un regard avant de le porter sur le vieil homme.

 

-Pas de présentation pour nous, assura Boon. Vous semblez tous aussi ennuyeux et inintéressants les uns que les autres. On ne tient pas plus que ça à vous connaître alors ne vous inquiétez pas pour nous, on va se débrouiller.

 

Aussitôt dit, que les deux gladiateurs prirent congé de leurs hôtes, en arpentant les rues de la ville artificielle, sous le regard médusé de l'assemblée. Riley hésita à les stopper, mais Faith l'en dissuada.

 

-Laisse-les. Ils sont spéciaux, mais ils nous ont sauvé la vie. Ils font partie des nôtres.

 

-Tu es sûre qu'on peut leur faire confiance ? s'inquiéta Giles tandis qu'Alex affichait un air niais.

 

-Dites. Ce n'était pas Trepkos, le champion du Colisée ?

 

-Ne vous en faites pas Giles, le rassura Faith en ne prêtant aucune attention à Alex qui venait de se transformer en groupie. Ils sont clean, ce qui n'est pas le cas de celui-ci.

 

La tueuse se décala sur le côté pour dévoiler le prisonnier jusqu'alors parfaitement dissimulé par ses deux geôliers. Giles fut épris d'un étrange sentiment. Cette silhouette, toujours indéterminée de sa distance, lui semblait tristement familière. Pour mettre fin à ses doutes, il s'approcha de l'homme costumé jusqu'à parvenir à l'identifier. Soudainement, son corps fut épris d'un frisson. Sans qu'il ne puisse le maîtriser, son poing se serra puis cogna la mâchoire de l’intrus, sans ménagement. Le Jules césar d’opérette tomba à la renverse, tandis que ses gémissements furent étouffés par le chatterton autour de sa bouche. Alex n'en fut pas surpris, mais pour les autres, ce fut un véritable choc. Giles était dépeint comme une personne aux nerfs d'acier, n'usant de violence que sous la contrainte, et cet acte gratuit ne répondait à aucun de ces critères. L'improvisé puncheur, loin de s'arrêter en si bon chemin, agrippa le collet du prisonnier dans l'idée de récidiver l'agression. Riley et Sam s'occupèrent de le retenir, mais même pour eux, la tâche s'avérait ardue. L'observateur, guidé par une rage incontrôlable, faisait montre d'une force insoupçonnée.

 

-Giles ! Calmez-vous ! le supplia Riley en le contenant à bout d'effort. Vous allez finir par le tuer.

 

-Crois-moi, répliqua le doyen en se démenant comme un beau diable, ce ne serait pas une perte pour l'humanité.

 

Finalement, après quelques déchaînements, Giles se décida à lâcher le col du prisonnier qui s'affaissa sur le parquet.

 

...Donne-moi une seule raison de ne pas te tuer Ethan.

 

La victime tenta de répondre, mais aucuns mots ne s'articulaient clairement. L'on entendait simplement des sons plus ou moins dissonants, composés de « humm hmmm » sous le regard de son bourreau essayant en vain de déchiffrer et retranscrire ses paroles.

 

-Personnellement, je trouve son argumentation plutôt plausible, ironisa Alex.

 

*****

 

Ethan Rayne avait vécu les dernières années de sa vie dans la luxure et l'abondance. En ce temps-là, il habitait une immense villa en bordure de mer, sur les côtes californiennes, et disposait sous ses ordres d'une pléthore de personnels toujours prompts à combler ses moindres caprices. Parti de zéro, une idée ingénieuse ainsi qu'un pacte signé avec le diable, eurent suffi à l'édifier en l'un des hommes les plus riches du monde. La vie de château lui manquait terriblement, surtout à l'heure de se retrouver pieds et poings liés, dans une cellule de fortune sordide terrée dans les entrailles de la Terre. Il s'en accommodait toutefois, s'estimant en ces lieux partiellement en sécurité. Ses maîtres ne lui pardonneraient jamais ce fiasco et sans sa capture, sa chair alimenterait probablement vers et rats à l'heure actuelle. Croupir dans cette cellule lui semblait une perspective préférable.

 

La douleur à la mâchoire le démangeait toujours. Dans l'incapacité de se mouvoir, son visage épousa le sol en même temps que son corps esquissait quelques gesticulations maladroites. Dans cette position, le sommeil le submergea jusqu'à son réveil. Privé de la notion de temps, dans cette pièce tenue éclairée par un néon grésillant, il ne s'en inquiétait pas outre mesure. Connaissant parfaitement Giles, Ethan se doutait que ce dernier ne le laisserait pas crever dans ce trou à rats. Après tout, les différentes altercations du passé s'étaient toujours soldées de la même manière. Giles viendrait bientôt lui apporter le petit déjeuner et ils repartiraient du bon pied, comme toujours, jusqu'à la prochaine crasse. Pourtant, il avait beau attendre et attendre encore, le scénario fantasmé dans sa tête ne prit nullement forme dans la réalité. Ne demeurait que le silence pesant, que les gargouillis de son estomac criant famine, s’évertuaient à rompre. Tenaillé par la soif et la faim, le doute s'immisça, et à mesure que les heures défilèrent, ses doutes se transformèrent en certitude. Giles allait le laisser moisir ici, peut-être pour toujours. Ethan releva bien quelques bruits de pas ici et là, suscitant l'espoir de voir débarquer son sauveur, hélas toujours ponctué par cette effroyable désillusion.

 

Alors qu'il n'y croyait plus, un son métallique revigora ses espoirs. Le tournoiement de la clé dans la serrure focalisa l’entièreté de ses sens, comme s'il s'agissait d'une question de vie ou de mort. Lorsqu'il leva la tête pour identifier son hôte, quel ne fut pas son soulagement lorsqu'il constata la présence de Giles. N'affichant pas son meilleur profil, l'observateur le surplombait de sa hauteur, les bras chargés de vêtements pliés.

 

-Je sens que je vais le regretter, ajouta-t-il à contrecœur en s'inclinant à son niveau.

 

D'un geste sec, il arracha le scotch collé aux lèvres d'Ethan. Ce dernier libéra alors un cri de douleur qui résonna dans toute la pièce.

 

-Bon sang! Rupert, un peu de délicatesse, ça serait pas du luxe.

 

-Ferme-la, veux-tu, répondit sèchement Giles. Crois-moi, si tu fais ne serait-ce qu'un seul geste inapproprié, je prendrai un malin plaisir à te faire souffrir, jusqu'à ce que tu me demandes grâce, et je continuerai après ça.

 

L'observateur délia ses jambes et ses bras sans ménagement.

 

-Aïe ! doucement, tu me tords le bras, espèce de sadique.

 

Enfin, Ethan put retrouver la pleine possession de ses mouvements. Ses articulations endolories le tiraillaient de toute part, si bien que pour les soulager, il s'empressa de tournoyer ses poignets en grimaçant.

 

...Je pensais qu'au nom du bon vieux temps, tu me traiterais avec plus de complaisance, surtout que pour une fois, je n'ai en aucun cas cherché à te nuire ni à semer le chaos. D'ailleurs, je suis une victime dans cette histoire.

 

-Si j'ai appris une chose en te côtoyant, c'est que tu n'es jamais innocent, répondit Giles sceptique. Allez tiens, enfiles ça, tu ressembles à un clown.

 

Ethan se vit confier des vêtements qu'il porta aussitôt en délaissant sa tunique romaine. Le pantalon taillait un brin trop large et la chemise à carreaux trop longue, mais il trouva le moyen de palier à ce problème en serrant la ceinture et en retroussant les manches.

 

-Tu aurais pu me trouver une tenue mettant un minimum mon corps en valeur, protesta le sorcier. Tout ce temps passé à manger sainement pour me voir infliger cet accoutrement de vieil alcoolique bedonnant, c'est navrant. Tu sais Ruppert, la vieillesse ne te va pas au teint.

 

-Oui, tu n'es pas la première personne à me le dire, mais en attendant, moi, je porte mes propres vêtements.

 

Giles invita Ethan à le suivre. Ce dernier ne se fit pas prier pour s'extraire de ce taudis. Avant de quitter la pièce, l'observateur crut bon de clarifier la situation.

 

...Ici, tu es notre prisonnier, annonça-t-il sèchement. Tu seras libre de vivre parmi nous comme tout autre individu, et tu auras des devoirs. À dire vrai, beaucoup plus que les autres. Encore une chose, il est inutile d'élaborer un quelconque plan pour t'échapper d'ici, c'est impossible. Et si jamais tu avais l'idée de mettre en péril la sécurité de la population, crois-moi quand je te dis que je n'aurai aucun remords à mettre fin à tes jours.

 

Persuadé que l'avertissement ne relevait pas d'une banale menace en l'air, Ethan ne tenterait pas le diable. Pendant un court instant, son ancien compagnon de route lui parut plus effrayant qu'à son prime. Fort de sa posture d'hôte, Giles entreprit de lui faire visiter les bas quartiers, avant qu'ils ne pénètrent dans une petite échoppe. Le barman s'assura de la validité du ticket journalier justifiant des rations limitées, puis leur servit deux grands pichets de bière. Le Pub s’apparentait parfaitement à ceux de la surface, un exploit lorsqu'on sait les difficultés à dénicher le matériel adéquat. La pièce à peine cloisonnée entretenait une quinzaine de petites tables rondes en bois, accompagnées par de hauts tabourets rafistolés. Sur le côté était entreposé un billard accusant le poids des années, dont le tapis en rouleau de feutrine s'effilochait de toute part. C'est à quelques pas de celui-ci qu'ils s'installèrent, en déposant leurs pichets dont la circonférence occupait pratiquement tout l'espace de la table. Il restait tout juste assez de place pour contenir une petite assiette d'apéritifs que l'invité indésirable, tenaillé par la faim, dévora d'une traite.

 

...Tu devrais savourer, conseilla Giles. Les rations sont limitées. Tu devras attendre le soir pour profiter d'un bon repas.

 

Il jeta un œil sur sa montre.

 

...Soit une dizaine d'heures.

 

En prenant conscience de la remarque, Ethan ralentit la cadence. Pour faire passer le tout, il avala une gorgée du breuvage avant d'essuyer d'un revers de main la mousse infiltrée sur ses lèvres.

 

-C'est étrange, savoura Ethan. Chaque fois qu'on se retrouve, c'est pour finir autour d'une bonne bière.

 

-Oui, c'est généralement ce qui arrive avant que tu ne me plantes un couteau dans le dos, rétorqua Giles rancunier.

 

-Allons, tu as encore cette fois-là en travers de la gorge ? C'est de l'histoire ancienne, et puis tout s'est bien terminé, du moins pour toi.

 

-Certes, si tu fais abstraction du fait que j'ai été transformé en démon Fiarl et que je suis passé à deux doigts de me faire tuer par ma propre tueuse.

 

-Oses prétendre que ce ne sont pas devenus de bons souvenirs désormais, insista-t-il le sourire au coin.

 

Son rictus s'effaça dans la seconde où le regard haineux de son homologue transperça sa personne.

 

...OK, bons souvenirs n'est peut-être pas le mot, mais on savait s'amuser en ce temps-là.

 

-Ne donne pas l'impression d'avoir perdu au change, insista Giles. Je te savais opportuniste, mais pas au point de travailler pour Wolfram et Hart, quoique j'aurai dû m'en douter, le Chaos t'a toujours attiré.

 

-Que veux-tu, c'était ça ou vivre misérablement. Tant qu'à vivre en esclave, autant le vivre de la meilleure des manières. Tu me connais Rupert, me terrer six pieds sous terre pour échapper à un fait inéluctable, ce n'est pas ma façon d'envisager l’existence. Alors oui, j'ai saisi les opportunités qui s'offraient à moi et je ne le regrette pas. Quand tu ne peux pas combattre un ennemi plus puissant, la meilleure chose à faire c'est de t'allier à lui.

 

Giles affichait tout son scepticisme quant à la version légèrement édulcorée de son ancien partenaire et néanmoins rival.

 

-Tu dois être heureux. Tout ce qui arrive, c'est ce que tu as toujours cherché. La perte de contrôle, le chaos, tout ce qui est de nature à perturber l'ordre établi. Ce monde tel qu'il est devenu doit être un paradis pour toi.

 

Ethan semblait absent. Il fixait son verre qu'il fit tournoyer machinalement comme investi d'une profonde réflexion. Les traits de malice marquant habituellement son visage s'effacèrent au profit d'une expression plus neutre. C'était l'une des rares fois où Giles aurait pu affirmer que cette crapule dégageait un semblant d'honnêteté.

 

-Oui, avoua Ethan. Je te mentirais si je te disais que l'enfer sur terre ne m’excitait pas au début. Je suis comme ça, la vie ordinaire m'a toujours ennuyée. Ce monde, la matière, ce que nous sommes, tout est né du big bang. Le chaos est dans la nature même de la vie. Cette table, cette bière, toi, nous ne sommes que le résultat d'une lutte invisible, d'atomes qui s'entrechoquent pour créer l'énergie. Tout dans ce monde, que ce soit la beauté d'un lac endormi, ou le silence, tout n'est que gémissements sourds que nous faisons acte d'ignorer. Les humains s'évertuent à désirer une vie rangée, à suivre le troupeau jusqu'à finir leur existence dans l’indifférence générale sans ne jamais prendre de risque. Quand tu ouvres les livres d'histoire, de quoi se rappelle-t-on ? Qu'est-ce qui a marqué les différentes époques ?

 

-Je vois ou tu veux en venir et je ne suis pas persuadé d'apprécier ce que je vais entendre.

 

-Je vais te le dire quand même. La Guerre. Les époques ont de tout temps été traversées par des luttes incessantes. L'ordre se nourrit du chaos et le chaos se nourrit de l'ordre. Comment apprécier la paix si tu ne connais pas la souffrance de la guerre ? Comment apprécier l'eau si tu ne ressens pas la soif ? Je suis comme je suis, mais je ne me cache pas derrière de faux semblants. Je ne prétends pas être un bon samaritain. J'ai toujours flirté avec les pouvoirs obscurs, et j'ai toujours voulu dépasser les limites. Ce que tu ne comprends pas c'est que je suis un explorateur. Comme Christophe Colomb en son temps, j'arpente des voies que personne n'ose emprunter par lâcheté. Les conséquences m'importent peu. La seule chose qui compte, c'est le frisson. À une époque, je te suspectais d'être de la même trempe.

 

-Oui et j'ai passé le cap de la puberté depuis, ironisa Giles. Tu n'es qu'un sinistre abruti Ethan. Tu l'as toujours été et tu le seras jusqu'à la fin de tes jours. Les conséquences qui t'importent peu ne sont que des statistiques dans ton cerveau malade, mais elles se comptent en milliers de morts dans le quotidien des gens.

 

-Tu te trompes sur moi Ruppert. Je ne tue jamais personne. Je ne fais qu'ouvrir la boîte de pandore. Ce qui en sort n'est pas de mon ressort. Prométhée a offert le feu aux hommes. Ce que les hommes en ont fait n'appartient qu'à eux seuls. Le bien et le mal qui en a découlé ne sont que l'expression de la nature même des choses. L'ordre et le chaos sont les deux faces d'une même pièce. L'un ne va pas sans l'autre.

 

-C'est ta façon de te dédouaner de toutes responsabilités.

 

-Absolument pas. Tu connais l'adage, responsable, mais pas coupable. Mais ne te méprends pas, ce monde tel qu'il est devenu ne me procure aucune satisfaction. Wolfram et Hart n'ont fait qu’amplifier les défauts de l'Ancien Monde. Nous ne vivons pas dans le chaos, mais dans l'ordre à outrance. Si l'existence était d'une tristesse et d'un ennui absolu avant leur arrivée, tout a été amplifié depuis. Une fois que les guerres auront cessé, tout sera uniformisé. L'homme ne sera qu'un automate semblable à un autre. Il vivra en paix, mais privé de l'essence même de ce qui faisait de lui un être vivant. Pour en revenir à la métaphore de la pièce, si tu enlèves le côté pile alors le côté face perdrait la raison même de son existence. Il en est de même pour l'homme. Chercher à réguler la nature est voué à l'échec. Toi et moi sommes plus proches que tu le penses. La vérité mon ami, c'est que nous nous complétons admirablement. C'est ce qui explique la raison pour laquelle je n'ai jamais voulu te tuer, et c'est sans doute ce qui explique que tu ne l'ait pas fait non plus.

 

-Et pourtant, ce n'est pas l'envie qui me manque.

 

-Wolfram et Hart cherchent à nous priver de nos désirs et de nos guerres incessantes. Ils cherchent à nous priver de ce frisson que toi et moi connaissions si bien. Nous avons deux visions du monde complètement différentes, mais avec Wolfram et Hart, nous n'aurons même plus le luxe d'être en désaccord ni d'avoir une vision, quelle qu'elle soit. Que tu me crois ou pas, je peux t'assurer qu'on est du même côté. Du moins, le temps que nous retrouvions notre liberté pour pouvoir nous remettre sur la gueule comme au bon vieux temps.

 

Ethan leva son verre pour trinquer .

 

-Quand tout sera terminé, nous réglerons nos comptes, affirma Giles d'un regard assassin.

 

-Trinquons, à l'avenir !

 

-À la liberté !

 

Leurs deux verres sonnèrent le clairon d'une entente circonstancielle.

 

******

 

Assise sur un tabouret, Fred glissa délicatement son peigne à travers ses longs cheveux soyeux, en s'observant dans le miroir de sa coiffeuse. S'accorder le temps de prendre soin d'elle la plongeait dans une mélancolie liée à ses souvenirs d'enfance. Ces moments d'insouciance, bien avant son périple dans une autre dimension, remontèrent à la surface. Ses parents lui manquaient terriblement. Sans nouvelle d'eux, elle préférait les imaginer dans l'au-delà. C'était plus facile ainsi et ça la protégeait d'une cruelle désillusion.

 

Une heure durant, elle pratiqua le même geste sans se rendre compte des minutes qui défilaient. Ses cheveux n'avaient jamais été aussi lisses et pourtant, elle persistait à les coiffer lentement, comme hypnotisée par son reflet qu'elle observait fixement sans même en prendre conscience. Depuis son réveil, le temps semblait s'être arrêté.

 

La chambre fournie contenait le strict minimum, à savoir un lit, une petite salle de bain et une coiffeuse. Son premier acte en se levant fut de se précipiter sous la douche. Une fois propre, elle avait enfilé une robe de soie blanche maillée de dentelles, légèrement ouverte sur la poitrine, puis s'était assise sur cette chaise de bois qu'elle n'avait pas quitté depuis. Rien ne lui interdisait de se vêtir et de quitter cette petite pièce exiguë pour découvrir l'immensité de la base, mais elle redoutait l'instant où elle aurait à soutenir le regard des autres. Au fond, elle n'en éprouvait aucune envie. Se terrer dans un trou et ne plus en sortir se présentait comme la seule option viable, surtout à considérer son état d'esprit du moment. Pourtant, elle espérait changer, évoluer, mais tout la ramenait à cette fameuse grotte et à cette sinistre impression de n'en être jamais véritablement sortie. Tout bien considéré, son séjour forcé à Pyléa ne lui apparaissait plus aussi cruel en comparaison de ce qu'elle avait enduré depuis. Subir la souffrance de ses amis autant que la sienne la consumait à petit feu. Ses aspirations au bonheur, elle les avait balayées d'une traite en apprenant la mort de Wesley, mais elle espérait le vivre par procuration dans les yeux de ses amis les plus proches. Hélas, eux-mêmes semblaient frappés du même mal. Le mauvais sort lui collait à la peau, comme si à chaque fois qu'elle arpentait un sentier, un panneau à l'entrée stipulait « toi qui entres ici, perds tout espoir », comme si tous ses choix résultaient obstinément par le même échec.

 

Quelquefois, elle s'imaginait laisser sa place à Illyria, disparaître pour toujours dans un néant duquel toute idée de bien ou de mal être serait effacée, au profit d'une absence totale de pensée. Elle n'en était pas fière, mais lorsqu'on la confondait avec la déesse démone, elle éprouvait une forme de jalousie. L'hypothèse qu' Illyria puisse devenir une meilleure version d'elle-même cheminait dans ses pensées, jusqu'à désirer se confondre dans l'ombre de cette dernière. Tout le monde semblait l'apprécier. De ce fait, Fred culpabilisait d'avoir subtilisé la nouvelle vie que la déesse démone s'était forgée alors que de son côté, elle n'attendait plus rien de la sienne. Du moins, sa dépression passagère la forçait à considérer le verre à moitié vide. Fred restait une battante. Coutumière de cette phase dépressive, elle savait pertinemment qu'elle remonterait la pente, que les mauvaises pensées disparaîtraient tôt ou tard. Heureusement, un tapotement à la porte vint la libérer de son spleen. Sans aucune envie d'y répondre, elle se leva néanmoins et s'orienta à pas feutrés en direction du bruit sourd martelé à plusieurs reprises. Lorsqu'elle ouvrit la portière, elle se trouva nez à nez avec Spike. C'est en observant le malaise s'immiscer sur le visage du vampire qu'elle prit conscience de l'accoutrement dans lequel elle se présentait. Éprise d'une pudeur soudaine, elle croisa les bras sur sa poitrine.

 

-Désolé ! Je ne m'attendais pas à avoir de la visite aussi tôt dans la matinée.

 

-La matinée vient de se terminer y a quoi...deux heures maintenant. T'es sûre que tout va bien ? s'inquiéta le vampire en la dévisageant.

 

-Oui, ne t'en fais pas, je suis juste un peu décalé c'est tout.

 

Spike se montra sceptique quant à la version de la jeune femme. Se forcer à montrer un visage en totale contradiction avec l'humeur du moment, il connaissait, et percevait d'autant plus aisément cet artifice chez les autres.

 

-Je peux ? ajouta-t-il en manifestant son envie d'entrer.

 

-Oh oui, bien sûr ! Désolé, je veux dire. Tu peux entrer.

 

Habitué à côtoyer le vampire, Fred en oubliait parfois les règles d'hospitalité. Elle lui ouvrit grand la porte et referma aussitôt derrière elle. Spike prit la température des lieux.

 

-Plutôt pas mal comme taudis. Dans ma piaule aussi ils ont mis une coiffeuse au cas où j'aurai l'intention de me faire une beauté, mais je ne t'apprends rien si j’te révèle que le miroir et moi on n’est pas très copain.

 

-Tu es beau comme tu es, plaisanta-t-elle en souriant.

 

-Tu m’le dirai si...

 

Spike mima une grosse touffe de cheveux ébouriffée au-dessus de son crâne.

 

...enfin, si mes cheveux décidaient de se rebeller comme… tu sais qui.

 

-Rassure-toi, tu es loin de …

 

Elle mima à son tour le geste.

 

...enfin tu sais.

 

-Ouais, je l'ai toujours suspecté de laisser pousser ses cheveux pour cacher son grand front d’intellectuel.

 

La rivalité entre les deux vampires la fit sourire. Apprenant à ses dépens et malgré ses efforts, qu'il était inutile de les réconcilier, elle s'en accommodait en ayant la certitude que cette haine apparente cachait un lien plus profond, presque familial, bien difficile de remettre en question. Spike exerçait un fascinant pouvoir sur sa personne. Quelques minutes en sa compagnie eurent suffi à dissiper son spleen. Sa façon bien à lui de relativiser et son tempérament de feu prévalaient à chaque fois lorsqu'il s'agissait de bousculer son entourage et de les tirer vers le haut. Son énergie débordante arborait un effet galvanisant naturellement thérapeutique, de ce fait sa seule présence suffisait à la réconforter. Pourtant cette même présence lui rappelait ses propres mensonges et il devenait bien difficile de ne serait-ce que soutenir son regard, ce qu'il ne manqua pas de remarquer.

 

-Est-ce que tu es sûre que tout va bien ? insista-t-il .

 

-Oui, ça fait deux fois que tu me le demandes, je t'assure que tout va bien, dit-elle en lui tournant le dos. Pourquoi ça n'irait pas ?

 

Le vampire posa une main amicale sur son épaule, puis la retourna délicatement de façon à ce qu'elle ne puisse plus fuir. Leurs visages se retrouvèrent à une telle proximité qu'elle se sentit piégée.

 

-À d'autres, dit-il en la couvant des yeux. Je croyais qu'il n'y avait pas de secret entre nous.

 

Elle tenta de lui tenir tête, mais son attitude évasive prêtait à quelques réticences.

 

-Je ne vois pas de quoi tu parles.

 

-OK, tout va bien alors ?

 

-Oui ! persista-t-elle

 

-Alors, confirme-le-moi, mais en me regardant dans les yeux.

 

Pris sur le fait, elle n'eut d'autre choix que de s'y plier. Incapable de s'y résoudre, elle s'écarta de lui en faisant les cent pas.

 

-Décidément, pourquoi les vampires sont toujours aussi têtus ?

 

-C'est à ça que sert un ami non ? Et puis il faut dire que tu n'es pas très doué pour mentir. Tu es sans doute trop honnête pour ça.

 

-Alors comment expliques-tu que j'ai pu te cacher la vérité pendant tout ce temps ? avoua-t-elle avec un air de chien battu.

 

-Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

 

Fred, dans l'incapacité de faire machine arrière, prit la seule décision qui s'imposait. Il était temps de libérer ce poids sur sa conscience, alors elle s'approcha du vampire en le fixant, sans se défiler cette fois-ci.

 

-Je t'ai menti et j'aimerais t'en parler, le seul souci c'est que dès que tu t'enlises dans un mensonge, tu ne peux plus revenir en arrière et tout se bouscule dans ta tête. C'est comme un trou noir dans lequel tu tourbillonnes sans ne jamais retrouver la sortie et je...

 

-Temps mort, l'interrompit-il. OK, calme-toi. Assieds-toi et dis-moi tout.

 

Elle se laissa entraîner sur le lit puis inspira profondément pour reprendre son calme.

 

-Ce que je veux dire c'est que l'idée de participer à ces combats de rue ne venait pas tout à fait de moi... En fait, ça faisait partie du plan. J'avais vraiment l'intention de t'en parler, mais je ne voulais pas qu'en cas d'échec, tu en souffres, et finalement ça na servit à rien puisque tu continues de souffrir et de mon côté, je me retrouve comme à chaque fois, impuissante face à cette énième déconvenue, avec en prime la sensation d'être une affreuse complotiste.

 

Le vampire peinait à suivre un semblant de raisonnement dans ce tumulte de phrases s'entrecroisant sans y trouver le moindre fil conducteur.

 

-Mais bon sang, de quoi tu parles ?

 

Fred inspira profondément.

 

-Tu t'en souviens quand je t'ai implicitement évoqué l'idée de participer à ces tournois pour gagner de l'argent et couvrir nos besoins ? Eh bien tout ça, ce n'était pas vraiment mon idée... C'était celle d'Angel.

 

Le simple nom de son rival provoqua en lui une colère palpable.

 

-Angel ? Bon sang, mais qu'est-ce qu'il a encore à voir là-dedans ?

 

-Il est venu me trouver à plusieurs reprises. Au départ, je voulais te le dire, mais il souhaitait rester caché. Connaissant vos antécédents, je n'ai pas voulu insister. C'est lui qui a soumis l'idée de te faire participer au tournoi. Angel savait que tu passerais sur les écrans du monde entier et que si Giles et les autres te voyaient, alors ils trouveraient le moyen de nous contacter. On avait passé tellement de temps à essayer de mettre la main sur Buffy que je ne voulais pas te dévoiler le plan au cas où ça échouerait. Finalement, ça a fonctionné au-delà de mes espérances, mais je n'imaginais pas que celle qui était censée te rendre le sourire manquerait à l'appel. Je suis vraiment désolé.

 

Suite à ces révélations, le vampire fut traversé par une multitude d'émotions toutes plus contradictoires les unes que les autres. La colère prit toutefois l'ascendant sur tout le reste.

 

-Impossible, j'aurai détecté sa présence. Je l'aurai forcément senti sur toi.

 

-Certainement, sauf qu'il y avait cette espèce d'aura magique qui l'entourait. Sans doute un sort lui permettant de passer inaperçu, et puis il portait un masque et des gants.

 

-Un masque ?

 

C'est alors que le souvenir de l'inconnu croisé lors du tournoi et cette sensation familière éprouvée à son contact, prirent enfin sens.

 

-Bon sang, mais quel crétin j'ai été, bougonna-t-il en serrant le poing. Dire que si j'ai voulu participer à tout ça, c'était pour t'offrir une meilleure vie, pour qu'enfin tu puisses te libérer de mon foutu fardeau. Apprendre que j'ai été manipulé par cet enfoiré ne m'étonne pas des masses, mais par toi, ça je l'aurai jamais imaginé.

 

Le vampire ne tenait plus en place. C'était à son tour de faire les cent pas, tandis que Fred resta figé sur place à tenter de ramasser les morceaux de son cœur éparpillé à la petite cuillère. La vérité était douloureuse et elle l'apprenait à ses dépens.

 

-Si je ne t'ai rien dit, c'est parce que je ne voulais pas te faire subir une désillusion de plus. Tu as parfaitement le droit de me haïr, mais je n'en pouvais plus de te voir réagir comme si de rien n’était. Tu as consenti à tellement de sacrifices pour moi. C'est de ma faute si aujourd'hui tu n'es pas avec celle que tu aimes. Je voulais simplement réparer mes erreurs. Je sais que tu as tout fait pour ne jamais me le faire ressentir, mais c'est une évidence, sans moi, tu serais encore à ses côtés à l'heure qu'il est.

 

Spike s'efforça de contenir sa rage débordante. Le poids de la trahison fut tel qu'il éprouva le besoin de tout envoyer valser, de tout rejeter, de tout casser, pourtant, dès lors qu'il posait le regard sur Fred, sa colère s'estompait malgré lui. Il aurait tant voulu lui cracher des reproches, la haïr ne serait-ce qu'un peu, mais il ne put s'y résoudre. Frustré, il s'assit sur le bord du lit, à ses côtés, sans parler. Fred n'osa rien dire non plus. Ils restèrent dans cette position pendant un moment, laissant le silence, seul, opérer en maître des lieux, un silence embarrassant que Fred subissait comme une épreuve à la limite du supportable. Spike leva les yeux dans sa direction. Il hésita un moment puis s'efforça de prendre la parole.

 

-OK ! soupira-t-il.

 

-OK ? répéta-t-elle en s'interrogeant sur ses intentions.

 

-On est OK, confirma le vampire. Écoute, je t'en veux à mort et je ne suis pas près de passer l'éponge.

 

-Oh, constata-t-elle tristement en baissant la tête.

 

-Mais, accentua-t-il délibérément. Je crois que je comprends ce que t'as essayé de faire en me cachant la vérité. Je sais aussi que ça a dû être un enfer pour toi de mentir avec autant de talent.

 

Elle se mit à rougir de honte.

 

… Je considère que tu as déjà assez payé pour ça. Bien évidemment, je ne pourrai jamais plus te faire confiance, mais blague mise à part, j'aimerais vraiment que tu cesses de vouloir me protéger. Au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, je suis un grand garçon. En tant qu'ami, j'apprécierais que tu ne cherches pas à porter le poids de ma souffrance sur tes épaules. Est-ce que tu t'en sens capable ?

 

-Promis, fit-elle soulagée. Je ne te cacherai plus rien.

 

-OK, dans ce cas...

 

Le vampire n'eut pas le temps de réagir qu'elle se jeta dans ses bras, le prenant au dépourvu. Son corps à moitié nu collé contre le sien accentua l'embarras de ce dernier. Fred, ayant oublié, sous le coup de l'euphorie, qu'elle portait une tenue légère, s'éloigna aussitôt en avoir pris conscience.

 

-Désolé...C'est que je n'ai pas pu refréner mes pulsions, je... je crois que je vais aller m'habiller.

 

-Ouais ! acquiesça-t-il confus en évitant de croiser son regard. Ça me paraît être une bonne idée.

 

Alors qu'elle se dirigea à la hâte en direction de la salle de bain, elle stoppa brusquement sa course puis se retourna.

 

-En parlant de tout se dire... Angel m'a transmis une adresse. Elle mène à Los Angeles. Je suis censé y trouver un membre de ma famille. Enfin, tu connais Angel, s'il avait été plus clair, je l'aurai soupçonné d'être un imposteur.

 

-Un membre de ta famille ? Et tu penses que...

 

-Je n’en sais rien, le coupa-t-elle. Mais j'ai besoin d'en avoir le cœur net.

 

Au même moment, l'on frappa à la porte. La voix d'Andrew les invita à rejoindre le quartier général dans les plus brefs délais.

 

*******

 

Tous s'agglutinèrent autour de la longue table ovale sur laquelle s'exerçaient d'ordinaire les conseils de guerre et autres débats importants. Faith présidait la réunion et bien que décisionnaire, les avis de ses partenaires l'aiguillaient pour partie. Fred et Spike furent les derniers à rejoindre la troupe. La jeune femme siégeait à l'autre bout de la table, tandis que le vampire se tenait debout derrière elle, les bras croisés. Tous les regards étaient rivés sur Faith et Seyia, les principales vectrices du débat en devenir.

 

-Merci à tous d'être là ! Je ne vais pas aller par quatre chemins, je dois prendre une décision et j'ai besoin de vos avis. Seyia, à toi l'honneur.

 

La tueuse se racla la gorge avant d'entamer son discours. Tout d'abord hésitante, elle puisa en elle l'assurance nécessaire à l'expression de ses convictions.

 

-Voilà, je... Je voulais vous remercier pour tous les risques que vous avez pris en me rapatriant parmi vous et je vous en serai éternellement reconnaissante...

 

-Mais..., ajouta Giles en s'attirant les foudres de l'assemblée pour l'avoir coupé en plein discours. Euh, je présume qu'il y a un, mais, n'est-ce pas ?

 

-Mais... accentua Seyia. Je ne peux pas rester parmi vous à attendre que ça se passe.

 

Fortement agacé par ce commentaire, Robin haussa le ton.

 

-On en a déjà parlé tous les deux. Je pensais que tu avais assimilé la réalité de notre situation. On veut tout autant que toi en finir avec l'empire, mais pour le moment, nous n'avons pas cette opportunité.

 

-Je sais, tempéra la tueuse. Je ne remets pas en cause votre façon de faire. Je sais pertinemment que vous faites de votre mieux avec ce que vous avez, mais je ne veux pas attendre que l'occasion se présente. Qui sait combien d'années cela prendra avant qu'un nouvel espoir puisse renaître. D'ailleurs est ce que ce moment arrivera ? personne n'en sait rien.

 

-Et que proposes-tu ? questionna Sam. Tu ne te rends pas compte des sacrifices qu'il a fallu pour créer cet espace de vie. On ne peut pas risquer de tout perdre dans une attaque kamikaze.

 

-Elle a raison, continua Riley. Sans compter que le centre névralgique se situe à Londres et qu'il nous est pour le moment impossible de déplacer autant de monde sans éveiller les soupçons. Nos contacts basés sur place nous tiennent au courant de la situation, mais il nous manque une armée capable de monter une insurrection. Pour le moment, nous sommes trop éparpillés et nous manquons d'hommes.

 

-Vous ne m'avez pas comprise. Je ne vous demande pas l'impossible. Je comprends bien la situation, ce n'est pas de ça qu'il s'agit. Riley, tu dis qu'on manque d'hommes et je suis d'accord. Il faut rallier du monde à notre cause et ça commence par la plus grande guerrière que la terre n’ait jamais connue. J'ai l'intention de retrouver Buffy.

 

L'annonce fut fracassante. Un lourd silence imprégna la pièce, comme si le fait de mentionner le nom de la tueuse avait fait ressurgir des émotions vives dans le cœur de chacun. Le vampire, subjugué par la volonté intarissable de la jeune tueuse, la comprenait plus que quiconque. Nul ne souhaitait le retour de Buffy plus que lui, pour autant les faits ne prêchaient pas en leur faveur.

 

-J'ai déjà essayé, avoua Spike. J'ai tout fait pour la retrouver. J'ai sillonné le monde depuis une décennie dans ce but, sans succès...

 

Sa voix trahissait une douleur profondément enfuie que Giles partageait à sa façon, dans un silence empreint de mélancolie. La question s'était déjà posée il y a des années et aucune solution n'avait été trouvée. Tous ressassaient leur échec à l'exception d'Andrew, toujours absorbé par la discussion précédente.

 

-J'ai trouvé, cria-t-il en bousculant l'auditoire. On n’est pas de taille à combattre Wolfram et Hart. Le magicien d'Oz était dans la même situation. On pourrait créer des illusions monstrueuses pour leur faire peur et le tour est joué. Enfin, pour ça, il faudrait trouver une sorcière et...

 

En remarquant les mines défaites de ses amis, Andrew fut rattrapé par la dure réalité.

 

...En fait, soupira-t-il en inclinant la tête. Je ne suis qu'un pauvre imbécile vivant dans un monde imaginaire. Désolé.

 

Seyia, interpellée par la contribution d'Andrew, ne l'entendait pas de cette oreille.

 

-Tu es loin d'être un imbécile Andrew. Je dirai même que tu es un génie, le complimenta-t-elle dans l'euphorie du moment. Ce qu'il nous faut, c'est une sorcière.

 

-Si tu fais allusion à Willow, alors tu vas être déçue, rétorqua Giles. Elle demeure aussi introuvable que Buffy, mais tu le sais déjà.

 

-Oh, mais je ne faisais pas allusion à Willow, répondit-elle en fixant obstinément Leina.

 

Cette dernière, fortement mise sous pression, fut la première étonnée d'avoir été ciblée de la sorte. Elle recourut à l’œil complice d'Alex, mais celui-ci au même titre que les autres, l'épiait l'air intrigué.

 

-Tu peux développer ? interrogea Faith intéressée.

 

-L'équation est simple. Pour trouver Buffy, nous devons mettre la main sur Willow. La seule qui possède une connexion spirituelle avec elle, c'est toi Leina. Tu as été sa disciple.

 

-Attends deux secondes. Temps mort, objecta la jeune femme en agitant ses mains. Oui, j'ai été sa disciple et je connais quelques rudiments en sorcellerie, mais je ne suis qu'une novice dans le domaine. Je ne vois pas en quoi mes connaissances pourraient nous aider à la retrouver. Elle a littéralement quitté notre dimension. Dieu seul sait où elle doit se cacher. D'ailleurs, est-elle encore vivante ?

 

-Cesse de te sous-estimer, s'emporta Seyia. Tu prétends être une débutante, mais tu as été l'élève de la sorcière la plus puissante de ce monde. Ça fait de toi la seule personne à pouvoir établir un contact avec elle. Écoutez tous. Je ne m'y connais pas vraiment en sorcellerie, mais je sais qu'il existe un lien fort entre les maîtres et leurs disciples, à plus forte partie dans le domaine de la magie. Il existe forcément un moyen de lancer un appel. Vous connaissez Willow mieux que je ne le pourrai jamais, il n'y a rien qu'elle ne puisse faire. Si Leina tentait d'entrer en communication avec elle, même à des milliers de miles de distance, je reste persuadé qu'elle l'entendrait. Nous devons au moins essayer. Leina, il n'y a que toi qui puisses le faire.

 

-Tu penses que c'est faisable ? insista Spike. S’il y a un espoir, il faut le tenter.

 

Alex opéra un bond de sa chaise.

 

-Hé, on se calme. Je crois que vous êtes tous un peu trop optimistes. C'est de ma femme dont il s'agit et après tout ce qu'elle réalise, il est inutile de lui mettre plus de pression sur les épaules.

 

-Je vais essayer ! affirma Leina en posant un regard résolu sur son mari.

 

-Tu es sûre ? Personne ne t'en voudra si tu refuses. Tu n'as plus pratiqué de magie depuis des années, et ces choses-là peuvent être dangereuses.

 

-Alex a raison, continua Giles. Tu es la jeune femme la plus douée que je connaisse, mais établir ce genre de contact requière une maîtrise parfaite des arcanes ésotériques, sans quoi ton corps risque de ne pas le supporter, sans compter que cela pourrait engendrer des incidents fâcheux.

 

Parfaitement consciente des risques, Leina aurait culpabilisé pour le restant de ses jours de ne pas avoir tenté l'impossible. L'idée de vivre avec ce sentiment d'inachevé la répugnait au dernier degré.

 

-Ma décision est prise, persista-t-elle en se retournant vers Seyia. Tu as raison. Qui ne tente rien n'a rien.

 

La tueuse hocha légèrement la tête en guise de gratitude. Fred profita de cet instant pour communiquer à la troupe, les connaissances en sa possession ainsi que l'adresse transmise par Angel. Elle émit la volonté de quitter la base pour rejoindre Los Angeles dans l'espoir d'obtenir des réponses. Faith prit cet engagement avec sérieux. Connaissant le ténébreux et son rôle obscur dans les circonstances qui ont permis les retrouvailles avec Spike, elle ne doutait pas du bien-fondé de cette nouvelle piste. Soupçonnant le vampire d'être l'artisan de leur fuite au Colisée, chaque révélation attisait sa curiosité et son désir d'éclaircir les zones d'ombre. Avec l'aval de Giles et du reste de l'équipe, Faith pesa le pour et le contre avant de prendre sa décision définitive.

 

-Très bien. Fred partira demain matin, annonça-t-elle avant de poser son regard sur son second. Riley, désolé de te mettre encore à contribution, mais tu es le plus qualifié pour l'accompagner.

 

Faith se refusait à prendre le risque d'intégrer plus de personnes dans cette mission, sous peine de trop attirer l'attention. La situation à Los Angeles ne permettait pas un attroupement conséquent, à considérer l'état d'alerte dans laquelle se trouvait la ville, suite aux attaques perpétrées par le groupuscule connu sous l'intitulé des «Anges ». Le soldat, extrêmement doué dans le rôle de garde du corps, ferait amplement l'affaire. Spike ne semblait pas enchanté à l'idée, mais il n'en fit pas débat. La perspective de retrouver Buffy le mettait dans un état presque second.

 

********

 

Suite à cette réunion, tous se démenèrent pour se procurer les outils nécessaires à Leina, à savoir des runes et des bougies. Le matériel fut installé dans une salle vidée de ses attributs afin d'instaurer une atmosphère sereine, indissociable de la pratique de la magie, sans compter que moins les meubles et les objets encombraient l'espace, moins le risque se trouvait important de tout détériorer. Tous gardaient encore en mémoire le pan de façade de l'ancien manoir complètement désagrégé par Willlow, lors de l'une de ses séances transcendantales. Chaque rune, représentant l'un des quatre points cardinaux, entourait la silhouette de Leina en position du lotus. Les paupières closes, cette dernière tenta de faire abstraction des observateurs postés à l'extérieur de son champ d'action et prêts à intervenir en cas de problème. Stressée par l'enjeu, elle puisa en elle l'esprit de quiétude nécessaire aux murmures des écrits sacrés.

 

-Qui pereunt te, exaudi me vocationem, ut nostri praeter alia telam texit iter nexus inter animabus nostris, obsecro te, exaudi me voca.

 

Leina répéta sans cesse ce sortilège sans que rien ne se produise. Pas un souffle. Pas un fait un tant soit peu anormal. Ne demeurait que le silence de l'échec. Pourtant, elle était persuadée de prononcer les bonnes paroles. Après plusieurs tentatives avortées, le doute s'immisça sur ses propres capacités. Après tout, comme elle s'évertuait à le stipuler, elle n'était qu'une novice.

 

...Je suis désolé, se découragea-t-elle en s'extirpant de sa concentration. Je n'y arrive pas. Je n'ai pas ce qu'il faut.

 

-Rien ne presse, l'encouragea Giles. Prends ton temps. La magie n'est pas qu'une banale accumulation de paroles et de mots, c'est une question de sensation. Tu ne dois pas réciter un texte par cœur, tu dois le faire tien, le ressentir comme s'il faisait partie de toi. Ressens-le.

 

Leina inspira fortement par le nez en gonflant son diaphragme, puis relâcha son souffle. Elle se concentra sur sa respiration, jusqu'à ralentir les pulsations de son cœur. Focalisée sur son être intérieur, elle sentit une douce chaleur parcourir son corps. Pour la première fois, elle parvint à en oublier sa propre existence, ainsi que toutes les présences autour. Elle récita naturellement les textes ésotériques en donnant un sens aux mots, une volonté, une image, celle de Willow et de ces précieux moments partagés à pratiquer dans cette immense salle du manoir. La sensation de sa main contre la sienne, du flot d' énergie vibrant entre leurs deux pôles, l’intuition d’une présence à ses côtés : sa concentration venait de franchir un horizon encore inexploré. Telle une prière, Leina récita les versets et ils se répandaient dans l'espace, prenaient vie sous son souffle et son articulation.

 

-Qui pereunt te, exaudi me vocationem, ut nostri praeter alia telam texit iter nexus inter animabus nostris, obsecro te, exaudi me voca.

 

Ces paroles trouvèrent un écho dans les méandres d'une dimension lointaine, la happant progressivement. Cette sensation de légèreté, cette enveloppe charnelle quittant son corps pour s'élever au-delà de ses certitudes, au-delà d'un monde dont elle n'avait jamais effleuré l'existence, l'impression que tous les trésors du ciel s'offraient à son âme : cette expérience lui inspirait un goût d’inédit. Elle sentit son corps se soulever, se déplacer à travers les nuages, irrésistiblement attiré par la gravité d'un point d'ancrage lointain et lumineux. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, le spectacle qui s’offrait à elle dépassait l'entendement. Le chant mélodieux du vent, les feuilles des arbres dansantes et chantantes, l'eau se déversant dans le courant calme, les oiseaux gazouillants et les biches venant s'y sustenter : ce Nouveau Monde se matérialisait sous ses pieds. Sa silhouette baignait dans une oasis de quiétude, tel qu'il n'en existait que dans ses rêves les plus fous. Tout coexistait en parfaite harmonie. Le décor naturel se montrait en phase avec tous les merveilleux animaux qui l'habitaient.

 

En touchant terre, ses pas la conduisirent à cet étang dans lequel une magnifique cascade déversait cet étrange fluide, d'un bleu éclatant. Attiré comme un aimant, son corps pénétra la matière jusqu'à s'immerger totalement. Comme en apesanteur, elle se laissa porter par les fines bulles d'air se confondant avec sa peau à la perfection. Sa respiration limpide et ses pupilles ne souffraient d'aucune agression au contact du liquide. Tout y apparaissait clairement comme en plein jour. Une silhouette imprécise à la forme de l'eau se dessina devant ses yeux, jusqu'à se modeler et apparaître sous les traits d'une humaine au visage angélique. Une peau de porcelaine, une longue chevelure blonde bouclée et des yeux verts saisissants : son allure n'était pas sans rappeler, les magnifiques fées contées dans les romans d'enfant, trop parfaite pour prétendre être réelle. La fée de l'eau semblait vouloir communiquer en lui tendant la main. Leina avait l'étrange impression de la connaître. Ne percevant aucune animosité émanant de cette entité pour laquelle elle vouait une confiance irrationnelle, elle joignit la paume de sa main à la sienne.

 

-Aide-moi ! implora la voix cristalline.

 

Brusquement, son enveloppe charnelle fut happée par le vide abyssal. Leina avait beau se débattre, elle chutait inexorablement dans les abîmes, craignant l'instant où son corps s'écraserait contre le sol. Le souffle coupé, l'estomac totalement retourné, elle se voyait percuter de tout son poids la surface solide qui s'approchait à une vitesse folle. Elle ferma les yeux avant l'impact puis ce fut le trou noir. Lorsque ses paupières s'ouvrirent, un halo de lumière contenant un fluide comparable à celui de l'étang, se matérialisa devant elle. Un portail inter dimensionnel s'était formé dans la salle, sous les regards subjugués des intervenants. Leina, qui s'y trouvait à proximité, confronta son regard à l’ensemble.

 

-J'ai réussi, cria-t-elle pour combler le bruit engendré par la source de magie instable. Je ne sais pas ce qu'il y a derrière, mais j'ai la sensation que Willow s'y trouve.

 

-S'il y a une chance de retrouver Buffy, je fais partie du voyage, annonça Spike en s'approchant du portail.

 

-Non ! C'est trop dangereux, intervint Faith. Si tu y vas, tu risques d'être réduit en poussière. Imagine-toi débarquer en pleine journée, sans compter qu'on ne sait pas quels effets indésirables peuvent se produire dans cette dimension.

 

-Elle a raison, protesta Fred. La fois ou Angel a débarqué à Pyléa, il s'est changé en monstre sanguinaire et il ne faisait plus la différence entre ses amis et ses ennemis.

 

-Et alors, protesta Spike. Hors de question de renoncer pour si peu.

 

-La règle de trois, réagit Leina. Seuls trois d'entre nous doivent emprunter le portail ou nos corps pourraient se désintégrer. Il faut que je fasse partie du voyage, si ça se passe mal, je suis la seule à pouvoir nous ramener.

 

Alex s'avança à son tour.

 

-Dans ce cas, je viens. Hors de question de te laisser y aller seule. Willow et Buffy sont mes amis, si j'ai une chance de les aider, alors il n'y a pas à hésiter.

 

-Non, tu restes ici, réfuta Leina. Sarah a besoin de toi. Si jamais je ne reviens pas, il faut que l'un de nous soit présent pour elle.

 

-On reviendra tous les deux, affirma Alex avant de se retourner vers Giles. On compte sur vous pour prendre soin de Sarah en attendant.

 

Giles acquiesça d'un hochement de tête.

 

-Il faut se dépêcher, insista Leina. Je ne sais pas combien de temps le portail va tenir et sans les runes, on ne pourra plus retenter l'expérience de sitôt. Il faut se décider maintenant.

 

-Parfait, on est trois, s’avança Spike. Qu'est-ce qu'on attend ?

 

Faith se tourna vers Seyia en lui soumettant la Scythe de la tueuse.

 

-Quand tu verras Buffy, tu lui transmettras ce qui lui revient de droit. Je suis sûre que tu y arriveras.

 

Seyia sentit son cœur s’emballer, en saisissant l'arme entre ses mains. Faith lui accordait sa confiance et elle ferait tout pour s'en montrer digne.

 

-Je la ramènerai ! Comptes sur moi. Je les ramènerai toutes les deux.

 

Elles échangèrent un dernier regard avant que la brune n'entame sa course à travers le portail. Leina, Alex, et Seyia, franchirent la porte des étoiles, sous le regard désespéré du vampire qui voyait s'envoler ses dernières chances d'intégrer l'expédition. Illyria s'était éveillée pour l'empêcher de commettre un acte désespéré. Elle l'avait retenue de force en entravant ses mouvements, jusqu'à ce que le portail ne disparaisse à quelques pas de lui. Le vampire se laissa tomber sur les genoux, couvé par le regard sombre de la déesse démone qui s'effaça progressivement pour laisser sa place à Fred. Remarquant l'état du vampire, la jeune femme inclina la tête de côté, meurtrie par cette indicible souffrance, cette perpétuelle désillusion.

 

*********

 

La nuit fut de courte durée pour Fred. Ressasser les événements de la journée ne fut pas d'un grand secours dans sa quête de sommeil. À chaque fois qu'elle fermait les yeux, ses pensées la ramenaient fatalement à Spike et à ses tourments. Pourtant, elle n'en voulait pas à Illyria. Bien au contraire, elle approuvait son acte. Lors du transfert de personnalité, elle avait pu ressentir à quel point la démone agissait à contrecœur, et elle la respectait pour cela. Concernant Riley, la nuit dans les bras de Sam fut plus apaisée. Les veilles de mission, le soldat prenait l'habitude de se détendre et de vivre le moment présent, évitant ainsi tout stress inutile.

 

Le jour J, les deux missionnés se tenaient prêts à entamer leur périple. Riley, armé jusqu'aux dents, portait une combinaison noire équipée de tout l’arsenal d'un agent de terrain. Fred, quant à elle se distinguait par sa tenue très discrète : un pantalon, un pull-over, ainsi qu'un fin manteau de cuir dissimulant une petite arme de poing. Autant dire que le contraste entre les deux alliés sautait aux yeux. N'étant pas une guerrière, la jeune femme n'assumait pas de revêtir un accoutrement militaire susceptible de la gêner dans le feu de l'action. Une fois réunis dans le parking, Riley prit naturellement le volant tandis que Fred s’installa à la place passager. Un léger coup d’œil dans le rétro et le vrombissement du moteur s'actionna en même temps que les phares. Le soldat enclencha la première lorsqu'une voix sortie de nulle part les fit sursauter conjointement.

 

-Alors comme ça, on revient au bercail.

 

Riley se retourna aussitôt pour remarquer le vampire nonchalamment installé à l'arrière, les deux bras collés à leurs appui-têtes et le buste penché vers l'avant. Riley freina brusquement, jusqu'à immobiliser le véhicule dans un crissement de pneu.

 

-Spike. Sors de là. Tu ne fais pas partie de la mission.

 

Le vampire fit mine de réfléchir.

 

-Hm, non ! assura-t-il sur un ton méprisant.

 

-Ne m'oblige pas à te faire descendre par la force.

 

-Tu te surestimes un peu là, tu crois pas ?

 

Voyant la situation s'envenimer, Fred jugea bon de réagir en basculant son corps entre les deux.

 

-Les garçons, ce n'est vraiment pas le moment de se battre entre nous, et puis Spike pourrait nous aider. Il connaît parfaitement Los Angeles. Sans compter qu'en cas de coups durs, sa force pourrait nous être utile.

 

Riley n'affichait pas un air convaincu.

 

-Spike est ingérable et cette mission requiert un minimum de discrétion. Il risque de tout foutre par terre.

 

-Hé, le boyscout, je ne suis pas là pour toi, mais pour elle. Elle sera plus en sécurité avec moi. Tu as toujours été trop tendre.

 

Fred se réjouissait d'une part et de l'autre, fut éprise d'une furieuse envie de l'envoyer balader. Après tout, elle n'avait rien d'une demoiselle en détresse. Riley, légèrement décontenancé par la situation, se décida malgré tout à prendre la seule décision qui s'imposait.

 

-OK, tu viens, mais à la moindre embrouille, j’te réduis en cendre.

 

Spike et Fred échangèrent un sourire complice à peine décelable. Le soldat enclencha la première et reprit la route dans le tunnel en saisissant la radio.

 

-Vous pouvez ouvrir les portes, on sort. Oh... et au fait, l'hostile 17 fait partie du voyage.

 

Spike lui lança un regard noir en se remémorant le temps où l'initiative l'avait capturé pour en faire leur rat de laboratoire. Fred soupira. Les hostilités étaient lancées. Ce voyage n'allait décidément pas être de tout repos.

 

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