Shanshu II - Wolfram & Hart

Chapitre 15 : LE SANGUINAIRE

11651 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 21/06/2024 05:43

                                                          Chapitre 15 LE SANGUINAIRE

 

Las Vegas. Quoi de plus en adéquation avec son époque que le temple du pêché sur terre. Perdu au milieu du désert du Nevada, le monstre dévorait toutes les âmes avides, désireuses de s'offrir immodérément. Fondée en 1905 dans le but d'établir une route commerciale liant le Nouveau-Mexique à Los Angeles, la ville connut un fort développement dans les années 30, sous l'égide de la légalisation des jeux d'argent. Attirant les organisations mafieuses comme un aimant, une période propice à la prostitution et à la création d’hôtels et de casinos en tout genre s'ensuivit. L'ogre n'avait pas cessé de se développer depuis, et ce n'était pas l'apocalypse qui allait enrayer son ascension fulgurante. Le casino ne perd jamais, et à considérer Las Vegas comme un vaste terrain de jeux dans lequel l'argent proliférait à chaque coin de rue, c'est tout naturellement que Wolfram et Hart en firent leur antre de débauche.

 

D'aucuns disent que la mainmise de la firme maléfique sur la ville datait de bien avant la nouvelle ère. Utilisée comme un terrain d'expérimentation à grande échelle, on prêtait à Las Vegas des ambitions avant-gardistes qui s'étaient avérées prophétiques, quant à la marche du monde l'ayant érigé comme modèle. Le ministère de l'économie, situé dans la tour du Joyau à Londres, lorgnait avidement sur cette poule aux œufs d'or qui octroyait à l'empire des recettes sans commune mesure. Chaque jour, des milliards, en transactions financières, se transféraient à la capitale, finançant tous les secteurs du pouvoir en place. Le succès de la ville se voulait tel que les médias focalisaient avec insistance sur toutes les activités permettant de la mettre en valeur. Dans cette perspective, avait lieu tous les ans le rendez-vous incontournable, centre de toutes les attentions du moment, le fameux « World Tour Aréna ».

 

Le ''Las Vegas Stadium'' accueillait la retransmission la plus suivie de l'année. Abritant jusqu'à soixante-douze mille places, l'enceinte se situait à quelques encablures du Strip, grande avenue principale desservant tous les bâtiments de luxe de la ville. De l’extérieur, l'infrastructure reflétait sur ses façades vitrées, les contours des buildings postés autour de la grande artère, tandis que la nuit, elle offrait sur toute sa circonférence des milliers de lumières scintillantes comme des étoiles. Au sommet de la devanture principale, un immense écran faisait défiler la promotion de l’événement, en même temps que les différents sponsors, avec pour finalité, différentes personnalités vantant les mérites du pouvoir sans qui tout ceci n'aurait jamais pu exister. Tous ces moyens furent mis en œuvre dans le but de substituer les anciens sports proscrits depuis l'avènement de Wolfram et Hart. Le pouvoir en place avait instauré, à tout à chacun, une vie de dur labeur, et tout ce qui ne participait pas d'une productivité quelconque se trouvait radiés de ce monde. Ainsi, toutes les activités sportives furent délaissées au profit de ce seul divertissement, à même de constituer le parfait condensé de tous les autres.

 

Considérés comme l'opium du peuple, les combats d'arène, datant de l'époque romaine, n'avaient rien perdu de leur attrayante sauvagerie. L'odeur du sang relevait d'un besoin primaire chez toute espèce, reléguant bien souvent au second plan les avancées morales accumulées au cours des siècles d'histoire. Le topo se voulait simple. Une arène et des combattants s'affrontant jusqu'à la mort ou la mise en déroute de leurs adversaires. À la clé, une notoriété et une récompense de plusieurs milliers de Wolfs, monnaie internationalement reconnue, assurant au vainqueur de passer le reste de sa vie dans le confort et l'opulence. Peu étaient les individus capables de s'offrir des places dans le stade, ce qui laissait libre court à une ribambelle d'invités de marque qui, pour soigner leur image, y trouvaient là l'occasion de se montrer à travers les écrans. Ainsi se trouvaient rassemblé au même endroit, tout le gratin des puissants de ce monde. Les pauvres gens se contentaient de suivre la retransmission de par les antennes télévisuelles et radiophoniques qui en appelaient constamment, par l'entremise des publicités abondantes, à perdre le peu d'argent gagné dans des paris leur faisant miroiter le jackpot. Douce illusion que celle-ci, puisqu’à l'exception de rares chanceux, des milliards d'autres s'en trouvaient irrémédiablement lésés.

 

La semaine précédant les jeux, la sécurité fut renforcée, si bien que les patrouilles miliciennes déjà actives dans la ville, donnaient l'impression d'évoluer en temps de guerre. Avec les différentes factions de la résistance sévissant à proximité, toutes les mesures étaient prises pour éviter le moindre débordement. Des sommes folles avaient été dépensées afin de permettre l'aboutissement de cette machine bien huilée, et les organisateurs vivaient sans cesse avec une épée de Damoclès au-dessus de leur tête. Si par malheur, un grain de sable en venait à enrayer la mécanique, alors les répercussions engendrées seraient de nature, non seulement à remettre en cause la crédibilité de l'empire, mais également à donner du grain à moudre à tous les complotistes avides de la moindre étincelle pour tout faire embraser. Toutes les caméras étaient braquées sur cette manifestation, et quel meilleur message envoyé au monde que de saboter l’événement le plus retransmis sur les ondes.

 

L'individu responsable de l'organisation en était également le fondateur. D'aucuns le connaissaient sous sa véritable identité. Il se faisait appeler « Le Sorcier » et siégeait comme à son habitude dans la tribune centrale, entouré de ses convives les plus aisés. Assez charismatique pour envoûter son petit monde, les traits de son visage assez fins ainsi que son apparence au global, ne présageaient pas de son âge. Ayant la soixantaine passé, aucune teinte de blanc ne colorait les racines de ses cheveux courts et légèrement bouclés. Sa silhouette était celle d'un homme à la carrure svelte et élancée, sans masse graisseuse apparente. Son corps si fin, presque maigre, semblait entretenir les effets d'une cure de produits bio, ce qui dénotait avec sa garde rapprochée d'homme d'affaires en tout genre portant sur leurs chairs tous les excès d'une caste bien trop privilégiée. Le sourire affiché en compagnie de ses convives lui donnait inexorablement un air crapuleux, empreint d'une espièglerie presque enfantine. L'homme ne passait pas inaperçu dans sa toge blanche, ample, et sa couronne de laurier sur la tête. Rien de perturbant à considérer l'ambiance particulière de Las Vegas, laissant place à toutes les touches d'excentricité allant de connivence avec la ville du King. Le fondateur, au talent certain pour promouvoir son bébé, l'avait bien compris en se pavanant en Jules César d’opérette. Une fois de plus, il se réjouissait de constater la réussite de son entreprise, et cette ferveur qui ne décroissait pas avec le temps.

 

Le stade affichait complet et l'audience battait des records. Tant que tout se passait sans encombre, alors il continuerait de rouler sur l'or et de jouir de privilèges octroyés à quelques rares élus. Faible récompense si l'on considérait qu'au moindre pépin, il s'en irait rejoindre la fausse aux crocodiles, ou la version moderne d'une exécution tout aussi spectaculaire. Pour l'heure, il en était à apprécier, non sans appréhension, le spectacle sur le point de débuter.

 

*

 

Dans les tribunes, Fred occupait les premiers rangs. Sa place lui fut acquise, de par sa relation avec l'un des participants. Ces sièges étaient prisés puisqu'ils accordaient une visibilité au plus près de l'action, pourtant, elle ne le considérait pas comme un privilège. Si elle devait opter pour un emplacement, alors ce serait assurément loin de ce stade duquel suintait une odeur âcre de mort. Loin d'apprécier ce genre de spectacle, et à plus forte partie lorsque son ami jouait sa vie en y participant, elle entretenait la désagréable impression de ne pas s'y trouver à sa place. En attestaient les mines réjouies et impatientes des supporters qui se délectaient de cette débauche de violence programmée. À côté d'elle, un démon à la peau pendante piocha dans un cornet de frites avant de l'interpeller.

 

-C'est votre première ?

 

Tout d'abord surprise, un léger laps de temps lui fut nécessaire pour se rendre compte qu'on lui adressait la parole.

 

-Pardon ? s'enquit-elle en espérant ne pas avoir à débuter une conversation, alors qu'elle avait juste envie qu'on lui foute la paix.

 

Parler mondanité avec un inconnu ne fut pas une franche réussite la dernière fois, et elle ne se voyait pas réitérer l’expérience. Entamer une discussion avec une personne ayant payé pour assister à un massacre organisé ne l'enchantait guère, mais pour cela, il aurait fallu qu'elle fasse la sourde oreille, et elle avait d’ores et déjà répondu par convenance à son appel. Ce qu'elle se détestait à demeurer la fille de bonne nature qu'elle a toujours été. Quelquefois, elle enviait le caractère de Spike. Sûrement que ça lui rendrait la vie plus facile. Profitant de la perche tendue, le démon reprit avec éloquence.

 

-Je disais, c'est votre première fois ici ? continua-t-il en haussant le ton pour se faire entendre dans le brouhaha ambiant.

 

Elle hocha timidement la tête. Après tout, si elle ne parlait pas, peut-être qu'il se déciderait lui-même à lâcher l'affaire, et à continuer à s'empiffrer de frittes bien trop huileuses. Doux rêve que celui-ci. Il faut dire que le bougre avait du répondant.

 

…Je m'en doutais. Moi, c'est la cinquième fois de suite que je viens, admit-il avec une fierté non feinte en indiquant le chiffre de sa main palmée. Vous allez voir, une fois qu'on y a goûté, on ne peut plus s'en passer. Cette année, Trepkos est de la partie. Ce mec est imbattable. J'ai parié sur lui.

 

-Trepkos ? tiqua Fred qui, tant qu'à entamer un dialogue long et ennuyeux, se décida à joindre l'utile au désagréable, en allant à la pêche aux informations. Il est si fort que ça ?

 

-Si fort que ça ? Vous êtes loin du compte. Ce type est le champion en titre. Je le connais bien, on a un ami commun, et je peux vous dire que ceux qui vont tomber sur lui n'ont aucune chance. La dernière fois que je l'ai vu combattre, il a arraché la tête de son adversaire à main nue. Rien que d'y penser, ça me fait frissonner. Enfin, pour les humains ça peut paraître un peu brutal, mais pour les démons, voir tout ce débit d' hémoglobine gicler de partout, ça donne le sang à la bouche. Votre race préfère l'eau au sang, c'est sûr, je ne juge pas. Chacun ses préférences. Tenez par exemple, avant Wolfram et Hart, autant être franc avec vous, je me nourrissais d'humains. C'était pas contre vous, attention, c'est juste que c'était naturel, un peu comme vous avec vos vaches. Vous les bouffez bien ? Et bien moi, c'était pareil avec les humains. Figurez-vous que maintenant que je suis au régime forcé, j'ai dû perdre, quoi, dix kilos au moins.

 

Fred hocha timidement la tête en simulant un air intéressé. Elle ne savait pas pourquoi les inconnus prenaient un malsain plaisir à se confier à sa personne, mais elle aurait apprécié que cela cesse. Ignorer ce qui l'attendait la stressait, et désormais consciente du type d'adversaires qu'aurait à affronter le vampire, elle avait largement dépassé ce stade. Le démon, ayant perçu son inquiétude, jugea bon de la rassurer.

 

...Oh, mais ne vous en faites pas, vous ne craignez rien. Et puis, vous n'auriez pas été une pièce de choix. Vous êtes bien trop maigre. Moi je les préfère grasses. C'est beaucoup plus consistant, et surtout, y a plus de viande à mastiquer.

 

-Trop aimable ! ironisa-t-elle en ressassant son long séjour à Pyléa, avant qu'Angel ne vienne la délivrer de cette dimension infernale.

 

En ce temps-là, elle était considérée comme une vache par les habitants, à ceci près qu'ils se servaient d'elle comme esclave, à défaut de constituer leur repas quotidien. La belle époque, regretta-t-elle sur le fait. Alors que rien ne semblait vouloir faire taire son voisin de fortune, la grâce divine vint y mettre son grain de sel. Du moins l'estima-t-elle ainsi, en levant la tête, interpellée par le bruissement mécanique. Le toit rétractable referma son emprise sur le stade, annonçant très prochainement le début des festivités.

 

*

 

À quelques encablures, une silhouette féminine, aux longs cheveux noirs ondulés, guettait avec attention la suite des événements. Un masque de dentelle finement brodé couvrait son magnifique regard bleuté, valorisant d'autant plus ses lèvres peintes d'un rouge éclatant. Une robe noire dentelée et écharpée entourait délicatement sa peau satinée, comme autant de fleurs épousant son corps svelte aux formes attrayantes. Une sensualité prononcée se dégageait de ce brin de femme, dont le visage dissimulé laissait deviner une beauté à se damner.

 

Alors que la foule aboyait d'impatience, dans l'attente de voir débarquer les protagonistes, elle, ne semblait pas s'en préoccuper outre mesure. L'expression de son visage ne montrait pas un attrait prononcé pour le spectacle, au contraire de la meute trépignant d'impatience autour d'elle. Elle donnait l'impression de chercher une présence, jusqu'à ce que son regard ne soit accaparé par une silhouette lointaine. L'individu masqué lui rendit le change. Tous deux s'épièrent, comme connectés l'un à l'autre parmi la multitude. Un léger rictus au coin répondant à un hochement de tête mit fin à cet échange à distance.

 

L'individu masqué regagna les entrailles du stade, en empruntant un couloir sombre interdit aux spectateurs ordinaires. Non pas qu'il n'en soit pas un, mais avoir des connaissances dans le milieu simplifiait les choses, à plus forte raison lorsque le favori des jeux usait de son influence pour lui octroyer un libre accès à l’infrastructure. Trepkos portait sur lui la gloire d'avoir remporté l'édition précédente. C'était la première fois que le champion remettait son titre en jeux, aussi jouissait-il de privilèges dignes de sa renommée. Sa réputation à elle seule attirait les foules. La grande question perçant toutes les lèvres était de savoir si, oui ou non, le guerrier se trouvait capable de récidiver l'exploit. Du jamais vu depuis l'ouverture des jeux, et les parieurs ne manquaient pas de s'y intéresser. De ce fait, les recettes n'avaient jamais été aussi fructueuses. Il ne s'agissait donc pas de contrarier d'une quelconque façon, le principal atout de ce succès.

 

Le vampire rejoignit la centaine de combattants dans la fosse, cette énorme salle dans laquelle les guerriers entassés en nombre se côtoyaient, échangeaient parfois jusqu'à sympathiser, avant de se donner la mort dans l'arène. Telle demeurait la loi du sport. Dans les coulisses, aucune haine ne se lisait dans les cœurs. Certains priaient, d'autres s'échauffaient, tandis que les plus sereins restaient assis calmement dans l'attente que le gong sonne. C'était le cas de Trepkos.

 

Le démon exhibait une solide constitution. Son torse totalement dénudé exposait toute l'étendue d'une musculature saillante. Son épiderme ressemblait à celui d'un humain. Seule la partie supérieure, teintée de légères noirceurs allant de ses pectoraux à son cou, tranchait avec le reste. Une carapace auréolée d'une couronne d'épines recouvrait entièrement le sommet de son crâne jusqu'à la base de son nez. Assis patiemment sur un banc à se craquer les phalanges, Trepkos fut rejoint par l'homme au masque. Ce dernier ayant éprouvé une difficulté de tous les diables à se frayer un passage parmi les participants, se réjouissait de parvenir enfin à destination.

 

-Tout ce monde me file le tournis. Tu te sens prêt ?

 

Le démon le dévisagea d'une expression ne laissant aucune place au doute.

 

...Question idiote, continua le vampire. Tu sais, j'avais presque oublié à quel point tu manquais d'éloquence.

 

-Et moi j'avais oublié à quel point tu avais la langue bien pendue.

 

-Généralement non, réfuta Angel. Mais à côté de toi, je ne suis pas étonné de passer pour quelqu'un de bavard.

 

-J'aurais préféré te combattre dans l'arène. La dernière fois que nous nous sommes affrontés, il n'y avait pas vraiment eu de gagnant.

 

Les deux individus affichaient une complicité qui de prime abord, ne semblait pas relever de l'évidence. Pourtant, de par leur passif , il existait entre eux un profond respect mutuel. Faits prisonniers à l'époque par une bande de bookmakers, dans le but de les confronter dans une cage sous l’œil avisé de parieurs peu scrupuleux, le vampire et le démon avaient fini par coopérer en refusant de s’entre-tuer. Aidés par Cordélia et Wesley, ils avaient gagné leur liberté en se rebellant contre leur geôlier, dans un élan d’héroïsme que Spartacus n'aurait pas renié. Le vampire qui s'en était sorti avec perte et fracas en gardait un souvenir douloureux.

 

-Tu plaisantes ? La dernière fois que nous nous sommes affrontés, il m'a fallu une semaine pour m'en remettre.

 

-Tu aurais pu me porter le coup de grâce, pourtant tu ne l'as pas fait. Tu as toujours été trop tendre vampire. Tu n'avais pas la tête à ce combat.

 

-Crois-moi, dans un sens comme dans l'autre, tu aurais eu le dernier mot à l'époque.

 

-Et aujourd'hui ?

 

-Je pense que nous ne le saurons jamais, reprit Angel. À mon grand soulagement.

 

Trapkos s'en trouva perturbé. Il avait accepté de remettre son titre en jeux à sa demande. Lorsque l'homme masqué l'avait contacté en requérant son aide, il n'avait pas su dire non. Secrètement, le démon miroitait l'espoir de s'adonner à un deuxième affrontement, mais les circonstances n'étaient pas propices. Le vampire, dans l'incapacité de dévoiler son identité tenue secrète jusqu'alors, semblait accaparé par d'autres priorités. Pourtant, les combattants à même de rivaliser avec lui se comptaient sur les doigts d'une main, et Angel occupait le haut du peloton.

 

-Celui qui participe à ce tournoi, il te vaut ? s’enquit-il, en espérant un challenger à la hauteur.

 

-Spike ? Je peux t'assurer qu'il te causera des problèmes. Il est coriace et imprévisible, à plus forte raison lorsqu'il est acculé. Si tu veux un conseil, ne le sous-estime pas, et reste toujours sur tes gardes. Si tu doutes de ses capacités, dis-toi qu'il a éliminé deux tueuses et il est devenu bien plus dangereux depuis.

 

Loin de s’inquiéter, le démon se réjouissait de se confronter à pareil adversaire. Il se redressa en serrant le poing dans l'envie d'en découdre.

 

...N'oublie pas, reprit le vampire avec une certaine appréhension. Le but n'est pas de vous entre-tuer. Si tu peux éviter de l'affronter, fais-le. Dans tous les cas, j'ai besoin qu'il reste en vie. Tu penses que tu en es capable ?

 

-Je n'ai pas pour principe d'épargner mes adversaires, mais si je l'ai déjà fait avec toi, alors je le ferai avec lui. J’espère simplement que quand tout sera terminé, tu m'accorderas un véritable combat, rien que toi et moi, peu importe où. J'ai besoin de savoir.

 

-Désolé de te décevoir, mais je garde la primauté pour la revanche !!!

 

Cette voix nasillarde, un tantinet criarde, venait de s'inviter opportunément dans la discussion. Un autre démon marqua son apparition, accoutré d'un long manteau de cocher beige.

 

-Boon ! l'identifia Angel, qui sous son masque ne cachait pas un certain enthousiasme.

 

Les pièces du puzzle s'assemblaient à la perfection.

 

-Lui-même, en chair et en os, reprit le démon à la peau bleuté en agrippant son col et en inclinant le buste en guise de présentation. Ça fait plaisir de te revoir aussi, Ang..

 

Il se ravisa aussitôt.

 

...J'oubliais. On ne peut plus t'appeler par ton nom sans risquer de déclencher une seconde apocalypse. Toi et ta foutue manie de te mettre Wolfram et Hart à dos. Dire qu'à l'époque, ce n'était encore qu'une bande d'avocats véreux.

 

-Oui ! confirma Angel. On peut dire qu'ils ont fait du chemin depuis.

 

-C'est certain ! raisonna le démon, en laissant un silence en suspens. Au fait, pas mal ton masque. Le côté mystérieux est assez classe. Une chance que tu ne respires pas.

 

Nonobstant le fait que le côté mystérieux fut fortement mis à mal par Fred qui l'avait reconnu au premier coup d’œil malgré son accoutrement, le vampire ne réfuta pas. Le masque n'était qu'un outil et jusqu'à présent, il remplissait parfaitement sa fonction première de le dissimuler à l'ensemble de la population. Son visage ayant été placardé sur l'ensemble du globe, la moindre personne susceptible de le reconnaître représentait un danger potentiel. Sans cet artifice, la milice et l'armée auraient eu tôt fait de lui mettre la main dessus. Whistler avait été de bon conseil, comme toujours.

 

-Ça démange un peu à l'encolure, mais on finit par s'y faire, bougonna le vampire avant d'entamer les présentations. Boon, Trepkos. Trepkos, Boon.

 

Les deux démons se toisèrent en préservant leur distance, une façon de mesurer l'étendue de leur appréhension. Boon, plus loquace, se décida néanmoins à briser le silence.

 

-J'ai suivi tes prouesses dans l'arène. Impressionnant. Il faut dire aussi que je n'y participais pas.

 

-Une chance alors de pallier à ce problème aujourd'hui, répliqua Trepkos de son habituelle sérénité.

 

Le vampire, témoin de la tension excessive entre les deux combattants, en venait à reconsidérer le choix d'avoir fait appel à leurs services. Il redoutait que, régentés par leur soif d'en découdre, la mission ne passe au second plan.

 

Comme Trepkos, Angel avait combattu Boon par le passé. Le cabinet d'avocat avait sollicité ses services de mercenaire pour s'occuper du vampire, mais ce fut sans compter sur le sens de l'honneur du démon, incapable de se résoudre à pareille bassesse. Celui-ci s'était retourné contre ses commanditaires en aidant Angel à voler une somme d'argent conséquente à Wolfram et hart, à la condition d'un affrontement qui déciderait du meilleur combattant. Après une terrible lutte, le ténébreux en était sorti victorieux in extremis, et avait versé l'intégralité de la cagnotte au profit d'un centre d’accueil pour jeunes en difficulté.

 

Pour les avoir affrontés tous les deux en ayant subi de graves blessures à chaque fois, Angel savait leur efficacité, mais leur caractère bien trempé risquait de nuire à l'accomplissement de leur mission. Une fois consumée leur lassitude à se lorgner comme deux fauves, les deux démons portèrent leur attention sur le vampire.

 

-Et toi ? L'interpella Boon. Qu'est-ce que tu vas faire pendant ce temps ? Siroter un verre de sang chaud dans les gradins?

 

-J'ai à faire ailleurs, répondit vaguement le vampire sans chercher à en dévoiler plus. Je suis simplement venu dire bonjour.

 

Sur ces mots, Angel prit congé de ses associés en levant la main en guise d’au revoir, sans même leur adresser un regard. Dans la foule, son chemin croisa celui de son rival.

 

**

 

Spike fut épris d'une étrange sensation. L'individu masqué venait de le frôler, et ce dernier avait éveillé en lui une réaction épidermique inattendue. Lorsque son épaule bouscula le cuir de l’inconnu, une perception familière l'avait submergée. Son intuition lui jouait rarement des tours et lui commandait de ne pas le quitter des yeux, jusqu'à ce que ce dernier disparaisse dans le défilé de participants. Le vampire demeura quelque seconde en suspens, perdu dans le sillage de l'homme mystérieux. L'introspection ne permit pas de rattacher cette insaisissable cognition à une connaissance, fusse-t-elle lointaine. Un échange avec l’étranger lui aurait sans doute permis d'y voir plus clair, mais ce n'était pas le moment de s'adonner à ce contretemps. Il lui fallait rester concentré sur l'objectif. Spike haïssait sa condition le réduisant à être fiché comme une vache à l'abattoir.

 

-Bon sang, qu'on en finisse, balbutia-t-il en levant les yeux au plafond terne.

 

Le vampire détestait se donner en spectacle, et à plus forte raison, lorsqu'il ne l'avait pas choisi. Réfractaire à ce qu'on lui impose un code de conduite, il haïssait revêtir le rôle de simple distraction pour des spectateurs qu'il se serait fait un plaisir de mordre du temps où il n'avait pas d'âme. Quelques fois, il regrettait cette époque révolue, lorsque sa conscience n'était pas un frein à ses penchants meurtriers et à cette débauche de violence gratuite qu'il extériorisait à coup de pulsions névrotiques. En ce temps-là, il n'aurait jamais accepté de faire le pantin pour Wolfram et Hart, ou quiconque, à part bien sûr si l’appât du gain en valait la peine. Et même dans cette perspective, il aurait fatalement fini par faire cavalier seul en trahissant joyeusement ses commanditaires. Ainsi se comportait «le sanguinaire ». Désormais, de sanguinaire, il n'en restait qu'un titre pompeux qu'il lui faudrait retrouver dans les plus brefs délais s'il souhaitait sortir vivant de ce guêpier.

 

Spike eut tout loisir d'observer ses concurrents directs, et l'adversité promettait d'être rude. Tous semblaient expérimentés et dangereux et pour cause, chacun remplissait avec brio les conditions nécessaires à leur participation. Le ticket d'or à l'effigie des trois signes témoignait de cette légitimité. Étant donné le nombre exorbitant de participants, Spike ne se voulait pas très optimiste quant à une courte et significative résolution. De la sueur, de la souffrance et du sang, voilà ce qui l'attendait. Une routine en somme pour celui dont la vie ne fut qu'une continuité de luttes acharnées et de violence entrecoupée à de trop rares occasions par quelques moments de répit rimant bien souvent avec Buffy.

 

S'il se trouvait dans cette situation, c'était à cause d'une fille. Pour une fois, elle n'était pas blonde, mais brune, et tout comme la tueuse, à moitié démoniaque, ce qui ne l'empêchait pas d'être tout aussi jolie. L'argent remporté la mettrait définitivement à l'abri du besoin, et lui permettrait de jouir d'une vie calme et posée, loin de ses propres chimères destructrices. Trop d'années perdues à courir à la recherche d'un espoir vain. Il fallait que tout cela cesse une bonne fois pour toutes. Buffy était devenue un mirage après lequel il courait, et tel un ver de terre amoureux d'une étoile, il réalisait que son aspiration n'était qu'illusion, un rêve magnifique, mais irréel. Ces dix années depuis la séparation auraient dû le mettre sur la voie. Spike traînait la réputation d'être persévérant, mais l'évidence s'imposait d'elle-même. Cette quête représentait son chemin de croix, et il ne souhaitait plus l'imposer à Fred plus que de raison. Dans son long périple, la jeune femme lui avait toujours apporté son soutien inconditionnel, sacrifiant beaucoup sans ne jamais se plaindre. Il était temps de lui rendre la pareille.

 

Fin prêt à se lancer dans l'arène, le vampire fut épris d'une gêne persistante. Cela faisait un moment déjà qu'il suspectait d'attiser quelques regards intéressés, mais chaque fois qu'il se retournait pour en déceler la provenance, ses sens s’évanouissaient subitement. Tout d'abord l'homme masqué, puis cette perpétuelle perception, il en venait à s'imaginer victime de paranoïa, loin de se douter qu'à quelques pas, un regard l'épiait, caché dans l'ombre.

 

Lorsque le gong sonna, Spike entrevit la fin de son long calvaire. Si gérer l’appréhension et l'excitation suscitées par cette longue attente constituait le gros du défi, le reste relèverait d'une simple formalité. Une fois dans l'arène, le vampire n'aurait pas à se poser cent mille questions. Il lui suffirait de rester en vie, et cela, il savait le faire mieux que quiconque.

 

Suivant le mouvement de la foule, il longea le mur d'enceinte. Tandis que le mécanisme de fermeture s'enclencha, il perçut enfin la lumière au bout du tunnel. Puissants et aveuglants, les faisceaux lumineux sillonnaient le terrain de toute part. D'imposants projecteurs éclairaient la zone de combat ainsi que les spectateurs en effervescence. À l'apparition des guerriers, la clameur du public bourdonna sur la vaste étendue sablonneuse.

 

Le protocole stipulait aux participants de rejoindre le centre du terrain afin de saluer la foule, ainsi que l'hôte de cet immense rassemblement. Le vampire suivit bien malgré lui l'attroupement. Cette fois-ci, il n'avait pas jugé bon de revêtir son long manteau de cuir. Il s'en trouva bien inspiré sur le fait. Les vêtements qu'il portait étaient interchangeables, tandis que le fameux totem marquant son identité, lui ne l'était pas. Penser à son accoutrement à ce moment précis l'empêchait de focaliser sur ce protocole ridicule qui dépréciait son habileté à ne jamais suivre le troupeau. Cette foule grouillante de toute part, cette masse de petits points dont il ne dissociait plus les contours avait le don d'éveiller en lui un mal de crâne intense, comme un vertige. Ses sens de vampires exacerbés, comparés au commun des mortels et aux démons ordinaires, devenaient un fardeau dans ces circonstances. Les claquements de mains, les cris hystériques de milliers de voix hurlante, lui perçaient les tympans, attisant en lui le désir qu'enfin, ce cinéma cesse pour laisser place à la seule sincérité qui soit. Celle qui ne trichait pas. Une lutte pour la gloire et la survie.

 

Une fois les gladiateurs réunis au centre du terrain, la clameur s'estompa et toutes les caméras furent braquées sur la tribune officielle. Le discours, attendu avec impatience par le public puisqu'il devait sonner le coup d'envoi des jeux, allait débuter. Jules césar s'extirpa de son trône et leva la main cérémonieusement, comme s'il désirait prêter serment. Il s'essaya au micro, bien relayé par les écrans géants situés aux quatre coins du stade.

 

-Avé, gladiateurs, prononça le maître de cérémonie en guise d'introduction. Ceux qui vont vivre vous salut.

 

La foule, très amen à s'esclaffer d'un rien, remplissait parfaitement son office, au grand damne des participants forcés de subir ce folklore à la limite de l'indécence. En bon chef d'orchestre, l'hôte apaisa les rires d'un geste de la main avant de poursuivre.

 

...Veni, Vidi, Vici, c'est ce que proclamait Jules César lorsqu'il revint victorieux d'une campagne o combien désespérée. Si je fais ce parallèle aujourd'hui, c'est que vous êtes tous, vous, guerriers, dans une situation désespérée. Il ne tient qu'à vous de créer l'exploit qui vous permettra de pouvoir proclamer un jour, devant la gloire éternelle qui sera octroyée au vainqueur, je suis venu, j'ai vu, et j'ai vaincu. Ce que j'aimerai dire aux téléspectateurs qui nous regardent à travers le monde, c'est merci. Merci de continuer à nous suivre avec autant de ferveur. Sans vous, cette grande fête annuelle n'aurait jamais été possible. Et j'aimerais que vous gardiez à l'esprit que tout n'arrive pas sans raison et qu'il fut un temps où j'étais moi aussi à votre place. Lorsque vous me percevez tel que j'apparais devant vous, je devine certaines pensées. Vous vous dites, mais fichtre, cet homme doit rouler sur l'or. Et bien vous avez raison. Je suis riche. J'ai tout ce dont un homme peut rêver, en plus d'une plastique attrayante, mais comme à ces valeureux combattants, j'aimerai dire qu'il ne tient désormais plus qu'à vous de prendre votre destin en main. La chance, il faut savoir la provoquer. Et pour cela, rien de plus simple. Il suffit de vous connecter sur la toile et de parier. Moi même quand je n'avais rien, quand je ne possédais rien, quand je n'étais rien, j'ai fait un pari sur la vie, et j'ai fini par gagner. Il ne tient qu'à vous d'être Jules César, Pharaon, ou roi, ou que sais-je, tant que vous n'ayez pas pour dessein d'être un Dieu.

 

L'homme au sourire charmeur et au discours convenu arborait sur son visage un air scélérat. Son élocution captiva la foule soumise docilement à ses sarcasmes.

 

…Bien, continua-t-il. Pour ceux qui vivaient jusqu'à présent dans une grotte, je vais rappeler les règles. En fait, il n'y en a aucune. Tous les coups sont permis. Les armes blanches sont autorisées pourvu que ce soit nous qui vous les fournissions. Seules les armes à feu sont évidemment proscrites. Pour le reste, que le meilleur gagne. Je déclare par la présente, la sixième édition des jeux ouverte. Gloire à Wolfram et Hart.

 

Les participants se dispersèrent aussitôt sur l'immense étendue, à l’affût du décompte chanté par la foule en liesse. Le clairon sonna le coup d'envoi. Les premières charges ne se firent pas attendre, et les centaines de participants soulevèrent de leurs appuis, une nuée de poussière qui obstrua momentanément la vue des spectateurs. Les gémissements des premières pertes furent étouffés par la vocifération de la foule assujettie au carnage et à la désolation. L'appel du sang n'avait d'égal que l’enthousiasme procuré par les corps inanimés et déchiquetés, jonchant le sol dans l’indifférence générale.

 

Acteur de ce triste spectacle, le vampire, tout d'abord récalcitrant à apporter la mort à ses concurrents, comprit à son grand désarroi qu'il n'allait pas avoir le choix. S'adonner à quelque retenue que ce soit serait synonyme de suicide, et de ce côté-là, il avait les idées claires. Survivre coûte que coûte. Pourtant dans le tumulte, il se sentait totalement désemparé. En temps normal, que ce soit en un contre un ou dans une bataille rangée, identifier ses opposants constituait une banalité, mais cette fois-ci, les règles étaient totalement faussées. Seul contre tous, et tous contre lui, s'il se focalisait sur un adversaire en particulier, alors il prenait le risque de se livrer à d'autres ne guettant qu'une occasion favorable pour sévir. Dans ce cas de figure, son instinct s'avérait sa meilleure arme. Plus le temps de penser, il fallait frapper fort, et d'entrée de jeux, marquer son territoire.

 

Alors qu'un assaillant tenta une approche dans son angle mort, le vampire aux aguets, se déroba d'un pas de retrait, et l'accueillit d'un terrible chassé du pied qui le fit basculer au sol. Sans attendre, il lui piétina le crâne de sa semelle. Se faisant, il ne remarqua pas la terrible masse venant percuter son visage de plein fouet. La puissance du coup mélangée à la surprise engendrée le fit vaciller. Heureusement, sa mâchoire en avait vu d'autres. Il encaissa et saisit aussitôt la jambe de son adversaire dans le creux de son bras, avant de briser son articulation. Le craquement sec engendra un gémissement noyé par les vagues successives d'âmes en perdition. Alors qu'un démon de deux fois sa carrure l'avait ciblé parmi la multitude, Spike, prêt à le recevoir, vit son assaillant se faire percuter dans son élan par un autre agresseur. Décontenancé, le vampire ne remarqua pas l'arrivée fortuite d'un adversaire derrière son dos. Le fourbe resserra sa prise autour de son cou. La pression fut telle que tout être rejetant du co2 aurait succombé à l'étranglement, malheur que sa condition vampirique prit soin de lui épargner. Sentant son corps se soulever malgré lui, Spike du jouer des coudes afin de se soustraire à l'emprise de son adversaire. Il pivota aussitôt et lui assena une terrible droite qui lui fit mordre la poussière instantanément.

 

Isolé, seul contre tous, Spike ne savait plus où donner de la tête. Le vampire éprouvait un mal de chien à ancrer ses appuis au sol, si bien que ses mouvements, d'ordinaire si agiles, n'exprimaient plus leur efficacité d’antan. Mais était-ce véritablement la cause du problème ou n'était-ce qu'une excuse visant à justifier ses difficultés à combattre ? Après tout, ses adversaires subissaient les mêmes contraintes. Pourtant, quelque chose clochait. Son corps ne réagissait pas comme espéré. Ses jambes lui semblaient lourdes et l'ensemble de son organisme, régi par une fatigue inhabituelle.

 

Lorsqu'il croisa les yeux rouge sang d'une bête aux crocs tranchants comme des lames de rasoir, le vampire n'eut pas le temps de s'extraire de sa torpeur, qu'une terrible douleur tenailla son estomac. Les yeux écarquillés, les sourcils froncés et la mâchoire serrée, Spike s’évertua à dompter cette souffrance vive. Le choc l'avait complètement paralysé, et son cerveau embrumé n'estimait plus la moindre information. À la merci de la bête, il eut tout juste le temps d'ouvrir les yeux pour apercevoir une silhouette aux longs cheveux châtains fondre sur son bourreau et le tirer d'une bien mauvaise situation. Secouant la tête pour reprendre ses esprits, le rescapé semblait amorphe. Une secousse à quelque pas, suivi d'un appel d'air, se rappela à son inattention, et sans même pouvoir réagir, son corps fut projeté comme un fétu de paille. Il tournoya sur lui-même comme un pantin désarticulé, dans une dimension où le ciel et la terre se mélangeaient, en totale perte de repère. Sa course brutale trouva une finalité fracassante sur la surface sablonneuse qui ne lui avait jamais semblé aussi dure qu'à l'instant où il la heurta de toute sa masse.

 

***

 

Boon, empêtré dans une lutte titanesque, n'avait rien manqué de la scène. Muni d'un alliage renforcé à ses avant-bras et ses phalanges, le démon se livra à un véritable récital au corps à corps. Dans le sillage de son manteau virevoltant de toute part, ses adversaires jonchaient le sol, baignant dans leur propre sang, tandis que les plus chanceux furent projetés sur plusieurs mètres, à la limite de l'inconscience. Le démon, dont la mission consistait à garder un œil sur le vampire, n'avait pu intervenir en faveur de ce dernier. Il avait entraperçu du coin de l’œil, une guerrière au visage voilé se précipiter au secours de Spike, avant qu'un autre prédateur, plus opportuniste, ne vienne achever le travail. Boon tenta de se frayer un passage vers sa cible en fâcheuse posture, mais ce qui sur le papier relevait d'une simplicité enfantine, s'avéra impossible dans le feu de l'action. Ce n'est que lorsque son regard croisa celui de Trepkos qu'il fut libéré d'un poids. Ce dernier s'était naturellement érigé en protecteur du vampire, en repoussant quiconque avait le malheur de s'en approcher. Impressionné par la puissance brute de son rival et par les cris de la foule scandant son nom, Boon n'avait pas l'intention de revêtir le rôle de faire valoir. Plus qu'une question d'honneur, c'était une question d'orgueil. Il se devait de rivaliser d'exploit avec le favori des jeux, aussi fut-il galvanisé par ce nouveau challenge. Redoublant d'efforts, il laissa libre cours à sa violence en pulvérisant par rangée tous ceux croisant ses poings renforcés.

 

De son côté, Trepkos se montrait digne de sa réputation en exterminant froidement ses opposants. Soulevant à bout de bras le pauvre inconscient, le démon exerça une pression sur sa trachée. Le craquement de la glotte ainsi que les yeux révulsés du cadavre en sursit agonisant sur le sol, eurent tôt fait de dissuader les moins téméraires de tenter leurs chances. Ainsi combattait le champion du Colisée. Son style incisif et bref lui avait valu le surnom d'« assassin » par la foule. Rares se trouvaient les guerriers capables de rivaliser et de soutenir quelques échanges sur la longueur. Généralement, lorsqu'il frappait, c'était en une fois, et il en résultait bien souvent la mort ou la mise hors d'état de nuire de ses victimes. Angel fut l'un des rares à lui tenir tête par le passé, et en dévisageant le vampire à moitié inconscient au sol, Trepkos ne put s’empêcher d'éprouver une légère déception. La créature hybride ne se montrait pas à la hauteur de ses espérances. L'affronter ne lui paraissait plus aussi stimulant qu'espéré. Pourtant, son œil aguerri avait pu déceler deux grands rivaux capables de lui tenir tête. Boon dont la prétention allait de pair avec ses actes et cette guerrière au visage partiellement recouvert, dont l'agilité et la brutalité déjouaient tous les pronostics.

 

Le public, ayant pris fait et cause pour Trepkos, s'en trouva dès lors partagé, et des voix toujours plus nombreuses supportaient la seule touche féminine sévissant dans l'arène. La guerrière, toute de cuir vêtue dans sa combinaison légère, faisait montre d'une habileté et d'une puissance hors du commun. Ses mouvements vifs et efficaces surclassaient ses concurrents. Elle se déplaçait en limitant le moindre geste superflu au profit d'une efficacité optimale. Malgré son corps svelte et athlétique, qu'elle dévoilait de par la seule brassière de lin recouvrant le haut de son corps, elle surpassait sans difficulté des démons aux gabarits autrement plus imposants. Ses longs cheveux châtains ondulaient sous ses déplacements, tandis qu'elle paraît et esquivait les assauts simultanés d'une équipe l'ayant prise pour cible. Il n'était pas rare face à un adversaire trop puissant de voir se former des alliances de circonstances. Bien souvent, ces mêmes alliances se déformaient aussitôt l'objet de leur coalition mise en échec, mais ce ne serait pas le cas cette fois-ci.

 

La guerrière en furie para un coup de poing, puis en pénétrant la garde du démon, contre attaqua de la pointe de son coude meurtrier. Dans le feu de l'action, elle saisit son poignet, puis d'une torsion, brisa ses articulations avant de l'amener au sol pour l'achever d'un coup de talon à la glotte. Un énième concurrent tenta une approche sournoise dans son dos, mais son sort ne fut guère plus heureux. En l'entourant de ses bras pour l'immobiliser, il vit son nez exploser en gerbe de sang lorsqu'elle projeta sèchement sa tête en arrière. Libérée de la saisie, elle fit pivoter son corps sur son centre, assenant un coup de pied retourné qui résonna dans la mâchoire brisée de son opposant. Celui-ci exerça plusieurs rotations sur lui-même avant d'être abruptement stoppé par la surface terreuse. Enfin, elle intercepta la jambe écailleuse d'une créature à tête de lézard, le déséquilibra d'un coup de paume sous le menton, puis le balaya au sol en l'achevant d'un coup de poing au plexus. De tous les participants concourant dans l'arène, c'était sans doute celle qui maîtrisait le mieux les arts martiaux ancestraux, et le public ne s'y trompait pas en la supportant avec ferveur.

 

****

 

Cloué au sol, Spike éprouvait toutes les difficultés du monde à se situer dans l'espace. Une douleur lancinante imprégnait sa boîte crânienne. Ses oreilles bourdonnaient, oscillant entre sonorité forte et faible, ce qui conforta son impression d'avoir la tête sous et hors de l'eau, dans une boucle incessante. Le bruissement vague, à la fois proche et lointain, de ce qu'il percevait comme étant des clameurs et des huées de la foule, se concentra en un acouphène strident et continu, provoquant la désagréable sonorité d'un électrocardiogramme en fin de vie. Son cerveau avait beau intimer à son corps de réagir, il n'en fit rien. Pourtant il ressentait le sol vibrant sous son corps inerte, ces grains de sable venant se perdre sur sa peau nacrée, comme le signe distinctif de mouvements autour de lui. À mesure que le bourdonnement s'amenuisa jusqu'à s'estomper définitivement, ses sens se régénérèrent. Son corps, allongé au milieu de tant d'autres, subissait les effluves âcres et appétissants du sang, mélangés à l'odeur plus réconfortante du sable chaud dans lequel il plongea ses doigts rêches pour mieux en apprécier le bon fonctionnement de ses articulations.

 

Tout s’articulait parfaitement. Les paupières closes, ses pensées voyagèrent dans ce simulacre de l'esprit. Bien que cela ne soit ni le lieu ni le moment, il lui fallait faire le point. Spike devait bien l'admettre. Ces dernières années, il s'était attendri. Cette hargne et cette colère qui l'habitaient du temps où il se faisait appeler le sanguinaire, et bien après cela, à la réhabilitation de son âme, restaient obstinément absentes. Ce n'était pas conscient, mais une partie de lui désirait échouer, parce qu'au fond, il avait perdu sa principale source de motivation. Cette étincelle, cette flamme, cet espoir infime de retrouver l'être aimé l'avait quitté, dévorant une partie de son âme qu'il lui fallait combler. Spike cherchait une raison, un simple déclic capable de raviver la flamme. C'est ainsi qu'elle apparut à ses songes, priant pour qu'il se relève. Son visage d'ange débordant d'émotion, son soutien indéfectible, son courage transmis des tribunes malgré la distance les séparant : il la ressentait infiltrer son âme. Il y a dix ans, il avait fait une promesse. Celle de la protéger. Il ferait plus que cela en lui offrant ce qui lui restait de vie pour espérer la revoir sourire.

 

Profitant de son apparente apathie, un démon jugea opportun de se ruer sur lui, les crocs en évidence prêts à broyer sa carotide. Un cri étouffé suivi d'un engourdissement brusque, et l'assaillant se retrouva subitement interrompu dans sa course folle. Le vampire releva la tête.

 

-fini de jouer. Faites place à William le sanguinaire.

 

L'empoignant à la gorge d'une seule main, Spike le projeta sur plusieurs mètres de distance. Laissant éclater sa colère, il leva la tête au ciel et cria de toute ses forces, en métamorphosant ses traits en ceux d'une créature sanguinaire, canines et yeux de fauve apparents. Habité d'une rage presque animale, le vampire se jeta dans la mêlée en rouant de coups tous ceux à proximité. Poing, pied, genoux, tête, tous les membres de son corps se heurtaient avec fracas dans la chair de ses opposants. Le vampire laissa libre cours à cette colère que personne ne semblait à même de dompter. Trepkos, témoin de sa montée en puissance, ravisa son jugement et trouva soudainement un attrait mêlé d'excitation, à l'idée de le combattre.

 

Se délectant du carnage auquel se livrait le suceur de sang, les spectateurs scindèrent leur choix plus minutieusement. Parmi eux, le maître de cérémonie affichait sur son visage toute l'étendue d'une satisfaction non feinte. Il entrevoyait déjà le succès record de cette édition, et la fortune dont il serait si gracieusement récompensé. Ce fut le moment idéal pour ajouter un peu de piment au spectacle. D'un geste de la main, il fit signe aux commis d'actionner l'interrupteur. Aussitôt, une ribambelle d'armes blanches en tout genre s'extirpa du sol, sur tout le périmètre du terrain. Épées, hallebardes, sabres, boulets à pique, tout concordait à faire couler plus de sang. Les participants, réduits en nombre, profitèrent des espaces élargis pour s’enquérir de leurs armes de fortune. Les assauts se firent plus brutaux, plus meurtriers. Les lames ensanglantées causaient des dégâts rédhibitoires, réduisant à peau de chagrin les participants, le tout sous les mines réjouies et possédées des spectateurs.

 

Peu à peu, les favoris se dessinaient clairement dans la battue. Sans surprise, Trepkos tenait le haut de l'affiche. Il empoignait fermement la hampe de sa hallebarde, et la faisait tournoyer autour de lui. Les inconscients osant pénétrer son champ d'action furent automatiquement balayés par le tranchant de sa lame en croissant de lune. Non loin de lui, Boon s'adonnait à ce qu'il savait faire de mieux. Ses armes qu'il portait sur lui constamment semaient des dégâts considérables sur le champ de bataille. À quelques enjambées, la guerrière continuait d'enchanter le public, en se dérobant aux tranchants des lames acérées avec une aisance féline. Rien ne semblait pouvoir l'atteindre. Son corps se mouvait avec grâce, dans un espace qu'elle contrôlait à sa guise. Dans le feu de l'action, Spike avait subtilisé une épée, et tranchait avec frénésie les corps qui s'inclinaient à son passage.

 

Ces quatre-là, érigés en véritables cavaliers de l'apocalypse, dominaient outrageusement les débats. La sueur, la fatigue, ainsi que les multiples blessures subies, étaient des notions à bannir s'ils désiraient rester en vie, et ils s'y plièrent sans ménagement. Cogner, encore et toujours, sans relâche, jusqu'à ne plus pouvoir lever le bras. Les combattants allèrent jusqu'au bout d'eux-mêmes. Il ne s'agissait pas de vaincre un ennemi en particulier, mais de puiser en soi l'étincelle de volonté susceptible de faire pencher la balance du bon côté. Ce supplément d'âme capable de renverser des montagnes, et de se tenir debout là où les autres s'inclinaient. Le vampire avait toujours été un survivant. Deux apocalypses dans une vie, ça avait le don de forger quiconque s'y était confronté. Dans ce domaine Spike se prévalait d'être un expert. Sur un champ de bataille, il ne calculait pas. Seul son mental lui permettait de survivre. La force revêtait une importance capitale dans les premiers assauts, mais sur le long terme, une fois épuisée, seule une psyché indéfectible œuvrait à la victoire.

 

Dans cet état d'esprit, les quatre combattants furent les seuls à subsister dans l'arène, sous les hourras d'un public béat. Les survivants affichaient sur leur visage tous les stigmates de cette longue bataille acharnée. La guerrière au foulard, malgré ses prouesses, avait l'arcade en sang et quelques hématomes prononcés sur le corps. Haletant et peinant à reprendre son souffle, elle marqua un temps d'arrêt en jetant son dévolu sur le vampire. Spike ne paraissait pas mieux loti. Un regard partagé suffit à les désigner comme adversaire. Trepkos et Boon s'épièrent du blanc de l’œil. À cet instant, la mission passa au second plan.

 

-Le contrat est en partie rempli, insista le démon bleu en s'appuyant sur ses genoux. Place à l'amusement. Une fois que je t'aurai vaincu, ce sera au tour du vampire.

 

Trepkos resta impassible. Parmi les survivants, le démon apparaissait comme le moins impacté par la fatigue. En esquissant un sourire belliqueux, il se débarrassa de sa hallebarde dans l'intention d'équilibrer les débats, et de combattre avec honneur. Le champion en titre se languissait d'affronter pareil adversaire. La foule aux aguets retint son souffle. Les deux rivaux s'élancèrent l'un sur l'autre, prêts à livrer leur dernière force dans la bataille.

 

*****

 

Spike empoigna le manche de son épée tandis que la guerrière s’élança sur lui, muni de deux sabres courts semblables à des poignards. Le vampire jugea la distance, et lorsqu'elle fut à sa portée, trancha à horizontal. Sa lame fissura l'air, alors que le tranchant d'un métal lui lacéra l'épaule. Du sang se répandait le long de son bras. Persuadé de l'avoir touchée, l'effet de surprise lui intima une prudence de chaque instant. Qui qu'elle puisse être, la guerrière était dangereuse, et il allait devoir se montrer vigilant sous peine de compléter l'amas de sable à ses pieds. Pas le temps de tergiverser. Tout juste réceptionnée au sol, qu'elle persista à l’abreuver de coups légers et rapides. Leurs lames n'en finissaient plus de s'entrechoquer, créant des jaillissements d'étincelle à chaque impact. Munie d'armes plus légères, la guerrière imposait un rythme soutenu, entaillant maintes fois la chair du vampire dont les plaies s'accumulaient sur son corps meurtri. C'en était trop pour Spike. N'ayant pas l'intention de se laisser malmener de la sorte, il répliqua en forçant une attaque verticale, mais n'y trouva pour seule finalité que la pénétration molle du sable à ses pieds. Une fois encore, elle s'était dérobée par une agilité et une vitesse hors du commun.

 

-Assez jouer, espèce de garce, enragea Spike avec hardiesse. T'as fini par me mettre en colère.

 

Le vampire, boosté par son impulsivité, pénétra sa garde et la martela de coups puissants. Manquant de peu de perdre l'équilibre à chaque assaut perpétré, la guerrière croisa ses dagues en protection. Ses mains fermes se cramponnèrent aux pommeaux vibrants sous ses doigts. La résistance de ses lames ne dura qu'un temps avant qu’elle n'assiste, impuissante, à leur anéantissement. À la merci d'un coup fatal, elle exécuta par réflexe un mouvement du bassin, et percuta de sa semelle le bas ventre du vampire. Sous l'impulsion, il fut repoussé à quelques mètres tandis que son épée lui échappa des mains.

 

Désarmés, les deux combattants furent tout disposés à faire parler leur poing. La guerrière s'élança la première. D'un appui prononcé sur le sol, elle amenuisa la distance, la pointe de son genou en évidence. Le vampire esquiva, d'un roulé boulé sur le côté. À peine venait-il de se relever qu'il vit une ombre fondre sur lui. Un claquement effroyable résonna dans l'enceinte. Spike, propulsé sur plusieurs mètres, mordit la poussière. Cette fois-ci, plus de doute. Cette femme possédait, à son grand désarroi, la force d'une tueuse. Le vampire se redressa pour constater amèrement l’opiniâtreté de son opposante à ne pas s'arrêter en si bon chemin. Accueilli par une ruée de coups dévastateurs, il esquissa quelques pas de retrait, contraint à parer et esquiver lorsque l'occasion s'y prêtait. Acculé, son corps se fracassa contre la rambarde qui se disloqua à l'impact. Tenaillé dans sa chair par la lourdeur des coups infligés, Spike n'avait pas l'intention de servir de punching-ball ad vitam æternam. Il planta ses appuis dans le sable, contracta l'ensemble de ses muscles, et cogna de toute ses forces. Ses phalanges heurtèrent avec fracas la pommette de son adversaire. D'un retour à l'envoyeur, elle fut projetée et se télescopa à travers le garde-fou.

 

Un silence s'imposa dans l'arène. Tout le stade retenait son souffre, interloqué par la brutalité de l'affrontement. Trepkos et Boon se rendaient coup pour coup dans l’indifférence générale. Toute l'attention portait sur la guerrière. La question brûlant toutes les lèvres était de savoir si, oui ou non, elle allait parvenir à se relever.

 

Totalement sonnée par le coup de massue, quelques secondes s'écoulèrent avant qu'elle ne reprenne ses esprits. Affalée contre la bordure, elle secoua la tête. Dans le vague, son cerveau semblait vriller à l'intérieur de son crâne. Ce coup avait brisé toutes ses certitudes. En une seule attaque, l'avantage avait basculé alors qu'elle était sur le point de clore les débats. Des bruits de pas dans sa direction. Le vampire s'approchait dangereusement. Il lui fallait se relever, vite, prendre appui sur ses jambes légères comme du coton, garder l'équilibre et frapper. Sa seule issue consistait à prendre les devants pour gagner un temps précieux, et ainsi lui permettre de retrouver la terre ferme. Elle chancelait. Ses jambes ne la tenaient plus. Tant pis, elle allait devoir faire avec. Elle martela à plusieurs reprises le visage vampirique de son opposant, mais ses attaques n'eurent pas l'effet escompté. Pire, Spike souriait en les encaissant. Celles du vampire par contre se montraient dévastatrices et faisaient mouche à chaque fois. Dans les flancs, dans les côtes, au visage, ses assauts se voyaient inexorablement esquivés et contrés brutalement. Elle avait beau s'acharner, son opposant la surpassait et l'épuisait à petit feu.

 

-Désolé ma jolie, exprima-t-il en se dérobant à son crochet... mais j'ai pas le temps de jouer.

 

Sur ces mots, Spike enchaîna une série d'uppercuts et de jab. Tel un mannequin désarticulé, la guerrière ployait sous les charges ininterrompues. Un puissant coup de pied frontal la catapulta sur une longue traînée. Surpris de constater son opposante toujours consciente et sur les genoux, Spike se précipita à son encontre, dans la volonté affichée de terminer le job. 

 

...N'y vois rien de personnel !

 

Il arma son poing et le projeta à la figure de la guerrière. Le choc claqua dans l'atmosphère.

 

-T'as raison, reprit-elle en interceptant l'attaque. Vraiment rien de personnel.

 

D'une droite en pleine poire, elle l'envoya paître sur la distance. Les lèvres en sang, il tenta de se relever, mais déjà, le corps de la guerrière le chevauchait. Le poids exercé sur sa poitrine et la position dominante dont elle jouissait, l'empêchaient de se redresser. Profitant de son avantage, elle le martela de coups jusqu'à ce que ses phalanges impriment la teinte écarlate d'un sang étranger. La guerrière, telle une bête sauvage, donnait tout ce qui lui restait d’énergie pour en finir.

 

Ce n'est que lorsqu'elle hésita pendant une fraction de seconde à conclure les débats, que le vampire, d'un coup de tête au menton, décrocha le foulard entourant son visage. Profitant de l'effet de surprise, il agrippa ses épaules, l'attira à lui, puis dans un ultime effort, la fit basculer par-dessus son corps. Elle se renversa derrière lui, sur le dos. Les deux combattants se trouvèrent tous deux symétriquement allongés au sol, tête contre tête, sans pouvoir bouger le petit doigt. Ils étaient allés au bout d'eux même et ne semblaient plus en capacité de continuer le combat.

 

******

 

-Par l'enfer, souffla-t-il en regagnant ses traits humains. J'aurais dû deviner que t'étais une tueuse.

 

-J’imagine que t'aurais préféré voir Buffy.

 

Le vampire leva les yeux au ciel, désemparé.

 

-Bon sang ! Si on m'avait dit que j’te trouverai là.

 

-Si on m'avait dit que tu frappais aussi fort.

 

-J'en ai autant à dire à ton sujet. Tu m'as pas loupé non plus. Tu peux m'expliquer c’que ça veut dire ?

 

-Rien. Je voulais juste m'assurer que tu ne t'étais pas trop ramolli avec le temps ?

 

Un sourire marqua le visage de Spike.

 

-Verdict ?

 

-Au-delà de mes espérances, avoua-t-elle en lui rendant son sourire.

 

-Faith, Buffy...

 

-Je t'en parlerai le moment venu, rétorqua-t-elle en tournant la tête en direction de la bordure du terrain. Enfin, si jamais on s'en sort.

 

-Qu'est-ce que tu veux dire ? s'étonna Spike en déviant le regard sur le côté. Qu'est-ce que c'est que ce merdier ?

 

Derrière les rambardes, une troupe de soldats d'élite quadrillait le terrain, en les dévisageant, armes à la main.

 

-Qu'est-ce que tu croyais? Quand on était nombreux, tu passais encore inaperçu, mais là, tous les écrans sont braqués sur toi. Faut croire qu'ils te recherchent aussi.

 

Une silhouette dénudée, la pointant du doigt au loin, piqua l'attention de la tueuse.

 

...Ou deuxième option, ils ont découvert la démone que j'ai assommée et ligotée après lui avoir volé ses vêtements sexy. J'aurais dû la buter.

 

-Ils n'interviendront pas avant la fin des combats. En attendant, un plan serait le bienvenu.

 

La stupeur de la foule les interpella. Spike et Faith rivèrent leur attention sur l’autre combat en cours. Boon était étendue au sol tandis que Trepkos luttait pour rester debout. La lutte venait de prendre fin. Le démon, grand vainqueur de la compétition, fut acclamé sous les hourras et les applaudissements hystériques provenant des tribunes et emportant les échos bien au-delà.

 

...Bon ! s'enquit Spike en se redressant avec peine! On va pas avoir le choix. Il va falloir se battre. Après tout..

 

Le vampire opéra un rapide tour d'horizon.

 

…Qu'est-ce qu'une centaine de soldats armés jusqu'aux dents, comparés à ce qu'on a déjà vécu.

 

Faith se redressa avec peine.

 

-Ouais, soupira-t-elle. Les situations désespérées, l'histoire de ma vie.

 

Petit à petit, l'étau se resserra. Les soldats s'approchèrent dangereusement en les mettant en joue. Dos à dos, Faith et Spike furent rejoints dans leur position par deux soutiens inespérés. Trapkos et Boon vinrent aussitôt leur prêter main-forte.

 

-Euh les gars, réagit le vampire étonné de leur contribution soudaine. C'est sympa de vous joindre à nous, mais je crois que vous n’avez pas bien pigé la situation.

 

-T'en fais pas pour nous, répliqua Boon. On sait ce qu'on fait. Un ami à toi tient à ce que tu restes en vie, alors on va t'y aider.

 

-Ah ouais ? Tu dois te tromper le shtoumph, j'ai aucun ami.

 

-C'est peut-être pas le moment de faire la fine bouche, réagit Faith, loin d'être hostile à une aide extérieure.

 

En constatant le champion à leur côté, les soldats adoptèrent une réaction inattendue. Ils stoppèrent leur marche alors que leur capitaine semblait s'entretenir avec une personne tierce par le biais de son oreillette. Trepkos venait de remporter le Colisée pour la seconde fois consécutive et le public verrait d'un mauvais œil, les soldats s'en prendre à leur idole. Dans cette optique, le Romain se démena pour trouver une solution moins contraignante et plus lucrative, à même de ne pas ternir l'image des jeux. Son entretien avec le capitaine de la garde milicienne battait pourtant de l'aile. N'ayant aucune autorité en matière de défense, l'hôte tenta d'influencer son interlocuteur, en lui faisant miroiter une mauvaise publicité et une perte d'argent colossale susceptible de nuire à l'empire, allant même jusqu'à émettre l'argument d'un fiasco d'ordre planétaire. En plus d'y jouer pleinement sa réputation, c'était de sa vie dont il était réellement question. En tant qu'organisateur, le romain avait pour responsabilité la sécurité du site et l'image de Wolfram et Hart. Si le grand public apprenait que des renégats s'étaient glissés dans l'arène, la fébrilité de l'empire se répandrait comme une traînée de poudre. Son incompétence serait aussitôt proclamée et suite à son jugement, une exécution sommaire s'ensuivrait fatalement pour montrer l'exemple à ses éventuels successeurs.

 

Alors que l'hôte de ces jeux parlementait, une main l'empoigna par le col et le souleva comme s'il ne pesait rien. Jules césar en perdit fatalement de sa superbe, à gesticuler dans la tribune royale sans que ses jambes ne touchent plus terre. Il fut traîné de force jusqu'au centre du terrain. Les soldats s'écartèrent au passage de la déesse démone et de son otage.

 

-Illyria ? s'étonna Faith avant de porter son attention sur le vampire. Vous êtes du genre inséparable tous les deux.

 

D'un geste nonchalant, la démone balança l'homme costumé au sol.

 

-Une énième fois, je me retrouve confronté à ces vers de terre pour te sortir d'un mauvais pas, vampire. Je ne comprends pas les raisons qui te poussent à t'adonner à ces jeux futiles. De mon temps, seuls les esclaves se donnaient en spectacle pour attirer les faveurs de leurs maîtres. Tu as à tes pieds celui qui se considère comme ton maître.

 

-Hé ! réagit Spike. Je ne suis l'esclave de personne.

 

Il observa le maître de cérémonie avec dédain.

 

...Et alors surtout pas d'un abrutit dans son genre.

 

-Que vois-je ? réagit Boon en dévorant Illyria des yeux. Je crois que je viens de tomber amoureux.

 

-Et si on revenait à l'essentiel, s'inquiéta Faith en observant le capitaine transmettre à l'oreillette. On à cet enfoiré sous la main, mais je doute que ça change quoi que ce soit.

 

Le soldat, en lien direct avec les instances supérieures, s’enquérait de la marche à suivre. Son sourire machiavélique ne laissait rien présager de positif quant à la tournure de l'entretien. D'un mouvement coordonné, les soldats armèrent leurs fusils d'assauts. Des centaines de rayons infrarouges transpercèrent de part et d'autre, les silhouettes des défenseurs. Illyria, constatant avec intérêt son corps criblé de lumières rougeoyantes, hocha la tête en analysant cet étrange phénomène. Ses compagnons, plus à même de comprendre la situation, affichaient un mine déconfite, tandis que dans les tribunes, la femme au masque déploya un sourire de satisfaction.

 

Loin d'être perturbée, cette dernière se languissait de cette situation, au contraire du public totalement abasourdi. Bien qu'au départ, certains imaginèrent une mise en scène, ils révisèrent bien vite leurs jugements. Au centre de toute cette confusion, la femme en noir inclina la tête et ferma les yeux. Ses longs cheveux tombèrent sur son visage, et de ses lèvres peintes d'un rouge écarlate, se déversèrent de sombres murmures que le vent emporta en guise de délivrance.

 

Le capitaine donna l'ordre de tirer sans sommation au moindre signe de révolte, même insidieux. Le maître de cérémonie, conscient de son sort, se laissa aller à quelques gesticulations contraintes, implorant ses bourreaux de l'épargner. Derrière lui, Spike, Faith et les autres, préservèrent un semblant de dignité. Après dix années passées à échapper au couperet, il était hors de question de se rendre docilement, et quand bien même, Illyria ne l'accepterait pas. Le grand monarque des temps anciens ne se soumettrait à personne, et certainement pas à son plus grand ennemi.

 

C'est à cet instant que la magicienne se décida à entrer en scène. Contrairement à son habitude, cette fois-ci, elle se fit discrète. Seules les conséquences de ses actes allaient émerveiller le public pourtant pas avare en spectacle. Un grondement se fit entendre. Au centre du terrain, une étincelle jaillit, entraînant une deuxième, à laquelle d'autres vinrent se greffer, toujours plus nombreuses. Sous les regards médusés des soldats et des combattants, un halo de lumière se forma, distordant la réalité par le biais d'une sphère instable et grandissante. La terre se mit à vibrer sous leur pas, tandis qu'un souffle fit onduler cheveux et vêtements sur sa trajectoire. Les soldats furent aveuglés par la lumière vive. Le halo se stabilisa en un immense cercle en demi-lune enraciné au sol, puis disparut aussitôt, comme avalé par les entrailles de la Terre. Lorsque la vue leur revint, Faith et consorts avaient disparu, emportant avec eux l'hôte de ces jeux. Dans sa robe noire, la magicienne se redressa parmi la foule avec la satisfaction du devoir accompli, à considérer bien sûr que la chute, l'apothéose finale lui fut réservée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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