Shanshu II - Wolfram & Hart
Chapitre 14 DÉSERTION
D’un pas lourd et décidé, le guerrier fit claquer ses talons sur le parquet lustré de ce long couloir exigu. Le visage fermé, Ryane savait ce qui l’attendait au bout du chemin pour l’avoir lui-même provoqué en toute conscience. Son maître l’avait convoqué, et ce n’était certainement pas pour le féliciter d’une campagne volontairement sabotée. Comme à chaque retour de mission, l'heure des comptes avait sonné. Il s’y était toujours plié jusqu’à ce jour, avec la même conviction et la même soumission à l’ordre établi, pour lequel il avait voué jusqu’à sa propre vie. Pourtant, alors que ses pas résonnaient dans l’étroitesse du couloir, quelque chose s’était brisé en lui. Un sentiment d’incertitude, un doute palpable étreignait désormais son cœur, et plus que cela, une autre conviction avait germé, supplantant la précédente.
La double porte gravée du Cerf obstruait son passage, mais cette fois-ci, Ryane n’allait pas attendre docilement qu’on daigne le faire entrer. D'une poussée franche, les deux battants s’écartèrent dans un grincement sourd. Sa silhouette se découpa dans la lumière pâle, révélant sa présence aux yeux inquisiteurs du vieil homme, dont l’ombre reflétait la divinité ramifiée. Agenouillées face au trône, deux silhouettes familières l'attendaient dans la pénombre. Un regard de serpent, qu’il reconnaîtrait entre mille, l'épiait avec insistance du coin de l’œil. Drago, ce frère d’armes qu'il considérait comme son rival le plus identifiable était présent, et derrière lui, en retrait, se tenait Kendra. La tête basse, sa partenaire fuyait son regard, l'air totalement détaché, sans même se conformer aux traditionnelles salutations d'usage eut égard à son rang.
Ryane ne s'en trouva pas surpris outre mesure, mais de toutes les perspectives étudiées, la pire était en passe de survenir. La présence de ses propres officiers, convoqués sans son aval, eut suffi à lui faire comprendre le message. Le traquenard semblait au point. D’ordinaire, lui seul détenait le privilège de converser avec la divinité. Mais les récents événements avaient insufflé une tournure rédhibitoire qu’il avait de toute façon envisagé dans les grandes lignes. Seule ombre au tableau : Kendra. Jamais il n’aurait imaginé sa fidèle lieutenante prendre part à sa destitution. Elle, pour qui il nourrissait un respect et une confiance sans commune mesure. Cet acte de trahison à son égard s'avérait difficile à digérer. Un sentiment bien passager, lorsqu'il se rendit compte de ses propres erreurs. Tourner le dos à l'Empire en espérant préserver la confiance de ses propres officiers relevait d'une douce utopie, et le vieil homme au regard courroucé comptait bien appuyer ce trait.
-Tu oses pénétrer ce lieu sacré sans mon accord, et tu ne daignes même plus te prosterner devant ton Dieu, s'emporta-t-il d'une voix caverneuse. Ai-je été à ce point laxiste envers mon enfant qu’il ne fasse plus cas du respect et de la politesse?
Habillé de sa soutane noire, le vieil homme dégageait une aura plus sombre que d’habitude. Ryane, ayant eu le privilège de l’assister à maintes occasions, ne s’était jamais retrouvé dans pareil cas de figure. Ce regard d’aigle, froid et perçant, semblait sonder les tréfonds de son âme pour en extirper l'essence et la réduire à néant. Il se sentait tel un insecte emprisonné dans la toile de l’araignée, dans l'attente de se faire dévorer. Comme il n’était pas dans sa nature de se décourager, il s'obstina dans son irrévérence en refusant de ployer le genou. Un éclat d’insubordination brûlait dans ses yeux.
-Pardonnez mon intrusion brusque, mais des rumeurs circulent selon lesquelles Morahtk a été emprisonné et qu’il encourt la peine capitale pour haute trahison. Je suis venu me porter caution de son innocence. Il a donné sa vie pour l’Empire. Comment pourrait-il être un traître ? Tout ceci n’a aucun sens et ne repose sur aucun fondement.
Le vieil homme imposa à ses traits fins et ciselés, un sourire diabolique. Ses lèvres, légèrement entrouvertes, laissaient apparaître les bribes d’une dentition à peine perceptible.
-Voilà pourquoi tu es mon enfant préféré, ricana-t-il subtilement. Parce que tu ne calcules pas. Tu fais ce qui te semble juste, sans te préoccuper des conséquences. Je pourrais te tuer, là, tout de suite, pour l’ingratitude dont tu fais preuve. Tu en as parfaitement conscience et pourtant, tu ne te défiles pas. C’est ce que j’ai toujours apprécié chez toi.
Ryane savait pertinemment ce qu'il risquait en se confrontant à un Dieu, mais la vie de son plus fidèle associé pesait dans la balance, et il ne l'acceptait pas.
-Il ne s’agit pas de moi, mais de l’un des hommes les plus méritants de l’empire, insista-t-il en répondant à la pression insoutenable que lui imposait le vieil homme, de par le non verbal.
Le vieux Morahtk fut, pendant ses dix dernières années, bien plus qu’un mentor pour Ryane. L'Ancien, comme il aimait à le nommer, lui avait inculqué certaines stratégies militaires, en même temps qu’un code de l'honneur dont il se voulait le fier héritier. Le guerrier le considérait comme son maître, un père d’adoption dont il admirait la force et la sagesse, malgré son air bourru et peu raffiné. Le Dieu Cerf, au fait de cette relation, semblait prendre un malin plaisir à creuser cette faille. Ce dernier s'adressa à la tueuse :
-Kendra ! Ma chère enfant. Qu’as-tu à dire pour la défense de Morahtk ?
Aussitôt, l'attention de Ryane se porta sur sa subalterne. Elle le fixa froidement comme pour jauger sa réaction.
-Seigneur, s’inclina-t-elle respectueusement. Permettez-moi de m’adresser à lui, sans retenue.
À l’approbation du Dieu cerf, elle confronta son frère d'armes.
...Ce vieil homme n’a eu de cesse de comploter derrière notre dos pour te manipuler, lança-t-elle d’une voix dénuée d’émotion. Ça faisait un certain temps que je le soupçonnais de t’orienter insidieusement à faire preuve de faiblesse et de bonté envers les ennemis de l’Empire. J’en ai eu la confirmation lors de notre dernière campagne. Nous avions vaincu l’ennemi au prix de lourds sacrifices, et pourtant tu as épargné la citadelle. Tu t’es retiré en trahissant tout ce pour quoi nous nous sommes battus. Je revois encore le visage satisfait de ce vieillard, à l'heure de battre en retraite.
-Tais-toi, espèce de folle ! tonna Ryane, sa voix résonnant dans l’enceinte, brutale et tranchante. Tu ne sais pas ce que tu dis.
-Comment oses-tu renier l’évidence ? répliqua-t-elle d’un ton acéré. Toi qui a osé te délester de l’épée d’ébène, toi qui a trahi tes propres hommes ! Je t’ai aimé, mon frère. J’aurais pu mourir pour toi, sans la moindre hésitation. Mais tu as changé. Tu as préféré te laisser tenter par la langue fourchue de Morahtk en tournant le dos à ta propre famille, à tes propres convictions. Tu t’en rappelles ? Imposer la paix pour l'unification, mais tu as été perverti par l'idéologie de nos ennemis. Tu es désormais atteint d’un mal dont on ne peut guérir. Tu n’es plus digne de nous représenter.
Comment renier l'évidence ? Ryane avait failli à sa mission. Lui-même ne se sentait plus en mesure de diriger les armées, mais ce n’était assurément pas pour le pire. Kendra n'était pas apte à comprendre. Elle n’en avait simplement pas eu le temps, ni le déclic, et encore moins l’opportunité. La colère et la peur voilaient son jugement, et bien qu’il la détestât à employer de telles paroles, au fond, il la considérait comme une victime. Ainsi, étaient-ils tous formatés. Rechignant à convaincre sa sœur d’armes, il dévia son attention en direction de la Déité faite homme.
-Kendra a raison sur un point, affirma-t-il en haussant le ton. Je suis le seul coupable. Morahtk n’a fait que suivre mes ordres. S'il faut que j'en paye les conséquences, alors j’y suis prêt. Jamais je ne me suis défilé, et ce n’est pas aujourd’hui que je commencerai. Mais accuser un innocent, je ne l’accepte pas. Si cet homme est coupable d’avoir suivi mes ordres alors tous les soldats de l’Empire devraient être fusillés sur le champ. Kendra y compris.
-Tu avoues donc avoir délibérément tourné le dos à tes principes, intervint le vieil homme dont le timbre de voix manifestait une profonde déception. Si tu penses que nous sommes dans un tribunal ici, tu te trompes, mon fils.
Le Dieu cerf délaissa son trône pour s'approcher du guerrier. À la perception de son aura meurtrière, Ryane fut épris de sueurs froides. Si son corps lui commandait de se tenir sur la défensive, il s’efforça de rester impassible. Le Dieu Cerf s’arrêta à quelque pas de lui. Les bras croisés derrière le dos, la silhouette droite et impérieuse, il toisa le guerrier d’un œil sévère, tout en forçant sur un ton paternaliste.
...Il ne s’agit aucunement de justice, encore moins de notions de bien ou de mal. Ton cœur est en proie au doute, et de par tes erreurs, des gens vont mourir. Coupables, innocents… cela n’a jamais fait partie de l’équation. Je laisse volontiers ces concepts aux hommes et à leurs principes. Je ne joue pas dans la même cour, et je pensais que toi non plus.
Il se pencha légèrement, réduisant la distance.
…Les cas de conscience, les états d’âme… il est tout naturel d’en avoir. N’importe quelle créature dotée de perception finirait fatalement par éprouver ce sentiment. Mais seuls ceux qui surpassent cet état sont amenés à réaliser de grandes choses et à changer le monde. L’émotion est un frein à l’épanouissement de tout ce qui nous anime, c’est une entrave à ce qui doit être fait. On ne forge pas la paix avec de bons sentiments, mais en les sacrifiant pour un dessin, un idéal qui nous dépasse tous. J’ai toujours perçu en toi un énorme potentiel, et je serai contrarié d’avoir à me passer de tes services parce que tu n’aurais pas fait le bon choix.
Ses doigts se crispèrent brièvement derrière son dos, avant de se détendre.
…La véritable question est la suivante : veux-tu faire partie de ceux qui façonnent le monde ou de ceux qui sont façonnés par lui? Alors je vais me répéter et j’attends une réponse claire. Dois-je me passer de tes services?
Le silence qui s’ensuivit plongea Ryane dans une profonde introspection. L’alternative offerte consistait en un choix simple : celui de la vie sur la mort. Remarquant l'hésitation du guerrier, le vieil homme réitéra sa demande.
...D’habitude, je n’offre jamais de secondes chances, le prévint-il, comme un parfum de menace.
Ryane, bien que fier, n'était pas devenu fou pour autant. Mort, il perdrait Liv, et à cette seule pensée, la décision s’imposa naturellement. Sans un mot, il s'inclina, baissant les yeux en signe de soumission. Ce geste eut pour mérite de décrisper le visage du Dieu Cerf, qui posa une main ferme sur son épaule.
...J’étais persuadé que tu ferais le bon choix, s’enorgueillit-il en rebroussant chemin pour regagner son trône. Façonner le monde requiert une conviction inébranlable. Morahtk mourra à l’aube, et tu seras son bourreau.
Cet ordre avait au moins pour mérite d’être clair. Le vieil homme, ou ce qui se cachait derrière ses traits, ne lui accordait aucune confiance. Ryane demeurait dans une impasse. Les apparences restaient sauves pour le moment, mais l’épreuve du lendemain aurait tôt fait de percer les secrets de son cœur, et comme l’avait si soigneusement averti son maître, cette fois, pas de retour en arrière possible. Du haut de son trône, l’homme aux cheveux grisonnant jugea bon de lui asséner le coup de grâce.
...Je n’en oublie pas pour autant que tu as fauté. Toute faute mérite sanction. Tu as perdu la confiance de tes troupes. Tu n’es, pour l’heure, plus digne d’être leur Général.
Ce qui devait arriver arriva. Ryane s'y attendait. La présence de Drago pointait le curseur en ce sens. Bien qu’il eut juré devant Kendra que si ce dernier venait à lui ravir sa place, il l’accepterait sans rechigner, il devait admettre que ce n’était pas aussi simple. Ce poste, il l’occupait avec fierté depuis des années. Passer le relais à quelqu’un d’autre et à plus forte raison, à cet homme-là, ne le réjouissait guère. Drago traînait derrière lui une bien cynique réputation. Bien que son efficacité sur le champ de bataille ne soit plus à prouver, Ryane ne lui portait aucune considération du temps où il opérait sous ses ordres. Trop brutal et irréfléchi à son goût, ce démon ne lui inspirait que dédain, à mille lieues de la noblesse d'âme de Saldin. Le guerrier le savait bien : introniser cette brute sanguinaire à ce poste signifiait le durcissement de l’oppression envers un peuple soumis et à bout de souffle.
Il l'admettait volontiers : son rival se prévalait d'être le plus puissant guerrier de leur ordre. Lui-même éprouverait toutes les difficultés à lui tenir tête en combat singulier, mais le rôle de général requérait assurément d’autres qualités que celle de la force brute. Toutefois, cela ne relevait plus de son ressort, et le Dieu Cerf proclama Drago, Général suprême de l’Empire. Plus sur la forme que sur le fond, cette déclaration fut vécue par le Loup Noir, comme une véritable humiliation. L’épée d’ébène en sa possession, Drago le narguait d’un sourire effroyable, déformant l'expression d'un visage empreint de folie.
Adoubé, le nouveau Général en chef imposa impétueusement sa présence à Ryane, qu’il dépassait de quelques têtes. Son visage allongé, pourvu d'une mâchoire puissante et carrée, accentuait l’étrangeté de ses yeux globuleux, vides de toute lueur d’humanité. Ses longs cheveux sombres, lissés vers l’arrière, exposaient un front proéminant, zébré de veines saillantes. Il portait sur lui un plastron, laissant deviner toute l’étendue d’une musculature hors du commun. Deux têtes de dragons, figées dans un rictus féroce, ornaient ses épaulières massives. Ses bras nus et puissants, ses veines apparentes, la robustesse de sa chair enduite de cicatrices, ses membres surdimensionnés : toute sa stature semblait forgée par l'enfer de mille batailles. Face à lui, Ryane, bien qu’admirablement proportionné, peinait à soutenir la comparaison. Drago, conscient de sa supériorité physique, n’hésita pas à amplifier le trait d'une arrogance non dissimulée. Témoin de ce passage de flambeau, Kendra se délectait d'assister à un tel revirement. La tueuse l’avait toujours prévenu de la menace que représentait Drago, et comme à son habitude, Ryane était resté sourd à sa mise en garde. Aujourd’hui, assister à la déchéance de celui qui l’avait tant méprisée et trahie, éveillait en elle un sentiment de vengeance presque jubilatoire. Les deux guerriers se faisaient face, corps tendus, regards verrouillés, comme deux fauves prêts à s’entre-tuer.
-Inutile de te dire que je ne te désire pas dans nos rangs, le provoqua Drago de sa voix éraillée. Pas de place pour les traîtres parmi les nôtres.
Ryane ne jugea pas opportun de répondre. Quoi qu’il dise, il n’était pas en position de force. Et s’il désirait jouer le prochain coup, son intérêt lorgnait du côté de la discrétion. Face à cette absence de réaction, l’homme fort du moment appuya son attaque verbale.
...Tu sais quoi ? Peut-être qu’il y aurait un poste de larbin de bas étage dans mon armée, mais je dois bien avouer que ça me ferait mal de supporter ta gueule de traître à longueur de journée. Kendra ! l’interpella-t-il sans lui prêter un regard. Qu’est-ce que t’en dis, tu n’aurais pas besoin de ce chien pour cirer tes bottes ? Après tout ce qu’il t’a fait subir, tu dois le haïr comme personne.
La tueuse demeura silencieuse, mais le sourire sur son visage ne mentait pas.
...Qu’on soit clair, reprit-il en confrontant son faciès au sien. Peu importe que tu sois pardonné pour tes actes ou pas. Pour moi, il n’y a plus de retour en arrière possible. Je vais te pourrir la vie à tel point que tu regretteras de ne pas avoir été fusillé... Enfin, encore faut-il que tu aies le cran de faire ce qu’il faut. L’aube arrivera bien vite. Tic-tac, tic-tac…tic…
Le coup de pression n’eut pas plus d’effet que les précédents. Ryane esquissa même un sourire de façade, défiant ouvertement Drago, qui bouillonnait intérieurement d’une rage folle.
-Hé, Ducon, lança Loup Noir, laissant libre cours à ses pulsions. De quoi t’as peur au juste ? Que je reprenne le poste et que je prouve au monde à quel point t'es incompétent ? Si c’est ça, mon gros, t’as aucun souci à te faire. T'auras pas besoin de moi pour te ramasser.
Se dérobant à son rival resté pantois, les yeux écarquillés, Ryane esquissa quelque pas en direction du vieil homme.
...Je me fous des honneurs ou d’être rétrogradé. Si je peux racheter, de par mes actes, mes fautes et prouver ainsi mon allégeance à l’Empire, alors je suis prêt à tous les sacrifices.
Beau mensonge que tout ceci, avec certainement pour mérite, l’oscar du meilleur acteur, car il n’en pensait pas un traître mot. Ryane avait montré là toute l’étendue de sa patience en courbant l'échine au-delà de ses limites, et il ne supportait plus de gaspiller la moindre seconde en ce lieu dans lequel il ne se reconnaissait plus. Après avoir sollicité congé auprès du Dieu Cerf, il se hâta en direction de la sortie. Lorsqu’il croisa Kendra sur son passage, il comprit à son regard inquisiteur, qu’elle voyait clair dans son jeu. À cet instant, il se considéra heureux de ne pas lui avoir révélé la moindre confidence sur son couple, sans quoi, Liv ne serait déjà plus de ce monde à cette heure. Preuve que travail et vie privée ne faisaient pas bon ménage.
*
Libéré de ses obligations, Ryane savait que le temps dont il disposait pour exploiter la situation serait bref. Sa fonction de Général en chef des armées venait de lui être confisquée, mais la procédure demandait à être officialisée, et il entendait bien jouir de cet intervalle pour exercer son autorité une dernière fois, sans retenue ni compromis. En glissant son badge électronique sur le détecteur de l’ascenseur, un mécanisme s’enclencha, puis un laser optique alla s’implanter dans sa rétine. C’était un pari risqué. Dans le cas où la mise à jour aurait été effectuée, une fumée anesthésiante s’échapperait des canalisations, et les alarmes alerteraient immédiatement les services de sécurité. Une brève inspiration plus tard, et tous les voyants s'annonçaient au vert. Le soulagement restait de mise. Le changement de propriétaire n’avait pas encore eu lieu, ce qui laissait le champ libre à l’élaboration de son plan improvisé. Lorsque les portes coulissantes s’ouvrirent dans les profondeurs du building, le guerrier fut accueilli par deux soldats. En constatant la venue inopinée de leur supérieur, ils se figèrent dans un garde-à-vous rigide.
-Repos ! ordonna sèchement Ryane. Dans quelle cellule se trouve le prisonnier Morahtk ?
-Cellule dix-sept, général, répondit fièrement le gardien en se déplaçant sur le côté pour libérer la voie.
Sans hésiter, Ryane s’engagea dans l'interminable couloir aux parois défraichies. De chaque côté, se succédaient des dizaines de cellules, dont les barreaux en aciers chromés cachaient par intermittence les tristes condamnées. Au plafond, de longs tuyaux d’échafaudages pendaient lamentablement, tandis qu’une succession infinie de néons, souvent défaillants, diffusait une lumière inégale. Le bruit strident de l’éclairage dysfonctionnel agressait les tympans, et une odeur nauséabonde d’humidité mêlée d’urine renforçait l’atmosphère sordide de ce lieu où la dignité humaine était bafouée jusqu’à la moelle. Cet endroit lugubre, inconnu du grand public, ne constituait pas une prison à proprement parler, en ceci que les condamnées n’avaient pas vocation à y rester.
Dans le jargon, on le surnommait '' le couloir de la mort''. Cet espace de désolation représentait la dernière demeure des prisonniers avant le peloton d’exécution, qui aurait lieu dans une cour emmurée à l’air libre. Seuls les terroristes et les criminels capables de nuire à l’empire subissaient ce sort, mais souvent, ce n’était qu’un prétexte pour éliminer quelques opposants politiques ou régler des affaires obscures similaires. Autant dire que la majorité des condamnées se composait essentiellement d' innocents, muselés par le dictat d’un pouvoir exerçant son autorité abusivement. En temps normal, l'accès à ce lieu exigeait une dérogation spéciale, souvent prévue à l’avance, ainsi que l’escorte d'une milice armée jusqu’aux dents. Mais lorsqu’il s’agissait du Général de l’Empire, l’exception devenait la règle.
Le passage de Ryane provoqua un concert de cris désespérés. Des forçats s’agrippaient aux grilles de leurs cellules, certains vomissant des insultes, d’autres suppliant avec une ferveur déchirante. Il ne leur accorda aucun regard. Non pas par indifférence au sort de ses âmes brisées, mais parce qu’il savait son impuissance à changer leur destin. Mieux valait ne pas semer de faux espoirs ni graver dans sa mémoire des visages destinés à hanter ses nuits. Avant son idylle avec Liv, il n’aurait eu aucun remords à les fixer sans complaisance. Pire encore, si l’ordre avait été donné, il aurait appliqué la sentence froidement, sans rechigner. Ce temps appartenait désormais au passé. Pour autant, il regrettait son manque de discernement à ne pas avoir pris conscience d'arpenter le mauvais chemin plus tôt. Le changement en lui s’était opéré en silence, goutte après goutte, comme une pluie fine érodant la pierre. Bien que sa rencontre avec Liv ait ébranlé ses certitudes, c’est la lueur ardente dans les yeux de Saldin qui cimenta ses nouvelles résolutions. Tandis que les numéros de cellules défilaient sur les portes métalliques, un dix-sept, en partie effacé, attira son attention. À travers les barreaux, il découvrit le vieil homme, adossé au mur de brique, en toute sérénité.
La geôle était meublée d’une simple couchette de fer, dont les lattes et les draps accusaient le coup d’un entretien inexistant. Au fond de la cellule, collée au mur de briques grisâtres, trônait une cuvette rouillée, de laquelle émanait une odeur nauséabonde. Entre les deux, le vieil homme semblait attendre paisiblement que le temps passe. La mort ne l’effrayait pas. Morahtk avait toujours arpenté les sentiers de la vie en s’en remettant à la fatalité. Rescapé de nombreuses batailles, il se considérait chanceux d’avoir pu jouir d’une vie aussi riche et intense. Ses meilleurs moments derrière lui, le reste s'apparentait à un bonus jusqu’au repos éternel. À la différence de ses compagnons d’infortune, l'issue lui importait peu. C’est pourquoi, lorsqu’il entendit des pas approcher de sa cellule, il n’y prêta aucune attention. Pourtant, la ténacité d’un regard braqué sur sa personne le décida enfin à lever la tête.
-Toi ? s’étonna-t-il en plissant les yeux comme pour s’assurer qu’il ne rêvait pas. Dieu soit loué, tu vas bien. J’avais peur qu’on ne t’ait réservé le même sort.
-Pour tout te dire, j’aurai préféré, avoua Ryane en s’assurant que les soldats n’épiaient pas leur discussion. Ça va, ils ne t’ont pas maltraité?
-Après tout ce que j’ai enduré dans ma vie, j’ai l’impression d’être en vacances, ironisa le vieil homme.
-Dans ce cas, tu m’en vois désolé, mais je suis venu t’en sortir.
L’annonce de sa libération ne semblait pas enchanter Morahtk, qui agrippa fermement les barreaux.
-Qu’est-ce que tu racontes comme conneries ? murmura-t-il en s’évertuant à contrôler le débit de sa voix. T’as perdu la tête ou quoi ? Dégage de là avant que je te botte le cul.
Ryane affichait une expression faussement outrée, feignant d’être touché par les paroles blessantes du vieillard.
-Dois-je te rappeler que tu t’adresses à ton Général ? Un peu de tenue, que diable !
À cet instant, l’un des soldats en patrouille apparut, étouffant par la même la colère de Morahtk, qui s’étrangla en proférant des insultes à peine audibles.
-Je t’en foutrai de la tenue espèce de… Et de sale...
Une fois le gardien hors champ, le vieil homme réhaussa le ton.
...Espèce de jeune trou du cul.
La colère de Morahtk n'était pas anodine. Il savait pertinemment que son disciple risquait non seulement son poste, mais aussi sa vie en le libérant de cette geôle. Un sacrifice bien trop lourd pour un vieil homme dont la courbe de l'existence lorgnait du côté de la fin.
-De nous deux, je te rappelle que c’est moi ton aînée, lui rétorqua Ryane. J’ai des milliers d’années d’avance, et on n’a pas le temps de bavarder. Je ne suis officiellement plus Général. S’ils découvrent que je n’ai rien à faire ici, on risque la peine capitale tous les deux.
Cette révélation apaisa subitement la colère de Morahtk, qui observa son vis-à-vis d’un œil égaré.
-Tu n’es plus Général, murmura-t-il en relâchant sa prise sur les barreaux.
En pleine réflexion, le vieil homme prenait conscience de la situation et des enjeux. La mise au point effectuée, il s'agrippa de nouveau à la grille.
...Qui est le nouvel élu ?
À l’expression éloquente de son ancien disciple, Morahtk devina aisément l'identité du fraichement nommé.
...Et merde, soupira-t-il de dépit. Décidément, tu ne peux pas dire que Kendra ne t’ait pas prévenu ! Mais, et toi ? Qu’est-ce que tu deviens ?
-Un fugitif ou un homme mort, ironisa Ryane avec toute la légèreté le caractérisant. Tout dépendra de toi et ta foutue manie de poser des questions alors que le temps joue contre nous.
Le vieil homme sentit un frisson d’excitation le parcourir à l’idée d’accepter la proposition de son compagnon. En proie à une intense introspection, il fit les cent pas dans sa cellule. Devant le fait accompli, plus rien ne s’opposait désormais à une tentative de rébellion. S’il devait mourir, autant que ce soit en fier guerrier.
-Réfléchis bien. Tourner le dos à l’empire te mettra automatiquement dans la case terroriste. Si je te dis ça, c’est pour être sûr que t'en aies bien conscience.
-Est-ce que j’ai l’air de m’en soucier ?
-Bon sang… soupira Morahtk, devinant les conséquences d’un tel choix. Je crois que je suis trop vieux pour ces conneries. OK, c’est quoi le plan ?
-Le plan ? s’étonna Ryane, au grand désarroi du condamné. Quel plan ? On va improviser.
Le guerrier fit appeler le garde. Aussitôt, un soldat se précipita vers lui.
...Ouvrez sa cellule, ordonna-t-il d’une voix ferme. Il y a eu une erreur. Cet homme est innocent. J’en prends l’entière responsabilité.
Face à cette demande officiant une entorse au règlement intérieur, le soldat marqua un temps d’hésitation.
-Je suis na-navré, général, balbutia le malheureux. Mê... Même si l’ordre vient de vous, il faut une attestation signée, sans quoi je ne peux rien faire.
Ryane, parfaitement conscient du protocole, redoutait d’en arriver-là, mais aux grands maux, les grands remèdes. Il cueillit le pauvre bougre d’une méchante droite à la mâchoire, qui l’assomma sur le coup. Le deuxième soldat de garde, n'ayant pas assisté à la discussion, accourut dans les brancards pour s’enquérir de l’incident. Mais à peine venait-il de débarquer, qu’il subit le même sort. À la recherche des clés permettant de déverrouiller la cellule, Ryane entreprit de fouiller dans leurs poches. Sans résultat. Pire, les caméras de surveillance n’avaient rien manqué de la scène. L’alarme retentit soudain, annonçant l’arrivée imminente de troupes armées.
-Où sont les clés ? insista Ryane en palpant frénétiquement les corps. Y a rien sur eux.
-Les clés ? s’étonna Morahtk, le regard incrédule. Mais t’es con ou quoi ? On n’est plus au moyen âge. Les cellules sont automatisées ! Le boîtier doit se trouver à l’accueil. Grouille-toi ou on va se faire trouer la peau.
Sans attendre, Ryane se précipita vers le bureau d’accueil. À son grand désarroi, le fameux boîtier se présentait sous la forme d’un écran, nécessitant un code d’activation qu’il ne possédait pas. Songeant dans un premier temps à couper l’électricité générale, il se ravisa, suspectant les cellules d'être liées à un secteur isolé. Pestant, il fit demi-tour et retourna vers les soldats inconscients. Sans la moindre hésitation, il arracha l'arme de service ceinturée à la taille de l’un d’eux.
-On va faire ça à l’ancienne !
Pointant le viseur sur la serrure, il arma le chien de l'arme. Morahtk, se trouvant dans la ligne de mire, s’empressa de se décaler sur le côté. Un détonation retentit, suivie d’une étincelle, et le mécanisme d’ouverture céda, laissant un trou à la circonférence parfaite.
-Si c’était aussi simple, maugréa Morahtk, sceptique, crois bien que les ingénieurs ne se seraient pas cassé la tête à…
Ryane ouvrit la cellule sans difficulté, coupant sec le sifflet à son vis-à-vis. À cet instant, son visage affichait toute l’étendue d'une fierté mal placée.
...OK ! reconsidéra le vieil homme. Enlève-moi d’un doute, y a pas le mot « génie » dans ingénieur. C’est fou ce qu’on a tendance à surestimer les élites pensantes.
Les prisonniers, témoins de la libération de l’un des leurs, entrèrent dans une hystérie collective et gesticulèrent dans tous les sens derrière leurs barreaux. Des cris, semblables à ceux proférés par des animaux, émanaient de leurs vocalises. N’y prêtant pas attention, Ryane récupéra une deuxième arme qu’il s’empressa de tendre à son coéquipier. Redoutant la confrontation avec les forces de l’Empire, le guerrier fut éclairé d’une idée.
-Aide-moi, dit-il en visant les serrures des cellules voisines, aussitôt rejoint dans le geste par l'ancien.
Morahtk, mû par un réflexe de soldat de l’Empire, rechigna tout d'abord à libérer ces prisonniers considérés comme dangereux, mais son indécision s’estompa bien vite face à l’urgence de la situation. Ainsi, des dizaines de condamnées se précipitèrent instantanément vers le sas de sortie. Leurs joies furent de courte durée, puisqu'au même moment, une troupe de soldats firent irruption, avec la ferme intention de précipiter leur mise à mort. Quelques coups de feu retentirent, entraînant la perte de bon nombre d’entre eux, tandis que les survivants se lançaient à corps perdu dans la mêlée, espérant une finalité plus heureuse.
Ryane et Morahtk, positionnés en retrait, profitèrent de l’élan de résistance engendré pour se frayer un passage à travers le couloir bondé et ainsi échapper au carnage. Leurs pas précipités les menèrent jusqu’à l’ascenseur, dont les portes s’entrouvrirent juste à temps, dévoilant à leurs yeux ébahis une escouade de renforts entassée à l’intérieur. Les deux fuyards et les soldats, surpris de se trouver nez à nez, esquissèrent un bref mouvement de recul. Ryane, plus prompt à profiter de la bulle de flottement, décocha une droite au premier venu. Dans cet espace exigu, impossible pour les assaillants de dégainer une arme. Chaque tentative se heurtait à un coude, une jambe, ou une autre partie du corps de leurs partenaires, rendant leurs mouvements vains et maladroits. Profitant de cette confusion, le tueur fit montre de sa rapidité d’action. En quelques secondes, l’affaire était pliée. Alors que Morahtk gagna sereinement l’élévateur, les soldats gémissaient tous au sol, dans un panaché de jambes brisées, lèvres ensanglantées et bras désarticulés. Ryane prit la peine de les extraire avant d’appuyer sur l’interrupteur. Les portes de l’ascenseur coulissèrent, jusqu’à se refermer complètement devant un parterre de soldats entassés.
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-Le hangar ? s’étonna le vieil homme en remarquant le numéro composé sur le clavier. Juste ciel !
-Plus personne ne dit ça.
-Quoi ?
-Juste ciel ! C’est une expression qui ne se dit plus depuis un siècle.
-Parce que tu penses que c’est le moment de tergiverser sur une expression, s’indigna l'ancien.
Ce dernier commençait à regretter d’avoir suivi ce casse-cou, qui se permettait de critiquer sa façon de parler alors qu’il n’avait pas dix années d’existence dans ce monde.
...Bordel, on va se faire tuer.
-Sois un peu optimiste. N’oublie pas que je suis censé être le Général. Si tu agis comme un coupable, c’est certain qu’on ne va pas faire long feu.
-Optimiste ? Parce que t’imagines qu’ils vont nous accueillir comment ? Quand ça va s’ouvrir, ils vont nous cribler de balles. Bon sang, si j’avais vingt ans de moins, j’aurais vraiment pris mon pied.
-Ouais, table plutôt sur quarante.
Lorsque l’élévateur stoppa son ascension, une tension légitime s’empara des deux hommes. Les yeux rivés sur la porte métallique, le cœur battant, chacun redoutait une levée de rideau fatale. La sirène stridente et les reflets rougeoyants du gyrophare, s’intensifiant à mesure que la porte coulissait, ne furent pas pour les rassurer. Ryane, qui jusqu’alors prenait les événements avec un certain détachement, n’en menait pas large à l’heure du verdict. La pression toucha à son paroxysme lorsqu’un attroupement de soldats en armures, fusils d’assaut en main, accoururent dans leur direction. Le teint blême, Morahtk marmonna une prière dans sa barbe, bien qu’il n’ait jamais été un fervent croyant. De son côté, Ryane trouva en lui le talent de se décomposer intérieurement, sans ne rien en laisser paraître.
-Général ! l'interpella le casqué, en proie à la panique. Des prisonniers fomentent une évasion dans le sous-sol G14. Vous vous joignez à nous ?
-Non, je suis attendu ailleurs, répliqua-t-il, ravi de prolonger son jeu d’acteur qu’il ne cessait de peaufiner malgré lui. Allez-y et réglez-moi ce problème. L’Empire ne peut pas se permettre de se faire ainsi attaquer de l’intérieur. Il en va de notre honneur.
Sur cette belle tirade, le meneur, galvanisé par un élan patriotique, acquiesça avec force avant de s’en aller rejoindre les étages inférieurs, rendus accessibles par l’état d’urgence. Une fois l’horizon dégagé, les deux guerriers eurent tout le champ libre pour mener à bien leur projet d’évasion. Ce hangar, ils le connaissaient sur le bout des doigts pour l’avoir emprunté à maintes reprises par le passé.
La gigantesque bâtisse, avec sa structure en dôme de verre, abritait les derniers fleurons de l’aviation de l’Empire : des imposants avions de transport, aux chasseurs dernier cri, en passant par les bombardiers. Tous arboraient le sceau des trois signes superposés de l’épée, du miroir et du joyau. Une forte odeur de kérosène émanait des machines en maintenance, tandis que les quelques moteurs en activité ronronnaient sous l’œil attentif des techniciens experts.
Au centre de cet arsenal d’appareils militaires en tout genre, seul le HM 200, un vaisseau de combat polyvalent capable aussi bien de mener des missions de reconnaissance que du soutien au sol, semblait obtenir les faveurs du duo, qui s’y précipita instantanément. L’engin, essentiellement constitué de matériaux composites en fibre de carbone et d’alliage d’aluminium, avait fière allure. Les différentes déclinaisons de l’appareil s’imbriquaient harmonieusement de façon uniforme, sans laisser apparaitre la moindre ligne de jonction. Seul le cockpit, en guise de verrière, dénotait de par sa structure en forme de dauphin, à la proue de l’appareil. Les ailes inclinées vers l’arrière se confondaient en un seul bloc dans deux puissants réacteurs, inspirant à l’ensemble un aspect d’aérodynamisme, à la vitesse et à la furtivité induite. Le choix de cet appareil ne relevait pas du hasard. Ce fleuron de l'Empire avait la particularité d’être léger et intraçable, en plus de bénéficier d'une puissance de feu conséquente.
Accédant au cockpit par le biais d’une petite nacelle à escalier, les deux hommes s'installèrent à la hâte. Ryane occupa la place du pilote à l’avant et Morahtk prit place à l’arrière, sur un siège légèrement surélevé offrant un angle de vue optimal.
-Vas-y, démarre le bousin ! suggéra expressément le vieillard. J’espère que t’as pas perdu la main.
Ryane, qui subissait les complaintes de son co-pilote, prenait la mesure de toute la tripotée de boutons et de leviers dont il peinait à se remémorer la fonction. Pivotant sa tête rapidement de droite à gauche et de haut en bas, il lui fallut un léger temps d’adaptation pour analyser son environnement proche.
...Qu’est-ce que tu fous, bon sang ?
Apercevant une masse grouillante de soldats à l’horizon, le vieil homme dut se résoudre à maîtriser ses palpitations.
...C’est quand tu veux !
Sur le cockpit de l’appareil, une multitude d’étincelles jaillirent, comme autant de points d’impact balistiques ricochant sur le blindage métallique.
-Allez, allez, allez, répéta Ryane, comme s’il conversait avec sa monture, jusqu'à parvenir à en enclencher le réacteur.
Le vrombissement eut l’effet d’une douce mélodie à ses oreilles, ravivant l’espoir d’entrevoir une porte de sortie. Trifouillant les interrupteurs au plafond, puis sur le tableau de bord, le guerrier toucha enfin au but, s'apprêtant à faire décoller le HM200, ciblé par les balles diffuses.
…Je le savais ! s’exclama-t-il, euphorique. C’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas.
Soudain, une secousse fit basculer le nez de l’appareil, alors qu’une ombre menaçante glissa sur le vitrage du cockpit. Stupéfait, Ryane leva les yeux et aperçut, plaquées contre la verrière au-dessus de sa tête, les semelles d’une paire de bottes. Son cœur se serra lorsqu’il reconnut Kendra. La tueuse avait bondi sur l’appareil, et mue par un instinct de prédatrice, s’apprêtait à les transpercer de ses lames jumelles. Ryane le lisait dans son regard : son ancienne protégée ne reculerait devant rien. La panique le submergea lorsqu'elle leva le bras, prête à le pourfendre. Piégé dans le cockpit, il constituait une proie facile et vulnérable.
...Et merde ! s’écria-t-il, levant instinctivement les bras pour se protéger.
Les claquements étouffés et les vibrations provoqués par le choc du métal sur la vitre firent tressaillir le guerrier, bien heureux de pouvoir compter sur un blindage de qualité. Il n’était pas encore sauvé pour autant. Kendra, loin de se résigner, s’acharnait avec une fureur renouvelée. Elle assénait des coups répétés sur la paroi transparente qui n’en finissait plus de trembler, menaçant de céder à tout moment.
-Elle est complètement folle, réagit désespérément Morahtk. Elle ne s’arrêtera pas avant de nous avoir butés. Fais quelque chose !
Le vieil homme n'en revenait pas que l'une des leurs puisse à ce point désirer leur destruction. Lorsqu’ils appartenaient au même camp, il ne l’avait jamais considéré comme une menace potentielle. Désormais qu’elle endossait le rôle de l'ennemie, la puissance de la tueuse lui inspirait une frayeur telle que sa psyché semblait atteinte d'apoplexie.
-Prépare-toi, on décolle.
Sous le tumulte des ondes de choc résonnant au-dessus de sa tête, Ryane actionna le levier.
L’apesanteur exerça une légère pression sur leur estomac, tandis que l’appareil s’élevait et oscillait de droite à gauche, parvenant à maintenir un équilibre précaire. Kendra ajusta sa posture, synchronisant ses mouvements à ceux de l’engin. Le HM 200 n’étant pas orienté vers la sortie, toute manœuvre visant à le faire basculer d’un côté ou de l’autre s’avérait périlleuse. L'appareil risquait de subir des dommages irréversibles en heurtant les grosses cylindrées à proximité.
...OK ! souffla Ryane sous la pression. On va prendre un raccourci.
Saisissant le manche, il actionna l’interrupteur de tir, et se focalisa sur la visée rouge affichée sur son écran. Aussitôt, une salve brisa la façade du dôme qui se désintégra en une traînée de poussière de verre. La déflagration dispersa une myriade de débris dans toutes les directions, blessant la tueuse sans toutefois altérer sa volonté de nuire. Les réacteurs activés projetèrent une traînée de flammes ardentes, et l’oiseau de métal prit son envol rectiligne, effleurant le sol de ses ailes avant de se redresser majestueusement. Kendra, emportée par le sillage de l’engin, exécuta un bond prodigieux, suivi d’une roulade parfaitement maitrisée à l’atterrissage. Observant l’arrière-train de l’avion disparaître à l’horizon, elle laissa échapper un cri de rage, échos de sa frustration infinie.