Shanshu II - Wolfram & Hart

Chapitre 14 : DESERTION

7703 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 16/06/2024 22:10

 Chapitre 14 DÉSERTION

 

D’un pas lourd et décidé, le guerrier fit claquer ses talons sur le parquet lustré de ce long couloir exigu. Le visage fermé, Ryane savait ce qui l’attendait au bout du chemin pour l’avoir lui-même provoqué en tout état de cause. Son maître l’avait convoqué et ce n’était certainement pas pour le féliciter d’une campagne volontairement sabotée. Comme à chaque retour de mission, l'heure des comptes avait sonné. Il s’y était toujours plié jusqu’à ce jour, avec la même conviction et la même soumission à l’ordre établi, pour lequel il avait voué jusqu’à sa propre vie. Pourtant, alors qu'il entamait sa marche forcée, quelque chose s’était brisé en lui. Un sentiment d’incertitude, un doute palpable étreignait désormais son cœur, et plus que cela, une autre conviction avait germé supplantant la précédente.

 

Alors que la double porte gravée du Cerf obstruait son passage, cette fois-ci, il n’allait pas attendre docilement qu’on daigne le faire entrer. D'une poussée franche, les deux battants s’écartèrent. Sa présence se révéla aux yeux inquisiteurs du vieil homme, dont l’ombre reflétait la divinité ramifiée. Agenouillées face au trône, deux silhouettes familières l'attendaient dans la pénombre. Un regard de serpent qu’il reconnaîtrait entre mille l'épiait avec insistance du coin de l’œil. Drago, ce frère d’armes qu'il considérait comme son rival le plus identifiable était présent, et derrière lui, en retrait, se tenait Kendra. La tête basse, sa partenaire fuyait son regard, l'air totalement détaché, sans même se conformer aux traditionnelles salutations d'usage eut égard à son rang.

 

Ryane ne s'en trouva pas surpris outre mesure, mais de toutes les perspectives étudiées, la pire était en passe de survenir. La présence sans son aval de ses propres officiers eut suffi à lui faire comprendre le message. Le traquenard semblait au point. D’ordinaire, lui seul détenait le privilège de converser avec la divinité, mais les récents événements insufflèrent une tournure rédhibitoire qu’il avait de toute façon envisagé dans les grandes lignes. Seule ombre au tableau, il n’imaginait pas sa fidèle lieutenante prendre part à sa destitution, elle pour qui il vouait un respect et une confiance sans commune mesure. Cet acte de trahison à son égard s'avérait difficile à digérer la concernant. Un sentiment bien passager lorsqu'il se rendit compte de ses propres erreurs. Tourner le dos à l'empire en espérant préserver la confiance de ses propres officiers relevait d'une douce utopie, et le vieil homme au regard courroucé comptait bien appuyer ce trait.

 

-Tu oses pénétrer ce lieu sacré sans mon accord et tu ne daignes même plus te prosterner devant ton Dieu, s'emporta-t-il d'une voix caverneuse. Ai-je été à ce point laxiste envers mon enfant qu’il ne fasse plus cas du respect et de la politesse?

 

Habillé de sa soutane noire, le vieil homme dégageait une aura plus sombre que d’habitude. Ryane, ayant eu le privilège de l’assister à maintes occasions, ne s’était jamais retrouvé dans pareil cas de figure. Ce regard d’aigle porté à son encontre semblait sonder le fond de son âme pour en extirper l'essence et la réduire à néant. Sa condition s'apparentait à celle d'un insecte emprisonné dans la toile de l’araignée, dans l'attente de se faire dévorer. Comme il n’était pas dans sa nature de se décourager, il s'obstina dans son irrévérence en refusant de ployer le genou. Un air de défi habitait son regard.

 

-Pardonnez mon intrusion brusque, mais des rumeurs circulent selon lesquelles Morahtk a été emprisonné et qu’il encoure la peine capitale pour haute trahison. Je suis venu me porter caution de son innocence. Il a donné sa vie pour l’empire. Comment pourrait-il être un traître ? Tout ceci n’a aucun sens et ne porte sur aucun fondement.

 

Le vieil homme imposa à ses traits fins et ciselés, un sourire diabolique. Ses lèvres légèrement entrouvertes laissaient apparaître les bribes d’une dentition à peine perceptible.

 

-Voilà pourquoi tu es mon enfant préféré, ricana-t-il subtilement. Parce que tu ne calcules pas. Tu fais ce qui te semble juste, sans te préoccuper des conséquences. Je pourrais te tuer, là, tout de suite, pour l’ingratitude dont tu fais preuve. Tu en as parfaitement conscience et pourtant, tu ne te défiles pas. C’est ce que j’ai toujours apprécié chez toi.

 

Ryane savait pertinemment ce qu'il encourait en se confrontant à un Dieu, mais la vie de son plus fidèle associé pesait dans la balance et il ne l'acceptait pas.

 

-Il ne s’agit pas de moi, mais de l’un des hommes les plus méritants de l’empire, insista-t-il en répondant à la pression insoutenable que lui imposait le vieil homme, de par le non verbal.

 

Le vieux Morahtk fut, pendant ses dix dernières années, bien plus qu’un mentor pour Ryane. L'ancien, comme il aimait à le nommer, lui avait inculqué certaines stratégies militaires, en même temps qu’un code de l'honneur dont il se voulait le fier héritier. Le guerrier le considérait comme son maître, un père d’adoption dont il admirait la force et la sagesse, malgré son air bourru et peu raffiné. Le Dieu Cerf, au fait de cette relation, semblait prendre un malin plaisir à creuser cette faille. Ce dernier s'adressa à la tueuse.

 

-Kendra! Ma chère enfant. Qu’as-tu à dire pour la défense de Morahtk ?

 

Aussitôt, l'attention de Ryane fut accaparée par sa subalterne. Elle le fixa froidement comme pour jauger sa réaction.

 

-Seigneur, s’inclina-t-elle respectueusement. Permettez-moi de m’adresser à lui, sans retenue.

 

À l’approbation du Dieu cerf, elle confronta son frère d'armes.

 

...Ce vieil homme n’a eu de cesse de comploter derrière notre dos pour te manipuler. Ça faisait un certain temps que je le soupçonnais de t’orienter insidieusement à faire preuve de faiblesse et de bonté envers les ennemis de l’empire. J’en ai eu la confirmation lors de notre dernière campagne. Nous avions vaincu l’ennemi au prix de lourds sacrifices, et pourtant tu as épargné la citadelle. Tu t’es retiré en trahissant tout ce pour quoi nous nous sommes battus. Je revois encore le visage satisfait de ce vieillard, à l'heure de battre en retraite.

 

-Tais-toi, espèce de folle, ragea Ryane, le front plissé et le regard enflammé. Tu ne sais pas ce que tu dis.

 

-Comment oses-tu renier l’évidence. Toi qui a osé te délester de l’épée d’ébène et qui a trahi tes propres hommes. Je t’ai aimé mon frère. J’aurais pu mourir pour toi, mais tu as changé. Tu as préféré te laisser tenter par la langue fourchue de Morahtk en tournant le dos à ta propre famille, à tes propres convictions. Tu t’en rappelles, imposer la paix pour l'unification, mais tu as été perverti par l'idéologie de nos ennemis. Tu es désormais atteint d’un mal dont on ne peut guérir. Tu n’es plus digne de nous représenter.

 

Comment renier l'évidence. Ryane avait failli à sa mission. Lui-même ne se sentait plus en mesure de diriger les armées, mais ce n’était assurément pas pour le pire. Kendra n'était pas apte à comprendre. Elle n’en avait simplement pas eu le temps, ni le déclic, et encore moins l’opportunité. La colère et la peur voilaient son jugement, et bien qu’il la détestât à employer de telles paroles, au fond, il la considérait comme une victime. Ainsi se trouvaient-ils tous formatés. Rechignant à convaincre sa sœur d’arme, il dévia son attention en direction de la Déité faite homme.

 

-Kendra a raison sur un point, affirma-t-il en haussant le ton. Je suis le seul coupable. Morahtk n’a fait que suivre mes ordres. S'il faut que j'en paye les conséquences, alors je suis tout disposé à le faire. Jamais je ne me suis défilé, et ce n’est pas aujourd’hui que je commencerai, mais accuser un innocent, je ne l’accepte pas. Si cet homme est coupable d’avoir suivi mes ordres alors tous les soldats de l’Empire devraient être fusillés sur le champ. Kendra y compris.

 

-Tu avoues donc que tu as délibérément tourné le dos à tes principes, intervint le vieil homme dont le timbre de voix manifestait une profonde déception. Si tu penses que nous sommes dans un tribunal ici, tu te trompes mon fils.

 

Le Dieu cerf délaissa son trône pour s'approcher du guerrier. À la perception de son aura meurtrière, Ryane fut épris de sueurs froides. Si son corps lui imposait de se tenir sur la défensive, il s’efforça de rester de marbre. Le Dieu Cerf stoppa sa marche à quelque pas de sa personne. Les bras croisés derrière son dos, il le toisa d’un œil sévère, tout en forçant sur un ton paternaliste.

 

...Il ne s’agit aucunement de justice, encore moins de notions de bien ou de mal. Ton cœur est en proie au doute, et de par tes erreurs, des personnes vont mourir. Coupables, innocents, cela n’a jamais fait partie de l’équation. Je laisse volontiers ces concepts aux hommes et à leur principe. Je ne joue pas dans la même cour et je pensais que toi non plus. Les cas de conscience, les états d’âme, il est tout naturel d’en avoir. N’importe quelle créature dotée de perception finirait fatalement par éprouver ce sentiment. Mais seuls ceux qui surpassent cet état sont amenés à réaliser de grandes choses et à changer le monde. L’émotion est un frein à l’épanouissement de tout ce qui nous anime, c’est une entrave à ce qui doit être fait. On ne forge pas la paix avec de bons sentiments, mais en les sacrifiant pour un dessin, un idéal qui nous dépasse tous. J’ai toujours perçu en toi un énorme potentiel, et je serai contrarié d’avoir à me passer de tes services parce que tu n’aurais pas fait le bon choix. La véritable question qui se pose, c’est, veux-tu faire partie de ceux qui façonnent le monde ou de ceux qui sont façonnés par lui? Alors je vais me répéter et j’attends une réponse claire. Dois-je me passer de tes services?

 

Le silence qui s’ensuivit prêta à une profonde réflexion quant à la suite à apporter en guise de réponse. L’alternative offerte à Ryane consistait en un choix simple. Celui de la vie sur la mort. Remarquant l'hésitation du guerrier, le vieil homme réitéra sa demande.

 

...D’habitude, je n’offre jamais de secondes chances, le prévint-il comme un parfum de menace.

 

Ryane, bien que fier, n'en était pas devenu fou pour autant. Mort, il perdrait Liv, et à cette seule pensée, la décision s’imposa naturellement. Sans dire un mot, il s'inclina et baissa les yeux en signe de soumission. Ce geste eut pour mérite de décrisper le visage du Dieu Cerf qui lui posa une main ferme sur l’épaule.

 

...J’étais persuadé que tu ferais le bon choix, s’enorgueillit-il en rebroussant chemin pour regagner son trône. Façonner le monde requiert une conviction inébranlable. Morahtk mourra à l’aube, et tu seras son bourreau.

 

Cet ordre avait au moins pour mérite d’être clair. Le vieil homme, ou ce qui se cachait derrière ses traits, ne lui accordait aucune confiance. Ryane se trouvait toujours dans une impasse. Les apparences restaient sauves pour le moment, mais le test du lendemain aurait tôt fait de percer les secrets de son cœur, et comme l’avait si soigneusement prévenu son maître, cette fois, pas de retour en arrière possible. Du haut de son trône, l’homme aux cheveux grisonnant jugea bon de lui infliger le coup de grâce.

 

...Je n’en oublie pas pour autant que tu as fauté. Toute faute mérite sanction. Tu as perdu la confiance de tes troupes. Tu n’es, pour l’heure, plus digne d’être général.

 

Ce qui devait arriver arriva. Ryane s'y attendait. La présence de Drago pointait le curseur en ce sens. Bien qu’il ait juré devant Kendra que si ce dernier ravissait sa place alors il l’accepterait sans rechigner, il devait bien admettre que ce n’était pas aussi simple. Ce poste, il l’occupait avec fierté depuis des années. Passer le relais à quelqu’un d’autre et à plus forte raison, à cet homme-là, ne le réjouissait aucunement. Drago traînait derrière lui une bien cynique réputation. Bien que son efficacité sur le champ de bataille ne soit plus à prouver, Ryane ne lui portait aucune considération du temps où il opérait sous ses ordres. Trop brutal et trop peu réfléchi à son goût, ce démon ne lui inspirait que dédain, à mille lieues de la noblesse d'âme de Saldin. Le guerrier le savait bien. Introniser cette brute sanguinaire à ce poste signifiait le durcissement de l’oppression envers un peuple soumis et à bout de souffle.

 

Ryane l'admettait volontiers. Son rival se prévalait d'être le plus puissant guerrier de leur ordre. Lui-même éprouverait toutes les difficultés à lui tenir tête en combat singulier, mais le rôle de général requérait assurément d’autres qualités que celle de la force brute. Toutefois, cela ne relevait plus de son ressort, et le Dieu Cerf proclama Drago, général suprême de l’empire. Plus sur la forme que sur le fond, cette déclaration fut vécue par le Loup noir, comme une véritable humiliation. L’épée d’ébène en sa possession, Drago le narguait d’un sourire effroyable, déformant l'expression d'un visage empreint de folie.

 

Une fois adoubé, le nouveau général en chef imposa impétueusement sa présence à Ryane qu’il dépassait de quelques têtes. Son visage allongé, pourvu d'une mâchoire puissante et carrée, faisait ressortir de gros yeux globuleux, ne laissant rien paraître d’une personne saine d’esprit. Ses longs cheveux sombres, coiffés vers l’arrière, exposaient un front haut et bosselé. Il portait sur lui un plastron, laissant deviner toute l’étendue d’une musculature hors du commun. Deux têtes de dragons ornementaient ses épaulettes. Ses bras nus et puissants, ses veines apparentes, la robustesse de sa chair enduite de cicatrices, ses membres surdimensionnés : toute sa stature semblait forgée par l'enfer de mille batailles. Ryane, bien qu’admirablement proportionné, peinait à tenir la comparaison, et Drago n’hésita pas à amplifier le trait d'une arrogance non dissimulée. Témoin de ce passage de flambeau, Kendra se délectait d'assister à un tel revirement. La tueuse l’avait toujours prévenu de la menace que représentait Drago, et comme à son habitude, Ryane était resté sourd. Aujourd’hui, la déchéance d’un homme l’ayant si souvent rabaissé, et ayant commis un acte de trahison impardonnable à son encontre, provoqua en elle le sentiment presque jubilatoire d'une vengeance assouvie. Les deux guerriers se confrontèrent, posture contre posture, comme deux fauves prêts à s’entre tuer.

 

-Inutile de te dire que je ne te désire pas dans nos rangs, le nargua Drago de sa voix éraillée. Pas de place pour les traîtres parmi les nôtres.

 

Ryane ne jugea pas opportun de répondre. Quoi qu’il dise, il ne se trouvait pas en position de force, et s’il désirait jouer le prochain coup, son intérêt lorgnait du côté de la discrétion. Ses attaques ne suscitant pas de réaction, le fraîchement intronisé général en chef appuya son agression verbale.

 

...Tu sais quoi ? Peut-être qu’il y aurait un poste de larbin de bas étage dans mon armée, mais je dois bien avouer que ça me ferait mal de supporter ta gueule de traître à longueur de journée. Kendra! l’interpella-t-il sans lui prêter un regard. Qu’est-ce que t’en dis, tu n’aurais pas besoin de ce chien pour cirer tes pompes ? Après tout ce qu’il t’a fait subir, tu dois le haïr comme personne.

 

La tueuse demeura silencieuse, mais le sourire sur son visage ne mentait pas.

 

...Qu’on soit clair, reprit-il en confrontant son faciès à hauteur de son vis-à-vis. Peu importe que tu sois pardonné pour tes actes ou pas. Pour moi, il n’y a plus de retour en arrière possible. Je vais te pourrir la vie à tel point que tu regretteras de ne pas avoir été fusillé... Enfin, encore faut-il que tu aies le cran de faire ce qu’il faut. L’aube arrivera bien vite. Tic-tac, tic-tac..tic..

 

Le coup de pression n’eut pas plus d’effet que les précédents. Ryane esquissa même un sourire de façade en défiant ouvertement Drago qui bouillonnait intérieurement d’une rage folle.

 

-Hé, Ducon, reprit Loup noir en décidant de laisser libre cours à ses pulsions. De quoi t’as peur au juste ? Que je reprenne le poste et que je prouve au monde à quel point t'es incompétent. Si c’est ça mon gros, t’as aucun souci à te faire. T'auras pas besoin de moi pour te ramasser.

 

En se dérobant à son rival resté pantois, les yeux écarquillés, Ryane esquissa quelque pas en direction du vieil homme.

 

...Je me fous des honneurs ou d’être rétrogradé. Si je peux racheter de par mes actes, mes fautes et prouver ainsi mon allégeance à l’empire, alors je suis prêt à tous les sacrifices.

 

Beau mensonge que tout ceci, avec certainement pour mérite, l’oscar du meilleur acteur, puisqu’il n’en pensa pas un traître mot. Ryane avait montré là toute l’étendue de sa patience en courbant l'échine, mais les limites avaient été dépassées, et il ne supportait plus de gaspiller la moindre seconde en ce lieu dans lequel il ne se reconnaissait plus. Il demanda congé au Dieu Cerf puis se hâta en direction de la sortie. Lorsqu’il croisa Kendra sur son passage, il comprit à son regard inquisiteur, qu’elle voyait clair dans son jeu. À cet instant, il se considéra heureux de ne pas lui avoir révélé la moindre confidence sur son couple, sans quoi, Liv ne serait déjà plus de ce monde à l'heure qu'il est. Preuve que travail et vie privée ne faisaient pas bon ménage.

 

*

 

Désormais libéré de ses obligations, très peu de temps lui était alloué pour profiter de la situation. Sa fonction de général en chef des armées venait de lui être confisquée, mais la procédure demandait à être officialisée, et il entendait bien jouir de cet intervalle pour abuser de son autorité sans faire dans la demi-mesure. En glissant son badge électronique sur le détecteur de l’ascenseur, un mécanisme s’enclencha, puis un laser optique alla s’implanter dans sa rétine. C’était un coup risqué. Dans le cas où la mise à jour aurait été effectuée, une fumée anesthésiante s’échapperait des canalisations, et les alarmes alerteraient immédiatement les services de sécurité. Une brève inspiration plus tard, et tous les voyants s'annonçaient au vert. Le soulagement restait de mise. L’information selon laquelle le changement de propriétaire n’avait pas encore eu lieu laissa le champ libre à l’élaboration de son plan improvisé. Lorsque les portes coulissantes s’ouvrirent dans les profondeurs du building, le guerrier fut accueilli par deux soldats. En constatant la venue inopinée de leur supérieur, ils se figèrent au garde à vous.

 

-Repos ! ordonna sèchement Ryane. Dans quelle cellule se trouve le prisonnier Morahtk ?

 

-Cellule dix-sept général, lui répondit fièrement le gardien en se déplaçant sur le côté afin de libérer la voie.

 

Sans demander son reste, Ryane parcourut l'interminable couloir vétuste aux parois délavées, desservant de part et d'autre des dizaines de cellules dont les barreaux en aciers chromés cachaient par intermittence les tristes condamnées. De longs tuyaux d’échafaudages pendaient misérablement au plafond, avec en leur centre, une ligne infinie de néons qui s’additionnaient les uns à la suite des autres, en éclairant l’ensemble d’une lumière inégale, et ce, lorsqu'ils étaient en état de fonctionner. Le bruit strident de l’éclairage dysfonctionnel agressait les tympans, alors qu'une odeur désagréable d’humidité et de pisse venait accentuer le décor infâme d’un lieu où la dignité humaine se trouvait piétinée jusque dans sa moelle. Cet endroit lugubre, inconnu du grand public ne constituait pas à proprement parler une prison, en ceci que les condamnées n’avaient pas vocation à y rester.

 

Dans le jargon, on le nommait '' le couloir de la mort''. Cet espace de désolation représentait la dernière demeure des prisonniers avant le peloton d’exécution qui aurait lieu dans une cour emmurée à l’air libre. Seuls les terroristes et les criminels capables de nuire à l’empire pâtissaient de ce traitement de défaveur, mais bien souvent, il ne s'agissait que d'un prétexte pour se débarrasser de quelques gêneurs politiques ou quelques sombres affaires du même acabit. Autant dire que la majorité des condamnées se composait essentiellement d' innocents, muselés par le dictat d’un pouvoir exerçant son autorité abusivement. En temps normal, l'accès à ce lieu exigeait une dérogation spéciale souvent prévue à l’avance, ainsi que l’escorte d'une milice armée jusqu’aux dents. Mais lorsqu’il s’agissait du général de l’empire, l’exception faisait la règle.

 

Son passage suscita les cris désespérés des forçats qui s'appuyèrent contre les barreaux de leurs cellules, certains en l’injuriant, d’autres en l’implorant désespérément. Ryane ne posa aucun regard sur eux. Non pas que le sort de ces pauvres gens ne l’alarmait pas, mais n'ayant pas le pouvoir de changer leur destin, il trouva inutile de faire naître en eux de faux espoirs ni de garder en mémoire des visages qui certainement le hanteraient pendant un bon moment. Avant son idylle avec Liv, il n’aurait eu aucun remords à les fixer sans complaisance, et si on lui en avait intimé l’ordre, il aurait appliqué la sentence froidement, sans rechigner. Ce temps était désormais révolu. Pour autant, il regrettait son aveuglement et son manque de discernement à ne pas avoir pris conscience d'arpenter le mauvais chemin plus tôt. Le changement en lui s’était opéré lentement. Si sa rencontre avec Liv fut l'élément déclencheur ayant bousculé toutes ses certitudes, la flamme dans le regard de Saldin constitua le facteur déterminant de ses nouvelles résolutions. Alors que les numéros défilèrent devant ses yeux, le dix-sept en partie effacé attira son attention. En marquant l’arrêt devant la cellule, il ne fut pas étonné de découvrir le vieil homme adossé au mur de brique en toute sérénité.

 

La geôle se trouvait meublée d’une simple couchette de fer dont les lattes et les draps accusaient le coup d’un entretien inexistant. Au fond de la cellule, collée au mur de briques grisâtres, siégeait une cuvette rouillée de laquelle émanait une odeur nauséabonde. Entre les deux, le vieil homme semblait attendre paisiblement que le temps passe. La mort ne l’effrayait pas. Morahtk avait toujours arpenté les sentiers de la vie en se fiant à la fatalité. Ainsi rescapé de plusieurs batailles, il se considérait chanceux d’avoir pu jouir d’une vie aussi riche et intense. Ses meilleurs moments désormais derrière lui, tout le reste s'apparentait à un bonus jusqu’au repos éternel. À la différence de ses compagnons d’infortune, l'issue lui importait peu. C’est dans cette optique que, lorsqu’il entendit les bruits de pas s’approcher de sa cellule, il n’y prêta aucune attention. Pourtant, la ténacité d’un regard braqué sur sa personne le décida enfin à lever la tête.

 

-Ryane ? s’étonna-t-il en plissant les yeux comme pour s’assurer qu’il ne rêvait pas. Dieu soit loué, tu vas bien. J’avais peur qu’on ne t’ait réservé le même sort.

 

-Pour tout te dire, j’aurai préféré, avoua-t-il en s’assurant que les soldats n’épiaient pas leur discussion. Ça va, ils ne t’ont pas maltraité?

 

-Après tout ce que j’ai enduré dans ma vie, j’ai l’impression d’être en vacances, ironisa le vieil homme.

 

-Dans ce cas, tu m’en vois désolé, mais je suis venu t’en sortir.

 

L’annonce de sa libération ne semblait pas enchanter Morahtk qui agrippa fermement les barreaux.

 

-Qu’est-ce que tu racontes comme connerie? murmura-t-il en s’évertuant à contrôler le débit de sa voix. T’as perdu la tête ou quoi ? Dégage de là avant que je te botte le cul.

 

Ryane arbora un air outré en feignant d’être touché par les paroles blessantes du vieillard.

 

-Dois-je te rappeler que tu t’adresses à ton général. Un peu de tenue, que diable !

 

L’un des soldats qui effectuait son tour de garde débarqua au même moment, étouffant par la même la colère de Morahtk qui s’étrangla en proférant des insultes inaudibles.

 

-Je t’en foutrai de la tenue espèce de… Et de sale...

 

Une fois le gardien hors champ, le vieil homme rehaussa le ton.

 

...Espèce de jeune trou du cul.

 

Sa colère n'était pas anodine. Morahtk savait pertinemment que son disciple prenait le risque de perdre son poste et la vie en le libérant de cette cellule. Un sacrifice bien trop lourd pour un vieil homme dont la courbe de l'existence lorgnait du côté de la fin.

 

-De nous deux, je te rappelle que c’est moi ton aînée, lui rétorqua Ryane. J’ai des milliers d’années d’avance, et on n’a pas le temps de bavarder. Je ne suis officiellement plus général. S’ils découvrent que je n’ai rien à faire ici, on risque la peine capitale tous les deux.

 

L’annonce du guerrier apaisa subitement la colère de Morahtk. Ce dernier guetta son vis-à-vis d’un œil hagard.

 

-Tu n’es plus général, raisonna-t-il en relâchant la pression exercée sur les barreaux.

 

En pleine réflexion, le vieil homme prenait conscience de la situation et des enjeux. La mise au point effectuée, il revint s'agripper à la grille.

 

...Qui est le nouveau général?

 

À l’expression éloquente de son ancien disciple, Morahtk devina aisément l'identité du nouvel élu.

 

...Et merde, soupira-t-il de dépit. Décidément, tu ne peux pas dire que Kendra ne t’ait pas prévenu ! Mais et toi, qu’est-ce que tu deviens alors ?

 

-Un fugitif ou un homme mort, ironisa Ryane avec toute la légèreté le caractérisant. Tout dépendra de toi et ta foutue manie de poser des questions alors que le temps joue contre nous.

 

Le vieil homme éprouva le frisson de l’excitation à l’idée d’accepter la proposition de son compagnon. En pleine introspection, il fit les cent pas dans sa cellule. Devant le fait accompli, plus rien ne s’opposait désormais à une tentative de rébellion. S’il devait mourir, autant que ce soit en fier guerrier.

 

-Réfléchis bien, tourner le dos à l’empire te mettra automatiquement dans la case terroriste. Si je te dis ça, c’est pour être sûr que t'en aies bien conscience.

 

-Est-ce que j’ai l’air de m’en soucier ?

 

-Bon sang ! acquiesça Morahtk qui entrevoyait les conséquences engendrées. Je crois que je suis trop vieux pour ces conneries. OK, c’est quoi le plan ?

 

-Le plan ? s’étonna Ryane, au grand désarroi du condamné. Quel plan, on va improviser.

 

Le guerrier fit appeler le garde. Aussitôt, un soldat se précipita à son encontre.

 

...Ouvrez sa cellule, ordonna-t-il fermement. Il y a eu une erreur. Cet homme est innocent. J’en prends la responsabilité.

 

Face à cette demande officiant une entorse au règlement intérieur, le soldat hésita.

 

-Je suis na-navré général, bégaya le malheureux. Mê... Même si cet ordre vient de vous, il faut une attestation signée, sans quoi je ne peux rien faire.

 

Ryane, parfaitement au fait du protocole, redoutait d’en arriver-là, mais aux grands maux, les grands remèdes. Il cueillit le pauvre bougre d’une méchante droite à la mâchoire qui l’assomma sur le coup. Le deuxième soldat de garde, n'ayant pas assisté à la discussion, accourut dans les brancards pour s’enquérir de la bavure de son collègue, mais à peine venait-il de débarquer, qu’il subit le même sort. À la recherche des clés permettant de déverrouiller la cellule, Ryane entreprit de fouiller dans leurs poches. Sans résultat. Pire, les caméras postées sur le périmètre entonnèrent l’alerte, annonçant l’arrivée imminente de troupes armées.

 

-Où sont les clés ? insista Ryane en palpant les corps dans la précipitation. Y a rien sur eux.

 

-Les clés ? s’étonna Morahtk. Mais t’es con ou quoi ? On est plus au moyen âge. Les cellules sont automatisées. Le boîtier doit se trouver à l’accueil. Grouille-toi ou on va se faire trouer la peau.

 

Aussitôt dit que Ryane se précipita au bureau d’accueil. À son grand désarroi, le fameux boîtier consistait en un écran requérant pour être activé, un code qu’il n’avait pas en sa possession. Songeant dans un premier temps à couper l’électricité générale, il se ravisa, suspectant les cellules d'être liées à un secteur isolé. S’en retournant d’où il était venu, le guerrier entreprit de piocher sur le corps de l’un des soldats assommé, l'arme de service ceinturée à sa taille.

 

-On va faire ça à l’ancienne !

 

Pointant le viseur sur la serrure, il actionna le chien de l'arme tandis que le vieux Morahtk, centré dans la ligne de mire, s’empressa de se décaler sur le côté. Un retentissement, suivi d’une étincelle, eut raison du mécanisme d’ouverture au milieu duquel s’était creusé un trou à la circonférence parfaite.

 

-Si c’était aussi simple, maugréa Morahtk sceptique, crois bien que les ingénieurs ne se seraient pas cassé la tête à…

 

Ryane ouvrit la cage sans difficulté, ce qui coupa sec le sifflet à son vis-à-vis. À cet instant, son visage affichait toute l’étendue d'une fierté mal placée.

 

...OK ! reconsidéra le vieil homme. Enlève-moi d’un doute, y a pas le mot « génie » dans ingénieur. C’est fou ce qu’on a tendance à surestimer les élites pensantes.

 

Les prisonniers, témoins de la libération de l’un des leurs, entrèrent dans une hystérie collective et gesticulèrent dans tous les sens derrière leurs barreaux. Des Cris, plus semblables à ceux proférés par des animaux, émanaient de leurs vocalises. N’y prêtant pas attention, Ryane récupéra une deuxième arme qu’il s’empressa de fournir à son coéquipier. Redoutant la confrontation avec les forces de l’empire, le guerrier fut éclairé d’une idée.

 

-Aide-moi, poursuivit-il en appliquant la même sentence sur les cellules environnantes, aussitôt rejoint dans le geste par l'ancien.

 

Morahtk, mû par un réflexe de soldat de l’Empire, rechigna tout d'abord à libérer ces prisonniers considérés comme dangereux, mais son hésitation s’estompa bien vite face à l’urgence de la situation. Ainsi, des dizaines de condamnées se précipitèrent instantanément vers le sas de sortie. Leurs joies furent de courte durée, puisqu'au même moment débarquèrent une dizaine de soldats avec la ferme intention de précipiter leur mise à mort. Quelques coups de feu retentirent, entraînant la perte de bon nombre d’entre eux, tandis que les survivants se lancèrent à corps perdu dans la mêlée, en espérant une finalité plus heureuse.

 

Ryane et Morahtk, positionnés en retrait, profitèrent de l’élan de résistance engendré pour se frayer un passage à travers le couloir bondé et ainsi échapper au carnage. Leurs pas précipités les menèrent au-devant de l’ascenseur qui s’entrouvrit à leur passage, laissant apparaître devant leurs yeux ébahis, les renforts entassés à l’intérieur. Les deux fuyards ainsi que les soldats, conjointement surpris de se trouver nez à nez, esquissèrent quelques pas de retraits. Sur le fait accompli, les deux camps s’observèrent pris au dépourvu. Ryane, plus prompt à profiter de la bulle de flottement, décocha une droite au premier venu. Dans un espace si exigu, il était impossible pour les assaillants de dégainer leurs armes, si bien que chaque tentative fut avortée par un bras, une jambe, ou toute autre partie du corps de l’un de leurs partenaires, ce qui les empêtrait sans cesse dans des mouvements vains et maladroits. Profitant de la situation, le tueur fit montre de sa rapidité d’action. En quelques secondes, l’affaire était pliée. Alors que Morahtk gagna sereinement l’élévateur, les soldats gémissaient tous au sol, dans un panaché de jambes brisées, lèvres ensanglantées et bras désarticulés. Ryane prit la peine de les extraire avant d’appuyer sur l’interrupteur. Les portes de l’ascenseur coulissèrent, jusqu’à se refermer complètement devant un parterre de soldats entassés.

 

**

 

-Le hangar ? s’étonna le vieil homme en remarquant le numéro composé sur le clavier. Juste ciel !

 

-Plus personne ne dit ça.

 

-Quoi ?

 

-Juste ciel ! C’est une expression qui ne se dit plus depuis un siècle.

 

-Parce que tu penses que c’est le moment de tergiverser sur une expression, s’indigna l'ancien.

 

Ce dernier commençait à regretter d’avoir suivi ce casse-cou qui se permettait de lui faire des réflexions sur sa façon de parler alors qu’il n’avait pas dix années d’existence dans ce monde.

 

...Bordel on va se faire tuer.

 

-Sois un peu optimiste. N’oublie pas que je suis censé être le général. Si tu agis comme un coupable, c’est certain qu’on ne va pas faire long feu.

 

-Être optimiste? Parce que t’imagines qu’ils vont nous accueillir comment ? Quand ça va s’ouvrir, ils vont nous cribler de balles. Bon sang, si j’avais vingt ans de moins, j’aurais vraiment pris mon pied.

 

-Ouais, table plutôt sur quarante.

 

Lorsque l’élévateur stoppa son ascension, une tension légitime s’empara des deux hommes. Les yeux rivés sur la porte métallisée, le cœur battant, chacun redoutait une levée de rideau fatale. La sonorité horripilante de la sirène, ajoutée aux reflets rougeâtres et scintillants du gyrophare n’ayant de cesse de s’accentuer à mesure que la porte coulissait, ne fut pas pour les rassurer. De ce fait, Ryane qui jusqu’alors prenait les événements avec un certain détachement, n’en menait pas large à l’heure du verdict. La pression toucha à son paroxysme lorsqu’un attroupement de soldats équipés de leurs armures et de leurs fusils d’assauts accoururent dans leur direction. Le teint blême, Morahtk marmonna une prière dans sa barbe alors qu’il n’avait jamais été un fervent croyant. De son côté, Ryane trouva en lui le talent de se décomposer intérieurement, sans ne rien en laisser paraître.

 

-Général ! l'interpella le casqué en proie à la panique. Des prisonniers fomentent une évasion dans le sous-sol G14. Vous vous joignez à nous ?

 

-Non, je suis attendu ailleurs, répliqua-t-il, tout heureux de prolonger son jeu d’acteur qu’il ne cessait de peaufiner malgré lui. Allez-y et réglez-moi ce problème. L’empire ne peut pas se permettre de se faire ainsi attaquer de l’intérieur. Il en va de notre honneur.

 

Sur cette belle tirade, le meneur, galvanisé par un élan patriotique, acquiesça avec force avant de s’en aller rejoindre les étages inférieurs rendus accessibles par l’état d’urgence. Une fois l’horizon dégagé, les deux guerriers eurent tout le champ libre pour mener à bien leur projet d’évasion. Ce hangar, ils le connaissaient sur le bout des doigts pour l’avoir emprunté à maintes reprises par le passé.

 

La gigantesque bâtisse à la structure en dôme de verre accueillait les derniers fleurons de l’aviation de l’empire, allant des imposants avions de transport, aux avions de chasse dernier cri, en passant par les bombardiers. Tous étaient gravés du sceau des trois signes superposés, de l’épée, du miroir et du joyau. Une forte odeur de kérosène émanait des machines en maintenance, tandis que les quelques moteurs en activité ronronnaient sous l’œil attentif des techniciens experts.

 

Au centre de cet attirail d’appareils militaires en tout genre, seul le HM 200, un vaisseau de combat polyvalent capable aussi bien de mener des missions de reconnaissance que du soutien au sol, semblait obtenir les faveurs du duo qui s’y précipita instantanément. L’engin, essentiellement constitué de matériaux composites en fibre de carbone et d’alliage d’aluminium, avait fière allure. Les différentes déclinaisons de l’appareil s’imbriquaient harmonieusement de façon uniforme, de telle sorte qu’aucune scission ne soit détectable de l’extérieur. Seul le cockpit, en guise de verrière, dénotait de par sa structure en forme de dauphin, à la tête de l’appareil. Les ailes inclinées vers l’arrière se confondaient d’un seul bloc dans deux puissants réacteurs, inspirant au tout un aspect d’aérodynamisme à la vitesse et à la furtivité induite. Le choix de cet appareil ne relevait pas du hasard. Ce fleuron de l'empire possédait la particularité d’être léger et intraçable, en plus de bénéficier d'une puissance de feu conséquente.

 

Accédant au cockpit par le biais d’une petite nacelle à escalier, les deux hommes s'installèrent à la hâte. Ryane occupa la place du pilote à l’avant et Morahtk prit place à l’arrière, sur un siège légèrement surélevé lui permettant de jouir d’un angle de vue optimale.

 

-Vas-y, démarre le bousin !suggéra expressément le vieillard. J’espère que t’as pas perdu la main.

 

Ryane qui subissait les complaintes de son co-pilote, prenait la mesure de toute la tripotée de boutons et de leviers dont il peinait à se remémorer la fonction. Pivotant sa tête rapidement de droite à gauche et de haut en bas, il lui fallut un léger temps d’adaptation pour analyser son environnement proche.

 

...Qu’est-ce que tu fous bon sang ?

 

Interpellé par une masse grouillante de soldats débarquant à l’horizon, le vieil homme dut se résoudre à maîtriser ses palpitations.

 

...C’est quand tu veux ?

 

Sur le cockpit de l’appareil jaillirent une multitude d’étincelles, comme autant de points d’impact balistiques ricochant sur le blindage métallique.

 

-Allez, allez, allez, répéta Ryane comme s’il conversait avec sa monture jusqu'à parvenir à en enclencher le réacteur.

 

Le vrombissement eut l’effet d’une douce musique à ses oreilles, ravivant l’espoir d’entrevoir une porte de sortie. Trifouillant les interrupteurs au plafond, puis sur le tableau de bord, le guerrier toucha enfin au but, s'apprêtant à faire décoller le HM200 ciblé par les balles diffuses.

 

…Je le savais, s’enthousiasma-t-il sous l’emprise de l’euphorie. C’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas.

 

Soudain, une légère secousse fit basculer le nez de l’appareil, en même temps qu’apparut une ombre sur le vitrage du cockpit. Stupéfait, Ryane leva la tête pour s’enquérir de la masse sombre qui le surplombait en lui obstruant la vue. Se retrouvant nez à nez avec les semelles d’une paire de bottes au-dessus de sa tête, telle ne fut pas sa surprise lorsqu’il découvrit qu’elles appartenaient à Kendra. La tueuse avait bondi sur l’appareil, et habitée par un instinct de prédatrice, s’apprêtait à les transpercer de ses lames jumelles. Ryane l’avait lu dans son regard. Son ancienne protégée ne reculerait devant rien. La panique le gagna, alors qu'elle leva le bras dans l'intention de le pourfendre. Piégé dans le cockpit, il présentait une proie facile et vulnérable.

 

...Et merde, cria-t-il, en plaçant par réflexe ses bras en protection.

 

Les claquements étouffés et les vibrations qu’entraînait le choc du métal sur la vitre interpellèrent le guerrier, bien heureux de compter sur un blindage de qualité. Il n’était pas encore sauvé pour autant puisque Kendra, loin de se résigner, se déchaîna de plus belle en martelant la vitre qui n’en finissait plus de trembler, menaçant de céder à tout moment.

 

-Elle est complètement folle, réagit désespérément Morahtk. Elle ne s’arrêtera pas avant de nous avoir buter. Fais quelque chose !!!

 

Le vieil homme n'en revenait pas que l'une des leurs puisse à ce point désirer leur destruction. Lorsqu’ils appartenaient au même camp, il ne l’avait jamais considéré comme une menace potentielle. Désormais qu’elle endossait le rôle de l'ennemie, la puissance de la tueuse lui inspirait une frayeur telle que sa psyché semblait atteinte d'apoplexie.

 

-Prépare-toi ! on décolle.

 

Ryane tira le levier sous le tumulte des multiples ondes de choc résonnant au-dessus de sa tête.

 

L’apesanteur exerça une légère pression sur leur estomac, tandis que l’appareil décolla légèrement, oscillant de droite à gauche tout en parvenant à maintenir un équilibre précaire. Kendra s’employa à stabiliser sa posture en adaptant ses mouvements à ceux de l’engin, tout en persistant à s’acharner avec une rage insatiable sur l'appareil. Le HM 200 n’étant pas positionné en direction de la sortie, toute manœuvre visant à le faire basculer d’un côté ou de l’autre s’avérait périlleuse. L'appareil risquait de subir des dommages irréversibles en heurtant les grosses cylindrées à proximité.

 

...OK ! Inspira Ryane sous la pression. On va prendre un raccourci.

 

Le manche saisi, il actionna l’interrupteur de tir, en se focalisant sur la visée rouge affichée sur son écran. Aussitôt, une salve brisa la façade du dôme qui explosa en une traînée de poussière de verre. La puissance de feu dissémina des milliers de débris dans toutes les directions, ne manquant pas de blesser la tueuse sans toutefois entraver sa volonté de nuire. Les réacteurs activés projetèrent une traînée de flammes, et l’oiseau des airs prit son envol rectiligne, effleurant le sol de ses ailes avant de se redresser. Kendra, entraînée dans le sillage de l’engin, effectua un bond magistral puis se réceptionna au sol d’une roulade maîtrisée. En scrutant l’arrière-train de l’avion se dérober à son regard pour s'en aller rejoindre l'infinité du ciel, elle poussa un cri de rage n'ayant d’égal que l’étendue de sa frustration.

 

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