Shanshu II - Wolfram & Hart

Chapitre 11 : L’EPEE ET LE BOUCLIER

10435 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 08/06/2024 10:41

Chapitre 11 L’EPEE ET LE BOUCLIER

 

Alors que le soleil atteignit son zénith, les guetteurs, sueurs au front, observèrent au loin une traînée de poussière. Au départ infime, celle-ci prit de l'ampleur à mesure qu'une masse toujours plus imposante gagnait du terrain. La sentinelle s'empara à la hâte de sa longue vue et observa avec crainte et appréhension l'horizon menaçant. Tandis que la chaleur refluait de l'air ascendant, le paysage arborait, par l'intermédiaire des jumelles, des airs fantasmagorique, tant la vision trouble ressemblait à un mirage. Le soldat dut s'y reprendre à deux fois pour s'assurer de ce qui se dessinait sous ses yeux. Au départ, une silhouette humanoïde prit forme, puis cent et enfin des milliers. Son cœur opéra un bon quand il découvrit le nombre imposant de guerriers naissant à l'horizon comme s'ils descendaient de l'astre lumineux lui-même.

 

-Alerte générale, cria le soldat d'une voix puissante. L'ennemi arrive. Alerte générale, on nous attaque.

 

L'alerte fut entendue et Loup noir, entouré de sa garde personnelle aux abois, accourut au sommet de la tourelle. Légèrement pris de court, Ryane se saisit aussitôt de sa longue vue. Bien sûr, il s'attendait à une riposte, mais il ne l'imaginait pas survenir à ce moment de la journée, au détriment de toutes conditions préalables requises à l'initiation d'une bataille. Une autre réflexion le contrariait. Le nombre d'ennemis envoyé pour reprendre leur position n'était pas aussi important qu'envisagé. Il exprima un soupir que Kendra et Gahlan remarquèrent sur le coup.

 

-Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? s'inquiéta le guerrier. Je veux bien faire des miracles, mais là leurs troupes sont beaucoup plus nombreuses, et avec le gros de nos soldats terré en arrière garde, on ne fait pas le poids.

 

Gahlan jouissait d'une confiance infinie pour son supérieur, mais malgré ses tares en stratégie, il savait interpréter un combat perdu d'avance lorsqu'il s'en dessinait un sous ses yeux.

 

-J'aurais préféré avoir à faire à des troupes plus nombreuses, marmonna le Général en scrutant l'amas de poussière en approche.

 

Bien que contrarié, Ryane n'affichait pas, à la différence de ses hommes, une crainte irraisonnée. Le Loup noir gardait une confiance infinie en sa stratégie, comme si toutes ces contraintes suivaient la marche établie du plan. Le seul problème : ce plan demeurait inconnu de ses propres troupes. Même Kendra, sa fidèle lieutenante, ne se trouvait pas en mesure de prévoir ce qu'il avait en tête. Sa garde rapprochée était tenue informée de ses décisions en même temps et au même titre que le reste des troupes, soit à la dernière minute. Kendra suspectait un excès de prudence au détriment d'un manque de confiance. Un plan connu d'un seul homme ne s'ébruitait pas et par conséquent, évitait ainsi à l’ennemi de découvrir les dessins de son opposant. Confier un secret à une personne et des milliers l'apprendraient inexorablement, aussi voulait-il éviter de courir un tel risque.

 

...Regroupez tous les hommes, ordonna-t-il froidement à ses subalternes. Préparez-vous à battre en retraite...

 

Cette annonce inattendue souffrait d'une incompréhension totale parmi le plus grand nombre. Kendra et Gahlan, tous deux en proie au doute, se montrèrent perplexe quant aux choix de leur général. S'emparer d'une position au prix du sang pour la laisser gentiment aux mains de l’ennemi sans y opposer la moindre résistance, cette stratégie avait de quoi rendre dubitatif. Rien ne semblait justifier une telle décision, et surtout rien n'expliquait le gros des troupes postés à l'arrière garde alors qu'il aurait suffi de les attirer pour regagner l'avantage du nombre. Malgré leur réticences légitimes qu'ils exprimèrent d'un regard complice, les deux soldats obéirent aux ordres sans rechigner. Toujours positionné sur les tourelles, Ryane continuait d'observer la légion adverse s'approcher dangereusement.

 

...Des démons Sandara, constata-t-il amèrement, l’œil encastré dans le tube de métal.

 

Ses doutes se confirmèrent. Des humains attaquant par cette chaleur suffocante aurait relevé d’une bien mauvaise stratégie, mais ce n'était pas le cas des démons Sandara reconnus pour s'adapter parfaitement aux zone arides. Leurs corps maigres et agiles, laissant transparaître leur os que leur fine couche de peau cachait si mal, leur accordait une endurance hors du commun. Dotés de puissants membres inférieurs, leurs longues pattes griffues permettaient de survoler le désert sablonneux sans s'y enfoncer. Tout cela, sans omettre leur capacité à se priver d'eau pendant des jours. Ryane qui avait déjà croisé ce genre d'adversaire au détour d'une bataille au Sahara savait toute la difficulté de les affronter dans ces conditions. Les Sandara étaient une espèce fière et lorsqu'ils engageaient le combat, c'était jusqu'à la mort. Ayant récolté les informations nécessaires, Ryane s'empressa de rejoindre la totalité de ses troupes formées en rang et prête à décamper.

 

...Tous en retraite, ordonna-t-il d'une voix criarde.

 

Aussitôt, ses hommes actionnèrent leur marche ordonnée. Lorsqu'Orock, le démon, se présenta sur les lieux avec ses troupes, il fut surpris par la fuite apparente de l’ennemi. Pour le capitaine fier qu'il représentait, les raisons d'une telle lâcheté ne suscitaient aucune controverse, convaincu que c'était l'apanage des faibles de fuir devant le danger. Fort de son armée deux à trois fois plus nombreuse, Orock se fiait à l'évidence selon laquelle l'ennemi, au fait de son infériorité numérique, avait préféré la fuite à une mort inéluctable. Ainsi le démon, enorgueillit d'une telle débâcle, ordonna qu'une fête soit préparée pour les circonstances. Il aurait préféré combattre, mais une victoire était toujours une victoire et son clan avait coutume de festoyer après chaque bataille, fusse-t-elle de si peu d'honneur. Les prochains jours allaient être décisifs. Orock partirait le lendemain, après une nuit de repos, à la poursuite des fuyards qu'il soumettra de son glaive. Il s'était promis de les traquer jusqu'aux derniers, jusqu'à ce que la menace soit complètement éradiquée.

 

Pour le Loup noir, le plan se poursuivait comme prévu. Les troupes peu éreintées de leur marche, rejoignirent le camp établi à l'arrière garde, non loin des lignes adverses. Morahtk s'était occupé de dresser les tentes et de préparer l'approvisionnement en eau et en vivre. Au sein de la garde rapprochée du Général, seul le vieil homme connaissait la stratégie adoptée pour lui avoir inculqué il y a des années. Ainsi, Morahtk ne fut pas surpris lorsqu'il vit les troupes battre en retraite, et revenir au camp. La majeure partie des effectifs, épargnée par les combats, se trouvait toute disposée à la prise de relève. Le Général leur ordonna de se tenir prêt car le soir venue, ils s'en iraient se mêler à une bataille décisive. En campagne militaire, Ryane ne prenait jamais le temps de manger correctement et c'est entre deux cuisses de poulet rongées à même l'os qu'il entreprit de faire part à ses officiers de la suite des événements.

 

-Nous ré attaquerons ce soir, mais cette fois-ci, avec l'ensemble des troupes, se justifia-t-il devant ses hommes hébétés.

 

N'en croyant pas ce qu'il venait d'entendre, Gahlan faillit s'étouffer en avalant de travers.

 

-Tu peux répéter ? s'insurgea-t-il, en faisant mine ne de pas avoir entendu.

 

-Morahtk, expliques leur, ordonna Ryane las de devoir toujours éclairer les esprits limités qui l'entouraient.

 

Kendra, visée dans le lot, affichait une moue communicative. Bien qu'elle admirait le génie militaire de son compagnon d'arme, certains aspects de sa personnalité la rebutaient. Elle détestait ce côté hautain et sa façon de la rabaisser publiquement. Du haut de son arrogance, le Loup noir, semblait tel un aigle, voler au-dessus des mortels, inatteignable.

 

-La stratégie est simple, balbutia Morahtk. L'ennemi pense que vous avez déserté les lieux par lâcheté. Il est persuadé d'avoir le dessus en nombre et par conséquent, il ne s'attend pas à faire face à une armée de trente mille hommes, et encore moins, à être attaqué cette nuit.

 

Le vieil homme ricana subtilement, en faisant montre d'approuver la stratégie utilisée. Kendra agacée il y a peu, changea son fusil d'épaule et apprécia d'autant plus l'esprit tactique de son général. Gahlan, lui qui de toute façon ne débitait absolument rien à ce genre de plan, se contenta d'apprécier son repas en hochant la tête à contretemps, pour avoir l'air, et même ainsi, il ne semblait pas très convaincant.

 

-Le but de cette manœuvre depuis le début ne consistait qu'à réduire l'effectif de son armée, releva Kendra. Je vois. Tu as toujours deux coups d'avance.

 

Ryane esquissa un sourire fier. Après avoir englouti d'une traite un grand verre d'eau qu'il claqua sur la table, il s'essuya le gosier du dos de sa main.

 

-Les troupes de Saldin sont plus nombreuses que les nôtres. Une armée deux fois plus nombreuses possède un énorme avantage. Si ce soir, nous parvenons à défaire l'ennemi et nous y arriverons, alors nous pourrons lutter contre Saldin à forces égales. La guerre n'est pas compliquée, il suffit que l'ennemi joue le jeux que l'on impose et c'est gagné. Néanmoins, je dois avouer que je m'attendais à ce que Saldin dépêche plus d'hommes. Il est prudent et un général prudent est un général avisé. Il ne sera pas facile à vaincre. Je me chargerai moi-même de lui porter le coup de grâce, mais inutile de brûler les étapes. Ce soir, nous allons déchaîner les flammes de l'enfer sur nos ennemis alors tenez-vous prêts.

 

*

 

Fidèles à ce présage, les troupes de l'empire attaquèrent la nuit venue. L'armée d'Orock, loin de s'attendre à une offensive de cette ampleur, fit courageusement face. Malgré l’écart d'effectifs, les démons Sandara prirent les armes et formèrent leur bataillon fort de quinze mille démons. Face à eux, la totalité de l'armée adverse approchant les trente-milles guerriers, avec à sa tête, Ryane qui sonna la charge. Les hostilités débutèrent à distance et tel un feu d'artifice, les détonations résonnèrent de part et d'autre. Dans la nuit sombre, les projectiles laissèrent des traces de rouge et de jaune sur leur sillage, comme des milliers d'étoiles filante destinées à apporter la mort à ceux qu'elles désignaient. De chaque côté, des soldats tombèrent comme des mouches, certains happés par une balle perdue, d'autres pulvérisées par le souffle des explosions creusant de profonds cratères dans le sol. Les visières rouges, avantagées à distance de par l'efficacité de l'artillerie légère, causèrent des dégâts irréversibles au sein des troupes adverses.

 

Orock avait reçu l'ordre de battre en retraite si toutefois l'ennemi se montrait trop puissant, mais son honneur de guerrier l'en empêcha, si bien qu'il mena fièrement ses troupes au combat. Il en allait de la dignité des Sandara, espèce fier et noble du désert. Aucune hésitation, aucune peur ne se lisait sur leur visage résolus, et bien que certains de leur frères tombèrent à leur côtés, ils continuèrent d'avancer courageusement sans ne jamais freiner leur course. Leur rapidité constituait leur meilleur atout, de même que le combat au corps à corps. Bien sûr, ils maniaient les armes à feu, mais bien trop maladroitement pour espérer en tirer une efficacité meurtrière. Orock le savait plus que quiconque. La clé de la victoire se trouvait dans leur capacité à réduire la distance pour engager les lignes ennemis dans une lutte rapprochée, mais ceci occasionnait un lourd sacrifice et beaucoup perdirent la vie en chemin.

 

Le moment fatidique survint à l'instant ou les deux armées se percutèrent dans un choc dont l'écho meurtrier hurla à des kilomètres à la ronde. Orock pénétra dans la mêlée et d'un bon prodigieux, pulvérisa les premières lignes au côté de ses frères qui l'imitèrent dans son acharnement. Leur vitesse conjuguée à la puissance de leur membres inférieurs causèrent des ravages dans l'armée de l'empire, dont les hommes au déficit physique évident, furent balayés comme s'ils ne pesaient rien. Munis de lames jumelles, les guerriers d'Orock montraient toute leur dextérité en tailladant à tour de bras. Malgré leur protection, des soldats furent déchiquetés, démembrés, en laissant échapper des cris de terreur sous l'abondance d'un sang écarlate. Chaque Sandara emportait avec lui une dizaine d'hommes dans la mort.

 

Les seuls capables d'égaler leur prouesses dans l'armée adverse se comptaient sur les doigts d'une main. Le général avait dégainé sa flamboyante épée d'ébène et s'adonnait à un massacre sur le champ de bataille, montrant l'exemple à ses hommes apeurés qui retrouvèrent dans son sillage une ardeur renouvelée. Kendra n'était pas en reste puisque ses deux lames transperçaient sans résistance les corps ennemis, faisant fi de leur robustesse démoniaque. Soutenu par sa sœur d'arme, Ryane redoubla d'efforts et déchaîna plus que jamais sa rage prédatrice, en ne laissant que des cadavres sur son sillage.

 

-À la charge, hurla-t-il en levant son épée au ciel comme pour donner de l'élan à une armée qui malgré sa supériorité numérique, manquait d'ardeur au combat. On avance... pour l'EMPIRE.

 

Le Loup noir décapita un adversaire après avoir parer son attaque dans un claquement de ferraille. Les hommes, galvanisés par leur Général, se démenaient comme des diables, infligeant des pertes colossales aux Sandara dont le nombre se réduisait à peau de chagrin. Jusqu'au bout, les démons offrirent une résistance héroïque. Gahlan, réputé pour être intraitable sur le champ de bataille, fit honneur à sa réputation en ruinant ses multiples chargeur sur ses ennemis qui s’écroulèrent, balayés à bout portant par sa puissance de feu. Peu à peu, les troupes de l'empire reprirent le dessus, sous la houlette des trois formidables combattants comptés dans leur rangs.

 

Orock, témoin du carnage, se sentit démené et épuisé. Les soldats adverse affluèrent toujours plus nombreux, ne lui laissant aucun répits. Posant un genoux à terre, le corps entaillé de multiples blessures, il se refusa à abdiquer malgré la souffrance. Il aurait dû écouter les ordres de Saldin, mais ses ancêtres l'observaient de là-haut et jamais il n'aurait voulu les décevoir. Mourir en fier guerrier était la voie qu'il avait choisie, et à l'heure de la faucheuse, il combattit le sourire aux lèvres.

 

-Pour Saldin, cria-t-il rageusement pour se donner du courage.

 

Un sombre guerrier accourut dans sa direction. Sans doute sa dernière cible. Alors il serra les pommeaux de ses deux sabres et puisa en lui l’énergie nécessaire à l'accomplissement de son récital. Il devait simplement attendre le timing parfait. Celui dans lequel, le cou de son adversaire croiserait ses lames éméchées. Un dernier mouvement puis il s'éteindrait sans aucun regret. Le moment opportun, ses deux lames sifflèrent contre le vent, mais elles ne rencontrèrent aucune résistance. Il n'eut pas le temps de s'en rendre compte que déjà une autre lame, plus puissante et plus imposante, perforait sa poitrine. En inclinant le tête pour observer la pointe de l'épée s'extirper de son corps, Orock laissa échapper de ses doigts trop fébriles, ses sabres en signe de résilience. La lame fut retirée d'un coup sec. Un éclair de lucidité vint l'assaillir en même temps qu'un tiraillement effroyable. Finalement, il échoua à assouvir son ultime dessin. Peu lui importait, puisqu'à l'heure de rejoindre les ténèbres, il s'était montré digne de ses ancêtres prompts à l’accueillir avec fierté dans un monde nouveau. Ryane rendit la dernière sentence et continua d’œuvrer en messager de la mort, lui pour qui le démon transpercé de son épée n'était rien de plus qu'une donnée statistique. Jamais il ne retiendra son nom, ni sa bravoure au combat.

 

Ainsi s'acheva cette tuerie. Après la bataille, Ryane félicita ses guerriers en leur promettant une victoire à portée de main et leur retour prochain dans leur foyer, à la condition d'un ultime effort. Les troupes de l'empire occupèrent définitivement la ligne de défense et en profitèrent pour s'adonner à un repos bien mérité. Les victimes des deux armées furent enterrées, en mémoire de leur sacrifice et de leur ardeur au combat.

 

**

 

Désormais pourvu d'un effectif à peu près équivalent à son rival, Loup noir attendait patiemment que ce dernier joue sa prochaine carte. Le lendemain, un messager apparut à leurs portes, en soumettant une audience avec le Général. Ahmed s'était présenté courageusement, seul face aux troupes, récoltant injures et moqueries sur son passage. Kendra et Gahlan, décidés à punir le guerrier en le privant de sa vie, en furent empêché par Ryane.

 

-Qui es-tu guerrier ? demanda Ryane avec tout le respect dû à son courage.

 

-Je suis Ahmed ibn Farhan, se présenta-t-il les yeux débordant d'une haine contenue. Je représente le général de la terre et du ciel, le grand Saldin. Il m'a expressément demandé de te livrer une requête en main propre.

 

Intrigué, Loup noir s'approcha et saisit le papier tendu.

 

-Qu'est-ce que c'est ?

 

-Une invitation, répondit le guerrier sans sourciller. Saldin désire s'entretenir avec toi, seul à seul, ce soir, au coucher du soleil.

 

Les soldats, tous témoins de cette demande irréaliste, riaient à gorge déployée.

 

-Et pourquoi pas prendre le thé avec les petits gâteaux, plaisanta Gahlan que Morahtk dévisagea d'un regard acerbe.

 

Le vieux sage ne savait que trop l'importance des valeurs dans un combat à mort, et il ne comprenait plus cette génération sans code d'honneur.

 

-Fermez-la tous, ordonna Ryane colérique, avant de déporter son attention sur Ahmed. Alors comme ça, Saldin désire me rencontrer ?

 

Il fit mine de réfléchir un court instant.

 

...Où ?

 

Cette question s'apparentait à un aveu pour Kendra qui considérait irresponsable d'accéder à une telle requête. Pour la tueuse, ce risque paraissait inutile.

 

-Il t'attendra à la jonction de nos deux camps. Tu n'auras pas à t'en faire, Saldin est un homme de parole. Il ne te soumettra à aucun guet-apens.

 

Les paroles d'Ahmed furent assez rassurantes pour qu'il convienne de les prendre avec sérieux. De toute façon, Ryane avait déjà décidé de répondre par la favorable. Saldin l'intriguait au plus haut point et il se réjouissait de lui faire face.

 

-Tu diras à ton général que j'accède à sa requête. Je viendrai le rencontrer seul, au coucher du soleil. Sois persuadé que lui non plus ne subira aucune action à son encontre. Il en va de ma parole d'honneur.

 

Sur ces mots, Loup noir ordonna à l'un de ses hommes de fournir au messager une gourde remplie d'eau, et celui-ci s'en alla rejoindre son clan pour annoncer la nouvelle. Kendra fit part de ses craintes et de ses réticences, mais Ryane, bien trop obnubilé par l'idée de rencontrer l'homme et la légende, resta sourd à ses appels.

 

***

 

Le soir venu, il partit seul à la conquête du désert. La lune était pleine ce jour-là, et le ciel arborait ses couleurs luminescentes comme si les astres souhaitaient témoigner de la rencontre entre ces deux êtres d’exception. Chaque pas le menant à Saldin procurait en lui un enthousiasme lattant. De toute les récentes batailles menées, peu avaient suscité cette pulsion d'excitation intense. Son sang de tueur n'y était pas étranger, lui commandant sans cesse de se confronter à des guerriers plus puissants. Il eut éprouvé la même sensation en affrontant la tueuse de ce monde moderne au centre de la terre. Et comme pour Buffy, toutes les fibres de son corps vibraient à l'idée de faire face à cet être à la renommée universelle. Pourtant, de Saldin, il n'avait entendu que des rumeurs, des récits, mais à la différence des autres, ceux-ci étaient précédés d'actes. Ryane s’approchait de sa destination avec l’intime conviction que sa lame purifiée sanglée à son dos ne sortirait pas de son fourreau ce soir. Plus qu'un pressentiment, une certitude l'assaillit, alimentée par cette convocation propre à un homme en phase avec ses valeurs guerrières.

 

Une lueur rougeâtre attira son regard au loin. Saldin, déjà sur les lieux, l'attendait assis près d'un feu virevoltant attisé à même des bûches de bois. Un magnifique tapis brodé posé à même le sable soutenait le guerrier agenouillé fièrement, le buste en évidence. Comme Ryane le pensait, son opposant l'avait précédé. Si d'apparence, la rencontre se déroulait en terrain neutre, Loup noir avait pleinement conscience de sa posture d'invité. Le désert restait l'antre de Saldin et celui-ci lui fit comprendre à juste titre, en se positionnant symboliquement en hôte. Leurs regards se croisèrent. Pendant un court instant, un silence s'empara des lieux. Durant cette courte intervalle, des éclairs semblaient jaillir de leurs yeux comme autant d'ondes agressives se percutant dans les champs de l'invisible. De ce bref échange, ils comprirent qu'aucun deux n’abdiqueraient. Néanmoins et afin de faire preuve de bienséance, Saldin invita courtoisement son adversaire à s'asseoir en face de lui. Ryane s'y plia. C'est alors que toute la haine générée s'évanouit pour laisser place à une convivialité de façade, marquée d'un respect sincère de la part des deux parties.

 

Lorsqu'il se positionna à sa hauteur, le guerrier de l'empire fut surpris de la carrure monstrueuse de Saldin qui le surpassait de deux à trois tête. Sa puissante silhouette en imposait. Malgré son corps admirablement proportionné, Ryane peinait à concurrencer la stature de son rival. Bien sûr, les apparences ne justifiaient en rien de la puissance d'un individu, mais sa musculature hors norme ne laissait que très peu de place au doute. Saisissant la hanse d'une théière, Saldin y déversa le contenu dans deux verres à thé. Les effluves mentholées et chaudes s'élevant du récipient charmèrent les narines de Ryane qui d'un subtil hochement de tête, montra toute l'étendue de sa reconnaissance. Les deux guerriers levèrent leur verres en guise de respect et y plongèrent subtilement leurs lèvres avant de les retirer aussitôt, puisque la chaleur du liquide était telle qu'elle ne se consommait pas autrement.

 

-Tu as demandé à me voir, commença Ryane en reposant son verre. Je suis là.

 

Saldin fit de même en exprimant un rictus.

 

-Enfin, je te rencontre. J'ai beaucoup entendu parler de toi et je découvre que ta réputation n'est pas usurpée.

-Je peux te renvoyer le compliment. Je me réjouis d'avoir un adversaire de ton calibre.

-Ceux et celles de ton espèce sont ainsi faits, observa amèrement Saldin. Vous ne vous rassasiez que dans les tueries et cet entrain malsain à satisfaire vos envies prédatrices.

-Les tueries ne m’intéressent pas. Tout ce qui importe, ce sont nos dessins et il se trouve que toi et ton armée avez pris la très mauvaise habitude de vous mettre en travers de notre chemin.

Les deux opposants allièrent adroitement les reproches aux compliments en se répondant coup pour coup.

-Nous ne nous mettons sur le chemin de personne, réfuta Saldin. Nous souhaitons simplement vivre libre et en paix sur nos propres terres. Vous êtes venu à nous, pas le contraire. Nous ne faisons que répondre à vos attaques.

Les paroles de Saldin ne souffraient d'aucune contestation possible, mais le guerrier de l'empire ne le percevait pas du même œil.

-Vous refusez de vous soumettre à Wolfram et Hart en créant une société parallèle à la nôtre. En voulant vivre en paix, vous portez en vous les germes de la guerre. La preuve en est de cette bataille insensée dans laquelle des milliers d'êtres ont déjà perdus la vie. Ce ne sera qu'à la condition d'un monde unifié que la seule et véritable paix pourra survenir. Il n’existe hélas pas d'autres alternatives.

-Vous parlez comme un conquérant, empreint d'un fanatisme absolue, reprit Saldin sur un ton plus cynique. Une paix forcée n'a de paix que le nom et d'essence que l'illusion. La paix que vous chérissez n'est rien d'autre qu'un monde soumis à l'autorité de quelque uns, un monde esclavagiste ou le plus grand nombre se soumet au dictat des plus puissants. Cette paix, qui en voudrait ?

Toujours ce même discours entendu à mainte reprise et lui rappelant amèrement celui de Liv. Encore une fois, les paroles de ceux qu'il combattait semblaient avoir plus de sens que les siennes, pourtant il les balaya d'un revers en refusant d'admettre une telle faiblesse

-La paix, je suis ici pour te l'offrir, reprit Ryane en haussant le ton. Rends-toi et je te promets d'épargner les tiens, à la condition que vous entriez tous dans le rang.

Le discours convenu du guerrier fit sourire Saldin. Ce dernier n'entrevoyait aucune issue heureuse à leur discussion.

-A mon tour de t'en proposer une. Reprends tes soldats et retournez d’où vous venez. Tous les empires trop ambitieux ont fini par s'effondrer. Il en sera de même pour celui de Wolfram et Hart. Il arrivera tôt ou tard ou les esclaves briseront leur chaînes et quand ça arrivera, je ne te souhaite pas de te trouver dans le mauvais camp.

Les paroles du colosse firent entrer le guerrier de l'empire dans une colère noire qu'il s’évertua à maîtriser au gré d'un effort considérable. N'ayant pas pour habitude qu'on lui tienne tête de la sorte, Ryane semblait perdre pied dans une discussion le mettant face à ses propres contradictions.  

-Pourquoi ? pourquoi m'avoir fait venir jusqu'ici ? quel était le but ?

-Parce que je caressais l'espoir d'avoir à faire à un homme doué de raison. Malheureusement, je constate que ce n'est pas le cas. Tu es assurément un grand général, je ne peux pas le nier, mais il te manque l'essentiel pour être un grand homme, et cela, ce n'est pas dans les batailles que tu le puisera, mais au fond de toi même. Ici, tu ne trouveras d'autre ennemis que ton ambition, d'autre démons que ceux que renferment ton esprit. Je ne me battrai pas contre toi, mais contre tout ce que tu représentes. L'idéal que nous chérissons va bien au-delà de la vie ou de la mort. Ce n'est pas une question d'individualité, mais de chemin de croix. Ce que nous désirons n'est pas de gagner ou perdre, de vivre ou mourir, mais la sève de notre existence, la liberté.

S'en était trop pour Ryane qui passait pour un gamin à qui on faisait la morale. Pourtant les paroles acerbes de son ennemi n'auraient pas dû le mettre dans cet état de nerfs. Sans doute entrevoyait-il dans tous ces reproches une part de vérité, et elle le rongeait depuis quelque temps déjà. Le doute avait fait de lui une personne vulnérable, et jamais cette sensation ne fut plus exacerbée qu'à l'instant de cette rencontre. Des pulsions de haine envahirent ses pensées.

-Combien êtes-vous à être retranché dans cette citadelle ? J'imagine qu'il y a des femmes et des enfants, des vieillards dans le lot. Tu comptes vraiment les envoyer, tous autant qu'ils sont, à une mort certaine. La vie n'est qu'une question de choix et il te revient de faire le bon, en proposant ta reddition. Tu prétends que ce n'est pas une histoire de vie ou de mort, mais oseras-tu les sacrifier sans sourciller pour un concept qui peut être délibéré au gré des périodes et des points de vue. C'est la dernière fois que je te le propose, après il sera trop tard pour faire marche arrière. Je te demande de bien penser aux conséquences que ça pourrait engendrer, non seulement pour toi, mais surtout pour ton peuple.

Un silence lourd et pesant imprégné d’électricité s'ensuivit. Enfin, Ryane perçut les flammes d'une rage inconsidérée jaillir des yeux de son adversaire. Il avait tapé précisément là où ça faisait mal et venait de déceler peut-être sa plus grande faiblesse, mais Saldin ne se laissa pas envahir par la haine et retrouva son impassibilité.

-Mon peuple préférerait mourir que de vivre une seule seconde sous le joug de tes faux Dieux. Le seul coupable d'un acte aussi déshonorant ne saurait être autre que toi même. De mon vivant, sois certain que je serai le bouclier qui les protégera de la folie qui t’habite, toi et les tiens.

-Je vois, releva Ryane en exprimant un soupir de dépit. Qu'il en soit ainsi. Demain, nous parviendrons aux abords de tes remparts. Je prendrai moi-même ta tête. Fini les stratégies, fini les discours, je te propose une bataille rangée ou seule la force du fort l'emportera sur le faible.

-Enfin de sages paroles, répliqua Saldin le regard perçant. Nous vous attendrons et nous vous repousserons au pied de la citadelle. Je te ferai face. Nous saurons enfin qui de nous deux mérite les louanges dont il est accablé. Mais j'ai néanmoins une faveur à te soumettre. Si nous l'emportons, je m'engage à ne pas tuer les prisonniers et les laisser repartir rejoindre leur contrée en vie. Et si vous l'emportez, alors je te demande d'épargner les femmes et les enfants de la citadelle. Ils valent assurément bien mieux que toi et moi.

Ryane le perça d'un regard courroucé.

-Hors de question. Tu as choisis la guerre, assumes en les conséquences. Gloire aux vainqueurs et mort aux vaincus.

Sur ces sombres paroles, les deux guerriers se quittèrent dans la nuit claire du désert. Sur le chemin du retour, Ryane regretta sa perte de sang-froid. Il l'admettait volontiers. Il avait perdu la guerre des mots. Il n'avait pas su maîtriser son orgueil, de même que sa colère. Désormais, l'incertitude le rongeait plus qu'à son départ. Essuyant la défaite de l'esprit, il ne comptait pas perdre celle des armes.

 

*****

Kaina attendait le retour de son amant dans l'espoir que ce dernier revienne avec des nouvelles réjouissantes, pourtant dès qu'elle posa le regard sur lui, elle comprit aussitôt. Elle s'était faite à cette idée, bien sûr, mais une partie d'elle espérait au fond un miracle. L'enchanteresse profita de cette nuit comme si c'était la dernière. Ce soir-là, la citadelle fut témoin passive de ses gémissements d'extase résonnant au-delà des remparts. Le lendemain dans sa chambre nuptiale, à son réveil, elle contempla silencieuse son homme dénudé faire face à son armure de guerre entreposée sur un mannequin de bois. Son dos musclé arborait un Serpent tatoué parcourant son corps jusqu'à son entre jambe. Elle aurait tellement voulu le convaincre de rester, de ne pas risquer sa vie, mais en femme fière, elle s'y refusa. Le bien commun prévalait sur le sien. Tenter de le retenir serait voué à l'échec, en plus de l'affaiblir sur le champ de bataille. Les guerriers de Gheskan étaient ainsi faits. Leur fierté et leur sens de l'honneur représentaient leur plus grande richesse et dans les veines de Kaina coulait l'héritage de toute ces femmes l'ayant précédées. Alors elle refoula sa peur et retint ses larmes. En cette heure sombre, seule comptait la vaillance du cœur.

 

Elle s'approcha de Saldin et l'aida à enfiler avec minutie, toutes les parties de l'armure sombre épousant parfaitement sa musculature. Le plastron tout d’abord, puis les épaulettes, pour finir avec les jambière et les brassières. Une fois équipé, Saldin saisit sa magnifique cimeterre au manche ornée d'or qu'il glissa derrière son dos après l'avoir observé longuement, comme pour entrer en connexion mystique avec l'arme. Kaina s'empara du fusil d'assaut entreposé dans l'armoire métallique et lui remit en plongeant ses yeux bruns dans les siens. Elle ne montra pas de faiblesse, mais un visage résolu, exerçant force et courage sur un guerrier qui n'en manquait pourtant pas. Elle échangea un dernier regard avant qu'il ne se décide à rejoindre ses troupes dans la grande cour.

 

Kaina s'habilla d'une robe de cérémonie puis peignit à l'encre noire, autour de ses yeux et sur son front, des motifs berbère calligraphiés somptueusement, avant de se couvrir les mains de henné. La fonction première, s’exerçant à titre de sorcellerie, possédait des vertus de protection contre la malchance et le mauvais œil. Préparée à faire face, elle s'empressa de rejoindre les hautes tourelles de la cité d'où elle apercevait en contre-bas, les troupes en formation, et plus loin, les lignes adverses apparaissant en ordre de bataille. De sa hauteur, les effectifs des deux armées semblaient pratiquement équivalents.

Sur les remparts, telle une déesse, Kaina amorça ses premiers pas de danse. Tournoyant dans le vent, sa robe remontait le long de ses cuisses, laissant apparaître ses jambes dénudées dont les mouvements ne souffraient d'aucune altération. Prenant appui sur la pointe des pieds, les bracelets entourant ses chevilles émettaient des tintements épousant parfaitement le rythme de ses pas. La sonorité, semblable à celle des cloches, imposait une cadence soutenue à son corps qui ondulait élégamment sous son impulsion. Ses bras gesticulaient harmonieusement, gracieusement ponctués par de subtiles tournoiement de poignée, à la manière d'une bohémienne. Seul son visage marquait une rupture avec son langage corporel puisque ses paupières oscillaient par à coup, en état de transe. De ses lèvres sortirent quelques mots à peine perceptible, des chuchotements murmurés aux éléments eux-mêmes dans une intimité échappant au commun des mortels.

 

-De alriyh tahibu ealaa 'aedayina. himayat 'atfalik. ahdhru shaebukum wadaeau alghadab yusib 'aedayina.

 

L’indicible se mélangea à l'invisible et les éléments répondirent à l'appel. Aussitôt, le champ de bataille se recouvrit d'une tempête de sable. Le sens du vent contraignit lourdement les troupes de l'empire. Profitant de ce chaos, les grandes portes de la citadelle s'ouvrirent et l'armée de Saldin chargea d'un seul homme. Les cris de guerres s'évanouirent dans le tumulte des bourrasques qui sans les étouffer, leur allouait une sonorité semblant provenir d'un rêve chimérique. Le général de la terre et du ciel en tête, suivi de ses milliers de guerriers, fondirent sur leur cibles, tandis que les troupes de Ryane, prises à partie par la tempête de sable, ne discernèrent pas leur approche. Lorsque les régiments de l'empire subirent leurs premières pertes sous le joug d'un ennemi invisible, la panique gagna les rangs. Apeurés par ces mises à mort foudroyantes, quelques coups de mitraille fusèrent au gré du hasard, percutant les alliés sur leur trajectoire. Ainsi, en plus de l'attaque adverse, Loup noir dut faire face à celle de ses propres hommes complètement en perte de repère. Les corps s'entassèrent ici et là, sans le moindre espoir de réplique. La tempête ne faiblissait pas et le sable projetait avec toujours plus d'ardeur sa funeste mélopée. La colère divine semblait s'abattre sur l'armée de Ryane dont les ordres furent piétinés dans la chaleur suffocante des souffles granuleux. Le désert avait choisi son camp.

 

Le guerrier eut beau faire appel à ses sens de tueur, ceux-ci répondirent aux abonnés absent. Désorienté dans le tumulte, il esquissa des mouvements incertains. Ce n'est que lorsqu'il aperçut, d'un clignement de l’œil, une lame jaillir de nulle part, que ses sens s'éveillèrent, ajustant ses manœuvres en conséquence. Il évita l'estoque en se déplaçant sur le côté et, saisissant son épée d'ébène, trancha le flanc de son adversaire avant que celui-ci ne disparaisse brusquement, avalé par la tempête comme un fantôme. Dénué des mêmes réflexes, des centaines de soldats furent emportés, happés par les sables. Le vent violent mélangé aux grains sablonneux influèrent sur leur respiration en plus de limiter leur champ visuel, mal dont ne semblait pas souffrir l'armée adverse. Les cimeterres s’abattirent froidement, sonnant le glas de nombreuse vies emportées silencieusement aux portes de l'enfer.

 

Ce n'est que lorsque Kaina cessa sa danse chamanique que le voile se dispersa sur le champ de bataille, et que la réalité d'une situation désespérante gagna les cœurs. Profitant de cet effet de surprise, l'armée de Saldin, plus apte à combattre au corps à corps, perça les premières lignes. Une bataille de mêlée s'engagea, au grand damne de Ryane, loin d'avoir envisagé pareil scénario. Lui qui comptait profiter de l'artillerie légère, fut privé de son meilleur atout. Heureusement, les pertes furent limitées par son avant garde chevronnée de guerriers tenaces et expérimentés. Sans cette précaution, son armée aurait subi une terrible débâcle et les rangs se seraient dissous aussi limpidement qu’espéré par ses adversaires. Malgré tout, la situation ne prêtait à aucun optimisme que ce soit. Saldin avait frappé fort et sapé le moral des troupes déjà éreinté par les précédentes batailles. Tentant d'inspirer une vaillance renouvelée, Loup noir leva son épée au ciel et commanda à ses hommes de le suivre, en gardant corps. Une armée dispersée annonçait une défaite inéluctable, aussi s'employa-t-il à remobiliser ses troupes, bien épaulé par Kendra et Gahlan qui par leur fougue inspirèrent un esprit de révolte salvateur.

 

A mesure que l'astre solaire baignait les terres arides de sa chaleur caniculaire, les deux blocs adverses se stabilisèrent. La fatigue gagna peu à peu les corps, et l'euphorie des premiers assauts laissa place à l'effroi et à la conscience de la mort. Kaina, du haut de ses remparts, peinait à regagner le souffle manquant. Haletant, le cœur battant à tout rompre, elle prit appuis sur la muraille pour ne pas s'effondrer. Dépossédée de son énergie vitale, elle échangea son rôle d'actrice pour revêtir celui d’une simple spectatrice terrorisée par ce qui se tramait sous ses yeux. En contre bas se jouait l'avenir des siens. Pourtant, elle savait qu’inexorablement, dans cette lutte chaotique, s'éteignait chaque seconde la lueur de vie de l’un des membres de sa tribu. S'en était d'autant plus insupportable qu'elle subissait de plein fouet son impuissance à ne pouvoir les soutenir.

 

Le combat faisait rage. Le fracas du fer s'entrecroisant dans la plaine désertique donna vie à un lieu qui en était totalement dépourvu. L'armée de Saldin, avec Ahmed dans ses rangs, fut galvanisée par le courage et l'habileté de son guerrier à fondre sur ses adversaires, en faisant planer sur leur silhouette l'ombre de la faucheuse. Maniant ses deux sabres léger avec aisance, il se mouvait dans l'espace avec une agilité telle qu'il se dérobait sous les coups de l'ennemi pour contre attaquer aussitôt. Ahmed n'était pas puissant, mais son manque de force, il le comblait avec une rapidité et un sens du timing le rendant presque intouchable.

 

De son côté, Gahlan n'était pas en reste. Lui dont la forte carrure dominait celles de ses adversaires, tranchait dans le tas à l’aide de son imposante épée à deux mains. Sa condition physique, impactée par la chaleur éprouvante, ne le montra pas à son avantage, mais sa hargne et sa rage comblaient ses lacunes et lui inspiraient ce supplément d’âme capable de faire toute la différence. Entouré par cinq ennemis, il fit tournoyer son sabre pour les maintenir à distance sans concéder la moindre ouverture.

 

-Venez misérable chiens, cria-t-il en toisant ses adversaires d'un regard de fauve. Approchez, que j’vous fasse tâter de ma lame.

 

Joignant les actes à la parole, il para un coup ascendant du revers de sa lame et trancha sec la gorge de son adversaire. Aussitôt, une terrible douleur vint l'assaillir à la hanche que le tranchant d'une cimeterre venait de pénétrer. D'un réflexe salvateur, il pivota son corps dans la direction opposée et pourfendit le crane de son assaillant. Blessé, il ploya un genou à terre. Le visage dénaturé d'un masque terrifiant, Gahlan sentit couler entre ses doigts le fluide sanguinolent s'extirper de son corps en abondance.

 

...Merde ! injuria-t-il en prenant conscience de sa posture périlleuse.

 

Gahlan n'était pas un expert, mais l'entaille se voulait si profonde que ses doigts s'enfoncèrent jusqu'à l'os, laissant peu de place au doute quant à la finalité. La douleur le lança en même temps que ses forces le quittèrent. Trois guerriers l'encerclaient toujours et à la manière qu'ont les hyène de tourner autour de leurs proie, ils guettaient la moindre occasion pour l'achever. Conscients qu'une bête blessée s'avérait plus dangereuse encore, ils tempérèrent leurs approches. Bien que condamné, le colosse puisa le courage nécessaire pour se relever. A la manière d'un kamikaze, il fonça droit devant, en poussant un cri de rage qui paralysa son opposant d'effroi. Le souffle coupé, peu lui importait les conséquences. Guidé par son instinct et par un élan de folie meurtrière, il fendit l'abdomen de son ennemi en deux. Cet acte désespéré offrit l'opportunité aux deux autres agresseurs de le pourfendre à leur tour. A la manière d'un taureau agonisant, sa masse lourde s'inclina puis se recroquevilla au sol, abruptement. La souffrance fut terrible. Des larmes coulèrent sans qu'il ne puisse les contenir. La vie le quittait et il avait peur. Effrayé de ce qui l'attendait ou de ce qui ne l'attendait pas dans l'au-delà, il poussa un dernier soupir. Les troupes de l'empire venaient de perdre leur plus valeureux soldat.

 

Les deux armées se livrèrent à une lutte impitoyable et bien que l'avantage semblât pencher du côté des défenseurs, Kendra s'évertua à préserver un semblant d'équilibre en semant la mort sur son sillage. Guerrière aguerrie au maniement des armes depuis les temps anciens, son expérience et sa force de tueuse lui permirent de se frayer un passage au cœur de l'armée adverse et rien ne semblait pouvoir endiguer son avancée. La précision de ses coups mortels et sa force surhumaine ruinaient les espoirs de ses opposants soumis sans cesse à la même fatalité. Elle paraît, esquivait et frappait avec la fougue d'une tigresse, si bien que sa peau s’était recouverte d’un sang étranger qu'elle arborait comme un trophée déployé aux regards effrayés de ses prochaines victimes.

 

Ahmed, se targuant des mêmes exploits, remercia la providence de l'avoir mise sur son chemin. Le guerrier jouissant d'un art du combat inégalé dans son royaume, avait l’œil lorsqu'il s’agissait de reconnaître la valeur d'un combattant. L'escapade mortuaire de la tueuse l'avait alerté et il souhaitait vivement y mettre un terme. Alors, en semant la mort parmi la multitude, c'est tout naturellement qu'il éveilla l'attention de la guerrière. Les deux rivaux se frayèrent un passage à coups d'épée, et se rapprochèrent l'un de l'autre jusqu'à se faire face. Ahmed tremblait d’excitation à l'idée d'affronter un adversaire à sa hauteur, mais l'issue du combat ne faisait aucun doute. De son œil de faucon, il avait analysé ses gestes et il se savait plus rapide et agile. Il avait tout prévisualiser à l'avance, la distance, l'amplitude, à quelle vitesse frapper. Il n'aurait qu'à feindre de dévoiler une partie vulnérable pour qu'elle se jette dans la gueule du loup et qu'elle ne se découvre.

 

D'une défense volontairement mal avisée, il dévoila une ouverture qu'elle s'empressa d'attaquer. Il projeta son corps en arrière pour esquiver la lame argentée, et d'un appuis léger et rapide, fondit sur elle en croisant ses deux sabres dans l'intention de la décapiter. C'était sans compter sur la capacité d'adaptation de la tueuse qui en mauvaise posture, inclina son corps et esquiva l'attaque foudroyante d'une roulade. Désorienté par cette manœuvre avortée, Ahmed perdit ses moyens. Il réattaqua aussitôt de ses deux sabres qu'elle para avec une facilité déconcertante. Un puissant coup de genou à l'estomac lui coupa le souffle en même temps que sa fougue. Crachant de la bile sous la puissance de l'attaque, le guerrier n'eut pas le temps de reprendre ses esprits qu'un violent coup de pied le percuta en pleine face. Ahmed fut projeté en arrière, et tel un pantin désarticulé, se traîna dans le sable sur quelque mètre avant de terminer son roulé boulé sur le ventre. Le visage tuméfié, privé de ses armes, il tenta de réagir, mais déjà les doigts puissants de Kendra l'empoignèrent par les cheveux. Ahmed avait commis une grossière erreur en sous estimant la force d'une tueuse qu'il n'aurait jamais imaginé aussi dévastatrice. Ce fut sa dernière. D'un geste sec, Kendra lui trancha la gorge, ajoutant une victime de plus à son tableau de chasse. À ses pieds, sur le sable rouge, s'étendaient les contours d'une route jonchée de cadavres.

 

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Sur les remparts, Kaina assistait, le cœur battant, à la bataille dans laquelle se décidait le sort de tous les habitants de la citadelle. La poitrine nouée, elle persistait à craindre le pire en espérant le meilleur. C'est alors qu'une main amicale se posa sur son épaule. Le vieil Omar la réconforta de son regard compatissant. Privé de combat de par son âge avancé, il savait plus que quiconque la douleur éprouvée à subir les événements sans pouvoir interférer. Aussi, tous deux s’érigèrent en spectateurs silencieux de cette folie meurtrière. Le silence, dans tout ce qu'il inspirait d'humilité et de miséricorde constituait leur seul moyen d'expression face à une telle tragédie. Dans cette contemplation cynique, ils furent rejoints par tous les habitants restés en retrait. Les femmes, les enfants, les vieillards, aucun ne détourna le regard face à ces fiers guerriers combattant pour la liberté. Les prières accompagnèrent Saldin et ses hommes, œuvrant par le biais des force invisibles à leur octroyer plus de courage et d'ardeur au combat.

 

Poussé par cette perception, le général de la terre et du ciel déchaîna toute sa puissance. Saldin laissa libre cours à son côté démoniaque, lui qui l'était pour partie. De sa cimeterre éclatante, il sema un carnage dans les rangs adverse. Tel un géant, il surplombait ses adversaires de son imposante stature. Un seul regard suffit à ses opposants pour prendre conscience que si le combattre relevait déjà de l'exploit, le vaincre paraissait chose vaine. Ainsi, il arrivait que ses adversaires changent de trajectoire pour ne pas croiser la sienne. En véritable démon, Saldin abattait sa cimeterre sur les carcasses trop humaines de ses victimes. Sa lame entonnait un chant funeste et les chairs démembrés répandaient une marre sanguinolente que ses pas lourds piétinaient sans ménagement. A tour de bras, il déchiquetait, sectionnait, brisait les membres trop fébriles de ces soldats à la résistance relative. En plus d'une force inhumaine, Saldin possédait une endurance hors du commun que le désert avait forgé en lui depuis sa naissance. Les conditions climatiques éprouvées par ces habitants chaque jours, avaient battis une armée à nulle autre pareille, si bien que la bataille, sur la durée, pencha clairement du côté du peuple de Gheskan, guidé par la légende dont le nom cristallisait les faiblesses de l'empire.

 

Pour la première fois, Ryane entrevoyait le chemin de la défaite. Ses troupes, acculées de toute part, se réduisaient en nombre, et rien ne semblait vouloir inverser la tendance, excepté un dernier espoir encore. Celui de terrasser l'homme inspirant à son armée une confiance et une volonté sans faille. Le général de l'empire savait pertinemment que prendre la tête de Saldin réduirait considérablement leur ardeur et que la victoire passerait inéluctablement par ce face à face que tout son être appelait de ses vœux. C'est dans cette intention rageuse que l'épée d'ébène se fraya un chemin dans ce chaos, jusqu'à trouver l'impact de son âme sœur, la seule arme capable de lui tenir tête : la cimeterre d'or. La collision des deux lames sœurs détonna comme un éclair au champ d'honneur. Le choc fut tel que Ryane du resserrer toutes les fibres musculaire de sa poigne pour éviter à son arme de se dérober à son emprise. Son bras resta paralysé quelque seconde, vibrant comme si des milliers de fourmis y avaient pris investiture. À cet instant, la peur en même temps qu'une excitation irraisonnée, naquit en lui. Un sourire non feint se dessina sur son visage ruisselant de sueurs.

 

Ce fut ainsi que débuta la lutte entre deux mastodontes, bien décidés à déterminer de leur emprise, l'issue de la bataille. Ryane ne voyait que Saldin. Saldin ne voyait que Ryane. Chacun focalisa son attention sur l'autre, conscient que le moindre faux pas les entraînerait aux portes de la mort. Après s'être jaugé, les deux guerriers décidèrent de passer à l'action. La confrontation fut terrible. Leurs lames claquèrent et les étincelles jaillirent de toute part. La vitesse de leur maniements était telle que des arcs de cercles se dessinaient de part et d’autre, s'évitant et s'effleurant pour mieux se percuter dans un puissant claquement de ferraille aux allures de détonation. Chaque passe d'arme s'avérait millimétrée et mortelle, pourtant aucun d'eux ne reculèrent. De leur appuis solidement enracinés, les coups pleuvaient de toute part, leur infligeant des éraflures toujours plus nombreuses à mesure de l'échange. Cette confrontation directe, au-delà de l'aspect physique, revêtait une forme psychologique plus importante encore. Le premier à reculer dévoilerait ainsi la faiblesse de ses convictions et de son esprit. De ce fait, aucun des deux guerriers, essuyant pourtant de terribles attaques, n'était prêt à abdiquer. Ce n'est que lorsque leur regards se croisèrent, qu'un choc se produisit dans l'esprit de de Ryane. Cette lueur de tristesse perçue dans les yeux de Saldin brisa toutes ses convictions. Une peur irraisonnée le submergea. Pendant une fraction de seconde, l'image du mastodonte précédée de tous les enfants de la citadelle lui apparurent tels des spectres venant le hanter, et il savait à cet instant précis qu'il n'aurait pas le dessus. Son corps recula sans qu'il ne puisse le maîtriser. Ryane battit en retraite de quelques pas, persuadé qu'à la faveur de l'échange, la lame de son adversaire l'aurait emporté. L'aura de Saldin l'avait totalement surpassé, jusqu'à faire naître en lui un sentiment d'impuissance face à une force de conviction inébranlable capable de briser ce qui ne saurait l'être.

 

Pas le temps de se remettre de cette désillusion que déjà l'ombre de son adversaire planait sur lui. Chaque fois que Ryane esquivait un puissant coup d'épée d'un pas sur le côté, un autre survenait instantanément. Jamais en mesure de riposter, il fut contraint de se dérober à des assauts gagnant sans cesse en puissance et précision. En Fâcheuse posture, le Général de l'empire délaissa le rapport de force au profit d'une célérité accrue. En plongeant dans la garde de son adversaire, Ryane parvint à lui infliger de multiples blessures, mais aucune susceptible de clore définitivement les débats.

 

Les deux combattants adoptaient chacun un style différent. L'un mettait à contribution l'agilité dans un style beaucoup plus équilibré, tandis que l'autre déchaînait une terrible puissance en contrepartie de mouvements plus lents et moins ordonnés. Les soldats des deux armées ayant le malheur d'investir leur champs d'action en firent les frais, de telle sorte qu'un cercle de vide s'était créé autour d'eux, dissuadant quiconque d'interférer. Loup noir infligeait de terribles blessures à son adversaire, mais ce dernier les encaissait trop bien, malgré le sang dégoulinant en abondance de ses multiples plaies. Pire, le général de l'empire semblait éreinté par ses esquives à répétition, mises à mal par les conditions climatiques exigeantes. Haletant, Ryane s'épuisait tandis que Saldin gardait la même cadence, porté par cet élan indicible l'accompagnant dans sa foi et dans sa lutte. L'épée d'ébène dû faire face au déchaînement de la cimeterre d'or et fut bringuebalée de tous côté, à la manière d'un boxeur malmené dans les cordes. Forcé à jouer le rôle du défenseur, Ryane guettait l'instant propice ou il contre attaquerait en puisant dans ses dernières forces, mais pris au dépourvu par un coup plus puissant que les autres, sa garde se brisa en même temps que son équilibre. Il avait beau dicter à son corps de se redresser, rien n’y fut. Le temps de penser que déjà l'air fissuré par la cimeterre souffla sur son visage comme les prémisses d'une mort inéluctable. Son cerveau, préparé au pire, ne relevait déjà plus les informations. Un terrible frisson lui parcourut l'échine.

 

La collision de deux lames résonnèrent à ses tympans. Son regard se posa alors sur Kendra qui, tout en l'ayant sauvé d'une mort certaine, pourfendit les côtes de Saldin, avant d'être cueillit d'un terrible coup de coude en plein visage. Sonnée, la guerrière s'affala au sol. La vision de sa sœur sur le point de se faire occire le sortit de sa torpeur. Sans réfléchir, alors que les mouvements de son corps précédèrent sa pensée, il se précipita sur son adversaire et confronta sa lame à la sienne, in-extremis. Sans retenir son mouvement, Ryane, mu par une énergie puisée au fond de ses tripes, plongea sa lame noire dans les entrailles de Saldin. Un gémissement sourd s'extirpa de ses lèvres. Leurs regards se croisèrent une ultime fois avant que le guerrier de la terre et du ciel ne lâche définitivement sa cimeterre d'or sur cette terre sablonneuse qui en étouffa l’écho.

 

C'est le sourire aux lèvres et le visage enfin apaisé que Saldin émit son dernier soupir. Le grand guerrier s'endormit pour l'éternité dans ce désert aride, témoin de ses frasques aventurières et de sa glorieuse résistance.

 

Aussitôt, un calme empreint de recueillement infiltra le champ de bataille. L'armée rebelle, dépourvue du soutien de son général, essuya de lourdes pertes jusqu'à ce que les troupes de l'empire ne finissent par prendre définitivement le dessus. Ryane avait cessé de combattre. Il était resté figé, sans réaction, près du corps de Saldin, entouré par ses hommes qui assurèrent sa protection jusqu'à la fin. Le général de l'empire savait l'énigme du sourire de son adversaire avant son trépas. Saldin l'avait vaincu et ce, dès leur premier échange. La victoire finale ne suffisait pas pour requinquer le moral en berne du guerrier, suscitant chez Kendra une forte inquiétude à son égard.

 

-C'est terminé ! l'interpella-t-elle dans l'espoir de le sortir de son marasme. Saldin et son armée sont défaits.

 

Ryane, apathique, ne détourna pas le regard de son illustre adversaire.

 

-Il a gagné, avoua-t-il d'une voix léthargique. Il m'a vaincu. Il a été le plus fort. Si tu n'avais pas été là, je ne serais plus de ce monde à l'heure qu'il est.

 

-De ce que j'ai pu apercevoir, c'était toi qui dominais les échanges. Qu'est ce qui t'es arrivé ? Je ne t'avais jamais vu dans cet état pendant un combat. Tu semblais ailleurs.

 

Le guerrier scruta la tueuse d'un regard vide.

 

-Non ! J'ai perdu parce que cet homme possédait quelque chose que je n'avais pas.

 

-Et qu'est-ce que c'est ? Que peut-il bien avoir de plus que toi ?

 

Ryane se terra dans le silence, tandis que son regard fut accaparé par une masse de personnes provenant de la citadelle. Une femme en avait pris la tête, suivie de vieillards de femmes et d'enfants. Les considérant comme une menace, les soldats de l'empire armèrent leur fusil d'assauts dans leur direction. Le Général leur intima l'ordre de baisser les armes, suscitant l’incompréhension de ses troupes, Kendra en premier lieu. Kaina s'évertua à préserver un regard fier malgré les larmes suintant le long de ses joues. Elle s'était promise de ne pas pleurer et ne ferait pas entendre le moindre gémissement en l'honneur des guerriers de sa tribu dont la vie fut arrachée. Armé de son seul courage, le peuple de la citadelle se tenait fièrement comme un seul homme devant la dépouille de leur glorieux général. Kaina considéra froidement Ryane. Lorsque celui-ci croisa son regard ainsi que celui de ces milliers d'enfants, son cœur se mit à vaciller. Cette lueur éclatante dans leurs yeux ressemblait à celle de Saldin, porteuse d'une tristesse infinie et d'un indicible espoir. Cette force de conviction infaillible avait semée les germes du doute, jusqu'à les transformer en certitude. Celle d'un homme ayant perdu foi en ses actes, et plus encore, en ce qu'il représentait.

 

-yumkinuk 'an tueadhibana , taqtalna , lakunana ln nakhdae abdana lakirahiatak. sawf naeish wanamut karajul harin, annonça Kaina dans une langue étrangère. Tu peux nous torturer, nous tuer, mais jamais nous ne nous soumettrons à votre haine. Nous vivrons et nous mourrons en être libre.

 

Kendra sortit aussitôt sa lame pour faire taire l'enchanteresse, mais Ryane s'interposa. Il s'approcha de cette dernière, puis l'observa un moment sans qu'elle ne détourne le regard.

 

-Saldin a su se montrer digne de sa légende, avoua-t-il en baissant les yeux comme épris de culpabilité. C'était un grand général et plus encore, un grand homme. Il vous a protégé jusqu'à son dernier souffle. Son sacrifice n'a pas été vain. Il a gagné cette guerre. Nous n'avons plus rien à faire ici. Nous partons.

 

Ryane laissa tomber son épée d'ébène sur le sable et opéra une volte-face, sous l'incompréhension de ses hommes. Le comportement défaitiste de leur chef au crépuscule d'une victoire forgée par tant de sacrifices, suscita bien des rancœurs et des indignations.

 

-Que fais-tu ? le dévisagea Kendra, les traits irradiés de colère. Notre mission est de prendre la citadelle et d'éradiquer tous ses habitants.

 

Remarquant avec stupeur qu'il persévérait dans sa retraite sans daigner lui accorder la moindre attention, elle  dégaina sa lame.

 

...Si tu n'es pas capable de faire ce qu'il faut alors je m'en chargerai moi-même. Soldats, en joue...

 

Décontenancées, les troupes hésitaient à obéir à Kendra au détriment de leur Général. Certains choisirent le camp de la tueuse et d'autres s'abstinrent.

 

-Je tuerai moi-même celui qui désobéira à mes ordres, hurla Ryane de rage en se retournant vers Kendra. Toi y compris.

 

La menace proférée à sa subalterne eut un effet décisif. Les troupes peu envieuses d'encourir des sanctions disciplinaires en refusant d'obéir à un ordre direct, prirent le partie de leur général en forçant le pas à rebrousse chemin. Seul Morahtk se réjouissait de cette décision, lui pour qui les guerres menées par l'empire avaient perdues leur légitimité depuis bien longtemps maintenant.

 

Kaina observa ses ennemis battre en retraite, tandis que le songe de l'épée et du bouclier lui revint à l'esprit. Qu'arriverait-t-il si l'épée la plus aiguisée rencontrait le bouclier le plus robuste ? La réponse se trouvait dans la rencontre de ces deux légendes qui, chacune à leur façon, y perdirent la vie sur ces étendues désertiques, témoins immuables d'une époque en perpétuel changement. Dans le silence des dunes, un aigle s'envola, insoucieux des Dieux et des hommes.

 

 

 

 

 

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