Shanshu II - Wolfram & Hart

Chapitre 5 : L’UNITE SEPT

6079 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 03/06/2024 21:00

Chapitre 5 L’UNITE SEPT

 

Le monde avait changé et par conséquent, les problèmes aussi. La cohabitation forcée des humains et des démons n’empêchait pas les difficultés d'adaptation inhérente à chaque espèce, à savoir leur férocité naturelle et leur mœurs qu'il fallait à tout prix garder sous contrôle. À Chaque démon ses spécificités, sa façon de se nourrir et ses traditions pas toujours compatibles avec la vie en société. La paix sociale restait fragile. À la moindre étincelle, la poudrière menaçait d'exploser. La tolérance inter espèce demeurait le maître mot, pour autant, s'il ne s'agissait que de faire appel à la conscience et à la bienveillance des habitants, il est évident qu'une guerre civile aurait déjà eu lieu depuis le temps. Entre les vampires désireux de se sustenter de sang humain et autres démons adeptes de mariages aux sacrifices rituels meurtriers, le défi s’annonçait colossal. Néanmoins, c'était sous-estimer Wolfram et Hart et ses collaborateurs que de les imaginer dans l'incapacité de trouver des solutions.

 

Après s'être rendu responsable d'un cataclysme interplanétaire, en déclarant officiellement que les démons et autres forces des ténèbres existaient bel et bien, ce qui en termes d'électrochoc visait déjà le haut du panier, quelles ne furent pas les réactions lorsqu'ils annoncèrent à tous leur cohabitation forcée. Certains démons, encouragés par la politique libérale de Wolfram et Hart en profitèrent pour sévir en toute impunité. Bon nombre d'entre eux s'adonnèrent à des carnages, contrariant ainsi les plans de la firme maléfique en décrédibilisant leur slogan du bien vivre ensemble. Dans un premier temps, il avait fallu serrer la vis et recourir à l'armée, mais malgré l’intransigeance, les exécutions, et les peines encourues, il restait difficile de trouver les coupables. Des actes barbares à l'égard des humains et des différentes espèces persistaient malgré tout, et les enquêtes menaient bien souvent sur une impasse.

 

C'est alors qu'une idée de génie, tout juste sortie du ministère de la Défense, allait trouver une solution pragmatique et efficace à cette ingérence. Quoi de plus judicieux pour contrôler une population que de la séparer en factions, avec à chacune de leur tête un chef garant de sa propre espèce. L'idée était de séparer les différentes races de démon en organisation hiérarchique dans laquelle le leader aurait à répondre des actes de ses subalternes, mettant ainsi un terme à l'anarchie. De ce fait, les cas marginaux se réglaient au sein d'une même famille. C'était un gain de temps considérable pour l'empire qui sous-traitait les problèmes en faisant appel à la responsabilité de chacun. Bien entendu, en contrepartie, Wolfram et Hart leur fournissaient l'espace nécessaire à leurs activités, dès lors que les différentes factions respectaient leurs engagements et se tenaient à carreau. Cet accord relevait plus de l'entente cordiale sous fond de menace, que d'un contrat à proprement parler. Wolfram et Hart avaient envoyé un message clair, en somme une proposition impossible à refuser. Jouez le jeu et vous restez en vie, le cas échéant, un accident survenait de nature à convaincre les plus récalcitrants. Les trois Déités restaient les seuls maîtres à bord, et tant que les différentes espèces se soumettaient au pacte, elles se géraient en toute autonomie. Cela ne leur fournissait aucun privilège pour autant. Les démons et autres créatures possédaient les mêmes droits et surtout les mêmes devoirs que les humains, à savoir, une soumission totale à l'autorité et un apport considérable aux bénéfices de l'empire.

 

Malgré tout, il existait toujours des incidents inter espèces et dans ces cas-là, une section d'élite créée pour enquêter sur la responsabilité de chacun vit le jour. Ces équipes, montées en marge des milices pas assez compétentes pour régler ce genre de cas, œuvraient à la stabilité et au sentiment de sécurité des citoyens les plus fragiles. Décomposées en plusieurs unités, leur rôle consistait à résoudre les enquêtes et assurer la bonne résolution du traité. Leur marge de manœuvre s'étendait bien au-delà de la sphère judiciaire, leur prêtant un statut à part. S'il s'avérait après enquête, qu'une fronde de masse soit identifiée au sein de l'une des familles, celle-ci encourait ni plus ni moins que l'éradication par l'armée. Ainsi, leur pouvoir de décision inspirait à l'ensemble des communautés crainte et respect. Pour Wolfram et Hart, seule comptait la paix sociale et ils étaient prêts à ne reculer devant rien pour l'obtenir.

 

Le chef de cette section d'élite était un ancien gradé de la marine américaine, bien avant qu'elle ne soit démantelée. Un vieux briscard répondant au nom de Smith Johnson. Généralement, son job consistait à gueuler, ordonner, se pavaner dans un bureau, et envoyer ses unités enquêter sur le terrain. Un poste somme toute plutôt agréable pour un futur retraité. Son gabarit ne lui permettait de toute façon plus d’espérer autre chose. C'est ce qui arrivait généralement aux bureaucrates : une prise de galon et le poids qui allait avec. Le Tigre noir qu'il se faisait appeler, pas tant du fait de sa couleur de peau que de la colère noire dont il semblait constamment épris, se prévalait d’une expérience longue comme le bras. Ainsi, malgré sa grande gueule et ses faux airs de tyrans, il gardait pour lui la reconnaissance et le respect de ses troupes. Derrière son côté rugueux et écharpé, se cachait un homme raisonné, et dieu sait qu'il en fallait un pour gérer les casse-cous à son service. À chaque nouvelle recrue, il annonçait fièrement le même discours, marquant son autorité avec panache.

 

« Si vous êtes ici, c'est que vous êtes la crème de la crème, l'élite de l'élite. Vous êtes les meilleurs dans votre domaine et croyez-moi, vous avez intérêt à le rester bande de culs-terreux parce qu'au moindre pet de travers je vous ferai passer l'envie me la faire à l'envers. »

 

Avec lui, pas de préliminaires. Lorsqu'il balançait ses directives, elles s’exécutaient sans rechigner ou alors c'était la porte. Ce matin, Chris Miles, le chef de l'unité sept, fut convié d'urgence à son bureau. En sa qualité d'ancien Navy Seal, ce dernier s'accordait parfaitement avec le patron. Un meurtre avait été commis à Rommily Street dans le quartier chic de Mayfait situé en bordure de Hyde parc. Ce n'était pas le premier homicide dans le secteur et cette fois-ci, Smith attendait que la lumière soit faite sur cette affaire. L'équipe sept se rendit immédiatement sur les lieux.

 

L'unité de Chris, reconnue pour être la plus efficace du secteur, prenait en charge les missions de première importance. Une longue série de mystères élucidés à leur actif, pour autant de catastrophes évitées, leur permirent de consolider une renommée sans cesse grandissante dans le milieu. Bien que limitée en termes d'effectif, leur efficacité n'en pâtissait aucunement. Chris, le chef dont la droiture et l'efficacité de son commandement lui valaient le surnom de ''mec parfait'' au sein de la brigade, était un homme dans la fleur de l'âge, au physique robuste et attrayant. Le genre de beauté ténébreuse à la mâchoire carrée et aux muscles saillants, ne laissant pas la gent féminine indifférente. Il avait sous son commandement Takeshi Kino, un vieil inspecteur, Lara Andrews, une tireuse d'élite, et enfin le joyau du groupe, Chiara, la plus jeune de l'équipe, experte en magie et à la chasse aux démons.

 

Sur le lieu du crime, les marquages au sol ainsi que les rubalises entouraient la victime. Le quartier demeurait bondé à cette heure-ci et l'aide extérieure de la milice permit d'établir un périmètre de sécurité afin de garder les curieux à l'écart. Chris et son équipe ne passaient pas inaperçus dans leur accoutrement noir conçu pour se fondre dans la nuit, ce qui ne manquait pas de créer l'effet inverse en journée. Treillis militaire pour les hommes et combinaison moulante pour les femmes, le tout ceinturé d'armes de poing et d'armes blanches, assurant le cocktail du parfait petit soldat. Seul Takeshi dérogeait à la règle. De par son âge avancé, les combinaisons moulantes du haut du corps ainsi que le treillis ne mettaient pas en valeur sa physionomie somme toute assez banale. Du genre trapu en plus d'être petit, il ne considérait pas d'un bon œil les tenues réglementaires fabriquées avant tout pour les soldats, étiquette qu'il se refusait à porter. Il savait cogner et était plutôt hargneux dans le genre, mais il n'avait aucune prédisposition martiale. Lui-même se considérait comme un mec banal, enfin si l'on mettait de côté sa manie de se métamorphoser en bête assoiffée de sang les soirs de pleine lune. Pour se différencier de ses collègues, il avait opté pour un long imperméable avec chemise et cravate mal repassées. Dans la poche intérieure de son manteau, il dissimulait un petit calibre, soit le minimum en matière d'armement. Sur les scènes de crime à inspecter, les qualités d'observateurs de Takeshi se trouvaient fortement mises à contribution. Dans le jargon, il se chargeait d'ouvrir le bal.

 

-Ça empeste le sang à des kilomètres, fit-il en s'approchant de la victime mouchoir sur le nez.

 

-C'est dans ces cas-là que je suis bien content de ne pas être un loup-garou, ironisa Chris en observant la scène. Alors qu'est-ce que t'en penses ?

 

-À première vue, nous avons affaire à une personne décédée, renchérit-il avec humour bien que le ton sérieux et le visage fermé ne le dévoilaient pas.

 

Takeshi n'était pas du genre expressif.

 

-OK ! Lara ! Pendant que le doyen fait son travail, essaye de voir s’il n'y aurait pas un témoin dans ces immeubles qui pourrait nous aiguiller. Chiara, je laisse le soin à tes yeux experts de dénicher le moindre indice alentour.

 

Aussitôt dit, que Lara entreprit la visite des maisons mitoyennes, tandis que Chiara pistait les petits détails indécelables aux communs des mortels. Takeshi, quant à lui, inspecta le corps inerte. La victime, une femme d'une trentaine d'années, avait le teint pâle, livide, absolument rien d’exceptionnel pour une morte.

 

-Aucune marque de morsure, marmonna-t-il concentré en s'agenouillant près du cadavre.

 

-Ce n'est donc pas un vampire.

 

-L’artère fémorale a été sectionnée au niveau des jambes, remarqua-t-il. Comme si on avait voulu l’empêcher de courir. Les hématomes au niveau de la trachée désignent clairement une strangulation.

 

-Ça expliquerait l'absence de témoin. Personne n'a dû l'entendre crier. Et tu peux estimer à quand la mort remonte ?

 

Takeshi retourna ses petits yeux sombres sur la victime.

 

-À vue de nez, une douzaine d'heures soit sur les coups de 22h00 hier soir, à quelques minutes près.

 

Chris exprima un profond soupir de frustration, ce qui d'ordinaire montrait que l'enquête n’avançait pas et la patience ne faisait pas partie de ses points forts.

 

-OK ! Donc, on a une personne qui s'est fait assassiner hier soir en pleine rue, sans signalement, et qui aurait pu être victime de n'importe qui, ou n'importe quoi, même un humain. Avec ça on ne va pas aller bien loin.

 

Le vieux, en palpant la poitrine de la défunte, esquissa un léger sourire au coin, dessinant sur son visage un petit air malicieux, presque sadique.

 

-Un humain n'aurait sûrement pas déchiqueté le cœur de sa victime, constata-t-il en soulevant la chemise ensanglantée de la défunte.

 

Une vision d'horreur vint assaillir le chef d'équipe qui ne masqua pas son écœurement en tournant la tête quelque seconde, le temps de s'y habituer. La victime avait été perforée à l'abdomen et son cœur arraché à sa poitrine restait introuvable.

 

-Si tu penses qu'un humain n'aurait pas pu commettre ce genre de saloperie, c'est que tu as une trop haute opinion de l'humanité, s'indigna Chris

 

-Je ne dis pas que ce n'est pas possible, mais arracher le cœur d'une femme en pleine rue, ce n'est pas anodin et ça suggère une force brutale.

 

-Také a raison, réagit Chiara à quelques pas de la victime.

 

Elle n'avait rien manqué du spectacle et se positionnait à genoux, en train d'inspecter une espèce de liquide jaunâtre et visqueux lui couler entre les doigts.

 

...C'est un démon et je crois savoir à quelle race il appartient.

 

Les deux hommes affichèrent leur envie d'en apprendre plus. Fidèle à ses habitudes, elle s’évertua à faire durer le suspense.

 

...Que feriez- vous sans moi ?

 

Face aux regards insistants, elle se ravisa dans l'idée de les narguer davantage.

 

...Bon, vous voyez ce liquide jaunâtre ? dit-elle en tendant sa main visqueuse. Et bien, c'est de la bave de Polgara.

 

Remarquant que les deux hommes ne débitaient absolument rien à ce qu'elle racontait, elle crut bon d'ajouter comme si elle récitait un cours.

 

...Polgara, créature écailleuse d'un jaune verdâtre ou d'un vert jaunâtre, possédant une énorme boîte crânienne aplatie capable de faire ressortir de ses avant-bras d'énormes couperets lorsqu'il se bat. Démon se nourrissant de sang, il apprécie tout particulièrement la nature nutritive des cœurs, ah et sinon il est très, mais alors vraiment, très laid.

 

Chris et Takeshi n'en finissaient pas d'être étonnés par la jeune prodige. Ils se toisèrent l'air hébété pendant quelques secondes, avant de porter leur attention sur la belle effrontée.

 

-Tu sais que t'es effrayante comme nana, avoua Chris pantois d'admiration. Mais où t'as appris tout ça.

 

-Disons que j'ai eu un très bon professeur, finit-elle par dire l'air gêné en redressant ses longs cheveux nacrés qui tombaient de part et d'autre de son chignon tressé.

 

Chiara ne se risqua pas à leur révéler son lien avec le vampire le plus recherché de l'empire. À l'époque, elle allait sur ses dix ans lorsqu'Angel imprégna sa vie un peu par hasard. Elle vivait sous le toit de celle qu'elle considérait comme sa mère, la grande prêtresse Djézabelle. L'enchanteresse et les autres sœurs de la confrérie l'avaient initié aux rudiments de la magie. Le vampire avait intégré leur manoir pendant un temps, l’instruisant aux arts martiaux et à la démonologie. En suivant ses cours assidûment, l'art de reconnaître et de tuer les démons en étudiant leurs points forts et leurs points faibles était devenu pour elle un jeu d'enfant. Elle n'oublierait jamais tous ces moments passés avec le vampire, à s’entraîner assidûment dans cette petite salle de l'aile Est du manoir.

 

Lors du cataclysme, le destin avait œuvré à les séparer, et le temps imposa son empreinte sur Chiara, jusqu'à ce qu'elle devienne cette magnifique jeune femme svelte, à la beauté insolente. Sa chevelure nacrée et ses yeux vert émeraude n'enlevaient absolument rien à sa singularité. Assoiffée d'aventure, elle s'était décidée, malgré la réticence de sa mère, à tenter le concours pour incorporer les troupes d'élite, ce qu'elle réussit haut la main en décrochant le Graal et en arborant le digne titre de major de sa promotion. En ce temps-là, Chris gardait un œil sur les nouvelles recrues et c'est tout naturellement qu'il insista auprès de Smith pour que celui-ci accepte de l'incorporer dans son équipe. Une sage décision à considérer qu'aujourd'hui, il ne le regrettait pas.

 

À son retour, Lara constata à leurs mines réjouies que l'inspection avait porté ses fruits. De son côté, elle ne se trouvait pas en mesure d'en dire autant. Les maigres informations récoltées ne furent pas à la hauteur de ses espérances.

 

-Aucun témoin, annonça-t-elle désemparée. Rien du tout.

 

-Ça m'aurait étonné, reprit Chiara. Les gens n'osent jamais parler dans cette ville.

 

-Tu as appris des choses, des faits inhabituels ces derniers temps ? la sonda Chris à l’affût du moindre indice fût-il de moindre importance.

 

De par son expérience sur le terrain, il savait que la clé du succès se dénichait bien souvent dans les détails.

 

-Rien de grandiloquent. Ce n'est pas une rue très fréquentée la nuit.

 

Lara se réfugia dans ses pensées quelques secondes.

 

...Quoique, une personne m'a signalé qu'il y avait toujours plus de passage ici le dimanche soir, et ce, depuis plusieurs mois maintenant.

 

-Le dimanche soir, soit hier, remarqua Takeshi. De notre côté, on connaît la race du meurtrier.

 

Chiara rembobina son speech pour expliquer à sa collègue les tenants et les aboutissants.

 

-OK, se réjouit Lara. On sait ce qu'est le tueur, c'est un bon début. Reste plus que le « qui » et le « pourquoi ».

 

Chiara afficha une mine déconfite.

 

-C'est bien là le problème, annonça-t-elle. Le Polgara est un démon qui n'agit pas en bande. C'est un solitaire. Par conséquent, les familles de Polgara n’existent pas. Qui dit pas de famille, dit pas de maître et qui dit pas de maître, dit flou total. En gros on n’est pas plus avancé.

 

-On s'est penché sur le bourreau, reprit Chris les bras croisés. Il ne reste plus qu'à trouver l'identité de la victime, connaître son train de vie, si elle a une famille, des antécédents. En attendant que le corps soit rapatrié, on n’a plus rien à faire ici.

 

*

 

Quelques heures plus tard, suite aux résultats du labo, l'identité de la victime fut connue.

 

« Taylor Amy, femme de 33 ans, célibataire sans conjoint et sans famille » annonça le légiste Mr Brown dans sa blouse blanche teintée de taches sanguinolentes.

 

-Toujours aussi efficace Peter, s’enthousiasma Chris. Au moins, elle ne manquera à personne.

 

-Ouais, j’sais pas si c'est malheureux ou si au contraire, c'est une chance. En tout cas moi, ça me ferait bien chier de manquer à personne.

 

Chris esquissa un léger sourire. Connaissant le spécimen, il ne l'imaginait absolument pas dans ces circonstances. Peter était un bon vivant et le fait de devoir côtoyer les morts à longueur de journée devait y être pour quelque chose.

 

-Si ça peut te soulager, sache que si tu devais partir, tu me manquerais un peu, ricana Chris. Disons les premières heures seulement.

 

-Ça me ferait une belle jambe. Ne te vexe pas, mais je préfère faire pleurer les femmes, c'est mon côté gentleman.

 

Brown Peter, ce coureur de jupon invétéré, en dehors de ses heures de boulot, traînait la réputation de ne jamais sortir deux fois de suite avec la même gonzesse. Sa plastique plutôt avantageuse de boy-scout attirait les femmes, si bien qu'il prenait plaisir à les collectionner. Blond aux yeux bleu, fourni d'une coupe déjantée, il tenait plus du surfer que du médecin. Malgré les apparences, ses talents de médecins légistes étaient reconnus et appréciés de l'ensemble de ses coéquipiers et de la profession.

 

...En parlant de femme, tu ne pourrais pas toucher un petit mot à Lara ? Je ne sais pas moi, tu pourrais lui sortir des compliments sur moi de temps en temps.

 

-J'aurai beau essayer, je ne trouverai absolument rien à dire sur toi de positif, et puis je t'interdis de fricoter avec une fille de mon équipe. Je ne tiens pas à ce qu'elles soient déconcentrées dans leur travail.

 

Peter insista en mimant une tête de chien battu.

 

...hors de question, persista Chris. Maintenant si tu veux bien...

 

Il tendit la main en attendant que le légiste lui fournisse la fiche complète et détaillée de la victime, ce que Peter fit nonchalamment.

 

-Je vois, marmonna-t-il dans sa barbe. Jamais là pour aider un pote.

 

-Le travail Pete, le travail, répéta Chris en lui tournant le dos et en s'en allant rejoindre le reste de son équipe pour une réunion de groupe.

 

**

 

Le briefing accompli, Chiara fut envoyée à l'adresse de la victime, afin de récolter des informations supplémentaires pour l'enquête. Elle stationna son véhicule au 36 Albion Street, à quelque pas de Hyde parc. C'était un quartier qui jouissait d'une cote importante à l'époque pour sa situation géographique, mais qui désormais abritait des couches sociales très modestes. Elle avança devant un immeuble ancien de quatre étages, dont la façade du rez-de-chaussée immaculée de blanc tranchait totalement avec celle des autres niveaux, fabriqués en vieilles briques usées et attribuant un aspect marron délavé à l'ensemble. Au sein du même immeuble cohabitaient classes moyennes et pauvres. Amy Taylor semblait appartenir à la deuxième catégorie. Contrairement aux personnes plus aisées jouissant d'un accès direct à la rue, les autres devaient emprunter un passage situé à l'arrière.

 

Chiara fit le tour du bâtiment et poussa une vieille porte usée et grinçante. À peine fût-elle entrée, qu'une désagréable odeur de renfermé, à laquelle venait s'ajouter une non moins désagréable odeur de pisse, vinrent assaillir ses narines. Elle demeura en apnée, le temps de trouver l'étage et le numéro d'appartement enregistré sur les boîtes aux lettres à l'état de rouille avancé. Heureusement, les écriteaux tout juste lisibles lui permirent de situer l'appartement. Elle prit l'escalier jusqu'au troisième étage et s'arrêta devant l'appartement 303. La porte était verrouillée, mais une légère poussée sur la poignée suffit à briser la résistance du verrou de sécurité. La jeune femme poussa un ouf de soulagement. Après tout, elle prônait une approche discrète et défoncer la porte à coup de pied aurait malencontreusement attiré des voisins trop curieux.

 

Lorsqu'elle franchit le palier, la découverte d'un appartement fort bien entretenu dénotait totalement avec ses prévisions. Les murs se montraient vétustes et la tapisserie affichait ici et là quelques taches de moisissures, mais à part ça, tout était installé de façon très ordonnée et l'intérieur exhalait une odeur de lavande. La victime semblait plutôt minutieuse, voir maniaque à certains égards. Pas un brin de poussière à constater, en plus d'une organisation d’ameublement soignée et équilibrée, assignant chaque objet à sa place. Pour Chiara dont la nature bordélique avait le don de décourager ses coéquipiers, cette pièce revêtait des allures de vitrines. Au moins, elle n'aurait pas à fouiller pendant des heures. Si un indice devait lui sauter aux yeux, elle le constaterait assez aisément. Après avoir inspecté le moindre recoin, le moindre interstice de chaque pièce, elle se rendit bien vite à l'évidence : aucune piste ne l'orientait sur une quelconque voie. Le seul embryon d'indice consistait en un petit tract de papier blanc posé dans la chambre à coucher, sur le rebord de la table de nuit. Ce genre de prospectus habituel incitait les citoyens à prêcher au sein des églises, les nouvelles déités. Le papier concernait l'église protestante française de Londres, dans le quartier de Mayfair. Il était inscrit en dessous du logo représentant Wolfram et Hart, un texte stipulant une invitation cordiale à la prière.

 

Pour les âmes esseulées et miséreuses, vous êtes convié à venir nous rejoindre les dimanches soir à partir de 22h00 à l'église. Vous y trouverez le réconfort et une solution adéquate à tous vos problèmes dans la prière. Les Dieux sont parmi nous et ils nous soutiendront dans nos joies comme dans nos peines. Signé avec les initiales Q.D.

 

Ce type d'invitation devenait monnaie courante. Pourtant ce tract jouissait d'une certaine spécificité puisqu'il s'adressait à une couche précise de la population, utilisant pour critère la pauvreté et la solitude des personnes, là où les autres accueillaient tout le monde sans distinction. Chiara interpréta ces écrits comme l'occasion de porter une attention aux nécessiteux, bien souvent en marge de la société. Les médias ne traitaient jamais le sujet de la misère humaine et de ce fait, les pauvres étaient admis comme des pestiférés, des gens trop faibles, inutiles à la vie en société. Ces personnes mouraient bien souvent dans l’indifférence générale. Elle qui travaillait pour l'empire, avait parfaitement connaissance de la situation chaotique délibérément entretenue depuis l'arrivée au pouvoir des trois déités. Évidemment, elle gardait ses opinions et n'en faisait part à personne, pas même à ses collègues en qui elle accordait pourtant une confiance infinie. Le risque n'en valait pas la peine, et ce, malgré les faveurs accordées par les Dieux. Djézabelle et elle-même, avaient été les vecteurs permettant l'intronisation de Wolfram et Hart sur terre, mais les privilèges accordés à un instant T n'avaient pas vocation à être immuables et elle le savait plus que quiconque. Un seul faux pas et elle perdrait tout. Au moins elle n'était pas venue pour rien.

 

***

 

-Le mobile du crime, exprima-t-elle à voix haute. L'assassin avait sans doute pris connaissance de ce tract et pour lui, les victimes étaient toutes désignées. Des personnes pauvres et esseulées qui ne manqueraient à personne, il n'avait que l'embarras du choix.

 

Une fois le rapport effectué, l'ordre de mission fut donné. Smith autorisa l'unité sept à patrouiller dans le Quartier de Mayfair durant la nuit, dans l'éventualité où le Polgara oserait une apparition. Chris avait un plan en tête. Attendre bien sagement le dimanche prochain pour patrouiller à l'heure de la messe, au cas où l'assassin réitérerait le même modus operandi. Chiara suggéra l'idée de s'informer directement à l'église, savoir si la victime était une fidèle, mais Takeshi déconseilla cette approche. Il souligna l'importance de ne pas alerter le possible récidiviste de l'enquête en cours avant la prochaine descente.

 

-Inutile de l'effrayer, avait-il dit. Si ce type apprenait qu'on est sur le coup, alors ça réduirait nos chances de le prendre en flagrant délit.

 

Chris avait acquiescé en optant pour l'approche furtive stipulant que l'assassin revenait toujours sur la scène du crime et qu'il fallait se montrer patient. Si le plan échouait, alors il serait toujours temps de tenter l'approche frontale en dernier recours.

 

****

 

Les jours défilèrent et les patrouilles de nuit ne menèrent nulle part. Ce n'est que le vendredi matin que la situation évolua suite à un signalement à Hyde parc, soit la plus vaste étendue de terrain en espace clos du centre londonien, situé à quelques encablures de l'appartement de la victime. L'appel avait été émis par une joggeuse qui s’exerçait à un footing de bon matin, jusqu'à ce que son regard ne soit happé par une découverte des plus déplaisante. Pensant avoir affaire à une tête en pâte à mâcher de prime abord, elle fut assaillie d'un léger doute. Assez pour en informer les autorités. Quelques drones automatiques dépêchés sur place confirmèrent une substance suspecte et Smith dépêcha ses troupes. En arrivant sur les lieux, Chris et son équipe découvrirent avec stupeur que l'objet de leur intervention n'était pas de l'ordre du factice. Une tête décapitée de démon portée par le courant oscillait des vas et viens interminables, en se cognant à la bordure du rivage devant les regards imperturbables des membres de l'escouade. Des filaments de fluides jaunâtres entouraient le membre écailleux dont les orbites oculaires avaient été picorées par les poissons. Constatant avec lassitude, ses collègues prompts à ne pas agir, Chiara se porta volontaire pour sortir la tête de l'eau.

 

-Bandes de chochottes, râla-t-elle en plongeant avec dégoût sa main sur l'épiderme rugueux et visqueux. C'est dégueu...

 

Une odeur persistante de poisson avarié, mélangée aux effluves âcres d'un cadavre en voie de décomposition, eut tôt fait de la rendre nauséeuse, mais elle parvint malgré tout à déglutir et à s'abstenir d'un bien triste spectacle. Sitôt la tête extraite, qu'elle la laissa tomber nonchalamment sur l'herbe humide.

 

-Un peu plus et j'aurai dû m'y coller, avoua Chris qui ne démentait pas un certain soulagement.

 

La jeune femme resta silencieuse en le fusillant du regard.

 

-Concentrez-vous les jeunes, les interpella Takeshi. Je ne suis pas expert en démon, mais pour sûr, ça correspond à la description.

 

Intrigués par la réaction du vieil inspecteur, ils posèrent tous trois leurs regards sur la tête sectionnée.

 

-Polgara !!! constatèrent Chiara et Chris d'une seule voix, en se dévisageant simultanément.

 

La tête correspondait en tout point à celle du suspect, ce qui ne manqua pas d'intriguer la bande et de complexifier l'affaire.

 

-Alors vous pensez que c'est l'assassin ? demanda innocemment Lara

 

-C'est probable ! se hasarda Takeshi... mais ce n'est pas une certitude. Rien ne ressemble plus à un démon Polgara qu'un autre démon Polgara. Pour s'en assurer, il faudrait retrouver son corps et établir une autopsie. Il se peut qu'il y ait des restes de sa victime dans son estomac.

 

-Beurk, réagit Chiara ayant eu son lot d'images peu ragoûtantes pour la journée.

 

-L'assassin assassiné, voilà qui serait intéressant, marmonna Chris en croisant les bras l'air songeur. Bon eh bien, quand faut y aller, faut y aller.

 

Le chef d'équipe avait bien l'intention de montrer l'exemple. Il se déchaussa, puis se dépêtra de ses armes avant d'enlever son haut de corps, dévoilant sa musculature affûtée. Lara et Chiara ne perdirent pas une miette du spectacle. Sans attendre son reste, Chris plongea tête la première dans l'eau sale et glacée du lac artificiel.

 

-On aurait pu tout aussi bien faire appel aux experts, analysa Lara... avec des tenues de plongé et tout ce qui va avec, non ?

 

-C'est nous les experts, lui rétorqua Takeshi en sortant un paquet de cigarettes de sa poche intérieure tout en prenant soin de s'en griller une. Et puis ce branleur ne perd jamais une occasion de montrer ses abdos.

 

Chiara eut un léger sourire aux lèvres, en écoutant l'ancien déblatérer derrière le dos de son supérieur hiérarchique. Chris, quant à lui, se démenait comme un beau diable pour tenter de visualiser quoique ce soit dans l'eau verdâtre et trouble. La vase limitait son champ de vision, mais il parvint à atteindre les profondeurs. Rester en apnée pendant quelques minutes sous l'eau ne lui causait aucune difficulté. Sa capacité pulmonaire hors du commun n'avait rien d'un don. Elle résultait de longues années d’entraînements et de longues séances à repousser les limites imposées par son corps. Etant capable d'endurer mentalement et physiquement les pires souffrances, ce n'était pas une eau à quelque degré qui allait le perturber.

 

Nageant avec l'aisance d'un poisson à qui on aurait obscurcit la vue, il se déplaça lentement jusqu'à distinguer ce qui s'apparentait à une masse sombre au loin, sans pouvoir en estimer clairement la distance. Immergé depuis deux minutes à scruter les profondeurs, il ne lui fallait surtout pas oublier de décompter les vingt secondes nécessaires pour remonter à la surface. Un mauvais calcul de sa part entraînerait un risque de noyade dont il se passerait aisément. Le secret de l'apnée ne se résumait pas à la capacité pulmonaire. La technique se voulait primordiale et le langage du corps tout autant. Aussi, s'approcha-t-il de son repère, totalement détendu, restreignant ses efforts, tout en relâchant par intervalle le peu d'air économisé. Il toucha au but et c'est seulement à quelques mètres de sa cible que son cœur s’accéléra, témoin de l'horreur dissimulée dans les bas-fonds.

 

La masse sombre se décomposa en une multitude de corps noyés et enchaînés, amarrés et maintenus dans les profondeurs par des poids de fonte. Son sang ne fit qu'un tour, et l'effroi ajouté à l'adrénaline lui fit perdre pendant un court instant, sa capacité de raisonnement. Il n'aurait pas su décompter le nombre de cadavres, mais la lignée s'étendait à perte de vue. À bout de souffle, ayant dépassé ses réserves d'oxygène, il prit appui sur le sol puis d'une impulsion, rejoignit la surface en catastrophe, à deux doigts de perdre connaissance. Une fois libéré, il inspira à pleins poumons et se laissa flotter sur le dos, les bras écartés, le temps de récupérer ses pleines capacités pulmonaires et cognitives.

 

-Lancez-moi mon couteau, cria-t-il à distance de ses camarades.

 

Lara, dont l’habileté au lancé n'était plus à prouver, se saisit du poignard qu'elle arracha à son étui, puis le projeta d'un geste puissant et dosé. L'arme atterrit à quelque centimètre de Chris, ne manquant pas de l'éclabousser au passage. Le couteau entre les dents, il replongea dans les profondeurs. Parvenu à hauteur des corps, il planta la lame entre les maillons, et par effet de levier, en y exerçant une force considérable, parvint à briser les chaînes. Tour à tour, les cadavres libérés de leurs entraves remontèrent à la surface, sous l’œil hagard de ses camarades totalement anéantis par les dépouilles mortuaires flottant tels des mannequins inanimés. Le courant fit le reste et emporta les corps meurtris et dénudés vers le rivage. Le corps sans tête du Polgara fut, parmi les cadavres humains, le seul appartenant à une autre espèce. Il fallut une bonne heure à l'unité sept pour soustraire, empiler les défunts, et les aligner sur le rebord du lac. Aucun mot n'avait franchi leurs lèvres depuis la découverte de cette sordide tuerie de masse. Ils demeurèrent un long moment silencieux, abattus devant ce massacre insensé et inhumain.

 

Takeshi inspecta les victimes. À l'exception du démon, toutes semblaient marquées de morsures à la base du cou, mais pas seulement. Les jambes, les bras, le tronc, chaque partie de leurs corps affichaient les sévices répugnants de multiples perforations semblables à des perfusions. Leurs épidermes, d'une pâleur mortuaire, n'affichaient plus les sillons de leurs veines évidées de toute substance sanguine résiduelle.

 

-Bien, je crois que c'est clair désormais, annonça Chris le visage fermé. On va trouver ces enfoirés et on va les détruire. Je pense qu'on est tous d'accord.

 

Ses camarades n'eurent pas besoin de répondre. Leurs visages sombres et résolus parlaient pour eux.

 

...Maintenant on a une piste. Il est temps d'aller rendre visite à la reine des vampires...

 


Laisser un commentaire ?