Shanshu - La suite des aventures d'Angel et Buffy
Chapitre 22 : Episode 22 - Apocalypse
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EPISODE 22 – APOCALYPSE
Il régnait un silence lourd, oppressant, et tel le calme avant la tempête, il ne présageait rien de bon. L'éclipse avait assombri le ciel, mais ne l'avait pas plongé totalement dans les ténèbres, du moins pas encore : cela ne tarderait pas à arriver. L'attente devenait insoutenable. Buffy et son armée occupait l'espace avec, pour seule ligne d'horizon, l'arbre de vie servant de passage au puits sépulcrale. Pas un seul ennemi en perspective et toujours ce même silence pesant. Le visage déterminé et impassible, elles attendaient que le coup d'envoi soit lancé.
Enfin, l'éclipse devint totale, et une ombre étendit son long manteau sur la plaine, obscurcissant le ciel jusqu'à plonger tout l’environnement dans la plus profonde des noirceurs. A ce stade, seuls les deux vampires y voyaient clairement comme en plein jour et le spectacle qui s'offrait à eux était à faire frémir. Un grondement sourd monta des entrailles de la terre, et le sol se mit à trembler violemment, obligeant les troupes à s’accrocher désespérément pour préserver un semblant d'équilibre. L'adrénaline envahissait les corps, accompagnée d’une peur sourde et irrationnelle.
Une puissante déflagration perça les tympans, à laquelle succéda un effet de souffle qui fit vaciller les arbres et heurta de plein fouet les visages crispés d'impuissance. Le vent entraîna dans son sillage un tapis de poussière qui ne manqua pas de s'incruster dans les orifices et de faire tousser bon nombre des leurs. Plus perturbant encore, ce grognement sauvage et animal faisant écho dans le lointain.
La scène se dévoilait à mesure que l’éclipse se dissipait. L'aube renaissait, grisée par cette couche de nuages presque surnaturelle, créant par là même un mur impénétrable contre les rayons du soleil. Les médias du monde entier avaient qualifié cette journée d'exceptionnelle dans toute l'histoire de l'humanité, un phénomène sans précédent. Il était écrit que le soleil ne percerait pas, et cela, peu importe le lieu. Une aubaine pour les créatures de la nuit, et encore plus pour celles qui, tapis dans l’ombre depuis des temps immémoriaux, attendaient patiemment leur moment pour émerger des ténèbres.
Les troupes de la tueuse observaient, les yeux écarquillés, une multitude de petits points jaillir de l'arbre de vie, désormais déchiré en deux parties fumantes. Derrière ces milliers de points, des créatures titanesques surgissaient de toute part. Aux avants poste, Buffy sentit son souffle se couper et ses jambes trembler. Elle aurait dû montrer l'exemple, mais cette fois-ci, elle se retrouvait dépassée par l’ampleur de la menace. Rien ne l'avait préparé à affronter une telle armada.
La tueuse ne se sentait pas à la hauteur face à ces démons de l'enfer, supérieurs en nombre et bien trop imposants. Elle avait déjà affronté des ennemis redoutables par le passé, mais rien de comparable aux anciens ayant quitté leurs tombeaux pour réapparaître à la vue de tous.
Djézabelle s'avança au côté de la tueuse, et le corbeau perché sur son épaule prit son envol. Surplombant l'espace, l'oiseau sinistre déploya ses longues ailes noires et plana admirablement contre un vent de face sans en subir les effets. Ses yeux rouges, tels des rubis, guettaient le camp adverse, transmettant à sa maîtresse ses visions par le biais d'une connexion cognitive.
Le volatile, véritable virtuose du ciel, se mouvait avec la légèreté et l’habileté d'un aigle royal, traversant les bourrasques avec aisance, plongeant et s'élevant dans un balai aérien saisissant. Il virevoltait entre les rafales, puis piquait sur l'armée adverse, tout en demeurant hors de portée, insaisissable comme une ombre fuyante.
Les petits points dans le lointain, se révélèrent être des milliers de Turok-Han, tous formés en ordre de bataille et exhibant leurs visages hideux et squelettiques en forme de chauve-souris. Ils hurlaient en poussant des cris effroyables, tout en divulguant leur animosité de leurs longues dents acérées capables de déchiqueter la chair. Ces démons formaient les premières lignes, tandis que le gros des troupes, légèrement en retrait, se constituait de créatures fabuleuses et monstrueuses à la fois.
Elles apparaissaient par centaines, de tailles diverses, allant de la hauteur d'un félin à celle d'un géant, sans compter les créatures volantes déployées dans le ciel nocturne. On y trouvait là, les ancêtres des tous les animaux vivant sur terre : des oiseaux aux ailes de chauves-souris, des sortes de loups à la langue fourchue et aux griffes acérées, des géants à quatre bras puissants et couverts de fourrures, des basilic au corps de serpent et aux pattes de coq, des chimères à trois têtes, un monstre titanesque à tentacules pourvu d'une puissante carapace, des reptiles anthropomorphes armés d'épées et de boucliers, une arachnoïde imposante et disgracieuse, un serpent colossal, et bien d'autres créatures impossible à énumérer.
Et puis, cachée au centre de la mêlée, celle capable de prendre l'apparence des défunts posait fièrement sous les traits de Buffy. Lorsque le corbeau de Djézabelle survola l’armée ennemie, cette dernière leva la tête et plongea son regard dans celui du volatile, pénétrant l'esprit de la magicienne avec un sourire effroyable. En un instant, les créatures ailées se lancèrent à la poursuite du noir corbeau. Malgré toute l'aisance et l'agilité dont il faisait preuve, l’oiseau ne put leur échapper. Le couperet tomba brutalement et le fidèle volatile fut déchiqueté par ses poursuivants.
Djézabelle poussa un hurlement déchirant et le contact fut rompu. Son fidèle compagnon de route avait été la première victime de cette guerre, et elle s'en trouva folle de rage. La magicienne avait vu la Force en face et avait bien l'intention de lui faire perdre son sourire. Angel à ses côtés, posa une main réconfortante sur son épaule.
─ Est-ce que ça va ?
─ Ça ira mieux quand nous les aurons vaincus, maugréa-t-elle avant de le fixer avec une lueur de crainte dans les yeux. Fais attention à toi.
C'était la première fois qu'elle le tutoyait. Cela pouvait sembler anodin, mais pour le vampire, cela signifiait qu'un cap avait été franchi, alors il lui rendit la pareille.
─ Pourquoi ? Tu as peur qu'il m'arrive malheur?
─ Peut-être, avoua-t-elle. Il faut croire que je commence à m'habituer à toi.
Angel lui sourit, mais son expression se durcit immédiatement lorsqu’il reporta son regard sur les troupes adverses à l'horizon. Portés par la clameur de leur cris guerriers, les ennemis avaient organisé leurs rangs, prêts à fondre sur les défenseurs à tout moment. Dans le camp de la tueuse, le moral semblait en berne. Toute personne lucide, même vaguement consciente de l’écart de forces entre les deux camps, ne pouvait qu’entrevoir la perspective d'une défaite annoncée.
Alors Buffy s'avança au-devant de son armée en tournant délibérément le dos à l’ennemi. Cette frêle silhouette, si chétive en apparence, attira les regards de milliers d’âmes apeurées, puis d'une voix forte et pleine d'entrain, captiva l'attention de son armée.
─ Aujourd'hui est le jour où se décidera le sort de l'humanité. Aujourd'hui, c'est le jour de l'apocalypse. C'est ce qu'ils ont prédits : c'est le jour où nous allons perdre et où le reste de l'humanité suivra. C’est écrit, c'est comme ça…
Spike, légèrement perplexe, ne comprenant pas pourquoi la tueuse s'évertuait à casser le moral des troupes déjà bien entamé. Pourtant, il se retint d’intervenir, préférant l'écouter sans l'interrompre.
… C'est ce que je lis dans vos yeux. De la peur. C'est ce que je ressens aussi... Moi aussi j'ai peur, alors pourquoi combattre si tout est joué d'avance ? On pourrait aussi bien fuir. Bien sûr, ça ne changerait pas grand-chose parce que même en fuyant, il arrivera tôt ou tard le moment où la terre deviendra un champ de ruines et toute les personnes que vous chérissez vous suivront dans la mort, des petits frères, des petites sœurs, des parents. Personne n'en réchappera. Nous sommes le seul rempart entre la vie et la mort, entre l'espoir et le désespoir. Ils pensent avoir déjà gagné, mais c'est parce qu'ils ne vous connaissent pas comme moi je vous connais. J'ai vécu avec vous, j'ai vu de quoi vous êtes capables quand vous êtes ensemble : vous êtes capables de déplacer des montagnes et de créer des miracles.
Le ton changea et se fit plus investi.
… Vous êtes capables de vous soutenir et lorsque vous croiserez le regard de l'une ou l'un de vos coéquipiers, vous y verrez la force de conviction d'une personne prête à se sacrifier pour vous, à vous épauler pour grappiller tous ces centimètres qui nous rapprocheront de la victoire. Parce qu'on n'est pas une armée, on est plus que ça, on est la lame qui les pourfendra. On est la lumière dans les ténèbres. On est le bouclier qui protégera tous ces innocents qui attendent cloîtrés chez eux en priant pour nous. Notre force, on la puisera dans toutes les personnes qui croient en nous, et alors rien ne nous arrêtera. Ce qu'on va faire aujourd’hui résonnera pour l'éternité.
D'un mouvement brusque, elle arracha sa scythe fixée à son dos et la brandit fièrement, le bras levé vers le ciel.
… Il est temps de leur faire ressentir ce qu'est vraiment la peur.
Buffy avait parlé, et les mines défaites s’effacèrent progressivement pour laisser place à des regards habités par une lumière intérieure, inébranlable, tel un feu ardent se reflétant dans leurs prunelles. Le discours avait eu l'effet escompté, et les troupes s'en trouvaient galvanisées, prêtes à faire face au plus grand défi de leur existence. Spike lança un regard approbateur à Buffy. Encore une fois, la tueuse avait fait montre de sang-froid et attisé cet élan de fierté qu'il éprouvait à son encontre.
C'est alors qu'une fine pluie se mit à tomber, un crachin léger mais pénétrant, recouvrant la plaine froide d’une brume presque irréelle. Faith leva la tête vers le ciel.
─ Super, il ne manquait plus que ça.
─ Qu'est-ce que serait une Apocalypse sous un soleil radieux ? reprit Robin qui se tenait à ses côtés.
Perturbée, la brune resta silencieuse. Elle savait mieux que quiconque que le terrain n'était pas à leur avantage. L'eau et la terre ne faisaient pas bon ménage lorsqu'il s'agissait de garder ses appuis solidement ancrés au sol. Pour ne rien arranger, ces conditions difficiles favorisaient les créatures pourvues de griffes acérées, parfaitement adaptées à ce style de sol glissant. C'est alors que la terre trembla et un rugissement sourd retentit, annonçant la charge adverse. Des milliers de Turok-Han se ruèrent sur eux comme des bêtes assoiffées de sang, soulevant sous leur pas, un nuage de poussière à proximité de leurs lignes.
─ Gardez la position ! cria Buffy avant de lancer un regard à Willow.
La sorcière s'était positionnée en retrait, à l’abri derrière un groupe de tueuses armées d’arbalètes.
─ Surtout, attendez qu'ils soient à portée de vos flèches, ordonna-t-elle, le regard fixé sur l’ennemi.
A mesure de leur approche, les cœurs se serrèrent et les corps tremblèrent d'excitation. Chaque main se crispa sur le manche des arbalètes, prêtes à agir dès l’instant décisif. L’attente demeurait insoutenable, chaque seconde étirée à l’extrême.
… Maintenant ! lança Willow d'une voix ferme.
C'est alors que des centaines de flèches s'envolèrent en sifflant dans l'air. En une incantation, la sorcière décupla leur nombre, et ces centaines de projectiles devinrent des milliers. Le ciel fut soudain obscurci d'une pluie mortelle qui s'abattit sur les métas vampires, les transperçant de toute part. Buffy avait soigneusement élaboré cette tactique avec Willow, et bien que l’effet fût terriblement efficace, cela ne constituait qu’un léger répit. Les Turoks Han étaient bien trop nombreux et la perte de quelques-uns de leurs membres n’entama que modérément leur élan. Cette fois-ci, la confrontation directe était inéluctable.
La tueuse leva le bras, et l'armée se mit à courir en trombe, d'un seul corps, à la rencontre de l'ennemi. Les deux mêlés se rapprochèrent fatalement en deux vagues prêtes à s'écraser l'une contre l'autre avec une violence inouïe. Le choc résonna des cris de guerre et des gémissements de douleur. Le sang jaillit de toutes parts, marquant les premières victimes d'un carnage qui n'en était qu'à son balbutiement.
Buffy, à la tête des opérations, se jeta à corps perdu dans la bataille, taillant en pièces tout ce qui se trouvait à portée de sa scythe qu'elle faisait tournoyer de ses mains expertes. Un espace cendré apparût autour d'elle, à mesure que ses ennemis se transformaient en poussière sous ses coups dévastateurs. Sa puissance naturelle combinée au tranchant de sa lame, infligea d'innombrables pertes dans les rangs adverses. Inspirées par la réussite implacable de leur cheffe, ses troupes redoublèrent d’efforts, déterminées à se montrer à la hauteur de sa prestation mortuaire.
Évidemment, Buffy n'était pas la seule à se distinguer par ses prouesses sur le champ de bataille, bien suivie en cela par les deux vampires toujours prompt à se montrer d'une efficacité impitoyable, sans compter cette diablesse d'Illyria qui perçait les rangs adverses avec une facilité déconcertante. Faith, pas en reste, laissait exploser sa violence en exécutant ses adversaires à tour de bras, sans une once de répit.
Les figures de proue menaient leur charge avec une efficacité redoutable, ouvrant la voie à des milliers de tueuse qui, grâce à ces percées, parvenaient à repousser un adversaire en perte de terrain. Parmi elles, Seyia et son équipe s'illustraient particulièrement, affichant une solidarité remarquable au cœur de l’adversité. En formation rapprochée, elles veillaient les unes sur les autres, et repoussaient avec brio, les charges successives de leurs opposants. Les troupes, investies par l'euphorie que l'adrénaline exerçait sur leur psyché, étaient parvenus à résister, et mieux que cela, à gagner du terrain. Cet élan, nourri par une énergie apparemment inépuisable, dura le temps des premiers assauts.
Et puis, petit à petit, leur entrain fut freiné en même temps que leur avancée. Les deux armées commencèrent à se neutraliser, et la réalité brutale heurta de plein fouet leur optimisme naissant. Passée la fougue des premières confrontations, il ne restait plus que la peur, engendrée par un véritable massacre de masse où chacun fut témoin de la chute de ses camarades, déchiquetés, démembrés, piétinés et gisant dans une mare de sang que la pluie n'effacerait jamais. De deux armées ordonnées, ne restait déjà plus qu'une masse grouillante, désorientée et sans aucun repère.
L'instinct animal prit alors le dessus dans cet espace où la moindre faiblesse, la moindre hésitation, se payait d'une mort certaine. Désormais, la seule règle du jeu consistait à tuer ou à être tuer. Les hurlements de désespoir et d'agonie prirent le pas sur les cris guerriers, la guerre ayant ceci de cruel qu'elle emportait toujours les plus faibles durant les premiers assauts.
*
Dans cet enfer, la sorcière rousse déambulait parmi les combattants, désorientée et perdue au milieu de ce carnage. Peu importe l'endroit où elle portait le regard, cette même vision l'assaillait : celle de ses sœurs d’armes, abattues sans pitié sous les coups d'un ennemi impitoyable. De son point de vue, elle se savait intouchable. La bulle protectrice enveloppant sa silhouette avait la particularité d'être impénétrable. Du moins, tant que ses forces ne la lâcheraient pas.
Sans s'inquiéter pour son sort, Willow parcourut la plaine boueuse en subissant la teneur des événements, tel une spectatrice passive. Submergée par l'émotion, elle perdit le fil du temps et de l'espace, et ne prêta plus aucune attention aux Turok Han qui s’acharnaient, en vain, à détruire sa barrière défensive. Son regard, vide et desespéré, se perdit dans la foule, à la recherche d'une lueur d'espoir.
Témoin de la cruauté de la guerre dans tout ce qu'elle comportait de souffrance et d’héroïsme, son regard se fixa sur Buffy. Son amie de toujours se démenait avec acharnement, submergée de toutes parts, et plus que ses mouvements martiaux de tueuse, c'était son visage qui attirait son attention, celui d'une personne résolue dans l'effort, inébranlable comme celui d'une tigresse luttant pour sa survie. La tueuse, marquée par des éraflures au visage et sur l'ensemble du corps, n'en semblait pas perturbée. C'est tout juste si elle en avait conscience. Sa combinaison tâchée de sang, se déchirait de toute part, mais elle continuait à trancher la chair de ses adversaires, en faisant fi de ses blessures superficielles. La mission, c'était tout ce qui importait. Willow l'avait toujours admirée, et la contempler en pleine action, sublimait toute l'admiration qu'elle lui vouait. Mais ce n'était pas la personne qu'elle cherchait.
Son regard se posa alors sur les deux vampires. Angel et Spike luttaient dos à dos, encerclés par les troupes ennemies débarquant en vagues successives. Leurs manteaux noirs virevoltaient dans l’air, tandis qu'ils déchiquetaient leurs adversaires en faisant siffler leurs épées à chaque coup porté. Bien que lacérés de toute part, ils continuaient à se tenir debout en pulvérisant des sections entières de méta vampire, sans jamais fléchir. A cet instant, Willow se trouva fortement réconfortée de combattre avec de tels guerriers à ses côtés.
Et puis, il y avait Illyria. Cette force de la nature que rien n’arrêtait, dans un mélange d'agilité et de puissance brute, n'ayant rien à envier à celle d'une tueuse. Plus qu'une démone, elle ressemblait à une déesse tant elle semblait au-dessus du lot. Elle se dérobait sous les coups de ses adversaires, intouchable et habile, avant de réapparaître face à eux comme l'ange de la mort, pour leur offrir dans un dernier gémissement, la paix éternelle.
Le cœur de la sorcière se mit en branle. Des sueurs froides l’envahirent alors qu’elle se retournait brusquement, scrutant frénétiquement les alentours. Gagnée par une panique soudaine, elle trébucha sur le corps inerte à ses pieds, s’effondrant à genoux sur le sol boueux. En levant la tête, les odeurs de chair putréfiées et de sang coagulé, mélangées à cette vision d'horreur, lui retournèrent l’estomac. Le sol se trouvait jonché de cadavres, parmi lesquelles elle identifiait certains visages, des compagnes d’armes qu’elle avait côtoyées depuis des années. Sa tête se mit alors à tourner et son estomac se noua à la vision d'une dépouille allongée sur le sol.
La sorcière perdit tous ses moyens, jusqu'à en oublier de préserver le champ de protection qui l’entourait. Tremblante de toute part, ses pas la portèrent sans trop savoir comment, jusqu'à la défunte. Cette chevelure noire ainsi que cette carrure, avaient foudroyé ses sens. Pour elle, aucun doute ne subsistait. Ce corps inerte appartenait à Kennedy. Alors qu'elle se décida à retourner la dépouille, un vide total la submergea, comme si son esprit avait quitté son corps, comme si le temps s'était arrêté et sa vie avec.
Mais ce n'était pas Kennedy. Elle avait confondu. Un soulagement instantané la traversa, aussitôt suivi par une vague écrasante de culpabilité. Ce n'était certes pas Kennedy, mais la jeune défunte était l’une des leurs. Willow ne l'avait pas connue. Elle faisait partie des nouvelles arrivantes, mais était-ce une raison pour éprouver ce sentiment de délivrance ? Cette innocente avait peut-être des proches, une famille, des amis qui attendaient son retour. Une vie ne pouvait avoir plus d'importance qu'une autre, c'était inconcevable pour Willow de penser ainsi. Mais elle dût se rendre à l'évidence : sous l'éthique et les bonnes paroles, se cachait, en son for intérieur, un simple être humain, pétri de contradictions.
Alors, elle prit la jeune femme dans ses bras et la serra fort, comme pour expier ses fautes. Dans cette tourmente, elle avait baissé sa garde, et une présence malicieuse s'était faufilée derrière elle, prête à lui arracher la vie. Une lame siffla dans l'air, et en une fraction de seconde, un coup sec et vif trancha la tête du Turok-Han.
Celle qu'elle avait cherchée désespérément sur le champ de bataille venait de lui sauver la vie, et visiblement elle était en colère. Kennedy, les yeux flamboyants de rage et de soulagement mêlés, se tenait devant elle, son arme encore dégoulinante du sang de la bête.
─ Qu'est-ce que tu fou Will, cria Kennedy. Reprends-toi, tu veux mourir ? Ce n'est pas le moment de...
Un craquement, puis plus rien. Juste ce silence effroyable qui arracha les tripes de la sorcière impuissante. Elle n'eut pas le temps de crier ou d'agir que sa belle s’effondra dans ses bras, inerte, la nuque brisée par cet être primitif qu'elle envoya brûler en enfer, dans un état second, quasiment instinctif. Mais le soulagement ne vint pas. Seule la douleur, brutale et implacable, déchira de nouveau ses entrailles, cette souffrance suffocante qu'elle pensait ne plus jamais revivre. Non, elle ne voulait pas l'accepter. Pas cette fois-ci. Comment pourrait-elle faire le deuil de cette énième perte ?
La femme qu'elle aimait venait de la quitter, et le dernier souvenir qu’elle en garderait, la dernière image serait ce regard empli de colère, et c'était sa faute. Willow s'était stupidement mise en danger, forçant la tueuse à baisser sa garde pour la protéger. Il n'y avait pas eu de dernière parole, pas d’au revoir, juste cette fin abrupte, glaciale, impitoyable. Kennedy était vivante et puis, une fraction de seconde plus tard, tout était fini.
Il ne subsistait plus rien de sa personne que ce corps sans le souffle, passé de vie à trépas en un claquement de doigts, sans les honneurs et dans l’indifférence générale. Voilà ce qu'était la guerre. Ce n'était pas comme dans les romans ou les actes héroïques façonnent une réalité fantasmée. Non, c'était injuste et brutal, sans émotion ni belle musique pour attendrir les cœurs. Il ne s'agissait que de cela : vivre ou mourir, sans trompette ni clairon, sans gloire. Les cimetières étaient jonchés de ces héros morts pour la patrie, ou pour une cause qu'ils croyaient juste, mais au-delà de toute idéologie, ce qui subsistait n'était que larmes, vies fauchées, et cœurs consumés.
Willow ne l'avait que trop expérimenté. Il était temps pour elle d'extérioriser ses émotions, de laisser place à cette partie sombre d'elle-même qui se complaisait dans le chaos et la destruction.
Sous cette pluie battante, la sorcière hurla de toutes ses forces, un cri déchirant qui résonna à travers le champ de bataille. Puis lentement, elle se redressa, le regard littéralement noir et les veines saillantes. Fini les faux semblants et cette vertu idéologique trop contraignante. Désormais, elle s'était jurée d'être à l'image de ses adversaires et de commettre un véritable carnage dans leur rangs, ainsi libérée du joug de la pitié et de son humanité. Des flammes jaillirent de ses mains et chaque méta-vampire croisé sur sa route fut réduit à l'état de cendre.
**
A l'écart des combats, Djézabelle participait à cette guerre à sa façon. Elle s'était agenouillée sur le sol, dans sa longue robe noire, peu pratique pour se mouvoir avec aisance, et encore moins adaptée pour les combats au corps à corps. C'était son style et elle ne comptait pas user de ses poings, préférant laisser cela aux personnes compétentes. Elle possédait d'autres atouts qu'il ne convenait pas de prendre à la légère, surtout à considérer les rudiments ésotériques qu'elle maîtrisait à la perfection.
L'enchanteresse venait de perdre son partenaire de vie, cet oiseau auquel elle s'était attachée bien plus qu'à la majorité de l'humanité. Elle gardait à l'esprit, le sourire du démon, bien décidée à lui faire payer son crime. Alors qu'elle observait la lutte acharnée au loin, ses pensées dérivèrent naturellement vers le vampire. Ce dernier risquait sa vie sur le terrain et elle aurait souhaité être à ses côtés pour le soutenir et le protéger, bien qu'elle puisse atteindre indirectement ce but en se tenant à distance.
Sa présence en ces lieux ne relevait pas du hasard et revêtait d'une utilité cruciale sur le court des événements. L'ennemi était en surnombre et elle s'irriguait comme seul rempart contre une tuerie de masse, ne laissant présager aucun doute quant à sa finalité tragique. Les troupes de la tueuse ne pouvaient espérer l'emporter, et ce, malgré toute la volonté du monde. La seule façon de retarder l'échéance était de bloquer momentanément le gros des troupes adverses, alors elle s'y attela en puisant dans des forces qu'elle aurait souhaitées garder scellées.
─ Aux grands maux les grands remèdes, se stimula-t-elle avant de coller ses mains au contact du sol, en totale connexion avec la terre.
Ses paupières se fermèrent, puis elle laissa son esprit vagabonder jusqu'à établir le lien avec la source de toute vie. Les gémissements lointains, ainsi que le stress causé par l'urgence de la situation, n'aidaient pas à lui apporter la sérénité nécessaire à une efficacité optimale, mais elle persista malgré tout. Créer un dôme de protection autour de sa personne était une chose, mais l'établir sur une zone immense en y injectant assez de puissance pour qu’il ne se brise pas en éclat sous la pression adverse, s’avérait une autre paire de manches. Ce mur invisible devait, au moins pour un temps, empêcher les Anciens de s'approcher du théâtre des opérations.
Ce plan n'était que temporaire et il arriverait fatidiquement le moment où elle lâcherait prise, mais chaque minute de gagnée apportait une chance aux défenseurs d'en finir avec le menu fretin, avant de s'attaquer à plus forte résistance, si tant est que l'on puisse considérer les Turok Han comme une simple mise en bouche. La situation semblait désespérée, mais tant qu'il subsistait un infime espoir, elle s'y accrocherait avec acharnement. Pour le reste, elle aviserait le moment venu.
Le ténébreux ne se trouvait pas étranger à l’implication dévouée de Djézabelle, pour une cause qu'elle ne soutenait que très partiellement. Le vampire et sa fâcheuse tendance à lutter contre vents et marrées, l'avait entraîné dans un rôle qu'elle n'était pas censée assumer à un tel degré d'intensité. Finalement, le sort de toutes ces filles lui importait, peut-être parce que cela comptait pour lui, et qu'elle éprouvait des sentiments à son égard.
Le vent faisait virevolter ses longs cheveux noirs et la pluie qu'elle chérissait tant, venait, une fois de plus, l'accompagner dans son chant du diable. Toujours ce même dialecte sombre et cynique, ce langage interdit, instrument de sa totale dévotion au malin. Les éléments se déchaînaient autour d’elle, et en son for intérieur, elle jubilait. Les rafales, fouettant son visage, atténuaient les bruits du monde extérieur. Djézabelle s'autorisa une pause nécessaire à l'élaboration de son incantation, le temps d'inspirer profondément et de s'imprégner de la férocité de cette averse devenue pour elle une sorte de garde-fous.
Cette pluie torrentielle, considérée comme un don du ciel, lavait ses péchés alors même qu'elle était en train de les prononcer. L'eau abondante purifiait son âme et apaisait ses souffrances. Était-ce pour noyer ses parjures ou laver ses blessures ? Elle n'en savait rien, mais elle avait toujours perçue cette pluie comme un message, une force bienfaitrice veillant sur elle continuellement, et lui incombant de ne pas se laisser emporter par la malédiction. Mue par une volonté de fer, elle poursuivit la récitation du Deus Diabilis.
C'est alors qu'une apparition, inattendue et menaçante, se dressa devant elle. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, un frisson glacé lui parcourut l’échine : l’entité arborant les traits de la tueuse la surplombait, imposante et terrifiante. Ce n'était pas sa première fois qu’elle croisait ce regard froid, cette aura destructrice. Cette créature lui était déjà apparue lors de l'envolée du seigneur des airs. Il ne subsistait aucun doute : la Force, dans toute sa malveillance, venait lui rendre visite, et elle n’avait rien d’amicale.
C'était de bonne guerre, après tout, que de chercher à la perturber pour entraver son incantation. Consciente de la manœuvre, Djézabelle ne put s'empêcher de projeter sa haine, de par ses traits plissés et son regard sombre. Ne souhaitant pas se laisser distraire, l'enchanteresse ferma les yeux, déterminée à ignorer la présence oppressante de l’entité.
─ Et bien, qu'avons-nous là ? fit froidement l’usurpateur en croisant les bras. Une petite enquiquineuse qui essaie de gagner du temps. Pfff, comme si ça servait à quelque chose.
Djézabelle ne répondit pas. L'entité, toujours voilée sous l'apparence de la tueuse, semblait perturbée par l'incantation.
… Quel est ce dialecte que tu utilises ? Ça me dit vaguement quelque chose. Mais bien sûr... mon plus fidèle ennemi est aussi de la partie, ou devrais-je dire, mes plus fidèles ennemis ? Voilà qui devient très intéressant… et qui ajoute un peu de piment à tout ceci.
De qui pouvait-elle bien parler ? Qui pouvaient être ces entités ? La magicienne le devinait, mais les réponses demeuraient obscures. Elle avait toujours ressenti un lien puissant, une présence derrière son âme ténébreuse, qu'elle avait fini par justifier comme étant la source du mal, Satan, ou une autre entité du même acabit, mais jamais elle n'avait envisagé que le seigneur qu'elle servait puisse être une entité multiple. Non, elle l'aurait senti, et ce n'étaient pas les occasions qui avaient manquées. Peut-être était-ce une façon de la faire sortir de sa méditation transcendantale, et si c'était le cas, cela fonctionnait. Buffy, ou ce qui s'en apparentait, continuait son monologue, le visage tendu et colérique.
… Les Maîtres que tu sers ont toujours œuvré à me mettre des bâtons dans les roues, mais pas cette fois. Il est temps de mettre un terme à tout ça. Aujourd'hui, rien ne pourra m'arrêter, ni toi, ni la tueuse, ni personne, pas même cette prophétie inventée de toute pièce par ceux que tu sers. Je romprai l'équilibre des forces et alors le cycle naturel de la destruction reprendra son cours.
L'usurpatrice marqua une pause, laissant planer un silence lourd de menaces, avant de baisser le regard sur Djézabelle, toujours à genoux, les cheveux longs et humides tombant devant son visage.
… Tu seras aux premières loges pour assister à la défaite de tes maîtres.
La magicienne fut éprise de sueurs froides, et ce n'était ni dû à la pluie glaçante jusqu'à l'os ni aux dires de la Force qui, sans la laisser complètement de marbre, ne jouissait pas d'un tel pouvoir de domination sur sa personne. Non, ses forces commençaient à s'épuiser tout simplement, et le moindre coup porté par les Anciens sur le mur invisible, la faisait vaciller de douleur. La connexion se maintenait ainsi : Djézabelle était liée à la terre, la terre liée à l'écran protecteur, et l'écran à elle. Trop fière pour geindre devant l'adversaire, elle serra les dents et encaissa en grimaçant, les traits crispés par l’effort. La Force ne manqua pas de lui faire remarquer ce qu'elle savait déjà.
… Oh, l'énergie te manque. Tu commences déjà à ressentir l'effet de la douleur. C'est navrant. Tu n'es pas sans savoir qu'à la seconde où tu lâcheras prise, mes troupes fonderont sur tes amis et ce sera leur fin assurée, la tienne également.
L'entité fit volte-face et scruta la bataille qui faisant rage au loin.
… Regardes-les, ces êtres pitoyables luttent pour leurs survies, sans se douter que par ta faiblesse, tu t'apprêtes à les envoyer directement en enfer. Ils comptaient sur toi, n'est-ce pas ? Surtout le vampire. Il te faisait confiance et tu vas le décevoir lui aussi.
Ayant la faculté de lire dans les esprits, la Force prit alors l'apparence d'Angel, ce qui eut pour effet de déstabiliser l'enchanteresse un court instant.
… Tu éprouves des sentiments pour moi, murmura sournoisement l'entité en imitant le timbre de voix du vampire. Et pourtant, tu vas me laisser mourir. Ma vie est entre tes mains, notre vie à tous, mais tu n'es pas à la hauteur, tu ne l'as jamais été. Tu es toujours restée cette petite fille apeurée et pleurnicheuse, trop faible pour rejeter le malin venant te susurrer à l’oreille des mots doux.
Désynchronisant son attention de la bataille, la magicienne, épuisée et souffrante, défia l'usurpateur du regard. Un rictus se forma le long de ses lèvres, ce qui eut le don d'agacer son vis à vis, peu habitué à ce qu'on lui tienne tête.
… Je peux savoir ce qui te faire sourire ?
─ On ne t'a jamais dit que tu parlais trop ? lui répondit hargneusement Djézabelle en la perçant d'un regard acéré. Maintenant hors de ma vue.
La magicienne pencha brusquement la tête vers le sol, restant immobile quelques secondes, avant de lever les yeux au ciel, comme prise de convulsion. Elle ne récitait plus le langage interdit, il jaillissait naturellement de ses lèvres, comme si elle était possédée par le diable en personne. Les traits tirés, la mâchoire serrée, elle cracha son incantation funeste à la face décrépie de l'entité qui, sous la pression, délaissa le corps d'Angel pour revêtir sa véritable apparence, celle d'un démon né dans les profondeurs de l'enfer, dans l’obscurité même de la création.
─ Ce n'est qu'un court moment de répit que tu leur offres, hurla la bête d'une voix grave et caverneuse. Rien de plus qu'une lente agonie, comme celle que je te réserve. Ton temps et celui de tes amis sont comptés.
S'évaporant dans le néant, la bête se retira pour rejoindre son camp, laissant l’enchanteresse à bout de souffle. Djézabelle, épuisée mais résolue, puisa dans ses dernières réserves d'énergie pour grappiller quelques minutes supplémentaires et leur octroyer un léger sursis. Ce n'était pas grand-chose, mais dans une guerre, les petits détails œuvraient quelquefois à changer le sort d'une bataille.
***
A mesure que les corps tombaient comme des mouches, des espaces se créaient de part et d'autre du champ de bataille. Le bruit des grognements, mêlé au fracas des armes, se faisait moins audible, plus étouffé. Les pertes se comptaient dans les deux camps, mais la Force conservait encore le gros de ses troupes sous le coude, tandis que la tueuse et son armée n'avaient pas d'autres alliés sur qui se reposer. Il leur fallait compter sur leur propre détermination et celle de l'enchanteresse pour espérer glaner un temps précieux.
Malgré la fatigue et ses mouvements de plus en plus lourds, Buffy continuait à manier sa lame avec une détermination farouche. A force d'efforts inconsidérés, du sang avait investi sa trachée et sa salive. A chaque déglutition, un goût âcre de ferraille maltraitait son palais, en même temps que ses narines inhalaient une odeur de mort. Le rythme était trop soutenu, même pour elle. Les moments de répit se faisaient rares. A peine eut-elle tranché un corps en deux, qu'un autre prenait aussitôt la relève.
Dans ce cas de figure, ses réflexes instinctifs et son endurance surhumaine l'avaient sorti de bon nombre de situations désespérées. Puis vint ce moment d’inattention où elle trébucha sur le sol boueux, en ployant le genoux à terre. Pour la première fois, elle se retrouvait en position de faiblesse apparente. Cette scène attirait les regards, forcément : le général des troupes en fâcheuse posture, et toute une ribambelle de démons guettant la moindre occasion pour porter le coup fatal et psychologique à une armée qui perdrait de ce fait, sa principale source d’espérance. L'occasion était trop belle.
Telles des charognes, les méta vampires se précipitèrent sur la tueuse fragilisée. Ils l'attaquèrent simultanément de tous côtés. Subissant le contre coup d'une fatigue inopinée, Buffy peinait à se relever. Elle essaya malgré tout, mais prendre appui sur ce sol glissant n'aidait pas. Une flèche, providentielle, inespérée, fusa à travers les particules de pluie et, comme un éclair dans le ciel pluvieux, transperça sèchement la glotte du Turok Han, sur le point de planter ses crocs dans la chair de la tueuse. Une silhouette vint occire un deuxième méta-vampire, tout en se réceptionnant à l'aide d'une roulade, sabre à la main. Le troisième, décapité en un éclair, se désintégra en poussière avant même de comprendre ce qui lui arrivait.
Lorsque Buffy leva les yeux, elle y trouva une main tendue, l'invitant à se relever. C'était Seyia, entourée d’Héléna, Joy et Léa, toutes en position martiale. La jeune brune intima aussitôt l'ordre à ses coéquipières de maintenir un périmètre de sécurité autour de la tueuse. Surprise par leur connivence de groupe, Buffy observa sa disciple avec admiration. La tueuse se rendait compte du chemin parcouru par son élève qu'elle avait toujours considéré comme la relève attendue. Peut-être avait-elle détecté un potentiel latent, une accointance avec ses propres capacités, mais la jeune brune possédait quelque chose qui la différenciait des autres. Inspirée par la vaillance et la ténacité de cette nouvelle génération, Buffy saisit fermement sa scythe et se redressa plus dangereuse que jamais.
****
N'ayant jamais aussi bien coordonné leurs mouvements, les deux vampires défendaient leur position avec acharnement. Leurs adversaires venaient mourir sur leurs lames, teintée de sang. Après avoir extirpé son épée du méta vampire, Angel s'accorda un bref instant pour observer le carnage qui les entourait. Spike fit de même. A vue d’œil, ils avaient probablement perdu le tiers de leurs effectifs, sinon plus. Seule bonne nouvelle, ils avaient désormais le temps de s'en rendre compte, la première vague adverse ayant été fortement décimée. Spike scruta l'horizon, sombre et funeste, légèrement déformé par le mur invisible érigé par Djézabelle.
─ Tu crois qu'elle va tenir encore longtemps ? s'inquiéta-t-il en haussant la voix pour se faire entendre dans le tumulte ambiant.
─ Non, répondit le ténébreux en parant un coup de griffes, avant de balayer son adversaire et de l’empaler au sol. C'est déjà un miracle qu'elle ait tenu jusque-là.
Spike ébranla un Turok Han d'un puissant coup de pied au bas ventre avant de lui trancher la tête, d’un mouvement précis et vif.
─ Dans ce cas, je ne veux pas paraître pessimiste, mais au moment où le mur s'effondrera…
─ Je sais, le coupa amèrement Angel en découpant, dans un dernier effort, le corps du vampire hybride.
Les derniers assauts se firent plus succincts. Illyria, Faith, Robin et les autres, s'occupèrent des derniers élans de résistance, jusqu'à ce qu'il ne reste plus l'ombre d'un Turok Han. Puis vint ce silence. Un silence de mort suintant sur le champ de bataille décimé, accordant aux défenseurs ce moment de répit tant espéré.
Les troupes de la tueuse avaient vaincu la première charge, mais le prix fut bien trop lourd. Les pertes subies étaient innombrables, sans compter l'état d'épuisement des troupes à la merci d'un ennemi attendant patiemment que l'écran protecteur ne se brise pour plier définitivement les débats. La situation apparaissait désespérée. Chacun en avait pleinement conscience, bien que personne n’osât l’avouer. Alors pour faire corps, les survivants se rejoignirent en observant d'un œil inquiet, la magie s'épuiser par bribes d'étincelles et jaillir de toute part de l'écran invisible.
Aux côtés de Buffy, les visages déshumanisés scrutaient avec effroi, les ombres dansantes au loin. Cette fois-là, nul discours ne franchit les lèvres de la tueuse. Elle-même n’espérait plus une issue favorable. L’univers semblait l'avoir compris lorsque l'orage gronda dans le ciel gris et pluvieux. Des éclairs zébrèrent le ciel, ici et là, accentuant l'effet apocalyptique de cette guerre perdue d'avance.
─ Ok, fit Robin en se pressant le bas ventre pour retenir les effluves sanguinolentes s'échappant de sa plaie. Si quelqu'un à une idée, c'est le moment.
─ Se battre jusqu'au bout, reprit Faith inquiète de l'état de son compagnon.
─ Ils sont trop nombreux, constata froidement Illyria. Nous ne tiendrons pas longtemps.
─ C'est dans ces cas-là qu'arrive un miracle non ? les motiva Spike, sans trop y croire.
─ Le miracle, on vient de le réaliser en tenant jusque-là, avoua Willow totalement défigurée par la haine et la tristesse.
─ Alors il est temps d'en créer un autre, reprit Seyia.
─ Oui, on va jusqu'au bout, assura Angel. On ne gagnera peut-être pas, mais on va rendre ce moment mémorable.
─ C'est l'idée, conclut la tueuse en serrant son emprise sur sa scythe tandis que la horde venait de briser ses entraves. Au boulot.
*****
L'enchanteresse observait ses mains tremblées. Chaque muscle de son corps la tiraillait, rendant le moindre geste, même anodin, presque impossible à exécuter. Ces derniers temps, elle ne s'était guère ménagée, et chaque possession de l'esprit sur sa conscience l’avait affaiblie considérablement. A chaque fin de transe, c'était un peu de sa vie qui partait en fumée, et un morceau de son âme qu'elle offrait au diable en contrepartie d'un pouvoir dépassant l'entendement. Djézabelle n'était pas immortelle. Tôt ou tard, elle aurait à rendre des comptes.
Sur l'instant, elle scruta l'horizon, partagée entre la satisfaction d’être allé au bout d'elle-même et le regret de ne pouvoir en faire plus. Son sort de protection brisé annonçait leur probable défaite, ainsi que la probable perte de l'être cher à son cœur. A cette pensée, son cœur vibra douloureusement dans sa poitrine et son souffle se coupa. Elle n'était pas asthmatique, mais elle en ressentait les effets néfastes sur son corps poussé au-delà de toute limite.
Pour autant, elle avait encore un rôle à jouer, et pour ce faire, il lui faudrait lutter pour se relever, garder les yeux ouverts et s'acharner à déployer sans cesse plus de magie. Dans les contes qu'elle lisait enfant, les héros trouvaient constamment en eux les ressources inépuisables pour affronter et vaincre l’adversité. Il s'agissait simplement de le vouloir assez fort. Le cerveau commandait au corps, et le corps obéissait. C'était d'une simplicité enfantine.
─ A cœur vaillant, rien d'impossible ! s'écria-t-elle pour se donner du courage
Ses yeux se plissèrent, puis ses paupières esquissèrent des soubresauts, mais comme les montagnes russes, la descente l'emportait toujours sur l’ascension. Son esprit luttait contre le sommeil, contre ce corps fatigué et meurtri, jusqu'à parvenir à cet état de fait. La réalité ne se pliait pas toujours à la volonté. Il lui faudrait se reposer, ne serait-ce qu'une minute, pour se requinquer et repartir de plus belle. Mais cette minute s’étira, encore et encore. Le corps, épuisé, avait dicté sa loi et ce n'était pas par caprice. Djézabelle se résigna à l'écouter, et s'effondra, espérant qu’une fois rétablie, elle retrouverait cette étincelle nécessaire à l'accomplissement de sa destinée.
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Observer ces milliers de créatures se mouvoir d'un même élan offrait un tableau d'une beauté funeste, presque onirique. Provenant de la terre et du ciel, les sbires de la Force fondirent sur leurs proies et décimèrent des sections entières de tueuses, trop impuissantes, trop humaines. Absolument rien ne les avait préparés à se confronter aux démons de l'Apocalypse et aux titans célestes. Ce n'était pas leur combat, mais celui des Dieux, absents en cette heure fatidique.
Comment pouvaient-elles, malgré toute leur vaillance, lutter contre des hordes de géants faisant trembler le sol à chacun de leur pas ? Comment ralentir ces volatiles terrifiants, plongeant du ciel à une vitesse fulgurante pour déchirer la chair de leurs serres, avant de remonter aussitôt, tels des rapaces emportant des proies sans défense ? Comment rivaliser face à ces meutes de loups aux mâchoires puissantes, brisant et déchiquetant les os avec une férocité implacable ? Et que dire de ces reptiles à la peau écailleuse, si dure que les coups semblaient n'avoir aucun effet sur leur constitution.
La réponse se trouvait dans ce spectacle sinistre, cette tuerie de masse, ce carnage perpétré au nom de quoi ? Personne n'aurait pu trouver une justification à toute cette sauvagerie. Était-ce pour la liberté ? Bien sûr que non, ce monde n'avait jamais été libre et cela, même du temps où la Force était encore coincée dans les bas-fonds. Alors peut-être était-ce pour l'instinct de survie ? Mais dans ce cas, pourquoi courir à une mort certaine ?
Non, la raison devait se trouver ailleurs. Dans les recoins sombres d'une idéologie insufflée dans le cerveau de chacun, et cela, dès la plus tendre enfance. On leur avait appris le bien et le mal, l'enfer et le paradis, mais ces concepts venaient d'être balayés par une théorie ensevelissant tout sur son passage comme un trou noir : celle du chaos. Tout ce qui est créé est destiné à être détruit. La vie est née du chaos, et elle y retournera. La Force veillerait à s'en assurer.
Bien que son avènement soit inéluctable, certains pensaient pouvoir changer le cours des choses, ou du moins en retarder l'échéance. Cela se traduisait par des centaines de corps percutés contre les rochers et les arbres environnants, comme s'ils ne pesaient rien, comme s'ils n'étaient rien. Des sections furent entièrement décimées sans qu'elles ne puissent opposer la moindre résistance, et cela, sous le sourire impétueux de cette entité immémoriale qui se pavanait d'une victoire qu'elle savait acquise.
Dans ce néant chaotique, une lumière en forme de halo fit soudainement son apparition, au coeur des combats. Son costume, bien propre sur lui, tranchait avec le décor apocalyptique. Ce vêtement était devenu comme une seconde peau, et bien qu'immaculé, il le ressentait comme crasseux et purulent, tout le contraire de ce que les apparences exigeaient.
Au fond, il était toujours resté Wesley, cet homme qui, malgré tout, cherchait inlassablement à faire ce qui lui semblait juste, un homme de bien, en somme. On lui avait annoncé qu'il participerait à une guerre, mais il ne l'avait pas envisagé aussi impitoyable et cruelle. Des cadavres de jeunes filles innocentes gisaient partout où il avait le malheur de poser le regard.
Jamais dans ses pires cauchemars, il n'avait imaginé cette lutte prendre de telles proportions. Cette folie lui apparaissait comme humainement inconcevable, au-delà de toute compréhension philosophique et morale. Pourtant, si cette réalité n'était plus la sienne, lui aussi avait également un rôle à jouer.
En tant qu'entité spectrale, Wesley était intouchable, sa seule inquiétude se limitant à la légère distorsion visuelle causée par les hordes de démons-lézards traversant son corps. Son état immatériel s’avérait fort pratique pour éviter les coups, mais beaucoup moins quand il s’agissait d’en porter. Quitte à choisir, autant souscrire à la première option. Ce n’est pas que la violence le répugnait, mais elle n'avait jamais été son credo. Il s'y prêtait uniquement lorsque la situation l'exigeait, mais toujours à contre-cœur.
La question ne se posait plus pour lui, alors il continua de passer entre les gouttes, à la recherche de celle qui accaparait toutes ses pensées. Wesley désirait la revoir une dernière fois, sous sa véritable apparence, avec son véritable corps, pour un ultime adieu. Il s'inquiétait aussi, à moindre mesure, pour Illyria. Après tout, il avait appris à l'apprécier à sa manière, et il lui devait un dernier baroud d'honneur.
Ensuite, tout se déroulerait selon le plan : Wolfram & Hart libérerait Fred et il s'en irait transmettre un dernier message à son mentor, celui qu’il avait toujours épaulé. Enfin, il disparaîtrait à jamais, définitivement cette fois.
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Les défenseurs virent leurs effectifs diminuer peu à peu, pulvérisés par les charges fulgurantes provenant du ciel, et celles plus frontales des colossales créatures opérant sur la terre ferme. Il devenait de plus en plus difficile de serrer les rangs sans céder à la panique. La plaine, vaste et ouverte, offrait un terrain idéal pour les assaillants, imposants et nombreux. Les tueuses tentèrent de se regrouper, espérant former une ligne compacte, mais la plupart se retrouvèrent esseulées, constituant ainsi des proies faciles pour une meute supérieure en force et en nombre.
Sous les assauts répétés, leurs défenses se fissuraient, et avec elle, les derniers espoirs de victoire. Les troupes de la tueuse se trouvèrent éculées, sur le fil du rasoir, sur le point de rompre. Pourtant, Buffy ne ménageait pas ses efforts. Loups à la langue fourchue ou hommes lézards, tous gouttaient au tranchant de sa lame. Malgré cette farouche et hargneuse volonté de résister, les titans causèrent des ravages irréversibles, resserrant inexorablement l'étau autour de la tueuse et de ses troupes, désormais encerclées.
Extirpant sa lame du lézard, le ténébreux se fraya un chemin à travers le chaos, ses yeux fixés sur un objectif précis : ce géant équipé de quatre membres supérieurs. Dans sa folie destructrice, le mastodonte fauchait des tueuses par dizaine, laissant derrière lui un sillage de destruction. Ce monstre, d'une puissance démesurée, possédait une musculature saillante ainsi que des griffes aussi acérées que des lames de rasoir. Chaque seconde que le vampire perdait à percer les lignes, se payait par un massacre de masse.
Alors, la peau ridée et les canines apparentes, Angel laissa éclater sa colère vampirique et s'éleva d'un énorme bond, jusqu'à parvenir à proximité de l'immense créature. Sans qu'il n'ait eu le temps de réagir, une masse vint le percuter à la vitesse de l'éclair pour l'emporter quelques mètres plus loin. L'entrée en matière fut brutale, et son retour à la conscience, pas moins.
En tournant la tête, Angel aperçut Robin gisant à ses côtés. Balayé par le démon, l'ex-proviseur l'avait entrainé dans sa chute, et son état laissait peu de place à l’optimisme. En sa qualité d'être humain, c’était déjà un miracle qu’il ait survécu à la première vague, mais encaisser la charge d’un titan à bout portant rendait son pronostic vital peu engageant. Inquiet, Angel se précipita à son encontre.
─ Est-ce que ça va aller ?
Robin essaya tant bien que mal d'ouvrir les yeux et de parler, mais le vampire dut tendre l'oreille pour comprendre les mots presque inaudibles sortant péniblement de sa bouche ensanglantée.
─ Va, murmura-t-il en essayant de reprendre son souffle. Va... ai....aide... aide-la.
Ce furent ces derniers mots avant que ses paupières ne se ferment et qu’il sombre dans l'inconscience. Le ténébreux porta son regard sur le colosse à quatre membres et comprit aussitôt. Faith, en prise avec ce dernier, se trouvait en fâcheuse posture. A considérer son état d’épuisement ainsi que ses blessures apparentes, elle n'allait pas pouvoir tenir indéfiniment.
Alors, le vampire se précipita sur le démon et, profitant de l'effet de surprise, enfonça la pointe de sa lame dans son épine dorsale. Incapable de s'en dépêtrer, Angel resta harponné au manche de son épée, bringuebalé par les gesticulations incessantes du colosse désireux de se débarrasser de cette aiguille dans sa chair. Ne pouvant plus tenir, le vampire lâcha prise et se réceptionna sur le sol d'une roulade, avant de se relever en face de la tueuse. Ce court répit profita à Faith, qui accueillit avec soulagement l'intervention providentielle du ténébreux.
─ Contente de te voir, dit-elle en reprenant son souffle. Mais ça ne va pas changer grand-chose. Il est trop puissant.
Angel tourna la tête en direction du démon qui, sans leur laisser le moindre répit, revenait à la charge.
─ Il a forcément un point faible, cria le vampire avant de se projeter sur la droite, à l'opposé de Faith, pour éviter la collision frontale avec le colosse.
Désarmé mais déterminé, Angel s'éleva dans les airs, afin d' attaquer le monstre au visage. Mais d'un revers de main, il fut balayé comme un fétu de paille, et alla s'écraser au sol, entraînant un amas de terre dans son sillage. L’impact fut si violent qu’Angel perdit aussitôt son état vampirique.
Faith se retrouva seule et à bout de souffle face à la bête, mais ce n'était pas dans son tempérament de se résigner. La rage au cœur, elle esquiva les poings meurtriers et dévastateurs qui creusèrent des cratères de la taille d'une météorite à chaque impact dans le sol. Son agilité lui avait sauvé la mise à plusieurs reprises, mais consciente qu’elle ne faisait que retarder l'échéance, la tueuse se résolut à changer de tactique. Il lui fallait trouver une ouverture et elle n'y parviendrait pas sans mettre sa vie en péril.
Jusqu'à présent, elle s’était contentée d'anticiper la trajectoire des coups, se mouvant suffisamment rapidement pour les éviter, mais cette stratégie la maintenait à une distance trop grande pour espérer contre-attaquer. Pour gagner en efficacité, elle allait devoir prendre des risques. Acculée, Faith prit une lente inspiration et relâcha l'ensemble de ses muscles. Il lui fallait atteindre un état de détente totale pour percevoir le moment exact, la fraction de seconde où elle aurait l'opportunité de percer la garde du colosse et lui asséner un coup fatal. C'était quitte ou double.
Face au démon, elle attendit, les bras ballants. Impassible, elle défia la mort sans vaciller. Lorsqu’elle perçut les ondes émises par le poing de la bête sur sa peau, elle bougea imperceptiblement, frôla l'attaque, et pénétra dans sa garde. Le deuxième et troisième poing, elle les évita de la même façon, virevoltant à droite puis à gauche, et enfin, lorsque le dernier coup fut porté, elle plongea droit devant, échappant d'un cheveux à la terrible sentence. Poussée par le souffle de la collision, elle fondit sur sa cible et planta sa lame dans son abdomen.
Un hurlement de douleur s'extirpa de la gueule béante du démon. Le rugissement s'accentua lorsqu'elle extirpa brutalement l’arme et le taillada de toute part, enchaînant ses mouvements avec une puissance destructrice insoupçonnée. Dans cet état de furie, la tueuse semblait inarrêtable mais ce n'était malgré tout pas suffisant pour infliger à ce colosse la peine capitale. Dans sa fougue, elle n'avait pas remarqué le poing levé du monstre, s'apprêtant à la faire taire pour toujours. Lorsqu'elle en prit conscience, il était déjà trop tard. Elle eut tout juste le temps de lever la tête et serrer les dents pour encaisser, impuissante, la charge meurtrière. Son corps fut happé et ce fut le trou noir.
Lorsqu'elle ouvrit les yeux, Faith se retrouva dans les bras d’Angel. Le vampire l'avait sauvé in extremis d'une mort certaine et se tenait désormais debout, face au colosse. Sans attendre son reste, il se lança à son tour sur la créature. Mais sans arme, ses coups n'eurent pas l'effet escompté et la gigantesque main velue se referma brusquement sur sa personne. L'étreinte était si puissante que le ténébreux, compressé à l'intérieur, cracha des gerbes de sang. Il sentit ses os craquer tandis qu’il était soulevé à hauteur du visage hideux de la bête qui le toisait de son regard de fauve.
C’était l'occasion rêvée pour Angel qui enfonça son poing dans l’œil du géant. Le globe oculaire explosa en gerbes de liquide jaunâtre à l'odeur nauséabonde. Le démon, éprit d'une douleur lancinante, relâcha instantanément son emprise, ce qui permit au vampire de se réceptionner avec perte et fracas sur le sol boueux.
Puisant dans ses dernières forces, il se redressa et se glissa derrière le colosse. D’un mouvement agile, il se projeta dans les airs, prenant appui sur le manche de l'épée restée plantée dans le dos de la créature. Puis, avec un bond prodigieux, il atterrit sur le crâne dégarni et corné du démon. En contrebas, Faith, fortement diminuée, s'empressa de saisir son épée gisant à quelques mètres, et dans un ultime effort, la projeta en direction du vampire. Ce dernier l'attrapa au vol, puis d'un geste rageur, enfonça la lame dans la boîte crânienne. Sans un cri, la bête alla s'écraser lourdement au sol, soulevant sous sa masse, un tapis de terre.
********
Le serpent, rapide et imprévisible, oscillait entre mouvements lents et explosifs. D'une morsure foudroyante, il agrippa le vampire à l'épaule. Ses crocs s'enfoncèrent jusqu'à l'os. Spike lutta de toutes ses forces, mais un simple mouvement de mâchoire l'envoya valser au loin, tel une vulgaire poupée de chiffon. Buffy, qui s'était précipitée pour lui venir en aide, n'eut pas le temps d'esquisser un seul mouvement, qu'elle se retrouva propulsée dans les airs, percutée de plein fouet par la queue écaillée. Sa trajectoire s’acheva brutalement contre un tronc d'arbre, avant qu’elle ne s’effondre lourdement sur la terre ferme.
─ Buffy ! hurla le vampire terrorisé par le sort de sa belle.
Spike n'avait qu’un seul nom à l'esprit : Buffy. Comment allait-elle ? Il voulait la voir, plus que tout, s'assurer qu'elle allait bien. La douleur lancinante irradiait depuis son épaule, mais cela importait peu. Il redoutait par-dessus tout que la tueuse subisse le même traitement. Contrairement à lui, elle ne possédait pas ses facultés de guérison. Spike l'avait entendu crier… puis plus rien.
… Bon sang ! ragea-t-il en serrant les dents pour se relever.
Ce qu’il détestait son incapacité à protéger l'élue de son cœur, à l'instant même où elle en avait le plus besoin. Malgré la douleur atroce qui le tenaillait, il parvint à se redresser. Ce n'était rien, une simple égratignure. Après tout, il en avait vu d'autres. Du moins se força-t-il à le penser pour ne pas sombrer dans le défaitisme. Résolu, il ramassa son épée souillée de boue, sur le sol détrempé.
Les échos lointains des combats et les gémissements des blessés lui parvenaient faiblement, mais il refusait de se laisser distraire. Il ne pouvait pas sauver tout le monde, et ce démon rampant, responsable de tant de carnage, était devenu sa cible prioritaire. Spike s'était déjà sacrifié pour Buffy par le passé et il recommencerait sans la moindre hésitation.
Ce Serpent accaparait tout son champ visuel et il s'apprêtait à commettre l'irréparable. Inconsciente, étendue au pied d'un arbre, la tueuse était sur le point d'être dévorée par la créature, dont le corps ondulant se dressait au-dessus d’elle. Les quelques mètres qui le séparaient de la bête lui semblèrent interminables, mais il les franchit néanmoins. Le vampire brandit son épée dans le ciel obscur, puis d'un geste vif, trancha la queue du démon, qui poussa un horrible gémissement, avant de porter son attention sur son assaillant. Spike esquissa un sourire provocateur et désespéré à la fois.
… Hey mon gros, c'est ici que ça se passe... enfoiré !
Son objectif avait été atteint. Détourner ainsi l'attention du colosse fut un succès plutôt inespéré. Pour autant, il n'avait pas envisagé ce qui adviendrait ensuite. Agissant par instinct, le vampire n'avait pas prévu de plan de secours. Face à cette colossale créature à tête de dragon, il n'en menait pas large. À peine eut-il le temps d'esquisser un geste, que le reptile fondit sur sa personne et l'enroula de sa puissante étreinte, à la manière d'un Boa saisissant sa proie.
Paralysé, Spike avait la totalité de ses membres compressés et broyés par la masse ondulante pourvue d'écailles. Son corps, défragmenté de l'intérieur, ne répondait plus. Sans toutefois se laisser abattre, le vampire prit son apparence des mauvais jours et planta ses crocs dans la chair calleuse du serpent qui relâcha son emprise instantanément.
Libéré, mais incapable de se mouvoir, il demeurait une proie facile pour le démon revanchard. C'est alors qu'un sifflement impromptu attira l'attention du reptile, détournant sa trajectoire. C'était Buffy. La tête levée, la scythe fermement empoignée dans sa main, elle fixa le colosse avec un air de défi dans le regard.
─ Si tu me veux, viens me chercher, le provoqua-t-elle avec une sérénité déconcertante.
La créature ne manqua pas de combler ses désirs, en projetant ses crocs luisants dans sa direction. Mais la tueuse, dotée de sa légendaire agilité, se déroba d'une roulade sur le côté, poursuivant sa course sans ralentir. Elle échappa de justesse à une deuxième tentative de morsure, avant de stopper sa cavalcade devant le tronc d'un arbre épargné par la destruction. Elle se retourna pour le narguer une nouvelle fois.
… Allez mon grand, je suis persuadé que tu peux faire mieux.
Fou de rage, le serpent se rua sur la tueuse, gueule béante en évidence, prêt à déchirer sa chair. Ses crocs y trouvèrent une résistance mais ce n'était pas celle escomptée. Sa mâchoire, plantée dans l'écorce, ne parvenait pas à s'en extraire. Le plan concocté par la tueuse avait porté ses fruits.
En voyant la bête lui foncer dessus, Buffy s’était retournée vers l'arbre. Après avoir parcouru quelques pas en toute verticalité sur le tronc, la tueuse s'était projetée pour éviter la charge, d'une vrille aérienne. S'étant désormais réceptionnée sur le corps ondulant de la bête, elle s'apprêtait à lui rendre le change. C'était là l'occasion rêvée. Avec une précision implacable, elle leva sa lame écarlate et, d’un geste furieux, trancha net le cou du démon. La tête, arrachée de son corps, resta sinistrement fichée dans l’écorce, tandis que le reste de la carcasse s’effondra lourdement sur le sol. A bout de souffle, Buffy tourna son regard vers Spike. Le vampire, témoin de toute la scène, laissa échapper un soupir de soulagement.
*********
Seyia avait beau retourner le problème dans tous les sens, elle ne trouva aucun moyen de percer les défenses de l'arachnide. En temps normal, elle n'était pas vraiment fan des araignées. Ordinairement, ces bestioles, et plus précisément les plus velues et massives d'entre elles, lui inspiraient un profond dégoût. Mais que dire de la créature sous ses yeux, pourvue de huit énormes pattes poilues teintées du sang de ses nombreuses victimes. Les flèches d’Héléna s'étaient révélées sans effet et bien que Joy et Léa se tenaient à ses côté, Seyia se sentait impuissante, sans la moindre solution en vue.
Jusqu'à présent, les filles avaient survécu en s'épaulant les unes les autres, mais jamais elles n'avaient été confrontées à une créature de cette dimension. Combien de leurs sœurs avaient trouvé la mort, dévorées ou simplement piétinées par cette horreur rampante ? Désormais il leur revenait de se dresser face à l’impossible, de réaliser l'impensable, de provoquer un miracle de plus. Ce petit centimètre gagné ne changerait certainement pas le cours de cette bataille mais amenuiserait considérablement les forces adverses.
Avant de partir en guerre, les filles avaient passé leur dernière journée ensemble, dans la petite chambre de Seyia, à imaginer l'après, leur vie future, quand tout serait enfin terminé et qu'elles auraient vaincu définitivement cette menace. Héléna rêvait de trouver un homme riche avec lequel elle voyagerait à travers le monde, et pourquoi pas, de se lancer dans une carrière de mannequinat. Joy, de son côté, envisageait de longues études pour devenir professeur en sciences appliquées, se sentant capable de réussir dans ce domaine. Léa, quant à elle, se voyait écrivain, mettant en scène ses propres histoires, transformant son vécu en récits captivants, enjolivés pour séduire ses futurs lecteurs.
Que d'ambitions à assouvir, excepté pour Seyia, la seule à n'avoir jamais véritablement élaboré de plan de carrière. Son approche pragmatique de la vie l'avait toujours tenue éloignée des espoirs et des éventuelles désillusions. A quoi bon penser au futur quand on n'était pas certaine d'en avoir un. Seul l’instant comptait à ses yeux, ce qui avait souvent suscité l’agacement de ses amies qui lui reprochaient de ne pas être assez rêveuse ou optimiste. Elles en avaient ri, pleuré même, avant de se prendre dans les bras en se promettant de tout faire pour que leurs rêves se réalisent.
Le retour à la réalité fut d’autant plus brutal. Elle avaient tout tenter : l'approche furtive, l’attaque de front, les assauts sur les flancs. Mais ces efforts n'avaient fait que les épuiser davantage. Leur agilité leur avait permis de tenir bon jusqu’ici, mais elles traînaient derrière elles les stigmates d'une longue lutte acharnée, et leur corps n'avaient plus la vigueur des premières charges. Il ne fallut qu'une fraction de seconde pour que leur esprit de groupe, jusqu'alors indéfectible, vacille, se fissure et se retourne contre elles.
A force d'esquiver, Héléna finit par perdre l'équilibre et glissa sur le terrain traître, humide et sinueux. Il n'en fallut pas plus pour déclencher l'horreur et étreindre les cœurs. La tueuse éprouva une douleur fulgurante, semblable à une lame chauffée à blanc perforant ses poumons. Elle cracha des gerbes de sang, tandis que ses coéquipières, figées par l’horreur, subissaient la scène avec effroi. Seyia et Léa se précipitèrent pour lui porter secours. Héléna les regarda approcher, agonisant dans sa plus pâle expression, sans pouvoir émettre le moindre son ni le moindre souffle, asphyxiée par son propre sang. Joy, paniquée à l’idée de la perdre, oublia toute prudence et se précipita à son tour, aveuglée par la terreur. Le prédateur ne laissa pas passer l’occasion. En un instant, elle fut transpercée, gémissant de douleur, les yeux noyés de larmes.
Seyia, les jambes coupées, stoppa brutalement sa course. Paralysée, elle tremblait comme une feuille, son esprit en état de choc luttant pour traiter les informations qui lui parvenaient. Tout lui paraissait hors de portée et hors du temps, comme si le monde s'était brusquement arrêté autour d’elle. Son esprit sombrait dans une dimension intangible, une sorte de purgatoire ou elle errait comme une âme en peine. Ses deux meilleures amies, à la merci de cette monstruosité, la fixaient avec des regards emplis de peur, résignées à leurs sorts. Elles agonisaient silencieusement, abandonnant derrière elles leurs rêves et leurs espoirs brisés.
L'arachnide ne comptait pas en rester là. Seyia constituait une énième cible de choix. La bête la scruta de ses multiples yeux écarlates et leva l'une de ses nombreuses pattes, prête à transpercer le corps frêle de la jeune brune.
─ Réagis, bon sang, mais réagis !
Cet écho résonnait en boucle dans sa tête, comme un film au ralenti. Seyia revisionnait la scène, lorsque Joy lui avait intimé l'ordre de se réveiller et de combattre le démon dans le gymnase. Elle aimait tant cette voix, mais était-ce vraiment celle de Joy qu'elle percevait ? elle n'en était plus certaine. Jamais, elle n'avait prêté attention à ces détails, avant de réaliser qu'elle n'entendrait plus, ni Joy ni Héléna se chamailler pour des broutilles. Les larmes lui montèrent aux yeux. Ce son résonnait, encore et encore, dans ses tympans. Un tintement irritant et assourdissant, qui cognait dans son crâne jusqu’à lui donner la nausée.
Lorsqu'elle reprit enfin pied dans la réalité, il était trop tard. Rien ne semblait pouvoir endiguer l'attaque foudroyante qui se frayait un chemin tout tracé vers ses entrailles. Elle ferma les yeux, résignée à accepter une mort qu’elle croyait inéluctable. Pourtant rien ne vint. La tueuse sentit simplement une masse heurter son corps, la dévier sur le côté, puis plus rien.
Ce qu'elle découvrit en rouvrant les yeux lui glaça le sang. Elle aurait préféré y passer plutôt que de devoir assister une fois de plus à cette fatalité. Léa, les yeux plissés de douleur et la mâchoire tremblante, avait le bas-ventre complètement perforé.
… Je...te...t'avais dit ..de réaGIIIR, REPRENDS-TOI, cria cette dernière rageusement.
Les paroles de son amie, venant de faire le sacrifice de sa propre vie, l'impactèrent comme un coup de tonnerre. Seyia retrouva ses esprits sans que ses larmes ne cessent de couler. Léa, puisant dans ses dernières forces, s'empara du couteau accroché à sa ceinture, tout en agrippant de sa main libre la patte velue de la créature qui l’empalait. Joy et Héléna l'imitèrent inconsciemment, comme portés par un esprit de cohésion défiant toute rationalité.
… Vis pour nous et trouve-toi un rêve, fit Léa, le regard plein de tendresse pour son amie. Surtout ne nous oublie pas... On faisait une sacrée équipe toutes les quatre.
Un léger sourire vint se poser sur ses lèvres tandis que Joy et Héléna n'exprimaient plus l'ombre d'une expression, soumises essentiellement à leur instincts de tueuses. Toutes trois brandirent leur couteau de concert, puis de leurs derniers souffles, incrustèrent dans la mémoire de leur amie une marque indélébile de leur courage en privant le monstre de trois de ces membres.
Seyia sentit son sang bouillonner dans ses veines, une rage irrésistible émanant de chaque parcelle de son être. La moindre fibre de son corps vibrait d'un désir viscéral de déchiqueter encore et encore, jusqu'à ce que mort s'ensuive. Répondant à cet appel impérieux, son épée fendit l’air, tranchant la créature avec une précision féroce, jusqu’à la priver de son unique point d'appui. Une fois la bête déséquilibrée, la tueuse lui infligea le coup de grâce en plongeant sa lame éprise d'une aura démoniaque dans le cerveau. Le système nerveux de l’arachnide brisé, ses membres sectionnés se tordirent dans un ultime spasme avant que la mort ne l’emporte.
Sortant peu à peu de sa transe, Seyia s'écroula au sol, la tête inclinée. Le flot ininterrompu de ses larmes se mélangeait à l'eau de pluie. Les visages radieux de ses sœurs tombées au combats s’imposèrent à son esprit, une image qu’elle voulait graver à jamais dans sa mémoire. Elle se le promit alors : jamais elle ne les oublierait.
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La chair encore fumante, le démon tentaculaire n'avait pas pu résister aux assauts combinés de la sorcière rousse et de la déesse démone. Willow était parvenue à maintenir l'ennemi à distance, tandis qu'Illyria s'était occupé de lui asséner le coup de grâce. Trônant fièrement sur la bête, la démone inspirait plus que jamais la peur dans le regard de ses adversaires, désireux de ne pas croiser son courroux. Seuls quelques inconscients s'y risquèrent et aucun n'en réchappa.
Illyria avait radicalement changé depuis la lutte dans cette ruelle, face à l'armée de Wolfram et Hart. Elle avait trouvé un but, un idéal à accomplir, et cette part d'humanité qu’elle rejetait autrefois avec véhémence, était devenue sa plus grande force. Désormais, elle désirait plus que quiconque protéger ces précieux sentiments, d’autant plus après avoir connu l'époque de la terreur, des luttes incessantes, dans un monde violent régi par la seule loi du plus fort, voire celle du plus perfide. Il lui était inenvisageable de revivre cet âge qu'elle considérait comme maudit. Ce monde sans musique, sans sentiments, sans amour.
Dans les temps les plus reculés, Illyria avait été l’une de ces entités sillonnant la terre pour instaurer leur hégémonie. Déjà à l'époque, les démons s’entre-tuaient, jusqu’à ce qu’une puissance supérieures les force à s’unir. L’entité immémoriale, la force, avait œuvré dans l'ombre à rassembler les Anciens sous la même bannière. La déesse démone, dans son apparence originelle, avait été l'une de ces abominations, un puissant titan aux pouvoirs considérables. Si, dans sa forme actuelle, elle semblait moins imposante, ce qu’elle avait perdu en puissance brute, elle l’avait gagné en agilité et en force d’esprit. Plus que quiconque, elle comptait mettre fin aux agissements de cet ennemi à qui elle vouait une rancune et une haine tenace.
Sans le savoir, elle avait combattu pour le règne d’une entité qu'elle n'avait jamais considérée comme existante, et cela, elle ne lui pardonnerait jamais. Finalement, elle n'avait été, comme bon nombre de ses semblables, qu'un instrument dans une conquête qui n'était pas la sienne, et elle détestait par-dessus-tout être manipulée à son insu. Alors, pour expier ses fautes passées, elle redoubla d'efforts et élimina, sans relâche, toutes créatures qui croisaient son chemin. S'allier aux humains dans une volonté commune de préserver cette vie imparfaite, mais tellement précieuse, l'avait galvanisée. Ses exploits, sur le terrain, témoignaient de toute son abnégation et révélaient la profondeur de sa part d’humanité.
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Se débarrasser de quelques titans ne leur garantissait pas la victoire pour autant. Les forces restaient inégales et chacun se retrouvait confronté à ses propres limites. Quelques élans de résistance éclataient sporadiquement, ici et là, mais aucun n’avait l’envergure nécessaire pour inverser le cours de la bataille.
Buffy et Spike s'étaient rapprochés de Willow. La sorcière, épuisée, avait perdu son aura destructrice, et ne tenait que par quelques maigres sorts lui permettant tout juste de maintenir une illusion de puissance. Buffy, malgré ses jambes vacillantes et ses bras alourdis, s’accrochait à ses prouesses guerrières. Spike, quant à lui, combattait vaillamment à ses côtés, porté par la force du désespoir, mais il ne se trouvait pas en mesure de tenir ce rythme indéfiniment.
La fin se rapprochait inéluctablement, les dévorants de l'intérieur à petit feu. Les assauts perpétrés par les démons ailés infligeaient de terribles revers aux résistants, pris au dépourvu par ces assauts venus du ciel alors qu'ils concentraient toute leur attention sur les menaces terrestres.
Et au cœur de ce chaos sanglant, la Force observait, un sourire cruel flottant sur ses lèvres. Elle savourait déjà l’issue inévitable, une victoire totale et impitoyable qui se profilait à l’horizon.
Dans tout ce brouhaha mortuaire, Djézabelle reprit connaissance. Lorsqu'elle s'était effondrée, les troupes de la tueuse venaient de terrasser la première vague. Désormais consciente, elle ne put que constater l'ampleur de l'échec. Les troupes alliées avaient été décimées. De ces milliers de combattantes jeunes et pleines d'entrain, il ne restait que des cadavres mutilés, à peine reconnaissables, vestige déchirés de ce qu’elle avaient été.
La défaite semblait cuisante, mais elle n'en était pas surprise. Le mince espoir suscité ne fut jamais en mesure de lui soustraire le sens des réalités. Peu lui importait cette finalité subsidiaire, son action ne se limitait pas à cet état de fait. Consciente de n'avoir plus rien à perdre, elle se décida néanmoins à jouer le jeu jusqu'au bout. L'enchanteresse avait une dernière tâche à accomplir : ce serait son dernier acte en tant que femme libre avant de se soumettre à son sinistre destin.
Vêtue de sa robe noire, trempée par la tempête et collant à son corps comme une seconde peau, elle avança résolument vers le champ de bataille. Le regard déterminé, elle en invoqua le maître des airs. Au sol, le corbeau inanimé commença à émettre une lueur inquiétante. Ses yeux morts s’illuminèrent soudain d’un rouge éclatant, vibrant d’une énergie surnaturelle. Dans un murmure à peine perceptible, ses ailes frémirent, et l’oiseau, comme ressuscité des ténèbres, reprit son envol.
─ Surge et avibus auspicia sequi dominum deum placamentis decedebat caeli, répéta-t-elle encore et encore jusqu'à ce qu'une nuée de corbeaux ne viennent recouvrir le ciel.
Les croassements résonnèrent avec intensité, emplissant l’air d’une cacophonie sinistre. La nuée sombre frôla l'enchanteresse pour s'en aller rejoindre à la hâte, la première victime de ces affrontements. Des milliers de corbeaux virevoltèrent à travers le ciel tumultueux, tels des esprits vengeurs prêts à sévir. Ce bal de volatiles fantômes paraissait irréel aux yeux de celles et ceux qui arpentaient ces terres dévastées.
Dans cette luminosité ombrageuse, ces anges tombés du ciel fondirent sur leur cible à la vitesse de l'éclair. A chaque impact, une déflagration secouait l’air, emportant tout sur son passage. Une nouvelle bataille venait de s’engager dans les cieux, et elle prenait l’allure d’un feu d’artifice aussi bref qu’assourdissant. En l'espace de quelques secondes, des centaines de détonations retentirent, colorant le ciel d’une lueur effroyable.
Ce qui s'apparentait à des oiseaux de mauvais augures de chair et de sang, n'en avait que l'apparence. Ces âmes ressuscitées étaient le fruit d'une puissante incantation magique, prenant son essence dans les esprits de tous ces serviteurs de la nuit morts à travers les âges. Chaque pacte passé avec le démon se soldait par l'émergence d'un corbeau, et ce dernier préservait en lui l'essence de chacun de ses prédécesseurs. Ainsi, leurs esprits vagabondaient parmi les vivants, comme autant de boules de feu allant s'écraser sur l'ennemi.
L’assaut fut bref et dévastateur, et désormais, plus aucune ombre ne venait entacher l'horizon. Djézabelle échangea un dernier regard avec le seigneur des airs. Son fidèle compagnon, une fois sa tâche accomplie, vint se poser chaleureusement sur son épaule avant de disparaître à jamais. Cette incantation était à usage unique. L'enchanteresse venait de griller ses dernières cartouches pour un dernier coup d'éclat, avant la mort et la désolation.
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Au même moment, dans l’obscurité mystérieuse du manoir des sorcières, toutes les sœurs se tenaient par la main en formant une ronde solennelle autour de la statue d'Acathla. La veille Lilin présidait la séance et toutes la suivaient dans son récital.
L’incantation, d’une puissance palpable, semblait puiser dans la vitalité même de celles qui l’énonçaient. La sueur suintait le long des visages éreintés, tandis qu'une aura lumineuse enveloppa la statue. Sous cette lueur grandissante, le démon, figé dans le marbre, semblait s’éveiller. Un léger tremblement parcourut son corps pétrifié, et lentement, la statue commença à s’élever dans les airs.
Pour Lilin, il s'agissait là de l'accomplissement d'une vie. Le destin, inexorable, était en marche, et elle allait en être la principale instigatrice. Son âge avancé aurait dû l’emporter depuis bien longtemps, mais sa volonté farouche d’œuvrer pour la prophétie, l’avait maintenu en vie. Cette mission était devenue sa raison de vivre, son obsession, le moteur de son existence.
Elle n'en verrait jamais l’aboutissement, mais cette perspective ne l’attristait pas. Elle partirait avec la certitude que sa lignée lui survivrait. Alors que la statue d’Acathla disparaissait dans un halo de lumière, elle sentit ses forces l’abandonner. Dans un dernier soupir, un dernier souffle de vie, la vieille Lilin s’effondra doucement sur le sol. Son visage, autrefois marqué par des années de souffrance, s’adoucit enfin, libéré de la vie et de ce mal de dos qui l'avait rongé jusqu'à la fin.
Ses dernières pensées, comme une murmure intime et fragile, se tournèrent vers sa douce et lumineuse Chiara, son tendre et merveilleux rayon de soleil.
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Wesley posa un dernier regard empreint de tristesse et de tendresse sur Illyria. Devant lui se tenait une guerrière intrépide, une combattante au bord de l’épuisement, mais dont la dignité restait intacte, même dans les affres de la bataille. Illyria était magnifique, peu importe les circonstances. Sa chevelure bleutée fouettée par le vent, son visage déterminé, son abnégation à tenir malgré tout, et cette étincelle dans les yeux brillant de mille feux : chaque trait de sa personnalité, chaque détail, inspirait en lui une profonde admiration.
Il savait ce moment proche où le pacte entretenu avec Wolfram et Hart allait enfin se révéler. Toutes les actions qu’il avait entreprises depuis sa mort convergeaient vers cet instant précis. Sa détermination allait enfin porter ses fruits.
Mais lorsque leurs regards se croisèrent, une vague de désespoir le submergea. Ce n'était pas censé se passer ainsi, pas maintenant, et surtout pas ici. La déesse resta figée sur place en apercevant le spectre. Un vertige fulgurant la traversa, brouillant la réalité, et avant qu’elle ne puisse réagir, le fil des évènements lui échappa.
Lorsqu'elle reprit conscience, elle se sentit immédiatement désorientée, perdue, comme une âme errante émergeant d’un sommeil éternel pour se retrouver plongée en plein Enfer. Tout autour d’elle n’était que chaos et désolation, un paysage cauchemardesque ou la mort étendait son règne implacable. Les raisons de sa présence en ces lieux lui échappaient complètement. Sa mémoire, floue et fragmentée, ne perçait pas jusque-là.
Elle se souvenait seulement de ce lit, de cette angoisse viscérale en sentant sa conscience s’effilocher, ces derniers moments de lucidité avant que la folie et l’obscurité totale ne la submergent. Apeurée et sans défense, elle trébucha dans la boue, découvrant ce lieu effroyable et apocalyptique ou la mort régnait en maître absolu. Dans ce lieu de désespoir, il n’y avait qu’un seul être auquel elle pouvait encore s’accrocher : Wesley. Son regard, teinté d’une tristesse infinie, la fixait comme s’il voyait un spectre, une âme perdue revenue du royaume des morts.
─ Wesley, cria-t-elle en se précipitant à son encontre.
Fred se trouvait dans une situation désespérée, sans défense, sans arme, sur un champ de bataille où seule la mort l'attendait. Comment avaient-ils osé ? Ce n'était pas ce qui était convenu. Fred aurait dû être morte. Ils devaient la libérer de son contrat pour lui offrir la paix éternelle, et non la ressusciter en plein milieu d'une guerre dans laquelle elle n'avait aucune chance de survivre. C'était immoral et cruel, c'était... Wolfram et Hart.
Wesley venait de remettre en place les rouages de cette sinistre machination. Les associés principaux savaient pertinemment que Fred n'était pas morte puisqu'ils n'avaient pas pu se servir d'elle comme messagère. Leur bluff avait fonctionné à la perfection, et Wesley n'avait rien vu venir. Au fond, les associés principaux n'avaient pas menti. Ils s'étaient contentés de jouer sur les mots, libérant Fred de son contrat tout en la détachant d'Illyria. Pour Wolfram et Hart, c’était une stratégie doublement efficace : non seulement, ils se vengeaient de Wesley et de son obstination à leur tenir tête, mais en plus, ils se débarrassaient d’Illyria, une présence qui les dérangeait.
Hamilton s’était montré très explicite sur le sujet : ils ne la désiraient pas dans leur rangs. C'était là l'occasion idéale pour la faire disparaître en envoyant Fred, une simple mortelle, à une mort certaine. Pactiser avec le diable n’avait jamais rien de profitable, et Wesley aurait dû le savoir mieux que quiconque. Pourtant, il avait voulu y croire malgré tout.
Lorsqu'il se précipita pour l'entourer de ses bras, Fred traversa son corps comme une ombre, manquant de trébucher sous l'effet de la surprise. Complètement désorientée, elle ne prêta aucune attention à l'ennemi qui s’apprêtait à abattre sur elle, un coup de hache mortel. Wesley, malgré sa condition de fantôme, tenta de s’interposer. Son corps avait réagi par pur instinct. La hache traversa son enveloppe éthérée, mais fut fort heureusement stoppée par la scythe de la tueuse. Buffy riposta aussitôt en scindant le corps de l’assaillant en deux. Spike, qui la talonnant de près, rattrapa Fred alors qu’elle s’effondrait, inconsciente, dans ses bras.
─ Mais bon sang, qu'est-ce que ça veut dire ? interrogea le vampire incrédule.
─ C'est Fred, reprit Wesley. Ne me demande pas pourquoi ni comment, mais elle a toujours été vivante, là quelque part, dans l'esprit d'Illyria.
Il supplia alors Spike du regard.
… Il faut que tu la sortes de là. Elle va se faire tuer si elle reste ici. Ce n'est pas une guerrière.
Le vampire en colère hésita quant à la démarche à suivre, tiraillé entre l'envie de sauver celle qui avait tout tenté pour le matérialiser à l'époque où il était un fantôme, et le désir de combattre jusqu'à la fin au côté de la femme qu'il aimait. Buffy lui facilita la tâche.
─ Vas-y ! Si elle reste ici, elle va mourir. Tu es le seul qui puisse encore la sauver. Moi, je reste pour vous couvrir.
─ Hors de question que je te laisse.
─ Fais ce que je te dis, insista la tueuse. Ne t'en fais pas pour moi, je ne compte pas mourir ici. Fais-moi confiance. Tu devrais le savoir, je finis toujours par trouver une solution.
Spike voulait y croire, mais un doute sourd le tenaillait. Comment pourrait-elle survivre à ce carnage et surtout dans cet état ? Aussi forte soit-elle, l’issue paraissait désespérée.
… Pars, le supplia-t-elle en confondant son regard résolu dans le sien. Si elle reste ici, c’est la mort assurée pour elle. Avec toi, elle a une chance. Nous nous reverrons. J’te le promets. Fais moi confiance.
Le vampire hésita, mais la conviction affichée par la tueuse eut raison de lui. Après tout, c'était Buffy, l'élue. Peu importe les difficultés, elle trouverait un moyen de les surmonter, comme elle l’avait toujours fait. Leurs regards s'absorbèrent mutuellement dans un élan solennel d'émotion mêlé de craintes et d’espoir. Spike en était persuadé : ce n’était pas un adieu mais simplement un au revoir. Nul besoin de mots pour s'en convaincre. Alors il tourna les talons et respecta la promesse faite à Fred, il y a de cela quelques années. Il était temps qu'il paye sa dette en devenant son ange gardien.
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Angel errait comme une âme en peine sur le champ de bataille, constatant avec effroi et amertume, la destruction totale de leur armée, désormais réduite à néant. Il n'entendait plus, ni les gémissements des mourants, ni le fracas de l'acier, ni le souffle du vent. Tout semblait s’être éteint. Ne demeurait qu'un grondement sourd et persistant dans son oreille interne, si bien qu'il en perdit l'équilibre. Il tenta de se redresser, mais sa volonté lui manquait. A quoi bon ? La messe était dite. Plus qu'une simple défaite, cette débâcle annonçait la fin de tout, la fin de la vie telle que les humains la concevaient jusqu'alors.
Pourtant il avait tout donné, tout tenté, une fois de plus, en vain. C'était l'histoire de sa vie. Cette rédemption, il ne l'obtiendrait jamais, au même titre que cette paix intérieure. Ce théâtre de désolation autour de lui n'était qu'un avant-goût de ce qui surviendrait au reste de l'humanité. Des cadavres par milliers s'entassant les uns sur les autres, comme autant de vies innocentes arrachées dans la fleur de l'âge. S'en était insupportable.
Il chercha désespérément ses alliés. Faith, peut-être. La tueuse avait lutté à ses côtés avant d'être emportée par une vague adverse, et depuis, plus aucune nouvelle. Était-elle seulement en vie ? Un geste en appelant un autre, il reprit ses appuis. Bien que chancelant, il trouva la force de se relever, d'avancer encore et toujours, arme à la main, dans l'attente de sa prochaine victime, puisque cela ne s’arrêterait jamais. Pourtant, on ne l'attaquait plus, comme s'il ne représentait plus une menace, comme s'il n'en valait plus la peine. Ses ennemis déambulaient autour de lui sans le voir.
C'est alors qu'il comprit. Une vieille connaissance venait de réapparaître face à lui. C'était Doyle, avec son allure de l'époque, celle d'un simple gars de la ville, ni assez riche pour être élégant, ni assez pauvre pour ne pas l'être du tout. La Force était venue lui infliger le coup de grâce, le narguer une dernière fois, sans doute pour savourer son triomphe. C’est alors qu’une étrange sensation s’empara de lui, une intuition, comme celle qu’il avait éprouvée devant Acathla, au manoir. Sans en comprendre la raison, il sentait la présence du démon, quelque part dans ce chaos. Cette pensée lui traversa l'esprit avant que ses sens ne se focalisent sur la source même de tous ces maux, de toute cette boucherie.
Lors de leur dernière confrontation, l’entité maléfique avait pris les traits de ses amis défunts, déclenchant chez Angel une colère noire. Mais cette fois, les choses étaient différentes. Angel n'avait plus la force d’éprouver de la colère, ni de combattre, du reste. Pour lutter, il faut être animé d'un espoir, même infime, et cette flamme s'était éteinte en lui. Désormais, ce n'était plus qu'un mort vivant exhibant sa misérable carcasse, dans l'attente que la faucheuse ne vienne sonner le glas de sa piteuse existence.
La Force balbutia des mots qu'il n'entendait même plus. Ce sourire, si diaboliquement narquois, ne souffrait d'aucune ambivalence. Elle enfonçait le clou par pur sadisme. Peu lui importait, il ne se sentait plus concerné. Les mots et les fausses apparences n'avaient plus aucun effet sur lui. La Force se fatiguait pour rien sans même le savoir. Du fait de son immatérialité, le seul coup capable de lui être porté consistait en une indifférence absolue.
Réalisant que ses provocations n'avaient aucune emprise sur le vampire, l'Entité changea d'expression. Son regard se fit plus sombre, annonçant la délivrance tant attendue. La lame d'une épée traversa l’être immatériel et s'enfonça dans la chair du ténébreux qui s'écroula, le regard scrutant le ciel orageux avant que les ténèbres ne l’engloutissent.
Le vampire surplombait son propre corps, qu’il contemplait d’un regard détaché. Son enveloppe charnelle, inerte et transpercé d'une lame, gisait sous ses yeux. Il avait quitté ce monde et un étrange sentiment de bien-être l’envahissait. Plus de douleur, plus de souffrance, seulement une paix intérieure profonde. Peut-être était-ce, là, sa véritable rédemption : une fin à cette existence tourmentée. Après tant de luttes acharnées, après tant de victoires et de défaites, le temps était venu pour lui de déposer les armes.
Alors qu’il s’abandonnait à cette nouvelle quiétude, une présence familière se matérialisa à ses côtés. Elle apparut à lui, plus rayonnante que jamais, vêtue d'un simple jean et d'un chemisier léger. Lorsqu'il posa le regard sur elle, son visage s'illumina. Que son sourire lui avait manqué.
─ Je sais pourquoi tu es là, s’avança-t-il d'une voix calme et paisible.
─ Vraiment ? répondit Cordelia, vibrante d’émotion. Alors donne-moi la raison pour laquelle j'apparais devant toi, ici et maintenant ?
Il lui sourit paisiblement, un mélange de tristesse et de résignation dans le regard.
─ C'est évident, tu es venue m'accompagner dans ce monde qui est le tien, un monde de lumière. Pourtant ce n'est pas là où je vais. Je vais de l'autre côté, là où les gens bien ne vont pas.
La brune s'approcha du vampire et plongea son regard dans le sien, tendre et sévère à la fois.
─ Et selon toi, qu'est-ce que ça changerait que tu ailles dans ce monde ou dans l'autre ?
Le vampire baissa les yeux sur sa dépouille agonisante à même le sol.
─ Désormais, plus rien.
─ Oui, je comprends, murmura-t-elle, une profonde mélancolie teintant sa voix. Il est peut-être temps de lâcher prise. Après tout, tu serais enfin libéré de cette lutte infinie, et de cette tristesse qui t'a toujours consumée. Tu mérites la paix, toi plus que quiconque.
Ils restèrent silencieux un moment, tels deux âmes esseulées, dérivant au cœur de l’horreur qui les entourait.
… Tu as raison, finit-elle par avouer. Tu as assez souffert comme ça et mon rôle est de t'aider à franchir les portes d'un autre royaume.
─ Alors qu'est-ce qu'on attend ? reprit le ténébreux en lui tendant la main. Je te suis.
Elle répondit à son geste, mais pas de la manière dont il l'avait imaginée. Ses doigts fins s’enchevêtrèrent fermement dans les siens, et dans une étreinte à la fois forte et passionnelle, elle l’attira doucement contre elle. Ils se retrouvèrent face à face, leurs corps pressés l’un contre l’autre, leurs visages si proches qu’ils se frôlaient. Les yeux de Cordelia brillaient intensément dans l'obscurité, illuminant l’instant d’une lueur mystérieuse et profonde.
─ Non champion, toi tu restes là, dit-elle en se faisant violence, la voix tremblante d’émotion.
Elle n'était pas censée lui dire ces mots.
… Et puis ce n'est pas un simple coup d'épée qui aura raison de toi. Tu as connu bien pire.
─ Tu sais ce qu'il en est, cette lame ce n'est rien, c'est juste...
Il inspira un bon coup.
─ Je sais. Je te connais assez Angel pour savoir que tu as atteint le point de non-retour. Comme je te l'ai dit, si je suis apparue devant toi, c'est pour que tu cesses cette lutte, mais... quand je te vois, je ne peux pas m'y résoudre.
─ Qu'est-ce que tu veux dire par là ?
─ Tu sais comment sont les Puissances Supérieures, fit-elle en souriant timidement. Ils ont abandonné et ils veulent que tu abandonnes toi aussi. Ils ont peur de toi, de ce que tu pourrais engendrer.
Elle inclina alors la tête, puisant en elle la force de lui avouer la sinistre vérité, avant de le dévisager avec entrain.
… Ils ont choisi de laisser ce monde au chaos, mais c'est parce qu'ils ne te connaissent pas comme moi je te connais. Tu vaux mieux que toutes ces prophéties ou que toutes ses puissances, tu es celui que j'ai...
Elle se reprit aussitôt, persuadée que ces mots n'auraient pas aidé en pareille circonstance.
… Enfin ta place n'est pas ici, conclut-elle.
Angel sentit l'émotion le submerger, suscitée par cette lueur dans les yeux de sa belle qui ébranlait toutes ses certitudes.
─ Mais qu'est-ce que ça changerait ? La guerre est perdue. On ne peut pas gagner.
─ Tu te trompes. Le Angel que j'ai connu n'abandonnait jamais et même quand tout semblait perdu, il trouvait toujours une solution. Mais tu le sais tout ça, je te l'ai déjà dit. Et puis il y a Connor, il compte sur toi. Tu te souviens quand il était bébé ? On s'était promis de tout faire pour lui offrir le meilleur avenir. Il est peut-être temps de tenir ta promesse.
Au milieu de toute cette barbarie, le vampire avait perdu de vue l'essentiel, et elle venait de le lui rappeler. Son fils représentait sa raison de vivre, et il se devait de réaliser l'impossible pour lui offrir l’avenir qu’il méritait. Angel colla tendrement son front à celui de Cordelia.
─ Encore une fois, tu viens me sauver de moi-même. Toujours pas envie de m'abandonner hein ?
─ Jamais, et puis sans moi tu es perdu alors je fais ma part pour garder mon champion à flot. Tu me connais, j'ai toujours adoré être indispensable.
─ Tu l'es, confirma-t-il avec entrain. Dans ce monde ou dans l'autre, tu demeures ma lumière dans l'obscurité.
Ils s'enlacèrent tendrement, mais l’heure des adieux les rattrapa. Pourtant, ce n'était qu'un au revoir, car une conviction inébranlable habitait leurs cœurs : ils se retrouveraient, inévitablement, sous d’autres cieux.
─ Et n'oublie pas champion, on prend ce qu'on peut et on fait de notre mieux avec.
Il se retourna une dernière fois en lui souriant.
─ Merci.
─ You're welcome, fit-elle en séchant ses larmes avant que le vampire ne disparaisse pour aller rejoindre son corps de chair et de sang, étendu sur le sol boueux.
A peine eut-il repris connaissance, qu'il arracha d’un geste ferme, l'épée qui perforait son abdomen. La douleur était vive, mais il serra les dents, et dans un effort surhumain, parvint à se redresser. Cordelia lui avait ouvert à nouveau les yeux. Plus que cela, elle lui avait insufflé un élan de vie et d'espoir, et il se devait de s'en montrer digne. Ne restait plus qu'à savoir comment ? En ces heures de doute, rien ne valait les conseils d’un vieil ami, et Wesley ne manqua pas à l'appel. Le fantôme apparût devant lui, le regard grave et sinistre.
─ Wesley, qu'est-ce qui se passe ?
─ J'ai bien peur de ne pas avoir de bonne nouvelles à t'annoncer.
Le fantôme avait été le réceptacle d’étranges visions. Désormais, il détenait le message que les Associés Principaux souhaitaient ardemment faire parvenir à Angel, ainsi que les réponses à toutes ces années de luttes contre Wolfram et Hart. Ce savoir nouvellement acquis éclairait d’une lumière crue les vérités cachés derrière leur interminable bataille.
─ La prophétie Shanshu, ça ne fait plus aucun doute, elle te concerne... Elle t'a toujours concernée.
Le vampire ne comptait plus jouer aux devinettes. Ayant déjà vécu le pire, plus rien n'était de nature à l'effrayer.
─ Je t'écoutes Wesley !
─ Tu te souviens de la prophétie, celle parlant d'un vampire avec une âme qui aidera à détruire le monde ou qui le sauvera...
Le vampire le fixa, et une lueur d’impatience perça dans son regard.
─ Oui, et...?
─ Et bien, ce vampire dont parle la prophétie, c'est toi, et je viens d'en comprendre le sens. En fait, nous nous sommes trompés depuis le début. Il se n'agissait pas de sauver le monde ou de le détruire, mais de le sauver en le détruisant.
Le vampire semblait perdu dans des explications qui ne trouvèrent aucune clarté à ses yeux.
─ Wesley , on n’a pas le temps-là, alors si tu pouvais éviter les énigmes.
Sans prononcer un mot, Wesley s’effaça silencieusement sur le côté. C'est alors qu’Angel aperçut la statue d’Acathla, imposante et énigmatique, matérialisée en ces lieux quelques instants auparavant. Ce n’était pas le fruit d’un rêve ou d’une hallucination : la présence tangible du démon de pierre confirmait l’étrange sensation éprouvée, lors de son opposition avec la force. La cause de ce malaise insidieux venait de se révéler, avec son lot d’amertume et de sombres pressentiments.
─ Tu es lié à Acathla et Acathla est lié à la dimension infernale où sont retenus prisonniers le Loup, le Cerf et le Bélier. J'imagine que tu as compris où je voulais en venir.
Le vampire demeurait pétrifié, submergé par une vague de sueurs froides. Les événements récents défilaient dans son esprit, depuis ce fameux jour, lors de sa prise de connaissance de la prophétie Shanshu. Il venait de comprendre les raisons de son retour sur terre, après que Buffy l'ait envoyé dans cette dimension démoniaque. A l'instant même où le tatouage fut encré sur sa peau, il était prédestiné à être celui qui ouvrirait les portes de l'enfer, afin de libérer son plus grand ennemi, et ainsi, changer le cours de la bataille.
Comme un aveugle recouvrant la vue, tout lui parut soudain limpide. Chaque pièce du puzzle s’assemblait. Il était l'élu, l'être destiné à vaincre le mal par le mal. Rien que d'y penser, l'idée le répugnait, mais il devait se rendre à l'évidence : aucune autre voie ne s’offrait à lui. Ce n'était pas l'avenir espéré mais dans l'absolu, c'était le seul rempart, la dernière ligne de défense, avant que l’anéantissement ne s’abatte sur toutes formes de vies.
… Je suis vraiment navré Angel. C'est ce qu'ils cherchaient depuis le début. Ils se sont servis de moi et je n'ai rien vu venir.
─ Ce n'est pas de ta faute Wes. Tout ce qui arrive n'est qu'un plan visant à les faire revenir sur le devant de la scène. Nous avons tous été des pions sur leur échiquier.
Le vampire prit une profonde inspiration, ses yeux perçants rivés sur l'horizon lointain.
… Il est temps pour moi de faire ce qu'ils attendent, de mettre fin à cette Apocalypse pour en créer une autre.
─ Angel, je ne me suis jamais imaginé que les choses pourraient finir ainsi, mais quoiqu'il en soit, le combat ne s'arrête pas là. Je te connais assez pour savoir que tu continueras et que tu finiras par venir à bout de Wolfram et Hart. Je l'ai toujours su. Quoiqu'il se passe, ce n'est qu'un sursis que tu leur octroie. Je sais ce que tu as en tête. Rien ne t'en empêchera. Je ne serai hélas plus à tes côtés pour voir ça, mais je te suivrai de là-haut.
─ Wesley, reprit le ténébreux en le dévisageant d'un air complice. Je n'ai jamais eu le temps de te remercier pour tout ce que tu as fait, pour ce que tu es. Sans toi, je n'aurais jamais rien accompli et je voulais que tu le saches avant...
Les mots étaient déchirants de vérité, un peu trop pour les prononcer ouvertement, alors il s'interrompit pour pallier au plus important.
… Toi, Doyle, Cordelia et Fred, vous serez toujours à mes côtés. Ensemble, nous les vaincrons. Je t'en fais le serment.
Le fantôme avait toujours nourri une profonde admiration pour Angel. Plus qu'un ami, il le considérait comme un frère, et il savait avec une certitude absolue qu'Angel ne faillirait jamais à sa parole. Le ténébreux accomplirait sa mission, au nom des disparus et de ceux vivant sur cette terre. Wesley pouvait partir tranquille. Leurs chemins allaient se séparer mais ils resteraient liés à jamais.
Wesley aurait aimé lui révéler que Fred était encore parmi eux, que son essence n’avait jamais quitté ce monde. Mais Angel le découvrirait bien en temps voulu, à sa manière. Alors que le portail s'ouvrait, annonçant l’ultime voyage, Wesley s’abandonna à cette séparation inévitable, confiant et apaisé.
… Encore une chose, poursuivit Angel avant que son frère ne s'apprête à franchir le halo de lumière. Merci, fier chasseur de démons féroces.
Wesley ne se retourna pas. Il sourit pudiquement avant de disparaître, le cœur lourd, pour briller à son tour parmi les étoiles.
***************
Le vampire savait parfaitement ce qui lui restait à accomplir. Le plan : foncer en ligne droite jusqu'à la statue et libérer ses pires ennemis. Autant dire que parmi toutes les options possibles, celle-ci était sans conteste la plus périlleuse. Ironie cruelle du destin, il avait toujours pensé que s'il devait un jour précipiter la fin du monde, ce serait par le biais d’Angélus et non par une décision prise en toute conscience.
Se battre une longue partie de sa vie contre un ennemi aussi redoutable pour finalement devoir s'allier à lui, tout cela afin de combattre un mal encore plus terrible, dépassait de loin toutes ses prévisions. Mais les circonstances désespérées réclamaient des actions qui ne l’étaient pas moins. Dans tous les cas de figure, la situation ne pouvait guère empirer. Il lui suffisait de promener son regard sur la scène mortuaire pour s'en convaincre.
Angel avait toujours œuvré pour le plus grand bien, et désormais, il allait œuvrer pour le moindre mal. C'était la seule façon de sauver ce qui pouvait encore l'être.
Plus une seconde à perdre, il lui fallait agir et non plus tergiverser. Alors il pressa le pas, jusqu’à ce que ses longues enjambées se transforment en une course effrénée. Il se déplaçait avec une agilité presque surnaturelle, esquivant habilement chaque obstacle qui tentait de ralentir sa progression. Rien ni personne ne pouvait se dresser entre lui et son destin tout tracé. Toute une vie passée à expier ses péchés pour réaliser le plus grand de tous.
La Force, ivre de sa victoire apparemment inéluctable, venait de remarquer le ténébreux se rapprocher dangereusement de la statue d'Acathla. Quelle grave erreur, commise par un excès d’orgueil, que de le laisser agoniser sans s’assurer qu'il ne se relèverait pas. Convaincue que le phœnix ne renaitrait jamais de ses cendres, elle en avait oublié une règle fondamentale : Angel ne luttait jamais seul. Autour de lui, une famille l’épaulait, un cercle indéfectible de soutien, composé d’hommes, de femmes et de démons, toujours prêts à le relever, et ce, peu importe à quel point il sombrait.
Cet amour inconditionnel lui insuffla une force nouvelle, une énergie quasi surnaturelle qui le propulsa dans les airs, survolant quelques ennemis avec une agilité prodigieuse. Prise au dépourvue, l'entité maléfique éprouva la peur pour la première fois. Paniquée, elle intima l'ordre à toutes ses troupes de se ruer sur le vampire, mais le timing jouait contre elle. Tous les combats cessèrent, préservant ainsi les derniers survivants d'une mort certaine. Les démons se précipitèrent sur la trajectoire du ténébreux, des milliers à la poursuite d'un seul homme.
Mais Angel possédait une longueur d'avance, et malgré ses blessures, son corps avait retrouvé une vigueur que lui-même avait bien du mal à expliquer. Les lames fendirent l’air, cherchant désespérément à l’atteindre, mais sans succès.
La statue se dressait fièrement devant lui, immobile et imposante, à portée de main. Pour libérer l’épée, il devait utiliser son propre sang, et son corps entier se trouvait maculé de cette teinte rouge vif.
Une ultime épreuve l’attendait. La Force, dans sa forme démoniaque la plus pure, s’érigeait en obstacle devant lui, mais ce n'était qu'un simple mirage et il le savait. Avec une détermination inébranlable, Angel prit appui sur le sol, comprimant chaque muscle de son corps meurtri, et s'élança à travers la vision qui se dissipa à l’impact. Plus rien ne pouvait l'arrêter désormais, si ce n'est un cas de conscience. Le pour et le contre, il l'avait déjà établi, alors il empoigna la garde de sa main ensanglantée, et comme par le passé, arracha la lame du cœur du démon.
C'est ainsi que les ombres du crépuscule envahirent l'espace, étendant leur voile sombre sur le champ de bataille. Dans cette obscurité grandissante, les yeux de la statue se mirent à briller d'une lueur écarlate. La gueule du démon s'ouvrit alors, libérant un tourbillon d'une puissance incommensurable, un vortex silencieux et dévastateur qui avalait tout sur son passage. Angel, à défaut d'être aspiré à l’intérieur, fut projeté au loin.
A cet instant précis, un immense dragon s'échappa du portail créé par la statue, ses écailles luisant d’un éclat sinistre tandis qu’il déployait ses ailes dans un rugissement bestial. Derrière lui, des milliers de combattants en armure émergèrent, une armée imposante et implacable. Le vampire reconnut instantanément ces guerriers, les mêmes qu’il avait affronté autrefois dans cette ruelle à Los-Angeles, à ceci près que leur nombre était décuplé.
Mais ce n’était pas tout. Le véritable clou du spectacle apparut lorsqu’un trio de trois Titans s’extirpa du néant, trois colosses d’une taille comparable à la Force lorsqu'elle adoptait sa forme véritable. Ces géants démoniaques possédaient des visages d’une terrifiante étrangeté : l’un ressemblait au Loup, l’autre au Cerf, et le dernier au Bélier, tandis que leurs corps, bien qu’humanoïdes, conservaient une puissance et une bestialité à couper le souffle. Le contraste était saisissant, évoquant les illustrations anciennes des dieux et des créatures mythologiques gravées sur les temples de l'ancienne Égypte, au temps des pharaons.
Enfin, ils révélaient leurs véritables apparences. Leur force de frappe phénoménale constituait un contrepoids redoutable à l’armée de la Force, cette dernière ayant été considérablement affaiblie par la résistance héroïque de la tueuse et de ses alliés. Dans ce chaos, l'imposante armée de Wolfram et Hart se scinda en deux, comme mue par une volonté collective, pour révéler une silhouette avançant d’un pas assuré en direction du trio démoniaque.
Angel sentit son estomac se nouer lorsqu'il distingua l'identité de la personne qui se frayait un chemin au milieu de ses pires ennemis. Djézabelle avançait sereinement, comme en terrain conquis. Une lumière éclatante illuminait sa main, une lueur que le vampire reconnut instantanément pour l’avoir aperçue dans les profondeurs du puits sépulcrale, en s’appropriant la fameuse épée d’ébène scellée dans la roche. Il comprit alors avec une clarté déchirante : Djézabelle possédait l'artefact et s’apprêtait à le leur offrir. L'enchanteresse l’avait trompé. Depuis le début, elle jouait un double jeux, œuvrant en secret pour leurs ennemis, et cela, bien avant leur première rencontre.
La belle s’agenouilla avec grâce devant ses maîtres, en leur offrant le rubis dans un geste solennel et cérémonial. La pierre précieuse s'éleva lentement dans l’air, comme porté par une force invisible, pour venir se poser délicatement dans la main massive du géant à tête de Cerf. Lorsqu'il referma son poing sur l’émeraude, une énergie phénoménale se libéra en un éclat aveuglant. Des milliers de rayons lumineux s’éparpillèrent de tous côtés, achevant leurs courses sur la terre ferme. Accompagnant les multiples impacts, de puissantes déflagrations secouèrent l'atmosphère.
Alors que l’écho des explosions se dissipait, des centaines de silhouettes humaines émergèrent des ténèbres environnantes pour composer une puissante armée. Témoin de cette résurgence, Buffy sentit une connexion profonde, presque instinctive, la traverser. Chaque fibre de son être résonnait avec cette force ancienne. Sa scythe, vibrante entre ses mains, le confirmait : ces combattants étaient ses semblables, des tueurs et des tueuses arrachés aux âges passés, emprisonnés autrefois par les Puissances Supérieures dans les profondeurs de la Terre. Aujourd’hui, ils se trouvaient enfin libres, prêt à reprendre la bataille.
Le Loup, le Cerf et le Bélier venaient de retrouver leur armée d’antan, celle qui, dans les temps reculés, avait défié et vaincu la Force lors d'une guerre mythique contre les Anciens.
Et puis, cette autre silhouette apparut, attirant tous les regards. Le fier guerrier avait troqué ses peaux de bêtes préhistoriques pour une tenue moderne : une combinaison noire, surclassée par un long manteau de cuir. Son visage avait drastiquement changé, marqué par une détermination froide et une expérience indéniable. Sa chevelure, désormais coupée court, accentuait son regard perçant. Bien qu’il ait perdu l’aspect primitif et sauvage de ses débuts, sa relative sérénité le rendait plus redoutable que jamais.
Dans ses mains, il tenait l'épée d'ébène. Ryane, le premier cobaye, le tout premier tueur à avoir foulé cette terre, reprit naturellement la tête de l’armée qu’il commandait jadis, en sa qualité de général en chef. Avec une autorité incontesté, il leva son épée, puis dans un cri de guerre résonnant comme un coup de tonnerre, sonna la charge contre les troupes de la Force.
Tel un raz de marée, les troupes de Wolfram et Hart déferlèrent sur le champ de bataille. Les deux armées se percutèrent dans une lutte sans merci, démons contre démons, titans contre titans, avec une violence inouïe. Au cœur de cette mêlée, le dragon de Wolfram et Hart semait des ravages parmi les rangs ennemis. D’un battement d’ailes, ils s’élevait dans les airs avant de plonger en piqué, son souffle ardent réduisant en cendres des centaines d’escouades adverses.
Au sol, Ryane évoluait comme une véritable tornade de destruction. Son épée d’ébène, tourbillonnant avec une précision meurtrière, tranchait tout sur son passage. Avec le dextérité d’un guerrier d’élite, il déchiquetait, estropiait, et découpait ses ennemis avec un rapidité fulgurante. Ces derniers tombaient un à un, incapables de résister à la puissance brute et à l’habileté redoutable de ce combattant légendaire. Les troupes qu’il menait semblaient inarrêtables sous son commandement impitoyable.
Buffy, spectatrice impuissante de cette lutte apocalyptique, observait avec une fascination mêlée d’horreur, cet instant de légende, où deux des plus puissants empires du mal s’affrontaient avec une fureur indescriptible. Le champ de bataille se couvrait de corps et de sang, alors que les pertes s’accumulaient de chaque côté, aucun des seigneurs de guerre n'étant disposé à céder un pouce de terrain. Le tonnerre grondait et les armes s'entrechoquaient, déversant un torrent de sang sur la vaste contrée. Les arbres, pris dans l’enfer des flammes, brûlaient avec une intensité infernal, tandis que la fumée, épaisse et étouffante, enveloppait le terrain d’un voile opaque.
Dans cette folie destructrice, Buffy, Willow, Faith et Angel, luttaient avec la dernière once de force qui leur restait, leurs corps meurtris par les combats incessants. La tueuse, plus morte que vive, continuait de trancher à travers les vagues ennemis. Mais soudain, surgissant d’un nuage de fumée comme un spectre, l'épée d'ébène siffla dans l’air, et la désarma en un instant. La lame noire s’arrêta à quelques millimètres de sa gorge, figée dans une menace silencieuse. Ryane avait surgi, aussi insaisissable qu’un démon, et Buffy n'avait rien pu faire pour l’arrêter.
A bout de souffle et dans un état déplorable, la tueuse devait se rendre à l'évidence. L'homme qui se tenait devant elle n’était plus la bête sauvage qu’elle avait combattue autrefois. Il avait changé, évolué en quelque chose de plus effrayant : un être calculateur et réfléchi, pleinement conscient de ses actes. Cette transformation le rendait infiniment plus redoutable, si effrayant que même dans sa forme optimale, elle n'était pas certaine de pouvoir rivaliser. Un seul mouvement mettrait un terme à sa vie, alors qu'attendait-il ? Son regard, si pénétrant, semblait la sonder au plus profond, comme s'il lisait à travers son âme.
Consumée par cette lutte impitoyable, Buffy, résignée à son sort, attendait le coup fatal. Pourtant, rien ne vint. Ryane, son regard ancré dans le sien, retira lentement l’épée d’ébène de sa jugulaire. Puis, d’une réaction aussi inattendue que déconcertante, il s'approcha de la scythe écarlate traînant au sol. Avec un mouvement précis du pied, il la fit voler en direction de la tueuse, qui l'attrapa instinctivement en plein vol. C'était là son dernier geste, avant qu'il ne disparaisse dans la brouillard pour mener ses troupes à la victoire.
Buffy, toujours en vie, ne comprenait pas pourquoi elle avait été épargnée. Sa seule certitude : un lien inexplicable existait entre eux, puissant et primordial. Repoussant cette pensée de sa tête, la tueuse reprit la lutte, mais ses forces s’amenuisaient rapidement.
C’est alors que Willow, épuisée elle aussi, arriva à ses côtés. Dans un ultime effort, la sorcière l'extirpa du champ de bataille par le biais d'un portail créé en amont. Le bilan était dramatique. Seuls Faith, Robin, Willow, et Buffy avaient survécu à ce qui serait désormais connu comme la plus grande débâcle de ce siècle.
Quant à Angel, il n'avait pas eu cette chance. Pris entre deux feux, il s’était retrouvé dans une situation désespérée. Juste avant que tout ne soit perdu, un champ protecteur l’enveloppa soudain, le sauvant in extremis. La source de cette magie salvatrice apparut alors devant lui : c'était Djézabelle. L'enchanteresse arborait un visage défait, ravagé par des émotions contradictoires.
─ Pourquoi m'as-tu sauvé la vie ? cria le vampire, la voix vibrante de colère. Tu travaillais pour Wolfram et Hart depuis le début. Tout ce que tu m'as dit n'était que mensonge.
L’enchanteresse ne tenta même pas de se défendre, ou de nier les accusations.
─ Je sais ce que tu ressens, murmura-t-elle, sa voix teintée d’une profonde tristesse. Je n'attends pas que tu le comprennes. Je t'ai menti, c'est vrai. Je me suis servi de toi.
─ Tu n'as pas répondu à ma question, insista Angel qui ré-freinait tant bien que mal une colère n'ayant d'égale que le préjudice de la trahison.
Elle demeura silencieuse, laissant entrapercevoir toute l'étendue de sa culpabilité.
─ Il ne faut pas que tu restes ici. Quand Wolfram et Hart aura gagné cette guerre, et ça ne saurait tarder, ils te traqueront et te tueront. Seul ton sang a le pouvoir de refermer le portail d'Acathla. Plus encore que ton sang, c’est de ta propre vie dont ils ont besoin.
Djézabelle prononça ces mots d’une voix presque éteinte, évitant soigneusement de croiser son regard. Elle craignait de lire la déception, peut-être même le mépris dans ses yeux.
─ Regarde-moi. Je sais que tu n'es pas ce que tu parais. Je refuse de croire que tu te sois servi de moi pour te soumettre à ces démons... Tu vaux mieux que ça.
─ Tu t'es fait des films sur ma personne, voilà tout, répliqua-t-elle d’une voix tranchante. Je ne suis pas une héroïne. Je ne passe pas ma vie à jouer les samaritains pour quelque cause que ce soit. Ce qui m'intéresse dans ce monde, c'est survivre, et je suis prête à tout pour ça. Je ne suis pas celle que tu as imaginée.
Elle marqua une pause, observant le vampire avec une dureté qui semblait s’être incrustée en elle.
…Maintenant va-t’en avant que je ne change d'avis et que je te livre à tes ennemis.
Ses mots claquèrent dans l’air, fermes et définitifs. Djézabelle se tourna légèrement, comme pour signifier que la conversation était terminée. Mais au fond de ses yeux, une lueur fragile, presque imperceptible, trahissait sans nul doute, une vérité plus complexe.
─ Je ne te crois pas, reprit Angel. Je te l'ai dit, je sais que tu vaux mieux que ça, et il est hors de question que je te laisse ici. Je resterai auprès de toi jusqu'à la fin.
─ Tu veux mourir ? vociféra la belle en le toisant d'un regard sincère. Pauvre imbécile, va-t'en ou c'est la mort qui t'attend.
Angel esquissa un léger sourire, voilé de tristesse mais aussi de certitude. Il savait que ses sentiments n'étaient pas le fruit d’une simple manipulation. Il avait tenu Djézabelle dans ses bras, plongé son regard dans le sien si souvent, qu'il avait appris à lire ses mensonges, mais aussi sa part d’honnêteté. Il jurerait qu’elle n’avait pas agi par pure cruauté ou par intérêt personnel, mais par contrainte, poussée par des forces qu’elle ne pouvait maîtriser.
─ Je ne pars pas sans toi, jamais.
Alors, elle s'approcha de lui, laissant libre cours à ses pulsions les plus primaires, celles qu’elle avait si longtemps réprimées. Sans un mot, elle l'embrassa éperdument, un baiser langoureux et désespéré, chargé de tout ce qu’elle n’avait jamais pu exprimer.
Son cœur se serra si fort dans sa poitrine qu'elle eut l'impression de ne pas être complètement souillée. Pendant un bref instant, le tumulte de la guerre, le fracas des armes, et les cris de douleur disparurent, effacés par cette passion brute qui les unissait. Doucement, elle glissa ses mains sur le visage lacéré d’Angel, caressant chaque cicatrice comme pour en apaiser la douleur. Ses doigts effleurèrent sa peau avec une tendresse infinie, tandis que son regard azuré se plongeait dans le sien. Un léger rictus, à peine perceptible, se dessina au coin de ses lèvres, un sourire forcé, fragile, mais empreint d'une douce mélancolie.
─ Vis et oublie-moi. Tu le mérites.... je... je ne l'ai jamais dit à quiconque mais maintenant je peux te le dire à toi... Merci d'avoir eu confiance en moi. Tu m'as fait découvrir une partie de moi que je pensais morte à jamais. Je suis navré de ne pas pouvoir te révéler ce que j'ai sur le cœur, parce que j'en suis incapable. Adieu.
Elle ne lui laissa pas le temps de réagir. Avant qu’il ne puisse comprendre ce qui se passait, Djézabelle le poussa fermement dans le halo de lumière qu'elle avait discrètement créé. Angel, pris au dépourvu, eut le réflexe de tendre les bras, essayant désespérément de s'accrocher à elle, de saisir sa main, de l'effleurer une dernière fois. Mais il était déjà trop tard.
La dernière image qu'il emporta avec lui, fut celle de ses yeux d’un bleu si pur, noyés de larmes. Il n'eut pas le temps de lui répondre, que le voile de lumière se referma sur sa personne. Le vampire disparut, emporté en plein cœur du champ de bataille, arraché à la réalité de cette guerre meurtrière.
Nul ne sut ce qu'il advint de la tueuse et de ses alliés. Ils disparurent dans les ténèbres, effacés des chroniques de ce monde. Seuls des murmures, des légendes subsistèrent, subissant le poids de l’incertitude. Wolfram et Hart empochèrent une victoire écrasante et Ryane, ayant mené ses troupes à la victoire avec une férocité inégalée, fut érigé en héros. Djézabelle, quant à elle, se vit offrir une position influente. Nommée grande prêtresse de l'ordre nouvellement établi, elle devint la figure emblématique d’un pouvoir émergeant.
Le monde avait échappé au chaos et cette journée fut citée dans les livres d'histoire comme la première pierre à l'édifice, l'an zéro d'une nouvelle ère gouvernée par le Loup, le Cerf et le Bélier.
Fin.