Shanshu - La suite des aventures d'Angel et Buffy
Chapitre 14 : Episode 14 - Prise de conscience
8186 mots, Catégorie: G
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EPISODE 14 : PRISE DE CONSCIENCE
Alors qu'elle arpentait les bas-fonds en compagnie de Willow et Faith, Buffy gardait à l'esprit toutes les tueuses dispersées aux quatre coins de la ville. Prendre de telles décisions constituait une tâche ardue pour la tueuse, dépossédée du moindre indice quant à ce qui les attendrait sur place. Elle redoutait comme à chaque fois de les avoir envoyés au casse-pipe. Pour son compte, elle ne s'inquiétait pas. Des missions, elle en avait vu défiler, et plus rien ne semblait capable d’attiser sa peur. Willow et Faith jouaient dans la même cour. Après avoir vécu tant d'années au-dessus de la bouche de l'enfer, chacune se trouvaient aguerries et prêtes à faire face à n'importe quelle situation. Dans le pire des cas, elles s'adapteraient, comme elles l'avaient toujours fait.
En tant que tueuse, Buffy avait toujours éprouvé le poids écrasant de la solitude. Certes, elle pouvait compter sur l’aide de ses amis, mais le problème résidait ailleurs : elle se retrouvait inévitablement seule à prendre des décisions susceptibles d'impacter profondément la vie de ses collaborateurs et de ses proches. Ce n'était pas une question de bon ou mauvais choix. Après tant d’années sur le terrain, elle le savait mieux que quiconque : tout reposait sur un mélange de chance et de capacité d'adaptation. Souvent, ce qui séparait une mission réussie d'un échec ne tenait qu'à un infime détail.
Quoiqu'il advienne, il fallait un responsable, une personne capable d'assumer le fardeau des décisions et la rancœur des autres. Buffy avait endossé cette responsabilité dès son plus jeune âge. Elle assumait pleinement son rôle, mais lorsque les choses tournaient mal, elle aspirait parfois à se faire discrète, et à passer le relais. Pourtant, elle parvenait toujours à la même conclusion : fuir ne résoudrait rien. Cela pourrait même empirer la situation si quelqu’un de moins expérimentée prenait les rênes. C'était son combat, celui de l'élue, et elle se devait de l'assumer jusqu'à la fin de ses jours.
Plus tôt dans la soirée, Buffy avait procédé à un briefing succinct. Le plan était simple : déployer toutes les tueuses disponibles pour patrouiller sur les points chauds de la ville. Son propre objectif : le Musée d'Histoire Naturelle, reconnu pour abriter quelques millions de spécimens, dont le célèbre fossile connu sous le nom de Lucy. L'établissement, avec son architecture contemporaine et ses façades vitrées, était entouré d’un grand parc ouvert sur l’extérieur, donnant à l’ensemble une allure de pôle universitaire. Rien à voir avec l'image classique des musées, habituellement logés dans des bâtiments à l’architecture ancienne.
Néanmoins, ce qui intéressait les trois aventurières ne se trouvait pas à l'intérieur de l'enceinte, fermée à cette heure de la nuit, mais bien en dessous, dans les souterrains. Elles avaient emprunté une bouche d’égout et s'enfonçaient lentement dans les bas-fonds, à la recherche de ce qui se cachait sous la surface.
L'obscurité régnait dans le tunnel jusqu’à ce que Willow murmure un sort de lumière. Un petit halo microscopique apparut alors, flottant devant elles comme une luciole, éclairant leur chemin. Les égouts étaient crasseux, inondés d'une eau stagnante et fétide qui leur arrivaient jusqu'aux chevilles. L'odeur nauséabonde d'eau croupie, accumulée depuis plusieurs mois, était à la limite du supportable. A leur passage, quelques rats jaillirent des canalisations, fuyant la présence des trois jeunes femmes qui avançaient, pas très rassurées, dans ce dédale sombre et repoussant.
─ Pour une fois que j'ai la chance d'aller visiter un musée, il faut que je me retrouve dans les égouts et la crasse, râla Faith, écœurée. Ça doit être mon destin.
─ Quand tout ça sera derrière nous, si tu veux, on ira toutes se faire une après-midi au musée, la consola Buffy. Ça pourrait être sympa. Ça nous changerait des après-midi shopping.
─ Je suis partante, s’enthousiasma Willow. Toute cette richesse culturelle à portée de main, les dinosaures, l'histoire de l'humanité, la formation de la galaxie et de l'univers, ainsi que l'histoire de la terre. Et tout ça dans un si petit espace... Le Rêve...
Buffy et Faith échangèrent un regard bref, quelque peu désœuvrées par le long discours de leur amie.
─ Merci Willow, se désespéra Faith. Tu viens de me passer toute envie d'y aller.
─ Oui, ou alors, on pourrait visiter la salle des rubis et des pierres précieuses. J'ai entendu dire que ça en valait la peine, continua Buffy qui avait gardé en elle ce côté un peu branché de Los Angeles.
─ Vous me décevez. En plus, il y a même un planétarium pour observer les étoiles, c'est parfait.
─ Et si on se concentrait sur la mission ? envisagea Buffy.
─ Oui Giles, la nargua Faith
A mesure qu'elles s’enfonçaient toujours plus profondément dans le réseau souterrain, la luciole commençait à émettre des signes d'instabilité. Elle tournoyait et virevoltait, dessinant des arcs de cercle désordonnés, sans suivre de trajectoire cohérente.
─ Dis Willow, s'inquiéta Buffy. Est-ce que c'est normal ça ?
─ Et bien non. Ça ne devrait pas s'agiter comme ça. La seule explication plausible consisterait en une perturbation mystique, ou alors c'est peut-être moi le problème.
─ Ok... Une perturbation mystique... rien que ça. Ça prouve qu'on touche au but. Il va falloir être prudentes.
Les trois guerrières firent face à un embranchement de tunnels comprenant trois issues bien distinctes : Deux chemins latéraux, ainsi qu'un troisième au centre. Chaque entrée était voilée par une brume n'ayant aucune raison scientifique et rationnelle de justifier sa présence. Celle-ci ne se propageait pas dans l'espace, comme figée dans le temps.
La luciole, jusque-là leur guide fidèle, perdit toute orientation. Affolée, elle se mit à virevolter frénétiquement, se heurtant aux parois humides avant de disparaître soudainement dans le brouillard, les plongeant dans une obscurité oppressante.
─ Ok, il manquait plus que ça, fit Faith désemparée. On n'y voit plus rien. J'aurais dû le deviner, ça aurait été trop facile sinon.
─ Très bien, dans ce cas allons tout droit, suggéra Buffy. On verra bien où ça nous mènera.
─ Que chacune se tienne par l'épaule, proposa la tueuse rebelle. Ce serait bête de se faire happer par une créature maléfique sans que l'une d'entre nous soit au courant.
─ Je vois que tu imagines toujours le pire, s'inquiéta Willow en visualisant la scène bien malgré elle.
─ S'attendre au pire t'éviteras d'être surprise. Et puis, depuis que je fais ce boulot, je peux te dire que j'ai pas souvent eu droit au meilleur.
─ Allons-y, ordonna Buffy à la hâte. Je pars devant, et toi Faith, tu boucles la file.
Elles s’engagèrent dans le tunnel central, en pénétrant le voile opaque du brouillard. Une fois à l'intérieur, elles aperçurent de l'autre côté une infime luminosité, évoquant le rayonnement familier de la luciole qu’elles avaient perdues en chemin. Elles suivirent la lumière mobile jusqu'à se retrouver dans les mêmes circonstances que précédemment, face aux trois mêmes embouchures.
La luciole recommença alors à tournoyer dans tous les sens jusqu'à s'évaporer une fois de plus, les plongeant à nouveau dans l'obscurité.
─ Ok, j'ai l'impression qu'on vient de retourner sur nos pas, remarqua Buffy circonspecte.
─ Désolée Willow, mais je déteste la magie, s'exclama Faith.
─ Oh ne t'en fais pas, dans ces circonstances, je peux le comprendre.
─ Bien, essayons celui de gauche, ajouta Buffy sans grande conviction.
Elles retentèrent leur chance en choisissant un autre chemin, mais le résultat fut identique. Peu importe le chemin emprunté, elles revenaient systématiquement au même point, comme piégées dans une boucle temporelle infinie.
─ Bon, se posa Buffy en s'accordant le temps de la réflexion. Il y a trois voies et nous sommes trois. Je ne vois qu'une seule solution.
─ Je vois ou tu veux en venir et je pense que c'est une très mauvaise idée, s'inquiéta la sorcière. Réfléchis, s'ils voulaient nous tendre un piège en nous séparant et en nous rendant vulnérable, ils ne s'y prendraient pas autrement.
─ Willow a raison, rétorqua Faith. Non pas que je n'apprécie pas les balades en solitaire, mais ça me paraît évident qu'on essaie de nous séparer.
─ Je sais tout ça, mais quoi que cette chose veuille que nous fassions, elle va commettre une grave erreur. Elle pense que séparées, nous sommes faibles. On va lui prouver le contraire.
─ Tu préconises de te jeter dans la gueule du loup ?
─ C'est ce qu'on a toujours faits jusqu'à présent et ça ne nous a pas trop mal réussis, non ?
─ Tu sais que ton raisonnement n'a aucun sens parfois, accentua la sorcière toujours aussi peu rassurée.
─ Qui parle de raisonnement ? Je te parle d'instinct. Et puis c'est pas comme si on avait le choix. C'est ça ou on rebrousse chemin et on rentre gentiment à la maison. A moins que vous préfériez qu'on se refasse le remake de « Groundhog Day » indéfiniment ?
─ Vu sous cet angle, j'en suis, acquiesça Faith.
Willow restait dubitative à l'idée d'évoluer seule dans l'inconnu. Bien qu'étant une puissante sorcière, sa magie ne semblait toutefois pas être totalement fonctionnelle ici, et elle ne possédait pas les compétences martiales de Buffy et Faith. Sans ses pouvoirs, elle se sentait aussi vulnérable qu'un nouveau-né. Néanmoins, malgré la peur qui lui nouait l’estomac, la sorcière accepta de se conformer au plan. Après tout, il n'existait aucune autre alternative.
─ Bien, on se retrouve de l'autre côté. Faites attention à vous, encouragea Buffy avant d'arpenter le couloir du milieu.
Faith choisit le tunnel de droite, tandis que Willow s’engagea dans celui de gauche. Toutes trois disparurent dans la brume, le cœur serré par l’appréhension, mais résolues à percer le mystère qui les entourait.
*
La sorcière s'enfonça dans la cavité, traversant le brouillard mystique avec l’appréhension de se retrouver, une fois de plus, à son point de départ. Il n'en fut rien. Elle émergea dans une brume claire, presque éthérée, qui baignait l’espace d’une lumière diffuse, semblable à celle du jour. Lorsqu'elle observa autour d'elle, malgré son champ de vision limité, elle devina un espace vide et pratiquement infini.
Un frisson de terreur s’empara d’elle à l’idée de devoir errer dans ce néant jusqu'à la fin de ses jours. Willow secoua alors la tête, comme pour chasser ses sombres pensées. La panique n'étant pas d'une grande utilité pour faire face aux difficultés, elle s’imposa un pragmatisme de circonstance.
Cette situation était indéniablement liée à la magie et elle se savait être la sorcière la plus puissante sur terre. Fermant les yeux, elle murmura un sort dont elle seule avait le secret, espérant qu’il lui offrirait une issue favorable.
─ Caligine discussa res ad cor, répéta-t-elle dans un latin toujours imparfait.
Ses cheveux fins virevoltèrent devant son visage, et un souffle mystique dissipa tout le brouillard alentour. A l'éviction de cette masse humide, une silhouette se dévoila. Sans nulle doute présente depuis son arrivée, cette apparition possédait des traits étrangement familiers. Ce regard noir, ces veines bleues sillonnant sa peau diaphane, et cette haine éclaboussant de sa personne : Willow faisait face à sa plus grande peur, celle qu’elle avait toujours tenté de refouler. Son côté sombre.
Surprise par cette vision inattendue, Willow esquissa instinctivement quelques pas de recul. Elle se reprit aussitôt, plantant fermement ses pieds dans le sol, déterminée à affronter ce spectre de son passé.
─ Tu n'es pas moi, tu n'existes pas, tu n'es rien d'autre qu'un mirage, une hallucination.
La sorcière maléfique ne broncha pas. Un sourire machiavélique se dessina sur ses lèvres, trahissant ses intentions. Elle s'avança alors de quelques pas, en défiant son double du regard. Willow, fortement décontenancée, ne savait pas comment réagir. La vision semblait criante de réalisme.
… Je te préviens, si tu t'approches encore, je n'hésiterai pas à te réduire en poussière. Qui que tu sois.
─ Tu ne comprends toujours pas que toi et moi, nous ne sommes qu'une seule et même personne?
Black Willow continuait d'avancer malgré les sommations.
…Que pourrais-tu me faire que tu ne te ferais à toi même ?
─ Si tu penses que tu peux m'avoir en entrant dans ma tête, alors tu prends le risque d'attiser une colère que tu ne saurais contenir. Cette entité n'a plus rien à voir avec moi.
─ Au contraire, je suis celle que tu essaies de cacher, celle que tu essaies de renier, parce que tu as peur de regarder la vérité en face. Tu as peur de ne plus être perçue comme la petite Willow à qui on donnerait le bon dieu sans confession, mais tout cela n'est qu'un mensonge que tu t'infliges pour ne pas admettre la seule vérité qui soit : je suis toi.
─ Non tu n'es pas moi, hurla Willow, bien plus touchée qu'elle ne voulait l'admettre. Tu n'as rien à voir avec moi, tu m’empêches d'être moi, tu n'es qu'un mauvais souvenir que j'essaie d'oublier.
─ M'oublier ? ricana l'entité en continuant d'avancer. Comme tu as oublié Tara ?
─ Je t'interdis de parler d'elle, s'indigna Willow en laissant exploser sa colère.
La sorcière ne se contrôlait plus. Ses pupilles se dilatèrent jusqu’à devenir entièrement noires. Entendre le nom de celle qu'elle avait tant aimée raviva les douleurs enfuies, apportant avec elles, son lot de fureur qu'elle projeta sans ménagement sur sa cible. L'énergie accumulée vint transpercer le double qui resta immobile, les bras ballants, un sourire provocateur aux lèvres.
Tandis que son attaque semblait avoir traverser sa cible sans la toucher, une douleur aiguë vint l'étreindre subitement, comme si un coup de poignard l’avait frappé en plein cœur, suivi de plusieurs autres, pareilles à des aiguilles chauffées à blanc. Elle poussa un cri strident, bref mais déchirant, avant que ses jambes ne succombent sous le poids de l'apesanteur. Sur les genoux, Willow haletait, en manque de souffle. Elle sentit ses pupilles se dilater à nouveau, alors que son apparence retrouvait ses traits d'origine. Sa propre attaque s’était retournée contre elle, la percutant avec une force dévastatrice. Considérant l’intensité de l’énergie projetée, elle pouvait s'estimer heureuse d'’avoir survécu.
─ Regarde-toi, pesta le double. Tu es pathétique. Tu m'as attaqué et c'est toi que tu as blessé. N'est-ce pas la preuve que nous ne formons qu'une seule entité. Ne pourrais-tu pas l'admettre pour une fois, plutôt que de te mentir chaque jour. Ça me rend malade de te voir si faible, si ridicule à vouloir à tout prix faire taire l'évidence.
La sorcière se redressa péniblement, lutant contre ses jambes vacillantes pour retrouver un semblant d'équilibre.
─ Je ne suis pas toi, grommela-t-elle. Je vais te faire disparaître une bonne fois pour toute.
Willow s'acharna de plus belle à piocher dans son répertoire une incantation meurtrière qu'elle récita avec pugnacité.
… I gnis te conterat...
Une étincelle jaillit. L'étincelle se transforma en flamme, puis la flamme devint brasier, jusqu'à former une boule de feu qui fissura l'air en direction de l’ennemi. Même acte, même conséquence. A la première sensation de brûlure, Willow prit conscience qu'il était déjà trop tard. La douleur se fit si intense qu'elle suffoqua. Son sang se mit à bouillir, et sa peau blanche commença lentement à rougir sous l'effet de la combustion. La sorcière sentit sa poitrine se soulever, comme si elle allait exploser de l'intérieur. Aucun cri ne franchit ses lèvres. Sa voix, réduite au silence par le feu qui consumait ses cordes vocales, resta prisonnière. Allongée sur le sol, la chair encore fumante et secouée de spasme, Willow ne donnait que quelques fébriles signes de vie.
─ Regarde-toi, s'esclaffa le double. Tu es aux portes de la mort, alors que tu aurais pu dominer ce monde si tu avais accepté ta part d'ombre. Tu as préféré cette vie médiocre, à te retenir pour ne blesser personne. Au final, celle à qui tu as fait le plus de mal, c'est toi-même.
Le silence qui suivit ces mots semblait sceller le destin de Willow. La douleur la submergeait, la laissant sombrer dans une obscurité glaciale. Pourtant, au plus profond de cette nuit intérieure, une étincelle d’énergie, ténue mais résolue, se mit à briller. Un frémissement imperceptible parcourut son corps inerte, comme un ultime élan de vie refusant de s’éteindre.
Alors que tout semblait perdu, cette lueur fragile se renforça, grandissant jusqu’à émaner de tout son être. La sorcière ouvrit les yeux et sa peau brûlée reprit une teinte rosée. Elle se releva comme si de rien n'était, en affichant un regard serein à son adversaire du moment.
─ Tu n'es pas réelle. Tu n'es qu'une illusion, et mes blessures le sont tout autant. L'attaque que je t'ai lancée aurait dû me tuer sur le champ, et pourtant, ce n'est pas le cas. Je ne suis pas réellement en face de toi, je suis quelque part, prisonnière à l’intérieur de mon esprit. Je viens de comprendre une chose importante, et c'est grâce à toi.
La doublure changea d'attitude et son sourire moqueur laissa place à un visage incrédule. Le brouillard commençait lentement à se dissiper.
… Tu m'as fait prendre conscience d'une chose que j'avais perdue de vue. J'ai longtemps cherché à fuir mon mauvais côté, mais je me mentais. Je n'avancerai pas tant que je n'assumerai pas cette partie de moi. Tu as raison depuis le début. Je suis toi et tu es moi. Tu fais partie de mes colères et de mes peurs. Au début, je te considérais comme la pire de mes faiblesses, mais la seule faiblesse résidait dans le fait de ne pas l'assumer.
La sorcière avança d'un pas décidé, sans montrer la moindre once d'agressivité envers son double. Dans un geste inattendu, Elle tendit les bras et l'étreignit avec une douceur infinie.
… Merci. J'ai perdu mon temps à te faire sortir de ma vie alors que je n'avais qu'à t'accepter.
Le double se dissipa, se fondant dans la brume qui s’évaporait peu à peu. La sorcière, désormais seule, se retrouva dans son corps, là où elle l'avait laissé : au cœur de ce tunnel sombre et silencieux.
**
Faith marchait à travers la masse brumeuse envahissant la surface. La tueuse scrutait les environs, à l’affût du moindre indice susceptible de lui indiquer le chemin à suivre. Pour l'heure, elle se sentait complètement perdue, à errer dans un espace qu'elle ne percevait pas complètement.
─ Ok ! De mieux en mieux, s'écria-t-elle en poussant un soupir à la hauteur de son désarroi.
Au détour d'un écran de fumée, son regard fut attiré par une ombre dont les contours dessinaient une silhouette humaine. Un portrait familier se dévoila à ses yeux intrigués. La stupéfaction s’empara de Faith, à considérer qu’elle venait de quitter la personne en question quelques secondes auparavant.
… Buffy ? C'est toi ? Qu'est-ce que...
La tueuse rebelle, pensant tout d’abord retrouver son amie, révisa bien vite son jugement. C'était bien Buffy, mais son apparence avait drastiquement changé. Inutile d'être un fin limier pour constater l'évidence. Les vêtements, la coiffure, les traits du visage : ce n'était pas la tueuse du présent, mais celle d'un passé pas si lointain. Faith se retrouvait face à la tueuse qui l'avait expédiée dans le coma quelques années auparavant. Buffy portait exactement les mêmes vêtements que le jour du drame : un pantalon de cuir rouge et une veste noire. Les cheveux détachés, elle arborait un regard déterminé, prête à fondre sur sa proie.
… Mais qu'est-ce que c'est que ce délire ? s'étonna Faith fortement troublée.
─ Tiens, mais qui voilà ? fit Buffy en feignant l'étonnement. Ne serait-ce pas la tueuse ratée ?
A bien y chercher dans ses souvenirs, Faith ne s'était jamais sentie effrayée par sa rivale, mais à cet instant, elle avait bien du mal à soutenir ce regard assoiffé de sang, presque animal. Une pression écrasante émanait de Buffy, réduisant sa rivale à l’état d’une proie fragile, prête à être dévorée sans merci. Éprise d'une frayeur irrationnelle, cette dernière se réfugia dans un mutisme accablant.
… Quoi ? Tu as perdu ta langue ? Pauvre petite bête effrayée que tu es. Au fond, toi et moi, on connaît la vérité. Derrière ton côté rebelle se cache une petite fille faible et sans défense qui n'a jamais eu sa place dans ce monde.
─ Ferme-la, s'emporta Faith
─ Fais-moi taire, répliqua la blonde en attendant une réaction qui ne vint jamais. Tu vois, tu n'as pas le courage de me faire face parce que tu as compris que jamais tu ne pourras me surpasser. Tout ce que tu sais faire, c'est me jalouser pendant que j'ai le dos tourné, en essayant de me voler ma vie. Mais tu n'es pas moi et tu ne le seras jamais.
Faith, qui aurait aimé balayer ses paroles d’un revers de main, en fut fortement impactée. Le double de sa plus grande rivale avait touché juste, et ses actes passés en témoignaient. Après avoir purgé sa peine en prison et aidé Angel à récupérer son âme, elle avait nourri l'espoir de changer, de trouver enfin sa place et d'être acceptée. Elle y avait consenti des efforts considérables, et cela avait fini par payer. Pourtant, au fond d'elle, ce sentiment de n'être qu'en sursis ne l'avait jamais vraiment quitté.
Bien qu'allié à Buffy dans la lutte contre le mal, elle avait toujours eu cette fâcheuse impression de constamment devoir prouver sa bonne foi. Son passé tumultueux pesait trop lourd pour le faire oublier, aussi ne s'était-elle jamais sentie complètement acceptée au sein de la bande. Le mal commis était irréversible et entretenait une culpabilité de chaque instant.
… Rappelle-toi, tu as essayé de me voler Angel puis Riley. Tu t'es fait passer pour moi, et au final, tout le monde t'a rejeté. Tu sais pourquoi ? C'est parce que je te suis en tout point supérieure. Tu as essayé de m'affronter et tu t'es retrouvée dans le coma. Tu as tenté de me voler mon leadership contre la Force et tu as encore échoué lamentablement en envoyant des filles à une mort certaine. Je suis Buffy, celle qui sauve le monde et qui a des amis, tandis que toi... Toi tu n'es rien. Absolument rien du tout.
Ne supportant plus d'en entendre davantage, Faith, déterminée à la faire taire, se rua sur sa rivale, déclenchant une rafale de coups violents. Cependant, cette dernière se montrait supérieure dans tous les domaines. La blonde esquivait les coups avec une facilité déconcertante, avant de contre-attaquer par de petits assauts finement coordonnés, en touchant continuellement sa cible. Faith voyait ses attaques se perdre dans le vide, tandis qu'elle encaissait des frappes qui la faisaient vaciller sans toutefois l’emmener au KO. Son adversaire prenait un malin plaisir à la faire souffrir lentement, à la détruire aussi bien physiquement que psychologiquement.
… Allez, je suis persuadée que tu peux mieux faire, se moqua Buffy en la cognant de plus belle. Surtout que je n'y vais pas à fond là.
Un petit coup ici et là, dans le tibia puis dans l'estomac, suivi d’un coup de pied chassé dans les côtes : chaque attaque encaissée lui infligeait une douleur atroce, la réduisant à faire office de sparring partners. A force de subir les enchaînements chirurgicaux de son adversaire, Faith affaiblissait ses membres et perdait en efficacité. Elle ressemblait à un pantin désarticulé, à peine capable de tenir sur ses jambes.
… Tu comprends maintenant. L'écart qui existe entre nous est abyssal, et je commence à en avoir marre que tu me colles dans les pattes comme un gentil chien chien. Je vais en finir avec toi une bonne fois pour toutes, comme j'aurais dû le faire la fois où je t'ai planté ce couteau dans le ventre.
La tueuse rebelle se trouva à la merci de sa rivale. Résolue à terminer le travail, cette dernière s'empressa de lancer son poing sur le visage tuméfié de la brune qui, dans un effort surhumain, mit sa main en opposition.
─ Tu sais quoi, tu commences sérieusement à me prendre la tête !
A son tour, Faith projeta son poing avec une puissance telle que son opposante recula de quelques mètres. La tueuse venait de se rebeller et la contre-attaque promettait d’être brutale. Eprise d'une rage folle, elle se précipita aussitôt sur le double de Buffy et l'enchaîna sans ménagement. Une série de coups de poings au visage impactèrent la lèvre inférieure de son adversaire, devenue rouge de sang. Déchaînée, Faith fit parler ses genoux, puis ses coudes qui amplifièrent considérablement les dégâts.
… Je commence à en avoir marre de me retenir de marcher sur tes plates-bandes, hurla Faith en la martelant sans interruption. Et j'en ai ma claque de culpabiliser à chaque fois que tu portes un regard sur moi ! Toute ma vie, je me suis sentie inférieure à toi, parce que je n'avais rien, je n'étais rien. Je t'enviais, c'est vrai, et j'ai commis des erreurs. Mais que tu me pardonnes ou non, peu importe. J'ai fini de payer pour ça.
En se déchaînant sur le corps contusionné de sa rivale, Faith cogna si fort que ses phalanges ensanglantées claquèrent comme une détonation à l'impact. La tueuse libéra toute la frustration accumulée depuis des années. Les coups successifs déformaient le visage de son adversaire, le rendant méconnaissable.
… Tout ce que j'ai fait par le passé a forgé celle que je suis aujourd'hui. Je n'ai aucun compte à te rendre. Je ne te dois rien. C'est fini le temps où je me sentais inférieure à toi parce que je suis Faith la tueuse de vampire et toi...
Elle prit son élan puis lança un terrible coup de pied sauté au visage de son opposante, sonnant par là même, le glas de ce rude combat.
... tu t'évapore.
La tueuse du passé s’effaça, emportant avec elle le nuage vaporeux qui enveloppait la zone. Faith, désormais seule, se retrouva dans ce tunnel sombre, mais cette fois, une véritable porte de sortie s’offrait à son regard satisfait. La tueuse se sentait étrangement bien. Cette entité lui avait donné la force et l’énergie de se dépêtrer du poids qu'elle avait sur le cœur. Elle se doutait bien que ce n'était pas l’effet recherché, mais elle appréciait la séance de psy gratuite, même si cette dernière fut quelque peu douloureuse sur l'instant.
***
Buffy déambulait comme une âme errante, perdue dans ce brouillard épais sans trop savoir où aller. Elle mesurait d'un œil attentif les alentours, absorbée par des petits gémissements provenant d'un endroit, puis d'un autre, tel un écho répondant à un autre écho. A chaque fois qu'elle semblait toucher au but, les gémissements s'estompaient et s'éloignaient dans une autre direction. N'en voyant pas le bout, elle continua à marcher vers l'inconnu, convaincue que chaque chemin mènerait tôt ou tard à destination. L'atmosphère pesante l'empêchait de respirer correctement, comme si son souffle restait bloqué sans qu'elle ne puisse ni totalement l'assimiler ni le libérer. Cette sensation désagréable confirmait ses craintes. Ce lieu ne regorgeait rien de bon pour sa personne.
Alors qu'elle persistait à avancer au gré du hasard, une vision vint l'arracher à sa monotonie. La scène qui se jouait sous ses yeux avait tout d'un mauvais rêve. Elle se revoyait, jeune et vulnérable, en train d’embrasser Angel, tandis que le portail ouvert par Acathla menaçait de détruire le monde. Buffy observait cette scène comme une spectatrice impuissante, incapable d’interagir avec les protagonistes, bien qu’elle en fût une partie intégrante.
Elle se revoyait lui caresser la joue et l'embrasser passionnément, jusqu'à ce cou d'estoc et ce regard mélangé d'amertume et d'incompréhension. La souffrance éprouvée lorsque le portail se referma, ses larmes inconsolables : cette scène lui déchirait le cœur. Elle l'avait déjà vécu, mais jamais sous cette angle, et si ce fut difficile la première fois, elle n'en demeurait pas moins éprouvante aujourd'hui.
─ Tout ceux qui te côtoient finissent par en payer le prix, résonna une voix caverneuse sortie du néant.
─ Qui êtes-vous ? questionna Buffy en promenant son regard sans y trouver le détenteur du message.
─ Qui je suis n'a pas d'importance, ce qui compte c'est qui tu es, toi.
─ Si ce n'est que ça, on peut mettre tout de suite fin aux devinettes, je suis Buffy la tueuse de vampire et vous ?
Il n'y eut, comme unique réponse, que le silence. La voix s'éteignit, laissant la tueuse une incompréhension totale. Ne voyant aucune raison de rester là, à attendre un signe qui ne viendrait probablement jamais, elle se résolut à presser le pas. Peu lui importait la direction, elle savait pertinemment que ça n'avait aucune importance et qu'elle finirait inévitablement par accéder à ce qu'on désirait lui montrer. Bien sûr, elle n'était pas ravie que l'on puisse se jouer de sa personne de la sorte, mais n'opérant pas sur son terrain de chasse, elle se devait de se plier aux règles imposées.
… A quel jeu on est censé jouer ? s'écria Buffy avant de hausser les épaules et de continuer son périple vers l'inconnu.
Finalement, après quelques minutes, une autre vision s’imposa à elle : le lycée de Sunnydale, la fin d'année scolaire, lors de ce fameux jour de la remise des diplômes. Comment pourrait-elle l'oublier ? Elle se revoyait à attendre que le maire finisse son discours, entouré de tous les élèves qui avaient caché leurs armes sous leur tunique, prêts à livrer bataille. Buffy plissa les yeux de dégoût en observant le proviseur Snyder se faire dévorer par la bête de façon si brutale. Au fond, et en ayant le recul nécessaire, le proviseur Snyder lui manquait terriblement. A l'époque, elle était trop insouciante pour le comprendre, mais cet homme inspirait le respect. Après tout, il n'avait pas fui pendant l'attaque, protégeant à sa façon, les élèves jusqu'à son dernier souffle, en restant fidèle à ses principes jusqu'au bout.
─ Cet homme n'avait rien demandé et tu l'as laissé mourir, comme beaucoup d'autres, trop occupée que tu étais à te trouver ailleurs. Combien de personnes furent les victimes innocentes de ta lutte égoïste ?
─ Je vois ! devina Buffy. Si tu as l'intention de me montrer le cheminement de ma vie et bien épargne toi cette peine, j'ai déjà vécu tout ça, tu ne m'apprends rien.
─ Ça c'est ce que tu crois jeune fille, insista la voix en faisant apparaître une scène dont le déroulement se situait à Los Angeles.
─ Tu as dû te gourer, je ne me rappelle pas avoir...
La tueuse s'était tue, choquée d'assister à un événement qu'elle ne parvenait pas à situer. Pourtant c'était bien elle qu'elle apercevait dans les bras d'Angel. La scène se déroulait dans l'appartement du ténébreux, peu de temps après son départ de Sunnydale. Ils s’étreignaient tous les deux, la peur au ventre. Angel lui promettait qu'elle oublierait tous les moments vécus dans la journée, tandis qu’elle pleurait à chaudes larmes, redoutant le décompte implacable de l’horloge.
Ce fut un choc pour la tueuse, dont la mémoire volée jadis contre son gré, venait de se raviver. Elle se souvenait maintenant de chaque instant de cette journée ensoleillée, où le vampire avait sacrifié leur bonheur pour continuer à lutter contre le mal. Chaque moment, chaque fragment de bonheur partagé revenait à elle avec une clarté douloureuse. Une larme vint se poser délicatement le long de sa joue. Ce mélange d'émotion et de sentiment la déstabilisait, tiraillée entre la rancune d'avoir été privé de sa mémoire et la tristesse d'imaginer la souffrance éprouvée par Angel en endossant seul ce fardeau. Elle imaginait les conséquences sur leur destin, si d'aventure il était resté humain. Quel avenir auraient-ils pu connaître ensemble dans un monde n'ayant de cesse de les séparer depuis ?
Elle chassa cette pensée de sa tête. Elle pourrait se torturer l'esprit éternellement qu'elle n'aurait de toute façon jamais de réponses. Elle haussa alors la voix pour se faire entendre.
─ Très bien, tu m'as offert de l'inédit, et alors, qu'est-ce que ça prouve ? Qu'est-ce que tu attends de moi ?
La voix se fit de plus en plus forte et criarde.
─ Je te montre ce qui est, et ce qui a toujours été. Les gens souffrent par ta faute, parce que tu es la tueuse et que ton destin est funeste, et il en sera de même pour tous ceux qui te côtoient.
Encore une fois, le même procédé se répétait, la même succession de scènes ayant attrait à son passé. Sa punition, son fardeau : revivre les pires moments de son existence sans qu'elle ne puisse avoir son mot à dire.
Cette fois-ci, elle se retrouvait dans cet hélicoptère qu'elle avait vu s'envoler au loin à l'époque. Il était bien présent, l'homme qu'elle n'avait pas su retenir, celui dont elle n'avait jamais su mesurer la profondeur des sentiments. Buffy revivait cet instant où Riley, plein d’espoir, attendait encore qu'elle rapplique avant son départ. Mais elle connaissait la suite de l’histoire pour l'avoir vécue, et ça ne se finissait pas ainsi. Quelle cruauté de découvrir cette lueur s’éteindre dans les yeux du soldat lorsqu'il comprit qu'elle ne viendrait pas. Elle n'avait jamais assisté à cette scène sous cet angle. A l'époque, elle courait éperdument pour le rattraper, l'empêcher de s'envoler vers un autre destin, mais elle avait échoué et il n'en avait jamais rien su. Elle désirait le consoler, le serrer dans ses bras, mais elle passa à travers et la vision s'évapora aussitôt.
… Encore une personne que tu as fait souffrir.
Buffy leva la tête, éprise d'une colère qu'elle ne pouvait plus canaliser.
─ Parce que tu crois que je n'ai pas souffert de mon côté ? Tous ces moments, je les ai vécus, et je n'en suis jamais ressortie indemne. J'ai souffert bien plus que je ne l'aurais voulu.
─ Et tu en souffriras d'autant plus.
Un autre décor familier se substitua à la vision précédente. C'était en plein jour. Elle se revoyait insouciante, approchant l'entrée de sa maison. Tout semblait si paisible, si normal, comme si rien ne pouvait troubler cet instant.
─ Non, non ,non, paniqua Buffy. Pas ça. Tout, mais pas ça, je t'en prie, je t'en supplie.
Mais la vision continua. Ce jour avait changé sa vie. Elle se revoyait, insouciante, appeler sa mère en entrant. Sans réponse, elle s'était approchée du canapé. Quand elle découvrit sa mère allongée et inerte, elle resta stoïque. Il fallut à Buffy, une fraction de seconde, qui lui parut une éternité, pour déceler l'anomalie. Son cerveau refusait alors de récolter l'information, comme s'il faisait un déni de ce qu'il constatait.
Rien ne l'avait préparé à affronter une telle tragédie. Elle se sentait perdue, incapable de réagir, figée par le choc. Elle voulait tant crier « au secours », demander de l'aide, mais aucun son ne franchissait ses lèvres. C’est alors que la réalité la frappa de plein fouet : c'était la fin. La personne qu'elle aimait le plus au monde l'avait quittée pour toujours. Elle ne la reverrait plus sourire, n'entendrait plus le son de sa voix, ne pourrait plus jamais la prendre dans ses bras. D'ailleurs, l'avait-elle suffisamment fait ces derniers temps ? Lui avait-elle dit à quel point elle l'aimait ? Pourquoi diable n'était-elle pas restée en sa compagnie ce jour-là ? Qu'avait-elle de mieux à faire ? Peut-être aurait-elle pu la sauver si elle avait été présente, un peu moins occupée par les petits tracas de la vie quotidienne.
Toutes ces questions lui traversèrent l'esprit avant que sa raison ne lui dicte de réagir. Appeler : il lui fallait appeler les secours. Ils sauraient quoi faire. Le massage cardiaque, c'était le seul espoir. Hélas, il était trop tard. Son adolescence venait de prendre fin. Il lui faudrait désormais endosser sa responsabilité de grande sœur et s'occuper de Dawn. Dawn ! Dans la panique, elle n'y avait pas pensé. Comment pourrait-elle l'annoncer alors qu'elle était en cours et qu'elle ne se doutait de rien ? Pour elle, ce n'était qu'une journée ordinaire, avant que celle-ci ne devienne sans doute le pire moment de son existence. Buffy, extérieure à la scène, s'effondra sur les genoux.
… Comment tu as pu faire ça ? hurla la tueuse, la haine au cœur.
─ Je fais ce qui doit être fait, ni plus, ni moins, afin que tu puisses prendre conscience de ta véritable nature. Après tout, la mort est ton cadeau.
Dawn se tenait captive sur le ponton, les yeux rivés sur le portail béant qui réclamait son sang en sacrifice. Elle attendait, le cœur lourd, que sa sœur ne vienne la délivrer de ce destin tragique. Buffy s’approcha doucement, murmurant à l'oreille de sa jeune sœur, des paroles empreintes de douceur et de réconfort, ses derniers mots d’adieu. Elle savait son devoir, prendre sa place et accomplir le sacrifice ultime. Sans hésiter, elle se projeta dans le vide, trouvant ainsi le repos éternel. Du moins était-il censé l'être.
─ Pourquoi me montres-tu ça ? Qu'aurais-je pu faire d'autre ?
─ Tu penses avoir fait le bon choix, mais n'était-ce pas égoïste de partir ainsi ? Après tout, ne dit-on pas que c'est pour ceux qui restent que c'est le plus difficile ?
Buffy observait, impuissante, Dawn pleurer jours et nuits dans sa chambre. La jeune fille, totalement désœuvrée et seule, se sentait abandonnée par les êtres qu'elle chérissait le plus. Perdre sa sœur et sa mère la même année, quoi de plus cruel pour une enfant de son âge. Dawn se sentait coupable de la mort de Buffy et se détestait, jusqu'à souhaiter n'avoir jamais existé.
Évidemment, elle faisait bonne figure devant Willow, Alex et Anya, dissimulant sa douleur pour ne pas les inquiéter davantage. Mais au fond, elle se sentait vide, comme morte à l’intérieur. Ce n’était que lorsque la nuit tombait, qu'elle versait toutes les larmes de son corps et s'en allait rêver d'un monde meilleur dans lequel sa grande sœur, sa mère, et elle, vivaient encore ensemble dans cette grande maison qui avait vu fleurir leur amour éternel.
La tueuse contempla la scène meurtrie. Les yeux humides, elle baissa la tête et prit place à côté de Dawn, sur le plancher de sa chambre. Elle s'en voulait tellement de lui avoir infligé tout cela. C'était la première fois qu'elle mesurait réellement la peine que son absence avait engendrée, et cette prise de conscience lui brisait le cœur.
─ Comprends-tu maintenant que ton existence a semé toutes ces graines de malheur, touchant toutes les personnes que tu as aimées ? Te souviens-tu de l’égoïsme dont tu as fait preuve quand tu es revenue à la vie ?
Transportée dans un autre espace-temps, la tueuse dut faire face aux rancœurs de ses amis les plus proches. Willow et Alex ne comprenaient pas pourquoi leur amie les rejetaient constamment. Ils l'avaient ramenée à la vie, mais Buffy n'était plus que l'ombre d'elle-même. Ils pensaient qu'elle avait simplement besoin d'un temps d'adaptation, hélas les jours défilaient et la situation ne faisait qu'empirer.
La distance entre eux se creusait, et avec elle, un sentiment de culpabilité immense. Ils voyaient leur meilleure amie s’éloigner, se refermer sur elle-même, sans jamais leur confier ce qu’elle ressentait vraiment. Ce vide, ce silence, les hantait, les faisant se questionner sur la justesse de leur décision.
Dawn éprouvait le même sentiment. Elle avait été si heureuse de retrouver sa sœur, espérant une lumière au bout du tunnel, mais la réalité fut cruelle. Cette dernière dut ensuite subir une nouvelle tragédie avec le décès de Tara, tuée par une balle qui ne lui était pas destinée.
Buffy revoyait également Spike et le soulagement, la joie immense qu'il a éprouvé lors de son retour à la vie. Pendant son absence, le vampire avait veillé sur Dawn, en l'honneur de celle qu'il aimait tant. Durant cette période, le vampire avait perdu sa raison de vivre, et Buffy observait avec une douleur silencieuse, la souffrance que cet amour à sens unique lui infligeait. Ce fut la même chose lors de sa résurrection. Lui, d'ordinaire si fier, s'était débarrassé de ses principes pour satisfaire le moindre désir de sa belle, en ayant l'infime espoir qu'un jour peut-être, elle le considérerait. Il savait au fond que la tueuse se servait de sa personne pour combler ses désirs de noirceur et pourtant il l'acceptait. Puis elle l'avait vu regagner son âme et devenir cet homme enfin digne d'être respecté, jusqu'à son sacrifice ultime dans la bouche de l'enfer. Spike avait sacrifié sa vie pour sauver le monde, mais plus encore, pour la femme qu'il aimait.
La voix continuait se s’immiscer dans sa tête, s'infiltrant tel un virus insidieux.
… Tous ces sacrifices par ta faute. Toutes ces filles que tu as entraînées dans la mort alors qu'elles avaient toute la vie devant elles.
Buffy souffrait de cette relecture infâme. Elle venait de prendre conscience qu'elle était sans doute la responsable de tout ce chaos. Elle se détestait d'avoir été si égoïste, de ne pas avoir pris en considération les sentiments des autres plus souvent, de ne pas avoir été aussi présente pour ses proches qu'elle l'aurait souhaité. Ou alors n'était-ce qu’un déni visant à colporter ses propres mensonge. Peut-être que personne n'avait réellement besoin de sa présence, et qu’elle s'était simplement inventé une importance pour se donner un but, pour justifier son existence. Et si, au fond, sauver le monde n'était qu'une excuse ?
D'ailleurs, était-elle vraiment Buffy la tueuse de vampire ou n'était-ce que le fruit de son imagination ? Peut-être se trouvait-elle toujours dans cet asile, à s'inventer une vie héroïque afin de mieux fuir la réalité pitoyable de sa propre vie. Peut-être, était-il temps de cesser ces mensonges et de disparaître. Après tout, à qui manquerait-elle ? Peut-être à Dawn qui serait de toute façon mieux sans elle. Elle qui avait déjà laissé tomber ses études et mit sa vie en suspens pour la suivre dans sa folie meurtrière.
Dawn... Dawn... Dawn... sa petite sœur. Celle qui, malgré tout, l'attendait encore, terrifiée à l’idée de ne plus jamais la revoir. Dawn, sa seule famille. Dawn, à qui elle voulait offrir un monde meilleur, celle pour qui elle devait continuer à se battre, à se relever. Tout ce qu’elle faisait, c'était pour elle, pour la lumière de ses yeux vert émeraude.
… Que fais-tu ? Pourquoi te relèves-tu ? N'as-tu donc pas compris que ce monde n'avait pas besoin de la tueuse ?
Buffy se redressa et essuya les quelques traces de larmes sur son visage. Son regard épris de conviction, perça le brouillard qui s'évapora dans le lointain.
─ Je ne sais pas si ce monde a besoin de moi ou pas. Je ne sais pas si je fais les bons choix ou si je ne suis qu'une source de malheur. Peut-être que je sème la mort autour de moi, je n'en sais rien et je ne le saurai jamais. Je suis Buffy Summers et je ne suis pas parfaite. Je ne l'ai jamais été. Alors oui, j'avance et je fais des erreurs. Je rends les gens tristes et certaines personnes se trouvent impactées par mes décisions. Mais je sais aussi que je ne suis pas seule, et que je fais de mon mieux pour sauver ce monde de fous. Je me bats pour l'avenir, non pas parce que je suis un sainte non, simplement parce que j'ai le pouvoir de le faire. Parce qu'il y a sur cette terre des gens que j'aime de tout mon cœur. Je veux voir Dawn grandir dans un monde où elle pourra s'épanouir. Alors oui, je l'avoue, ce monde ne m’intéresse pas. Ce que je veux, c'est me battre pour les gens que j'aime et si ça te pose un problème, alors tu devras faire avec parce que personne ne m'arrêtera.
Sur ces mots, une lumière éclatante jaillit, éradiquant entièrement les dernières traces de brume. La voix, vaincue, s'évanouit dans un hurlement strident, tandis que l'espace sous les pieds de Buffy sembla se dérober. Une lumière vive enveloppa la tueuse avant de la transporter dans un autre décor. Buffy se retrouva à la sortie du tunnel, aux côtés de Faith et Willow.
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Elles venaient de passer avec succès l’épreuve mystique. Les trois chemins s'étaient dissipés pour ne laisser qu'un seul passage, menant droit à la source du mal. Leurs regards avaient changé et toutes trois devinaient les obstacles surmontés pour en arriver là. Pas besoin d'explication. Elles se comprenaient instinctivement, animées par la même volonté de mettre un terme définitif à ce mystère.
Alors qu'elles arpentaient le tunnel, elle se retrouvèrent face à une excavation baignée dans un faisceau de lumière. A l’intérieur, des prêtres entouraient le sceau de Danzalthar, un pentacle gravé à même le sol. L'antre du mal était protégé par une barrière magique que Willow, d'un geste de la main, fit voler en éclat. Ses pouvoirs, pleinement restaurés, la rendaient plus puissante que jamais. Buffy et Faith profitèrent de cette ouverture pour s'attaquer aux moines dont les visages balafrés transparaissaient par-delà leur capuche. Le combat fut bref et sanglant.
Buffy, armée de sa scythe, fendit l’air avec une précision mortelle, tranchant ses ennemis sans pitié. Faith de son côté, dégaina le poignard attaché à sa cuisse, ce même poignard transmis par le maire Wilkins, et l’enfonça dans la chair de ses adversaires avec une force implacable. Une fois le nettoyage de la zone acté, elles se regroupèrent autour du sceau reliant la bouche de l'enfer à la terre. A la vision des Bringers étalés sur le sol, elles comprirent avec effroi qui était l'instigateur de ce chaos.
─ La Force, s'exclama Buffy d'un air grave.