Shanshu - La suite des aventures d'Angel et Buffy

Chapitre 13 : Episode 13- Toutes pour une

7683 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a plus d’un an

EPISODE 13 – TOUTES POUR UNE

 

Un pieu transperça le cœur, suivi d’un cri étouffé. Un nuage de poussière s’éleva alors, emporté au loin par le souffle du vent se confondant dans l'obscurité. La terre, fraîchement retournée plus tôt dans la journée, portait encore les traces de sa maltraitance. Le corps sans vie, ayant dû lutter pour s'extraire du cercueil, n'eut pas le temps de s'acclimater aux lueurs de la nuit, qu'il en était reparti pour un voyage sans retour.

─ Ça commence à faire beaucoup, constata Seyia qui communiquait avec ses partenaires par le biais de son oreillette. C'est le quatrième de la soirée. Si ça continue, à ce train-là, on va finir par battre notre record.

─ Au moins on ne s’ennuie pas ! reprit Léa

─ Pour ma part, toujours rien à signaler, ajouta Héléna avec une pointe de déception dans la voix. faut croire que la chance n'est pas de mon côté, ce soir. 

─ Ça suffit les filles, râla Joy. Un peu de sérieux. Dois-je vous rappeler que chaque vampire correspond à une victime innocente. Il serait bon de ne pas l'oublier et de montrer un peu de respect. Ce n'est pas un jeu.

─ Quelle rabat joie tu fais Joy, répondit la tueuse à l’arbalète. Tu sais, si tu t’impliques émotionnellement à chaque suceur de sang dézingué, tu vas finir par te taper une dépression. Tu veux un conseil : relativise un peu.

La cheffe d'escouade, sentant la tension s’envenimer, fit part de son autorité naturelle.

─ Bon les filles, on se calme. Restez concentré sur ce que vous avez à faire et tout se passera bien. N'oubliez pas. Si vous constatez quoique ce soit d'anormal, ne la jouez surtout pas solo. Prévenez le groupe, on rappliquera aussitôt. 

Le message était bien passé et ne souffrait d'aucune contestation. Voilà plus d'une heure que les tueuses patrouillaient dans le cimetière de Lakeview, le plus vaste de Cleveland. Ce lieu de repos pour les défunts, situé à proximité d'un grand lac qu'il surplombait en amont, offrait un point de vue sur l'ensemble de la ville.

Afin d'occuper le terrain efficacement, les tueuses s'étaient séparées, chacune quadrillant une zone bien distincte. Seyia et son escouade déambulaient au hasard des nombreuses tombes parsemant leur chemin.

Buffy avait jugé bon de les envoyer sur cette mission qui, en apparence, ne semblait pas des plus complexes, compte tenu de la faible concentration de poudre indiquée à cet endroit sur la carte. D'autres escadrons de tueuses avaient été déployés ailleurs, sur des points équivalents, tandis que Buffy et Faith se chargeaient de la menace principale. Néanmoins, et suite à l’amère expérience de la dernière mission, Seyia restait sur ses gardes, consciente que le danger pouvait survenir à chaque instant, à plus forte raison lorsqu'elle ne l'attendait pas. Comme on s'était évertué à le lui faire comprendre, aucune mission ne devait être prise à la légère, et il fallait désormais constamment envisager le pire. De ce fait, la tueuse resta attentive au moindre mouvement, et à la moindre sonorité successible de trahir une présence.

La lune décroissante n'offrait que très peu de visibilité à cette heure tardive. Seyia avançait prudemment, s'appliquant à éviter de trébucher sur le sol inégal. Elle s’efforçait de rester aussi discrète que possible, soucieuse de ne pas alerter d’éventuels ennemis de sa présence. Pour ces mêmes raisons, elle s’interdisait d’utiliser une lampe torche. La lumière aurait certainement améliorer sa visibilité, mais en contrepartie, aurait dévoilé sa présence d'autant plus facilement, aussi prit-elle le parti de se fondre dans l'obscurité, quitte à subir quelques inconvénients.

Un léger frisson la parcourut, dressant les poils de ses bras découverts. La nuit soufflait un froid glacial, et chaque expiration laissait échapper un voile de buée. Dans ces conditions, maintenir une prise ferme sur son pieu devenait une tâche ardue, les articulations de ses doigts se raidissant sous l’effet du froid. Seyia jugea bon d'alterner la prise avec sa main gauche, pour se dégourdir les phalanges et se tenir prête à agir. A cet instant, elle regretta de ne pas avoir opté pour la combinaison hivernale, qui lui aurait couvert l'ensemble du corps, jusqu'à l’extrémité de ses bras.

─ Il ne faut jamais sous-estimer l'importance de l'équipement, c'est la base ! rumina-t-elle grelottante.

Patrouiller ainsi parmi les sépultures faisait partie intégrante du travail de tueuse. S'il devait exister un classement des lieux les plus emblématiques, le cimetière décrocherait certainement la première place. Pourtant, Seyia ne s'y était jamais vraiment acclimatée. Errer au milieu des défunts ne lui apportait ni quiétude, ni la moindre euphorie macabre. Pour elle, ces rondes nocturnes ne représentaient rien de plus qu’un calvaire dont elle se passerait aisément. Se retrouver là, au milieu de toutes ces tombes, lui rappelait à quel point la vie de tueuse se voulait périlleuse, et que rares étaient les élues à vivre assez longtemps pour se voir vieillir. C'était encore plus vrai ces derniers temps, alors que la lutte semblait prendre un revirement des plus chaotique. Elle secoua la tête dans l’intention de chasser ses sombres pensées.

… Reste concentrée, reste concentrée, se motiva-t-elle à voix basse en avançant prudemment, les sens en éveil.

C'est alors que son pied heurta un rameau de bois traînant au sol. Le craquement alerta les corbeaux cachés dans les arbres à proximité. Les battements d'ailes succinct de ces oiseaux de mauvaise augure, ainsi que les croassements éparpillés, eurent le don d’effrayer la jeune fille. Cette dernière sursauta, le pieu en évidence, en toisant d'un œil vif les alentours. Le cœur battant à tout rompre, quelques secondes furent nécessaires avant qu'elle ne stabilise ses émotions.

… Brrr, je déteste les cimetières.

Joy, interpellée par la nuée de corbeaux, s'empressa de joindre sa cheffe par l'oreillette

─ Est-ce que tout se passe bien de ton côté ? J'ai vu du mouvement dans ton secteur.

─ Oui, oui, tout va bien. Je me suis fait une belle frayeur toute seule, à part ça, rien à signaler. Et comment ça se passe de votre côté ?

─ Toujours rien pour moi, répondit Léa. C'est à se demander ce que Willow y a vu. Il n'y a rien d’inhabituel. Si ce n'est les quelques vampires en début de soirée, c'est le calme plat. Peut-être qu'on perd notre temps.

La cheffe d'escouade s'adossa à l'arrière d'une imposante stèle et posa le genoux à terre.

─ La nuit commence à peine. On continue d'inspecter le moindre recoin. Si dans une heure on ne trouve toujours rien, on rentre au bercail. En attendant, on balaye toute la zone et on se rejoint au centre du cimetière, devant la chapelle funéraire.

─ Oui cheffe, bien cheffe, à vos ordres cheffe, se moqua Héléna qui ne manquait pas l'occasion de remettre en cause les choix de sa supérieure. Au fait, je ne voudrais pas dire mais dans les films d’horreur, à chaque fois qu'un groupe de filles se sépare, c'est pour se faire déchiqueter et ramasser à la petite cuillère. On pourrait pas, je sais pas moi, disons faire un groupe de quatre, histoire d'assurer nos arrières.

─ Sauf que tu as oublié un fait important dans tout ça, répliqua Joy. On est les chasseuses et ils sont les proies. Dans un film d'horreur, ce serait nous les méchantes de l'histoire. Donc tu vois, on n’a rien à craindre.

─ Vu sous cet angle, s'exclama Héléna

En écoutant leurs commentaires, Seyia esquissa un sourire de circonstance, ce qui eut pour effet d’atténuer la tension qui l’étreignait. Joy et Héléna formaient un sacré duo. Elles étaient un peu l’opposée l'une de l'autre, ce qui créait une sorte d'équilibre dans le groupe, à considérer Léa comme une personne assez effacée et neutre. Bien souvent, Joy prenait son parti, tandis qu'Héléna avait plutôt tendance à la contredire et à la sortir de sa zone de confort.

─ Bon les filles, si on en revenait à la mission ? suggéra Seyia, trop distraite pour détecter la présence d'un suceur de sang derrière son dos. C'est pas le moment de perdre notre concentration, je ne voudrais pas qu'un vampire nous passe sous le nez.

La créature de la nuit, en prêtant une oreille attentive à la discussion, remarqua le pieu qu'elle tenait en main. Lorsqu'il découvrit son rôle de tueuse, il opéra une volte-face et s'éloigna sur la pointe des pieds, peu enclin à risquer de se retrouver en poussière.

Les tueuses persistèrent à ratisser la zone dans tous ses recoins, sans pour autant y trouver âme qui vive. Elles passèrent un long moment à inspecter le moindre lopin de terre suspect, et parvinrent à la conclusion qu'il n'y aurait plus d'activité pour le reste de la soirée. Seyia commençait à se décourager, lorsque soudain, une voix se fit entendre dans son oreillette.

─ Cible aperçue, je répète, cible aperçue à onze heure, déclara Léa en murmurant discrètement, de façon à ne pas se faire repérer.

─ Onze heures par rapport à qui ? demanda Héléna, qui pour une fois, se posait les bonnes questions.

─ Onze heures par rapport à moi, continua Léa, certaine de son fait.

─ Oui, sauf que toi, on ne sait pas dans quelle position tu te trouves, ajouta Joy excédée par le manque de professionnalisme de sa coéquipière.

─ Bon fermez-la et laissez-moi lui parler, reprit Seyia avec entrain. Léa, tu es avec moi ?

─ Oui, je t'écoute.

─ Bien, alors calmes-toi, respires un bon coup, et surtout ne lâches pas la cible des yeux. Est-ce que tu peux me dire dans quelle direction il se dirige ?

─ Affirmatif. Il avance en direction de la chapelle au centre du cimetière, mais vous devriez voir ça. Ce type est trop bizarre. Son visage...je ne sais pas trop comment le décrire...

Au timbre de sa voix effrayée, Seyia se doutait que la personne, ou la chose aperçue, n'avait rien à voir avec un vampire. Léa, malgré ses quelques lacunes, jouissait d’une expérience non négligeable. Ce n'était pas la première fois qu'elle prenait part à ce genre de mission, et jamais auparavant elle ne l'avait senti aussi décontenancée, à l’exception de la dernière déconvenue au gymnase. En faisant le parallèle, la tueuse se mit à présager le pire. Pas le temps de tergiverser. Il lui fallait être rapide et concise dans ses décisions, aussi s'y attela-t-elle avec conviction.

─ Bien Léa, suis-le, mais garde tes distances. Surtout ne te fais pas repérer. S'il se dirige vers le centre, ça nous arrange. C'est dans notre direction. Pour les autres, on se tient en embuscade aux abords de la chapelle. Tant qu'on en sait pas plus sur ses intentions, on ne prend aucun risque. On ne sait pas s'il est seul alors continuez à vous fondre dans la masse. Soyez discrètes.

Seyia ne s'en rendait pas compte, mais son rôle lui allait à la perfection. Côtoyer la mort l'avait aidé à progresser dans ses décisions et dans ses analyses. Elle dégageait désormais une sérénité qui inspirait les filles sous ses ordres, les rassurant et les rendant prêtes à suivre ses directives sans sourciller. Les tueuses slalomèrent entre les tombes, faisant part de leur adresse et de leur agilité féline à faire taire leur déplacement. Se fondant dans leur environnement avec une furtivité remarquable, elles prirent position derrière les arbres et les stèles entourant la chapelle blanche. Chacune, postée à un point stratégique, quadrillait la zone, de façon à ne laisser aucune échappatoire possible à l'individu suspect. Léa, qui le suivait à la trace, s'était dissimulée derrière un arbre en attendant le moment propice pour agir.

… Gardez vos positions, ordonna Seyia. On n'attaque pas sans avoir plus d'informations. On ne sait pas à qui ou à quoi on a à faire. Hors de question de commettre de bavures. On attend et on voit.

─ Je ne suis pas du genre à juger les gens sur leur physique, raisonna Léa. Mais vu la tête qu'il a, j'ai pas l'impression que ce soit un gentil. Et puis, je ne vois pas ce qu'une personne saine d'esprit ferait à cette heure dans un cimetière.

─ C'est gentil pour nous, rétorqua Héléna, l'arbalète pointée en évidence et prête à l'emploi.

Seyia, sensible aux bruits de pas de plus en plus pressant, empoigna son pieu d'une main ferme.

─ Silence, il arrive. Tenez-vous prête et n'agissez pas sans mon ordre.

La silhouette apparut enfin à découvert. La vision qu'elle offrait suscita une répugnance palpable chez les filles, quelque peu déstabilisées. Seyia, hypnotisée, avait le regard fixé sur l'individu sans qu'elle ne puisse se résoudre à l'en détacher. Il s'en fallu de peu pour qu'elle ne se fasse repérer, la cible ayant subitement tourné la tête dans sa direction. L'individu s’immobilisa un instant, scrutant les environs, comme s'il se doutait de leur présence. A leur grand soulagement, il reprit son chemin et pénétra dans la chapelle.

Seyia, tournant les yeux vers le ciel, laissa échapper un souffle de soulagement. Elle venait d’échapper de justesse à une erreur monumentale, mais tout n'était pas réglé pour autant. Le fin mot de l’histoire restait à découvrir. A savoir, qu'est-ce que cet individu à l'apparence suspecte, trafiquait dans cette chapelle en pleine nuit ? La vision d'horreur de ce visage mutilé, de ces signes étranges scarifiés en lieu et place des yeux, restait gravée dans son esprit. Vêtu d’une toge noire et d’une large capuche, un peu à la manière d'un ascète, le suspect n’inspirait cependant aucune sympathie.

Les tueuses se regroupèrent devant la grande chapelle de bois. La bâtisse, imposante, était soutenue par deux piliers de chaque côté de l’entrée, tandis qu’une énorme croix surplombait son sommet.

─ Alors ? reprit Léa écœurée. Vous avez vu ce que j'ai vu, ce type était flippant non ?

─ Et son regard, renchérit Héléna. rien que d'y penser, j'en ai encore la chair de poule. Il avait l'air aveugle et pourtant, il se déplaçait comme si de rien était.

Seyia, distraite et absente de la discussion, semblait porter son intérêt ailleurs. Elle scruta les alentours et tourna sur elle-même comme éprise d'un vertige. Des sueurs froides ruisselèrent le long de son front.

─ Euh les filles, je crois qu'il y a quelque chose de pas normal ici.

Ses coéquipières la dévisagèrent, se demandant à quoi elle pouvait bien faire allusion.

─ Si tu parles de cette sorte de moine qui s'est mutilé la face, avança Joy avant d'être interrompue aussitôt.

─ Non, regardez autour de vous ! tout est... mort.

En inspectant rapidement les environs, elles furent stupéfaites de constater que la faune autour  de la chapelle, sur une circonférence de plusieurs mètres, avait été complètement vidée de toute vie. L'essence vitale des arbres et de la végétation semblait avoir été drainée par un phénomène mystérieux. Le contraste en était d'autant plus saisissant que dans les zones à peine plus éloignées, tout paraissait parfaitement intact.

─ Bon sang, mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ? s'inquiéta Héléna. C'est comme si tout avait été cramé autour de la chapelle. Je n'aime pas la tournure que ça prend.

─ Je sais, acquiesça Seyia. Et j'en connais un qui pourrait avoir des réponses. On va forcer l'entrée, alors surtout restez sur vos gardes. Quoiqu'il arrive, les réponses se trouvent à l'intérieur de cette chapelle. Héléna, Joy, positionnez-vous de chaque côté de la porte, et toi Léa, tu surveilles mes arrières. Je ne voudrais pas qu'on nous prenne par surprise.

Les filles acquiescèrent et chacune joua son rôle. Seyia s'approcha de la grande porte en silence, puis fit un signe de la main pour annoncer son entrée imminente. Joy mima le compte à rebours, alors que sa cheffe attendait avec une concentration intense. Forte de ses appuis, Seyia bascula son poids vers l'avant et, de sa jambe puissante, fracassa la porte qui s’effondra dans un nuage de poussière.

La jeune tueuse, souhaitant bénéficier de l’effet de surprise, s'élança prestement dans l'antre, suivie de ses coéquipières. Le pieu levé, elles étaient prêtes à affronter toute menace. Pourtant, lorsque la poussière se dissipa, elles ne trouvèrent aucune trace de l'individu. Seules, deux sépultures de marbre, placées l'une à côté de l'autre, encombraient l'espace. Les tueuses inspectèrent l'intérieur de la chapelle sans y déceler la moindre issue apparente, ni récolter le moindre indice.

─ Ok, ça, je ne m'y attendais pas, constata Seyia désemparée. Ce mec est un magicien ou quoi ? Il n'a pas pu disparaître comme ça.

Joy posa une main amicale sur son épaule avant de porter son attention sur les deux tombeaux.

─ Il n'y a pas de doute, assura-t-elle confiante. Il n'a pas pu sortir d'ici donc la solution se trouve sous notre nez. Il va falloir les ouvrir.

─ T'es sûre que ça ne va pas nous porter malheur? s'inquiéta Héléna, désenchantée à l'idée de profaner un cercueil et de se retrouver nez à nez avec un squelette.

─ Il y a une façon précise de ne pas déranger les morts inutilement, s'avança Joy. Il suffit juste de frapper à la bonne porte.

Elle s'approcha du tombeau à sa gauche et tapota dessus avec son poing, attentive à la résonnance qui en émanait. A la perception du bruit sourd, elle n'eut pas l'air satisfaite et s'attaqua au deuxième tombeau, en répétant la même gestuelle. C'est alors qu'un petit rictus apparut au coin de ses lèvres.

─ Eh bien voilà, on y est. Vous entendez ce bruit ? Ça signifie qu'il y a du vide en dessous. Notre suspect est bel et bien passé par là. Allez, aidez-moi à enlever ça.

Héléna et Joy s'attelèrent à déplacer le lourd couvercle sur le côté, mais la tâche se révéla plus ardue que prévu. Malgré tous leurs efforts, le couvercle refusait de bouger.

─ Seyia ! l'interpella la brune caractérielle. Un peu d'aide ne serait pas de refus. Après tout, être cheffe ne te dispense pas de te salir les mains.

La principale intéressée ne prit pas la peine de répondre. Seyia s'approcha de la tombe, puis caressa délicatement la matière granuleuse de sa main. Elle ferma les yeux et se laissa guider par son instinct. Sa paume explora minutieusement la surface en béton, dans la volonté d'en percer le secret.

─ Prêter attention au moindre détail, se laisser porter par son instinct, voir ce qui ne peut être vu, marmonna-t-elle en récitant les principes fondamentaux de la tueuse enseignés par ses pairs.

Ses partenaires observèrent la scène avec incrédulité, allant jusqu'à douter du bien être mental de leur amie. C'était la première fois qu'elles la découvraient dans cet état de démence, à déblatérer des paroles apparemment dépourvues de sens. L'hypothèse d'une possession se mit à germer dans la tête de Léa, qui s’imaginait déjà devoir faire appel à un prêtre pour procéder à un exorcisme.

─ Tu es certaines que ça va ? s'inquiéta Joy en retrait.

En pleine concentration, Seyia interrompit son mouvement sur un point précis. Elle ouvrit les yeux et appuya sur un renfoncement, déclenchant ainsi le mécanisme d'ouverture. Le couvercle du tombeau glissa lentement sur le côté dans un grincement assourdissant, révélant un escalier qui plongeait dans les profondeurs obscures des bas-fonds.

─ Comment as-tu su qu'il y avait un mécanisme ? s'étonna Héléna

─ C'était évident. Si les forces cumulées de deux tueuses n'ont pas suffi à ouvrir ce tombeau, je ne vois pas comment un seul individu aurait pu y arriver. Il y avait forcément un interrupteur caché quelque part. Le tout était de le trouver. Reste à savoir ce qui se trouve en bas.

─ Je ne sais pas pourquoi, mais je ne suis pas vraiment pressée de le savoir, avoua Joy. Je crois vous l'avoir déjà dit mais j'ai un mauvais pressentiment. Je le sens vraiment pas.

─ Il va falloir veiller les unes sur les autres et tout se passera bien, la rassura Seyia avant de prendre la tête de l'excursion et d'arpenter l'escalier en s'enfonçant dans la pénombre.

*

Les tueuses tâtonnaient dans l’obscurité, en s'aidant des parois murales pour se repérer dans un espace sans visibilité. Chacune gardait une main posée sur l'épaule de celle qui la précédait, une méthode efficace pour rester grouper et s’assurer qu’aucune ne manque à l’appel. Malgré leurs caractères souvent aux antipodes, les automatismes s'étaient perfectionnés au profit d'une connivence de groupe mise à rudes épreuves.

Les tueuses déambulèrent à l'aveuglette pendant un moment, jusqu'à apercevoir au loin, l'ombre d'une flamme dansante contre les parois. Leurs pas, jusqu'alors hésitants, regagnèrent en assurance, à mesure de leur visibilité renforcée. Parvenues au bout du couloir, elles accédèrent à un vaste espace troglodyte, éclairé de manière rudimentaire par des torches de bois brûlés. Cette excavation tenait plus de la caverne que d'un espace aménagé.

Le sol argileux était jonché en son centre d'une masse informe, dont l’odeur nauséabonde ne laissait rien présager de bon. L'air, saturé de cette puanteur, en devenait irrespirable pour les jeunes filles désormais éprises de nausées. La main obstruant ses narines, Seyia décrocha une torche enflammée pour éclaircir son champ de vision. A mesure de son approche, la masse difforme et malodorante dévoilait sa véritable nature. Seyia redoutait le pire. Son cœur cognait si fort, qu'elle le sentait battre dans sa gorge. Son estomac se noua. La tueuse se trouvait face à une vision cauchemardesque, de celles dont on ne se remet jamais vraiment.

Ce qu'elle distinguait à peine dans la pénombre se révéla sous la lueur tremblante de la torche : un alignement de cadavres démembrés et éviscérés, présentant à quelques endroits, des ecchymoses. Les corps baignaient dans une mare de sang en expansion. Lorsqu'elle baissa les yeux, elle découvrit les semelles de ses chaussures imbibées de ce fluide écarlate.

D'un rapide coup d’œil derrière son épaule, Seyia considéra le reste de l'équipe. Aucun mot n'était capable de caractériser cette expression d’effroi dans leurs regards. La tueuse se força néanmoins à imprimer dans sa rétine cette scène macabre. Plus elle observait, plus les détails sordides de ce massacre amplifiaient son dégoût. Des centaines de vers se nourrissaient de la chair des cadavres en décomposition, mais le plus écœurant résidait ailleurs : Tous les corps déchiquetés et mutilés appartenaient, sans exception, à des jeunes filles dans la fleur de l'âge. Ce constat renforçait d'autant plus le sentiment d'empathie à leur égard.

La disposition des corps et la tranche d'âge suggéraient un sacrifice rituel de jeunes vierges.

─ Qui peut être capable d'un acte aussi barbare, s’insurgea Seyia, à deux doigts de vomir. On sait à quoi on a affaire maintenant. Qu'il soit seul ou accompagné, hors de question de laisser un seul survivant.

Sans crier gare, une horde de moines armés de poignards jaillit de toutes parts. Les tueuses se retrouvèrent piégées dans une fosse, sans avoir remarqué les galeries creusées quelques mètres au-dessus de leur tête, desquelles surgissaient ces assassins.

─ C'est un traquenard, hurla Joy.

─ On se rassemble, cria Seyia en évitant un coup mortel à la gorge.

La tueuse planta son pieu dans la chair du moine qui tomba inerte, dans un silence de mort.

Afin de gagner quelques précieuses secondes, Seiya se débarrassa de la torche qu'elle tenait en main, en la projetant sur la toge d'un assaillant. Le moine prit feu subitement, et par effet de conduction, engendra un embrasement en chaîne généralisé. Profitant de ce bref répit, les tueuses se regroupèrent dos à dos, adoptant une position défensive qui tirait parti de leur proximité.

La horde ennemi, supérieure en nombre, et bénéficiant de l’avantage du terrain, menaçait de les submerger. Une dispersion de leurs maigres effectifs les rendrait encore plus vulnérables. Seule la solidarité et l'entraide leur permettraient de résister dans le temps. Seyia dégaina le sabre chinois attaché à son dos, tandis que ses coéquipières, à l'exception d’Héléna plus prompt à utiliser son arbalète, brandissaient agressivement leurs pieux, prêtes à se défendre.

─ Si on doit tomber, alors ils tomberont avec nous, ordonna Seyia d'une voix claire et limpide. C'est le moment de se lâcher. On tranche dans le vif.

La première offensive ne se fit pas attendre. Les moines aveugles se ruèrent, poignards à l'appui, sur le petit groupe prêt à les recevoir. Les sourcils froncés, Héléna décocha une salve de flèches qui fauchèrent sèchement les premiers assaillants. Profitant de l’ouverture, la cheffe d'escouade se jeta dans la mêlée. Son sabre esquissait des trajectoires illisibles pour ses adversaires, tranchant tous membres qui se trouvait à portée de sa lame. Comme une berserker enragée, Seyia frappait avec une telle violence, que ses coéquipières durent redoubler d’efforts pour suivre son rythme effréné.

Léa et Joy, conjuguant leurs efforts, parèrent les coups mortels et ripostèrent avec détermination. A court de pieux, elles s'adaptèrent en utilisant leurs poings avec une efficacité redoutable. Malgré le désavantage du nombre, les tueuses parvinrent à repousser la première vague sans essuyer trop de dégâts, si ce n'est quelques éraflures inévitables dans une bataille aussi féroce. Incapables de tout esquiver, elles se concentraient avant tout sur les attaques létales, quitte à subir des blessures plus légères.

Leur soulagement fut de courte durée, car à peine avaient-elles neutralisé la première vague que d'autres moines prirent aussitôt la relève, sans la moindre interruption.

─ Aller on ne faiblit pas, encouragea Seyia, dans le vacarme ambiant.

Après avoir paré un coup de couteau de son avant-bras, elle transperça, de la pointe de son sabre, l'abdomen de son opposant. Dans une éclaboussure de sang, elle extirpa sèchement sa lame du corps agonisant, avant de passer au suivant qu'elle élimina avec la même brutalité. Héléna, en manque de munition, projeta son arbalète de toutes ses forces, sur un crâne encapuchonné. Sous l'impact, l’assaillant s’effondra, incapable de se relever.

─ Si ça continue comme ça, on ne va pas tenir bien longtemps. Il en arrive toujours plus.

Héléna utilisa l'élan de son adversaire pour l'envoyer valdinguer avec une puissance telle qu'il percuta bon nombre de ses congénères dans la voltige.

─ Il faudra bien, enchaîna Léa.

Prise dans la mêlée, cette dernière laissa échapper un gémissement avant de s’effondrer au sol, genoux à terre, blessée par un coup de poignard en pleine cuisse. A proximité, Joy eut le réflexe salvateur de s'interposer, en envoyant valser l'agresseur d'un puissant coup de pied. Réduites à trois, les tueuses adoptèrent une position défensive en triangle autour de leur coéquipière en difficulté.

─ Léa a été touchée ! hurla Joy exténuée. Il faut qu'on sorte de là.

─ Ah oui, et par quelle issue ? fit remarquer Héléna en pleine lutte pour sa vie.

─ Il faut qu'on trouve une ouverture ou on va finir par toutes y passer, soutint Seyia en se débarrassant de quelques adversaires au passage.

Les tueuses se recroquevillèrent sur elles même, protégeant d'un seul corps leur partenaire fortement diminuée. Chacune d’elles luttait pour la survie du groupe, mais à force de s’épuiser contre des adversaires toujours plus nombreux, leur résistance farouche commençait à s’effriter. Encore un peu et elles s'en iraient garnir ce décor macabre.

A cette pensée néfaste, la cheffe d'escouade se ravisa. Ce n'était pas le moment de céder à la panique ou au défaitisme. Pas après s'être exercé toutes ces heures à un entraînement mental auprès de son mentor. Il existait forcément une solution et elle se trouvait devant ses yeux. Le couloir d’en face, bien qu'obstrué, représentait leur seule échappatoire possible. Atteindre la cible, aller droit au but, ne pas penser à le faire mais le faire tout simplement, foncer comme une flèche, droit devant. Face à elle, aucune entrave, hormis celle de l'esprit.

─ Suivez-moi, annonça-t-elle pleine de conviction et de confiance. La sortie est par là.

Transcendée par une volonté inébranlable, Seyia s'élança en ligne droite sur ses opposants, déterminée à percer leur défense et à créer un passage vers la sortie. Son corps se mouvait dans l'espace avec vigueur et relâchement. Instinctivement, elle parait les coups de poignard et contre-attaquait sans même penser à le faire. Ses adversaires tombaient tour à tour, sous ses coups de sabre d'une efficacité dévastatrice telle, que sa lame se teinta progressivement d'un rouge abondant.

Soutenant la blessée à bout de bras, Joy et Héléna profitèrent de l'ouverture créée par leur cheffe pour suivre le pas. A force d'acharnement, Seyia libéra une voie menant au couloir sombre qu'elles avaient emprunté en arrivant. Sans se retourner, elles se précipitèrent dans le néant.

Derrière leur talon, les pas de leur assaillants résonnèrent sur le sol humide. L'escouade, fortement ralentie par la blessure de Léa, perdit peu à peu du terrain. A ce train-là, leurs poursuivants, nullement entravés dans leur course, allaient bientôt les rattraper. Bien qu'aveugles, les moines n'avaient aucun mal à se mouvoir dans la pénombre, contrairement aux tueuses, qui, malgré leurs yeux grands ouverts, n’y voyaient guère mieux. Résigné, Seyia prit la décision de gagner du temps pour ses amies. Elle s'arrêta brusquement, laissant Joy et Héléna continuer seules à soutenir la blessée vers la sortie. Absorbées par leur tâche, ces dernières n'avaient pas remarqué la défection de leur camarade restée en retrait.

Seyia fit volte-face et ferma les yeux, se confondant silencieusement dans l'obscurité. la tueuse canalisa toute son attention sur les claquements de pas qui se rapprochaient inexorablement de sa personne. Ne pouvant se fier à la vue, rien ne l’empêchait de se focaliser sur ses autres sens. Alors, elle inspira profondément et détendit tous les muscles de son corps. Les pieds solidement ancrés à la terre, elle perçut les infimes vibrations causées par les enjambées chaloupées des moines aveugles. Un afflux d'air caressa son visage, l’avertissant du coup imminent qu'elle esquiva d'un simple hochement de tête. Tout lui apparaissait désormais clair comme en plein jour. Le temps semblait s'être ralenti. Elle anticipait chaque trajectoire avec une précision redoutable, au point de devenir intouchable.

Se retirant dans un timing parfait, elle esquiva la lame tranchante de son adversaire et répliqua d'un coup de pied au bas ventre. La puissance du coup porté le fit littéralement décoller du sol avant qu'il ne soit avalé par le néant. Seyia enchaîna un autre moine d'un coup de poing au menton, suivi d'un balayage brutal qui brisa l'articulation de son genoux. Le suivant n'eut guère plus de chance : d’un coup de sabre précis, elle lui trancha le poignet, le privant de son arme avant de poursuivre son mouvement d’un même élan. Une fraction de seconde plus tard et la tête de son adversaire roula sur le sol. Cet état de plénitude et de grâce ne dura malheureusement pas.

La légèreté fit place à la lourdeur, et la vigueur à l’épuisement. Son état second venait de la quitter brusquement, et le contre-coup n'en fut que plus terrible. Invincible il y a peu, Seyia apparaissait désormais apeurée, désorientée dans l'obscurité et dans l'espace, ne sachant plus quelle direction privilégier. Prise de panique, la douleur vive d'une lame perçant son épaule, entraîna une réaction inconsciente, presque mécanique. Au hasard d'un mouvement, sa lame toucha sa cible. Sans attendre, elle se précipita dans le sens opposé et trébucha ici et là en se tamponnant contre les parois murales.

A tâtons, elle retrouva l'escalier menant à la surface. Chaque marche lui parut une montagne à gravir. Le souffle court, elle entrevoyait un infime espoir de s'échapper. Il ne lui restait qu’à  courir, droit devant, sans s'arrêter, sans se retourner, en espérant que ses jambes ne la trahissent pas.

L'air libre, le souffle du vent et le froid nocturne, furent pour elle une délivrance. Hors de cette satanée chapelle, les deux mains posées sur ses genoux, la tueuse chercha son second souffle, crachant la salive au goût cuivré imprégnée à son palais. Lorsqu'elle leva la tête, elle découvrit ses partenaires totalement immobiles, le regard fixe et la mine grave. Elles étaient parvenues à se sortir de ce guêpier, mais l'extérieur n'en présentait pas moins un danger réel, au regard des moines qui leur barraient toute voie de retraite. Plus grave encore, les retardataires rappliquèrent dans la foulée, les prenant ainsi en étau.

Finalement, les tueuses se retrouvèrent à l'air libre, mais dans une situation toute aussi desespérée que dans les bas-fonds, sauf qu'à la différence de leur récente escapade, l’énergie leur faisait cruellement défaut.

─ Bon sang, mais combien ils sont ? fit Héléna désespérée

─ Beaucoup trop à mon goût, soupira Seyia qui peinait à se maintenir debout, éreintée de tous ses efforts.

─ Bon, continua Joy. Je ne sais pas vous, mais moi, c'est à peine si j'arrive à bouger le petit doigt. Alors si quelqu'un à une idée là, tout de suite, je ne serais pas contre.

─ Je suis désolée, s'excusa Léa. On peut dire que j'ai tout fait foirer. Sans moi, vous auriez pu avoir une chance de vous en sortir.

─ Arrêtes de dire des bêtises, reprit Joy. On est une équipe et on ne laisse personne derrière. Tu aurais fait la même chose pour nous.

Seyia s'avança au-devant du groupe.

─ Faut croire qu'on à la poisse. Depuis que j'ai pris les rênes de l'équipe, on n'arrête pas de tomber sur des situations désespérées. Bon les filles, il va falloir se battre. Tant qu'on tient encore debout, rien n'est encore perdu.

La brune tenta d'amorcer un début de révolte, mais au fond, elle savait que les chances de survie face à un nouvel assaut étaient proches du néant. Alors que les moines se ruèrent sur elles, un grondement de moteur suivi d'un crissement de pneus, détourna brusquement l’attention. Le néon d'un phare perça la nuit de sa lumière aveuglante avant de déambuler en trombe sur les lieux. L'engin transperça les lignes, en percutant de plein fouet quelques moines qui furent balayés sur le côté avec une violence inouïe.

La passagère de la moto se redressa sur la selle avec la grâce d'une équilibriste, les cheveux au vent, et le corps aligné en forme de croix. En projetant son corps vers l'arrière, elle acta un saut périlleux qui défia les lois de l'apesanteur, et se réceptionna habilement sur la stèle d'une tombe. Telle une déesse, elle surplombait les ascètes de sa hauteur. Sans attendre, elle s'élança dans la mêlée. Ses poings meurtriers fendirent l'air pour percuter la mâchoire trop fragile de sa première victime.

Témoins de la puissance surhumaine de la diablesse, les moines un temps hésitants, se décidèrent à tenter leur chance. Incapables de rivaliser, ils mordirent tour à tour la poussière. Ce fut rapide et brutal. Des coups de poing dévastateurs, ainsi que des mouvements de hanches fulgurants et lestes, leur infligeaient des dégâts irréversibles. Le sourire carnassier, la déesse démone se délectait de pulvériser ses adversaires du soir en lambeau. Sentir les os craquer, les nuques brisées sous ses doigts, lui procurait une jouissance insatiable, au grand dam de ses ennemis bien mal pourvus malgré leur poignards.

Dans une danse macabre, elle alternait d'un adversaire à l'autre avec une agilité presque féline. Esquivant aisément les lames meurtrières à son encontre, la démone ne leur laissa pas la moindre chance, et chaque tentative adverse se soldait par une mort foudroyante. Ainsi, un moine se fit défoncer la boîte crânienne par sa propre lame. Un autre fut agrippé à la gorge et soulevé au sol comme une poupée de chiffon, son corps se tordant sous la pression avant que le craquement de sa trachée n’annonce sa fin.

Telle la faucheuse, la démone avança à l’encontre des deux derniers opposants qui l'attaquèrent simultanément. D'une prise, elle agrippa leurs poignées et tournoya sur son centre avant de les envoyer s'encastrer contre les stèles environnantes, brisant leur os et peignant les tombes de leur sang. Ce même sang que l'on retrouva sur le phare aveuglant de la Harley roulant à vive allure, slalomant entre les tombes et heurtant de plein fouet tout ce qui se trouvait à sa portée.

Le manteau de cuir volait dans le vent et claquait dans l'air au moindre dérapage un peu trop brusque. Le pilote fauchait ses victimes sans pitié, comme un messager de la mort sur sa monture. Malgré le rapport de force en leur défaveur, il persistait toujours quelques audacieux à proximité de la chapelle. Ces moines auraient pu fuir, mais leur fanatisme les condamnait à rester, indifférents à leur sort.

L'homme aux cheveux peroxydés descendit de sa bécane, dans l'envie irrépressible de faire parler ses poings. A mesure qu'il s'engageait, son visage se métamorphosa en celui d'une bête assoiffée de sang. Il laissa alors libre court à sa sauvagerie, chaque coup porté jalonnant son parcours d'une pluie écarlate. Poings, genoux, coudes, tête : toutes les parties de son corps cognèrent avec la même efficacité. Son dernier opposant tenta de le poignarder mais l'individu au long manteau noir se décala sur le côté, puis d'un coup sec, lui brisa la nuque.

Suite à ce déchaînement de violence, son visage retrouva forme humaine. Le vampire se dirigea aussitôt vers les tueuses, totalement circonspectes quant à ce spectacle macabre difficilement interprétable. C'est alors que de la chapelle émergèrent d’autres acharnés, prêts à se battre jusqu’au bout.

─ Ils sont encore nombreux, constata la démone. Je ne comprends pas pourquoi ces êtres si faibles persistent à vouloir mourir.

Le vampire enfourcha sa bécane et fit rugir le moteur avec une détermination féroce. La main sur l'accélérateur, il bloqua la roue avant sur place, tandis que la roue arrière, creusant profondément le sol argileux, souleva un immense nuage de poussière. Décidé à lâcher les chevaux, il fonça à toute allure en direction de la chapelle, à la manière d'un kamikaze. Amorcée par son centre de gravité, la roue avant ne touchait plus terre. Le vampire attendit la dernière seconde pour se jeter du véhicule en marche, avant de se réceptionner de quelques roulades sur le sol poussiéreux.

La moto, désormais hors de contrôle, s'encastra violemment dans la chapelle, déclenchant instantanément un embrasement qui ne laissa aucune chance aux moines à l'intérieur. Leurs toges prirent feu, ainsi que leur chair, sans qu'un seul gémissement ne perce le silence glacé de la nuit. La structure du bâtiment, rongée par les flammes, s'effondra sur elle-même, tandis que la croix sur la devanture flambait d’une teinte rutilante. Quelques flocons de neige venaient fondre à proximité du mausolée en feu.

Le vampire, impassible, sortit une cigarette et l’alluma au contact des flammes dévorant la chapelle. L'individu simula l'inspiration d'une longue bouffée, comme une récompense, un soulagement après s'être adonné corps et âme à sa folie meurtrière.

Les tueuses, ne sachant plus à quel saint se vouer, restaient sur la défensive.

─ Vous pouvez laisser tomber vos armes, on est dans le même camp, annonça-t-il

─ Ça, c'est à moi d'en juger, répondit Seyia incrédule. Je sais ce que vous êtes. J'ai vu votre visage hideux. Vous êtes un vampire et je suis une tueuse.

─ Je m'appelle Spike. Je suis un vampire, c'est vrai, mais j'ai une âme. Si j'avais l'intention de vous tuer, crois-moi ma jolie, ce serait déjà fait. Vu votre état, je n'aurai aucun mal.

─ Spike ? s'étonna Léa. J'ai déjà entendu parler de vous. Vous voulez dire que vous êtes ''Le Spike'', le vampire qui a aidé Buffy à sauver le monde ?

─ Alors vous connaissez Buffy ? enchaîna-t-il avec une lueur d'espoir dans les yeux.

─ Et comment qu'on la connaît, reprit Héléna. C'est le boss. On peut te conduire à elle si tu veux.

─ Oh stop ! la coupa Seyia. Vous faites confiance à un inconnu ? Et puis qui nous dit que c'est bien le Spike dont on a entendu parler. Et si c'était un piège de plus ?

─ Mais réfléchis, continua Héléna. Si c'était un ennemi, pourquoi nous aurait-il sauvé la vie ? Et admettons que ce soit un piège, ça reste un vampire. J’te rappelle qu'on est une armée de tueuses. Ce serait beaucoup plus risqué pour lui que pour nous.

Spike resta silencieux. Il avait parcouru tout ce chemin pour retrouver Buffy et désormais qu'il était prêt du but, ses craintes remontaient à la surface. Comment réagirait-elle en le voyant ? Il avait été absent si longtemps. De l'eau avait coulé sous les ponts depuis son sacrifice pour sauver le monde. La tueuse avait toujours occupé toutes ses pensées, et une certaine appréhension l’animait à l'idée de la revoir. Rien que d'y penser, il sentit sa poitrine se serrer.

Restée en retrait jusque là, Illyria se décida à prendre part au rassemblement.

─ Nous avons fait tout ce chemin pour trouver une simple tueuse. De mon temps, ils étaient craints, mais aujourd'hui, vous n'êtes guère plus que des êtres faibles, vraiment sans intérêt.

La déesse démone ne s’embarrassa pas de délicatesse, un comportement qui irrita considérablement Seyia et sa bande.

─ Qu'est-ce que tu veux dire par « ils » lança Joy d'un air mauvais. Les tueuses ont toujours été seules jusqu'à ce que Buffy change la donne. Et les tueuses sont toutes sans exception des femmes, aussi devrais-tu employer le « elles »

La déesse démone hocha la tête, ne saisissant pas où la jeune tueuse voulait en venir. Spike qui sentait la situation s'envenimer, s'interposa.

─ Ah oui et elle, c'est Illyria. Elle a l'air austère comme ça quand on ne la connaît pas, mais... En fait, quand on la connaît, c'est encore pire. Mais on n’est pas là pour se faire des politesses. Qu'est ce qui se passe ici ? qui vous a attaqué ?

─ Je ne sais pas. Je n'avais jamais vu ces types avant, précisa Seyia. Ce sont des assassins. Ils ont commis des crimes impardonnables.

Illyria, après s’être éloignée pour récupérer un cadavre inerte gisant sur le sol, le balança sans ménagement aux pieds de Spike.

─Ces êtres sont étranges. Ils ont de drôles de signes à la place des yeux.

Spike observa le moine avec une attention toute particulière.

─ C'est pas vrai, il manquait plus que ça, soupira-t-il de dépit.

─ Tu les connais ? demanda Seyia fortement intéressée.

─ Si je les connais ? J'ai déjà eu affaire à eux par le passé. Ce sont des Bringers. Les suppôts de l’entité qui a failli détruire le monde. On avait déjà Wolfram et Hart sur le dos et maintenant ces illuminés. Je crois que ça ne peut pas être pire.

Laisser un commentaire ?