Shanshu - La suite des aventures d'Angel et Buffy
Chapitre 9 : Episode 9 - Devoirs et sentiments
9320 mots, Catégorie: M
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EPISODE 9 : DEVOIRS ET SENTIMENTS
La résidence d'Eaglewood était située en périphérie de la ville, isolée en pleine campagne. Cet ancien manoir, autrefois filiale de la maison mère de Londres, servait à l’époque de base pour une cohorte d’observateurs. Leur mission consistait jadis à veiller sur la bouche de l'enfer présente en ces lieux. Désormais la demeure appartenait à Sir Rupert Giles, l'un des rares survivants du massacre organisé.
L'observateur avait fait de cet endroit un repère pour les tueuses, dans le but de lutter contre la forte activité démoniaque sévissant dans la région. Ce bâtiment discret possédait la particularité d'abriter, en son sein, la plus puissante armée du monde, et cela, sans éveiller le moindre soupçon.
Willow, la sorcière, avait usé de sortilèges pour assurer une protection autour du bâtiment contre les éventuels curieux ayant dans l'idée de s'y aventurer. Elle y avait passé un temps fou, à déverser de la poudre incantatoire sur tout le périmètre extérieur, afin de dresser une barrière pour quiconque n'était pas marqué du sceau, une sorte de clé intangible assurant le libre accès aux habitants. La seule entrée officielle se trouvait bloquée par un grand portail, muni de caméras balayant la zone. Toutefois, il existait une autre issue moins conventionnelle, donnant sur un parking souterrain relié à la grande route principale. Cette sortie, à quelques minutes en voiture du centre-ville, leur offrait une précieuse réactivité en cas de besoin.
Le manoir, d’architecture gothique, s’élevait sur trois étages, surmonté d’un dôme de cristal implanté tout récemment. Des travaux de rénovation avaient été entrepris pour y aménager le poste de commandement, centre névralgique de toutes les opérations de terrain. En dehors du hall d'entrée plutôt vide où siégeaient quelques fauteuils et tables basses uniquement réservés à la détente, le bâtiment se divisait en deux parties bien distinctes.
L'aile Ouest était essentiellement réservée aux quartiers des troupes, avec, au rez-de-chaussée, une vaste salle à manger et une cuisine commune, essentielles à la détente et à la bonne teneur des relations de groupe. Les autres étages se composaient de chambres individuelles, offrant à chacun un espace privé pour se reposer et se ressourcer.
A l’opposé, l'aile Est constituait la partie fonctionnelle et opérationnelle du manoir. Le rez-de-chaussée abritait une salle dédiée aux soins et à la prise en charge des blessés, ainsi qu’une armurerie où les combattantes venaient s'approvisionner en armes et en équipements. Le premier étage comprenait une immense pièce consacrée à l’entraînement quotidien, avec toutes sortes de machines servant à entretenir la condition physique des combattantes. Le niveau du dessus se composait de deux salles majestueuses. L'une était réservée à Willow et à la pratique de la magie. L'autre, sobrement décorée d’une bibliothèque et d'un bureau, appartenait à Giles. Le dernier étage, exclusivement réservé aux membres du Scooby Gang, accueillait une petite salle de réunion, prolongée de leurs appartements personnels. Cet espace représentait leur petit cocon, un refuge dans lequel ils pouvaient se retrouver comme au bon vieux temps, autour d'une table. Tout avait été aménagé en ce sens, afin de préserver une certaine intimité, une nécessité précieuse compte tenu du nombre de personnes et donc de problèmes en tout genre avec lesquelles ils devaient traiter chaque jour. Enfin, au sommet, trônait la salle de commandement, le dôme où Alex et son assistante avaient pour mission de gérer la liaison entre le manoir et les missions extérieures.
─ Bien Faith, on prépare une unité médicale et on vous attend. Buffy est sur le retour elle aussi. Bien reçu.
Alex coupa alors la transmission avant de reprendre, hors micro.
… Leïna, contacte l'unité médicale. Il faut préparer des couchettes en plus. Il y a plus de blessés que prévus.
─ Encore une mauvaise nouvelle, s’inquiéta la belle blonde. Ok, je prends la ligne.
La base de commandement, dotée d'une multitude d'écrans incurvés alignés les uns aux autres, offrait une vue d’ensemble depuis n'importe quel angle de la pièce. Alex en était le commandant. Son rôle consistait à appuyer les filles sur le terrain. Il devait rester en contact constant pour leur fournir des informations cruciales et garder un œil sur elles en cas de pépins, ce qui se révélait plus souvent la norme que l’exception. Une jeune femme magnifique aux cheveux blonds ondulés et aux grand yeux gris bleus, l’assistait dans cette tâche.
Habillé d'un simple jean et d'un haut kaki, Alex arborait une allure de militaire, tandis que Leïna, dans son sweat rouge et son pantalon en toile, affichait un style plus décontractée. Les deux comparses étaient éreintés de leur longue soirée à naviguer sur tous les fronts. Cela faisait quelques heures qu'ils n'avaient pas eu un seul moment de répit, et ils attendaient impatiemment le moment où ils pourraient enfin relâcher la pression.
─ C'est incroyable, constata le borgne. Plus le temps passe et plus j'ai l'impression que l'activité démoniaque s'intensifie. Je n'ai pas vu ça depuis... en fait, je n'ai jamais vu ça.
─ Les choses deviennent compliquées, répliqua Leïna en gardant ses yeux rivés sur les écrans. Cela dit, les troupes font du bon boulot, mais si les effectifs ne cessent de diminuer, on va finir par se retrouver à court de personnel.
─ L'époque où je faisais la chasse aux vampires avec Buffy et Willow me manque. Giles et Willow enquêtait, Buffy mettait la raclée aux démons et moi je préparais les sandwichs.
Leïna le fusilla du regard.
─ Qu'est-ce que tu veux dire par là Harris. Tu prétends que la vie était plus belle avant de me connaître ?
Alex s'approcha pour enlacer la jeune femme qui lui tournait le dos.
─ Arrêtes de faire semblant de pas comprendre. Tu vois très bien ce que j'veux dire.
Il la ceintura par la taille.
… Tu es le rayon de soleil qui illumine ma vie.
─ Évite ce genre de phrase d'une mièvrerie sans nom, lui rétorqua-t-elle agacée. Un simple, je ne peux pas vivre sans toi aurait suffi.
Alex la retourna délicatement pour l'inciter à le regarder dans les yeux.
─ Je me demande pourquoi je craque toujours pour les plus caractérielles.
─ Peut être que c'est ta façon de compenser un manque, lui répondit-elle avant de l'embrasser passionnément, sans lui laisser le temps de répliquer.
Leur étreinte se prolongea, marquant le premier acte de détente d'une journée forte en rebondissements.
Les deux tourtereaux s'étaient rencontrés l'année précédente, en ces lieux mêmes. Alex venait de prendre la responsabilité de la base de commandement lorsqu'il fit la rencontre de la jeune demoiselle, fraîchement débarquée d’Angleterre.
La jolie blonde avait passé la majorité de son enfance dans la banlieue Londonienne. Giles l'avait ramenée avec lui lors de l'un de ces nombreux voyages à la maison mère. L’observateur, l'un des derniers encore au poste, s’était naturellement vu confier la tête du conseil. Leïna était la fille de l’un de ses ancien compagnon d'armes, à qui Giles avait promis de veiller sur elle comme sur son propre enfant. Il respecta sa promesse en lui offrant un poste à la hauteur de ses qualifications, et dans ce domaine, elle en avait à revendre.
Formée dans les meilleures écoles, la jeune femme avait suivi, avec succès, le cursus du parfait observateur, récoltant des résultats probants dans tous les domaines. Elle jouissait également d’une connaissance approfondie sur tout ce qui touchait aux sciences ésotériques et au mysticisme. Les bases de la magie n'avaient aucun secret pour elle. Quand l'envie lui prenait, elle allait peaufiner ses cours avec Willow, qui appréciait particulièrement ces échanges passionnés.
Le contexte familial de Leina avait également influencé sa formation. Son père, banni de l'Ordre pour d'obscures raisons, et la perte de sa mère alors qu'elle était trop jeune pour s'en souvenir, avaient laissé un vide que le conseil des observateurs s’efforça de combler. Sous la tutelle bienveillante de Giles, Leina avait trouvé un mentor attentif. Ce dernier avait toujours veillé sur sa petite protégée, et cela, même lorsqu'il s’était expatrié à Sunnydale.
Les premières cohabitations avec Alex furent pour le moins difficiles. Leurs visions et leurs méthodes différaient tant qu'ils semblaient irréconciliables. Les tensions s'étaient progressivement envenimées. Le brun supportait mal d'être rappelé à l'ordre par sa subordonnée, tandis que Leina n'acceptait pas de recevoir des directives d'une personne dont l’expérience académique ne représentait pas un dixième de la sienne. Malgré leur mésentente cordiale, le temps avait marqué son œuvre, et par esprit de conciliation, ils s'étaient évertués à mettre leurs divergences de côté pour le bien commun. Puis, une chose en entraînant une autre, sous l’effet désinhibant de l’alcool, ils avaient fini par avouer leurs sentiments, lors d'une soirée généreusement arrosée. Un accord fut établi pour ne rien dévoiler de leur relation à Giles, un peu trop protecteur envers la jeune femme. Jusqu'à présent, rien n'avait fuité, d’autant que l’absence prolongée de l'observateur, retenu en Angleterre pour des raisons professionnelles, leur accordait une certaine liberté.
─ Tu ne crois pas qu'on pourrait lui dire ? interrogea Alex en posant ses mains à ses épaules. Au début je trouvais ça un peu excitant de se cacher, de braver les interdits, mais honnêtement, je crois que j'ai passé l'âge pour ces petits jeux.
─ Ah bon t'as passé l'âge, toi ? Tu te sens trop adulte pour ces petits jeux mais ça ne te dérange pas de passer des heures à mater des films de super héros et à jouer aux jeux vidéo. Vous les Américains, vous êtes si pathétiques.
Les deux amants se délacèrent alors, créant entre eux une distance qui accentuait leur profond désaccord.
─ Hey, du calme, reprit-il en faisant signe de la main de faire retomber la pression. Alors premièrement, Shenmue, ce n'est pas un jeux vidéo, c'est de l'art, et ensuite, je ne regarde pas que les films de super héros. Tiens la dernière fois, j'ai regardé... Euh...
─ Avengers ! le coupa-t-elle dans sa réflexion.
─ Bon d'accord, c'était Avengers, mais j'ai toujours apprécié Joss Whedon. J'ai toujours trouvé que c'était un grand réalisateur.
─ Oui c'est bien ce que je dis. Tes goûts en matière de cinéma sont navrants, mais après tout, on a la culture qu'on mérite. Et pour ta gouverne, tous ces blockbusters Marveliens ne sont qu'un ramassis de débilités visant à faire de toi un consommateur compulsif. Tu es aveuglé par toutes ces paillettes d'effets spéciaux qu'on te jette au visage pour t’empêcher d'avoir une quelconque réflexion.
La belle blonde ne le ménageait pas. Ayant grandi avec une éducation des plus strictes, et ne s'étant jamais laissé aller à l'oisiveté et au plaisir des choses inutiles, la jeune femme ne pouvait décemment pas comprendre. Elle ne provenait pas du même milieu social, et elle se refusait de croire qu'une personne puisse être influencée et limitée par son environnement. Elle se plaisait à dire que tout à chacun, avait la chance de s'élever, et que ce n'était qu'une question de volonté, à commencer par la culture.
Leïna apparaissait bien souvent, aux yeux des autres, comme hautaine et snobe, et elle se sentait incomprise. De son point de vue, elle était simplement honnête et ne se rendait pas compte qu'elle pouvait blesser les gens autour d'elle sans le vouloir. A cet instant, pourtant, elle désirait vraiment lui faire mal, jusqu'à le pousser à bout. Sans trop savoir pourquoi, elle avait juste besoin que ça sorte.
─ Hé, drapeau blanc, c'est moi, tu te souviens, ton petit ami et accessoirement, ton supérieur hiérarchique, et je trouve qu'on s'éloigne un peu du débat là.
Alex, de son côté, essayait de tempérer pour éviter que les paroles ne prennent des proportions qu'ils ne maîtriseraient plus. Suite au décès d'Anya, le borgne avait traversé une longue période de deuil durant laquelle il s'était juré de ne plus se remettre en couple de sitôt. Tombé sous le charme de la blonde bien malgré lui, son âge le prédisposait désormais à une vie plus paisible, sans les conflits incessants qui l’épuisaient. La vie était trop courte et cela, il l'avait appris à ses dépens lors de ses innombrables péripéties au-dessus de la bouche de l'enfer. Alex avait survécu, lui-même se demandait encore comment, et la perte de son œil lui rappelait chaque jour la précarité de l’existence.
La jeune femme lui tourna le dos, et se réfugia dans un mutisme pesant. Les traits de son visage tirés laissaient transparaître l'ampleur de ses émotions, partagée entre colère, tristesse et amertume. Alex s'approcha d'elle en lui posant une main compatissante sur l'épaule.
─ Écoute, je suis désolé si je t'ai blessé, mais j'aimerais juste comprendre c'est tout.
L'expression sur le visage de Leïna se fit plus tendre, empreinte d'une mélancolie accentuant sa douceur et sa vulnérabilité. Elle se retourna alors, faisant face à son compagnon, et d’un geste délicat, lui caressa le visage, avant de placer ses bras autour de son cou.
─ Non, c'est moi qui suis désolée. Je ne sais pas ce qui me prend. Je suis là à te faire la morale alors que je suis la seule qui agit comme une gamine. C'est juste que...
Elle inspira profondément.
… Tu vas trouver ça ridicule.
─ Si ça peut te soulager, dis-toi que le ridicule ne tue pas, affirma-t-il en pointant son cache œil. Et si jamais tu l'étais, je ferai mine de ne rien en laisser paraître, promis.
La jeune femme esquissa un sourire fugace. Une lueur douce illumina ses traits.
─ Tu sais que Giles compte beaucoup pour moi. Je le considère comme mon père. Et s'il s'est enfin décidé à me prendre sous son aile, c'est parce qu'il a confiance en moi et en mes capacités de jugement. Qu'est-ce qu'il penserait s'il remarquait qu'au lieu de me donner corps et âme à mon travail, je passais mon temps libre avec toi, à profiter de notre couple. Je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il serait déçu et qu'il ne me ferait plus confiance.
Alex laissa échapper un gloussement étouffé avant de se ressaisir.
─ Dis-moi, ça fait un bail que tu n'as pas vécu avec notre bon vieux Giles. Tu sais, depuis son arrivée à Sunnydale, tu serais étonnée de voir à quel point il s'est dévergondé. Il est vrai que Giles peut paraître un peu réfractaire aux frivolités de la vie en apparence, mais je t’assure que ce n'est pas le cas. Mais le problème ne vient pas de lui n'est-ce pas ?
Il la dévisagea avec une intensité telle que la belle, prise de court, sentit son assurance vacillée.
─ Grrr, ce que tu peux m'énerver à lire dans le cœur des autres comme ça !
─ Oui, que veux-tu, des années de pratique ! Pour certaines, leur pouvoir consiste à lancer des sorts, pour d'autres c'est d'être incroyablement fortes, et pour moi c'est de lire dans le cœur des gens, mais ne ris pas : ça a déjà sauvé le monde, ironisa Alex.
─ Tu as raison. Ce n'est pas vraiment Giles le problème. Ça vient de moi. Je ne sais pas comment l'expliquer, mais j'ai l'impression de faire quelque chose de mal, et laisse-moi finir, dit-elle, interrompant son compagnon qui s’apprêtait à réagir hâtivement. On est là, tous les deux et c'est génial, j'aime faire ce que je fais, et travailler avec toi, c'est plus que génial, c'est inespéré. Mais quand on voit toutes ces filles qui vont se battre tous les jours et certaines qui ne reviennent jamais... Je ne peux pas m’empêcher de me sentir coupable d'être heureuse et de vivre tous ces moments, à l’abri, planquée pendant qu'elles risquent leurs vies. Je me sens inutile et lâche. Je sais que c'est bête mais c'est ce que je ressens.
Cette confession laissa place à un silence lourd de sens. Alex ne la comprenait que trop bien, ayant expérimenté bien des fois, cette culpabilité écrasante face à des situations où il se sentait complètement dépassé. Mais aujourd'hui, alors qu'il évoluait lui aussi en dehors de l'action, il percevait ce sentiment sous un angle totalement différent.
─ Je crois comprendre ce que tu ressens et il m'arrive aussi de m'en vouloir de ne pas être au contact de mes amis sur le terrain. Mais je sais aussi qu'il arrive toujours ce petit moment où ce petit bouton rouge clignote.
Il indiqua alors du menton, l'alarme sur le tableau de bord.
… Cette lumière qui accapare notre attention, comme autant de personnes dans le besoin qui comptent sur nous. On est là pour leur porter assistance, et on est leur dernier recours. Ils nous font confiance, jusqu'à nous confier leur vie, alors le moins que l'on puisse faire, c'est de ne pas douter de nous. Et puis, je ne suis pas persuadé que l'une d'entre elles échangeraient leur place avec la nôtre. Être toujours aux aguets, c'est épuisant à la longue. Enfin, pour ce qui est de notre relation, je ne veux pas passer mon temps à me demander si j'ai le droit de vivre ces moments avec toi, parce que je sais que la vie n'offre pas toujours de seconde chance. Et je sais que, quoi qu'il arrive, je ne veux avoir aucun regret.
─ Tu as raison Harris, t'es vraiment très fort pour parler, lui fit-elle remarquer avant de l'embrasser tendrement.
Dans leurs étreintes, ils en oublièrent les quelques clignotants rouges, pulsants sur l'ordinateur central. Heureusement, le report d'alarme se fit entendre d'un bruissement aigu et continu, les sortant expressivement de leur inattention. Alex se précipita aussitôt au micro.
─ Je prends la ligne. Alex pour alpha 2, j’écoute.
─ Robin pour Alex, on est de retour à la maison.
Le borgne jeta un coup d’œil attentif aux caméras surveillant le périmètre du site. Son regard capta un Humer noir qui arpentait lentement le sentier, en direction du portail automatique. En appuyant sur le bouton d'ouverture, le mécanisme s'activa et la grille coulissa sur le côté en y laissant pénétrer le véhicule de retour de mission.
Du haut de sa tour de contrôle, Alex avait accès à toute les alarmes, qu'il s’agisse d’intrusions, de problèmes techniques, ou d’incendie. Lorsqu'une anomalie survenait au sein du bâtiment, Leïna et lui s’en trouvaient les premiers avisés.
─ Comment va Faith ? s'inquiéta-t-il en tenant la ligne.
─ Disons qu'on a connu des jours meilleurs, répondit l’ex-proviseur qui semblait accuser le coup d'un retour de mission à problème. Je dois te laisser. On va à l'infirmerie. Y a eu pas mal de casse de notre côté.
─ Bien reçu. Andrew et son équipe ne devrait pas tarder à arriver avec Buffy. Ils seront là d'un instant à l'autre, l'informa-t-il avant de couper la transmission en soupirant. Encore une mission qui s'est mal déroulé. A ce train-là, il y aura bientôt plus de blessés que de tueuses opérationnelles sur le terrain.
Alex avait l'air miné par cette nouvelle situation qui ne cessait de se détériorer. Ajouter à cela, l’accumulation du manque de sommeil et le burn-out pointait doucement le bout de son nez. Leïna, ayant appris à déceler les signes avant-coureurs, entreprit de veiller à ce qu'il ne dépasse pas ses limites.
─ Allez, vas te reposer ! ordonna-t-elle.
─ Non t'inquiètes pas. Ça va. Je vais bien.
─ Harris, j’te connais par cœur, alors fais ce que je te dis. De toute façon, les choses se sont apaisées. On n’a plus besoin d'être deux. Je peux gérer toute seule, et puis dans ton état, tu risques plus de me gêner qu'autre chose. Je te rejoindrai quand tout le monde sera rentré. En attendant, ne m'obliges pas à te lancer un sort.
La menace acheva de le convaincre. Inutile d'insister. Lorsqu’elle prenait une décision, rien ne pouvait la faire changer d'avis. Et puis, il avait cruellement besoin de repos.
─ Très bien cheffe, je ne discute pas. On se retrouve tout à l'heure. Si t'as besoin de quoique ce soit ou si tu....
─ Hors de ma vue, le coupa-t-elle sèchement. Fais-moi confiance, je n'aurai pas besoin de toi.
Alex quitta la pièce, pour s'en aller rejoindre le pays des rêves, laissant la jeune femme seule, veiller aux grains.
… Donnez un peu de pouvoir à un homme, et il se croit indispensable. Non mais, pour qui ils se prennent, s'indigna-t-elle, avant de s’asseoir sur sa chaise tournante, les yeux rivés sur les écrans.
Sur le moment, une pensée fugace la traversa, une réflexion futile et sans véritable sens, plus proche d'une sensation passagère. Le fait de se retrouver si petite devant cette immense interface d'écrans, lui fit imaginer une situation inversée dans laquelle elle serait un objet d'étude. Elle envisageait ces moniteurs comme autant de regards braqués sur elle, si bien qu'elle se demandait si ce n'était pas elle que les écrans observaient, plutôt que l'inverse.
… Est-ce l'homme qui dépend de la machine, ou est-ce la machine qui dépend de l'homme ? se questionna-t-elle du haut de sa solitude.
Après une courte réflexion, elle parvint à la conclusion qu'elle était épuisée et qu'un repos bien mérité s'imposerait dès que possible. C'est alors qu'une sonnerie stridente la fit sursauter.
… Il faut vraiment changer ça. Je sais pas moi, une petite mélodie, ou un petit air de Bach ne serait pas de trop, songea-t-elle agacée par cette sonorité inharmonieuse. C'est bon j'ouvre.
La porte se déverrouilla pour laisser place à une jeune femme rayonnante, au sourire communicateur. Une véritable aubaine en ces instants troublés. Ses longs cheveux blonds, soigneusement lissés, encadraient un visage aux yeux bleu-vert captivants, empreint de douceur. Elle portait un pull-over rose en coton, associé à un jean décontracté, et des baskets à trois bandes complétaient sa tenue. Au bout de ses doigts, deux gobelets de café exhalaient une délicieuse et réconfortante saveur arabica.
… Dawn ! s'exclama Leïna, bien heureuse d'avoir de la compagnie.
─ Coucou, j’espère que je ne te dérange pas. Je suis de corvée de café et j'ai pensé que vous auriez besoin d'un petit remontant.
La sœur de la tueuse inspecta la pièce, à la recherche d'une personne qui semblait manquer à l’appel.
─ Tiens, Alex n'est pas là ?
─ Non il est parti se coucher. Il en avait fortement besoin.
─ Ah, dans ce cas, tant pis pour lui, je vais le prendre avec toi. On sera entre filles.
Dawn saisit la chaise d'Alex et la fit rouler à l'aide de son pied pour la rapprocher de Leïna. Elle lui tendit le gobelet chaud, dont la vapeur blanchâtre s'élevait en volutes vers le plafond. La britannique prit la précaution de tenir le gobelet du bout des doigts, à son extrémité pour ne pas se brûler. Elle souffla délicatement sur le liquide fumant, puis l'humecta du bout des lèvres.
─ Hmmm, un bon café, s’enthousiasma Leïna. Tu tombes au meilleur des moments, j'en avais vraiment besoin. Je commençais à piquer du nez.
─ Alors comment ça se passe entre Alex et toi ?
─ Eh bien avec des hauts et des bas. Mais si ça peut te rassurer, il y a beaucoup plus de haut que de bas, prit-elle soin d'ajouter en s'imprégnant de la mine inquiète de son amie.
─ Ah dans ce cas, tant mieux. Je sais qu'Alex n'est pas toujours facile à vivre mais c'est quelqu'un de bien.
─ Oui, je sais à quel point il est exceptionnel, mais je t'avoue que ce n'est pas toujours évident d'être la petite amie du mec parfait. Il a tendance à faire ressortir tous mes défauts. Je sais pas, il me donne parfois l'impression que je ne suis pas à la hauteur.
─ Tu te trompes. Crois-moi, je le connais bien et après la perte d'Anya, il a commencé à toucher le fond. Il n'en parlait pas mais on voyait tous que ça le minait. On a essayé de faire ce qu'on a pu pour l'aider. Depuis ton arrivée, il s'est remis à sourire. Il est redevenu le Alex qu'on connaissait. Avec toi, il est heureux. Tu es bien plus qu'à la hauteur.
Leïna baissa les yeux, légèrement embarrassée. Les éloges de son amie lui allaient droit au cœur, bien qu'elle ne s'en estimait pas forcément digne. Après tout, elle était toujours restée fidèle à elle-même, sans ne jamais faire de concession ni de sacrifices pour son couple, adoptant une attitude, sans doute, trop égoïste sur les bords. La jeune femme n'avait jamais été à l’aise lorsqu'il s'agissait de dévoiler ses sentiments. Dès son plus jeune âge, on lui avait inculqué l’autonomie, à ne rien attendre des autres. Cette éducation avait profondément façonné sa personnalité, peut-être de façon excessive, mais elle ne le contrôlait pas.
─ Je te remercie ma belle, je ne sais pas ce que je ferais si tu n'étais pas là.
─ Je peux te renvoyer le compliment, avoua Dawn avec un sourire sincère. Si je ne vous avais pas toi et Alex, je crois que ça ferait longtemps que j'aurais quitté les lieux. Être la sœur de la tueuse n'a pas que du bon. Les autres filles se méfient de moi, ou ne sont pas sincères quand elles me parlent. Elles s'adressent à la sœur du général en cheffe et elles me considèrent comme une mégère potentielle. Je ne peux pas trop leur en vouloir pour ça. Au moins avec vous, je peux être moi-même.
─ C'est vrai, à nous trois, on forme une espèce de trio infernal
─ Euh non, réfuta Dawn. Je ne dirai pas ça. Je préférerai qu'on trouve un autre nom du style...Bon là, tout de suite, y a rien qui me vient en tête, mais je suis persuadé qu'Alex nous trouvera un surnom.
Leïna n'avait pas été informée de cette histoire, mais Dawn ne voulait pas être assimilée, de quelque façon que ce soit, à Warren et son équipe de bras cassés. Il en avait coûté la vie de Tara Maclay, l'une de ses plus proches amies, et le souvenir de cette perte restait encore douloureusement vivace dans son esprit.
Alex, Dawn et Leïna s'étaient rapprochés au fil du temps, de par leurs positions au sein du groupe. Ils ne prenaient jamais part au combat directement, ce qui créait une frontière naturelle avec les agents de terrain. C'était dans l'ordre des choses, une dynamique propre à la nature humaine. Il n'existait aucune animosité, mais les gens avaient tendance à se rapprocher de ceux qui leur ressemblaient, avec lesquels ils pouvaient partager bon nombre de points communs.
Dawn avait choisi de mettre ses études en suspens pour se rendre utile, et soutenir sa sœur dans sa lutte, le temps que la situation se stabilise. On lui avait alors assigné la lourde tâche de servir d’agent de liaison. Son rôle consistait à assurer le lien entre les troupes et le commandement, à gérer les divers problèmes inhérents à la vie en société. Elle prêtait une oreille attentive aux difficultés de chacune, s’efforçant de maintenir une connivence de groupe, fragilisée par les nombreux incidents. Néanmoins, malgré ses efforts et sa bonne volonté, elle ne pouvait pas faire de miracle, et certaines mauvaises langues lui minaient quelquefois le moral. Heureusement, la présence d’Alex et Leïna, avec qui elle entretenait une relation sincère, l'aidait bien souvent à surmonter les épreuves.
La sœur de la tueuse commença à manifester des signes de tension, en se balançant nerveusement sur sa chaise, les pieds tapotant le sol et le regard fixé sur le moniteur.
─ Est ce que ça va ? questionna Leïna sans que son amie, absorbée par ses pensées, n'y prête attention. Hé ! Dawn ! de la terre à la lune, est-ce que tu me reçois ?
La deuxième tentative eut pour mérite de sortir la belle blonde de sa torpeur.
─ Pardon... oui... je... quoi ?
─ Ne t'en fais pas pour ta sœur, la réconforta-t-elle en devinant les raisons de son inquiétude. Elle va bien et ne devrait plus tarder à entrer.
─ Oui, je sais, tu as raison et je devrais y être habitué depuis le temps. Mais à chaque fois, j'ai le même stress quand elle part en mission. Je me demande toujours si elle reviendra. Je sais qu'elle revient toujours mais il suffit d'une fois. La mission de trop. Et si un jour elle ne revenait pas ?
Les deux complices se prirent dans les bras.
─ Cesse d'avoir ce genre de pensées. « Che sera, sera. » Il ne sert à rien de se projeter. Vivons le moment présent et apprécions ce qu'il a à nous offrir. Le reste, ce qu'il adviendra ou pas, ça se passera bien de notre consentement.
Soudainement, la lumière rouge de l'interface clignota à nouveau. La caméra détecta la fourgonnette blanche approchant avec ses gyrophares en activité.
─ Agent 007 pour la base, nous sommes de retour, annonça Andrew.
Les deux filles se tancèrent d'un regard dubitatif avant de relâcher leur étreinte. Leïna s'empressa d’ouvrir le portail de sécurité.
─ Bien reçu. Est-ce que Buffy est avec toi ? demanda-t-elle, le regard tourné vers son amie.
─ Affirmatif, elle a un peu aidé mais c'est nous qui avons fait tout le boulot.
Les traits sur le visage de Dawn se débridèrent et son air moribond se métamorphosa en une expression radieuse. Elle exprima un ouf de soulagement et, poussée par l'euphorie, se précipita une fois de plus dans les bras de son amie, en l'étreignant plus fort que d'habitude. Leïna, prise dans l'étau d'un enlacement trop passionné, dut se contenir pour ne pas pousser un gémissement de douleur.
─ Merci, merci merci, répéta Dawn en gesticulant de toute part. Je te laisse. Je vais voir comment elle va. Et n'oublies pas, demain, on se fait notre soirée film avec Alex comme prévu. Je vous aime.
La jeune fille excitée claqua la porte pour s'en aller rejoindre sa sœur.
─ Merci de quoi au juste ? J'ai rien fait, marmonna Leïna, un peu dépassée par les événements.
Enfin, la jeune femme éprouva un profond soulagement à l’annonce de la fin de sa vacation.
*
Dawn dévala les marches du manoir à toute allure avant d'être attirée par une lueur étrange provenant de la salle de magie. Willow, qui d'ordinaire fournissait un appui lors des menaces de première catégorie, avait déserté les missions depuis quelque temps, préférant consacrer ses journées à la méditation. D'ordinaire très loquace, la sorcière rousse n’était plus la même ces derniers jours. Bien que son entourage l'ait remarqué, personne ne désirait la brusquer, supposant qu'elle avait ses raisons et qu'elle en parlerait le moment venu. D'autres attribuaient ce comportement à sa séparation momentanée avec Kennedy, envoyée en mission ailleurs.
La sœur de la tueuse, guidée par la curiosité et par l'inquiétude, décida de reporter ses retrouvailles pour s'assurer du bien-être de Willow. En ouvrant la porte, elle fut subjuguée par le spectacle qui s'offrait à elle. Contempler son amie en lévitation, dans la position du Lotus, avec autour d'elle quatre runes de différentes couleurs flottant harmonieusement dans l’air, valait assurément un arrêt au stand. Irrésistiblement attirée par cette atmosphère mystique, Dawn entra dans la pièce.
─ Coucou Willow, c'est moi, c'est Dawn, murmura-t-elle d'une voix basse, afin de ne pas effrayer son amie et la sortir trop brutalement de sa concentration. Je voulais simplement voir comment tu allais et si tu avais besoin de quelque chose.
La sorcière ne réagit pas. Elle demeura impassible, ignorant la présence de la jeune femme.
… Ok ! Bon, c’est pas grave. Je vais te laisser faire tes trucs. Si jamais t'as besoin de moi, ou de parler, ou...
Réalisant que son monologue ne trouverait pas preneur, Dawn préféra ne pas insister. Elle se retira alors sur la pointe des pieds, en prenant soin de refermer doucement la porte, pour ne pas perturber davantage la sorcière en pleine activité. En sortant du couloir, elle croisa Faith et Robin en piteux état. Ils se dirigeaient en direction de leur appartement.
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Faith venait de franchir le seuil de la porte. L'intérieur de la pièce affichait une sobriété sans concession, dépourvue de tout superflu. Pour ainsi dire, il n'y avait qu'un grand lit à deux places, aux draps mal ajustés, une petite table entourée de deux chaises, un réfrigérateur compact et une vieille armoire abritant leur garde-robe. Au fond de la pièce, une petite salle de bain avec lavabo et douche, se profilait. A quelques pas de leur lit, une grande fenêtre s'ouvrait sur la cour extérieure où les tueuses avaient pris l’habitude de s’entraîner les jours de grand soleil.
Faith resta silencieuse. Elle dégrafa les couches de protection qu'elle portait sur sa combinaison, ou du moins ce qu'il en restait, à en juger par l'état délabré de la matière. Robin, ayant pris soin de s'en débarrasser lors de son arrivée à l'infirmerie, était attifé d'un débardeur kaki. Le tissu, épousant sa peau, mettait en valeur son imposante musculature. Son corps souffrait de multiples entailles et d'hématomes, se rappelant à lui à chaque mouvement mal calibré. L'ambiance pesante incita l’ex-proviseur à briser la glace.
─ C'était une salle soirée, observa-t-il, sans susciter la moindre réaction de sa partenaire.
Elle lui tourna le dos, et enleva le haut de sa combinaison, qu'elle jeta nonchalamment vers la corbeille de vêtements sales traînant dans le coin de la pièce. Le vêtement rebondit maladroitement contre l’angle, et tomba à côté. La tueuse, en soutien-gorge, alla chercher son paquet de cigarettes sur la petite table, puis se positionna sur le bord de la fenêtre. Faith prit soin d’allumer une clope et d'en inhaler quelques bouffées.
En observant le dos dénudé de la tueuse marqué par une large entaille, Robin fut épris d'un profond élan de culpabilité. Cette fois-ci, il n'avait pas particulièrement brillé par son efficacité. Faith avait subi cette blessure en s'interposant pour lui sauver la vie. Et puis, il y avait eu la perte de l'une de leurs membres. La jeune fille avait succombé à ses blessures dans les bras tremblant de Faith. Dès lors, Robin ne cessait de se remémorer le fil des événements en se demandant comment il aurait pu éviter cette tragédie. Ce n'était pas la première fois qu'une telle perte survenait en mission, mais la douleur restait toujours aussi vive.
─ Écoute, c'est comme ça c'est tout. C'est la faute de personne. Ça fait partie du boulot. Sans toi, il y aurait eu plus de victimes, à commencer par moi.
Faith resta silencieuse. Robin n'en fut pas étonné. La tueuse n'était pas du genre à s'épancher sur ses émotions, encore moins à se lamenter sur son sort ou celui des autres. Elle gardait tout à l’intérieur, avant de tout relâcher dans un excès de rage qu'elle avait bien souvent du mal à maîtriser. C'était sa nature et Robin avait dû apprendre à l'accepter.
Lorsqu’ils s'étaient engagés dans cette relation, tout avait été annoncé avec une clarté sans équivoque. Faith, avide de liberté, refusait catégoriquement d’appartenir à quiconque. Dès lors qu'elle se lasserait de leur liaison, elle n'hésiterait pas la moindre seconde à y mettre fin, sans ménagement. Sachant cela, le grand baraqué avait toujours marché sur des œufs, veillant à ne pas la brusquer. Pour autant, quand le besoin s'en faisait sentir, il n'hésitait pas à lui tenir tête, persuadé qu'elle appréciait secrètement ces remises à l’ordre ponctuelles. Après tout, leur relation perdurait, preuve s’il en est de leur connexion mutuelle.
… Faith ? Tu m'écoutes ?
Elle persistait à lui tourner le dos, une cigarette suspendue à ses lèvres et la tête levée vers le firmament étoilé.
─ J'ai pas trop envie de parler, rétorqua-t-elle sèchement. Alors j'apprécierais que tu te contentes de faire acte de présence et de me lâcher deux secondes.
─ Bon j'ai compris. T'as besoin d'être seule. Ok, j'irai dormir ailleurs.
La tueuse rebelle se débarrassa de sa cigarette, presque entièrement consumée, avant de se retourner brusquement.
─ Tu veux vraiment savoir de quoi j'ai besoin, la, tout de suite ? fit-elle dans un élan brutal et passionnel, presque animal, en projetant son amant sur le lit.
Robin s’effondra de tout son dos sur le duvet, en prenant sur lui pour ne pas hurler de douleur. Diminué par ses multiples blessures, chaque mouvement trop vif ravivait en lui une souffrance aiguë. La tueuse, loin de s'en inquiéter, ne le ménageait pas.
─ Mais qu'est-ce que tu... ?
Il n'eut pas le temps de se redresser, qu'elle le chevaucha avec une sauvagerie inouïe. D’un geste brusque, elle lui arracha son débardeur, puis posa ses mains glacées sur son corps meurtri.
─ Tais-toi. Ne parle pas, ordonna-t-elle avant de l'embrasser fougueusement, ne lui laissant ainsi aucune occasion de répondre.
Dans un effort considérable, l’ex-proviseur parvint à la redresser un peu, en lui tenant fermement les poignets. Leurs regards se croisèrent pendant quelques secondes et le désir prit le pas sur tout le reste. Les deux amants s'embrassèrent de plus belle, dans un échange brut et passionné de deux corps assoiffés l'un de l'autre. Il entreprit de dégrafer son soutien-gorge, tandis qu'elle couvait son cou de baisers, allant jusqu'à le mordiller douloureusement de façon à s'imprégner de la moindre parcelle de sa peau.
Par un mouvement de recul, Faith s'empressa de défaire la ceinture du pantalon de son partenaire. Ce dernier acheva la tâche en balançant le vêtement à côté du lit. Elle fit de même avec le bas de sa combinaison, libérant ainsi leur deux corps de toute entrave. Totalement absorbés l’un par l’autre, ils s'enlacèrent, puis se heurtèrent violemment, en laissant échapper des gémissements de douleurs mêlés de plaisir, dans une danse frénétique où chacun tentait de prendre l'ascendant sur l'autre. Faith prit le dessus, et leurs deux corps se mélangèrent dans un vas et viens d'une brutalité telle, que du sang suinta de leurs blessures non cicatrisées. Une teinte pourpre imprégna les draps à mesure de leurs mouvements sans cesse répétés.
Le tonnerre grondait, la terre tremblait, la lumière vacillait et le lit grinçait de leur ébats à la portée presque inatteignable pour le commun des mortels. Rien autour n'avait plus aucune importance, sinon leurs chairs moites de sueurs, se caressant, se cherchant, se trouvant pour mieux se perdre dans une respiration haletante, au rythme de leur total abandon. Un dernier gémissement éclata, puis le silence. La tempête avait cessé. Le calme était revenu et avec lui, la réalité cruelle de deux êtres épuisés, côte à côte, allongés sur le dos, le regard perdu dans le plafond terne.
Le plaisir laissa place à la souffrance, seule rescapée de cette étreinte née du désespoir et qui s'en retournait inéluctablement à son origine. L'évasion fut trop courte pour Faith, oubliant, l’espace d'un instant, les remords qui la rongeaient pour en laisser place à d'autres.
─ Je vais aller prendre une douche, dit-elle en se levant sans oser le regarder.
La tueuse avançait sans expression, presque machinalement, en laissant des empreintes de sang sur le carrelage froid de la salle de bain. Elle tourna la vanne, et l'eau glaciale qui s'écoula en jet ne la fit même pas sursauter. Elle ferma les yeux et se laissa submerger par la température, d’abord tiède, puis brûlante, suffocante, à la limite du supportable. Pourtant, elle ne broncha pas. Le sang glissait le long de sa peau et se diluait dans l'eau trouble à ses pieds. Ses blessures, au contact de la chaleur, la tiraillaient de toute part, si bien qu'elle dut serrer les dents et grimacer pour se retenir de crier. Elle en avait pourtant envie. Hurler de toutes ses tripes pour extérioriser sa rage lui aurait certainement fait du bien, mais elle n'était pas seule, alors elle s'en dissuada. Elle ramena ses longs cheveux noirs en arrière, de façon à profiter pleinement de la sensation de l'eau chaude sur son visage. Cela dura un moment avant qu'elle ne se décide enfin à sortir.
Elle enfila un bas de pyjama de soie beige et une brassière blanche. Tout en essuyant ses cheveux mouillés à l'aide d'une serviette de bain, elle s'en alla rejoindre la pièce principale où l'attendait Robin. Celui-ci, déjà vêtu d’un pantalon, se tenait les côtes en gardant appuis sur le bord de la table. La mission de cette nuit l'avait durement éprouvé, et leur fougueuse étreinte n'avait assurément rien arrangé à sa misérable condition. Faith, en le voyant ainsi, prit conscience d’être allée beaucoup trop loin. Bien sûr, elle culpabilisait, mais ne sachant pas comment l'exprimer, elle préféra se taire.
─Tu ne voudrais pas m'aider ? articula-il avec difficulté, sa voix hachée par la douleur. Je crois que je me suis fêlé une côte, je n'arrive pas à bouger.
La brune s'empressa de lui prêter main-forte, offrant son épaule pour le soutenir et l’aider à rejoindre le lit. Avec précaution, elle l'aida à s'installer sur le matelas, dont les draps avaient été enlevés au préalable par le blessé, pendant qu'elle prenait sa douche. C’était sans doute avant qu'il ne se bloque et ne reste planté là, comme un piquet.
… Voila... Doucement....c'est bon comme ça, ça va aller. Il ne me reste plus qu'à rester immobile pendant quoi ? Quelques jours. J'ai connu pire.
Faith prit son paquet de cigarettes au passage, et alla s'installer à côté de son homme, les genoux repliés sur son buste.
─ Je n'y suis pas allée de main morte, marmonna-t-elle, habitée par les remords.
─ Ne t'en fais pas, t'y es pour rien. J'aurais très bien pu t'en empêcher mais faut croire que j'en avais envie aussi, et je ne le regrette pas. Je te connais Faith. Je sais que tu veux porter le monde sur tes épaules, mais tu vois, je suis assez fort pour encaisser une partie de ta souffrance, alors te gènes pas. Laisse-toi aller. Avec moi, tu peux te le permettre.
─ Ne te surestimes pas trop, lança-t-elle en effleurant du doigt sa cote blessée.
Il poussa alors un cri strident qu'il ne parvint pas à étouffer.
─ Ok, ok, t'as gagné. Disons que j'ai aussi des limites. Tiens vas-y, files moi une clope.
Faith retira la cigarette de sa bouche, pour la lui glisser entre ses lèvres. Il en aspira une longue bouffée qu'il fit mine d'apprécier en clignant des yeux comme s'il s'agissait d'un soulagement.
─ C'est fou ce que ça fait du bien. J'aurais peut-être dû commencer plus tôt.
La tueuse lui retira aussitôt la cigarette du bec.
─ Rends moi ça, ça ne te va pas du tout au teint. Et puis arrêtes de me ressembler. J’te préfères en mec gentil. Le côté rebelle me plaît chez moi, pas chez les autres.
─ Ok, j'prends note, dit Robin l'air enjoué. Même si pour moi, t'es loin de représenter une rebelle. Je dirai que dans les faits, je suis beaucoup plus rebelle que tu ne le seras jamais.
La tueuse esquissa un léger sourire et son visage commença à se débrider.
─ Arrêtes, tu veux. J'ai pas vraiment envie de rentrer dans ces petits jeux là. C'est pas le moment, lui fit-elle remarquer en tirant une latte.
─ Dans ce cas, parlons de choses sérieuses. Comment tu te sens ?
─ La, tout de suite, je suis crevée. Je pourrais dormir pendant une semaine.
─ Je parlais de ton état d'esprit. J'ai l'impression que tout ça te mine plus que ça ne devrait. Quand je t'ai connu, tu prenais les choses à cœur mais même quand tu avais le moral en berne, tu te relevais assez vite. Aujourd'hui, j'ai l'impression que ce n'est plus le cas. C'est comme si tu avais perdu le goût de la chasse.
Faith, prise dans ses pensées, soupira en songeant qu'elle devrait tôt où tard déballer son sac, une perspective bien plus éprouvante qu’elle ne voulait l’admettre.
─ Le goût de la chasse, c'est le top. Crois-moi, je ne le perdrai jamais. Ça fait partie de ce que je suis. Empaler les vampires et prendre mon pied en les transformant en poussière...entre ça et une bonne partie de jambe en l'air, je crois que je ne pourrai jamais me décider. C'est pas ça le problème.
─ Alors c'est quoi ?
─ Arrêtes de me couper toutes les deux secondes, s'agaça-t-elle. J’te rappelle que je fais un effort là. Bon je reprends. Au début, je considérais la chasse comme une sorte de jeux, parce que ça ne dépendait que de moi. Ensuite, j'ai fait la rencontre de Buffy et comme tu le sais, ça a très mal tourné. Je m'en suis remise, j'ai changé, et j'ai essayé de faire de mon mieux pour entrer dans la masse et me faire accepter. Quand on a vaincu la force, je n'imaginais pas que les choses allaient empirer. Gérer tout un groupe de nanas et les envoyer à une mort certaine, c'était pas censé se passer comme ça. Chaque fois que les gens me suivent, ça finit toujours mal pour eux. Bref, je commence à croire que je ne suis pas faite pour faire la nounou et montrer l'exemple. Y a déjà Buffy pour ça et à ce jeu-là , elle est bien meilleure que moi.
─ On en revient toujours à Buffy, hein ?
─ Oh non, je vois où tu veux en venir. Tu penses que c'est une histoire de rivalité ou de jalousie. Si c'est le cas, tu te mets le doigt dans l’œil. Bon ok j’avoue. Il y a un peu de ça. Buffy, c'est Buffy. Elle est celle qui prend les bonnes décisions et qui sauve le monde pendant que je suis l'enquiquineuse de service, celle qui lui jette des bâtons dans les roues. Çà, je m'y suis faite, je l'accepte. J'ai jamais eu le beau rôle et finalement, je me dis que c'est bien mieux comme ça. Elle a tout un tas d'amis qui la suivent et qui sont prêts à risquer leur vie pour elle. Ce genre de truc, je ne suis pas sûre que j'arriverais à le supporter. J'aime pas avoir de compte à rendre et si j’me ramasse, j'aime le faire seule, sans entraîner personne avec moi.
─ Je vois. C'est une façon de voir les choses, sauf qu’on n’arrive jamais à rien en agissant seul. Que tu le veuilles ou non, on a tous besoin les uns des autres.
Faith semblait irritée par cette remarque qui n'allait pas dans son sens.
─ Ouais, dit-elle en soupirant. T'as peut-être raison, seulement quand j'envoie sur le terrain des nanas qui ne sont pas armées pour faire face à ce qui les attend et qui se font hacher menu, je sais pas, j'ai pas signé pour ça.
─ Je comprends ce que tu veux dire. Il m'arrive aussi de penser la même chose, mais je me dis aussi que sans ce sacrifice, ce serait certainement bien pire. La mission, c'est tout ce qui importe, et en vue des menaces qui sont toujours plus nombreuses, j'ai pas l'impression qu'on ait le choix. Buffy doit penser la même chose. Si on le pouvait, on serait tous autre part à siroter un petit cocktail au soleil, sur le sable fin.
─ Pour ça, il n'aurait pas fallu quitter la Californie. Soleil, sable fin le jour, et chasse dans les cimetières la nuit. Qu'est-ce que ça peut me manquer tout ça. On se rend toujours compte des bonnes choses après les avoir perdues.
Robin se mit à rire aux éclats. Faith le dévisagea avec dédain, convaincue qu'il se moquait ouvertement d'elle.
… Je peux savoir ce qui te faire rire ?
─ Oh non, rien de spécial. C'est juste que tu ne peux pas t'en empêcher hein ? Tu ne concevrais même pas le bonheur sans cette foutue chasse.
─ J’te l'ai dit non ? Ça fait partie de moi, c'est comme ça. Je ne suis bonne à rien d'autre qu'à empaler des vampires et coller des raclées à des pourritures de mâles en chaleur. Ainsi va la vie.
─ Si tu veux mon avis, tu te sous-estimes beaucoup trop. Et puis, il y a un domaine où tu ne te débrouilles pas si mal non plus. Mon corps est là pour en témoigner. Bien sûr, je ne dis pas que je ne pourrais pas t'apprendre quelques trucs, mais c'était pas mal.
─ Ne le prends pas mal mais si tu avais encore quelque chose à m'apprendre, ce serait déjà fait depuis le temps, persista-t-elle, en entrant dans le jeu qu'il avait instauré. Toutes les fois où tu étais censé m’impressionner… Fais gaffe, je me lasse vite et là, t'es en train de jouer tes dernières cartes.
─ Ouah t’es vache, pouffa-t-il avant de gémir en se tenant la côte. Mais attends que je me remette sur pied. Il se pourrait que je t'étonne. Je ne dévoile jamais mon atout avant d'être acculé au pied du mur.
Faith esquissa un petit rictus au coin. Elle ferma les yeux et cabra sa nuque en arrière. D'une inspiration profonde, elle s'étira en dévoilant son cou d'une façon presque sensuelle.
─ Y a un truc bizarre que j’arrive pas à décrire, annonça-t-elle sur un ton presque glacial. Y a quelque chose qui ne tourne pas rond. On possède l'armée la plus puissante du monde dans ce foutu manoir. La lutte contre le mal ne devrait être qu'une formalité, pourtant c'est tout le contraire qui se passe. Je veux dire, quand Buffy et moi étions les seules tueuses en poste, on a eu notre lot de combat. Je ne dis pas que c'était facile mais ça n'a plus rien à voir avec ce que c'est devenu aujourd'hui. Les choses auraient dû s'arranger après avoir vaincu la Force et ça n'a fait qu'empirer. Plus on était nombreuses et plus ils le sont devenus aussi. C'est comme s'ils s'étaient adaptés à nous. Tu dois me prendre pour une folle.
Robin n'y avait jamais vraiment songé. Peu enclin aux réflexions existentielles, il se concentrait uniquement sur la mission, sans jamais remettre en cause ce principe fondamental. Il entrevoyait le monde à travers ce prisme bien défini : le bien d'un côté, le mal de l'autre. Son camp, il l’avait choisi, et le reste lui importait peu.
─ Si je suis ton raisonnement, tu veux dire qu'on serait la cause de tout ce bordel ? Ça paraît complètement fou. Je n'y crois pas une seule seconde. C'est juste le fruit du hasard. Si les tueuses n’existaient pas, la terre serait un champ de ruines depuis bien longtemps, voilà ce que je crois. Quand cette bouche de l'enfer sera définitivement fermée, tu verras, les choses iront certainement beaucoup mieux.
─ Ouais. T'as sûrement raison, acquiesça-t-elle.
Faith fit mine d'aller dans son sens, bien qu'au fond d'elle subsistait un doute indicible. Elle ne parvenait pas à expliquer cette sensation viscérale, cette intuition persistante qui envahissait tout son être, aussi préféra-t-elle ne pas s’étendre sur le sujet. Le couple resta avachi dans le lit, le regard perdu dans le vide. Leur introspection fut brutalement interrompue par une puissante secousse, suivie d'une sorte d’explosion, provenant de l'étage inférieur. La brune se leva instantanément.
─ Tu restes ici, je vais voir ce qui se passe, s'empressa-t-elle de dire avant de claquer la porte pour rejoindre la source de la déflagration.
─ C'est pas comme si j'avais le choix, enragea Robin dont le corps immobilisé lui imposait d'attendre passivement qu'on lui apporte désespérément des nouvelles.