Shanshu - La suite des aventures d'Angel et Buffy

Chapitre 8 : Episode 8 - Nouvelle génération

5956 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a plus d’un an

EPISODE 8 : NOUVELLE GÉNÉRATION



Le soleil venait de céder sa place à la lune, dans ce quartier en périphérie de la ville de Cleveland, réputé pour être mal famé et abriter une population majoritairement pauvre avec son lot de problèmes. Souvent, ce genre d'endroit était dépeint dans les médias comme un berceau de la délinquance, alors que sur le terrain, la réalité différait quelque peu. Bien évidemment, tout n'y était pas rose et il arrivait bien souvent, comme partout ailleurs, que les démons y côtoient les anges. Pourtant, si vous aviez interrogé les habitants, ils vous auraient décrit cet endroit comme un petit paradis. On y jouait à la balle ovale à toute heure de la journée, et on y dansait au son des musiques provenant de tout horizon, dans un mélange vibrant de culture et de vie.

C'est ici que Seyia avait grandi. Cette dernière avait brillamment achevé sa scolarité, en obtenant son diplôme de fin d'année. Bien qu'elle n'ait jamais éprouvé un attrait prononcé pour les études, elle avait su trouver ce qu'il fallait de motivation pour persévérer jusqu'au bout et décrocher le Graal. Puis le destin s'en mêla, et elle se retrouva du jour au lendemain, à intégrer un groupe de jeunes filles entraînées pour chasser les vampires et autres créatures de la nuit. Elle était devenue une tueuse. Ayant déjà fait ses preuves sur le terrain, elle venait d'être promue cheffe d'escouade. Pour son premier jour à la tête du commandement, et comme toutes les premières fois, le stress venait s’immiscer dans la partie.

Seyia était une jeune fille athlétique, dont la silhouette élancée témoignait de sa pratique assidue du sport depuis son enfance. La gymnastique et le kung-fu lui avaient conféré une certaine dextérité, ainsi qu'une musculature de circonstance. Avec ses cheveux bruns ondulés à mi-hauteur, elle arborait une combinaison de combat qui ne la différenciait pas de ses trois consœurs. Équipée de trois pieux à la ceinture, elle portait pour arme de prédilection, un sabre chinois solidement accrochée à son dos.

Harnachée à son oreille droite, un micro lui permettait de maintenir une relation directe avec ses coéquipières, et si nécessaire, de changer de fréquence pour établir le lien avec la base. Le QG, situé à distance, coordonnait toutes les missions de terrains de plus ou moins grande importance. C’est ainsi qu’elle fut informée de la localisation du Gymnase.

Désormais, c’était le jour J. Celui où elle allait devoir faire ses preuves en remplissant sa mission, tout en veillant à préserver la vie de ses trois camarades.

Les quatre tueuses arpentaient le toit vitrifié de ce grand complexe sportif de quartier. Seyia avait sous ses ordre, Héléna, une brune aux longs cheveux noir, typée hispanique ; Joy, une blonde aux cheveux courts et aux allures de garçon manqué ; et enfin Léa, la plus fluette des quatre, avec ses cheveux châtains en forme de queue de cheval.

Les tueuses se déplacèrent prudemment, à pas feutrés, en tachant de ne pas attirer l'attention des silhouettes menaçantes qui rôdaient à l'intérieur de l'établissement. Le vent glacial et les quelques gouttes de pluie éparses, n'aidaient en rien leur approche furtive. Concentrée, Seyia leva le poing, enjoignant ses sœurs d'armes à suspendre tout mouvement. Elle se mit alors à genoux, en tentant de discerner ce qui se tramait en contrebas, mais la buée sur les vitres brouillait sa vision.

A travers ce voile incertain, elle aperçut des formes floues et rougeâtres, entourant une silhouette immobile. Le cœur de Seyia s’allégea en reconnaissant la physionomie d’une jeune fille, à peine plus âgée qu’elles, visiblement toujours en vie. Le soulagement fut de courte durée. l’urgence de la situation exigeait une réaction immédiate. D'un geste de la main, elle ordonna à son escouade de se tenir prête à lancer l’assaut. Joy, Léa et Héléna s'activèrent dans la foulée. Les quatre tueuses déroulèrent les cordes ceinturant leurs tailles, les fixèrent à l'ossature du toit, puis en contrôlèrent la ténacité en tirant fermement dessus.

Le gymnase plutôt imposant, fort de ses deux grandes tribunes installées de part et d’autre du terrain, permettait d’accueillir en nombre les supporters de l'équipe de basket du quartier. Cette nuit, Les gradins s'affichaient sans public. En heure et lieu de ce qui aurait dû constituer un entraînement, les équipements sportifs manquaient à l'appel. Les shorts et Chasubles avaient laissé place à des accoutrements plus sectaires. Des toges dissimulaient leurs identités, à la manière de celles portées jadis, par les membres du Ku Klux Clan. Les membres de cette pseudo secte se déplaçaient en cercle autour d'une jeune fille ligotée, immobilisée au pied d'un panneau de basket. Un foulard serré autour de sa bouche l’empêchait de crier. Le meneur menaçait la victime d’un imposant poignard dentelé. Dans un murmure solennel, il récita une incantation inscrite sur un vieux parchemin.

─ Oh Corvok, je t'invoque, évoque, et commande aux esprits. Que puisse surgir du néant, ton illustre sang. Oh Corvok, je t'invoque, évoque, et commande aux esprits. Je t’offre en sacrifice, cette vierge. Puisse-t-elle apaiser ta colère et exaucer notre souhait.

Le leader se tenait face à sa victime, prêt à lui porter le coup fatal, mais son geste fut interrompu par un fracas soudain. Le plafond de verre vola en éclats, projetant une pluie de débris scintillants sur le parquet. Lorsqu'il leva les yeux au ciel, il aperçut quatre ombres déferler sur lui et ses camarades, à une vitesse phénoménale. Un vague de panique traversa leurs rangs.

Seyia se réceptionna habilement sur ses deux jambes fléchies et, emportée par son élan, roula pour mieux amortir ses appuis. Sans attendre, profitant de l'effet de surprise, elle s'élança sur le leader qui n'eut pas le temps de parer le coup de poing. Ce dernier chancela, avant de trébucher et de s'étaler de tout son dos, quelques mètres plus loin. Sous les directives de leur cheffe, les autres tueuses formèrent aussitôt une barrière de protection en demi-cercle autour de la captive.

─ Joy et Léa, vous protégez la fille, ordonna Seyia avec aplomb. Héléna et moi, on s'occupe du reste.

Les encapuchonnés étaient plus d'une dizaine, et l'un d'eux s'empressa d'aller relever leur suprême leader. Passé le coup de la surprise, ils se réorganisèrent pour contre-attaquer, la puissance de leur nombre aidant à leur requinquer le moral.

─ Tuez-les ! hurla l'homme au couteau. On n’a pas le temps de s'amuser. Il faut la sacrifier avant qu'il arrive ou il va s'en prendre à nous aussi. Bougez-vous !

Ses sbires suivirent l'appel en prenant d'assaut les tueuses.

─ N'oubliez pas, insista Seyia en s'adressant à ses coéquipières. On ne les tue pas. Ce sont des humains, en tout cas, ils en ont l'air.

La jeune tueuse se voulait être prudente. Elle ne souhaitait pas commettre de bavure et avoir la mort de l'un de ces types, aussi maléfique soit-il, sur la conscience. Jauger une situation s’avérait crucial au bon accomplissement de sa mission. Dans l'urgence, un mauvais geste pouvait entraîner des conséquences dramatiques. Ce n'était pas un jeu. Elle savait que derrière chaque capuche, existait une famille, des gens innocents qui n'imaginaient certainement pas leurs sales rejetons, jouer les assassins en puissance derrière leur dos. Elle se devait d'en tenir compte.

Les tuniques rouges se précipitèrent à l'encontre de leur cible. Leur stratégie : créer une ouverture permettant à un seul d'entre eux de faire couler le sang de la jeune vierge. En première ligne, Seyia et Héléna se déchainèrent sur ceux à leur portée, tandis que Joy et Léa assuraient leurs arrières, en servant de dernier rempart.

Les tueuses déployèrent un ballet martial, une chorégraphie de coups de pieds et de poings si rapide et fluide que leurs adversaires peinaient à encaisser. Bien que plus nombreux, les bourreaux ne possédaient pas le niveau martial, ni la force phénoménale d'une tueuse. Incapables de rivaliser sur le plan physique, ils tombèrent les uns après les autres, sans fournir la moindre illusion de résistance. Seul le leader demeurait encore debout, poignard en main, déconcerté par la défaite cuisante que ses comparses venaient de subir.

─ Mais vous êtes qui bordel ? hurla-il de colère en se débarrassant de sa capuche. Vous ne vous rendez pas compte de ce que vous êtes en train de faire. Si on ne la sacrifie pas tout de suite, on va tous y passer.

Seyia fit la sourde d'oreille et ordonna à Joy de détacher la prisonnière, ce qu'elle s'empressa de faire aussitôt.

─ Je ne crois pas que tu aies pris conscience de la gravité de tes actes, le menaça-t-elle indignée. C'est la prison qui t’attend. Vous en prendre à une jeune fille innocente, mais qu'est-ce que vous avez dans le crâne ?

Une fois libérée, la victime invectiva son agresseur, les yeux embués de larmes.

─ Harry, espèce d'enfoiré, comment t'as pu me faire ça ? Dire que j'ai passé l'année à soutenir ton équipe de looser.

─ Tais-toi, tu peux pas comprendre. Toute l'année, tout le monde se moquait de nous, se justifia le coupable sans une once de remords. On sait très bien que toi et les autres cheerleaders aviez honte de nous soutenir. Gary vous a entendu l'autre jour dans le vestiaire, en train de vous moquer de nous. Mais grâce à ton sacrifice, on allait pouvoir enfin changer les choses. On allait enfin être reconnu et gagner des matchs.

─ Attendez deux secondes, s'interposa Seyia, choquée par ces révélations. Si je comprends bien, vous étiez prêts à offrir votre copine en sacrifice pour gagner des matchs de baskets ? Mais ce monde marche sur la tête, je commence vraiment à perdre foi en la nature humaine.

La brune s'avança dans la ferme intention de neutraliser son adversaire, quand l'éclairage de la salle se mit à vaciller, alternant lumière vive et faible dans un cliquetis sonore de plus en plus intense.

─ Oh non, non, non, c'est pas bon du tout ça, paniqua l’assassin en scrutant les alentours. Il arrive ! Il arrive, et sa colère ne s'apaisera que dans notre sang.

Les tueuses redoublèrent de prudence en balayant du regard tous les recoins du gymnase, sans toutefois y trouver la moindre menace. Pourtant, une intuition persistante les habitait : quelque chose rodait, invisible mais palpable.

─ Qu'est-ce que vous avez fait ? l'interpella Seyia. Quel démon avez-vous invoqué ?

La réponse ne vint jamais. Le sol se déroba soudainement sous les pieds du jeune homme, totalement prit au dépourvu. Un dernier cri déchirant s’échappa de ses lèvres avant qu’il ne disparaisse dans les profondeurs de l’enceinte. C’est alors que du gouffre, jaillit une bête immonde, tenant en trophée la tête décapitée et inexpressive de sa victime. Le sang dégoulinait du tronc par giclées ininterrompues. Le membre sectionné offrit une vision horrifique aux tueuses médusées.

Le démon, d’une taille imposante, exhibait une maigreur telle que son ossature transparaissait sous sa peau flasque et presque translucide. Son visage, semblable à un crâne mortuaire, était orné de deux grands yeux de fauve globuleux qui luisaient d’une lueur sinistre. Deux bras rachitiques, aussi longs que désarticulés, se déployaient de chaque côté de son corps, leur apparence trompeuse dissimulant, à l’évidence, une force dévastatrice.

─ Un démon Corvak ! balbutia Seyia, stupéfaite.

La cheffe d'escouade se raidit face à cette vision hors du commun. Elle avait déjà combattu des vampires et des démons, mais jamais une créature ne lui avait inspiré autant d'effroi. Submergée par ses émotions, Seyia resta paralysée, alors que ses coéquipières prenaient l’initiative en empoignant leurs armes. Héléna brandit son arbalète et décocha une flèche qui fusa jusqu'à percuter le démon en plein abdomen. Celui-ci demeura impassible, comme insensible à la douleur. Voyant sa Cheffe dans l’incapacité de réagir, Joy la réprimanda.

─ Allez, secoues-toi un peu ! On a besoin de toi.

Héléna, loin de se laisser abattre par l’échec de sa première tentative, réarma son arbalète avec détermination. Joy et Léa, de leur côté, optaient pour une approche plus frontale. La jeune victime en détresse, traumatisée par ce qui se déroulait sous ses yeux, trouva enfin la force de fuir. Ses jambes flageolantes peinaient à soutenir le poids de son corps, si bien qu'elle trébucha à plusieurs reprises avant de gagner l'issue de secours la plus proche.

Les deux tueuses, pieux en main, œuvrèrent de concert pour optimiser leur chance de porter un coup fatal à la créature. En vain. Le démon esquiva leurs attaques avec une dextérité hors du commun, et les envoya valser l'une après l'autre, de ses deux bras longs et puissants. Héléna, constatant l’inefficacité de ses tirs, se trouva contrainte d'adopter une approche plus directe. Son but : attirer l'attention du démon et préserver ainsi la vie de ses coéquipières malmenées.

Seyia, quant à elle, ne réagissait toujours pas. La pression était devenue telle, qu'elle ne parvenait plus à prendre la moindre décision cohérente. Elle qui devait mener son équipe et montrer l'exemple, se retrouvait réduite à l’état de fardeau. Impuissante, elle observait ses amies combattre avec acharnement et tomber tour à tour sous les coups insaisissables de la créature.

C'en était trop pour la tueuse. Elle devait impérativement se ressaisir, sous peine de porter la mort de ses coéquipières sur sa conscience. Seyia ferma alors les yeux et inspira profondément, cherchant à ralentir sa respiration et à se recentrer sur son être intérieur. La tête dressée vers le ciel, elle s'efforça de percevoir chaque gouttelette de pluie qui s'échappait du plafond brisé pour venir se poser délicatement sur son visage et ses lèvres. Ses sens se concentrèrent sur l'espace environnant, comme lors de ses nombreux entraînements sous l'égide de son mentor. La peur et l'appréhension s'estompèrent progressivement pour laisser place à une sérénité retrouvée. Ses paupières s'ouvrirent.

Le démon, sur le point d'en finir avec Héléna, resserra sa poigne autour de sa gorge et la souleva du sol. La jeune fille tenta de se débattre mais la pression écrasante l’étouffait, privant ses poumons d’oxygène. Trop jeune pour s'éteindre, elle se résigna à son sort en espérant une fin rapide et sans souffrance. C’est alors que l’étreinte se relâcha soudainement, et que son corps s’effondra sur le parquet dur et froid, qui ne lui avait jamais semblé aussi réconfortant qu’à cet instant. Un cri effroyable résonna à contretemps, dans l’immensité de la salle. Le bras du démon, coupé net, gisait au sol, inerte.

─ Comme ça, tu sais ce que ça fait de perdre un membre.

Seyia dirigeait la pointe de son sabre en direction du démon. Sa posture, ses jambes en arc de flèche et son buste droit, évoquaient le wushu, art martial provenant de Chine. Il s'en était fallu d'un cheveu pour que la tueuse se reprenne et sauve in extremis la vie de sa coéquipière. Exténuée, Héléna puisa dans ses dernières forces pour s'écarter de la zone de combat, en rampant sur le sol. Le démon, hurlant de douleur et de rage, était devenu encore plus dangereux et incontrôlable.

La brune se tenait aux aguets, prête à lui donner le change. Le sort de son équipe reposait désormais sur ses épaules et elle n'avait pas l’intention de se défiler. Il lui fallait vaincre ou périr. Elle se redressa lentement en faisant tournoyer d'une main habile, son arme qu'elle maîtrisait à la perfection, comme le prolongement naturel de son bras. Métamorphosée, la tueuse défia le démon d'un regard de braise. A présent, une lueur presque animale luisait dans ses yeux. De proie, elle s’était métamorphosée en chasseuse, et de chasseuse, en tueuse impitoyable.

Résolue à en finir, Seyia s'élança à toute allure en feignant de viser la partie haute du corps frêle de la créature. Celle-ci, anticipant la manœuvre, projeta son unique membre pour la contrer, mais c'était sans compter sur l'agilité de la tueuse qui, se laissant glisser sur le sol trempé, lui lacéra la jambe du tranchant de son sabre. Elle qui partait avec la ferme intention de lui sectionner le membre, fut surprise par la résistance inattendue de la chair et des os du démon, lors de l’impact.

A peine relevée, Seyia eut le réflexe de placer ses bras en protection, avant d’être projetée de toute sa masse vers l'arrière. Elle se réceptionna laborieusement sur ses coudes qui, en raclant le parquet, s'étaient couverts de sang. L'adrénaline aidant à atténuer la douleur, la tueuse se redressa aussitôt, sans y prêter la moindre attention. Elle vit alors la bête bondir sur sa personne, dans la ferme intention de l'écraser de sa patte griffue. Heureusement, seul le sol se fissura sous la puissance du coup porté. En recherchant son second souffle, la tueuse jeta un œil furtif sur le point d'impact, heureuse d'avoir esquivé l'attaque. Pourtant son moral vacillait. Elle savait que la moindre seconde d'inattention lui coûterait la vie, et qu’à ce rythme, elle finirait fatalement par s'exposer dangereusement.

─ Tu vas finir par crever oui ? cria-t-elle de désespoir avant de se murmurer quelques encouragements de circonstance. Allez ma belle, c'est pas le moment de flancher.

Lorsqu'on lui avait confié cette mission, Seyia s'était préparée mentalement, jusqu'à envisager divers scénarios possibles. Forte de ses expériences passées, elle s'était imaginé affronter tout au plus un nid de vampires ou un loup garou, mais certainement pas un démon de cette envergure. Son escouade avait été créée pour gérer des missions considérées moins dangereuses, les autres étant réservées aux tueuses plus expérimentées, comme Faith ou Buffy. Pour autant, la réalité est souvent imprévisible et les évènements ne se déroulent pas toujours comme prévu.

Le Corvak fonça sur la tueuse qui exerça une roulade au sol en entaillant son flanc. Dans l’élan, elle enchaîna les attaques au sabre avec une virtuosité telle qu'elle faisait mouche à chaque fois. Sa lame dansait en sifflant dans l'air, si rapide et précise, qu'il était impossible d'en déceler les mouvements. Elle infligea une multitude de blessures à la créature, sans pour autant atteindre l’efficacité recherchée.

Pire, le démon bloqua la lame de ses doigts crochus, puis leva l'une de ses pattes difformes dans le but de la pourfendre. Incapable de rivaliser physiquement, Seyia lâcha sciemment la garde de son sabre et parvint, en pivotant son corps, à échapper à l'attaque meurtrière. Le démon, emporté par son propre élan, offrit une ouverture à la tueuse qui contre attaqua à mains nues. Elle l’enchaîna de coups de poings et de pieds d'une violence inouïe. Les phalanges en sang, chaque impact lui procurait une terrible souffrance, si bien qu'elle serra les dents pour ne pas hurler. Malgré la violence de ses enchaînements, apte à punir n'importe quel autre démon lambda, elle ne parvenait toujours pas à le neutraliser et n'allait pas tarder à en subir les conséquences.

La tueuse encaissa de plein fouet une offensive à l'estomac, si brutale qu'elle coupa en elle toute velléité de révolte. Pliée en deux, des gerbes de sang au goût cuivré dégoulinèrent de sa bouche, tandis que des larmes de sueurs suintaient de son front humide. Son cœur décolla dans sa poitrine comme le décompte d'une mort inéluctable. Le démon Corvak, dénué de pitié, la frappa de plus belle, à la façon d'un joueur de football tapant dans un ballon, comme si elle n'était rien d'autre qu'un misérable objet inanimé. Une douleur vive et aiguë l'assaillit. Son corps tournoya sur lui-même, perdu dans un espace sans repère, jusqu'à ce qu'il percute de toute sa masse, le sol froid et dur comme un roc.

Étant allée au bout d'elle-même, Seyia n'exprimait aucun regret. Exténuée et meurtrie, l'oreille collée au sol vibrant, elle attendait l'arrivée de la faucheuse comme une libération.

Une flèche sifflota dans l'air et alla se planter dans la rétine du démon qui poussa un hurlement primal. Aussitôt, une ombre jaillit des hauteurs, utilisant la corde laissée pendante, et se réceptionna habilement entre la jeune fille et la créature. Seyia, soulagée d'être encore en vie, leva difficilement la tête pour apercevoir une silhouette familière.

Une femme blonde, de taille moyenne, coiffée de deux petites nattes, lui tournait le dos. Celle-ci portait une protection grisâtre sur l'ensemble du corps, comportant des petites épaulières, un plastron fin sur la partie supérieure, ainsi que des genouillères. Il ne s’agissait pas d’une armure à proprement parler, mais plutôt de couches protectrices légères conçues pour ne pas entraver les mouvements. Sous son équipement, l'inconnue était recouverte d’une combinaison noire, moulant parfaitement ses formes menues mais néanmoins athlétiques.

Dans sa main gauche, elle tenait une arbalète et dans sa main droite, une scintillante scythe de métal teintée d'un rouge flamboyant. Plus aucun doute ne subsistait quant à l'identité de son ange gardien. Seyia, malgré son état critique, esquissa un sourire. La blonde tourna la tête dans sa direction, le regard compatissant. C'était Buffy, la tueuse de vampire. Une légende vivante dans le milieu et la générale en cheffe de l'organisation, admirée de ses amis et crainte de ses ennemis. Rassurée par la présence de son mentor, Seyia ferma les yeux et se laissa aller à l'abandon.

─ Repose-toi maintenant, la rassura Buffy de toute sa bienveillance. Tu en as assez fait, je prends le relais.

La tueuse tourna alors son regard acéré vers le démon disgracieux. Ce dernier tentait d'extirper difficilement la flèche plantée dans son œil. Dans un grognement de douleur guttural, il parvint enfin à l’arracher, laissant échapper un flux de pus visqueux qui suintait le long de sa pommette mutilée.

… Tu comptes brailler encore longtemps ? Non parce que j'ai pas toute la nuit et j'aimerais qu'on en finisse assez rapidement. Et puis ce serait mieux pour toi, ça t'éviterait de souffrir davantage.

Buffy possédait un style bien à elle, mêlant habilement agilité et moquerie. Elle prenait un malin plaisir à narguer ses adversaires en plein combat, en les réduisant à l'état de simple distraction. Ce stratagème poussait souvent ses ennemis dans une fureur incontrôlée, une rage aveugle qui les conduisait inévitablement à commettre des erreurs fatales. Pour la tueuse, ces provocations ne résultaient pas d’une stratégie longuement méditée. Nul besoin de préparer ses répliques, ni de les travailler. Son aisance à distiller ses railleries s'épanouissait avant tout dans l'inné et dans l'improvisation.

La créature poussa un cri perçant avant de s'élancer sur sa proie avec une férocité bestiale. La tueuse, stoïque, avançait sereinement à l'encontre de son opposant. D’une simple rotation du poignet, elle fit tournoyer son arme lentement, comme pour s’échauffer. Alors que le démon pressa sa course et bondit rageusement sur sa personne, Buffy se déroba à son attaque, d'un pas léger sur le côté. À la suite de sa tentative avortée, le monstre de déchaina de plus belle, mais chaque assaut se soldait obstinément par la même échec.

La tueuse, les bras ballants le long du corps, esquivait les attaques avec une nonchalance à la limite de l'humiliation. Tandis qu’elle semblait s’économiser en fournissant le minimum d’effort, son adversaire, lui, se démenait comme un beau diable, dans l'espoir de la terrasser pour s’abreuver de son sang. Elle ne lui laissait pourtant aucune ouverture. Ses mouvements, d'une sobriété apparente, trahissaient une totale maîtrise de son art. En évitant les gestes inutiles et superflus, Buffy préservait son endurance, dans un équilibre parfait entre la défense et l'attaque, privilégiant ainsi l'efficacité à l'esthétisme.

Toutes ces années à batailler sans cesse, l'avaient élevé au rang de combattante accomplie. Les défaites et les victoires, forgées dans la douleur et les sacrifices, avaient façonné la légende vivante qu’elle était devenue.

─ Çà y est, t'as tout donné là ? le provoqua-t-elle à nouveau. Non parce que si c'est le cas, c'est très décevant. Tu fais beaucoup de bruits pour pas grand-chose.

Le Corvak, complètement décontenancé par cette jeune femme qui s'amusait à ses dépens, perdit sa sérénité habituelle. Ayant toujours inspiré la terreur sans ne jamais l'avoir expérimenté à son insu, le démon découvrit avec effroi, cette terrible sensation d'impuissance. Pour la première fois, il passait du rôle de chasseur à celui de proie, et son orgueil démesuré lui fit perdre le sens des réalités.

Enragé, le Corvak s'acharna, résolu à faire taire cette petite présomptueuse. La tueuse demeurait malgré tout intouchable, déjouant ses coups mortels avec une grâce naturelle. Elle agissait instinctivement, baissant la tête au bon moment, reculant d'un pas ou sautillant de tous côtés, ébranlant ainsi la pugnacité de son adversaire.

… Bon ! t'as eu ta chance, à mon tour.

Buffy contre-attaqua avec une vigueur renouvelée. De ses multiples élans, elle lacéra la chair du démon, puis d'un mouvement ascendant, sectionna le membre restant de sa lame. Le démon poussa un énième hurlement que la tueuse prit soin d'étouffer en lui enfonçant l'arbalète dans sa gueule béante. Le cliquetis de la détente résonna et la pointe de la flèche transperça la carotide de la bête, incapable d'évacuer la douleur qui la tenaillait.

… Il ne peut en rester qu'un, annonça solennellement la tueuse triomphante, avant de lui porter définitivement le coup de grâce d’un mouvement circulaire de sa scythe.

La tête du démon roula sur le sol pour terminer sa course dans les tribunes, alors que son corps s'étala aux pieds de la tueuse.

… J'ai toujours rêvé de dire ça

Buffy venait de terrasser la bête. D'un mouvement vif, elle fit siffler sa lame, libérant les gouttes de sang incrustées dessus, à la manière d'un samouraï avec son katana. Une fois fait, elle se retourna pour évaluer l'étendue des dégâts, puis se précipita à l'encontre de ses jeunes protégées. Sans perdre de temps, elle actionna son oreillette.

…Buffy pour Alex, est ce que tu me reçois ?

─ Désolée, Alex est pris sur une autre urgence. C'est Leïna. Qu'est-ce que je peux faire pour toi ?

─ Il me faut une unité médicale au 999 avenue Brooklyn, au gymnase. A première vue, il n'y a rien de grave, à part de gros hématomes. On a évité le pire, répondit Buffy en sondant les blessés.

─ OK, bien reçu, je t'envoie Andrew et son équipe. Ils seront là au plus vite.

Buffy s'approcha de Seyia, plus mal au point que les autres. Elle s'agenouilla, puis la retourna sur le dos en plaçant délicatement sa tête sur ses genoux.

─ Tu as été très courageuse, murmura-t-elle, pleine de compassion pour sa disciple au visage tuméfié.

─ Comment vont les filles ? souffla Seyia de sa voix quasiment inaudible.

Buffy parcourut la salle du regard et fut soulagée de constater que Joy, Léa et Héléna se tenaient debout et s'épaulaient mutuellement. Malgré leur état déplorable, elles s’avancèrent vers leur cheffe d'équipe en traînant la jambe.

─ Ne t'en fais pas, elles vont bien, tu les as sauvées.

Sur les joues de la jeune tueuse, quelques larmes coulèrent. Le cœur lourd, Seyia se sentit soulagée de les savoir en vie, et en même temps tiraillée par la culpabilité.

─ Je ne les ai pas sauvées. J'ai rien pu faire. Elles auraient pu se faire tuer à cause de moi.

Buffy comprenait ce que la jeune fille endurait. L’ayant vécue par le passé, elle connaissait parfaitement cette sensation d’impuissance face au danger. Cela lui rappelait à quel point être une tueuse rimait bien souvent avec solitude, à l'heure de prendre des décisions qui impacteraient la vie des autres. D'ailleurs, elle ne s'y était jamais vraiment habituée.

─ Tu es trop dure avec toi-même ! Bien sûr, tout n'était pas parfait. Tu as eu un moment de faiblesse, mais l'important, c'est que tu aies su te reprendre quand il le fallait. Pour ta première, tu n'aurais jamais dû te retrouver dans cette situation et pourtant tu as su t'adapter. Des erreurs, tu en commettras d'autres parce que c'est comme ça, on ne peut pas toujours tout contrôler. Il m'est arrivé d'en faire bien plus que je ne l’aurais voulu et certaines ont coûté la vie de personnes qui m'étaient chères. C'est le lot de chaque tueuse et c'est ce qui te permettra de faire mieux la prochaine fois.

─ Elle a raison, la soutint Joy. A cause de toi, j'ai des hématomes partout alors la prochaine fois, améliores-toi pour que ça n’arrive pas.

─ Oui, reprit Héléna en esquissant un sourire sincère. Pendant que t'y es, évite de jouer les héroïnes en te sacrifiant pour me sauver la vie. Je ne voudrais pas avoir ta mort sur la conscience.

─ Y a vraiment pas de quoi, lui rétorqua Seyia.

Buffy observait ses disciples avec une once de nostalgie dans le regard. Les voir ainsi soudées lui rappelait des souvenirs précieux. Tous ces moments d'intimité, de joie et de peine avec Willow, la sorcière de génie, et Alex, toujours prompt à donner un coup de main et à la suivre malgré le danger. C'était la bonne époque du lycée, quand leurs principaux problèmes étaient les maths et Mr Snyder, le proviseur mort héroïquement en restant fidèle à ses principes jusqu'au bout. La tueuse n'avait jamais eu le parcours de Monsieur et Madame tout le monde, et sans ses amis, elle n’aurait probablement pas survécu. Aussi, se sentait-elle un peu émue en les observant se réconforter de la sorte. C'était le signe d'une connivence de groupe primordiale dans cette lutte contre le mal.

Le chant strident d'une sirène, entonnant l'air de Ghostbuster à fond les décibels, se fit entendre à l'entrée du bâtiment, suivi par un crissement de pneus. A l’extérieur, les gyrophares projetaient des éclats rouges et bleus, illuminant l’enceinte d’une lueur intermittente.

─ La cavalerie arrive, mais j'imagine que toute la ville doit être au courant, s'écria Buffy sur un ton proche de l'ironie.

Apparut alors Andrew, entouré de cinq jeunes femmes transportant avec elles, des valises de premiers secours.

─ Allez-y ravissantes créatures, s’exclama-t-il à son staff aux aguets. Nous sommes le dernier recours entre la vie et la mort, à l’instar du Dr Ross dans Urgences, ou encore Hugues Laurie dans docteur House. Par notre courage et notre abnégation, nous sauvons des vies, préservant cette lueur d’espoir qui vibre comme une flamme fragile entre nos mains expertes.

Andrew était ce qu'on pourrait appeler un personnage haut en couleur, le geek par définition. Ancien ennemi de la tueuse, il avait rejoint son équipe par un heureux concours de circonstance, et avait même aidé à vaincre la Force. Par la suite, il fut chargé de recruter des tueuses à travers le monde, avant de revenir au bercail et de superviser l'équipe médicale, malgré son manque d’expertise flagrant dans le domaine. S'il maitrisait à peine les premiers soins et la pose de bandages, il n'en restait pas moins précieux pour l’équipe. Andrew mettait toujours du cœur à l’ouvrage dans tout ce qu’il entreprenait. Au-delà de son enthousiasme, il excellait dans l'art de bien savoir s'entourer. Aussi, savait-il détecter les qualités nécessaire pour mener à bien sa mission.

Ce soir, Andrew portait un costume marron d'une qualité certaine, bien mal taillé pour sa personne, ainsi qu'une chemise blanche ouverte à l'encolure. Il se tenait appuyé à l'aide d'une canne de bois vernis. Le geek n'avait aucun handicap physique mais il adorait se mettre dans la peau des personnages de série télévisées qu'il aimait tant. C'était le genre à vivre par procuration devant son poste de télévision. Tandis que les secouristes prenaient en charge les blessées, Andrew se porta volontaire pour s'occuper de Seyia.

─ Salut Buffy, ne t'en fais pas, je gère la situation, dit-il fièrement en posant ses yeux sur la victime.

─ En fait, c'est ce qui aurait tendance à m'inquiéter, lui rétorqua-t-elle, pas très rassurée.

─ Scalpel, ordonna-t-il aux deux filles portant une civière.

Il tendit ouvertement sa paume dans l'espoir qu'on veuille bien y déposer l'objet désiré. Les deux jeunes accompagnatrices échangèrent un regard exaspéré.

─ Dans tes rêves, répliqua l'une d'elles. Allez, écarte-toi, on doit la transporter. Je t'en foutrai moi du scalpel.

Buffy savourait la scène, soulagée de constater que le personnel du geek, bien plus qualifié, n'hésitait pas à le remettre à sa place lorsqu'il le fallait. Les deux secouristes soulevèrent Seyia avec précaution et la déposèrent délicatement sur la civière avant de l'emporter. Buffy lui tint la main sur quelques mètres, puis la laissa partir. Andrew, témoin de ce moment émouvant, glissa une main sur l'épaule de la tueuse, dans un geste solennel de réconfort.

─ Ne t'en fais pas Buffy, elle est entre de bonnes mains avec nous, dit-il avant de partir à la poursuite de ses deux subalternes. Hé les filles attendez moi... hé, dites je pourrai utiliser le défibrillateur ?

Buffy resta plantée là, circonspecte.

─ Pourquoi je l'ai pris lui déjà ?.....

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