Shanshu - La suite des aventures d'Angel et Buffy

Chapitre 6 : Episode 6 - Los Angeles mon amour

5068 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a plus d’un an

EPISODE 6 : LOS ANGELES MON AMOUR



La nuit venait de tomber sur Los Angeles, enveloppant la ville d’un voile ténébreux. Les néons des lampadaires et des commerces illuminaient les ruelles, tandis que les buildings trônaient majestueusement en toile de fond, étincelants de mille feux, tels des diamants serti dans un écrin de noirceur. Cependant, derrière ce décor attrayant, les rues bondées de monde cachaient une misère omniprésente. Les ruelles étaient crasses et poisseuses, les trottoirs jonchés de déchets en tout genre.

Parmi ces scènes, quelques femmes, contraintes par la dureté de la vie, offraient leurs services pour arrondir leurs fins de mois, sous le contrôle des macs de la rue. On rencontrait aussi des sans-abris, sans le sous, cherchant à conjurer leur sort dans l'alcool, ou simplement des âmes perdues, errant sans but et luttant contre la gravité pour ne pas tomber.

Des deals de cocaïne et autres substances illicites se faisaient au vu et au su de tous, comme si la police avait déserté les lieux. A côté de cela, des passants ordinaires continuaient leurs courses ou rentraient simplement chez eux, slalomant pour éviter les mauvaises rencontres. Dans ce décor sordide, un être semblait s'y trouver complètement à son aise, détonant fortement avec la personne qui l’accompagnait.

Tout semblait nouveau pour Illyria qui avait encore tant à découvrir de ce monde. Elle y avait pourtant vécu autrefois, avant que l'humanité ne prenne le pouvoir et ne cultive la terre à son image. Ce qu'elle aperçut ne fut pas pour la convaincre de la valeur de l'espèce humaine, qu'elle cherchait il y a peu à détruire. Bien qu’ayant suivi assidument les cours de Wesley, l'opportunité de vivre parmi eux et de partager leur quotidien ne s’était jamais présentée jusqu’alors. Pour une Puissance ayant régné et vécu à l'origine de la création dans sa pureté la plus absolue, il était inconcevable de coexister dans ce monde en totale perdition. A son époque, il régnait un chaos primitif, mais il y existait une forme de respect pour la nature et ses éléments.

─ Ce monde est pitoyable. Les humains ne valent guère mieux que la boue à mes pieds. Ils salissent et détruisent leur propre monde tels des insectes nuisibles, cafards grouillants de toute part, déversant leur arrogante prétention, fourmis qui n'ont pas conscience de leur propre insignifiance.

─ Et tu n'as pas tout vu, ajouta le vampire décoloré qui s'amusait des envolées lyriques de la démone auxquelles il commençait à être habitué.

Les deux complices quittèrent l'avenue principale, noire de monde, pour bifurquer sur une petite ruelle plongée dans l'obscurité. Seul l’éclat rougeoyant d'une enseigne ou l’on pouvait lire en gros caractères : THE WILLY'S, éclairait l’allée. La ruelle aboutissait à un cul de sac, faisant de ce bar discret et sans envergure, la seule destination accessible.

Spike devança Illyria, et tambourina vigoureusement à la porte, de façon à annoncer sa présence. Après une brève inspection par le judas, la porte s'ouvrit, laissant apparaître un portier à la carrure imposante. Il s’agissait d’un démon répondant au nom de Cribb.

─ Spike, s'étonna Cribb. Ça fait un bail qu'on ne t'avait pas vu dans le coin.

─ Ouais, j'ai pas mal bourlingué ces derniers temps. Tu sais ce que c'est…

─ Dis donc, elle est plutôt bien roulée la petite, commenta le portier en dévisageant Illyria d'un air malaisant.

La déesse démone, peu habituée à ce que l'on s'adresse à elle avec une telle familiarité, s'avança dans l'idée de lui infliger une mort lente et cruelle. Peut-être lui arracherait-elle les yeux de ses orbites pour les lui faire avaler, ou lui extrairait-elle ses intestins pour en faire un collier ? Elle ne s'était pas encore décidée, bien que l'un n'excluait pas forcément l'autre. Spike, percevant le danger, s’interposa entre la démone et le portier, et d'un coup sec en pleine mâchoire, le fit tomber à la renverse.

─ Mais t’es complètement taré ? gémit le cerbère en se tenant le menton. Qu'est ce qui t'a pris ?

─ Crois moi, c'est pour ton bien. Mieux vaut que ça vienne de moi. Je viens de te sauver la vie, lui répondit Spike, avant de se retourner vers la démone ,frustrée de ne pas avoir pu assouvir ses desseins.

D'un geste, il l'invita à s’engager dans le couloir d’où provenait les échos d'une musique, étouffée par la cloison qui les séparait de la pièce principale. En y accédant, la démone s'immobilisa, stupéfaite par le spectacle qui s’offrait à elle : une salle bondée où démons, créatures hybrides et humains, se mêlaient dans un vacarme assourdissant. De chaque côté de la salle, deux pistes de pole dance mettaient en scène des danseuses affriolantes, tournoyant gracieusement pour offrir aux clients une vue délicieuse sur leurs charmes.

Au centre, un immense bar de forme circulaire, abondamment approvisionné en alcools de toutes sortes, permettait au barman de jouir d’une vue panoramique sur l’ensemble de l'espace. Ce dernier servait la clientèle désireuse de se sustenter. Derrière les pistes, des emplacements un peu plus chics proposaient, pour les plus aisés, de prendre du bon temps en privatisant les services d'une call girl. Enfin, au fond de la salle, tel un trésor caché, se dressait une imposante scène de spectacle surélevée, équipée de puissants projecteurs. Bien qu’inoccupée sur l’instant, elle laissait présager de très belles soirées à venir. De l'extérieur, ce bar ne payait pas de mine, mais l'intérieur dissimulait un véritable paradis du péché.

Spike, percevant le malaise éprouvé par Illyria, la devança et l'interpella d'un ton moqueur.

─ Alors, qu'est-ce que t'en dis ? Je paris que t'avais jamais vu ça du fond de ta grotte.

La déesse démone ignora les douces railleries du vampire, totalement absorbée par ce qu'elle identifiait comme une folie dégénérative.

… Allez viens, l'encouragea Spike. A moins que tu ne préfères rester là, en dehors de la masse. Vois ça comme une occasion d'expérimenter quelque chose de nouveau.

─ Je ne comprends toujours pas ce que nous faisons ici, s'écria la démone.

─ Du temps où tu régnais, il ne t'est jamais arrivé de te poser ? De te laisser aller…profiter de la vie en sirotant une bière devant un match de Manchester United ?

─ Du temps où je régnais, je devais constamment être sur le qui-vive. Si j'avais relâché ma vigilance, ne serait-ce qu'un instant, mes ennemis auraient eu tôt fait de me détruire. Les seuls moments de répits que je m'octroyais étaient quand je voyais leurs têtes au bout d'une pique.

Spike ne fut qu'à moitié surpris par la réponse de la Schtroumpfette. Elle venait d’un autre monde et devait s'adapter à une réalité complètement différente de la sienne. Lui-même ne se serait jamais imaginé vivre une seule seconde à son époque. Il n'aurait pas pu le supporter. Le vampire, même du temps où il n'avait pas d'âme, s'était toujours senti connecté à l'humanité et à ses péchés capitaux. Il avait toujours vécu sa vie à cent à l'heure, sans ne jamais faire de concession, du moins, avant sa rencontre avec Buffy.

─ Tu veux un conseil, ajouta Spike. Lâche du lest, arrête de penser et profite du moment. Allez viens !

Sur ces mots, il se hâta vers le bar et prit place sur un tabouret noir, accoudé au comptoir. Illyria ne tergiversa pas longtemps, et se décida à lui emboîter le pas, en s'installant à ses côtés. Spike attendait patiemment que le barman remarque leur présence. Ne passant pas inaperçu, le duo se fit vite repérer.

─ Spike ! s’enthousiasma Willy. Ça fait un moment. Je me demandais si tu n'avais pas quitté la ville.

Le barman essuya deux verres fraîchement nettoyés afin de les mettre à leurs dispositions.

─ Ouais, j'ai eu à faire. Et pour ce qui est de cette ville, je ne compte pas m'y éterniser.

─ J’te comprends, dit Willy. Les temps sont durs en ce moment pour les créatures de la nuit. J’te sers la même chose que d'habitude ? C'est ma tournée ce soir.

─ Si c'est ta tournée, alors je n’vais pas me faire prier, apprécia le vampire.

─ Et pour la demoiselle ? demanda le barman. Ça sera quoi ?

Illyria l'observa en silence. N'étant pas familière des us et coutumes de ce monde, elle n'eut pas la moindre idée de ce qu'il était convenu de répondre. Spike prit les devants et commanda la même chose pour la démone. Willy s’exécuta et leur servit deux verres de son meilleur whisky.

─ Allez c'est le moment de te lâcher. Cul sec.

Spike engloutit le liquide d'une gorgée avant de claquer son verre sur le comptoir. A peine venait-il de le terminer, que Willy le remplissait à nouveau. Illyria, imitant la gestuelle du vampire, ingurgita le Whisky d'une traite, provoquant, de ce fait, la surprise du barman.

─ Ben dit donc, quelle descente. Vous êtes la démone parfaite, la complimenta Willly, laissant à Spike le soin de confirmer ses propos d’un sourire approbateur.

La déesse démone analysait cette sensation inédite, coulant dans sa gorge. C'était la première fois qu'elle savourait ce breuvage, et elle ne sut dire si c'était du meilleur effet. Du reste, elle n'objecta pas à l'idée de renouveler l’expérience.

─ Je te fais l'honneur de ma présence dans ton taudis qui empeste le désir et la perversion, et tu oses me servir de cet abject liquide. Je devrais te détruire toi et tous ces sangs mêlés qui empestent l'humanité ainsi que cet endroit de débauche, mais je vais être clémente pour cette fois. Ressers-moi.

Le barman, totalement abasourdi par une telle réaction, fut épris de quelques sueurs froides. L'idée d'un aller simple dans l'au-delà ne l'enchantait pas des masses. Il ignorait s'il devait la prendre au pied de la lettre, ou si elle utilisait une forme d'humour dont il peinait à discerner l'ironie. Dans le doute, il s’exécuta et resservit la démone avant de se tourner vers le vampire.

─ Elle est vraiment capable de faire ce qu'elle vient de dire ?

─ Si tu savais, le prévint Spike en s’amusant de la situation. Si tu veux un conseil, évites de la contrarier. Elle régnait sur Los Angeles à une époque….

Willy en avait assez entendu. Il s’éclipsa pour aller chercher ses meilleurs crus, qu'il disposa soigneusement sur le comptoir, à la disposition d'Illyria. Habituellement prompt à parler sans réfléchir, il allait devoir fournir un effort considérable pour déjouer sa nature et ne pas éveiller la colère de l’ex-monarque. Spike, quant à lui, se réjouissait d'avoir trouvé un compagnon de beuverie susceptible de lui tenir tête sur la longueur.

Sur la grande scène, un ingénieur du son plaçait et testait minutieusement le matériel.

─ Je vois qu'il y aura de l'ambiance ce soir. Qui vient jouer ? interrogea le vampire, amateur de rock à ses heures.

─ Un groupe pas très connu qui essaie de faire son trou dans le milieu. Ça se fait appeler Ghost Of The Robot. Tu me connais, j'aime mettre en lumière de jeunes talents.

Spike sortit un paquet de cigarettes de sa poche et en glissa une entre ses lèvres. Il frictionna l’allumette sur le comptoir et alluma sa clope, inhalant quelques bouffées avec satisfaction. Le tabac et le whisky se mariaient à merveille, rendant l’expérience d’autant plus agréable.

De son côté, Illyria continuait d’enchaîner les verres, attirant l’attention de la foule environnante. Certains s’étonnaient de constater ce corps si frêle ne pas succomber au coma éthylique. D'autres, avec un regard plus malsain, y guettaient une occasion de profiter d'une démone, qui à la vue de ce qu'elle ingurgitait, serait de toute façon prise d'amnésie le lendemain. Une pensée fugace, rapidement dissipée par la présence intimidante de Spike à ses côtés. La réputation légendaire du « Sanguinaire » inspirait un respect mêlé de crainte parmi les créatures de la nuit.

─ Alors dis-moi Willy, amorça Spike en jetant trois billets de vingt dollars sur le comptoir. Quelles sont les nouvelles dans le monde souterrain ? T'as appris des choses intéressantes ?

─ Tu plaisantes, répondit le barman. Avec tout ce que je viens de dépenser en bouteille de grand cru, je ne serai jamais gagnant. Tiens, fais-moi plaisir, gardes ton fric. Aujourd'hui, c'est mon jour de bonté. J’espère que tu t'en souviendras si un jour j'ai besoin d'un service.

Willy n’était pas bête. Il avait beaucoup de comptes à rendre, et s’assurer les bonnes grâces du vampire lui éviterait certaines représailles.

─ Pour tout te dire, selon les bruits qui courent, et ça vient de tous les côtés, il y a quelque chose de terrible qui est en train de se tramer.

─ Ah ouais ? Du genre ? insista le vampire.

─ Du genre qui fiche la trouille aux créatures de la nuit, et je ne te parle pas des plus pacifiques. C'est dans l'air, on est tous là à le ressentir. Si j'ai de moins en moins de clients, c'est pas dû au réchauffement climatique. Y a quelque chose qui se trame en dessous et ça ne présage rien de bon. Tout le monde est en train de parler d'apocalypse. Je sais que les démons en parlent, en gros, une fois par année, mais j’sais pas pourquoi, cette fois, j'y crois.

Spike arbora un air inquiet. Ce qu'il entendait ne le rassurait pas. Ayant vécu l'émergence de « la force » à Sunnydale, et combattu l'armée de Wolfram et Hart, il pressentait que le pire était encore à venir. Wolfram et Hart auraient pu envahir Los Angeles, et pour une raison obscure, ils avaient tout laissé tomber. La clémence de l'ennemi cachait sans doute quelque chose, mais quoi ? Il reprit un verre.

La sono générale s'arrêta brusquement. Le groupe fit son apparition sur l’estrade, composé d'un bassiste, d'un percussionniste, de deux guitaristes et du chanteur, qui salua la foule en remerciant Willy de les avoir accueillis au sein de son établissement. Les danseuses cessèrent leurs performances érotiques et, comme les autres clients, s'amassèrent devant la scène. De leurs côtés, les habitués burinés ne cachaient pas leur mécontentement en marmonnant des grossièretés inaudibles dans leur barbe. Ils se trouvaient là avant tout pour profiter des femmes et de leurs atouts charnels, et non pour faire la groupie de cinq branleurs qui, en plus de leur voler leur bonne humeur, accaparaient l'attention de toute la gent féminine. Pour autant, le bar ne perdait jamais. Après tout, la joie comme la tristesse se noyaient invariablement dans l'alcool.

Illyria, qui ne se lassait pas de consommer bouteilles après bouteilles, au grand dam de son hôte voyant son chiffre d'affaires fondre comme neige au soleil, fut interpellée par l’agitation de la foule. Elle se leva et s'approcha de la scène, laissant Spike et Willy à leur intimité. Captivée par ce son hypnotique, elle ressentit une étrange sensation parcourir son être à l’écoute du titre « Good Night Sweet Girl » interprété par le groupe. Elle n’en comprenait pas la raison, mais cette mélodie semblait l’envoûter. D'abord hésitante, elle se laissa guider lentement au milieu de la foule, qui s'écarta à son passage avant de se refermer derrière elle.

Plus rien n'existait autour, si ce n'est l'appel de cette acoustique vibrante et de cet harmonique si mystérieux. Assaillie par une vague d’émotions, elle découvrit, avec effroi, un sentiment de vulnérabilité mêlé à une paix intérieure, à l'écoute de ce chant attractif dont les ondes déstabilisantes la mettaient à nue. Tristesse et douleur pulsaient dans sa poitrine, pourtant elle ne souhaitait pas que cela cesse. Jamais souffrance ne lui parut si douce et bienfaitrice qu'à cet instant. Pour la première fois, elle se laissa guider par son être intérieur, brisant les chaînes qui la maintenaient éloignée de ce monde étranger. En quête de cet horizon inédit, elle s’abandonna totalement à cette révélation fascinante.

Spike, témoin de son attrait inconsidéré pour la musique, esquissa un sourire satisfait. Bien que son but premier fût de récolter des informations, il espérait également reconnecter Illyria à l'humanité. Ses efforts semblaient porter leurs fruits. Le vampire, en dehors de Wesley, était celui qui avait passé le plus de temps en compagnie de la démone. Il avait su déceler en elle cette infime part de lumière, et il entendait bien l'aider à s'épanouir. C'était, pour lui, la meilleure façon de rendre hommage à Fred et à ce qu'elle représentait.

Dans ce brouhaha ambiant, un mot retint son attention, le tirant brusquement de son introspection.

─ TUEUSE ...

Ce mot résonna en lui comme un grondement de tonnerre. Le vampire décoloré tendit l'oreille, cherchant à localiser l'origine de la discussion. Malgré l'ambiance bruyante, les mots et les syllabes, lui parvenaient distinctement. Sans doute le devait-il à son ouïe fine de vampire, toujours prompt à user d’indiscrétion. En se retournant, il aperçut, assis à une table, trois démons Hélions discutant autour d'un gros pichet de bière. Ces démons avaient la particularité d'arborer sur leur front, un tatouage dévoilant leur allégeance à un gang de bikers. Leurs yeux rouge vif, pareils à ceux de prédateurs assoiffés de sang, brillaient dans la pénombre artificielle, tandis que leur visage, marqué par une peau fripée et couvert de piercings, suggérait une certaine fascination pour le sadomasochisme.

L'un d'entre eux, probablement le leader puisqu'il tenait le discours pendant que les deux autres acquiesçaient sagement, retint tout particulièrement l’attention de Spike. Il portait une veste en jean sans manche aux coutures apparentes, laissant entrapercevoir toute l'étendue d’une musculature imposante. Une chaîne métallique pendait de la poche de son pantalon en cuir. Les deux autres paraissaient fades en comparaison. L'un affichait un léger embonpoint, tandis que l'autre était si maigre qu'on y décelait les os sous sa peau.

Spike se leva et approcha du gang, devenant ainsi leur centre d'intérêt.

─ Qu'est-ce que tu nous veux vampire ? lança agressivement le chef de la bande. J’te conseille de tracer ton chemin si tu veux pas avoir d'ennui.

Spike lui adressa un sourire et leva les mains en signe d'apaisement.

─ Tout doux ma grande, je ne suis pas là pour me battre.

─ Ouais, vaudrait mieux pas pour toi. Nous, les vampires, on en mange au petit déj, menaça le maigrelet sans que le peroxydé n'y prête le moindre intérêt.

─ Loin de moi l'idée de vous contrarier, mais il me semble que vous parliez de la tueuse à l'instant, et ça m’intéresse. Vous l'avez rencontré récemment ?

─ Pour sûr qu'on l'a rencontrée. C'est ce qui explique qu'on ait dû fuir Cleveland, lança le grassouillet avant d'être repris par le leader.

─ Murge ! l'interpella le baraqué. C'est pas possible, tu vas jamais apprendre à fermer ton clac merde.

Le leader se retourna en direction du vampire.

─ Écoutes- moi bien mon gars, j'ai pas l'habitude de tailler le bout de gras avec une race inférieure, mais j’suis plutôt dans un bon jour, alors j'envisage peut être de faire une exception. Avant, faudra me dire pourquoi la tueuse t’intéresse tant.

─ Il se trouve que j'ai déjà eu à faire à elle par le passé.

─ Je vois... Elle t'a botté le cul comme à nous tous. Tu sais que t'es un chanceux : généralement les vampires, c'est sa spécialité à ce qu'on dit. T'aurais dû finir en poussière. Il paraîtrait même qu'elle s'est tapée deux d'entre eux, la pouffiasse. C'est dire si ta race est répugnante.

─ Si tu savais à quel point, ironisa le vampire. Et donc, si je comprends bien, vous avez fui la tueuse à Cleveland ?

Le chef de gang claqua son verre sur la table en signe d'agacement.

─ Je sais ce que tu te dis. Tu penses qu'on est des lâches et qu'on est parti la queue entre les jambes par le seul fait de la tueuse, mais t’es à côté de la plaque. S'il ne tenait qu'à moi, je lui aurais fait avaler sa langue. Mais nos forces ne sont plus ce qu'elles étaient.

─ Qu'est-ce que tu veux dire par là ? s'impatienta Spike.

─ C’que j’veux dire, c'est que la tueuse n'est plus seule. Elle a une armée avec elle. Une véritable armée de tueuses qui nous traquent jours et nuits. Mais si y avait que ça. Y a aussi la bouche de l'enfer qui veut notre peau. On ne peut plus traîner dans les souterrains sans se faire happer par des créatures qui sortent de je ne sais où, quand ce n'est pas ces foutu prêtres. Y a quelque chose qui se trame, et les démons qui peuplent cette planète sont tous en voie de disparition. J’vais te dire une chose mon gars, y a un goût d'apocalypse et j'ai pas l'impression que l'enfer veuille de nous dans la partie. On a quitté cette ville mais on s'en rend compte partout, même ici à Los Angeles. On n'est plus à notre place nulle part. Y a une lutte sans merci entre la tueuse et ces créatures de l'enfer, et nous, on est juste un dommage collatéral. On en est réduit à ça. Il fut un temps où on dominait le monde. On était craint et respecté, mais aujourd'hui, c'est tout juste si l'on n'est pas devenu des putains de victimes.

Spike avait obtenu les réponses qu'il attendait. Soulagé d’apprendre que la tueuse était toujours en vie et soutenue, il restait toutefois préoccupé par la nature de l’adversité à laquelle elle faisait face.

─ Tenez, c'est ma tournée, conclut-il en laissant à leur table les trois billets de vingt dollars proposés plus tôt à Willy.

Il s’apprêtait à retourner à sa place quand le leader l'interpella.

─ Hey, attends deux secondes. Je sais pas pourquoi, mais depuis que j't'observe, j'ai l'impression de t'connaître. C'est quoi ton blase mec ?

Le vampire fit mine de ne rien entendre et continua à presser le pas. Une serveuse à proximité ayant saisie la question, s'immisça dans la conversation.

─ Çà alors, tu ne le connais pas ? ajouta-t-elle sidérée. C'est William le sanguinaire. Tout le monde a entendu parler de lui ici. C'est une véritable légende. Vous sortez d'où les gars ? D'une grotte ?

A l'écoute de ces nouvelles révélations, le démon bondit de colère. Il se leva brusquement et renversa la table, faisant valser les verres à travers la pièce. Le concert s'interrompit soudainement. la foule se retourna, les yeux rivés sur la rixe en devenir.

─ Espèce de sale traître, hurla le biker. J'ai entendu parler de toi. Tu étais le toutou de la tueuse. T’as combattu à ses côtés en tournant le dos à ta propre race de dégénérés. Ça tombe bien, ça faisait un bail que je ne m'étais pas fait un suceur de sang.

Le démon se jeta sur le vampire. Ce dernier n'eut pas le temps de réaction suffisant pour éviter le violent crochet du gauche qui cogna sa mâchoire. Spike encaissa tant bien que mal, mais à peine eut-il repris ses esprits, qu'il se retrouva projeté sur la scène, et alla percuter la grosse caisse qui se disloqua sous l’impact. La foule, terrifiée par la violence de l’affrontement, se dispersa aussitôt, craignant d’être prise dans le tumulte. Seule Illyria resta à sa place, immobile. Les membres du groupe, effrayés par la tournure des événements, s’enfuirent précipitamment, tandis que Spike se relevait, un peu sonné.

─ Bon sang, cracha-t-il, les lèvres serrées de mépris. Ça joue les rebelles avec leur micro et dès que ça s'envenime, y a plus personne.

Le vampire n'eut pas le temps de tergiverser, que déjà se ruèrent sur lui les trois assaillants. Le lourdaud poursuivit sa course, ignorant totalement la silhouette sur sa trajectoire. Alors qu'il passait à proximité de la démone, il fut brusquement happé vers l'arrière, en perte l'équilibre. Illyria l'avait attrapé par le col. Dans la foulée, elle le projeta au loin, avec une force telle, qu'il défia les lois de la gravité en opérant un vol plané dans les airs. Il s’écrasa lourdement au sol, non sans percuter quelques tables environnantes.

Murge se redressa péniblement, mais cela n’atténua en rien sa hargne. Poussant un cri de guerre, il s'empara de la première table à portée de main, et se précipita sur sa cible. Illyria n'esquissa aucun geste. Elle se laissa heurter de plein fouet par le meuble, qui se brisa en lambeau contre son corps immobile. Le démon venait de réaliser l'étendue de son erreur, mais il était trop tard. Avant qu’il ne puisse esquisser une autre tentative désespérée, Illyria le foudroya d’un coup de pied dévastateur dans le bas ventre. Le choc fut si violent qu’il s’écroula, inerte, au milieu des débris. Cette fois-ci, il ne se relèverait pas.

Spike, en prise avec ses deux assaillants, s'empara de l'une des deux guitares électriques traînant au sol. Il sonna le maigrelet d'un coup circulaire, puis serra le manche à la manière d'une batte de baseball, avant de l'envoyer valser dans la foule. Les spectateurs, surpris, s'écartèrent à son passage, laissant au parquet, la lourde tâche de le réceptionner.

─ Comme ça, tu sais ce que ça fait d'être une star, ironisa le vampire, un sourire narquois aux lèvres.

Le leader, voyant ses deux acolytes hors d'état de nuire, déploya deux lames rétractables de ses avant-bras. Le vampire para les coups à l'aide de l'instrument, mais la guitare ne résista pas aux lames acérées, et il se retrouva bien vite démuni. L’Hélion entrevoyait la victoire, mais c'était bien mal connaître son opposant. En se baissant pour esquiver le coup, Spike balaya les jambes de son adversaire, qui termina sa course affalé sur le dos. Sans attendre son reste, il déboîta le trépied du micro, puis l'enfonça dans l'abdomen du démon. Un hurlement d'agonie retentit, déchirant le silence de la pièce. Cloué au sol, L’hélion continuait de gémir sous les regards fascinés du public, captivé par la brutalité de la scène.

Ayant à cœur de parachever son œuvre, Spike s'empara de l'autre guitare électrique traînant à quelques pas. Il gratta quelques accords, captant l’attention de l’audience, puis fracassa le crâne de son adversaire à la manière d'un Pete Townshend. Le vampire fut alors salué par des acclamations dignes des plus grandes rock stars, le public célébrant ses prouesses avec une ferveur inattendue.

─ Merci à tous, et n'oubliez pas « Let's rock »

Spike adorait accaparer le devant de la scène, et c'était l'occasion pour lui d'en profiter quelque peu, sous l'observation d'une Illyria incrédule. Il se pencha sur le corps sans vie du biker, fouilla dans ses poches et en sortit des clés. Avec une nonchalance désinvolte, Il descendit de l'estrade pour rejoindre Willy. Ce dernier affichait une pâleur cadavérique.

─ On est quitte, déclara Spike en allumant une cigarette. Grâce à mon petit show, tu vas t’attirer une sacrée clientèle. Pas besoin d’me remercier, c'est mon cadeau de départ.

Alors que le vampire quittait l'établissement en compagnie de la démone, Willy resta bouche bée en observant l'étendue des dégâts. Les réparations à venir s'annonçaient extrèmement onéreuses.

Devant la façade, trois Harley Davidson attendaient, garées sur le côté. Spike enfourcha l’une des motos et utilisa la clé subtilisée à son agresseur. Il invita Illyria à monter derrière lui. Celle-ci, tout d'abord réticente à l'idée, finit par accepter.

─ Où vas-t-on ? demanda-t-elle, curieuse.

─ A Cleveland, répondit Spike avant de s’élancer sur l’asphalte.

Illyria appréciait la douce sensation de ses cheveux flottant dans le vent, et celle de son corps étroitement pressé contre celui du vampire. Elle venait de vivre l'une de ses plus belles expériences depuis son retour dans ce monde. Les fabuleuses notes de musique résonnaient encore dans son esprit, tandis que la chaleur de cette atmosphère si singulière continuait de vibrer en elle.

La nuit était tombée sur Los Angeles. La ville brillait de mille feux, comme des diamants. Les rues scintillaient de néons colorés et de lumières vives. La vie pulsait de toute part. Pour Illyria, il ne faisait aucun doute qu'à l’heure du départ, la cité des Anges était la plus belle ville du monde.

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