Shanshu - La suite des aventures d'Angel et Buffy

Chapitre 3 : Episode 3 - Prise de conscience

4242 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a plus d’un an

EPISODE 3 : PRISE DE CONSCIENCE



Charles Gunn reposait dans ce lit de fer, le corps légèrement surélevé par un effet de mécanique propre à la structure du matériel. Couvert d'un drap blanc immaculé, adossé à un épais oreiller, il jouissait d'une position optimale pour observer, d’un œil concerné, le téléviseur accroché à la cloison.

On l’avait habillé de l’une de ces robes bleues commune à tous patients destinés à rester contre leur gré dans ce genre d'établissement. Son accoutrement cachait bien mal les quelques blessures en cours de cicatrisation. Un masque à oxygène pendait le long de son lit, à proximité des câbles à perfusion censés combler les carences de son organisme. Du moins les utilisait-il quand l'infirmière venait l'honorer de sa présence. Le reste du temps, il les débranchait, estimant que son état allait s’améliorer sans les cochonneries qu'on lui forçait à s'injecter par intraveineuse. Charles appartenait à la vieille école. Il détestait se faire dorloter, et suivre les ordres de quiconque, fût-ce pour son bien.

Par chance, il avait été placé dans une chambre individuelle, un luxe, compte tenu de l’afflux incessant de malades et de blessés ces derniers temps. Les hôpitaux débordaient. Le manque de médecins et de chambres faisait état d'une problématique n'ayant toujours pas trouvé de résolution adéquate.

Au dehors, l'astre solaire brillait radieusement dans un ciel dépourvu de nuages. La brise matinale offrait un bol d'air frais aux personnes confinées à l'intérieur. L'unique fenêtre de sa chambre, ouverte, laissait filtrer une luminosité des plus appréciable, relevée par les teintes claires des cloisons blanches de l’hôpital.

La vue donnait sur une petite cour centrale où les patients s'adonnaient à quelques promenades revigorantes, l'occasion pour eux de se dégourdir les jambes sans trop brusquer leur organisme. Des hêtres et des noisetiers entouraient le terrain, abritant dans leurs cavités quelques écureuils qui accaparaient toute l'attention des enfants accompagnant leurs parents.

Gunn n'y avait pourtant pas eu accès. Il était resté cloîtré dans sa chambre depuis son arrivée, les multiples opérations subies ne lui permettant pas de sortir au grand jour pour profiter de la faune et de la flore. Son unique distraction pour s'évader de cette prison monochrome consistait en un petit écran plasma dont la qualité sonore laissait à désirer. Le grand baraqué n'avait qu'une seule idée en tête : sortir de ce trou. Pour faire quoi ? Il l’ignorait encore, mais il aviserait en temps voulu. Conscient que sa survie tenait du miracle, Gunn avait l'intention de profiter de chaque instant.

Débarquer dans un nid de vampires avant de s'attaquer à une armée de démons provenant d'une autre dimension relevait de la folie, à plus forte raison, pour un simple humain. Pourtant il était toujours là, à respirer, et ce grâce à l’empressement de ses frères d’arme à le confier à des mains expertes. Charles n'avait pas pu assister à la bataille comme il l'aurait voulu, trop occupé à perdre connaissance, mais il avait pu prendre part à l'épilogue. Revoir ainsi son vieil ami défunt l'avait complètement bouleversé. Bien qu'il se détestât à devoir l'admettre, il se demandait si lui aussi, le jour de ses funérailles, il subirait le même sort que Wesley.

Lui, d'un naturel si prompt à foncer tête baissée sans réfléchir aux conséquences, venait d'entrevoir les limites d'un tel raisonnement. Si c'était à refaire, il hésiterait probablement à deux fois avant de vendre son âme au diable par goût du risque et de l'aventure. Quoique, à bien y réfléchir, il replongerait certainement dans ses travers. Sa forte composition l'empêchait de prendre parfois conscience de ses faiblesses. A trop se croire immortel, il finirait fatalement par se briser les ailes, et le contre coup n'en serait que plus éprouvant.

Il y a quelques années, bien avant sa rencontre avec Angel et Wesley, il avait signé un pacte avec un démon. Son âme contre un van. Les raisons et les circonstances étaient alors bien différentes, mais la finalité restait la même. Finalement, il ne changerait jamais.

Le son du téléviseur était faible, mais lorsqu'il vit les gros titres du journal TV apparaître en bas de l'écran, il se décida prestement à augmenter le volume. Intrigué par la teneur des médias concernant la situation difficilement avouable, il y prêta une oreille attentive.

« Tremblement de terre à Los Angeles. Décès d'une sénatrice et destruction d'une canalisation laissant échapper des gaz hallucinogènes sur la population »

Voilà en gros ce que proposait le menu éditorial. Cela lui avait complètement échappé, mais il s'en était pris à une sénatrice qui lorgnait une place à la Maison Blanche. Elle était certes un démon, mais la population n'en avait pas conscience. Tout ce que les citoyens retiendraient, ce serait le crime impardonnable d'un jeune noir sur une personnalité au bras long, et blanche de surcroît. Il avait beau retourner le problème dans tous les sens, il n'y trouva pas de dénouement heureux. Le département de la Justice ne mettrait pas longtemps à parvenir jusqu'à lui et il finirait ses jours derrière les barreaux. Rien que d'y penser, il en frissonnait de dégoût. Heureusement, il fut soulagé bien vite par les nouvelles annonçant une simple crise cardiaque en lieu et place d'un coup de hache en plein crâne.

─ J'avais conscience que les médias étaient un outil de propagande efficace, mais de là à faire passer une boucherie pour une simple crise cardiaque, à ce niveau c'est de l'art, marmona-t-il en s’adressant à son téléviseur.

Pour la suite des événements, le récit suivait le même schéma. Le dragon et l'armée de démons déferlant dans les rues furent attribués à une hallucination collective, causée par des gaz échappés de conduits endommagés par le tremblement de terre.

Le grand costaud ne pouvait que se réjouir d'une situation qui le libérait de toute culpabilité. Il suspectait, une fois de plus, Wolfram et Hart d'être les artisans de cette mascarade. La firme devait tirer les ficelles dans bien des domaines : la politique, les médias et dans tous les secteurs de pouvoir et d'influence. Ce n'était que des suppositions, mais pour une fois, elle jouaient en sa faveur, alors il s'en accommoda.

Après tout, les journaux télévisés ne pouvaient décemment pas annoncer à la population qu'ils venaient d’échapper à une apocalypse. Cela provoquerait sans nulle doute une hystérie collective et un vent de panique tout aussi dévastateur.

Enfin, le convalescent trouva une limite à son raisonnement et parvint à cette conclusion sans appel : il pensait beaucoup trop. Depuis la nuit des temps, dans un monde habité par des milliards d’êtres humains, aucune preuve tangible n'avait jamais filtré. Il était clair que ce n'était pas lui, allongé sur un lit d'hôpital devant le principal vecteur de manipulation des esprits que représentait ce magnifique écran plasma, qui allait trouver des réponses. Bref, il en avait assez entendu et il éteignit le téléviseur. Le chant des oiseaux gazouillant à l’extérieur promettait une sonorité plus agréable à l'oreille.

On frappa brusquement à la porte, et sans attendre l’assentiment de Charles, elle s'ouvrit, révélant la silhouette de l'infirmière.

─ Entrez. Surtout faites comme chez vous, ironisa-t-il

─ Oh mais je suis chez moi. N'oubliez pas que vous n'êtes qu'un invité de passage contrairement à moi qui suis obligée de me farcir tous les jours des casse-cous tels que vous.

La femme, d'une quarantaine d'année, brune et de taille moyenne, arborait une mine renfrognée. Sa poitrine, comprimée dans sa blouse médicale, semblait bien trop à l’étroit. Elle portait un plateau repas, et le sourire sadique qu'elle esquissait ne présageait rien de bon quant à la qualité du menu. Le festin se composait d'un bol de soupe verdâtre, d'un verre d'eau et d'une gelée de menthe en guise de dessert. Autant dire que les différents contrastes de vert lorgnaient plus du côté chimique que du côté verdoyant et rassurant de la nature.

─ Et bien Monsieur Gunn, vous allez être ravi. Je vous apporte votre premier repas, dit-elle en posant le plat sur la petite table à côté de son lit.

Charles observa, avec dédain et une certaine aversion, les aliments présentés sous ses yeux. Il percevait dans son assiette, un challenge susceptible de rivaliser avec tous les démons de l'enfer.

─ C'est très aimable à vous, mais j'avais plutôt commandé un triple cheese avec un grand verre de coca et des frites baignées dans une marée de ketchup.

Le rescapé se plaisait à titiller l'infirmière avec laquelle il avait noué une relation affective. Elle s'était occupée de lui dès son arrivée et lui rendait visite quotidiennement. Inévitablement, cela créait des liens.

─ Ben voyons, railla-elle. Vous n'êtes ni le premier, ni le dernier à me faire cette tête-là. Mais si vous écoutez ce qu'on vous dit et mangez ce qu'on vous donne, il ne fait aucun doute que vous seriez très vite remis sur pied. Vous pourrez alors manger toutes les cochonneries que vous voudrez, ce qui me permettrait de vous revoir très vite pour contrôler votre taux de cholestérol.

La dame en blouse blanche venait de marquer un point, et Charles se sentit un peu hébété de ne pouvoir lui répliquer du tac au tac. Ce dernier observa le plat d’un air résigné, envisageant sérieusement d'y planter sa fourchette. Nourri à la paille depuis son arrivée dans l'établissement, l'appel du ventre devenait pressant, assez pour le contraindre à dépasser ses réticences. L'infirmière quitta la chambre, le sourire aux lèvres, savourant le triomphe d’avoir réussi à lui clouer le bec. Elle en éprouva une immense fierté, susceptible d'égayer sa journée de dur labeur.

─ Bon ben quand faut y aller, se motiva Gunn plein de bonne volonté.

─ Tiens, je ne savais pas que tu étais devenu végan. C'est fou ce que les effets de mode ont la dent dure.

Charles sursauta, surpris par cette arrivée impromptue. Il fut coupé dans son élan par une voix qu'il n'avait plus entendue depuis un moment déjà. Il scruta aussitôt la porte d'entrée, restée entrouverte. La personne qui apparut dans l’encadrement fit naître une lueur de plaisir dans ses yeux écarquillés, lui qui se languissait de visages familiers.

La femme arborait un style dévergondé, un tantinet provocant, pour ne pas dire tendancieux. Fine de corpulence, ses longs cheveux ondulés étaient ponctués d'une mèche violette sur le devant. Elle portait une tenue aguicheuse, composé d’un petit haut rouge coupé court, dévoilant son nombril, et d’un pantalon qui épousait parfaitement les courbes de son bassin et de ses jambes, associé à de petites bottines noires.

Son allure rappelait celle de Faith dans ses meilleurs moments : un style sexy, assumé, avec une touche de rébellion. En somme le genre de fille infréquentable dont il ne faisait pas bon à chercher des noises. Pourtant Charles le savait pertinemment : avec elle, les apparences étaient souvent trompeuses. Elle tenait entre ses mains un présent, délicatement emballé dans un papier cadeau.

─ Gwen ? s'étonna Gunn. Je rêve, c'est vraiment toi ? Je vois que tu passes toujours autant inaperçue.

─ Je sais, oui, je suis toujours aussi sexy, dit-elle en baissant la tête pour scruter son propre décolleté. Cela dit, contente que tu ne m'aies pas oublié Charly. J'imagine que j'ai dû te manquer...

─ Tout dépend de la raison de ta présence. Je préfère te le dire tout de suite, si c'est pour m’embarquer dans tes petites manigances et te servir de moi pour arriver à tes fins en mettant ma vie en danger, ben, c'est pas que ça me plairait pas, mais comme tu peux le voir, j’suis pas en état.

La belle lui adressa un sourire malicieux, se remémorant un passé pas si lointain où elle l’avait quelque peu manipulé.

La jeune femme, une vieille connaissance de la bande à Angel, avait croisé leur chemin par un malheureux concours de circonstances. A l'époque, le vampire souhaitait mettre la main sur une relique pour retrouver Cordelia, déracinée sur un autre plan d'existence, et la jeune femme s’était révélée d’une aide précieuse. Gwen possédait un don particulier : celui de contrôler l’électricité. En revanche ce pouvoir lui interdisait tout contact physique avec autrui, sous peine de provoquer une décharge mortelle.

En cela, Gunn fut d’un soutien conséquent. Il l'avait aidé à s'emparer d'un artefact capable de canaliser les effets de son pouvoir. Grâce à lui, elle avait pu goûter aux plaisirs de la chair pour la première fois.

Gwen s'avança vers Gunn, un sourire en coin, et lui lança, d’un geste nonchalant, le paquet qu'elle tenait entre les mains.

─ Tiens, fit-elle, cadeau !

Le convalescent attrapa le paquet au vol, oubliant sur l'instant la douleur intense que provoquerait le moindre geste brusque. Il poussa alors un gémissement.

…Oups, regretta-t-elle timidement en simulant la douleur ressentie. Navrée.

Gunn la fixa d'un regard accusateur, suspicieux quant à l'authenticité de ses remords. Toutefois, cette méfiance s’évanouit aussitôt qu’il focalisa joyeusement son attention sur le présent, oubliant sa douleur. Il s'empressa de déballer le papier neutre qui enveloppait le paquet.

─ Je te pardonnerai quand je saurai ce qu'il y a à l'intérieur.

Gunn avait l'attitude d'un enfant exalté à l’idée de découvrir son cadeau de Noël. Lorsqu’il ouvrit la boîte cartonnée, un sourire sincère illumina son visage en découvrant une alléchante boîte de chocolat. En ce lieu austère, ce présent revêtait une saveur toute particulière.

─ Tu es toute pardonnée, dit-il avec une reconnaissance sincère. Tu viens de me sauver la vie. J'étais à deux doigts de me laisser tenter par cette répugnante gelée verte. Tu n'as pas idée, ils font tout pour que tu ne reviennes pas dans cet hôpital.

Il piocha dans la boîte, prenant un, puis deux et enfin trois chocolats, qu'il avala successivement à une vitesse fulgurante. Il en oublia presque de mâcher avant de déglutir, si bien qu'il faillit s'étouffer et dut faire passer le tout avec un bon verre d'eau.

─ Contente que ça te fasse plaisir, constata-t-elle le sourire aux lèvres. Je ne sais jamais quoi offrir dans ce genre de circonstances, alors j'ai opté pour la pire banalité qui soit. Bien sûr, j'ai aussi pensé à t'offrir des fleurs, mais je ne sais pas pourquoi, j'ai pensé que ça ne t'irait pas au teint. Quoi qu’avec ta robe bleue, tu aurais été mignonne.

Il régnait toujours entre eux une sorte de tension, un jeu charnel, une attirance purement sensuelle. Gwen avait vécu dans l'abstention toute sa vie avant que Gunn ne devienne sa première fois. Il était et resterait toujours le complice de ses premiers émois, et pour cette raison, il occuperait toujours une place spéciale dans son cœur. L'inverse était vrai également. Charles n'en avait jamais fait étalage, mais il chérissait ces moments éphémères et tellement jubilatoires de cette douce nuit qu'il n'avait pas oubliée depuis.

Passé le moment agréable de la dégustation, le convalescent posa la boîte de côté et croisa les bras en adoptant un ton plus sérieux.

─ Comment t'as su que je me trouvais ici ? C'est vrai ça, je ne t'ai pas donné de nouvelle depuis qu'on a quitté l'Hypérion.

─ Disons que j'ai mes sources. N’oublie pas que je suis une grande fille et quand je désire quelque chose, je finis fatalement par l'avoir.

─ Dans ce cas, je suis bien content de me sentir désiré.

─ Arrête ! rétorqua-t-elle, visiblement mal à l'aise. Tu m'as très bien comprise.

La jeune femme, habituellement brute de décoffrage et plutôt encline à laisser transparaître une assurance décomplexée, perdait tous ses moyens lorsqu’il s'agissait de faire appel à ses véritables sentiments.

─ Bon, ajouta Gunn en la dévisageant, dans ce cas tu vas peut-être finir par me dire pour quelle raison tu me cherchais.

Il n'était pas rassuré et la présence de cette vieille connaissance, bien qu'agréable, cachait peut-être autre chose. Il s'en voulait d'être si suspicieux, mais ces derniers temps, il avait été habitué au pire, alors instinctivement, il l'envisageait à chaque fois.

─ Pour tout te dire, je me suis inquiétée, avoua-t-elle non sans difficulté. J'ai ressenti la terre tremblée et j'ai entendu des témoins dire qu'ils avaient vu un dragon voler en plein cœur de Los Angeles. Et avec toutes ces histoires abracadabrantesques et les médias qui s'empressaient de cacher la réalité, j'ai tout de suite compris que vous n'y étiez pas étrangers. Généralement, quand il y a une apocalypse à l'horizon, vous n'êtes jamais bien loin. D’ailleurs, comment va le reste de l'équipe ?

Gunn baissa les yeux. Les traits de son visage laissaient transparaître toute l'étendue de sa tristesse qu'il avait grand-peine à dissimuler.

─ Quelle équipe ? Il n'y a plus d'équipe. Ces deux dernières années ont été...

Charles s’accorda le temps d'un profond soupir

.... Difficiles. Cordelia… Wesley...Fred.. ils sont, enfin il ne reste qu'Angel et moi. Quant à Lorne, il est parti je ne sais où. Tout ça, ce n'était pas pour lui. Ce n'était pas un guerrier, on ne peut pas lui en vouloir. On a essayé de combattre le mal et on s'est fait laminer. Tu veux savoir le pire dans tout ça ? C'est que le méchant de l'histoire n'a même pas eu la décence de nous infliger le coup de grâce. Pour tout te dire, j'ai connu beaucoup de défaites dans ma vie, mais c'est la première fois que je me sens aussi insignifiant.

Un silence lourd s’installa dans la pièce, légèrement couvert par le bruit lointain de la circulation à proximité. La jeune femme ne s'attendait pas à de telles révélations. Apprendre ces tristes nouvelles lui souleva le cœur. Jamais elle n’aurait imaginé le retrouver dans cet état de défaitisme et de désespoir. Elle avait peut-être mal choisi son moment pour acter son apparition. Pourtant, elle se faisait une joie de le retrouver. Elle ne le lui avouerait jamais, mais elle avait déjà tenté de le revoir par le passé.

Au cours de l’année écoulée, elle s'était rendue, à de multiples reprises, devant le portail de l’hôtel Hypérion en espérant l’apercevoir, ou croiser n'importe quel membre de l'équipe. En vain. Jamais elle n'eut de leurs nouvelles. Alors elle s'était faite une raison, imaginant qu'ils avaient déménagé autre part. Ce n’est que dernièrement, en découvrant les signes annonciateurs d’une apocalypse imminente, qu'elle avait acquis la certitude de leur présence dans les parages. Lui et tous les autres, toujours engagés dans la lutte contre le mal, maladroitement peut-être, mais avec une détermination inébranlable. Elle était loin de se douter que ce combat aurait des répercussions aussi dramatiques sur Gunn et ses amis.

─ L'apocalypse n'a pas encore gagné ce monde alors rien n’est perdu. Tu n'es qu'un homme Charles et tu as sauvé beaucoup de personnes pendant toute ces années en travaillant avec Angel. Il ne faudrait pas que tu l’oublies. Ce qui compte, ce sont les victoires du quotidien. Tu ne le vois peut-être pas, mais tu vaux bien mieux que ce que tu crois.

Gunn fut profondément touché par les paroles réconfortantes de la jeune femme. Il prit conscience, à cet instant, que la valeur d'un homme ne se mesurait ni à ses victoires, ni à ses défaites. Il se remémora alors la discussion entretenue avec Anne, juste avant d'aller livrer bataille contre les membres de l'Aiguille Noire. Ce jour-là, il lui avait posé une question existentielle sur la nécessité de continuer à combattre alors que les dés étaient pipés. Elle lui avait alors répondu que « peu importe l’issue, il fallait faire ce qui semblait juste et qu'il n'y avait pas d'autres alternatives ».

─ Je ne te savais pas capable d'autant de tact, la complimenta-t-il chaleureusement.

─ Je t'en prie, riposta-t-elle, légèrement sur la défensive. Ne crois pas que c'est facile pour moi. Je ne suis pas le genre de nana à remonter le moral des autres avec de bonnes paroles. Je suis plus du genre à les faire cramer pour éviter d'avoir à le faire. Il faut croire que je me ramollis avec le temps.

Leurs regards se croisèrent pendant quelques secondes, ce qui la déstabilisa quelque peu. Pour dissiper ce malaise qui la rendait si inexplicablement vulnérable, elle détourna les yeux et se posta à la fenêtre, le dos tourné. Elle inspira alors l'air à pleins poumons. Malgré une certaine expérience, elle éprouvait toujours autant de difficulté à maîtriser ses émotions. Passer une vie entière à fuir les autres n'avait pas contribuer à approfondir ses relations humaines.

─ Qu'est-ce que tu comptes faire quand tu seras rétabli ? demanda-t-elle d'une voix peu assurée, comme si elle redoutait la réponse. Retrouver Angel ?

─ Depuis que je suis arrivé ici, je n’arrête pas d'y penser. Je ne suis encore sûr de rien. Je me pose tellement de questions. Tout est encore flou dans ma tête, mais je n’aurai ces réponses que lorsque je l'aurai vu. J'ai besoin de le voir, ne serait-ce que pour m'assurer qu'il va bien. Ensuite seulement, je saurai quoi faire.

Gwen avait espéré un tout autre discours, mais qui était-elle pour lui dicter ce qui était bon pour lui ? Entrer dans sa vie succinctement ne l'autorisait pas à porter un jugement de valeur. Néanmoins, elle s'autorisa à partager son point de vue. Sans aller jusqu'à le faire changer d'avis, si elle pouvait au moins lui faire prendre conscience de certaines vérités, ce serait déjà ça de gagné.

─ Tu sais, je ne voudrais pas faire ma mauvaise langue, mais tu n'as jamais pensé à voler de tes propres ailes ? Ne le prends pas mal, mais après tout ce que tu m'as dit sur Angel et son combat qui a coûté la vie à trois d'entre vous.... et tu aurais très bien pu être le quatrième… Si tu continues à le suivre aveuglément, il se pourrait que tu aies moins de chance la prochaine fois. Est-ce que tu penses que tout cela en vaille la peine ? Que tu ailles risquer jusqu'à ta propre vie ? Tu n'es pas un vampire, tu n'as pas de super pouvoirs.

Elle culpabilisait de lui parler de la sorte, mais si ses paroles étaient susceptibles de lui sauver la vie, alors au diable les convenances.

─ Tu te trompes, objecta Gunn. J'ai une dette envers lui. Je suis devenu quelqu'un de meilleur en le côtoyant, en les côtoyant tous. Et je sais qu'on l'a également rendu meilleur. Il ne nous a jamais abandonnés, quoiqu'on ait pu faire. Alors oui, tout ne va pas pour le mieux mais on est une famille et on se soutient, peu importe les obstacles.

─ Gunn ! le coupa-t-elle d'une voix grave. De ta famille, il ne reste que des cendres.

S'en était trop. Gunn se prit la tête entre ses mains, submergé par la soudaine résurgence de la douleur liée à la perte de ses proches. Gwen, en prononçant ces paroles, comprit qu’elle avait franchi une limite, mais il était trop tard pour revenir en arrière. Prise de remords, elle sortit de sa poche une carte avec, écrit dessus à l'encre noire, son adresse actuelle. Elle la déposa sur le plateau repas avant d'entamer une volte-face en direction de la sortie.

… Je te laisse mes coordonnées. Quand tu sortiras d'ici, si tu ne sais pas où aller, que tu décides de rejoindre Angel ou pas, tu auras toujours un pied à terre. Alors oui, c’est pas très grand et pas très cosy mais, enfin tu m'as comprise. Quoiqu'il arrive, tu n'es pas seul et j'aimerais que tu ne l’oublies pas.

Avant de franchir la porte, elle marqua un temps d'arrêt. Elle voulut ajouter quelque chose mais les mots lui manquèrent. Finalement, elle referma la porte derrière elle, laissant Gunn seul face à ses chimères.

Laisser un commentaire ?