When in Rome

Chapitre 53 : Se serait avec toi retrouvé ou perdu

4505 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 13/09/2021 17:21

Chapitre 53 Se serait avec toi retrouvé ou perdu

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Qu'est-ce que tu fais avec ce petit bonhomme pendu à tes basques ?

Maya attendait une réponse à sa question. Le petit aussi, semblait-il. Inclinant la tête, Spike baissa les yeux vers le moucheron en se demandant vraiment ce qu'il allait pouvoir répondre à ça.

Oh surprise, au moment de quitter la planète industrielle, il avait agi impulsivement, passant mentalement et en un éclair de « C'est pas mes oignons » à « S'il se met à genoux pour me supplier de ne pas l'abandonner, je crois que je vais tuer quelque chose ». Et ce revirement n'était pas dû à un brusque sursaut d'empathie, mais à ce petit humanoïde-là dont les yeux anxieux lui retournaient les tripes.

Seigneur ! Pourquoi le pauvre gamin n'avait-il pas fui tout de suite quand ils avaient débarqué ? S'il avait été dans sa situation – c'est-à-dire pas un vampire qui n'avait peur de rien – il aurait pris le large ! Ce n'était pas du courage qu'il avait ce mioche, c'était de l'inconscience...

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Quand ils avaient donc quitté sans retour la planète Merdique VI dont il n'allait même pas s'embêter à retenir le nom, Spike avait opté pour un peu de repos dans sa cabine de capitaine, près de la passerelle. Tout se passait très bien jusqu'à ce qu'à la faveur d'un léger assoupissement, cet enfoiré de démon prenne le contrôle.

En règle générale, loin de se faire discret, Parmakaï était depuis des années maintenant toujours à l'affut de tout. Ressentant un trouble dans les pensées de son « hôte » il était tout simplement venu voir s'il pouvait aggraver la situation et tourner autour du minot, histoire de savoir s'il pouvait « jouer avec ». Sentir de la frayeur l'avait rempli d'une exultation joyeuse et de l'envie de « le mordre un petit peu pour y goûter, parce que c'était bon ». Spike s'en serait étouffé.

Un certain vampire du nom d'Angel avait bassiné tout le monde avec son âme qui le tourmentait sans fin. On se demandait bien pourquoi : quand il était humain, Angel était égoïste et plutôt con... L'âme de Spike était certes chiante – évidemment – mais celui qui ne lui laissait jamais de répit était ce foutu démon surnuméraire. Et on ne savait toujours pas (parce qu'on n'avait pas trop cherché) ce qu'il foutait là dans sa caboche, ni depuis combien de temps. Ce qu'on savait par contre, c'était que tous les efforts menés de haute lutte pour devenir quelqu'un de meilleur étaient sans arrêt sabotés par ce fils de pute qui faisait tout s'écrouler avec audace ou nonchalance, parce qu'il « s'ennuyait ». Toujours la même rengaine.

Jamais assagi, Parmakaï festoyait sur le chaos. Il saturait son esprit de soifs et de désirs effrénés. Tout l'intéressait : défoncer des gueules, faire tomber les dominos de situations tendues pour voir si des gens pleuraient, déformer la vérité, jouir de tout... Spike n'était pas aussi complètement idiot qu'on voulait le faire croire. Il réalisait qu'il s'était toujours flatté d'être longtemps l'enfant terrible de l'anarchie et de la discorde. Mais quand ce Parmakaï était-il vraiment apparu ? « Le Spike sait quand » ronronnait la créature, mais elle ne commentait pas en se contentant d'un rire narquois.

Sans qu'on lui demande son avis, William supposait que c'était lorsqu'il avait eu Xin Rong. Il argumentait que le démon s'était sûrement uni à lui dans ces terres asiatiques. En lui conférant un surcroît de force, il lui avait permis d'abattre une Tueuse. C'était désobligeant, mais pas bête. Spike avait ruminé tout ça et puis s'était dit qu'il ne perdait rien à demander à Parmakaï où il était pendant la Révolte des Boxers. Et ce bâtard s'était foutu de sa gueule pour répondre à peu près l'équivalent de « dans ton cul ».

Livré à lui-même, le vampire réfléchissait à s'en cogner la tête contre les murs. Dawn était tellement meilleure que lui à ça. Comme elle était habituée à gérer ses différentes personnalités, sa femme lisait en lui bien mieux que quiconque. Mais moins il bénéficiait de sa présence équilibrante et plus il sentait croître son désordre intérieur.

Si seulement il avait pu tenir encore avec elle l'une de ces longues discussions cathartiques dont elle avait le secret ! Il était sûr qu'elle aurait su faire basculer son monde par une nouvelle révélation-massue… Mais elle l'aurait fait au moins en le pressant ensuite sur ses seins voluptueux, en lui donnant sa bouche tendre et en caressant doucement sa nuque pour faire passer la pilule…

Au lieu de ça, il errait dans ses propres méandres comme un héros kafkaïen, incapable de se réfléchir au propre comme au figuré. S'il avait pu se contempler honnêtement dans un miroir, il aurait compris que l'intrus dans la vie du vampire Spike, n'était en rien un démon étrange infoutu d'apprendre la grammaire. Celui qui n'aurait jamais dû se trouver là et dont la présence était finalement inexplicable… c'était lui-même.

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Sur L'Insectoïde les emmenant vers la Terre, quand Spike avait pris conscience qu'il était penché sur le gamin fou de terreur, il avait senti une main de glace l'étreindre et comme des cristaux se former dans ses veines. Malgré son scrupule à laisser le pauvre enfant tout tremblant dans l'armoire, il pensait que ça valait nettement mieux pour lui. Serrant les poings et les dents, il s'était maîtrisé jusqu'à la salle des moteurs dont le ronronnement spécifique lui paraissait fournir une maigre insonorisation, et une fois là, il était entré dans une rage noire à l'encontre du démon : il avait braillé à pleins poumons, il l'avait menacé. Ce connard avait beaucoup aimé.

Parmakaï n'avait pas bronché en l'écoutant éructer son abjection brûlante face à ce qu'il avait fait à l'enfant, par seul désœuvrement. Face au mépris évident de son alter ego, Spike avait sorti l'artillerie lourde, des tacles mordants de plus en plus agressifs, ouvertement avilissants. Rien n'énerve plus un « grand guerrier » que de se faire dire qu'il s'attaquait désormais à de faibles proies quand autrefois il ne traquait que les plus fortes.

Le démon n'avait pas aimé parce que cela avait les apparences de la vérité. Abandonnant pour une fois sa troisième personne du singulier, il avait rétorqué de façon extraordinairement coupante et catégorique :

« J'ai le droit. Je fais ce que je veux à crevette. Son âme mienne et mon âme sienne. Bientôt, elle se souvenir. Je suis allé dans ses rêves, je sais qu'elle le désire. Pas tes affaires. Reste loin. »

— Non, jamais.

« Ha ha. Toi peux pas empêcher. ».

— Ce n'est pas vrai, avait grondé Spike avec hargne. Je peux en finir avec toi de façon très simple. Je t'emmènerai en enfer avec moi, si c'est le prix.

Le démon avait ri. « Ah, le Spike veut pourrir en Gre'thor et abandonner Petit Leurre. Elle faire larmes. Parmakaï penser encore à ses belles cuisses au Sto-vo-kor…»

Spike avait tellement hurlé à s'en casser la voix qu'un pilote était venu voir ce qui se passait…

Interloquée, la bestiole était restée à le fixer des ses yeux globuleux, les antennes ballantes, sans un mouvement.

Puis face au spectacle de sa mascotte vibrante de fureur et les ocelles suintants d'une inquiétante lymphe hypersodée, celle-ci s'était dit qu'elle n'avait pas le choix. Ça lui donnait l'air d'une chochotte mais elle avait bourdonné doucement une longue stridulation à quatre tons, dans le fol espoir que ça ait sur lui le même effet que sur une petite larve agitée par ses douleurs de croissance dans le cocon.

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— Lui ? répondit-il enfin en s'éclaircissant la gorge. Il a essayé de me piquer mon communicateur, celui qui a été bricolé par les pilotes et j'y tiens. Mais après on a discuté et de fil en aiguille, je lui ai payé à bouffer parce qu'il crevait la dalle. Tu penses bien qu'après, il m'a plus lâché... Je ne pouvais pas rester, il m'a fait pitié, je l'ai pris avec moi, fin de l'histoire.

Si Capuchon n'avait pas prudemment gardé son gros manteau serré, on aurait bien vu qu'en dessous, il était maigre comme un clou et ça aurait bien servi ses affaires.

Semblant estomaquée par le naturel confondant avec lequel il avait sorti ça, Maya ouvrit la bouche avec un petit cri étouffé. Ou alors, c'était parce que Joy avait choisi pile ce moment pour venir lui percuter les jambes en riant de bonheur car elle trouvait ça manifestement très amusant. En effet, contrairement aux autres, Maya encaissait le choc sans difficulté.

— Mais Spike ! siffla-t-elle à voix basse en posant une main sur la tête de sa petite. C'est pas un chaton abandonné ! T'as kidnappé un enfant ! Mais qu'est-ce que t'as dans le crâne ? Entre vite... Et toi Joy, arrête de faire ça !

Il posa un godillot ronchon sur le marbre veiné de l'entrée, cherchant vainement des yeux où déposer ses affaires parce que les trucs n'étaient plus là où ils étaient la dernière fois – ce qui l'énerva et le culpabilisa un peu plus. Parce que s'il ne reconnaissait pas l'endroit, c'était qu'il était parti trop longtemps...

Qu'est-ce qu'il avait dans la tête ? Elle en avait de bonnes ! Il avait que sans aide, presque rien dans l'assiette et la prostitution pour seule perspective de survie, le petit n'aurait pas tenu plus bien longtemps. Il n'avait pas « kidnappé un enfant », il lui avait sauvé la vie, oui !

Agrippée au genou de sa mère, la petite Joy avait une couette trop haute et une chaussette trop basse, ce qui ne l'empêchait nullement de contempler celui qu'elle ne connaissait pas avec intérêt. Mobile et volubile, elle en était à un stade peu farouche où elle trouvait toute nouvelle personne absolument fascinante. En conséquence de quoi, elle lui sourit. « Une petite charmeuse, celle-là » pensa Spike. Puis il ajouta intérieurement « Il y en avait pas beaucoup dans la famille ! »

Quand sa mère Maya le regardait de façon si authentiquement choquée, Spike trouvait qu'elle ressemblait vraiment à Buffy. Elle, il avait aimé la faire enrager et rougir, que ce soit de colère ou… d'autre chose. Avec Maya, ce n'était pas pareil. La décevoir, ce n'était pas ce qu'il voulait, cependant il n'avait pas envie d'entendre ses remontrances parce qu'il n'avait réfléchi à rien. C'était vrai, mais c'était fait.

Pour t'enter d'y échapper, il s'adressa à la bambine haute comme trois pommes.

— Salut, microbe ! Il était temps que je revienne, j'ai l'impression que personne n'a d'autorité sur toi dans cette baraque…

Avec des mines doucereuses, la Petite Terreur de trois ans et demi souriait de toutes ses minuscules dents de lait. Allez savoir pourquoi, il trouvait attendrissant de les avoir vues essayer de pousser dans la gencive. Sûrement un fétichisme purement vampire... Comme son frère, elle s'exprimait très bien pour une enfant de son âge, la faute à tous ces rats de bibliothèque qui entouraient les rejetons Wells depuis leur naissance.

— Bonjour Papi Spike. Tiens, je t'en ai gardé ! roucoula-t-elle en fouillant dans une poche pour lui tendre des machins poisseux roses et blancs – qui avaient dû être des marshmallows dans une vie antérieure.

— Trop aimable, dit-il en les prenant de sa menotte pour les donner aussitôt au garçon qui l'accompagnait.

Sans comprendre ce qu'il devait en faire, ce dernier regarda les choses molles qu'on venait de lui mettre dans la paume.

— Mange-les, idiot ! se moqua Joy qui en fourra un dans sa bouche pour lui montrer.

Les yeux étincelants de plaisir, elle l'avala tout rond, se lécha les doigts pour récupérer tout le sucre et leur tourna le dos sans plus de cérémonie.

Le petit accompagnateur parut indigné, ce qui semblait indiquer que les implants traducteurs que Spike lui avait dégotés devaient bien fonctionner. L'enfant sursauta quand la main du vampire irréfléchi lui tapa sur l'épaule.

— Patience. Toi aussi t'as eu 45 cycles un jour…* Il est rentré Angel ? demanda-t-il en poussant le gamin en direction du salon.

Pas du tout satisfaite de l'esquive, Maya s'interposa, le fit reculer le dos au mur de l'entrée repeint en rose poudré, pour finir de poser ses questions.

— Hop, hop, hop… Tu ne vas pas t'en tirer comme ça. Quand comptes-tu ramener ce petit chez lui ?

A ces mots, le gamin mal fagoté adopta une posture défensive et malgré lui, Spike fut surpris de cette réaction, surtout après ce qu'il lui avait fait endurer.

— Non, non. Elle n'est pas méchante, expliqua-t-il, elle croit que je t'ai volé à tes parents. Dis-lui que non et que tu étais d'accord pour venir avec moi.

Maya et Joy – qui était revenue car elle n'allait pas lâcher comme ça une nouvelle personne si intéressante – arborèrent exactement la même figure attentive, pendant que Spike poussait le petit du coude pour l'inciter à corroborer sa version. Ce dernier opina et répondit d'une voix claire qui fut automatiquement traduite :

— Il a dit que je serai à l'abri dans son avion, qu'il y avait à manger et qu'il ne faisait pas froid. Et que je ne serai pas obligé de travailler enfermé, ni de toucher son ronith. Alors j'ai dit oui.

— Quoi ? Toucher son… quoi ? s'étrangla Maya en ressemblant cette fois définitivement à Buffy avec ses yeux furibonds.

Elle tapa trois fois sur le bras du vampire et, pendant qu'il se frottait exagérément son supposé futur hématome, Spike jeta un œil de biais au mioche et il vit briller un bref éclair dans ses pupilles tandis qu'il gardait un air sérieux et innocent.

— Non mais attends… Là, il raconte mal…

— C'est quoi un ronite ? les interrompit Joy, pour montrer qu'elle avait essayé de bien suivre cette conversation de grands.

Sa mère grommela qu'elle ne savait pas parce que c'était un mot étranger. Aussi sec, la petite repartit comme une flèche vers le salon brillamment éclairé, en tapant des semelles et en criant pour qu'on l'entende bien de loin, car elle avait entendu dire que les vieilles personnes étaient sourdes :

— Jayeuss, c'est quoi UN RONITE ?

Depuis son large fauteuil confortable, Giles darda un regard noir par-dessus ses lunettes cerclées. Il essaya manifestement d'ignorer la question en tournant posément une autre page de son livre. Rassurée de voir que l'Observateur allait prendre momentanément le relais dans la surveillance de sa tornade sur pattes, Maya s'appuya au mur d'une épaule pour contempler Spike d'une mine soucieuse.

Le vampire savait bien pourquoi. Les autres essayaient très fort d'être dans l'acceptation, en répétant à l'envi que l'accident de Dawn et Andrew était une chose horrible, mais sans autre cause que la malchance. Mais lui n'y arrivait pas et restait vissé au stade de la colère. Il avait mal pris qu'on lui demande d'arrêter de chercher des coupables imaginaires pour donner un exutoire à sa frustration. Cela l'avait mis encore plus en colère. Au point qu'il avait eu peur que quelqu'un fasse les frais de cette violence et cette rage qu'il devait contenir.

Maya insistait, exigeait une réponse qu'il ne pouvait pas donner. Qu'allait-il devenir, cet enfant déraciné ? Il n'avait pas réfléchi aussi loin. La seule chose qu'il avait en tête, c'était voir Dawn mais… pas sans avoir fait un brin de toilette avant pour éliminer l'odeur chimique tenace qui pouvait être très contreproductive s'il envisageait de la tenir contre lui et de l'embrasser… Il tourna le regard vers le gamin.

— Va m'attendre avec Joy et le mec au livre. Il est assommant mais j'arrive tout de suite.

« Petit Bonhomme » le regarda bizarrement et toucha sa tête au-dessus de l'oreille en tapotant trois fois.

— La traduction ne marche plus, je ne comprends plus ce que tu dis, il va m'assommer avec le livre ?

Spike lui adressa un sourire moqueur.

— Pas comme tu crois. Mais par sécurité, ne reste pas trop près de lui, on ne sait jamais.

— Tu penses que c'est drôle qu'on me tape fort ?

— Non, ce n'est pas drôle. Mais tu as raison, le traducteur est naze.

— Pas besoin de traduction quand on voit ton visage, répliqua l'enfant en tournant la tête.

— Écoute, soupira-t-il manifestement impatienté sous le regard narquois de Maya. Je suis comme ça. J'aime bien me moquer du monde. C'est pareil que ce que tu as dit tout à l'heure, quand tu as voulu me faire passer pour un pervers au lieu d'un héros. Pourquoi l'as-tu fait ?

Le « bonhomme » ne répondit pas, embarrassé par cette comparaison hélas pertinente.

— Moi je crois que c'est parce que tu m'aimes bien, malgré tout. Je veux dire, malgré tout ce que tu n'aimes pas chez moi.

Le petit semblait avoir honte d'être deviné si facilement, ou surpris en flagrant délit d'ingratitude. Spike ne s'en offusquait pas. Il ne voyait pas pourquoi le gamin aurait eu à l'apprécier. Il ne cherchait pas à lui plaire et il avait de l'expérience pour ce qui était de laisser des sentiments très mitigés aux gens qu'il rencontrait.

— J'ai pas encore décidé si je t'aimais bien ! se défendit le garçonnet en bredouillant.

— Ah hein ? Avec ce qui s'est passé là-haut, j'aurais compris que tu préfères décamper aussitôt mais au lieu de ça, t'es encore là… Allez, va là-bas attendre dix petites minutes…

Le petit gars baissa la tête sans répondre tout d'abord puis il protesta.

— Mais… Moi j'ai pas compris pourquoi c'est toi le chef et que je dois faire ce que tu dis sinon tu me cries dessus.

Spike entendit le rire que Maya étouffait. Il s'assombrit face à cette réplique. Discuter avec un minus alien culturellement différent qui allait tout remettre en question ? Très peu pour lui. Il mit deux doigts dans sa bouche et siffla :

— Joy, mon poussin, viens chercher ton nouvel ami, il a envie de jouer avec toi !

La bambine n'attendait que ça elle laissa Giles et galopa vers Décapuchonné qui fit un pas de côté d'instinct pour éviter de la prendre de plein fouet – en quoi il n'avait pas tort car Joy ne savait pas freiner.

Du coup, la petite dernière s'étala à plat ventre sur le carrelage avec un choc sourd. Il n'y eut ni cris, ni pleurs. Après quelques secondes de surprise, elle se redressa en passant par un stade « quatre pattes » et se remit debout seule.

— Mes jambes ne sont pas très bonnes, concéda-t-elle tout à fait sérieusement en remettant correctement sa robe. Elles n'obéissent pas bien, comme Mamie.

Prêt à intervenir, Giles posa son livre et fit mine de se redresser mais il n'eut pas à le faire. Maya relégua immédiatement Spike à la périphérie de ses soucis. Le visage pâle, comme si elle venait de prendre un coup au cœur, elle alla s'agenouiller pour serrer son enfant contre elle avec transport, caresser ses cheveux châtains et semer sur son front de petits baisers en la berçant.

— Oh mais non, mon bébé, mais non. Tes jambes sont superbes, elles n'ont que des qualités ! Regarde : elles sont rose pâle, elles plient bien, toutes les chaussettes de droite tiennent parfaitement au mollet. Ce sont les jambes de petite fille les plus merveilleuses au monde…

La jeune maman se releva et porta Joy dans ses bras, le temps d'un câlin où elle lui chuchotait d'un ton rassurant des choses inaudibles pour toute autre oreille que celle d'un vampire.

Se sentant probablement de trop, l'invité tira discrètement sur la manche de Spike et le regarda avec les yeux inquiets de celui qui pense avoir peut-être fait quelque chose de mal. Sans même avoir besoin de communiquer verbalement, Spike lui fit un signe de la main pour lui dire de patienter quelques instants.

Il allait expliquer à son petit accompagnateur ce qui se passait quand il surprit l'air de profonde et douloureuse envie peint sur ses jeunes traits.

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Profitant du calme soudain et inhabituel, le fils aîné de Maya qu'on n'appelait jamais Evan sauf quand ça bardait, choisit pile ce moment pour s'approcher très silencieusement et se mettre sous la protection magnanime de Spike.

C'était un beau petit garçon brun, solide, pas timide mais réservé, né très exactement neuf mois après la mort de son papa éponyme. La surprise du chef. Maya avait été déchirée en découvrant qu'elle était enceinte. Pour rien au monde, elle ne l'aurait fait adopter mais à dix-neuf ans, elle se sentait trop jeune et sans doute trop abattue au moral… L'intégralité du clan des « ex-Scoobies » s'était levé comme un seul homme (sauf Faith), et lui avait alors fermement assuré que le bébé aurait toutes les nounous nécessaires pour lui prêter main forte – Pietro compris.

En première ligne des volontaires, il y avait eu Dawn très émue de devenir si tôt grand-mère (une magnifique grand-mère, s'était empressé de la rassurer Spike). Elle avait eu du mal à trouver sa place au début, s'engouffrant dans la brèche avec la hantise que le schéma trop connu ne se répète à une génération d'écart. En deuil, Maya n'était pas dans les bonnes dispositions pour préparer la venue d'un bébé. Inconsciemment Dawn avait cherché « réparer » ce qu'elle n'avait pas su donner à sa fille pendant ses tout premiers mois… Et puis Maya s'était raisonnée et reprise, avait assumé son rôle et Dawn avait dû céder le pas, non sans difficultés personnelles qu'elle avait essayé de cacher.

Taraudé par un cuisant sentiment d'impuissance, Spike l'avait regardée se battre contre la vive déception qui l'avait envahie et qu'elle jugeait par le même temps indigne. Elle n'aurait finalement jamais eu la possibilité d'être la mère attentive et pleinement dévouée au bonheur d'un nourrisson. Difficile d'oublier dans ces circonstances qu'il n'était qu'un stupide vampire stérile. Lui faire un enfant était bien le seul de ses désirs inavouables qu'il ne pouvait pas satisfaire… Difficile d'oublier mais pourtant il l'avait fait. D'abord parce que Joy la bien nommée avait ramené le sourire sur ses lèvres, ensuite parce qu'il y avait eu l'accident.

Y pensait-il encore en débarquant avec ce petit morpion dont le regard désespéré le harponnait sauvagement depuis tout à l'heure, à force de hurler silencieusement « Garde-moi, j'ai peur, mais garde-moi avec toi » ? Spike ignorait quelle impulsion simpliste et cruelle lui avait encore court-circuité le cerveau. Qu'est-ce qu'il avait cru ? Qu'en ramenant bien trop tard un petit paria de l'âge d'Idji, il donnerait symboliquement à Dawn l'enfant qu'ils ne pourraient jamais avoir ensemble ? Elle n'était même plus capable de s'en occuper comme il fallait !

Ou l'avait-il fait pour d'autres raisons plus égoïstes ? Pour s'assurer de ne pas finir seul sous peu, atterré par la pseudo-mort d'Angel, abattu par la remise en route du compte à rebours égrenant le temps qui resterait avant que Dawn, de plus en plus « absente », ne rejoigne irrévocablement le plan d'énergie d'où elle venait ?

Il serra les dents et arrêta de penser à se petite personne.

— Salut, Junior, quoi de neuf ? lança-t-il à Evan 2.0.

— Quoi de neuf ? répéta Idji en repoussant une mèche souple qu'un épi lui ramenait toujours dans les yeux. Mais rien de « neuf » justement ! Ma peste de sœur me pète tout, alors Maman m'achète que des trucs d'occasion… Vieux cartable, vieux jouets, vieille guitare…

— Garde un peu d'humour, tu feras de plus vieux os !

— Je sais pas trop. Les miens, ils peuvent casser... Sinon, c'est qui lui ?

Le vampire resta figé en réalisant qu'il n'avait jamais pensé à demander le nom du grand chasseur marchant à ses côtés.

— Tiens c'est vrai, comment tu t'appelles déjà, moustique ?

— « Toi là » j'imagine, répondit-il en lui glissant une œillade un peu revêche.

Le petit n'avait pas tort. Spike n'avait pas réellement cherché à savoir s'il aurait pu être appelé autrement que minus, morpion, mioche d'autres déclinaisons du M. Il s'était dit que ça finirait bien par arriver dans la conversation, à un moment quelconque de franche camaraderie, après avoir tué un ou deux rongeurs ensemble.

Mais après avoir senti Parmakaï s'ébrouer et rire en voyant l'effroi dans les yeux exorbités de son petit invité qui cauchemardait, le vampire avait diamétralement changé d'avis. Ce que le démon avait affirmé en parlant du gamin, c'était aberrant. Déjà, il disait « elle » tout le temps, ce qui était énervant. Mais ce qui faisait froid dans le dos, c'était qu'il avait l'air totalement sûr de lui quand il soutenait que le gamin le voulait.

Voulait quoi, bordel ? Être soumis si jeune par une saloperie cruelle et malfaisante ? En devenir une ? L'enfant n'aurait pas eu ce regard implorant quand il lui avait fait de brefs adieux malaisés. Si ç'avait été pour se faire pervertir à jamais, il n'aurait eu qu'à rester chez lui.

— Twala ? acquiesçait Idji avec une moue approbatrice. C'est original. Ça vient de quel pays ?

— Lointain, coupa Spike qui grillait d'envie de savoir si Dawn allait lui battre froid. Mais on pourra lui en trouver un mieux, s'il est d'accord.

— Ouais, parce que ça fait un peu fille…

Mécontent, « Toi là » leva la tête vers Spike.

— Ils sont tous comme ça les enfants, ici ?

— Les deux que tu as vus, certainement. Attends-moi sagement, je veux me faire beau avant de demander audience à ma reine.

Le petit fronça les sourcils mais Spike n'avait cure de tout lui expliquer tout de suite.

Il voulait fuir le regard de sa filleule devenue grande qui doutait de lui. Elle avait de bonnes raisons de le faire et il ne pouvait décemment pas la rassurer car il ignorait vraiment où il mettait les pieds. La seule chose dont il était vraiment sûr, c'était qu'il avait sacrément peur de foirer une nouvelle fois.

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Note

* Vous avez deviné qu'il calcule en cycles lunaires.

Le titre est une adaptation d'un vers de Racine dans la pièce "Phèdre" : Et Phèdre au Labyrinthe avec vous descendue, se serait avec vous retrouvée ou perdue.

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