When in Rome

Chapitre 32 : Vampires et wampa

4165 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/04/2021 10:11

Chapitre 32 Vampires et wampa

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La créature avait été dure à traquer, parce que la température à peine positive durant la nuit émoussait légèrement leurs capacités olfactives. Là où ils se trouvaient, les étendues rocheuses sauvages le disputaient à des forêts d'épineux et des cimes montagneuses perpétuellement enneigées. S'il avait eu du loisir, il aurait musé sur le paysage intact.

Le village same* avait été ravi de les voir et leur avait offert poliment du poisson frais en guise de bienvenue. De tous les continents qu'il avait visités, seuls l'Europe blanche et les États-Unis se montraient peu hospitaliers. Les autres communautés, même les plus pauvres, offraient toujours un peu de nourriture ou une boisson.

Le maire du village, qui parlait un excellent américain parce qu'il avait fait du droit à Stanford, leur avait expliqué que les wampas étaient carnivores par nature. Autrefois, leurs espèces cohabitaient en paix mais avec la disparition des rennes et de presque toute autre faune, leurs habitudes alimentaires avaient changé, et ils s'étaient rabattus sur les hommes. Uniquement les hommes.

— Une raison à cela ? s'était-il enquis.

— Le bon sens, avait répondu le chef.

Les deux vampires s'étaient regardés d'un œil incertain. Le maire avait opiné avec une petite moue fataliste.

— Un seul homme est nécessaire à la production de plusieurs petits… et ils sont prévoyants.

Et c'était comme cela qu'ils étaient partis en chasse d'une bête mi-ours mi-yéti, assez maligne pour comprendre les rudiments de l'élevage.

Après un soigneux ratissage infructueux des bois les plus proches, ils avaient exploré les formations rocheuses, à l'instinct. Les grosses bestioles de ce type, même hybridées, avait certainement une petite préférence pour les grottes qui offraient généreusement à tous et depuis des millénaires un abri sûr, facile à défendre, et relativement moins sujet aux températures mordantes. Même pour un vampire, il faisait frisquet.

Il s'était attendu à ce que son équipier inopiné fasse sa diva et il en avait été pour ses frais. Concentré, efficace, il n'avait pas parlé plus que nécessaire, c'est-à-dire presque pas.

Il devait bien reconnaître qu'il n'avait jamais vu Spike comme ça.

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Le gros avantage des régions proches des pôles, c'était que si l'on s'y trouvait à la bonne période de l'année, le jour n'avait guère son mot à dire. L'automne n'était pas encore là et la nuit restait très courte. Pour eux, c'était un désavantage considérable de devoir s'arrêter plus souvent. C'était la raison pour laquelle ils avaient la pression pour boucler cette affaire très vite.

Ils avaient repéré, finalement, la tanière où s'était retirée la créature. Le premier, Spike s'était tourné dans la bonne direction et l'avait pointée du doigt.

— C'est par là !

— Parce que ?

— Ça sent le cadavre frais et j'ai faim.

Ils pouvaient facilement s'abstenir de dormir et de manger pendant une petite semaine. Mais Angel s'était rangé à cet argument imparable. Rien n'était plus fiable que l'odorat d'un vampire qui jeûnait depuis plusieurs jours.

Il avait sorti deux poches de sang de son sac et lui en avait lancé une. C'était hors de question de faire un feu, évidemment. Ce n'était pas tellement qu'ils avaient tant besoin d'être réchauffés, mais c'était joli. Et puis, à la bonne température, le sang aurait aussi été bien meilleur…

Quand le grand vampire brun avait planté une paille rose dans le plastique mou, il avait réussi à arracher à son comparse un sourire narquois et gercé, mais toujours pas de commentaire. Celui-ci vint enfin quand il goûta à sa première gorgée :

— Oh bon dieu ! gémit-il indécemment en regardant à deux fois l'étiquette qui ne révélait rien. Tu te refuses rien, mon salaud ! C'est du O positif !

— C'est une occasion spéciale.

— Putain, mais tu fais la morale devant la galerie et tu te goinfres sans rien dire ce genre de petite cuvée en coulisses ?

Angel le considéra en silence pendant un petit instant. Auparavant, jamais Spike ne se serait plaint de cette façon, avec cette pointe de reproche et d'amertume. Qui faisait la morale maintenant ? Il ne savait pas s'il devait en être fier, ou perturbé.

— T'emballe pas. C'est un cadeau. Cette mission n'est pas forcément difficile, mais les conditions climatiques ne sont pas terribles pour les jours à venir et il ne faut pas traîner. Du reste, je compte sur toi pour me redescendre à Rio, juste après, et pour ça, il faut que tu sois en vie... Une équipe humaine aurait peut-être mis une quinzaine de jours pour le même résultat, mais avec deux vampires bien nourris sur le coup, l'affaire sera réglée vite et bien, en deux ou trois jours.

Circonspect, Spike prit une autre gorgée, en le regardant de biais. Les papilles en émoi, il passa la langue sur ses lèvres en fronçant un peu les sourcils.

— Il est à qui ce sang ? J'ai plus bu un truc aussi bandant depuis… depuis je ne sais plus, tiens. Ça doit faire un sacré bail.

Angel acquiesça silencieusement et retourna à sa paille, savourant les yeux fermés le précieux nectar avec bien plus de délectation qu'il n'aurait eu envie de le reconnaître. S'il pouvait s'amender de toutes les façons possibles, il ne pouvait pas oblitérer sa nature.

— T'es sûr ? questionna-t-il avec un coup d'œil moqueur.

— Tu te fous de moi ? Mais un kif pareil, je ramperais à genoux pour une seule gorgée. C'est pas le genre qui s'oublie. Qui t'a fourni ce truc monstrueux ? Âme ou pas âme, je crois que je pourrais tuer pour ça.

Spike secoua la poche pour faire descendre la moitié qui restait et pressa bien en la lissant : il la regardait déjà avec une crispation de nostalgie palpable. Après une autre goulée, il resta un instant tête basse, luttant contre la pression irrésistible du démon qui exigeait de sortir et de se goinfrer davantage. Angel en fut assez impressionné. Lui-même n'avait pas tenu aussi longtemps.

— Oh, mais tu l'as déjà fait deux fois, si je me souviens, répondit-il d'une voix rauque qui fit sursauter Spike.

Leurs deux paires d'iris jaunes se rencontrèrent et Angel se mit à déchirer son sachet sans façon pour lécher ce qui restait à l'intérieur. Spike eut presque l'air choqué de le voir faire, probablement parce qu'il mourrait d'envie de faire la même chose. Ses mains, convulsivement serrées sur la poche de sang, tremblèrent un peu.

— Tu veux dire que c'est… ?

— Du sang de Tueuse. Faith me l'a donné, répondit-il les crocs descendus. Et à ta place, je finirais le mien très vite.

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Sans surprise, Spike survolté s'était proposé pour faire l'appât pour inciter le wampa à sortir de son trou. Le gros machin n'avait pas encore son pelage d'hiver, et comme il restait brun par endroits, il n'offrait pas un très bon contraste sur les parois sombres mais ça restait très acceptable pour des pupilles nyctalopes. Pourtant, rien que l'odeur aurait été suffisante pour le localiser : sa gueule ensanglantée par son dîner ne laissait aucun doute sur la direction à suivre.

En voyant à ses pieds le visage bleu d'un cadavre émergeant d'une capuche d'anorak, le vampire blond ressortit sa machette. Il ne s'en servait pas souvent mais c'était pour ça qu'il aimait le manteau de cuir : il s'y trouvait plein de petites planques pratiques dans la doublure pour y ranger des armes susceptibles de servir, un jour où l'autre...

Pas la peine d'être trop démonstratif, il lui suffisait d'avancer de quelques pas vers la chose velue pour qu'elle l'interprète aussitôt comme l'intention hostile de voler sa nourriture…

Le plan était pourtant simple à la base : attirer la bête à l'extérieur où se trouvait Angel, tuer la bestiole à deux, remettre la queue et les deux oreilles au clan, et se barrer. Sauf que remplir son bidon de sang de Tueuse avait tendance à le rendre irrésistiblement ivre de puissance et encore plus téméraire… si c'était possible. Aussi s'arrangea-t-il pour l'agacer un peu avant, sinon où était donc le sport ?

En bondissant sur les parois rocheuses, il échappait aux coups de pattes et les grognements rageurs ne l'impressionnaient pas. Pour lui rendre la pareille, il se planta même devant le wampa pour vamper à son tour en grondant. La bête en fut surprise et recula, ce qui permit de profiter de cette petite latence : Spike sauta sur le cadavre, trancha net un bout de jambe du malheureux mort et l'agita sous le nez du morfale pour le narguer.

— Tu vois cette jolie jambe appétissante ? Elle est pour qui ? Pas pour toi !… Je vais découper tout ton dîner et il ne te restera rien du tout…

Avec force, il jeta le membre au dehors et il atterrit un mètre au-delà de l'entrée sous les yeux d'Angel. Ce dernier en déduisit premièrement que non, Spike ne faisait pas l'imbécile, et si, il essayait bien d'attirer la bête vers l'extérieur. Et deuxièmement – surprise – qu'il suivait le plan, pour une fois.

A l'intérieur, l'intéressé était passé à la vitesse supérieure avec quelques acrobaties bien senties. Les stalactites offraient un appui parfait pour lui permettre de s'y accrocher et de taillader le dos et les bras du wampa mugissant de rage. Avec une simple pirouette, le vampire le contourna, sectionna une demi-cuisse du mort pendant que l'autre avait le dos tourné, et la balança à nouveau au dehors.

— Viens voir tonton Spike, viens par-là, le cajolait-il. Hey, fais un peu gaffe, c'est mon manteau préféré… Tu sais le mal que j'ai pour trouver un pelletier foutu de me le remettre en état ? Lourdaud, tu as été très méchant… Tu la sens venir la punition ?…

Il s'accroupit brièvement, attrapa le bras du mort à moitié morcelé et se mit à le traîner vers la sortie. Le wampa arrêta de se lécher plusieurs lacérations et se mit à crier plus fort.

— Angel, je sors ! Il est derrière-moi !

Et Angel était prêt bien sûr : il était bardé d'armes diverses, un fusil à tranquillisant dans le dos, des armes blanches et deux pistolets automatiques aux cuisses. En plus de ses crocs bien affutés.

Obnubilé par le petit bipède mal élevé au ridicule toupet de poil clair sur la tête, l'animal était sorti d'un galop lourd qui faisait trembler la terre sous leurs pieds.

D'un bond puissant garanti par des cuissots en béton, il s'élançait pour s'abattre sur Spike, quand le second vampire embusqué l'abattit en vol de trois tirs à la tête. Arrêté net dans son élan, le wampa s'était vautré dans un grand choc sourd et une pluie de gravillons.

Spike l'avait évité de justesse en roulant sur le côté. Il se relevait déjà en époussetant rapidement son manteau et se rapprocha de l'animal inconscient la machette à la main. Angel donna des coups de pieds soupçonneux pour vérifier que le wampa était bien mort avant de prélever la moindre preuve à ramener au clan.

— A toi l'honneur, dit-il avec un geste ouvert de la main.

Heureux, Spike s'autorisa au préalable un moulinet de matamore, pour le spectacle, et leva sa lame en l'air sous les yeux patients du plus vieux des deux. En plein mouvement, il sembla hésiter trois secondes.

— Et bien quoi ?

— Oh-ohh, répondit-il seulement.

Angel tourna la tête. Un autre énorme wampa furibard, une lueur meurtrière dans les pupilles rouges, bouchait toute l'entrée du refuge.

— Maman est très en colère… déclara-t-il tranquillement en attrapant son fusil d'un geste souple.

— Ouais ! lança l'autre avec une énergie palpable. Je trouvais que c'était une mission un peu trop facile.

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Angel resta une minute au sol pour arrêter de sentir le décor tournoyer. Il avait été sonné plusieurs fois. Un gros caillou par terre lui blessait le dos mais au stade où il en était, il s'en fichait. Il donnait l'impression d'avoir l'arcade sourcilière ouverte mais le sang sillonnant sa joue n'était pas le sien. Même sans sa tête de démon, son visage conservait un air sauvage, en raison de cette large trace qui le balafrait en diagonale. De là où il était, il voyait Spike un genou au sol, appuyé sur son arme blanche, les yeux dans le vide.

— Tu peux m'expliquer ce qui s'est passé ? toussa Angel en essayant de s'asseoir.

Spike cligna des yeux et se releva avec moins de vivacité que d'ordinaire. Il lui jeta un regard d'incompréhension en essuyant son arme sur l'herbe maigre.

— Euh, on en a tué deux pour le prix d'un ?…

Il s'avança d'un pas lourd et tendit le bras pour l'aider à se relever. Angel se tâta l'épaule avec précaution essaya de faire rouler son articulation. Il grimaça.

— Tu vas voir qu'elle est démise…

— Tu veux que je t'aide ?

— Non, non, non. Merci. Je vais me débrouiller…

Spike se mit à rire en marmonnant « chochotte » tandis qu'il allait ramasser les armes et les douilles qui constellaient la zone. Il entendit un « crac » d'articulation remboitée.

— Ce n'est pas ce que je voulais dire. C'était quoi ce mode berserk que tu m'as fait tout à l'heure ?

— Oh, finalement, il ne fallait pas le tuer ? T'aurais dû me le dire, persifla-t-il.

— Si, mais la charpie, était-ce bien nécessaire ?

— Moi je dis que c'est un message fort envoyé à tous les wampas du coin : ne mangez plus d'humains. Par contre, je ne sais pas trop sur quoi ils vont se rabattre… On y va ? J'ai un timing un peu serré.

Angel souffla par le nez avec ironie et rangea dans une grande toile quelques éléments physiques propices à rassurer les Esquimaux. Comme des têtes, par exemple. Encore qu'il était bien placé que ce n'était pas fatal à toutes les espèces. **

Il connaissait Spike depuis très longtemps. C'était toujours pour lui une source d'amusement de constater combien ce dernier pouvait croire qu'il arrivait à le tromper une seule minute…

Avec une course au rythme rapide, ils furent au village en deux heures et évitèrent une nouvelle fois un témoignage de gratitude en poisson frais. Angel argua diplomatiquement qu'ils les remerciaient beaucoup pour leur hospitalité mais qu'ils étaient gênés de leur prendre des rations alors qu'ils s'étaient nourris avant de venir. Spike essaya de ne pas sourire quand le chef lui donna tout de même un beau morceau.

— Votre chat sera content, dit-il avec humour.

La remarque accompagna le vampire brun pendant leur retour. Est-ce qu'il avait une tête à avoir un chat ?

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Une fois dans le vaisseau, Angel offrit le cadeau odorant aux pilotes qui – contre toute attente – acceptèrent en se jetant dessus comme s'ils n'avaient pas mangé depuis trois jours (ce qui était peut-être le cas). Les petites bestioles agitaient leurs antennes et fixaient de leurs ocelles bleues le grand vampire avec peut-être plus d'appréciation. Leur vampire habituel avait juste droit à des ocelles rancuniers. Il fit l'innocent :

— Vous ne m'aviez pas dit que vous aimiez le poisson ! Et vous n'avez même pas de bouche ! Mais maintenant je le saurai.

Une fois que les deux hommes se furent rendus plus présentables avec une douche et des vêtements secs (où Angel était à l'étroit car il n'avait pas le même gabarit que son cadet), le moment de la conversation lui sembla idéal. Mains dans les poches et jambes croisées, le plus âgé s'était adossé à un mur, dans le lieu qu'il supposait être ses quartiers vu le large lit qui trônait en son centre. Spike avait toujours aimé les grands lits. Le plus étrange par contre était de le voir consulter des données sur son petit terminal qui lui restait fondamentalement moderne et sans rapport avec le reste de la décoration terrienne importée.

La discussion brève du « dîner » de la veille l'avait laissé insatisfait. L'expérience qu'il avait de ce vampire précis lui dictait de ne pas lâcher l'affaire. Il l'avait trop fait autrefois et n'avait eu qu'à s'en mordre les doigts par la suite. Ça n'avait pas été bien malin de sa part de s'imaginer que le petit toutou de Dru ne poserait jamais le moindre problème, qu'il était incapable de les trahir, que l'abandonner le tuerait, ou qu'il resterait à jamais dans l'ombre de sa famille. Plus les décennies avaient passé, et particulièrement les quarante dernières années, plus Angel avait réalisé qu'il ne le connaissait pas du tout au fond, faute de s'y être jamais vraiment intéressé autrefois. Une erreur qu'il n'avait eu de cesse de réparer.

Spike avait développé une extraordinaire indépendance. Rejeté des siens, il avait dû s'adapter et vivre en électron libre. Effréné, plein de ressource, intelligent... et dangereux pour sa propre race. Angel détestait devoir le reconnaître, mais quand elle l'avait retenu dans son périmètre, Buffy avait été un garde-chiourme efficace, empêchant qu'il ne devienne incontrôlable. Les sentiments – qu'il n'aurait jamais dû éprouver pour une étrangère et une ennemie mortelle – l'avaient soumis à une règle qu'il n'aurait jamais plus acceptée d'un autre vampire. Il avait vu Spike s'affranchir du lien de sang qui le retenait auprès de Drusilla, au prix d'une souffrance inconcevable. Vraiment au-delà de tout. Mais les habitudes sont tenaces. Cela n'avait été que pour mieux en contracter un autre, d'un nouveau genre.

Par la faute de toute la famille, Spike connaissait bien la souffrance. Dru l'avait dressé pour y répondre. Lui-même s'en était amusé quand il était sans âme. Il en avait rajouté, fasciné par la quantité d'humiliations que le petit nouveau pouvait endurer. Aimer Buffy lui avait fait redécouvrir une autre forme de torture, plus ancienne. Mais cela ne l'avait pas arrêté ! Pour mériter d'être aimé, Spike avait choisi volontairement la souffrance ultime : regagner une conscience. Enfin ça, c'était la version officielle. Angel avait des raisons de penser que ce n'était pas exactement le plan au départ. Il ne pouvait que spéculer à ce sujet, parce qu'entre Spike et lui, l'omerta régnait quant à ce qu'ils enduraient.

Angel avait obtenu son âme comme une forme de torture punitive, sa conscience venant le tarauder tant et plus, depuis des siècles. Depuis lors, il avait passé sa vie à essayer de réparer tout le mal qu'il avait commis, mais n'avait jamais obtenu la moindre gratification, et certainement pas le phare incandescent qu'était la toute jeune Buffy... Aucun exploit ordonné par les Puissances ne lui avait jamais permis de redevenir humain en échange, comme il le désirait ardemment. Les Puissances l'utilisaient pour servir leur grand plan, l'aidaient quelquefois pour lui permettre de l'accomplir, et souvent parce qu'il ne les sollicitait pas pour lui-même mais en faveur d'autres.

Pareillement, Spike n'avait rien obtenu en récompense en recouvrant son âme. Ni le périple transformateur ni les épreuves ne lui avaient jamais apporté l'amour de celle pour laquelle il avait cherché la rédemption, littéralement contre nature pour un vampire sans âme. Spike était allé encore plus loin que lui. Et pour le même résultat. Angel trouvait ça désespérant mais ne le disait pas. Si faire le sacrifice de sa vie pour sauver des innocents ne suffisait pas à leur éviter l'enfer où ils avaient tous les deux échoué, qu'est-ce qui aurait été suffisant ?

Alors réaliser après toutes ces années, que le blondinet avait cherché consciemment ou non, à renouer un lien de sang... ça ne pouvait pas passer sous les radars. Ça ne pouvait pas « être rien ». Et la preuve en avait été étalée sous ses yeux stupéfaits : un déferlement de violence tel qu'il en avait rarement vu récemment. La pauvre bestiole avait fini littéralement en steak haché.

La seule hypothèse qui lui venait, faute de meilleures informations, c'était que si Spike sentait qu'il partait pour une nouvelle dérive, ses frasques récentes se comprenaient mieux. Le désir de suicide, l'acte manqué qu'était la revendication de Dawn. C'était une ultime tentative, désespérée sans doute, de se placer de nouveau sous la férule de l'amour. Parce qu'il savait que cela, au moins, le maintiendrait en laisse pour un temps.

Pour toutes ces raisons, Angel entreprit de lui tirer les vers du nez. Il commença par l'interroger subtilement sur le fameux planning dont s'était targué le plus jeune.

— Avant de t'emmener à Rio, il faudrait que je redépose Pietro Machinchose à Rome car Bébé a école lundi. Il est chez les Wells en Allemagne. D'ailleurs à ce propos, il y a une chose dont j'aimerais te parler et je voudrais bien ton avis.

Angel masqua un sourire, en maintenant une posture relativement décontractée. Celle-là, il ne l'avait pas vue venir...

— Qui êtes-vous et qu'avez-vous fait de Spike ? plaisanta-t-il un peu.

— Non mais c'est pas pour moi ! C'est au sujet de Maya. Elle m'a écrit qu'elle avait tué son premier vampire à Rome. Le règlement des écoles, c'est bien que seules les plus âgées commencent à patrouiller sous supervision, c'est ça ?

— C'est ça. Qu'est-ce qui s'est passé ?

— Bah, disons qu'elle a un peu fait le mur, qu'elle est un peu allée à une fête où elle n'aurait pas vraiment dû, et qu'elle a un peu flirté avec un type… qui a essayé de la mordre. Elle l'a planté, fin de l'histoire et pas de bobo. Mais du coup, elle ne l'a pas dit. Ni à ses parents, ni à un Observateur, vu qu'elle en a pas. Je crois qu'elle est un peu perdue… Alors puisque t'es l'autre parrain, je me demandais si t'aurais pas un vague conseil un peu plus pertinent… Qu'est-ce que tu veux que je lui dise, moi ? « Bravo, ma petite, je suis fier de toi ? »

— C'est pas facile, hein, d'essayer d'éduquer quelqu'un ?

— Hin-hin-hin. Vas-y mon grand, remonte en selle. C'est pas parce que t'as tout foiré avec moi que tu ne peux pas t'améliorer avec le temps…

— Et à part être fier d'elle, tu pensais lui dire quoi ?

— Bah là à froid, j'en sais rien. Je préfèrerais en savoir un peu plus. Je ne sais pas comment elle se sent. Si ça se trouve, elle aura des questions auxquelles je n'aurais pas pensé… Ça ne me plaît pas qu'elle n'ait rien dit à ses parents. Elle était furieuse quand je lui ai répondu un truc idiot comme quoi c'était pas grave si ses parents la privaient de sortie pendant un an… Elle a écrit « vous ne me servez à rien ». Et apparemment, ce n'est pas la première fois qu'on ne sert à rien…

— Tu veux dire qu'elle se sent laissée pour compte ? Seule face à... sa condition ?

— Pour ce que j'en ai vu, elle ne se fait pas des copines facilement. Elle n'accroche pas tellement avec celles qu'elle appelle « ses cousines genre », les filles de Willow et Kennedy. Je crois qu'elle regrette son ancien lycée… et la mixité des classes, ajouta-t-il avec un demi-sourire.

— Andrew et Dawn ne sont pourtant pas les pires parents de la Terre… Je crois qu'ils sont plutôt compréhensifs et ils font attention à elle.

— Carrément, si t'avais vu ceux d'Alex… Je te jure j'ai presque eu de la peine pour lui quand je squattais sa piaule…

— Oh là, c'est vieux tout ça. Je ne comprends pas que tu n'aies pas tourné la page depuis le temps. Mais tu veux qu'on lui parle ensemble ?

— Si on fait ça, tu crois pas que ses parents vont flipper et se douter qu'il se passe un truc ?

Angel dodelina de la tête sans franchement répondre.

Par contre, il avait bien l'intention de profiter de cette petite visite amicale de pendaison de crémaillère pour poser des questions aux Wells.

Pour le bien de tous ses amis, celui des différents personnels des Écoles de Tueuses, et des jeunes filles elles-mêmes, il devait s'assurer que l'âme de Spike lui soit encore fermement chevillée au corps.

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Notes

* Nom d'une tribu lapone.

** Très lointaine allusion à Lorne, délicieux démon chanteur dans la série Angel. L'anecdote est également soulignée de mon autre fanfic « La vouivre des marais ».

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