When in Rome
Chapitre 6 : Exquises esquisses (The full frontal timidity)
4035 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 31/08/2020 19:27
Chapitre 6 Esquisses (The full frontal timidity)
.
De : Maya (hermione∙wells©onecloud. com)
Envoi : 21 mars 2037
A : Spike (hostile17©skynet. net)
Objet : produit de la vente
Cher Spike,
Maman organise un vernissage dans quelques semaines et je crois que ça va faire sensation... Les filles de l'école me paient un max, pour chaque photocopie d'original que je peux produire. Elles se les arrachent. Quand on se verra, je te remettrai ta part, parce que ça commence à faire une belle somme. Je pense que tu vas bientôt pouvoir te payer un cuir moins miteux que l'ancien, j'dis ça, j'dis rien...
Maya, ton imprésario improvisé – va en trouver un qui te reverse 50 % de nos jours...
…
De : Spike (hostile17©skynet. net)
Envoi : 23 mars 2037
A : Maya (hermione∙wells©onecloud. com)
Objet : RE : produit de la vente
Maya,
Je n'ai pas la moindre idée de quoi tu me parles. Je n'ai jamais rien eu contre un peu d'argent trop facilement gagné, mais d'habitude je me fais ça au poker en pariant des chatons. Peux-tu développer, si ce n'est pas trop te demander ?
Ou c'est juste une manœuvre déguisée, simplement pour que je vienne ?
Spike
…
De : Maya (hermione∙wells©onecloud. com)
Envoi : 23 mars 2037
A : Spike (hostile17©skynet. net)
Objet : RE : RE : produit de la vente
Spike,
Je suis sûre que ça ferait plaisir à Maman si tu venais. Et puis comme ça tu verrais que tu n'as pas à t'inquiéter parce qu'elle va beaucoup mieux. Elle sort quelquefois avec un surveillant – genre qu'ils font discrètos un déjeuner ou un dîner pour parler « pédagogie scolaire et acquisition des manuels ». Il s'appelle Pietro... L'École entière est persuadée que les « Études de nus masculins au fusain » qui seront montrés au vernissage sont ceux de Pietro qui poserait pour elle, et ça piapiate sans fin à l'interclasse à cause de ça. Comme si on n'avait jamais vu un mec à poil dans n'importe quelle publicité de gel douche...
Comme toujours, Papa est formidable et il la soutient à fond. Il dit qu'il est prêt à en acheter un pour que ça ne fasse pas un bide. Je suis bien placée pour être plus optimiste que lui... Si je te propose ta part, c'est parce qu'à mon humble avis j'ai plutôt l'impression que c'est à toi que ça ressemble... Même si elle ne dessine pas la figure, ce bonhomme a ta mâchoire et tes épaules. Pour le reste, je peux pas vraiment me prononcer. :-D
Maya
PS : j'ai oublié de dire que j'ai rencontré mon « géniteur ». Verdict : il est nul, mais nul ! Maintenant je sais pourquoi papa voulait m'accompagner. Des fois, il est bête mon papounet. Te moque pas de lui, hein ? Mais je crois qu'il a eu peur que je ne veuille plus qu'il soit mon père après. Mais franchement, y a pas photo. Avec qui d'autre je pourrais discuter de la Princesse Leia pendant des heures ? Il m'a même cousu le costume et fait la perruque avec des cache-oreilles marron en tricot quand j'étais petite...
…
De : Spike (hostile17©skynet. net)
Envoi : 27 mars 2037
A : Maya (hermione∙wells©onecloud. com)
Objet : RE : RE : RE : produit de la vente
Tendre Maya,
Je ne sais pas ce qui est le plus perturbant dans ton dernier message. Que tu me dises sans broncher
- que tu te fais de l'argent sur mon physique de rêve,
- que ta mère ait enfin suivi un de mes conseils en prenant un amant,
- qu'elle l'expose à poil dans des estampes « artistiques »
- ou que tu trouves Andrew génial comme père, parce que c'est un foutu geek...
Je me demande si tu n'inventes pas tout ça au fur et à mesure. Ils t'ont bien dit que c'était mal de mentir à ton école, non ?
Spike
PS : et sinon, il y aurait moyen de jeter un œil sur un de ces dessins, par curiosité ? J'aimerais savoir si tu divagues à propos ce qui tu appelles négligemment « le reste ».
…
De : Maya (hermione∙wells©onecloud. com)
Envoi : 27 mars 2037
A : Spike (hostile17©skynet. net)
Objet : RE : RE : RE : RE : produit de la vente
Cher Spike,
Les Tueuses sont entraînées à repérer les grandes mâchoires pleines de dents pointues, et les bras musclés qui sont susceptibles de bloquer la course d'un pieu ou de les étouffer pour les mordre, merci. Mais, en toute magnanimité, je te joins le dessin le moins choquant que j'ai pu trouver de tout le catalogue...
.
Les yeux bleus de Spike s'arrondirent sur ledit dessin en pièce-jointe. De très belle facture quoiqu'un peu classique à son goût, il présentait, malgré tout, un bon rendu des ombres et des lumières en veloutant les chairs. Avec un intérêt curieux, il y trouvait d'exceptionnels détails authentiques : il savait où étaient ses propres cicatrices. La capacité de régénération d'un vampire avait beau être avérée, certaines blessures profondes, même si elles s'effaceraient à terme, laissaient une marque pendant plusieurs années...
Pleine et nue, la silhouette de profil trois quarts, coupée aux jambes, ressortait sur un décor minimaliste pâle où l'on devinait une salle de bains. Elle était penchée sur l'esquisse d'un lavabo et semblait en train de se retourner. Elle valait surtout pour l'étude de la musculature, mise en lumière par sa posture légèrement déhanchée et les reflets de la lampe azimutale. Semblant comme épuisée ou abattue, elle tenait le rebord de la vasque de la main gauche tandis que l'autre, cachant le visage, finissait le mouvement consistant à asperger le visage de gouttes d'eau. Mais entre les doigts écartés, légèrement crispés par une quelconque souffrance, un œil ouvert avait été dessiné. Cet œil oblique et surpris, dirigé vers le spectateur, était indubitablement le sien.
Il le reconnaissait, non pour s'être vu récemment – car les vampires avaient cette invraisemblable et curieuse capacité surnaturelle de ne pas se refléter dans les miroirs – mais il se souvenait encore de l'air qu'il avait quand il était humain. Ce qu'il y avait dans cet iris semblait si troublé et si vulnérable à la fois... Et si peu ressemblant à l'idée glorieuse qu'il se faisait de sa persona.
Bon Dieu. Pourquoi Dawn souhaitait-elle exorciser cette nuit de cette façon ? Était-ce encore une idée ridicule de son psy ? Comment pourrait-elle jamais oublier si elle passait un temps considérable à redessiner les moindres détails de son anatomie ? Il ne la voyait pas guérir de sa grise solitude affective, si elle restait fixée ainsi à ce catastrophique dérapage...
Et… qu'avait donc voulu dire Maya par « le moins choquant de tout le catalogue » ?
Il reporta son attention sur la suite du courriel.
.
J'en ai déduit que t'étais pas un vrai blond ? :-D Ça va, je te charrie encore. T'inquiète, elle a pas dessiné ton zizi quand même. Ou alors, il est caché par un bout de drap ou une ombre judicieusement disposée – ça fait souvent rager les autres filles. Vraiment, elles sont bêtes.
.
Il poussa un juron et reprit la feuille imprimée dans sa main tremblante pour s'éventer. C'était ça. The Full frontal Nudity par Dawn. S. Wells. Il était assez vieux pour avoir vu ce sketch anglais qui datait de... trop longtemps.
Serrant les dents, le vampire tenta de chasser des visions fantasmatiques parfaitement inopportunes où Dawn le déshabillait lentement pour qu'il lui serve de modèle vivant. Enfin vivant – façon de parler. Comme tout bon modèle, il n'aurait pas le droit de bouger un muscle... et quelquefois elle s'approcherait et poserait les mains doucement sur lui pour rectifier sa posture...
L'idée d'être nu comme un ver sous son regard avait graduellement perdu de son caractère outrageux, pour devenir petit à petit plus que supportable (ce n'était rien qu'elle n'ait déjà vu maintenant, le mal était fait)... Et la possibilité de contempler encore dans ses yeux le désir et l'admiration inavoués lui laissait le souffle un peu court. Il lâcha le morceau de papier pour poser ses mains à plat sur la table.
Pourtant, la petite reprenait plus sérieusement.
.
Mais je voudrais que tu viennes. Je m'ennuie quand t'es pas là. Je n'aime pas être dans cette école toute pourrie. Le pays est beau mais ça ne veut plus rien dire maintenant d'être une Tueuse. Il y en a tellement... Ils attendent tous de moi que je sois, je ne sais pas quoi... extraordinaire ? Super plus douée en tout. Mais nan, il y a des dernière année qui sont vachement plus fortes. Elles jonglent avec des haches, elles rigolent en faisant swinguer des marteaux de troll comme à la fête foraine... C'est naze un marteau de troll, et moche. Moi je préférerais le marteau de Thor, au moins, c'est gravé de trucs jolis...
Alors tu viendras, dis ? Il fait encore un peu beau. Ils ne savent pas vraiment ce qu'est l'hiver, ici. En plein février, il fait quinze et ils sont là à greloter dans des bottes et des manteaux de fourrure à se lamenter qu'il fait froid...
Maya à qui tu manques
car tu es le plus cool des parrains
.
.°.
Quelquefois, avoir son propre moyen de transport s'affranchissant d'un certain nombre de contraintes terrestres, lui semblait éminemment pratique. Il se souvenait encore des temps où, pour transborder d'un continent à l'autre, il devait se faire enfermer dans une caisse pour voyager en soute d'avion. Ou d'être ressorti hâve et famélique après trois mois à fond de cale d'un cargo de contrebande...
Et il se retrouvait de nouveau à Rome.
Il savait que les longues semaines écoulées n'étaient que dérobades et des échappatoires pour cette satanée conversation qu'il devait avoir avec Dawn. Il fallait purger ce qu'il y avait entre eux et qu'ils se parlent enfin. Jamais cela n'avait été son fort parler, il le savait bien. Mais là, il s'était surpris maintes fois à en rêver et à l'attendre, ce moment où tout serait posé sur la table et où l'un et l'autre pourraient avancer et reprendre chacun le cours de leur vie. Quel qu'il soit.
La somptuosité du soir s'écoulait déjà sur la Ville Éternelle. Spike était planté à l'angle d'une rue piétonne où il avait une bonne vue sur la devanture d'une jolie vitrine illuminée de l'intérieur, peinte avec des lettres anciennes. A travers, il voyait Dawn attablée dans un angle de la petite échoppe qui devait être l'équivalent local d'un salon de thé. Posés devant elle, une demi-douzaine de livres étalés qu'elle consultait tout en écrivant des choses dans un cahier.
L'image lui semblait si familière.
Les derniers temps à Sunnydale, il était admis tacitement par tous qu'elle était assez grande pour « faire des recherches » avec Giles. En pénétrant sans invitation aucune dans la boutique de magie, Spike l'avait vue nombre de fois dans une posture assez similaire, en train de compulser des ouvrages dont la tranche était plus épaisse que ses deux bras...
Sauf qu'ici et maintenant, à côté d'elle, presque à la toucher de l'épaule, il y avait un de ces bellâtres latins que le pays produisait en masse : brun, beau gosse et sensuel. Pour ce qu'il entendait, l'homme avait un accent local et ne se gênait pas pour lui donner du « cara mia » sucré et pour l'effleurer du bout des doigts pendant qu'ils se passaient les livres. A dix contre un : le fameux Pietro dont avait parlé Maya... Qui d'autre ? Elle lui souriait gentiment, avec une complicité non feinte. Spike fut obligé de bâillonner métaphoriquement son démon qui n'aimait pas ce qu'il voyait. Elle est à moi. Elle est à moi, rien qu'à moi. Je vais lui déchirer la gorge et le vider sur place ça lui apprendra à lui cligner de l'œil, à la toucher et à la faire rire...
Il baissa la tête en serrant l'appareil de communication moderne qu'il avait dans la main. Très honnêtement, il ne voyait pas pourquoi plus personne ne voulait appeler ça un téléphone. C'était un téléphone. Les gens étaient devenus si snobs.
Prenant appui d'une épaule contre le mur tout en restant caché, il tapa un petit message pour elle.
Spike
Dawn, je serai en ville et disponible demain. J'aimerais vraiment que nous puissions parler et tout remettre à plat. Choisis le lieu public qui te convient, et je me libérerai pour te rencontrer
De loin, à travers la vitrine qui donnait sur la rue, il la vit sortir le petit appareil et consulter ce qu'il venait d'écrire. Elle ferma les yeux avec un petit tremblement des lèvres et une œillade inquiète. Le supposé Pietro, posa carrément sa paluche manucurée sur son épaule avant de lui murmurer quelque chose, de beaucoup trop près...
Spike ne voulut pas en voir davantage. Il en allait de la survie de ce malheureux.
Il se dirigea vers le rendez-vous qu'il avait programmé pour ce soir. Se faufilant dans les ténèbres hivernales, les pans de son éternel long cuir tournoyaient autour de lui, tandis qu'il allongeait le pas sur les trottoirs jusqu'à l'adresse de la maison de Dawn. Devant l'imposant portique clair avec auvent, il sonna poliment. Andrew l'accueillit avec un grand sourire derrière la porte blanche et lui sauta quasiment au cou.
Il fallait vraiment qu'il arrête définitivement de faire ça. *
— Spike ! Tu es pile à l'heure ! Je suis content que tu aies pu venir... Attends, j'appelle Maya, elle va être...
Le vampire resta sur le seuil, auscultant suspicieusement l'encadrement. Il n'avait pas envie de se manger la barrière invisible de protection magique qu'il ne devait pas manquer d'y avoir, depuis qu'il était redevenu persona non grata...
— Est-ce que tu... m'invites à entrer ? demanda-t-il ostensiblement et presque formellement.
— Oh oui, bien sûr, entre !... Maya ?!
Une fois le seuil franchi et la porte refermée derrière lui, Spike se racla la gorge et interrompit son hôte d'un geste suspensif.
— Je voudrais te parler un petit moment, seul à seul. Dans ton bureau, par exemple. T'as bien une tête à avoir un bureau chez toi...
Andrew acquiesça et ouvrit la voie en lui faisant traverser une enfilade de pièces toutes extrêmement belles et décorées avec goût. L'invité observait tout avec un faux détachement et un vrai étonnement, en se demandant si c'était Dawn qui avait aménagé un si joli cadre. Et il se dit aussi que ça payait bien mieux d'être Observateur aujourd'hui. Il se rappelait encore avoir vécu dans le trois-pièces minuscule de Giles qui avait du mal à joindre les deux bouts... A la question informulée, Andrew répondit avec fierté que c'était lui qui avait tout fait.
En passant devant une porte blanche où il frappa deux coups, il se contenta d'entrebâiller pour lancer au travers de l'ouverture :
— Maya, retire ces écouteurs... ton parrain est là.
— Hein ? fit la voix de la jeune fille en retirant effectivement un écouteur. Qui est là ?
— Spike. Mais il faut qu'on se parle avant d'aller au Drive In. Ce ne sera pas long. Prépare tes affaires.
— Ah, parce qu'on va au Drive In ? s'étonna le vampire. Ça existe encore ces machins ?
— Oui ! confirma Andrew radieux. Et tiens-toi bien, c'est une rétrospective Bela Lugosi.
Crispé, Spike lui balança une œillade maussade.
Volant hors de son lit aux couvertures froissées et où elle était vautrée à plat ventre, Maya ouvrit grand sa porte, poussa son père et attrapa son parrain pour le serrer contre elle, avec cette force de bébé ours qu'avaient toutes les Tueuses, minuscules ou pas.
Il était surpris de voir combien cette chambre très simple et très fille lui rappelait l'esprit de celle qu'avait Buffy. Peut-être parce que c'était Joyce qui l'avait aménagée autrefois et qu'elle trouvait normal de mettre des volants et des petites fleurs partout, alors que sa fille était le cauchemar ambulant de tous les démons féroces. Mais si c'était Andrew qui avait aussi décoré la pièce dans le même genre, le vampire n'était pas loin de trouver ça tout aussi flippant.
— Oh boude pas, suppliait la petite, c'est une sortie culturelle. Et tu pourras faire tous les commentaires désobligeants que tu veux !
— Comme dire que Dracula était un connard dégénéré ?
— Ouais, mais ne brûle pas toutes tes cartouches d'un coup. Gardes-en pour les invraisemblances ! Ça va être génial !
Enthousiaste, elle le relâcha et sautilla d'impatience avant de les chasser hors de sa chambre à grand renforts de moulinets des bras.
— Ouste vous deux ! Vous avez pas vu le panneau « interdit aux garçons » ?
— Je suis trop vieux pour être un « garçon », argumenta malicieusement Andrew.
— Et moi je suis pas humain, alors ton panneau, hein ?…
L'air content de la gamine, anticipant une victoire facile et courue d'avance, aurait dû les alerter. Elle déclara finement :
— Mais... je vais devoir me mettre en culotte pour me changer !
Le père et le parrain refermèrent aussi sec et détalèrent sans demander leur reste.
.
Quelques portes plus loin, Andrew avait pris place à son bureau de frêne clair couvert d'objets hors d'âge : des livres, un set de courrier, un sous-main en cuir, et divers stylos à plume. Qui aurait cru qu'il avait un lourd passé de geek informatisé ?... Le mimétisme était absolument son arme secrète de survie.
Il invita Spike à s'asseoir d'un geste ouvert du bras, prit place à son tour, puis croisa ses mains sous son menton dans une posture attentive.
Parce qu'il l'avait connu à une époque très différente, Spike trouvait que le plus idiot de toute la bande des Pieds-Nickelés, adopté par pitié parce qu'ils ne pouvaient pas laisser « dans la nature », avait étrangement quelques similitudes, parfaitement fortuites et inintéressantes à souligner, avec... son propre cas.
Passons sur le fait qu'ils étaient tous deux châtain clair (plus ou moins blondi) et avec les yeux bleus.
Passons sur le fait que d'abord « prisonnier » Andrew avait ensuite également vite retourné sa veste en velours et su se rendre indispensable à la hauteur de ses capacités… différentes.
Empathique et relativement maternel, le jeune homme avait pris en charge l'intendance d'une maison bourrée à craquer de Potentielles indisciplinées qui se croyaient en colonie de vacances (alors que c'était la fin du monde). Voilà qui en disait assez long sur sa capacité d'adaptation et d'organisation sur laquelle personne n'aurait parié un centime. Et quand Spike disait « à craquer », ce n'était pas un vain mot. Baigner dans un tel flot continu d'œstrogènes était une expérience dérangeante. Andrew y avait toujours paru à l'aise...
Pourtant, à voir le voir là en homme mûr, bien coiffé avec une raie sur le côté, le vampire commençait à douter. Aujourd'hui, loin de l'idiot attardé qui essayait pitoyablement de faire partie du « Trio Maléfique », il était devenu quelqu'un de calme, plus posé et moins maladroit. Il n'était pas dépourvu d'une certaine finesse (sans doute acquise en côtoyant d'autres Observateurs) et il dégageait la confiance de tous ceux qui se sentent à leur place, et qui aiment ce qu'ils font.
A l'époque pourtant, il cumulait les tares : c'était un gamin paumé et peu sûr de lui, avec de mauvaises fréquentations, trop naïf, incapable de dire non et désirant ardemment être accepté...
Un éclair de stupeur passa dans les pupilles de Spike quand il réalisa que ce portrait pouvait tout aussi bien correspondre à celui qu'il était avant sa conversion. Et il se jura que s'il se reprenait à se trouver des points communs avec l'homme en face de lui, il avalerait de l'eau bénite pure.
— Qu'est-ce que tu voulais me dire alors ? demanda l'intéressé avec une curiosité et une très bizarre bienveillance.
— C'est embarrassant.
— On s'en fiche, il n'y a que nous, répondit-il avec un petit haussement d'épaule.
— Bon, alors je ne sais pas très bien pourquoi, mais pense que je te dois une certaine honnêteté. Je veux te prévenir loyalement que je crois être tombé amoureux de ta femme.
— Ah-ha, se contenta de répondre Andrew avec une admirable et insoupçonnable impassibilité de joueur de poker. Et... ?
— Et bah… rien. C'est déjà pas mal, non ?
— Non, ce je veux dire, c'est qu'est-ce que tu comptes faire ? Me défier en duel à mort, l'enlever sur ton cheval blanc et t'en aller avec elle à la lune montante ? spécula le mari pas jaloux, avec un certain amusement rêveur.
— Peuh, non, tu perdrais le duel !
— Pas si je choisis bien mes armes, car c'est le privilège de l'offensé, badina-t-il. Tu vas lui en parler, j'imagine ?
— Non ! répondit le vampire en fronçant les sourcils. Enfin, je comprends bien que nous avons besoin de clarifier ce qui s'est passé cet été. Et mettre tout ça derrière nous. Car c'est bien ça qu'il faut faire, pas vrai ? Elle a eu assez de chance de s'en être sortie sans trop de casse, entière et vivante…Jamais je ne veux revivre ce que j'ai ressenti quand j'ai cru que je l'avais tuée...
Entendant cela, Andrew plissa soucieusement le front en faisant la moue, ce que le vampire ne put s'empêcher de trouver comique malgré tout. Son vis-à-vis inspira profondément et se recula dans son fauteuil. Il avait l'air de le prendre étrangement bien.
La situation n'était pas si inhabituelle pour Spike. Il était né à une époque où les mariages de raison étaient plutôt la norme, mais pas mal d'eau avait coulé sous les ponts depuis. Pourtant, le « mari » ne montrait pas les signes d'indifférence et d'ennui ordinairement associés à ces unions d'autrefois, où le cœur n'avait pas son mot à dire et où l'amour proliférait donc naturellement ailleurs. A défaut d'autre chose, Dawn était au moins à la fois sa colocataire, son amie et la mère de celle qu'il considérait comme sa fille. Pas facile de balayer cela d'un revers de main.
— Il faut vraiment que vous parliez. Je ne peux pas révéler des choses à sa place, ce ne serait pas très élégant de ma part, mais... c'est plutôt elle qui devrait faire amende honorable. Cela n'exclut pas les circonstances atténuantes cependant...
— Quoi qu'il en soit, coupa le vampire qui restait buté sur son idée, je ne compte pas du tout m'imposer ou quoi que ce soit... Je ne sais pas trop comment fonctionne votre mariage mais j'imagine qu'elle a enfin trouvé quelqu'un qui lui plaît maintenant et qu'elle sera un peu plus... euh... épanouie. C'est bien.
— Ah bon ?
— Oh merde, t'étais pas au courant ?
— Qui t'a dit qu'elle avait quelqu'un ?
— Maya. Elle m'a écrit qu'elle voyait fréquemment un certain Pietro et comme je l'ai aperçue tout à l'heure avec un jeune homme très... italien, j'ai supposé que c'était lui...
Dans son tweed déjà passé de mode quarante ans plus tôt qui lui donnait un air de Sherlock à la manque, l'Observateur gracile sourit encore sans en dire plus et il opina lentement en répétant :
— Oui, parlez-en ensemble. Mais pour l'heure, allons retrouver cette petite terreur ! Parce que je sais qu'elle ÉCOUTE AUX PORTES, dit-il plus fort.
— C'est même pas vrai ! brailla la gamine derrière le vantail fermé. Parce qu'on n'entend pas bien ce que vous dites !
A cette réplique, le fin sourire du vampire réchauffa le cœur de l'Observateur. Peut-être avaient-ils effectivement bien plus de points communs qu'ils ne l'imaginaient, concernant cette jeune fille.
.
.
.
Note
* Voir Angel - Saison 5 Ep. 11: Damage / Folle. On y apprend qu'Andrew est devenu Observateur et il saute au cou de Spike quand il le revoit vivant. Enfin, vivant…