When in Rome

Chapitre 4 : Des herbes, des chèvres et des piquets

4777 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 28/08/2020 18:09

Chapitre 4 : Des herbes, des chèvres et des piquets

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Le sort de localisation le trouva sur le canapé olive de Laïta. Maintenant qu'il y squattait depuis plusieurs jours au lieu de n'y faire que passer, il voyait qu'elle aimait tous les tons de vert. Cela conférait au lieu un petit côté jungle. Papier peint, plantes, peintures... Un petit morceau de papier roulé voleta jusqu'à lui en interrompant ses considérations oiseuses, et se déploya devant ses yeux pour délivrer le message suivant en lettres gothiques :

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Immonde vampire !

Qu'as-tu fait à ma mère ? Si tu reparais devant moi, je t'arracherai les dents une par une, avec une roulette d'ortho-dentiste, et je crèverai tes yeux menteurs d'un pieu tartiné à l'ail avant de le retremper dans l'eau bénite pour rincer, et puis dans le truc racorni qui t'a autrefois servi de cœur. Misérable ! Plus personne ne prononcera jamais ton nom sauf pour dire que t'étais qu'un sale menteur et un obsédé qui trahit ses amis qui l'aiment. Viens affronter ma justice et ton Destin, si tu en as le courage ! Au lieu de te terrer dans l'ombre comme un vil trouillard !

Signé Hermione Wells.

PS : Et j'ai fait le sort toute seule, tellement tu m'as mis la rage !

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Laïta se pencha par-dessus son épaule pour parcourir le message d'un œil intéressé.

— « Ortho-dentiste » ? releva-t-elle. A part ça, elle a un style prometteur, il faut reconnaître. Elle suit des cours de provocation martiale ?

Spike sourit faiblement, amusé que cela puisse seulement exister.

— J'ai l'impression.

— Si je te demande qui est cette Hermione et ce que t'as fait à sa mère, tu vas me dire que c'est pas mes oignons… Bien que la mention d'obsédé soit, à mon sens, un indice relativement éclairant…

— Ouais, c'est pas tes oignons. Je suppose qu'il faut que je lui réponde pour éviter qu'elle débarque... Qu'est-ce que je vais bien pouvoir lui dire ?

— Attends j'ai une idée. Prends une feuille.

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Maya,

Si je pouvais tenir debout, c'est avec plaisir que je serais venu jusqu'à toi. J'aurais arraché d'un seul geste le coton navré de mon t-shirt et, face à toi, le menton levé et les poings serrés, j'aurais placé de moi-même sous ton pieu vengeur, ce cœur inutile qui est le mien.

Mais j'imagine bien que mon invitation à pouvoir franchir le seuil de ta maison a dû être révoquée sur le champ. De plus, j'imagine aussi volontiers que tu es interdite de sortie, vu les circonstances, et sans doute pour t'empêcher de faire quelque chose de stupide.

Je voulais que tu saches que je ne me terre pas vraiment... Je suis également malade quoique sans doute moins violemment que ta mère. Si je parvenais à me traîner jusqu'à toi, et que tu me tuais, tu serais certainement la reine de ta promo mais ce serait une bien pauvre victoire.

'A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire', petite. Je l'ai toujours pensé. Mets ça dans ta prochaine dissertation.

Spike

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Le sort s'échappa dans une petite bulle de lumière qui fila à travers la fenêtre restée ouverte.

Laïta lui dédia un petit sourire satisfait puis s'excusa de devoir aller travailler. Il secoua la tête en faisant mine de la chasser quand un bruit de sonnette les fit sursauter tous les deux.

D'un seul regard, le vampire lui recommanda de ne pas aller ouvrir mais elle haussa les épaules.

Récente immigrée aux maigres ressources, Laïta était obligée de vendre sa plastique admirable à la concupiscence éternelle des touristes. Elle était danseuse exotique pour nourrir ses petits à naître. Elle était déjà en tenue de travail – un petit rien vaporeux aux transparences fort attendrissantes porté sur des cuissardes qu'elle recouvrait habituellement d'un imper, pour faire le trajet jusqu'au club miteux où elle était éhontément exploitée. Son uniforme était toutefois assez distrayant pour immobiliser quelques secondes au moins, quiconque oserait tenter de franchir le seuil... Spike réussit à se lever et à changer de visage, prêt à intervenir.

On frappa de nouveau trois petits coups plus insistants et avec l'accord silencieux du vampire, Laïta ouvrit largement en bombant le torse, pour faire valoir avec assurance la redondance de ses arguments.

Derrière la porte, une jeune femme rousse la découvrit avec des yeux ronds comme des soucoupes, estomaquée que la locataire puisse répondre en étant vêtue, en tout et pour tout, d'un string et d'une sorte de nuisette en tulle toute fine, échancrée de partout. Elle tâcha de ne pas fracasser sa mâchoire par terre et de respirer.

— C'est pourquoi ?

— Excusez-moi de vous déranger... Ce n'est peut-être pas le... euh... meilleur moment ?

— J'allais sortir...

— Dans cette tenue ? toussa la rouquine en serrant convulsivement un sac hippie contre elle.

— Non avec un manteau quand même, je suis un peu sensible aux variations thermiques…

— Euh d'accord... Je voulais savoir... Est-ce que Spike est là ?

— Et si je disais non ?

L'importune visiteuse eut un sourire gêné et un petit mouvement de dénégation. Elle déglutit et sa posture se fit plus assurée.

— Je saurais que c'est faux.

— Et bien alors, qu'est-ce que vous lui voulez ?

— Je viens pour le soigner. J'ai amené… des herbes, ajouta-t-elle maladroitement en levant son sac tricoté orné de franges de laine.

Willow n'était pas maladroite. La sorcellerie exigeait une parfaite coordination des mouvements et de la concentration. Il fallait pouvoir concocter des potions, lancer des sorts dans des langues mortes souvent plus parlées depuis des siècles, tout en jonglant avec quelques armes plus conventionnelles, sans léviter accidentellement, ni ouvrir trop les vannes à sa puissance magique. Et... en pleine situation critique.

Mais la copine de Spike était vraiment – vraiment – très sexy, sans doute était-ce un peu la raison de son choix, d'ailleurs. Willow s'étonnait de s'y trouver sensible. Elle était après tout une honnête lesbienne, mariée et heureuse en ménage, alors pourquoi ce soudain trouble à la vue de tous ces rebondissements dans... les entrelacs de l'intrigue ?

La beauté verte enfonça son poing aux ongles laqués dans le moelleux de sa hanche moqueuse.

— Quoi, vous essayez de me faire avaler que vous êtes un êtes un docteur pour vampires ?

— Et si je vous disais oui, est-ce que je pourrais entrer ?

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La même fenêtre de cuisine entrouverte – ayant déjà laissé passer le sort de localisation – pivota lentement sur ses gonds. Une cheville aventureuse franchit le rebord, puis une jambe au bout d'un genou, suivi d'une cuisse mince, et le tout dégoulina sans bruit sur la table calée dessous. La silhouette furtive en descendit à pas feutrés. A sa nuque, le picotement familier lui tiraillait les cheveux de l'intérieur, en l'avertissant de la présence d'un vampire dans un voisinage très proche. En attrapant un pieu durci fourré dans le dos de sa ceinture, l'ombre chinoise au pic ligneux agressivement levé, glissait sur le mobilier jusqu'à ce qu'elle atteigne le couloir.

Dans l'entrée, elle entendit deux voix féminines parler, dont une qui, étonnamment, ressemblait beaucoup à celle de tante Willow. Elle décida qu'elle devrait jouer de l'effet de surprise et frapper plus vite et plus fort. La première pièce à proximité était une chambre vide dont le lit était défait. Elle s'approcha avec maintes précautions sans faire craquer la moindre latte. Ces taches noires qu'elle distinguait sur les draps, est-ce que c'était du sang ?

Elle ressortit très vite dans le couloir et vit qu'un homme était appuyé là, semblant l'attendre.

— Salut Maya, l'accueillit-il en la faisant sursauter.

— Vampiiiire !

— Tu-euuse ! l'imita-t-il mais en roulant des yeux. Qu'est-ce que tu fais là ? Si jamais tes parents apprenaient que tu es sortie, tu te ferais punir pour les trois prochaines années ! Rentre chez toi.

— En garde ! Défends-toi ! Tu vas mourir !

— Ouais, ouais, je sais, j'ai eu ton message. Écoute, on jouera une autre fois, tu veux ?...

Depuis l'entrée, la voix de Laïta résonna pour l'appeler, mettant un terme à cette invitation qui aurait été des plus mignonnes en d'autres circonstances.

Maya aimait bien appeler leurs courses-poursuites des séances de préparation physique au combat. De l'avis du vampire, cela se rapprochait plutôt de « jouer à chat », mais elle rétorquait que toute situation était bonne pour aiguiser sa vigilance motrice et… perdre du poids. Spike se souvenait que Buffy était délicatement potelée avant de devenir une guerrière presque maigre aux muscles durs dont les joues s'étaient creusées. Sa nièce perdrait peut-être de même ses rondeurs enfantines.

Le souvenir du corps nu de Dawn flasha dans sa mémoire et il dansa un instant au creux de ses pupilles dilatées. Différent mais très beau, doux, souple... Il eut la bouche sèche soudain, en y repensant, comme lorsqu'elle s'était dévêtue et qu'il n'avait pas réussi à détourner le regard. Il était resté cloué sur place, estomaqué de réaliser ce qu'il ne soupçonnait pas.

La Dawn qu'il avait appris à aimer et à protéger, la belle enfant au pur regard d'ange et au sourire malicieux, l'ado taquine qui avait compris la première qu'il était dingue de sa sœur… Cette Dawn n'était plus. Parfois, il la retrouvait dans un rire spontané ou un sourire radieux. Mais aujourd'hui, elle avait cette beauté douloureusement envoûtante. Il était taraudé par le désir et l'adoration qu'il avait lu dans ses pupilles quand elle l'avait invité à la rejoindre. Taraudé par la perfection de ses traits et par son corps devenu... carrément lascif.

Pas un instant, il ne mettait cela sur le compte de son origine ou sa venue au monde particulière. A part cela, elle était humaine. Il supposait seulement que sa fascination ne pouvait venir que de la stérilité de son espèce parasite de vampire. Il supposait que le désir qu'il avait d'étreindre à nouveau cette ensorcelante déesse-mère, si charnelle et si innocente entre ses bras n'était dû qu'à la fraîcheur de l'union qui les vouait dorénavant l'un à l'autre. Ce choix, exclusif et dangereux qu'elle avait fait en se liant à lui, ne pouvait être que l'effet d'une désespérance qui lui brisait le cœur. Même racorni.

Depuis l'entrée, la voix de Laïa l'interpelait :

— Spike ? Une certaine Willow Rosenberg est là pour toi.

Il revint à lui et au moment présent. Avec un petit mouvement de la main qui signifiait universellement « du balai » il chassa Maya. Celle-ci discerna soudain, à la faveur d'un trait de lumière oblique, la pâleur cadavérique de son visage aux lèvres exsangues, ses cernes sombres et marqués.

— Hé ! T'as une sale tête... T'es devenu un zombie ? Un... zompire ? Ça se peut ? chuchota-t-elle, toujours curieuse des nouveautés du monde surnaturel qui s'empilaient dans ses cahiers.

Dédaignant lui répondre, Spike haussa les épaules avant d'obéir à sa compagne d'un ton guère convaincu :

— Ça va, j'arrive...

Comme toute femme à qui on somme de rester en arrière, Maya n'obéit pas du tout. Elle le talonna jusqu'à l'entrée.

— Oh salut Spike ! l'accueillit la sorcière rousse avant de s'étonner. Maya ! Qu'est-ce que tu fiches ici enfin ?

Laïta fit la moue (une délicieuse petite moue) et se croisa les bras (sous sa délicieuse poitrine).

— Excellente question ! Qu'est-ce que vous faites chez moi ? Vous vous croyez où d'entrer chez les gens comme ça ?

Rassemblant le peu de forces qu'il avait, Spike la rejoignit et passa une main caressante sur sa hanche nue – à moitié pour jouer la comédie, à moitié pour y trouver un appui lui permettant de rester debout. Il avait beau avoir souvent cru qu'il repoussait les limites de sa dignité, il lui restait pas mal d'orgueil masculin en stock. En tous cas, assez pour ne pas vouloir s'évanouir devant trois filles…

— Laïta... Voici justement Hermione, ma filleule. Et Willow qui est sûrement venue, elle aussi, pour abréger mes souffrances.

La démone verte se plaça automatiquement devant lui comme pour le défendre. Willow ne put s'empêcher de trouver cela adorable, à la fois parce que Spike était sans doute encore capable de vendre chèrement sa peau, ensuite parce que cette sculpturale incitation à la débauche ignorait sans doute à qui elle avait affaire. Si on la prenait à rebrousse-poil, Willow était fichée comme menace apocalyptique potentielle, y compris par ses amis.

— Sortez de chez moi immédiatement toutes les deux !

— Non ! Moi je suis une Tueuse de vampires et elle, c'est une puissante sorcière, intervint la petite avec trop d'aplomb. Créature (pardon mais je ne sais pas ce que tu es), tu n'es pas de taille contre nous. Laisse-nous le vampire et nous jurons qu'il ne t'arrivera rien.

— Oh vraiment ? répondit la pulpeuse petite-amie presque nue. Surprise...

Les yeux de Laïta changèrent de forme pour devenir deux fentes et des petites dents lui poussèrent tandis qu'elle perdait sa silhouette curviligne et doublait de volume en largeur et en hauteur. Un susurrement persistant s'insinua insidieusement dans leurs cervelles, instillant une indécision subreptice sensiblement sournoise...

— En arrière, Maya, bouche-toi les oreilles, c'est une Ophidienne !

— C'est quoi une obsidienne ? Hey mais… on dirait qu'elle parle Fourchelang !

Asurdio ! se contenta de dire Willow d'un air navré tandis que Laïta perdait la parole aussitôt.

La rouquine leva les mains en signe d'apaisement.

— Spike, plaida-t-elle, je promets que je suis venue t'aider. Je ne te veux pas de mal... Ni à ton amie.

Il la regarda agiter son sac aux couleurs vives de poncho péruvien sous amphétamines. Rien que le mouvement lui refila la nausée. La tête lui tourna et il s'effondra bientôt au sol comme un pantin désarticulé. Faiblesse malvenue : 1. Ego de vampire : 0.

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.°.

Quand il reprit conscience, au milieu du salon de sa gracieuse hôtesse dont les meubles en rotin avaient été poussés, il était allongé au centre d'un pentacle à la craie, avec des bougies de cire allumées aux angles. Assise sur ses talons pas très loin, Laïta pilait consciencieusement quelque chose dans un bol, tandis que Willow en tailleur près de lui, compulsait un petit bouquin brunâtre mal relié.

— Red ? Qu'est-ce que tu fais ? Aoo ! Qu'est-ce que c'est que ce truc qui pue ? demanda-t-il en fronçant le nez.

— Bien, si t'arrives à le sentir, c'est que t'es pas encore mort... Qu'est-ce que tu crois que je vais faire ? Faire cramer des herbes en invoquant le Codex de Gilgamesh dans un mauvais sumérien... La routine. Comment est-ce que tu te sens ?

— Mal...

— Fais-moi voir tes bras.

— Non... résista-t-il en tirant sur ses manches.

— Spike, s'il te plaît...

Gentiment, elle le força à obtempérer. Relevant les manches longues, ses mains auscultèrent les deux mauvaises plaies qu'elle voyait sur le côté tendre des avant-bras. Maya ne put s'empêcher de demander ce que c'était, et Willow l'envoya chercher une serviette mouillée pour nettoyer et éviter de répondre trop vite. La sorcière regarda la démone verte qui lui tendit le bol contenant les herbes en pommade.

— C'est lui qui se fait ça tout seul, ne me regardez pas comme ça !... Ça ne cicatrise pas, il les lèche et les maintient ouvertes... Je ne sais pas pourquoi il fait ça... Il est têtu.

— Ça ne se referme pas car sa salive contient un anticoagulant… Il va aller mieux très bientôt, ne vous inquiétez pas.

— Est-ce que Dawn est morte ? les interrompit-il d'une voix blanche à peine audible.

— Non, Spike, elle va bien. Je me suis occupée d'elle à temps. Elle est hors de danger. Mais je pense que mentalement, c'est autre chose.

Le vampire poussa un très profond soupir de soulagement. Il laissa sa tête rouler sur le côté et ferma les yeux. Willow lui caressa la joue, prit la serviette des mains de Maya qui restait là les bras ballants à ne savoir quoi faire.

C'était difficile d'en vouloir à quelqu'un qui avait l'air d'aller si mal. Son père lui avait dit que Spike était responsable de la maladie de sa mère, mais il n'avait pas mentionné que le vampire lui-même était si mal en point.

— Laïta, vous voulez bien nettoyer les plaies et les bander ? Il vaut mieux éviter que le sang coule pendant que je prononce l'incantation, ça n'arrangerait pas nos affaires...

— Red, pourquoi fais-tu ça pour moi ? croassa-t-il.

— Parce que Dawn a avoué dès qu'elle a repris conscience que tout était de sa faute. Et elle m'a même déballé comment elle s'y était pris pour te manipuler.

— Quoi ?

— Chut. Reste tranquille. Laïta, Maya, voulez-vous vous asseoir en tailleur à chacune des pointes du triangle ?

— Comment ça manipuler ? insistait le vampire, dans les vapes mais incrédule.

Les traits de la sorcière, si identiques à ceux du passé, se figèrent un instant et elle secoua la tête sans indulgence.

— Elle a... mal agi envers toi et elle a utilisé la magie pour ça. Je suis déçue. Je pensais qu'elle était à l'abri des erreurs que j'avais pu faire moi-même plus jeune... Mais à sa décharge, je suis aussi responsable de n'avoir rien vu.

— Je ne comprends pas ce que tu dis. Dawn a pratiqué de la magie noire ?

— Écoute, réservons les explications pour plus tard. Pour l'instant, il faut que je te libère du sortilège tant qu'il reste encore un peu de temps.

— Quel sortilège ?

Willow ne répondit pas en se contentant d'un petit sourire inquiet et cala le livre sur un genou pour commencer à psalmodier en agitant des brindilles trempées dans une essence de pisse de rat. En tous cas, il penchait pour ça, car ça ne sentait pas meilleur. Rien n'avait de sens. Dawn n'avait pas besoin d'user de magie pour qu'il tienne la promesse d'être là pour guider Maya... Spike ferma les yeux avant de se sentir enveloppé de lumière et emporté comme un fétu.

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Il sut que quelque chose clochait dans le rituel à la minute où il se vit debout près du cercle dessiné à la craie où son corps était toujours allongé... L'appartement de sa voluptueuse logeuse n'avait plus de toit et il faisait beau. C'était incroyable de sentir la douceur d'un pâle soleil sur sa peau et le gazon sous ses pieds nus. Cela faisait des décennies que cela ne lui était pas arrivé. Il aurait pu en pleurer.

Attiré par du mouvement en vision périphérique, il tourna la tête et vit Buffy approcher dans une longue robe blanche très simplement pincée à la taille.

— Le rituel ne se passe pas super, hein ? demanda-t-il quand il fut assez près d'elle.

Elle répondit d'une petite moue confiante, en jetant un œil curieux à la scène qui se déroulait en contrebas. Les trois filles étaient assises autour du cercle où il se trouvait, des bougies à la flamme dansante sur tout le pourtour, et Willow avait disposé sur son patient une ligne régulière de quelques sacs à sortilèges qui s'étageaient depuis sa tête jusqu'à son sexe. *

— J'sais pas pourquoi elle a posé un sac par-là... se défendit Spike. Tout marche bien de ce côté...

Buffy mordit un sourire indulgent et répondit :

— Je n'en doute pas.

— Pourquoi est-ce que je te peux te voir ? Est-ce que je suis mort aussi ? Parce que j'ai pas eu ça, après la fermeture de la Bouche de l'Enfer…

Buffy tourna la tête vers lui. Elle était telle qu'il l'avait connue au tout départ. Ses sourcils fins et tombants, son nez en trompette, l'inimitable pli arrogant de sa bouche, son petit menton frondeur... Ses yeux verts le contemplaient pourtant avec une bonté qu'il ne lui avait jamais connue. Elle avait presque l'air intimidée, sans doute pas par lui. Jamais elle ne l'avait été.

— Parce que je sais maintenant que j'ai fait une erreur Spike, et que j'en suis désolée. Donne-moi la lettre.

— La lettre ?

— Tu sais laquelle, ne fais pas l'innocent.

Bien sûr qu'il savait laquelle. Celle qu'il avait déchirée en petits bouts et scotchée. Les derniers mots que Buffy lui avait écrits. La lettre. LA lettre.

— Et si je ne veux pas ? C'est tout ce qui me reste de toi... supplia-t-il, toute honte bue.

— Ton premier mouvement était le bon ! lui dit-elle doucement. Il fallait la détruire. C'était une erreur de ma part, insista-t-elle. J'ai agi égoïstement. Et ni toi ni Dawn n'avez été capables d'aller de l'avant à cause d'elle... Spike, je te libère de ton serment. Tu ne me dois rien du tout. Tu es libre.

Il secoua la tête, un masque de chagrin peint sur les traits.

— Buffy, non, je ne veux pas.

— Bientôt deux cents ans et tu accèdes seulement au stade du non ? s'amusa-t-elle un peu. Allons. Il est temps que j'y aille, les Puissances me m'ont accordé qu'un créneau très court et une dérogation exceptionnelle.

Spike tourna anxieusement la tête en direction de la prairie environnante suffisamment vallonnée pour sembler remonter jusqu'au ciel. Près d'un gros arbre isolé qu'il n'avait pas vu avant, il aperçut deux autres jeunes femmes au loin qui lui firent signe. Leurs visages lui étaient familiers, mais il avait du mal à les reconnaître précisément.

— Il y a quelqu'un là-bas.

Buffy acquiesça avec un sourire tendre.

— Oui, elles ne peuvent pas se rapprocher de trop, mais elles voulaient être là. Ma mère et... la tienne. Elles passent bien trop de temps ensemble à parler de toi, si tu veux mon avis.

— Buffy, tu me manques tellement...

Il tendit le bras vers elle pour la toucher impulsivement mais sentit qu'il était happé par un tourbillon d'air puissant qui le ramenait en arrière.

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Le nimbe de lumière qui l'entourait disparut. Le plafond redevint plafond ; dans son dos, le sol était dur et son cœur était lourd. Perplexe, Willow le débarrassa d'un petit sac et posa une main sur son front. Il se sentit vide et désolé.

— Spike, tu pleures... Est-ce que ça va ?

— Buffy a dit que je devais brûler la lettre...

Sous les yeux médusés des deux autres femmes qui n'osaient pas intervenir car elles ne comprenaient pas tout, Willow opina et lui caressa encore la joue.

— J'imagine que ça doit faire partie du processus. Ça va aller maintenant. Enfin, j'espère que ça va aller mieux.

— Du processus... de quoi ?

— Du deuil, dit-elle avec un doux sourire. Mais pour l'instant, il faut que tu te reposes. Tiens, je t'ai apporté du sang de porc. Tu vas trouver ça immonde après avoir re-goûté au sang humain mais… c'est tout ce que j'ai.

Il haussa les épaules en acceptant le thermos, conscient qu'elle avait poussé la courtoisie jusqu'à le réchauffer à la bonne température. La sorcière se releva, et les deux autres membres du triangle se sentirent autorisées à en faire autant.

Willow demanda à Laïta d'aider Spike à retourner s'allonger sur le lit et expliqua que Maya et elle allaient tout remettre en bon ordre dans le salon.

— De toutes façons, j'ai perdu ma place en n'allant pas au travail... murmura la démone à la peau verte.

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Maya et la sorcière rousse qu'elle considérait comme sa tante quittèrent le petit appartement de la démone ophidienne et marchèrent un moment silencieusement dans les rues de Rome, dans l'air doux du soir et sous la voûte nocturne piquetée d'étoiles. Cinq bonnes minutes se passèrent avant que la jeune Tueuse, perplexe face à la situation, ne demande :

— Tout ça a encore rapport avec Sunnydale, hein ?

— On ne peut rien te cacher.

— Je sais pas pourquoi, mais je m'en doutais. Qu'est-ce qu'on va faire maintenant ?

— Maintenant, on rentre. Je vais devoir parler à ta mère.

— Tu dis ça d'un ton !... Comme si tu allais la disputer !

Willow soupira, les traits pourtant résolus.

— Je ne suis pas sûre que ce soit la bonne chose à faire. J'ai commis beaucoup d'erreurs quand j'étais jeune. L'une des plus graves était de croire que la magie et ses raccourcis étaient la solution à tous les problèmes.

— « Plus rapide, plus facile, plus séduisant est le Côté Obscur », cita la jeune fille avec un petit sourire moqueur.

— C'était facile à justifier, continua Willow en acquiesçant. Nous étions impatients, nous avions une apocalypse quasiment à gérer tous les ans... Il y avait toujours les meilleures excuses pour essayer de simplifier ce qui ne l'était jamais. Or rien de ce qui est important n'est jamais facile. Ta maman me voyait faire. Je croyais qu'elle avait tiré des leçons valables de mes sottises. Il semble que non.

— Maman n'aurait jamais fait quelque chose de mal... Elle est très à cheval sur mon éducation !

— Elle n'avait certainement pas de mauvaises intentions, mais l'amour ne se commande pas et ne se force pas non plus.

— Qu'est-ce que tu veux dire ? questionna Maya en fronçant les sourcils. Qu'elle lui a... je sais pas… fait boire un filtre d'amour qui a tourneboulé Spike ?

— T'es une petite futée... Par contre évite de parler de ça en ces termes devant ton parrain, ça pourrait le vexer.

— Ah ouais, c'est vrai qu'il est un peu fiérot quand même... Donc il n'y a rien de vrai entre eux ? Juste du sexe et qui a… raté ?

— Je te trouve bien désinvolte face à l'évocation de la vie sexuelle de ta mère...

— Non ! Mais à l'école, les autres filles – qui veulent faire genre qu'elles sont « adultes » – n'arrêtent pas de parler des vampires les plus sexys. Les profs sont pas au courant bien sûr, sinon ils nous colleraient encore plus de corvées, parce que les vampires, c'est pas fait pour baver devant, c'est juste des méchants et bla bla bla. Mais... je peux difficilement ignorer que Spike a une sacrée cote. Elles voudraient toutes coucher avec ! Même des profs, je parie. C'est un peu comme s'il était une star, mais que le monde connaîtrait pas. Moi, je dis pas que c'est mon parrain parce que déjà, depuis qu'elles savent que je suis la nièce de Buffy Summers, elles me font une vie, alors si elles savaient que je peux le voir quand je veux... Enfin, tout ça pour dire que non, ça ne me fait pas plaisir de mettre « sexe » et « maman » dans la même phrase. En tous cas, je suis soulagée de m'être trompée et qu'ils ne s'aiment pas vraiment. Si c'est à cause d'un sort, mes parents vont pas divorcer.

— Oh mais, si c'était si simple… Il y a des sentiments entre ta mère et Spike, des vrais sentiments et c'est pour ça que c'est triste et compliqué. Parce qu'il y a plein de façons d'aimer, parfois on peut se tromper et confondre...

— Du coup, est-ce que ça veut dire qu'on le verra plus jamais dans le coin, parce que ça va être le gros malaise à cause de ça ?

— C'est une possibilité.

— Rha, c'est nul ! Moi je l'aime bien, je veux pas qu'il s'en aille pour toujours ! protesta Maya.

— Et tout le problème est là, ma chérie. La plupart des humains sont possessifs. Les choses, les idées ou les souvenirs nous attachent comme des chèvres à un piquet sur le bord de la route. Mais si nous refusons d'ouvrir nos mains et de les laisser aller, on n'avance plus sur le chemin de la vie, tu comprends ?

— Non pas très. Comment on peut ne plus vouloir... ce que l'on veut pourtant ?

Willow entoura les épaules de sa filleule et déposa un baiser sur sa tête avant de reprendre la route vers l'appartement des Wells.

— La bonne nouvelle, c'est que tu n'es pas obligée de trouver la réponse pour demain...

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(à suivre : Partie 2 - Where do we go from here?)

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Note

* Le long des différents chakras, pour ceux qui se demandent.

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