Snakes Of Despair
Chapitre dixième,
Elle fit claquer le battant derrière elle avec précipitation et se plaqua contre le matériau dur de la porte. Sa poitrine se soulevait violemment, son cœur battait la chamade, des gouttes de sueur perlaient sur son front. Elle était essoufflée, crispée, affolée. Elle détailla l’intérieur de son pitoyable petit studio, rien n’avait changé : c’était vide, terne et froid. Et lorsque le froid s’empara d’elle, ses épaules se détendirent et elle se laissa aller contre la porte.
Son visage était fermé, rouge, et encore humide des récentes larmes qu’elle avait versées. Elle s’essuya les joues d’un brusque revers de main et se frotta les yeux avec violence. Elle s’empressa de retirer sa veste et sa chemise sale dont les boutons avaient été arrachés. Elle les jeta avec colère sur le sol. Elle se passa les mains sur la poitrine, se griffa le ventre avec frénésie, comme pour retirer la souillure qui lui collait à la peau, se débarrasser du souvenir des mains de Loly et Menoly sur son corps. Mais le regard de Grimmjow... ça, elle ne pouvait l’effacer, quoi qu’elle fasse, tout comme la douleur qui la torturait.
Puis, après quelques minutes passées dans le terrible silence moqueur de son appartement, l’humiliation, la tristesse et la honte se transformèrent en une colère monstre, en une rancœur insoignable. Et elle péta les plombs. Le peu d’objet décoratif qu’elle avait fit la violente rencontre avec le sol. La vaisselle qui avait eu le malheur de traîner fut éjectée contre les murs dans des cris de rage et les vases allèrent se briser en mille morceaux contre le parquet. Les chaises, les fauteuils, les commodes, presque tout y passa.
Et lorsque tout fut renversé et qu’elle n’eut plus rien à détruire d’autre que les murs qu’elle n’avait pas la force de briser, ses jambes flanchèrent et elle s’effondra devant la seule commode qui ne jonchait pas le sol. Ses yeux humides ne parvinrent pas à supporter les deux regards bienveillants qui trônaient sur le haut du meuble, et elle baissa la tête, laissant ses larmes tomber sur ses cuisses, torrent de sentiments.
« Sora... Tatsuki... Pourquoi ? Pourquoi suis-je si faible ? »
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Lorsque Renji se réveilla, le soleil perçait déjà à travers les rideaux de sa chambre et une bonne odeur de crêpes enivrait ses narines. Il fixa le plafond durant de longues minutes et se passa une main sur le visage. C’était aujourd’hui. Puis, il rejeta ses draps et s’assit lentement au bord de son matelas, les yeux rivés dans le vide. Il n’avait pas besoin de regarder le calendrier accroché à son mur pour savoir quel jour on était. Il jeta un coup d’œil au cadre posé sur sa table de nuit et observa le petit garçon aux courts cheveux rouges qui tendait un pouce levé vers l’objectif, un sourire rayonnant de fierté aux lèvres, et une lueur malicieuse dans ses yeux. On était le 11 Avril.
Renji se leva et se traîna dans la salle de bain, sans conviction. Il passa bien plus de temps sous la douche qu’il n’aurait du, mais cela n’avait pas d’importance, aujourd’hui. Il se passa une main sur le visage pour dégager les cheveux mouillés qui collaient à sa figure et posa son front contre le mur carrelé. Il porta sa main droite contre son cœur et se mordit la lèvre. Puis, il se laissa choir.
« Tu es là, Renji-nii ? »
Au son de la petite voix derrière la porte, le concerné se releva.
« Oui. »
Il sortit de la douche et attrapa la grande serviette bleue qui trônait sur le chauffage. Il s’essuya, se lava le visage, se brossa les dents, se coiffa et enroula la serviette autour de sa taille. Et lorsqu’il ouvrit la porte, il découvrit une petite fille qui attendait, adossée contre le mur d’en face. Elle avait de longs cheveux noirs relevés en deux couettes enfantines et de grands yeux oscillant entre le bleu et le violet qui lui donnaient un air naturellement mélancolique. En la voyant, Renji eut un léger sourire et il traversa le couloir pour venir la voir. Elle ouvrit la bouche pour parler, mais il la devança volontairement et posa sa grande main sur son crâne.
« Ne t’inquiète pas, déclara-t-il d’un ton rassurant. Je vais bien. »
Et sur ce, il la quitta pour retourner dans sa chambre. Il ferma la porte derrière lui et laissa tomber sa serviette au sol dans un soupir. Il sortit de quoi s’habiller et enfila son uniforme de lycéen. Il avisa sa veste reposant sur le dossier de sa chaise et considéra le temps de dehors. Il n’en avait pas besoin. Il était en train de distraitement boutonner sa chemise quand son téléphone vibra sur sa table de nuit. Sans prendre la peine de regarder, il s’en empara et le fourra dans la poche de son pantalon. Attrapant son sac à la volée, il sortit de sa chambre et descendit calmement les escaliers.
Lorsqu’il passa devant la cuisine, il vit la petite fille de toute à l’heure qui était seule, assise à une table surmontée d’une tonne de crêpes, le regard rivé dans le vide. Il s’arrêta dans sa route et alla la rejoindre.
« Wow, s’écria-t-il. Tu t’es surpassée, Ururu ! Regarde-moi cette montagne de crêpes ! Je peux en prendre ? »
Elle sursauta et il la vit relever de grands yeux brillants vers lui. Il prit place près d’elle et s’empara de trois crêpes.
Impressionnant ! Lâcha-t-il en les savourant. Elles sont toujours meilleures que les précédentes.
Tu... Tu n’es pas obligée, reprit-elle, tête baissée.
Evidemment. Mais tu te donnes du mal pour nous. Quel genre de grand-frère ne prête pas attention aux efforts de sa petite sœur ?
Renji-nii... Souffla-t-elle. Tu...
Voyant la lueur d’inquiétude qui brillait dans ses yeux, il se pencha sur elle avec un sourire doublé d’un air faussement réprobateur :
« Arrête de t’en faire pour moi. C’est à moi de te protéger, tu sais ? »
Il prit possession d’une septième crêpe et l’enquilla d’une traite. Quelques minutes s’écoulèrent ainsi, durant lesquelles il se bourra le ventre. Puis, il posa ses mains sur la table et lâcha, le regard rivé sur ses poings :
« Si tu ne t’en sens pas capable, ne va pas en cours, aujourd’hui. »
Puis, il repoussa sa chaise et posa sa main sur son épaule, avant de faire volte-face.
« On se voit ce soir. »
Il retourna chercher son sac resté en bas de l’escalier et traversa le salon. Sur le sofa était assis un homme typé à la moustache noire et aux cheveux tressés sur le haut de son crâne, les bras croisés contre sa poitrine. Il jeta un coup d’œil à Renji par-dessus ses lunettes carrées et ce dernier lui fit un signe de la main en lançant : « Salut. »
Leurs yeux se croisèrent, et ils échangèrent un regard entendu. Renji fit un faible sourire avant de mettre ses chaussures et d’ouvrir la porte d’entrée, secouant sa main derrière son épaule.
« Bonne journée ! »
Lorsqu’il sortit de la maison, ses yeux se portèrent naturellement vers le ciel bleu et il soupira. Puis, il jeta son sac derrière son épaule et se mit en route.
Cinq minutes s’écoulèrent, avant qu’il ne soit brutalement sorti de ses pensées lorsqu’une tâche rousse vint s’imposer dans son champ de vision. Renji ouvrit grand ses yeux. Depuis quand Orihime était-elle devant lui, au juste ? Et depuis quand était-elle si énergétique ? Si joyeuse ? Non. Il se reprit aussitôt. Elle n’était pas joyeuse, elle se contentait juste d’en donner l’illusion. Mais il était vrai qu’aujourd’hui, elle semblait y mettre plus de volonté. En réalité, Renji n’avait jamais été dupe quant à la perpétuelle mascarade de son amie qui ne cessait de masquer ses véritables sentiments. Dès leur première rencontre, il avait vu que la rouquine n’allait pas bien, et qu’elle avait été véritablement blessée. Cependant, il ne savait pas encore à quel degré, ni à quelle profondeur elle avait été marquée.
« Oh, salut, Orihime, lâcha-t-il avec un sourire. Tu m’as fait peur. »
Il reprit sa route. Mais lorsqu’il croisa son regard, il vit avec étonnement qu’elle le fixait, les sourcils froncés. Elle avait directement vu que quelque chose clochait chez lui et pourtant, elle garda le silence. Intérieurement, il l’en remercia.
Il ne leur fallut que peu de temps pour atteindre le lycée. Ils montèrent en cours ensemble et rejoignirent Rangiku, qui visiblement, était arrivée en avance. Orihime fut d’ailleurs surprise du calme dont faisait preuve son amie, ce matin. La matinée se déroula exactement comme les autres, si ce n’était l’étrange silence de Renji. Il sentait qu’Orihime cogitait à son propos et il l’avait surprise à plusieurs reprises en train de le fixer de ses grands yeux. Il avait d’ailleurs été surpris de l’intensité de la lueur qu’il avait lue dans son regard. C’était plus fort que de l’inquiétude. C’était de la peur, et même de la culpabilité.
Intérieurement, Renji s’en voulut de lui imposer ça. Dans quelques jours, tout irait mieux et il se ferait pardonner. Il jeta un regard en coin à Orihime, qui était positionnée dans sa diagonale, un rang devant lui. Il la sentait ailleurs et voyait ses yeux rivés dans le vide. Il avait souvent ressenti ça chez elle. Elle avait toujours tendance à s’enfermer dans son monde, à refouler ses sentiments, à revêtir ce même masque d’insensibilité lorsqu’elle souffrait. Et par sa faute, elle semblait souffrir. Soudainement frappé par ce constat, Renji ouvrit grand ses yeux.
Depuis quand ? Depuis quand avait-il atteint ce stade, cette proximité avec Orihime ? Depuis quand avait-elle acquis la capacité de déceler ses émotions, ses mensonges ? Depuis quand avait-elle une si grande influence sur son humeur, sur lui ? La complicité qu’ils avaient s’était faite dès le début, de façon naturelle, mais tout de même, ils ne se connaissaient que depuis presque deux semaines. Ils ne se connaissaient que depuis presque deux semaines, et pourtant, il lui semblait qu’elle avait toujours été là, à ses côtés.
Sentant un regard sur elle, Orihime se retourna, mais ne croisa le regard de personne. Ses yeux se posèrent sur Renji, qui fixait le ciel, et elle eut un pincement au cœur. Cette lueur dans ses yeux... Elle avait comme une impression de familiarité, de déjà-vu. Non seulement elle voyait qu’il était mal, mais en plus, une partie d’elle se reconnaissait en lui. Ces petits sourires pas entièrement sincères qu’il leur adressait, elle en avait fait des centaines. Ce voile nostalgique qui recouvrait ses yeux dès lors qu’il se perdait dans ses pensées, elle le côtoyait depuis des années. En cet instant précis, Renji ressemblait énormément à l’ancienne Orihime, celle qui n’avait à l’époque qu’une tombe à aller visiter. Et le voir comme elle la bouleversait bien plus qu’elle ne l’aurait cru.
Orihime se retourna et se pencha légèrement du côté de Rangiku, qui occupait le bureau juste à côté d’elle. Mais avant même qu’elle n’eut posé la moindre question, celle-ci lâcha :
« J’ai décidé qu’aujourd’hui, je ne vous attendrai pas pour aller manger. Quand la sonnerie retentira, je m’en irai directement rejoindre les autres au Q.G., le cœur léger. Alors, si tu veux lui poser des questions concernant son humeur inhabituelle, ce sera l’occasion. »
Orihime mit quelques secondes à comprendre la véritable intention qui se cachait derrière les paroles de son amie.
Rangiku, souffla-t-elle. Tu...
Allez, concentre-toi sur le cours, jeune fille.
La rouquine garda ses yeux rivés sur son amie qui souriait, tout en écrivant sur sa feuille. Rangiku, elle était vraiment...
Comme prévu, quand la sonnerie annonçant la pause de midi résonna, on vit Rangiku déguerpir bien plus vite qu’à son habitude et Renji s’approcher du bureau d’Orihime, attendant qu’elle range ses affaires. Celle-ci prit volontairement son temps, et lorsque tous les élèves eurent vidé la salle, elle se leva et planta son regard dans celui de son ami. Elle prit une grande inspiration, sous les yeux incrédules de son camarade, et lâcha, d’une traite :
« Je sais que ça ne me regarde sûrement pas, je sais que je ne devrais pas demander, je sais que je devrais uniquement me mêler de ce qui me regarde, mais je ne peux pas m’en empêcher. Je vois que tu es mal, Renji, et je... Je n’aime pas ça. D’autant plus que tu as été si gentil avec toi... Tu es mon ami, et je ne supporterais pas de devoir te regarder souffrir sans pouvoir t’aider de quelque façon qu’il soit. Alors... »
Elle avait parlé en une seule expiration, sans même avoir repris son souffle, sous le regard étonné de Renji. Inconsciemment, ce dernier eut un petit sourire. Il ignora les yeux insistants d’Orihime et ferma les siens. Il avait vu juste : ils étaient bien plus liés qu’il ne l’avait pensé. Il posa ses fesses sur le rebord de son bureau, et riva son regard sur ses mains serrées. Orihime mit son sac sur son épaule et vint se poster près de lui, sans le quitter du regard. Il souffla, puis répondit :
« Tu ne devrais pas t’inquiéter pour moi. C’est juste que... C’est l’anniversaire de mon petit frère, Jinta, mort l’été dernier, alors j’ai un peu de mal. Mais ne t’en fais pas. J’irais bien mieux demain. »
Il releva sa figure vers Orihime, avec un faible sourire, mais reçut alors une terrible gifle lorsqu’il vit les larmes qui coulaient de ses grands yeux couleur ardoise. Que- ? Mais lorsqu’elle intercepta son regard, celle-ci s’empressa d’essayer de les essuyer, en vain.
« Excuse-moi. » dit-elle.
Renji fit un pas vers elle, paniqué à l’idée d’avoir fait pleurer une fille.
Ne... Ne pleure pas ! Ça va passer, je t’assure ! Tu verr-
Non, s’écria-t-elle soudainement en serrant le poing, le visage sombre. Bien sûr que non ! Ne dis pas n’importe quoi ! Ça ne passera pas !
Renji ouvrit grand ses yeux et sa bouche de stupéfaction. Mais sans lui laisser le temps de répondre, elle reprit, plus doucement cette fois-ci :
« Ça ne passera pas... Tu as eu mal, durant tout ce temps, tu as encore mal, aujourd’hui, et tu auras mal, demain, et dans les mois à venir. La douleur ne s’efface pas, elle reste là, ancrée en toi, et te ronge un peu plus chaque jour. La douleur ne disparaît pas un beau jour, comme ça, elle ne s’atténue pas au bout d’un certain temps. Elle continue de te torturer chaque jour et tout ce que tu peux faire, c’est t’accommoder, faire avec. Tu peux essayer de la dépasser, tu peux essayer d’oublier, tu auras mal pour le restant de ta vie. Et ce, que tu le veuilles ou non. C’est comme ça. On ne choisit pas. Alors, ne dis pas que ça va passer, car nous savons tous les deux que non. Je veux être là pour toi, alors... Ne me mens pas, Renji... Je t’en prie. »
Elle releva son visage envahi par les larmes et il vit ses yeux s’écarquiller lorsqu’elle croisa les siens. Sa figure se crispa de désolation, elle leva le bras dans sa direction, mais il le vit retomber le long de son corps.
« Désolée... Sanglota-t-elle. Je m’excuse, Renji. Je ne sais pas ce qui m’a pris... C’est... Je... »
Mais elle s’arrêta, car soudain, elle sentit deux bras costauds l’attirer et l’instant d’après, elle se retrouvait collée contre un corps chaud et robuste. Son souffle se coupa l’espace d’un instant lorsqu’elle sentit Renji enfouir son visage dans son cou et elle écarquilla davantage ses yeux en sentant quelques gouttes d’eau venir s’écraser contre sa peau. Renji...
Il l’enlaça de ses bras et souffla d’une voix fébrile dans laquelle il avait placé toute sa reconnaissance :
« Merci, Orihime... Merci... »
Presque instantanément, le corps de la rouquine se détendit naturellement et elle se laissa aller contre celui de son ami.
Je vais tâcher ta chemise, glissa-t-elle en rigolant, malgré les larmes qui roulaient sur ses joues.
On sera quitte, comme ça, répondit-il exactement de la même façon.
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La nuit était tombée depuis plusieurs heures, maintenant. Une petite brise s’était installée, les lampadaires de rue avaient été allumés. Renji était adossé contre un mur, dans l’ombre d’un bâtiment, la jambe relevée, les mains dans les poches. Sa journée avait été meilleure qu’il ne l’avait pensée. Ce petit moment avec Orihime l’avait littéralement bouleversée et il l’en avait infiniment remercié. Après avoir passé le midi ensemble, ils étaient retournés en cours, sous les yeux attendris et bienveillants d’une Rangiku qui n’avait pas dit un mot, mais s’était contentée de les prendre tous les deux dans ses bras. Renji avait beaucoup ri, aujourd’hui. Il fallait dire qu’Orihime ne lui avait pas laissé un seul instant de répit, utilisant toutes ses forces à le faire sortir de sa rêverie, à lui parler, à le faire rire. Et cela avait marché. Même si Orihime n’avait absolument pas besoin de se forcer pour faire rire son ami, le fait qu’elle ait fait autant d’efforts pour lui arracher un gloussement à chaque seconde l’avait fait marrer, au plus grande bonheur de la lycéenne. Et étant donné que Rangiku y avait également mis du sien, autant dire que Renji avait fini la journée avec des crampes au ventre et à la mâchoire. Ce dont il s’était également rendu compte au passage, c’était qu’en voulant l’aider à surmonter sa tristesse, Orihime s’était inconsciemment aidée toute seule. En voulant faire le bien, se forçant à parler et à rire, elle y avait pris goût, et s’était ouverte à Renji et Rangiku, sans même s’en rendre compte. Tous deux s’en étaient rendus compte. Son altruisme l’aidait, au final.
Mais ce qui avait le plus surpris Renji, aujourd’hui, c’était le regard d’Orihime, lorsqu’il lui avait expliqué la raison de son mal-être. La lueur qu’il avait vue briller dans ses yeux, ce midi, il la connaissait. Il avait lu dans ses prunelles une terrible souffrance, bien plus ancrée et destructrice que la sienne. Il avait lu un tel désespoir qu’il en avait été ébranlé. C’était la première fois qu’il entrapercevait les véritables sentiments de son amie. Et pour tout dire, il en était bouleversé. Inoue Orihime... Qui était-elle vraiment, et qu’avait-elle vécu ?
Une goutte tomba sur le bras de Renji et il leva ses yeux vers le ciel obscur de la nuit. Il devinait les nuages sombres qui s’étaient formés au-dessus de sa tête. Puis, il jeta un coup d’œil à l’immense bâtisse, qui se dressait à quelques dizaines de mètres de lui, grande et majestueuse. C’était un véritable palace dont le terrain, la superficie dépassait l’entendement du possible. Digne de l’une des familles les plus riches du Japon. Renji se frotta les yeux. Il avait cru avoir vu quelque chose bouger, près du portail. Il fit un pas en avant, sans toutefois quitter l’ombre de son bâtiment, et plissa les yeux. Et ce fut là qu’il la vit, cette ombre souple et discrète qui venait d’enjamber la grille et de dégainer son parapluie.
Il n’hésita pas, et quitta sa cachette à une vitesse ahurissante. L’instant d’après, il avait rattrapé la silhouette et lui empoignait fermement l’avant-bras. La pluie prenait maintenant forme, et devenait visible. Renji détailla la silhouette qu’il venait de stopper dans sa route. C’était une jeune fille, toute petite, toute fine, toute menue, qui avait de courts cheveux noirs rebiquant aux pointes. Et c’était cette même jeune fille qu’il était venu voir.
Loin d’être surprise, la brune se dégagea violemment de son emprise, et lâcha d’une voix dure, sans toutefois le regarder :
« Qu’est-ce que vous faites ici, ex-Lieutenant Abarai ? »
Renji eut un sourire jaune.
« « ex-Lieutenant Abarai » ? C’est comme ça que tu m’appelles, maintenant ? Et tu me vouvoies, en plus. Quel changement, dis-moi ! Moi qui m’attendais à d’heureuses retrouvailles. Si on m’avait dit, qu’un jour, tu-... »
Mais elle ne le laissa pas finir, et fit brusquement volte-face. Elle planta ses yeux bleus nuit dans les siens, en crachant cette fois-ci :
« Qu’est-ce que tu me veux ? »
Il fit un pas en avant et lança, sur le même ton :
Si tu m’expliquais déjà pourquoi tu fugues de chez toi, à cette heure-ci.
Cela ne te regarde pas.
Un silence se mit à planer, la pluie se fit plus forte. Le regard de Renji s’assombrit, et il demanda :
« Tu vas le voir, c’est ça ? »
Elle ne lui donna aucune réponse, et se contenta de le regarder avec encore plus d’insistance. Les cheveux de Renji commençaient à coller son visage, ses habits étaient trempés.
Tu cours tout droit à ta perte. Tu le sais, ça ? M’enfin. J’aurais tout fait pour t’aider, jusqu’au bout, et tu sais que quoi qu’il arrive, je serais toujours-
Epargne-moi tes jérémiades, lança-t-elle d’un ton sec. Tu n’es plus rien pour moi.
Plus rien ? Vraiment ? Souffla-t-il d’une voix lointaine.
Oui. Non mais regarde-toi, réduit au simple statut de lycéen. Tu es trempé par la pluie, couvert de honte, et tu oses quand même venir jusqu’ici, tout en sachant pertinemment ce que tu vas trouver. C’est pathétique. Si pathétique que c’en devient risible.
Il ferma la bouche et la regarda droit dans les yeux, d’un air plus que sérieux.
« Qu’est-ce qui t’es arrivé ? »
Elle haussa un sourcil et le toisa durement. Il s’avança vers elle, elle ne cilla pas.
« Qu’est-ce qui s’est passé, que je n’ai pas vu venir ? Où est-ce que j’ai merdé ? Dis-moi. Je... N’attaches-tu plus aucune valeur à tout ce qu’on a vécu ? à tout ce qu’on a surmonté ensemble ? Notre passé, notre amitié... Ne signifient-t-ils plus rien, pour toi ? »
La pluie était maintenant si violente qu’il devait hausser la voix pour se faire entendre.
« Qu’est-ce qui t’es arrivé, putain ? Que t’as-t-il fait pour que tu en sois rendue à ce stade là ? Es-tu devenue bête au point de fermer les yeux sur ta propre déchéance ? Ne vois-tu pas ta mort se profiler ? »
Il attrapa sa main et la plaça entre ses paumes, mais elle se dégagea aussitôt et lui jeta un regard noir.
Rukia, je t’en prie. Je... J’avais besoin de toi. Ne-
Tais-toi, assena-t-elle violemment. Ne me parle pas aussi familièrement. Je ne veux plus t’entendre, je ne veux plus te voir apparaître devant moi. Ne reviens plus jamais ici.
Elle se détourna de lui, et lâcha :
« Il me semblait te l’avoir déjà dit. Tu n’es plus rien pour moi, et ce, depuis bien longtemps. »
Et sur ces terribles paroles, elle s’éloigna rapidement, sous son parapluie, laissant seul un Renji trempé dont les larmes se mêlaient à la pluie.