Snakes Of Despair
Chapitre quatrième,
De l'encre. Des couleurs vives. Du vert, du rose, du jaune, du blanc. Des rayons de soleil, deux visages illuminés de bonheur. Une petite brise, des pétales de fleurs de cerisiers tournoyant dans les airs, deux tignasses flottant dans le vent. Des sentiments, de la complicité, de l'amour. D'incroyables yeux fixant l'objectif, accompagnés de deux sourires rayonnant de joie.
Orihime promenait ses yeux sur le cadre moyen, posé sur le dessus de la commode. Le tic-tac insupportable de l'horloge du salon ne semblait pas la déranger le moins du monde, et elle restait immobile sur le parquet froid, assise sur ses talons. Son regard figé sur la photographie, elle détaillait méticuleusement chaque parcelle du visage rayonnant de la brune qui posait à ses côtés. Elle s'imprégnait de toute cette bonne énergie qu'elle dégageait, admirait chaque nuances de bleu dans ses yeux pétillants de joie de vivre, regrettait ses lèvres étirées en un incroyable sourire.
Elle était magnifique. Oui, Tatsuki Arisawa était splendide. Intérieurement, comme extérieurement. Personne ne l'égalerait jamais, elle était incroyable. Mais Tatsuki n'était plus là, et maintenant, elle n'existait que dans sa mémoire. Le cœur d'Orihime se serra violemment et elle se courba sous l'impact de la douleur. Tatsuki lui manquait tant. Elle s'était en allé pour l'au-delà, la laissant ici, seule dans ce monde qui ne lui correspondait pas, ce monde où sans sa meilleure amie, elle n'avait plus sa place. Pourquoi ne l'avait-elle pas prise avec elle ?
D'un pas traînant, elle se dirigea vers la salle de bain et se dévisagea dans le miroir. Ses cernes s'accentuaient un peu plus chaque jour, comme la douleur d'être seule qui rongeait son cœur. Aujourd'hui, elle n'avait pas dormi, pas du tout, par peur de revivre les pires moments de sa maudite existence. Oui, maudite, c'était ça, le terme. Orihime était maudite. Alors elle était restée là, assise, à fixer sombrement cette photo colorée, souvenir du printemps dernier, et de sa défunte meilleure amie. Depuis que la souffrance avait remplacée le vide, les cauchemars de la rouquine prenaient en intensité, et elle se demandait si elle n'allait pas commencer à regretter l'époque où elle réfutait tout sentiment, toute émotion.
L'absence de Tatsuki se faisait ressentir dans chaque cellule de son corps, ébranlant son être tout entier, endurcissant la douce et tendre Orihime qui avait tout perdu. Absolument tout. Elle était seule. Mise à part sa douleur, fidèle compagne, elle était seule. Alors elle souffrait en silence, et criait sourdement. La jeune femme rentra dans la douche et se laissa glisser contre la paroi carrelée.
« Reviens-moi... Je t'en prie...»
« S'teuplait, Orihime ! Tu vas décompresser, on va s'amuser, tu verras !»
Rangiku se leva de sa chaise et vint prendre les mains d'Orihime dans les siennes, dans un geste de pure supplication. Aussitôt, Tia fit de même et vint enlacer la rouquine par derrière, renchérissant de plus belle :
Come on, baby !
Je... Ce n'est pas une bonne idée.
Orihime détourna le regard, et presque inconsciemment, chercha de l'aide auprès Renji, accroupi sur une table un peu plus loin. Celui-ci, ayant évidemment capté le message silencieux, lui adressa ce demi-sourire si particulièrement charismatique dont lui seul avait le secret, se leva d'un pas nonchalant et vint tapoter l'épaule de Rangiku.
« C'est la rentée, et sérieux, elle a déjà loupé une journée entière de cours. Les profs vont avoir une mauvaise image d'elle. »
Orihime tourna légèrement la tête et observa les quelques visages présents dans la pièce. Ils étaient six dans ce petit laboratoire de Sciences-Physiques, dispersés de ça et là dans la salle. Il y avait Renji, Rangiku, Tia, Ikkaku, Yumichikka et pour finir, Orihime. Ils s'étaient réunis pendant la cour, comme l'avait prédit Rangiku, la veille. Sauf qu'aujourd'hui, c'était le début d'une courte période de soldes, et que les deux blondes aux poitrines proéminentes projetaient bien évidemment de remplacer cette journée de cours par de toutes autres activités.
« Chérie, tu devrais y aller, enchaîna Yumichikka. Une séance shopping entre filles te ferait le plus grand bien. D'ailleurs, je crois que je vais vous accompagner. »
Mais non, Orihime refusa. Elle n'avait jamais eu dans ses habitudes de sécher les cours, surtout si près de la rentrée - rentrée qu'elle avait soit dit en passant séchée, hein !
Alors, après de longues minutes de réflexion, Rangiku et Tia capitulèrent, vaincues. Orihime, qui avait quelque peu retrouvé la parole, soupira, se croyant tirée d'affaire. Mais ses illusions furent brisées lorsqu'elle entendit Tia s'exclamer :
« Mais alors, ce soir, tu viens dormir chez moi ! »
Elle n'eut pas le temps de protester, car Rangiku se pencha dangereusement sur elle, dardant son regard froid sur elle, son index brandit de façon sévère.
« Tu n'as pas le choix » Articula-t-elle lentement, bien consciente de la menace qu'elle exécutait.
Orihime recula, s'empressant de hocher la tête. Puis, elle jeta un coup d'œil à l'horloge.
Tia, les magasins ouvrent dans moins de dix minutes !
Merde ! Dépêchons-nous !
Et sur ce, elles se précipitèrent vers la porte de sortie, attrapant à la volée leurs sacs.
« N'oublie pas, Orihime ! On t'attendra, ce soir ! » Fit la métisse, avant de sortir.
Deux minutes plus tard, la sonnerie indiqua la fin de la cour du matin. Les amis se séparèrent, et Renji et Orihime se rendirent dans la bâtiment A, pour un cours de japonais. Mais, en ouvrant son sac, la rouquine se rendit compte qu'elle avait évidemment oublié ses affaires dans son casier. Elle regarda Renji d'un air gêné, et il soupira, ayant évidemment compris de quoi il retournait.
« Vas-y. Je te garderais une place et préviendrais le prof s'il le faut. Dépêche-toi ! »
Orihime lui fit un petit sourire et le remercia d'un hochement de tête. Elle fit donc demi-tour et remonta le couloir dans le sens inverse. Puis, elle s'engagea dans l'escalier, mais alors qu'elle courait dans la cage, elle s'immobilisa. Elle n'était pas bien. Son cœur s'affolait bien plus que prévu, ses mains tremblaient, ses yeux vrillaient. Elle regarda autour d'elle, elle était seule. Mais sa vision se troublait petit à petit. Orihime mit quelques temps à comprendre ce qu'il se passait, et elle ne tilta que lorsque des images d'un certain rouquin revinrent lui parasiter l'esprit. Elle revivait tout.
A bout de souffle, les yeux écarquillés, Orihime colla son front contre le mur froid pour tenter de recouvrer ses esprits. Mais il n'y avait rien à faire, les flash continuaient, accompagnés de ces mêmes spasmes qui secouaient ses entrailles, et sa tête se mit à tourner. D'horribles images s'insinuaient dans son esprit et peu à peu, elle perdait la tête. Et alors qu'elle était comme plongée dans un état second, une étrange voix vint la tirer de sa crise :
« Mais que vois-je ? Une rouquine bien potelée! »
Malgré ce ton désagréable clairement empli de mépris, cette intervention eut pour effet de calmer instantanément Orihime, et celle-ci put reprendre son souffle. Après quelques temps, elle se retourna vers son interlocuteur, ou plutôt interlocutrice, et considéra la fine adolescente qui la regardait du haut de ses quelques marches de hauteur. La peau pâle, de longs cheveux noirs attachés en deux hautes couettes, et de grands yeux de couleur violacée, elle était plantée là, à quelques mètres, les mains sur ses hanches étroites. Sa jupe d'uniforme avait été relevée pour devenir extrêmement courte, les boutons de sa chemise étaient déboutonnés jusqu'à son ventre – même si il n'y avait absolument rien à regarder – et elle arborait une expression dédaigneuse et supérieure.
Elle descendit les marches, un sourire mauvais sur les lèvres.
« Alors, la nouvelle, on s'est fait des amis ? »
Cette fille connaissait Orihime ?
Bientôt, elle se retrouva au même niveau que la rouquine, et celle-ci constata qu'elle avait une taille à peu près similaire à la brune, mais que malgré l'amaigrissement d'Orihime, elle restait bien plus imposante. La lycéenne aux cheveux noirs se rapprochait de plus en plus, et notre jeune Inoue ne fut presque pas surprise lorsque celle-ci posa une main sur le mur de derrière elle pour tenter de l'intimider et se pencha dangereusement sur elle.
C'était une manie, dans ce lycée, ou quoi ?
« Je te préviens d'avance, enchaîna l'étrangère en plissant les yeux. Ce ne sont pas les filles comme toi qui font la loi, ici. »
Orihime tenta de se dégager, mais soudainement, la brune la bloqua de son second bras, la maintenant par l'épaule avec une incroyable force insoupçonnée. Le souffle coupé par ce geste de pure violence, la rouquine écarquilla ses grands yeux. Et alors qu'elle fixait avec horreur celle qui la maintenait au mur, son attention fut attirée ailleurs, et elle le vit. Lui, l'être qui passa juste derrière la brune. Il était apparu sans le moindre bruit, descendant les marches avec grâce et légèreté, dans un silence extrême. Il n'était pas très grand, et d'une pâleur inquiétante. Ses cheveux mi-longs étaient d'un noir encore plus intense que ceux de la lycéenne agressive, augmentant le contraste avec sa couleur de peau, et il avait des yeux...
Lorsqu'il arriva au même niveau que les deux jeunes filles, et lorsqu'elle ressentit sa présence, la pression de la brune s'estompa immédiatement. Elle fit volte-face pour considérer le superbe garçon qui les frôlait et sa bouche s'entrouvrit.
« Ulquiorra... » Chuchota cette dernière.
Le concerné ne lui porta pas la moindre attention, se contentant de fixer Orihime. Cette dernière croisa son regard, et dès lors qu'elle y plongea ses prunelles grises, elle s'y perdit instantanément. Ses iris étaient captivantes, concentrations de dizaines de différentes nuances de vert. C'était... Tout bonnement magnifique. Magnifiquement intriguant, époustouflant. Et c'était sans mentionner cette indescriptible émotion qui les habitait, cet air nostalgique qui marquait son visage pourtant impassible.
Aussitôt, toute pensée quitta l'esprit d'Orihime, complètement focalisée sur ledit Ulquiorra au teint extrêmement blanc qui se détourna d'elle pour descendre les escaliers, les mains dans la poche. Quand il eut disparut, la brune sembla reprendre contenance. Elle se concentra de nouveau sur sa victime aux cheveux roux, ne sachant plus très bien ce qu'elle était exactement en train de faire. Puis, elle se recula et se jeta sur les traces de l'étrange homme aux yeux couleur émeraude. Mais, brusquement, elle s'immobilisa, et adressa un regard en coin plutôt singulier à Orihime, restée contre le mur.
« Fais attention à toi, rouquine. »
La haine et la menace qui planaient autour de cette phrase n'échappèrent évidemment pas à la concernée qui se contenta de la fixer de plus belle. La brune retroussa sa lèvre dans un geste de dégoût, avant de reprendre son chemin et de disparaître plus bas.
Après être donc passée à son casier, Orihime se pressa pour retourner en cours. Heureusement pour elle, elle arriva au même moment que le professeur, et ne fut donc pas en retard. Celui-ci lui demanda d'ailleurs de venir le voir, à la fin du cours.
Après avoir acquiescé, la rouquine vint prendre place au second rang près de la fenêtre, juste devant Renji qui lui avait gentiment gardé la place. Ce dernier lui fit un clin d'œil, et la minute qui suivie, le cours commença.
Orihime n'aimait pas spécialement les Mathématiques. Elle était vraiment douée pour ça – comme pour toutes les matières, d'ailleurs – mais elle ne s'y intéressait pas réellement. C'était plus une nécessité, un devoir, qu'une envie ou un désir. Elle se sentait plus à l'aise et épanouie en Sciences et même dans les matières littéraires. Alors, quand le professeur entama la leçon pas tout un tas de formules qu'elle connaissait par cœur, l'esprit d'Orihime s'envola presque instantanément, et elle se mit à rêvasser. Le regard planant au travers de la vitre transparente, elle fixait le paysage de dehors, perdue dans son monde à elle.
Mais alors que ses fantasmes de donuts géants et de nuages en chocolat réapparaissaient au grand galop, une tâche mobile la sortie de sa rêverie et elle considéra l'être qui évoluait dans la cour. Son pas fluide, sa démarche gracieuse, et son teint blafard repérable à des kilomètres aidèrent Orihime qui mit du temps à le reconnaître. Avait-elle besoin de lunettes ? Enfin. Sa curiosité fut attisée. Pourquoi est-ce que le fameux Ulquiorra sortait-il à cette heure-ci du lycée ? Mais ce qui l'intrigua encore plus, ce fut le fait de voir une deuxième personne suivre le même parcours, un certain bleuté aux tendances violentes, qui enfourcha sa moto une dizaine de secondes après et partit dans la même direction. Mais enfin, qu'est-ce qu'elle en avait à faire ?
La sonnerie retentit. Comme demandé, Orihime attendit que tous les élèves sortirent du cours pour s'avancer vers le bureau du professeur. Celui-ci lui adressa un sourire et lui fit signe de s'approcher.
Inoue-san, nous avons récemment reçu vos bulletins scolaires des années précédentes. Je dois vous avouer que je suis fier d'avoir une élève telle que vous dans ma classe.
Euh... Merci, fit Orihime, les joues rosées.
J'espère que vous continuerez sur votre lancée, vous faites partie de l'élite, des espoirs de ce lycée. Alors, au moindre soucis, n'hésitez pas.
Poliment, elle s'inclina, ne sachant pas très bien quoi dire, se dandinant sur place. Elle jeta un coup d'œil discret à la porte de sortie, restée entrouverte, et vit avec un amusement et un soulagement mal contenus Renji qui par l'ouverture, l'encourageait. Mais quand celui-ci se mit à exécuter les grimaces les plus hilarantes qu'elle eut jamais l'opportunité de voir, il lui devint très difficile de se contenir et elle se força à se focaliser sur le professeur pour ne pas se mettre à glousser bêtement. Heureusement, celui-ci ne semblait pas avoir remarqué son moment d'absence. Cependant, son discours semblait s'être fini, et la pauvre Orihime n'avait absolument aucune idée de ce qui se traitait.
Le professeur semblait pourtant attendre une réponse. Alors, d'une voix fébrile et hésitante, elle bafouilla un « Oui » presque inaudible, que le professeur ne rata pourtant pas. Aussitôt, tout sourire, il sortit de son sac quelques documents que la jeune fille reconnut instantanément. Les formulaires de délégués des classes. Merde. Orihime avait déjà été déléguée, et elle avait aimé ça. Mais cette année, elle ne voulait pas en faire partie, surtout avec le peu de détermination qu'elle avait en ce moment, et toute cette douleur qui la torturait. Quel genre de déléguée ferait-elle ? Mais visiblement, elle n'avait plus le choix.
Alors ? Lui fit Renji lorsqu'elle referma la porte derrière elle, légèrement dépitée, enfin, comme d'habitude.
Je suis déléguée, fit-elle sans la moindre émotion.
Renji plissa les yeux. Puis, il ricana et se pencha vers elle pour murmurer :
« Pauvre petite chose. T'as intérêt à bien me défendre lors du conseil de classe, sinon... »
Il déforma son visage pour essayer de lui faire peur, mais la seule chose qui sortit de sa bouche fut un petit gloussement léger, qui, quand on y pense, était semblable à un éclat de rire pour la jeune fille qui n'avait pas rigolé sincèrement depuis Mathusalem.
Orihime jeta un coup d'œil à l'horloge. Il ne leur restait plus beaucoup de temps pour manger, ils n'auraient donc jamais le temps d'aller jusqu'à ce qu'ils appelaient le « Q.G. ». Désolée, la rouquine jeta un coup d'œil à Renji, s'excusant intérieurement d'être à l'origine de son retard. Ayant saisi l'excuse silencieuse, il posa sa main sur son épaule, et lui demanda :
« T'as un bentô sur toi ? »
Elle acquiesça.
« Alors, viens avec moi. »
Et sur ce, il la prit par la main, la menant dans le lycée tout entier. Ils exécutèrent un long périple, montèrent au dernier étage du bâtiment B et Renji poussa la porte de la salle la plus lointaine, dissimulée à la vue de tout le monde, dans un coin caché. S'ouvrit devant elle le battant d'une salle pas très grande et aux tables et chaises qui dataient sûrement d'une époque plus ancienne. Il y avait des dessins, des peintures accrochées au mur, et des statuettes et poteries un peu partout dans la pièce. Une salle d'art plastique.
« Elle est plus vraiment utilisée, fit Renji, et la porte est toujours ouverte. L'accès y est pas facile, tout ça, alors ils l'utilisent plus, ou très rarement. Normalement, on sera seuls, ici. »
Il ferma la porte derrière eux et s'installa sur une des chaises colorées, les pieds sur le bureau. Orihime, elle, prit place directement sur une table, s'adossant contre le mur.
Itadakimasu !
Euh... Renji ? Fit-elle après quelques minutes de silence.
Yeah ?
Pourquoi est-ce que tu es gentil comme ça, avec moi ?
Ahuri, il releva un regard incrédule vers la rouquine qui détourna les yeux. Puis, Renji quitta sa chaise et vint prendre place à ses côtés, lui chipant au passage un morceau de poulet.
Va savoir. Je crois que ce sont tes seins, ils m'ont inspiré.
Orihime émit un petit hoquet de stupeur. Horrifiée, elle le regarda de ses grands yeux gris et il se marra instantanément à la vue de son expression.
Je rigole, je rigole, s'exclama-t-il, tout en pleurant de rire. Tu aurais du voir ta tronche !
Il n'arrivait plus à se contrôler, et à vrai dire, la détermination de la rouquine s'évaporait un peu plus à chaque éclat de rire qui retentissait. Et bientôt, elle fut emportée. Orihime se mit à rire sincèrement et à cœur joie, pour la première fois depuis des mois. Bien que rythmé de quelques quintes de toux, elle rigola à s'en sculpter le ventre, réveillant des muscles qu'elle n'avait pas senti depuis un bout de temps. Deux larmes vinrent se former au coin de ses yeux et elle manqua de tomber de la table, ce qui rajouta une couche à leur fou-rire incontrôlable.
Ils restèrent une trentaine de minutes là, leur repas ponctué d'éclats de rire. Et ce fut lors de ce repas que l'amitié qui liait les deux roux prit forme, marquant le début d'une longue relation de complicité. Le langage vulgaire avait pour effet de surprendre, voir de choquer Orihime, ce qui amusait le rouquin. Mais elle s'y habituait, et les expressions du jeune homme se gravaient inconsciemment dans le disque qu'était son cerveau. Bah quoi ? Ça pouvait être utile, après tout.
Le ton était lancé : il suffisait d'une remarque un peu étrange, inattendue, et ils éclataient tous les deux de rire. Alors, quand Orihime lui demanda sur un ton innocent :
« Ils s'arrêtent où, tes tatouages ? »
Ils manquèrent littéralement de se pisser dessus, autant l'un que l'autre.
« Orihime ! Oi, Orihime ! »
La concernée se retourna au niveau de la grille du lycée et considéra le grand brun qui s'avançait vers elle en lui faisant de grands gestes du bras.
Oh, Shuhei-kun, fit-elle avec un grand sourire. Euh-, Hisagi, je veux dire, reprit-elle en voyant son air faussement sévère.
Je préfère, répondit-il en la taquinant. Ça te dérange si je fais encore le chemin avec toi, aujourd'hui ?
Non, non, du tout, s'empressa-t-elle de dire.
J'ai cru comprendre que Tia t'avait forcée à dormir chez elle, ricana-t-il. Viens, je vais te montrer où elle habite. On devra faire un petit détour, mais ce n'est pas bien loin.
Elle hocha la tête et le remercia. Ils traversèrent la route et s'engagèrent un peu plus loin, dans une large avenue assez fréquentée.
Au fait, tu as fais ton choix, concernant les emplois d'hier ? Voyant qu'elle le regardait étrangement, il continua : Bah, tu sais... Hier, quand je t'ai accompagnée à l'agence des petits boulots, tu avais hésité entre le job de serveuse dans un petit restau-bar non loin d'ici, le baby-sitting et l'assistance à la bibliothèque qui malheureusement, était déjà prise.
Ah, oui ! Fit Orihime, qui se rappelait maintenant. Je... Je pense que je vais appeler le responsable du restaurant.
Je vois. C'est un bon ch- Oto, s'écria-t-il en la tirant en arrière par l'épaule. Le feu est vert, Orihime.
Oh, c'es- En effet... Désolée, bafouilla-t-elle, confuse. Je n'avais pas vu !
Je m'en doute bien, rigola-t-il. Ah, et, pourquoi as-tu déménagé, au fait ?
Orihime eut un temps de réaction. Bordel de merde. Elle n'avait pas pensé à cette question là. Cherchant une excuse dans son esprit emmêlé, elle se mit à bégayer violemment durant ce qui lui sembla être une éternité, mais heureusement, Hisagi lui sauva volontairement la mise en lançant :
« Enfin, je suis content de voir que tu parles et souris un peu plus qu'hier. Tu es sur la bonne voie, Orihime ! »
Il leva son pouce et lui adressa un de ces incroyables sourires qui réchauffaient le plus glacé des cœurs en un rien de temps. Devant la dentition parfaite d'Hisagi entièrement dévoilée, Orihime se stoppa net, l'admirant.
Quelque chose ne va pas ? S'enquit-il en voyant qu'elle le regardait avec de grands yeux brillants. Ne me dis pas que j'ai un truc entre les dents, sérieux !
Ah, euh, non ! Non ! Excuse-moi, répondit-elle en reportant son attention ailleurs.
Ding, dong.
Il était tard, la nuit était déjà presque tombée. Orihime était là, son gros sac sur l'épaule, à paniquer devant une gigantesque baraque qui était censée être la maison de Tia Halibel. Pourquoi paniquait-elle ? Devez-vous vous demander. Et bien, tout simplement parce que de son point de vue, cette villa était tout bonnement inaccessible pour tout lycéen de Karakura et qu'elle était forcément en train de sonner à la mauvaise porte, sûrement celle d'un riche homme d'affaires qui renverrait une pouilleuse comme elle à coups de pieds dans les fesses.
Mais lorsque la porte d'entrée, séparée du portail électrique par une dizaine de mètres de jardin, s'ouvrit sur une superbe métisse aux cheveux blonds vêtue d'un pantalon noir et d'un débardeur moulant blanc, la mâchoire de la rouquine se mit à frôler le sol, dépoussiérant le trottoir au passage. Tia sembla appuyer sur un bouton car un bruit se fit entendre et le portail s'ouvrit lentement sur une Orihime abasourdie.
« Rentre, dépêche-toi, il fait froid dehors ! »
Orihime monta la pente qui menait jusqu'à la porte d'entrée, tout en admirant chaque détail de la bâtisse.
C'est chez toi, ici ? Souffla-t-elle, épatée.
Non, non, c'est la maison de ma voisine, mais je m'y suis introduite en douce, comme d'habitude.
La naïve rouquine la regarda avec de grands yeux, horrifiée, et Tia s'esclaffa.
Je blague, je blague, baby ! Tu es si naïve ! Fit-elle en la poussant gentiment à l'intérieur et en la débarrassant de ses affaires. Je reviens de suite. Avance tout droit, tu trouveras le salon.
O-Ok.
Avec hésitation, Orihime s'avança, tentant de garder sa trajectoire rectiligne. Il s'agissait sûrement de la maison la plus belle et la plus moderne qu'elle visitait de sa vie. Bon, évidemment, c'était trente fois plus petit que le titanesque palace des Kuchiki dans lequel il était plus facile de se perdre que de vivre, et qu'elle n'avait pu voir que de dehors, mais c'était vraiment grand.
On aurait dit ces grands pavillons américains illuminés par de grandes baies vitrées et aux cuisines ouvertes sur le salon. Orihime retrouva Rangiku affairée à sortir des plats du four.
Orihime-chan, on t'attendait ! Tu n'as pas eu trop de mal à trouver ?
Non, Hisagi m'a aidé à trouver le chemin.
Il ne t'a pas embêté, j'espère ?
Non, bien sûr que non !
Tant mieux. Assis-toi sur le canapé, les pizzas sont prêtes ! J'avais prévu de concocter de superbes pommes de terre à la meringue et à la crème de marron, mais Tia n'a pas voulu.
A la meringue et à la crème de marron ? S'écria Inoue, brusquement intéressée, les yeux brillants. Mais, ce doit être exquis !
Sérieux ! S'exclama à son tour Rangiku. Toi aussi, tu aimes faire des mélanges ?
Oui, mais celui-là, je n'y avais jamais pensé ! Il faut absolument que je l'essaie !
Oh, Orihime ! Fit-elle en la prenant par les mains, visiblement émue et touchée. Je... C'est la première fois que quelqu'un approuve les recettes que je fais... As-tu déjà essayé les petits pois verts au speculoos ?
Moi, je prends des haricots verts et les marie avec du chocolat fondu et du coulis de framboise ! C'est ma spécialité !
Mais quelle idée de génie ! Mon Dieu ! Rien que d'y penser, je salive ! Oh, viens dans mes bras !
Vous êtes vraiment des tarées, fit Tia qui venait de refaire son apparition, visiblement exaspérée. Je suis étonnée que vous n'ayez d'ailleurs pas encore succombé à vos recettes monstrueuses. M'enfin. Venez goûter les magnifiques pizzas de la maison Halibel !
En prenant place sur le canapé, Orihime demanda timidement :
Tu vis seule, dans cette grande maison ?
Ouaip, fit-elle joyeusement. Mes parents ne vivent pas au Japon. Ils sont à la tête d'une grande entreprise, ils n'ont jamais eu de temps à m'accorder, je n'avais donc aucune attaches particulières avec eux. J'ai été principalement élevée par une gouvernante qui était comme ma vraie mère, mais elle a été licenciée car selon eux, elle prenait trop d'importance dans ma vie et m'inculquait sûrement trop de valeurs respectables à leurs goûts. Ils ont fini par la dénoncer aux services de l'immigration et elle a du retourner dans son pays d'origine. Alors, dès que j'en ai eu l'occasion, je me suis barrée pour venir étudier au Japon. C'est un super pays, et je m'y plais vraiment !
Ah, je vois, fit-elle doucement, un peu gênée. Contente que tu te plaises ici.
J'oubliais presque, s'écria-t-elle soudainement. Rangiku, si on lui montrait nos achats ?
Les deux blondes se levèrent, disparurent l'espace de quelques instants et revinrent deux minutes plus tard, avec des tas de sacs dans les mains. Il y avait de tout : des habits tous plus beaux les uns que les autres, des sous-vêtements, des chaussures, des sacs, du maquillage, des produits de beauté, des accessoires, des magasines, et autre.
Orihime fut éblouie par tout ce qu'elles s'étaient acheté. Cela leur irait sûrement à merveille. Mais son cœur rata un battement lorsqu'elle vit qu'il y avait aussi des produits pour elle. Ayant bien entendu deviné ses mensurations et pointures, Tia et Rangiku avaient décidé de gâter leur nouvelle camarade. Autrement dit, elles lui avaient offert : deux superbes robes de soirée, une paire de talons pas trop haute, un shampoing et sa gamme de soins à la sublime odeur de monoï et même de la lingerie. La rouquine hallucinait. Tout était magnifique, mais elle n'oserait sûrement jamais rien porter de tel, et surtout, elle n'avait pas encore les moyens de les rembourser. Comme si elle lisait dans ses pensées, Rangiku gronda :
Tout t'ira très bien. Alors ne me fais pas le coup de celle qui n'osera pas les porter.
Et tu ne nous dois rien, renchérit Tia qui semblait avoir vu juste dans son petit jeu.
Orihime resta bouche bée. Était-elle si ouverte et facile à lire que ça ?
Enfin, ce fut dans ce type d'ambiance que commença la soirée.
Orihime ne l'aurait sûrement jamais pensé, mais passer un moment avec ces deux jeunes femmes lui rendit un semblant d'humanité et de vie sociale. L'espace d'une soirée, elle avait réussi à passer outre presque totalement la douleur qui perforait son cœur, et à penser à autre chose. Elle avait retrouvé des couleurs et avait réapprit à vivre ou du moins, pour ce soir. Ses sourires étaient réapparus, au plus grand bonheur de ses deux amies qui ne souhaitaient que ça : la voir naturelle et souriante.
Orihime se sentait déjà intimement liée avec ces deux magnifiques blondes qui l'avaient pris sous leurs ailes alors qu'elle se montrait horriblement repoussante et insociable. Et lorsqu'elle se décida à poser la question à Tia, durant un moment d'absence de la part de Rangiku, celle-ci répondit :
« Rangiku déteste les filles, ou du moins, la plupart. Aussi fou que cela puisse paraître, elle se sent mal à l'aise en leur présence et ne les supporte pas, surtout lorsqu'elles sont hypocrites. Elle a toujours eu beaucoup plus d'affinités avec les gars, et les seules qu'elle a réussit à saquer sont celles qui font aujourd'hui partie de la bande. Alors, si Rangiku t'a ramenée jusqu'au Q.G dès le premier jour, c'est qu'elle a du avoir un bon feeling. Et question feeling, Rangiku ne se trompe jamais. »
Puis, elle avait continué : « De plus, l'attitude de Renji laissait à penser qu'il s'était déjà attaché à toi. Et puis, je t'avouerais que j'avais envie de te prendre avec nous. Tu étais triste et je n'avais qu'un désir : te voir sourire. »
Et enfin, elle avait ajouté en concluant : « T'es définitivement liée à nous, ma cocotte. »
Par la suite, après lui avoir intimé à de nombreuses reprises l'ordre de les appeler par leur prénom et non leur nom, elles l'entraînèrent à l'étage. Et ce fut avec stupeur qu'Orihime apprit que Tia était une danseuse de pôle dance professionnelle, lorsqu'elle vit la barre argentée accrochée en plein milieu de sa gigantesque chambre. Halibel travaillait donc dans un club prestigieux du Japon qui lui ramenait beaucoup d'argent et lui permettait de se payer cette maison sans rien devoir à ses parents.
Elles tentèrent d'apprendre quelques mouvements, mais ne parvinrent à rien, si ce n'est se plier de rire une bonne dizaine de fois. Et ce fut avec surprise que les deux blondes virent la rouquine s'ouvrir petit à petit, et finir par se lâcher. La soirée se résuma à ça : rire, danser, parler. Elles ne virent pas passer l'heure et se retrouvèrent à 23h à vouloir prendre un bain. Et oui, malgré ses protestations, Orihime fut traînée de force dans la magnifique pièce d'eau de Halibel pour un bain collectif.
Malgré sa gêne du début, Orihime passa un très bon moment, si bien qu'elle se mit à avoir des douleurs à la mâchoire, causées par tous ces gloussements incessants qui lui avaient musclé le ventre.
Ainsi, elle apprit que Tia s'était récemment fiancée avec un certain Stark qu'elle côtoyait depuis maintenant plus de quatre ans. « Un putain de beau gosse eurasien » avait précisé Rangiku qui, quant à elle, semblait bien moins sérieuse sur le plan des amours. Elle avait eut de nombreuses relations et aimait vagabonder de ça de là, même si elle en regrettait quelques unes. Elle avait même eu une histoire avec Grimmjow – ce qui avait proprement choqué Orihime – mais rien de bien concret, juste une affaire de quelques semaines de « plaisir et de jeu », qu'elle regrettait, avait-elle dit. La rouquine, elle, avait affirmé n'avoir jamais aimé personne, mais elle avait bien vu que sa réponse ne les avait pas convaincu. Alors, elle fut soulagée quand Halibel s'enquit, changeant de sujet:
Baby, c'est quoi cette cicatrice, sous ton sein ?
Hein ? Ah, ça... Je me suis brisé quelques côtes en tombant, récemment, et ils ont du m'opérer.
C'est pas grave, fit Rangiku. Ta poitrine est tellement grosse qu'on ne la remarque qu'à peine.
Tu peux parler, ricana Halibel. Tes seins ressemblent à des obus.
Hein ? Des obus ? Fit la blonde vénitienne, un sourire mauvais. Et si on parlait un peu de ces deux grosses pastèques qui te servent d'écharpe en hiver, Tia ?
Moi, au moins, je peux voir mes orteils, lança-t-elle, un sourire provocateur.
Moi, au moins, je ne risque pas de m'étrangler avec, rétorqua la vénitienne.
Hin hin hin, c'es-
Mais toutes deux s'arrêtèrent lorsqu'un éclat de rire bien sincère et qui ne ressemblait pas – pour une fois – à une quinte de toux retentit. Elles se retournèrent vers la rouquine qui se tordait de rire dans l'eau, une main sur la bouche, une larme au coin de l'œil.
Halibel et Rangiku la fixèrent avec compassion puis échangèrent un regarde complice.
Mission réussie.