Snakes Of Despair
Chapitre troisième,
L'horloge annonçait plus de sept heures quand Orihime se glissa paresseusement hors de son fûton, le corps engourdi. Elle ne dormait plus depuis un moment déjà, mais elle était restée là, à fixer le plafond parsemé de fissures de son petit studio. A chaque fois qu'elle fermait les paupières, les mêmes images revenaient, hantant son esprit. Elle se leva. De nouveau, elle considéra l'uniforme d'étudiante déposé sur son bureau et le fixa pendant un long moment, immobile. Aujourd'hui, c'était sa rentrée à elle. Rien qu'à cette mention, le cœur de la jeune fille se serra et elle faillit remettre l'inéluctable à plus tard. Mais elle tint bon, gardant le peu de volonté qu'il lui restait.
D'un pas traînant, elle bougea son corps jusqu'à la salle de bain et laissa tomber ses habits par terre. L'eau chaude tombait sur ses épaules nues et son dos, décontractant ses muscles et réchauffant son corps glacé jusqu'aux os. Elle passa une main dans son crâne, tâtonnant les points de suture qui tiraillaient l'arrière de sa tête. Ses longs cheveux roux, emmêlés, négligés et mouillés, venaient se coller contre son visage, tandis qu'elle fixait le vide. Savourant le seul instant au cours duquel elle avait plus de facilité à supporter la douleur qui assaillait son corps et son âme, Orihime resta sous la douche un peu plus longtemps que prévu.
Lorsqu'elle repoussa le rideau, elle constata qu'elle n'avait pas préparé sa serviette. Alors elle s'avança, inondant le carrelage de ses pieds trempés, et attrapa un morceau de tissu pour se sécher. Mais à cet instant, elle croisa par mégarde son reflet dans le miroir. Elle étouffa un cri de frayeur. Elle hésita d'abord. Puis, avec prudence, elle se rapprocha de ce bout de verre qu'elle avait fui depuis plus d'un mois et passa sa main sur l'image qu'il lui offrait. C'était horrible. Ho-rrible.
Sa peau avait énormément pâlie et lui donnait un teint jaunâtre des plus écœurants qui soient. Ses joues avaient perdues toute cette charmante rondeur qui était leur, auparavant, creusant son visage. Ses lèvres gercées frôlaient le violet et ses yeux étaient gonflés, soulignés par d'énormes cernes, elles-mêmes accentuées par les poches qui les surmontaient. Son bonnet n'avait certes pas rétréci, mais on apercevait désormais ses côtes lorsqu'elle bougeait, et son ventre semblait avoir perdu tous les beignets qu'elle avait un jour avalé. Elle leva une main fébrile vers la plaie en cours de cicatrisation qui ornait le bas de sa poitrine et frissonna à son propre contact. La rouquine était méconnaissable.
Orihime fut complètement choquée et bouleversée par ce changement. Elle qui n'avait jamais eu confiance en sa beauté pourtant inégalable, se trouvait maintenant hideuse. Ses cheveux semblaient avoir perdu leur éclat, tout comme ses yeux. Elle avait maigri et perdu toutes ses couleurs. Elle s'était laissée mourir, dépérir, sans songer à quoi que ce soit. Sans même s'en rendre compte, elle s'imagina les paroles d'une Tatsuki plus qu'inquiète et affolée si elle découvrait cela et ses lèvres se tordirent. Mais voilà, son amie n'était plus là. La rouquine flancha et elle dut s'accrocher au lavabo pour ne pas s'écrouler au sol. Les yeux rivés sur son horrible reflet, honteuse, accablée et coupable, elle versa une larme. C'était une véritable prise de conscience. Et c'était dur.
Orihime regarda son téléphone. Elle allait être en retard, dû au mauvais calcul du temps de trajet. Autrefois, elle aurait couru. Mais là, elle n'en avait ni l'envie ni la force physique, de toute façon. Bientôt, elle arriva devant son nouveau lieu d'étude et s'immobilisa l'espace d'un instant. Une nouvelle année. De nouveaux professeurs. De nouvelles personnes. Elle prit une grande inspiration et fit un pas.
La grille blanche de cet immense lycée était ouverte sur une gigantesque cour qu'elle devait visiblement traverser pour atteindre l'entrée, le hall. L'imposante bâtisse la faisait se sentir mal à l'aise, surtout qu'elle pouvait entrevoir à travers les vitres les cours qui avaient déjà démarrés.
Derrière, au fond de la cour, Orihime put apercevoir une sorte de forêt sans fin apparente qui longeait la propriété. La bâtisse était séparée en deux blocs apparents aussi gigantesques l'un que l'autre. Puis, en annexe, il y avait un énième aménagement, uniquement disposé sur un étage et empli de baies vitrées à travers desquelles on voyait sans difficultés.
« La cafétéria » songea-t-elle.
Quand elle entra dans le hall d'entrée, un frisson lui parcourut l'échine. Trop de souvenirs remontaient à la surface. Comment allait-elle tenir une année entière ? Comment allait-elle survivre, seule et détruite, faible et hantée ? D'un pas lent, elle s'avança et retira ses chaussures pour enfiler celles du lycée, avant de les fourrer dans son sac, étant donné qu'elle n'avait pas encore accès à son casier. Elle se rapprochait de l'escalier, quand une pensée lui traversa soudain l'esprit. Elle ne savait même pas dans quelle salle démarrait sa classe. Et même si elle le savait, elle n'avait aucune idée de la localisation de la salle en question.
Mais alors qu'elle s'apprêtait à faire demi-tour pour rentrer chez elle, elle vit un jeune homme courir dans sa direction, qui arrivait depuis la cour. La jeune fille ouvrit grands ses yeux. Il était vraiment grand, très grand, et en plus de ça, très baraqué. Arborant de longs cheveux d'un rouge éclatant attachés en une haute queue de cheval, il avait un joli visage, doté de traits fins, et d'étranges tatouages noirs qui parsemaient son front avant de glisser dans sa nuque et de disparaître sous le col de sa chemise.
Orihime s'immobilisa et garda ses yeux rivés dans le vide. Qu'est-ce que c'était que- Elle se gifla mentalement. Non, pas de conclusions hâtives, pas de préjugés. Mais... Que faire ? Lui demander son aide ? Cependant, elle n'eut pas le temps de lui poser la question, car il s'arrêta de lui-même à son niveau, se baissa légèrement pour pouvoir apercevoir son visage et s'enquit aimablement :
« Excuse-moi, je peux t'aider ? »
Orihime ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. Lorsqu'elle leva la tête vers lui, il écarquilla légèrement les yeux avant de les plisser, ce qu'elle ne remarqua pas. Elle se contenta alors de hocher la tête.
« Tu cherches quelle salle ? » Reprit-il.
Elle baissa les yeux et détourna le regard. Elle devrait au moins se présenter, et lui demander son aide, correctement ! Mais ses cordes vocales l'avaient abandonnée. Comme si elle avait oublié comment parler, comment interagir avec les gens. Il allait sûrement la prendre pour une folle et continuer son chemin.
Et pourtant, il sembla comprendre et eut un sourire amusé.
« Tu m'as tout l'air d'être muette. Enfin, pour l'instant. Alors dis-moi, t'es en quelle terminale ? »
Orihime releva les yeux pour croiser les siens l'espace d'une seconde. Ils brillaient de sincérité et de malice, de gentillesse et de simplicité. Mais elle ne réussit pas à soutenir son regard plus d'une seconde et fixa le sol. Elle leva faiblement une main et lui fit le chiffre 2.
« Sérieux ? S'écria-t-il, agréablement surpris. Moi aussi ! On est dans la même classe ! Bon, vas-y, dépêchons-nous, on est déjà sacrément en retard. »
Naturellement, il lui empoigna la main, ignorant le frisson qui traversa la rouquine et l'entraîna dans les escaliers, courant à un rythme suffisamment lent pour qu'elle puisse le suivre. Orihime était perturbée par la gentillesse de ce garçon, dont elle aurait sûrement cru le contraire au premier abord. Il l'avait aidée malgré son insociabilité, ne s'était pas moquée d'elle, ne l'avait pas jugée. Mais la rouquine était toujours mal à l'aise, et il était clair pour elle qu'elle ne se ferait pas d'amis, cette année. Elle avait comme l'impression que son histoire, que ses malheurs se lisaient sur son visage, et que dès qu'elle parlait, elle s'exposait aux menaces, aux dangers. Alors son inconscient la protégeait, lui construisant un mur de séparation avec le reste du monde.
Renji pénétra dans la salle sans même attendre la réponse du professeur. Après s'être excusé pour lui et elle, il s'approcha du bureau du professeur, gardant précieusement la main d'Orihime dans la sienne et lui chuchota quelques mots. La jeune fille fut ébahie de la discrétion qu'il utilisa et de l'insistance avec laquelle il le supplia de la laisser gagner directement sa place, affirmant qu'elle avait quelques soucis et que la faire parler devant tous les élèves ne ferait que la refermer encore plus sur elle-même. Et elle entendit aussi le professeur, qui après l'avoir dévisagée puis accueillie à bras ouverts, avait cédé.
Orihime, ahurie, se laissait maintenant guider jusqu'à un bureau, le seul qui restait au fond. Elle préféra ignorer les coups d'œils indiscrets de la plupart des élèves qui la mataient clairement et se concentra pour ne pas s'effondrer sous la pression. Renji se pencha derrière elle pour lui chuchoter avec un sourire :
« Surtout, me remercie pas. »
Bien sûr, elle n'en fit rien, mais n'en pensa pas moins. Elle tenta de lui faire comprendre en lui adressant un sourire, mais le rictus tordu qu'elle réussit à faire était si horrible qu'elle abandonna l'opération. Il s'assit au bureau sur sa droite quand le professeur entama :
« Voici votre nouvelle camarade, Mademoiselle... Hm. Inoue Orihime, je suppose, fit-il en lisant ses papiers. Elle a été transférée du troisième lycée de Karakura, celui de l'Ouest. Soyez gentils avec elle, faites la visiter. Et sur ce, bienvenue au lycée Minami, Inoue-san ! »
Sur ces paroles, la classe toute entière reprit ces termes et elle ne vit pas, ne comprit pas les grands sourires qui lui furent dédicacés, ou encore les regards médusés de quelques personnes. Orihime garda longtemps ses yeux fixés sur un ce grand tatoué, la seule personne l'ayant considérée depuis plus d'un mois. Elle était chamboulée par tant de gentillesse. Il l'avait pris sous son aile malgré son mutisme, même l'espace de quelques secondes, avait parlé au professeur de son plein gré, discrètement, sans l'humilier, et tout cela alors qu'il ne la connaissait même pas. Mais alors qu'elle suivait du regard les lignes noires d'encres qui dessinaient son cou, une main vint la tapoter de l'autre côté et elle se retourna.
Avec surprise, Orihime se retrouva face à une magnifique blonde vénitienne aux incroyables yeux bleus-gris, doté d'un visage exquis qui frôlait la perfection et d'une poitrine encore plus imposante que la sienne. Une aura rassurante émanait de cette incroyable femme aux yeux pétillants de malice. Passant outre le fait qu'elle lui donnait une impression de déjà-vu, elle prit le temps d'assimiler ses paroles pour ne pas sembler débile.
Lorsqu'elle eut compris le sens de son éclatant sourire combiné à sa douce voix, elle hocha la tête, sans un mot.
« Salut, Orihime, moi, c'est Matsumoto Rangiku. Appelle-moi Rangiku. Je ne sais pas pourquoi, mais je sens qu'on va être amies, toi et moi ! » Avait-elle dit.
Orihime était bien trop occupée à admirer ce doux et gracieux visage qui ne lui inspirait que du bien, elle ne vit donc pas les yeux de la concernée se plisser lorsqu'elle avait hocher silencieusement la tête et se retourna pour être face au tableau.
Orihime n'écouta rien de toute l'heure. Contre son gré, son esprit s'envola et elle se plut à rêver tout au long de ce premier cours d'un monde meilleur un monde dans lequel elle serait heureuse et aimée, un monde dans lequel Tatsuki aurait encore sa place. Mais très vite, la sonnerie la ramena dans son monde, son univers, sa réalité et elle dut faire un grand effort pour ne pas fondre en larmes sur son bureau encore vide.
Mais alors qu'elle repoussait sa chaise en arrière pour se lever, un bon nombre d'élèves vinrent s'agglutiner autour de sa table pour l'assaillir de questions. La tête de la rouquine se mit instantanément à tourner par tant de bruit et elle ne réussit même pas à comprendre une seule des phrases qui avaient été prononcées. Elle les regardait d'un air assez affolé, perdue, fatiguée. Mais heureusement, ladite Rangiku vint à son secours et la tira hors de la salle par la main, sans laisser à quiconque le temps de protester.
Dehors, le roux de toute à l'heure les attendait visiblement, adossé contre le mur, les bras croisés sur la poitrine, un genou plié. Lorsqu'il les vit sortir, un demi-sourire illumina son visage et il se rapprocha pour lui tendre la main.
« Je n'ai pas eu le temps de me présenter. Moi, c'est Renji Abarai. Ah, et je te préviens : c'est Renji, ou rien. »
Puis, comme pour se justifier, il ajouta :
« T'as l'air d'être le type de fille qui m'aurait appelé « Abarai-kun » ou « Abarai-san », un truc du genre. »
Il lui fit un clin d'œil et se mit à avancer dans le couloir. Rangiku le suivit, sans lâcher la main d'Orihime, comme si elle avait compris exactement quoi faire pour ne pas la perdre. La rouquine, elle, marchait, sans rien comprendre de ce qui lui arrivait. Elle ne les connaissait même pas, et ils semblaient l'avoir déjà cernée sous tous les angles. Et puis, pourquoi étaient-ils si gentils avec elle, d'abord ?
On va te faire visiter, Orihime-chan, fit Rangiku d'une voix enjouée. Tu vas voir : au début, ça peut paraître assez grand, mais cette idée te passera vite.
Allons d'abord au bâtiment B, enchaîna Renji. Y'a trop de gens dans le A, à cette heure-ci.
Ils traversèrent le couloir dans lequel les élèves s'attroupaient pour descendre. Étant à contre-sens, Orihime avait du mal à évoluer. Comme si il l'avait deviné, Renji se plaça juste devant et fit son possible pour lui ouvrir une brèche dans cette masse affolante d'étudiants, son imposante carrure aidant. Puis, bientôt, le flux diminua et devint supportable pour la jeune fille qui put se détendre un peu.
Ils s'engagèrent dans un autre couloir, plus large mais moins long, qui était uniquement composé de baies vitrées sur les côtés. D'ici, ils voyaient une grande partie de la cour arrière et de l'autre côté, l'entrée.
« C'est la passerelle pour passer du bâtiment A au bâtiment B, expliqua Rangiku. Le plus souvent, ce sont les cours scientifiques qui ont lieu dans cette partie du lycée. Je ne devrais peut-être pas te le dire, mais souvent, nous utilisons l'un des laboratoires pour se retrouver, à la cour ou à la cantine. Nous avons beaucoup d'autres endroits comme ça, ou même des raccourcis, si tu veux. »
Orihime hocha la tête, mais elle n'avait presque rien compris. Ce n'était pas qu'elle n'écoutait pas, non, mais son cerveau n'arrivait pas à se concentrer sur quelque chose plus de quelques secondes, comme s'il avait oublié comment faire. Elle n'arrivait pas à penser décemment. Et surtout, elle n'arrivait pas à parler.
Elle regardait fixement par la fenêtre lorsqu'elle vit un gigantesque attroupement de filles qui gesticulaient et criaient dans la cour. Instinctivement, ses pieds la portèrent plus près de la vitre, pour pouvoir mieux voir. Et alors qu'elle se concentrait pour pouvoir distinguer le visage de cet étrangle homme aux cheveux bleus qui était le centre de ce cercle, Rangiku et Renji vinrent la rejoindre.
« C'est comme ça, presque tous les jours, depuis près de cinq ans. Celui aux cheveux noirs, c'est Ginjo Kugô. Et à côté, celui qui vient de cracher par terre -très élégant- , c'est Grimmjow Jaggerjack, lança Rangiku, soudain plus dure. Tu as là le premier porteur du titre : « plus beau garçon du lycée ». Il a soit disant un côté bad boy que les filles adorent et même un fan club, c'est te dire, continua-t-elle en ricanant mauvaisement. Mais fais attention à ces deux-là enfin, surtout à Grimmjow. Ne t'en approche pas trop, cela vaudrait mieux pour toi. »
De nouveau, la rouquine hocha la tête avant de se détourner du spectacle. Rangiku la regardait avec attention. Mais alors qu'elle se retournait pour poursuivre sa progression sur la passerelle, un corps vint la heurter et elle manqua de s'écraser au sol. Se rattrapant de justesse en agrippant le rebord de la fenêtre, elle leva les yeux vers le corps en question, qui était celui d'un fin bonhomme aux cheveux blonds coupés en carré et aux yeux foncés tirés en arrière. Il avait un visage fermé, mais celui-ci se décomposa littéralement lorsqu'il croisa le regard d'Orihime.
Ses yeux s'agrandirent et sa bouche forma un petit « o » de stupéfaction. Il s'arrêta, la fixa, le souffle coupé.
Tu... Tu es ? S'enquit-il.
Orihime Inoue, répondit Renji, à sa place.
Orihime..., Répéta-t-il.
Brusquement, il posa un genou à terre et s'empara de la main droite de la concernée pour la baiser de toutes parts.
« Orihime, souffla-t-il, ma Déesse, ma Princesse. »
Mais alors qu'il remontait petit à petit sur son bras, provoquant de violents frissons et secousses chez la rouquine, une certaine Matsumoto vint lui donner un surpuissant coup de pied dans le visage et il fut propulsé à des kilomètres de là. C'était fait. Elle se frotta les mains avant de prendre celle de sa nouvelle copine et de l'entraîner plus loin.
« Shinji Hirako, Terminale 4, présenta-t-elle. Fais pas attention à lui. »
Ils eurent tout juste le temps d'arpenter la moitié du bâtiment B que la fin de la récréation fut sonnée. Cette partie du lycée était déjà énorme, alors la bâtisse dans l'ensemble devait être horriblement gigantesque. Orihime aurait été incapable de refaire le même trajet et au bout du compte, elle était toute aussi perdue qu'avant l'expédition.
La rouquine suivit ses deux compagnons jusqu'à leur nouvelle salle de cour. Alors qu'ils entraient dans la salle, Rangiku se pencha :
« Lui, c'est notre professeur principal. Je sais que ça risque d'être compliqué, mais tu devrais aller lui parler pour les modalités. Vas-y avant que toute la classe n'arrive. Tu veux que je t'accompagne ? »
Pour une raison qu'elle ignora, Orihime attrapa la manche de Rangiku comme une petite fille, gardant les yeux rivés sur le bureau du professeur. Elles s'avancèrent toutes deux et cinq minutes après, l'histoire était réglée. Ses affaires avaient été mises de côté : il lui donna donc ses livres et son carnet de correspondance, ainsi que les fiches d'inscriptions aux club, son emploi du temps et autre paperasse. Grâce à son amie blonde, elle n'eut pas besoin de parler ne serait-ce qu'une seule fois et se contentait de hocher la tête aux quelques questions.
Les deux heures passèrent beaucoup plus vite que ce matin. Pour la première fois, Inoue réussit à capter quelques brides de ce que son professeur expliquait et elle arriva à rester un peu plus concentrée.
La jeune fille n'entendit pas la sonnerie de midi. Elle restait là, les yeux figés dans le vide, quand Renji et Rangiku vinrent la sortir de son monde imaginaire.
On va manger, fit cette dernière.
Qu- fut le seul bruit qui voulut bien sortir de la bouche d'Orihime.
Mais Rangiku, qui l'avait bien entendu remarqué, ne put s'empêcher de pousser un cri enthousiaste et tapa dans la main que lui tendait Renji.
« Elle a fait un son » s'écria-t-elle en se moquant gentiment.
Orihime aurait voulu rigoler, mais elle n'y parvint pas. Son gloussement resta coincé au fond de sa gorge et elle soupira.
Enfin. Comme tout le long de la matinée, elle les suivit. En descendant au rez-de-chaussée, elle vit tous les étudiants s'installer un peu partout, que ce soit à l'intérieur ou dans la cour. Elle se rappela qu'avant, elle déjeunait souvent sur le toit, avec...
Mais là, encore une fois, ils ne restèrent pas avec les autres. Ils se dirigèrent vers le fin fond de la cour, dans un petit coin où il n'y avait absolument personne. Avec consternation, Orihime regarda Renji qui, discrètement, souleva le grillage qui les séparait de la grande forêt. Rangiku y passa et bientôt, la rouquine n'eut d'autre choix que de les suivre.
Ils pénétrèrent dans le grand bois et s'engagèrent sur un petit sentier dégagé. Où allaient-ils ? Que faisaient-ils dans cette gigantesque forêt ? Orihime aurait aimé poser des questions. Mais encore une fois, rien ne sortit. Elle se demanda intérieurement pourquoi est-ce qu'ils se prenaient la tête à traîner une muette comme elle et les fixa tous les deux, de dos. Ils respiraient la bonne humeur et la gentillesse, c'était incroyable. Ils lui inspiraient confiance, malgré tout ce qu'elle avait traversé, ils lui semblaient... Différents. Elle le sentait. Mais lorsque cette pensée lui traversa l'esprit, Orihime manqua de perdre l'équilibre. Elle s'était toujours dit la même chose, pour Ic-...
Orihime avait beau s'être improvisée muette, elle ne put retenir l'exclamation de surprise lorsqu'elle vit le bâtiment qui se dressait en plein milieu du bois, dissimulé par les arbres. Il ressemblait à un ancien gymnase abandonné qui tombait en ruines. Pourtant, il semblait avoir été rafistolé à l'aide de planches en bois, de fer et même de béton. Le résultat était vraiment pas mal. Non, c'était époustouflant. Les nombreux dessins et tags qui décoraient les façades et les longues plantes qui grimpaient sur les murs donnaient un côté original à cette petite maisonnette qui devait faire trois ou quatre fois l'appartement de la rouquine.
« Ça, c'est notre chef d'œuvre, fit fièrement Renji. Ça fait quatre ans qu'on se rejoint ici presque tous les midis. C'est notre petit coin à nous, t'y verras personne d'autre que notre bande. »
Orihime, d'abord admirative, se figea soudainement. Elle avait bloqué sur le dernier mot. Il avait parlé de bande. Ah, parce qu'ils étaient combien, en tout ? Et merde. Elle envisageait de faire volte-face pour partir en courant lorsqu'elle se rappela l'amabilité de ces deux lycéens et la façon avec laquelle ils l'avaient traitée. Elle était peut-être muette et insociable, mais pas sauvage. Pour l'instant. Et puis, de toute façon, jamais elle n'aurait pu retrouver son chemin seule. Et troisièmement, Renji, avec son corps baraqué et ses jambes musclés l'aurait sûrement rattrapée en moins de temps qu'il faut pour le dire. Alors elle se laissa entraîner par Rangiku qui la tirait par le bras.
Lorsqu'elles poussèrent le battant de la porte bancale et pénétrèrent dans le sanctuaire, les yeux d'Orihime s'agrandirent et le voile qui couvrait ses pupilles s'évapora. Elle était tombée amoureuse de l'endroit. C'était simple et original, comme elle aimait. Le rez-de-chaussée était une grande pièce carrée, éclairée en couleur par les vitres intactes et surmontées de filtres colorés qui ornaient le mur opposé à l'entrée. Sur le côté, de vieilles armoires subsistaient et résistaient au temps, aux côtés de deux frigos tout à fait modernes. Les murs étaient décorés de dessins en tout genre, de posters et le plafond, qui visiblement avait du s'effondrer, avait été rebâti uniquement en bois. Il y avait même des fleurs et exceptés les quelques bouteilles de bières qui roulaient sur le sol, tout était à peu près propre et rangé. Évidemment, en bonne maniaque qu'était Orihime, elle se dit intérieurement que si elle était amenée à fréquenter plus cet endroit, elle y passerait bien un coup de balais.
Un peu plus loin, il y avait un escalier, bien entretenu, qui menait à une sorte de plateau surélevé, envahi par la pénombre, qui devait sûrement mené à d'autres pièces. Puis ses yeux se posèrent enfin sur le groupe de personnes, tous posés sur de vieux canapés, qui la dévisageaient. Ils étaient confortablement installés autour d'une table constituée de casiers renforcés de planches de bois et renversés sur lesquels trônaient des tas de mets. Sake, bière, soda, pizza, poulet, bentô à volonté.
Orihime n'était peut-être pas au meilleur de sa forme, mais elle comprit la surprise qui s'afficha sur les huit visages inconnus en face d'elle. Oui, ils avaient le droit, vue la sale mine qu'elle avait. Ils devraient même être effrayés. Elle s'était immobilisée, mais Renji l'encouragea du regard et Rangiku vint doucement la pousser dans le dos. Ce contact la réchauffa sans qu'elle n'en comprenne la raison, et elle se laissa porter et avança.
« Je vous présente... »
Et alors que Renji s'apprêtait à la présenter, elle fit quelque chose qui les prit de court tous les trois. Elle parla.
«Orihime. Orihime Inoue. »
Elle avait parlé d'une voix lente, plutôt rauque et brisée, comme si elle reprenait la parole après des années de silence. Elle ignora les regards stupéfaits de ses deux camarades de classe qui restèrent figés et fixa le sol, se dandinant, gênée. Mais heureusement, une époustouflante métisse aux cheveux blonds et aux incroyables yeux verts émeraude se chargea de briser le silence. Orihime resta « sur le cul » lorsqu'elle la vit se lever, se dressant sur ses longues jambes sculptées, dévoilant un corps tout aussi parfait que celui de Rangiku. Le hoquet de surprise qui manqua de sortir de sa gorge n'échappa à personne et elle entendit quelques gloussements. La blonde lui adressa un magnifique sourire, et sans plus de formalités, la serra tout contre elle.
« Moi, c'est Halibel. Ravie de faire ta connaissance. »
Puis elle s'écarta légèrement, laissant la jeune fille bouche bée. Sans perdre une seconde, elle reprit :
« Laisse-moi te présenter tout le monde. Le crâne d'œuf incapable de boire une bière correctement, c'est Madarame Ikkaku. Le narcissique efféminé au superbe visage à côté, c'est Yumi, ou plutôt Yumichikka. Le blond à droite, c'est Izuru Kira, l'asiatique aux yeux verts qui va te fixer pendant tout le repas s'appelle Nemu Kurosutchi. La petite blonde énervée aux couettes qui risque d'en vouloir à ta poitrine, c'est Hiyori, le type à la coupe blonde bizarre, c'est... Shinji, n'y pense même pas, gronda-t-elle alors qu'elle reconnaissait l'homme en train de se lever, qui lui avait baisé le bras toute à l'heure. Donc lui, c'est Shinji Hirako. Et le dernier, le brun avec ses cicatrices et ses tatouages, c'est Hisagi Shuhei. Ça fait beaucoup de prénoms à retenir, mais tu vas t'y faire. Ils sont tous à peu près gentils. Bienvenue dans la bande, Orihime.»
Chacun leur tour, ils la saluèrent tous à leur façon. Ledit Ikkaku était une montagne de muscles à lui tout seul. Il avait des sourcils qui semblaient passer la plupart de temps froncés et un crâne chauve qui luisait à la lumière. Il la regarda, puis lâcha un « Yo » assez sec en fronçant encore plus ses sourcils. Le suivant, Yumichikka, était un superbe jeune homme à la peau brillante et aux traits fins qui arborait de luisants cheveux noirs coupés en un carré plongeant. Il plissa ses magnifiques yeux bleus-gris à la vue du sourire que tentait d'exécuter Orihime, et soupira :
« Ma chérie, ton sourire n'est vraiment pas très bon. Et tu as vraiment mauvaise mine. La tristesse du monde tout entier se lit sur ton visage, c'est affreux. Alors ressaisis-toi, si tu ne veux pas que je m'occupe de ton cas personnellement. Et crois moi, tu ne veux pas.»
Les yeux de la rouquine se levèrent vers ceux du jeune homme et elle arrêta d'envisager de sourire. Message reçu. Izuru, un garçon aux yeux bleus, doté de cheveux blonds plutôt longs peignés plutôt étrangement, la salua poliment. Il avait l'air un peu timide et réservé, mais très gentil.
Puis ce fut au tour de Nemu, une asiatique au physique extrêmement avantageux, qui avait d'incroyables cheveux noirs tressés dont une frange et deux mèches qui encadraient son visage. La magnifique femme aux yeux verts émeraude qu'elle était ne se leva pas et resta silencieuse, se contentant de hocher vaguement la tête en croisant son regard. La petite blonde aux couettes, comme l'avait dit Halibel, vint lui serrer la main fermement. Elle avait de grands yeux hazel aux airs féroces, yeux qui étaient d'ailleurs rivés sur ses seins, et de petites tâches de rousseur au niveau des joues et sur le nez. Avec ses sourcils froncés, son nez retroussé et sa canine très pointue dévoilée, elle semblait plutôt agressive et bestiale, mais Orihime ne doutait pas un instant qu'autre chose se cachait sous ce masque d'insensibilité.
Comme précédemment, Shinji tenta de se jeter sur elle pour l'embrasser à nouveau, mais Hiyori l'en empêcha d'un violent coup de tong dans la tête. Et pour finir, Hisagi. Hisagi, lui, se leva avec enthousiasme et se posta devant elle, la dominant de toute sa grandeur. Il était légèrement plus petit que Renji mais encore plus musclé et imposant. Il avait de fins yeux gris très expressifs et des cheveux noirs ébouriffés, plus courts sur les côtés, qui tombaient sur son visage. Une bande d'encre noire traversait sa joue gauche pour venir surmonter son nez et s'y arrêter. Sous ce tatouage était écrit le nombre « 69 ». Mais qu'est-ce qu'ils avaient tous, avec leurs tatouages ?
Il posa sa main sur son épaule et comme elle l'avait fait avec Renji, elle fut secouée d'un imperceptible frisson qu'Hisagi remarqua évidemment. Il retira donc sa main et lui adressa un éclatant sourire brillant de sincérité et de gentillesse. Mais qu'est-ce qu'ils étaient, tous ?
« Enchantée, Orihime. Enfin, je peux t'appeler Orihime ? »
Légèrement chamboulée, elle hocha la tête et la seconde d'après, Rangiku et Halibel la poussaient vers le canapé. Elles s'y assirent toutes les trois et bientôt, le repas commença, ou reprit, plutôt. Orihime fut sidérée par la convivialité qui régnait dans le lieu. Les éclats de rire fusaient, le niveau sonore avait indéniablement augmenté. Il y avait plus de vie, de joie et de gaieté dans cette pièce que la jeune fille n'en avait jamais vues. Ils discutaient tous ensemble, joignant Orihime à la discussion sans même se soucier du fait qu'elle n'avait pas parlé.
Rangiku était celle qui parlait le plus à la rousse, ainsi qu'Halibel. Elle l'avait rapidement mise à l'aise et voyait petit à petit la façade de la rouquine s'effacer. Le voile vitreux qui couvrait ses yeux se dissipait totalement petit à petit et elle s'intéressait à la conversation et aux expressions de chacun, ce que la blonde vénitienne n'avait pas manqué de relever.
HEIN ? Répète un peu ! S'écria Shinji.
Pour la centième fois, je t'ai dit que ta coupe était démodée, souffla calmement Yumichikka.
Démodée ? Gronda-t-il, une folle veine battant sur sa tempe. Enfoiré...
C'est vrai qu'elle est hideuse, renchérit Hiyori qui se moquait ouvertement en dévoilant au grand jour sa canine pointue.
Qu'est-ce t'as dit, mocheté ? Hurla-t-il à l'encontre de la petite blonde.
A cette insulte, la concernée releva brusquement la tête, un sourire mauvais sur le visage. D'un petit coup de pied, elle fit voler sa sandale et l'attrapa au vol. Elle jeta un regard noir à Shinji qui soudainement, se recula, conscient de la menace. Mais alors qu'elle s'approchait en ricanant, un petit bruit attira son attention.
Comme la plupart des autres personnes présentes dans la pièce, ils se retournèrent comme un seul homme vers la jeune femme qui gloussait discrètement. Enfin, le petit bruit qu'elle émettait était à mi-chemin entre le gloussement et la quinte de toux. Mais Orihime s'arrêta aussitôt lorsqu'elle sentit toutes ses paires d'yeux rivées sur elle. Son visage, pourtant si pâle, rougit un tantinet, ravissant Renji qui n'attendait que ça depuis ce matin.
Habitée par une joie immense à la limite de l'euphorie, Rangiku attira la jeune fille contre elle, lui coupant le souffle, avant de lever sa bière en l'air :
« Kampaï ! A l'arrivée d'Orihime ! »
Après avoir été cherché l'uniforme de sport d'Orihime et ses clés de casier, Rangiku et cette dernière se rendirent au rez-de-chaussée pour y déposer leurs affaires. La blonde vénitienne lui indiqua celui qui était sien avant de se rendre elle-même à son propre casier, quelques rangées plus loin. Mais Orihime était si concentrée à ranger consciencieusement ses habits dans son casier qu'elle ne remarqua même pas l'immense ombre qui la surplombait.
Alors, lorsqu'elle se retourna pour rejoindre Rangiku, elle se heurta avec violence contre quelque chose de dur. Lorsqu'elle s'en écarta, elle porta une main à son front et resta immobile, la tête baissée, les yeux rivés vers les basket purement masculines qui se trouvaient à quelques centimètres de ses propres pieds.
Le cœur d'Orihime s'affola pour une raison inconnue lorsqu'elle entendit une voix grave lancer :
« Eh, toi. »
Automatiquement, le voile qui empêchait toute émotion de transparaître à travers son regard réapparut et tout sentiment la quitta. C'était comme si, pour se protéger, elle avait appris à refouler ses réactions, ses émotions, ses ressentis. Son visage reprit cette insensibilité effrayante qu'elle avait été habituée à garder pendant plus d'un mois et son cœur se braqua, se ferma. Elle avait perdue toute sa beauté, ainsi que le peu de couleurs qu'elle avait retrouvé grâce à ce repas passé avec ses nouveaux camarades.
Elle leva donc un regard totalement vide vers l'effroyable montagne de muscles qui lui faisait face. Toujours plus grand. Toujours plus musclé. Le visage fermé et dédaigneux qui s'offrit à elle l'aurait effrayé, avant. Mais là, ce n'était pas le cas. Même si elle savait tout au fond d'elle qu'elle ne devait pas faire n'importe quoi avec cet imposant personnage. Ses yeux se posèrent sur la mâchoire plutôt carrée et sur cette bouche qui arborait un rictus méprisant, avant de remonter et de détailler ce visage extrêmement viril quoi que fin qui se trouvait devant elle. Les incroyables yeux bleus glacial qui la toisaient auraient du l'intimider, la faire frissonner. Mais là, ce n'était pas le cas.
Orihime dut se triturer le cerveau pour pouvoir se souvenir du prénom que Rangiku lui avait donné. Ga... Go...
« T'es nouvelle ? » Cracha-t-il sans masquer son dégoût apparent pour la jeune fille.
Non, elle ne voyait pas. Elle ne s'en souvenait pas.
Sans même laisser passer un semblant de ressenti à travers sa carapace, elle hocha la tête et ignora cet effroyable regard qui la détaillait et dévisageait sans la moindre discrétion, se focalisant particulièrement sur sa poitrine. Cette fureur mal contenue dans son regard et surtout, ces étranges cheveux bleus, lui rappelaient quelque chose, mais elle n'arrivait pas à mettre la main dessus. Enfin, elle n'eut pas le temps d'y songer plus longtemps car il la bloqua contre un casier -bien qu'elle fut déjà coincée- et se pencha dangereusement sur elle.
« Si tu dis à quelqu'un c'que t'as vu, je me ferais un plaisir de te faire de même, pauvre conne. »
Rien à faire, elle ne se rappelait pas de son identité.
Le son parvint parfaitement aux oreilles de la rouquine. Mais pourtant, elle ne comprit absolument pas de quoi il parlait. La confondait-il avec quelqu'un d'autre ? Avait-il des problèmes mentaux ? Des troubles de la personnalité ?
Voyant qu'elle ne cillait absolument pas, il se rapprocha encore plus et gronda avec impatience :
« Je sais que tu m'as vu, il y a des jours, en train de tabasser ces connards. »
Il s'écarta légèrement lorsqu'elle secoua la tête de gauche à droite. Il chercha à analyser son visage mais la barrière d'impassibilité à laquelle il se heurta l'ébranla et il fronça les sourcils. C'était qui encore, celle-là ? C'était bien la première fois qu'une personne de ce gabarit lui résistait. Ses yeux gris clairs étaient vides, son visage pâle presque verdâtre était totalement neutre. Aucune vie n'émanait de cette fille là. Et c'était déconcertant.
Il s'écarta légèrement d'elle pour la dévisager de plus belle. Puis soudainement, son visage viril se crispa de colère et son poing alla violemment s'écraser sur le casier juste à côté du visage de la rouquine, déformant violemment l'acier. Il eut beau la frôler, elle ne cilla même pas, ce qui attisa davantage la colère de cet énergumène.
« Espèce de- »
Mais sa remarque fleurie fut coupée lorsqu'une fine main joliment vernie vint agripper son épaule. Il n'eut pas le temps de protester, car la main en question le poussa légèrement avant de se saisir du poignet de sa victime aux cheveux roux. Il grogna de plus belle et il s'apprêtait sûrement à reprendre possession de son gibier quand il croisa un regard gris-bleu presque aussi glacial que le sien.
Rangiku, qu'est-ce que tu fous ? Siffla-t-il entre ses dents serrées.
Je te préviens. Elle, tu ne la touches pas, lâcha-t-elle d'un ton dur et froid.
Et, sans même lui laisser le temps de répondre, elle entraîna Orihime dans la cour, ignorant le sourire carnassier qui avait illuminé le visage du bleuté. La rouquine la suivait sans un mot, et elle ne semblait même pas se rendre compte qu'elle marchait. Rangiku pesta. Tous ses efforts de la journée pour retirer ne serait-ce qu'une brique du mur que s'était construit Orihime, la séparant du reste du monde, avaient été réduits à néant par ce putain de bad boy aux cheveux bleus. Elle devait tout reprendre de zéro.
Mais alors qu'elles passaient devant la face du bâtiment, un attroupement massif de jeunes filles attira de nouveau l'attention de notre jeune Inoue.
« Encore lui ? » Songea-t-elle, en référence à ce fameux bleuté.
Non, c'était impossible, il était encore dans le hall. Comme si elle devinait le fond de ses pensées, Rangiku entama sa petite présentation :
« Ce n'est pas Grimmjow. Pour le coup, c'est son opposé. »
Et alors qu'Orihime apercevait enfin l'objet de tant de convoitise, son nom lui fut donné.
« C'est Ulquiorra Schiffer. Deuxième porteur du titre de plus beau garçon du lycée, les filles aiment son côté mystérieux. Je suppose. Mais bon, ne va pas t'amouracher de lui, tu risquerais d'être blessée. »
Orihime croisa le regard émeraude du concerné sans même le voir, et continua son chemin. Evidemment, elle n'avait pas retenu son prénom. Puis elles contournèrent le bâtiment et notre jeune héroïne découvrit que sur le côté gauche de la propriété, une grande partie de la forêt avait été rasée et remplacée par de grandes infrastructures de sport. Le terrain était gigantesque, et ils y avaient installés tous les aménagements extérieurs nécessaires pour y faire de l'athlétisme, du foot, du basket, du saut, et plein d'autres activités. Les deux jeunes femmes n'eurent aucun mal à reconnaître la tignasse rouge qui les attendait, adossée contre le mur du gymnase.
Vous en avez mis, du temps, ronchonna Renji.
Un petit imprévu, s'empressa de répondre Rangiku. Allez, allons-y !
Les présentations avec le professeur de sport furent rapides. Selon ses deux camarades, c'était un gros feignant incapable de faire plus d'un tour de terrain, et il ne fallait pas s'attendre à ce qu'il prenne en main les élèves. Elle apprit également que la plupart du temps, les garçons jouaient au foot, ou des fois au basket, et que les filles s'occupaient autrement. Orihime aurait donc sport tous les mardis après-midi avec une autre classe de terminale.
Puis, alors qu'elles se dirigeaient vers les vestiaires féminins, Rangiku aperçut quelqu'un et son visage s'illumina. Elle se mit à faire de grands signes tout en hurlant « Taishô ! Taishô ! », sous les yeux incrédules d'Orihime qui avait retrouvé une infime partie de son humanité. L'être minuscule à qui elle s'adressait écarquilla ses yeux de stupeur en la voyant et redoubla de vitesse pour lui échapper. Mais la blonde fut plus rapide et elle se pencha pour le serrer contre elle.
Orihime resta à sa place mais les regarda, par pure curiosité. Elle n'avait jamais vu pareille personne. Il était magnifique. Le superbe adolescent aux incroyables cheveux immaculés de blanc n'était pas si minuscule que ça, à côté d'elle. Mais c'était vrai que comparé à Renji... Le surnommé « Taishô » s'ébroua et repoussa son étreinte avec une force surprenante.
« Matsumoto ! S'écria-t-il, une folle veine battant sur sa tempe. Je t'ai déjà dit de ne pas m'appeler comme ça ! »
Ils se disputèrent pendant de longues minutes, minutes durant lesquelles la plupart des élèves avaient disparus dans les vestiaires. Orihime, elle, était restée immobile devant ce spectacle, ses yeux rivés sur les extraordinaires iris oscillant entre le vert et le bleu de ce magnifique lycéen. Puis elle avait fini par suivre le mouvement et alla se changer dans les vestiaires.
Après avoir enfilé son short moulant, lui arrivant aux genoux, et son tee-shirt blanc et bleu marine, elle s'attacha les cheveux et sortit dehors. Il n'y avait aucune trace du professeur, juste des élèves qui s'amusaient. Comme le lui avait dit Renji, les garçons se réunirent pour choisir de ce qu'ils allaient faire, tandis que les filles restaient assises sur les bancs ou sur l'herbe, à se faire les ongles.
Orihime retroussa son nez inconsciemment. Par pur réflexe, elle s'éloigna le plus possible de ces filles un peu trop heureuses et se retrouva à contempler les garçons jouant au foot, du haut de sa petite colline. Rangiku se posta à ses côtés, encourageant ses camarades qui se sentaient soudainement pousser des ailes. Elle secouait ses bras en l'air et sautait dans tous les sens, en bonne pom-pom girl improvisée qu'elle était.
Orihime, elle, se surprenait à envier ces garçons. Lorsqu'elle les voyait taper dans la balle, elle se surprenait à vouloir faire de même. Elle avait souvent vu Tatsuki jouer au foot... Tatsuki... A cette pensée, son cœur se serra, la douleur refit surface et elle manqua de s'écrouler, mais Rangiku la retint.
Tout va bien ? S'enquit-elle.
O-Oui, merci.
Rangiku ouvrit grand ses yeux et eut un sourire tendre.
« Contente de voir que tu as retrouvé la parole, Orihime. »
La concernée eut un petit sourire intérieur, qu'elle ne parvint pas à reproduire sur ses lèvres. Mais l'intention y était et sa camarade le capta dans ses prunelles.
Orihime passa donc plus d'une heure à fixer le ballon avec envie, détaillant tous les joueurs. Renji particulièrement, étant donné qu'il était le seul qu'elle connaissait. Il avait relevé ses longs cheveux en un chignon haut qui, malgré l'étrangeté de la coupe, lui donnait un charme particulier. Il jouait vraiment très bien, mais visiblement, restait en défense. Mais le plus fort, c'était l'adolescent aux cheveux blancs, ledit Taishô. Orihime n'en revenait pas. Elle n'y connaissait pas grand chose au football, mais celui-là, c'était clair et flagrant : c'était un petit génie. Le voir jouer faisait naître en elle de nouvelles envies. Il se déplaçait avec une telle aisance, bougeait avec une de ces grâces, jouait avec tant de beauté qu'elle n'avait qu'un souhait, c'était de se joindre à lui et de faire de même. Elle aussi voulait décompresser, penser à autre chose, s'amuser, se donner comme il le faisait. Mais elle n'en était pas capable.
Mais alors qu'elle s'apprêtait à se détourner de cet incroyable spectacle, une frappe retentit. Elle ne comprit pas qu'on l'interpellait, mais vit clairement la balle passer près d'elle. Orihime s'approcha, mais eut un temps d'arrêt. Sans vraiment savoir pourquoi, elle se tourna vers Rangiku et vit que celle-ci l'encourageait du regard. Elle était vraiment...
Alors, la rouquine se rapprocha et s'accroupit pour prendre le ballon dans ses mains. Mais alors qu'elle le fixait intensément, ledit petit génie arriva en courant en haut de la colline et s'approcha d'elle. Elle leva de grands yeux vers son visage froid et parfait. Mais étrangement, il lui adressa un petit sourire plus chaleureux :
Tu aimes le foot, euh... ?
Inoue Orihime, répondit-elle à la question silencieuse. Euh, ano... J-Je n'ai jamais essayé, je me disais juste... Que ça devait être bien. Et... Tu es... ?
Hitsugaya Toshiro. Tu sais, tu pourrais essayer avec nous. C'est un sport comme un autre. Et puis, une fille dans l'équipe, ça pourrait apporter du nouveau !
Orihime était essoufflée. C'était la première phrase construite qu'elle formulait de la journée, et aussi la plus longue prise de parole. Elle en avait presque oublié les intonations et le ton de sa voix. Elle ne remarqua pas le regard de Rangiku posé sur elle et donna timidement la balle à Toshiro qui lui fit un geste de la main avant de repartir en courant.
La fin du cours se passa ainsi. Rangiku posa ses yeux bleus-gris sur sa nouvelle amie qui marchait lentement devant elle, pour sortir de l'enceinte du lycée. Elle le voyait bien. Quelque chose avait été arraché à cette jeune fille, quelque chose – ou quelqu'un – l'avait détruite. La plupart du temps, il n'émanait presque plus rien d'elle, et le mur de briques qui la séparait du reste du monde en témoignait. Mais Rangiku gardait espoir. Il y avait encore de l'humanité en elle, elle pouvait encore voir de la Lumière en elle. Elle était dans la capacité de rendre la joie et le bonheur à Orihime, elle le savait. Et elle le ferait. Quoi qu'en soit le prix.
Elle se le jura.
Après avoir salué son amie, Orihime s'engagea dans la rue qui menait à son petit studio. Elle marchait doucement, le regard vague, sans réellement penser à quelque chose. Elle évoluait dans l'ombre d'un bâtiment, elle qui avait pourtant toujours aimé le soleil. L'être de Lumière plongé dans les Ténèbres. Paradoxal, non ? Mais, soudainement, l'une des jambes de la rouquine eut un moment de faiblesse plus important qu'à son habitude, et son membre ne la porta pas comme il aurait du. Autrement dit, elle trébucha. Et ce fut avec la plus grande indifférence qu'elle vit le sol bétonné se rapprocher dangereusement de son être.
Mais ce fut avec stupeur qu'elle sentit une main agripper son poignet et la tirer en arrière avec force et douceur. Elle n'eut pas le temps de comprendre ce qui se passait, et se retrouva contre un torse purement masculin, une grande main enlaçant la sienne, et une deuxième posée sur son épaule. La chaleur humaine. Avec un semblant de surprise dans les prunelles, elle se retourna et ouvrit grand ses yeux en croisant le chaleureux regard du brun qui lui souriait. Sous l'effet de ces iris, son corps pourtant froid sembla brusquement se réchauffer et elle se perdit dans son incroyable regard gris, la bouche entrouverte.
Putain, j'ai eu peur ! Je suis arrivé à temps, on dirait !
Huh..., fut le seul son qu'elle parvint à formuler.
Elle resta là, immobile, à le détailler de son regard presque inexpressif qui retrouvait petit à petit une infime partie de ses émotions.
Tu vas bien, Orihime ?
Oui, finit-elle par dire. Merci... Shuhei-kun.
Oh, fit-il avec un rayonnant sourire. Tu te souviens de mon nom ! Mais appelle-moi Hisagi, sérieux. On va en vivre des choses tu sais, à passer une année ensemble. Pas besoin de courtoisie ou de manières, on forme une seule et unique bande, maintenant !
Orihime darda son regard gris sur ce grand personnage au visage luisant de sincérité et de gentillesse, malgré ses traits très virils, et ses yeux s'illuminèrent imperceptiblement.
Oh oui, ils allaient en vivre, des choses. C'était écrit.