Snakes Of Despair

Chapitre 3 : Chapter two

9402 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a plus de 8 ans

Second chapitre,

 

Tout était bleu. D'un bleu plutôt clair. Un bleu pastel.

Il ne faisait ni trop chaud, ni trop froid, la température était agréable. Aucun bruit ne parvenait à ses oreilles, pas le moindre son. C'était si doux, si calme... Le silence. Paresseusement, ses yeux s'ouvrirent un peu plus et quelques secondes s'écoulèrent avant qu'ils ne s'adaptent totalement à la luminosité. La jeune fille se sentait ramollo, exténuée, son cerveau était au ralenti. Ses paupières étaient lourdes et son corps entier semblait engourdi, surmené, esquinté.

Quelques temps s'écoulèrent avant qu'elle ne ressente la douleur qui lui lançait le crâne et le corps en global, mais elle n'y porta pas plus d'attention. Elle sentait quelque chose qui pesait sur son nez et ne comprit pas de suite de quoi il s'agissait. Mais quand elle percuta qu'il s'agissait d'un masque, la jeune fille eut le mauvais réflexe d'essayer de se redresser. Un petit bip se mit à sonner dès qu'elle bougea. Et elle fut soudainement frappée par une effroyable vague de souffrance qui se chargea de la clouer au lit. Pourtant, aucun cri ne parvint à quitter l'enceinte de ses lèvres, restés étouffés dans le fond de sa gorge.

Alors, elle resta là, allongée, les yeux rivés sur le plafond, la respiration saccadée. Il fallut du temps à son cerveau, récemment remis en marche, pour reconnaître que cette chambre n'était pas la sienne. Effrayée à l'idée de ressentir une nouvelle fois la même douleur, elle ne chercha pas à bouger et se contenta de parcourir la pièce à l'aide de ses yeux. Sur sa gauche, un petit écran était surélevé par une barre de fer, aux côtés d'un téléphone fixe et de deux grosses télécommandes grises et noires. Derrière, un confortable fauteuil bleu, vide, et une grande fenêtre à deux battants qui, de là où elle était, donnait sur le ciel bleu. Sur sa droite se tenait un pied à perfusions sur lequel étaient accrochées deux poches emplies de fluides. En constatant que celles-ci étaient dotées de tubes transparents dans lesquels évoluaient le liquide, puis qui disparaissaient sous son drap de lit, la crainte de la jeune fille fut confirmée. Elle mit un peu de temps à le formuler, mais l'idée était bien là : elle était à l'hôpital.

Après avoir laissé sa douleur s'atténuer, elle sortit son bras du lit et fit un effort phénoménal pour réussir à le lever sans bouger le reste de son corps. Ainsi, elle attrapa, non sans peines, le petit boîtier gris qu'elle reconnaissait comme étant la télécommande capable de redresser son lit. Son dossier se releva à un rythme lent, ce qui lui évita de grosses souffrances, et elle put rester en position assise. Presque aussitôt, son léger masque tomba de lui-même pour venir s'écraser sur ses cuisses couvertes d'une housse bleue, et elle huma l'air de la pièce.

Que faisait-elle ici ? Pourquoi était-elle dans une chambre d’hôpital ? Les questions s'entassaient dans son esprit qui n'arrivait pas à retrouver ses fonctions. Elle repoussa avec peine les tissus qui couvraient son corps et vit qu'elle était vêtue de cette fameuse robe de chambre marine comme elle l'avait souvent vue dans les films américains. Ses jambes étaient garnies de bleus et d'hématomes, la peau de ses genoux était écorchée, ses pieds étaient abîmés. C'était douloureux, mais c'était plus haut qu'elle avait le plus mal. Ses côtes et sa poitrine la faisaient réellement souffrir, tout comme son cou qui était, d'après ce qu'elle pouvait dire au toucher, couvert de bandages.

L'hospitalisée ferma les yeux. Son esprit était envahi par le brouillard de l'incompréhension la plus totale et elle avait toutes les peines du monde à aligner deux pensées cohérentes de suite. Elle ne se sentait pas bien. Quelque chose lui échappait. Et elle avait beau se triturer le cerveau, elle ne trouvait pas, comme si sa conscience lui empêchait d'accéder à la connaissance, à sa mémoire. Comme si son inconscient la protégeait. De quoi ?

Mais la jeune demoiselle n'eut pas le temps d'y réfléchir plus car quelqu'un entra brusquement dans la chambre. Ce fut une dame, assez bronzée, aux cheveux roses fluo coupés en un court carré, qui débarqua d'un pas joyeux, les yeux pétillants. Cette infirmière à la tenue immaculée de blanc était de taille moyenne, et dotée d'une incroyable beauté. Elle lui adressa un grand sourire empli de sincérité dans lequel elle crut lire de la compassion, et même de l'excitation, avant de venir au pied de son matelas.

  • Inoue Orihime, c'est bien ça ? Fit-elle en plongeant son regard ambré dans le sien.

  • Oui, répondit-elle d'une voix rauque et mal assurée.

  • Moi, c'est Haruna, fit-elle avec un éclatant et rayonnant sourire. Je vais rester avec toi à partir d'aujourd'hui, alors tutoie-moi, Princesse !

Sa voix était particulière, et son style aussi, mais elle était de ces personnes qui arrivaient à vous mettre à l'aise en moins d'une minute. Son visage rayonnait de malice, elle était incroyable. Ladite Haruna prit donc place sur le lit de la rouquine et posa sa main sur l'une de ses cuisses, dans un geste parfaitement naturel.

  • Enchantée. Je... Pouvez-vous me dire ce que je fais ici ?

  • Sérieux, je ne viens pas de te dire de me tutoyer ? Répondit-elle en fronçant les sourcils pour la réprimander sur le ton de la rigolade, brandissant en l'air son fin doigt délicatement vernis.

  • Euh... Oui..., fit Orihime en esquissant un sourire gêné. Je....

  • Je plaisante, ne t'inquiète pas. Je ne vais pas te manger ! Alors... Ça risque d'être dur à encaisser, Princesse. Pour commencer, tu as maintes plaies au cou qui heureusement, ne se sont pas infectées, et quelques bleus aux jambes qui disparaîtront avec le temps. Ce qui est plus problématique, c'est la contusion que tu as à la tête due à ta chute dans les escaliers. Les médecins ont fait le nécessaire, mais il faudra surveiller ça. Mais le pire se situe ici, reprit-elle en désignant ses côtes gauches. Tu as subi un violent choc à ce niveau qui t'a brisé un bon nombre de côtes. Si ça n'avait été que ça, encore... Enfin. Malheureusement, lors de ta chute, deux d'entre elles sont venues se planter dans ton poumon, entraînant un pneumothorax. Si on t'avait trouvée une heure après, c'en aurait été fini de toi. Les chirurgiens ont été obligés de t'opérer en urgence. Pour faire simple, ils ont du te retirer une petite partie du poumon pour éviter que tu clamses. Leur travail a été incroyable et la cicatrice est presque dissimulée par ta poitrine, tu peux t'estimer heureuse, fit-elle en rigolant. T'es restée dans le comas pendant huit jours, alors ton corps a pu récupérer un peu et la douleur sera moins importante. Mais fais attention, pour le début. Et va falloir que tu manges pour retrouver ses kilogrammes perdus !

Orihime écarquilla ses grands yeux. Ses côtes brisées ? Un pneumothorax ? Une opération ? Huit jours ? Une contusion au crâne ? Et puis... Elle l'avait vue, nue ? Qu'est-ce que c'était que cette histoire ? Mais alors qu'elle fixait la femme aux cheveux roses de ses iris grises, un hoquet de surprise passa la porte de ses lèvres lorsqu'elle vit cinq hommes débarquer dans sa chambre. Ils claquèrent la porte avec violence, sous les yeux écarquillés de Haruna qui avait perdu toute envie de rigoler.

Ils étaient tous vêtus de costumes noirs parfaitement taillés, avaient des cheveux foncés super courts voir inexistants pour certains et arboraient chacun une paire de lunettes de soleil inviolables. C'était une blague ? Non mais ils sortaient d'où, ceux-là ? De Men in Black ? Orihime voulut sourire à cette suggestion de son for intérieur, mais les visages durs de ces étranges personnages l'en dissuadèrent. Mais que se passait-il, ici ?

Haruna se leva, verte de rage, et s'écria, faisant voleter ses cheveux lisses :

  • Mais que- Vous n'avez pas le droit ! Nous avions conclu que vous deviez me laisser le temps !

  • Les circonstances ont changées, rétorqua l'un d'entre eux, un grand homme bronzé au crâne lisse. Sortez de là.

  • Arrêtez, s'insurgea-t-elle doucement, faisant de grand effort pour contrôler sa fureur mal dissimulée et ne pas leur sauter au cou. Laissez-moi m'en charger, s'il vous plaît. Laissez-moi juste un peu plus de temps, je vous en supplie.

  • Ceci n'est pas de votre ressort, cracha un autre, pâle. Apprenez à rester à votre place.

  • Non mais vous vous prenez pour qui ? Ce n'est qu'une enfant, putain, hurla-t-elle, ses tentatives de rester calme brisées. N'a-t-elle pas déjà assez souffert ? Comment voulez-vous qu'elle s'en sorte ? Mettez-vous à sa place, merde ! Bande de...

Orihime ne comprenait rien, mais alors, rien du tout. Qui étaient ces hommes ? Que voulaient-ils ? Et de quoi parlait l'infirmière ? Pourquoi avait-elle l'air si affolée, si en colère, tout à coup ? Cependant, lorsqu'elle vit le presque métis faire un signe au cinquième et dernier homme à avoir passé le pas de la porte et que celui-ci empoigna avec force le bras de Haruna, elle comprit que c'était suffisamment grave pour qu'elle s'inquiète.

Avec une violence mal contenue, il la vira de la salle avant de fermer la porte à clés. Les cris de Haruna, qui hurlait le prénom de l'hospitalisée, retentirent dans le couloir quelques secondes, mais furent soudainement étouffés, avec une telle brutalité qu'Orihime s'affola. Aussitôt, l'un d'entre eux alla jeter un coup d’œil à la fenêtre, examinant les environs, avant de s'approprier les commandes des stores. Puis, sous les yeux attentifs de la rouquine qui se sentait vraiment dans un film de science-fiction, il les abaissa tous, les plongeant dans une obscurité rapidement brisée lorsqu'un autre alluma une petite lumière, rendant l'atmosphère encore plus étrange qu'elle ne l'était déjà.

Puis ils se postèrent tous devant son lit, parfaitement alignés, les bras croisés dans le dos, leurs lunettes de soleil braquées sur la frêle jeune femme qu'elle était. Elle déglutit et posa son regard sur ses mains, incapable de supporter les lourds regards -bien que masqués- de ces inconnus. Elle se sentait vraiment mal, là.

« Que... Que puis-je pour vous ? Demanda-t-elle timidement en leur adressant un petit sourire. »

Celui au centre, le plus grand des cinq, un asiatique costaud au crâne dépourvu de cheveux, se pencha sur son lit et abaissa ses lunettes, laissant apercevoir un regard bleu aussi froid que celui d'un tueur. Orihime frissonna et eut un mouvement de recul.

« Votre amie, Tatsuki Arisawa, est morte. »

La sentence tomba brutalement, sans le moindre tact, telle un boulet de canon, une tornade, un tsunami. Il avait parlé d'une voix claire, impassible et détachée, comme s'il annonçait la chose la plus banale et sans importance qui soit. Orihime se stoppa mais ne bougea pas. Elle resta figée, son sourire de politesse sur les lèvres, sans rien dire. Elle ne vit pas les sourcils de l'homme se froncer lorsque les appareils se mirent à biper dans tous les sens. De l'extérieur, elle ne montrait aucun signe. Mais à l'intérieur de son corps, c'était autre chose. Pourtant, il n'en tenu pas compte et continua :

« Je vais être clair et rapide. Vous devez oublier ce que vous avez vu, Inoue Orihime. Nous avons enquêté sur vous et sur Tatsuki Arisawa, fit-il en ignorant le long frisson qui traversait la jeune fille. Nous savons tout de vous, et d'elle. Vous n'avez presque pas de famille proche, mais votre tante, elle, a la sienne. Comme Tatsuki avait ses parents. »

Il la regarda un instant et lui laissa le temps d'assimiler ses propos avant d'enchaîner :

« Ceci n'est pas un jeu. Vous ne savez pas qui nous sommes et ne le saurez probablement jamais, mais si vous ne nous prenez pas au sérieux, les conséquences seront irrémédiables. Autrement dit, vous mourrez. Vous et tous les êtres auxquels vous tenez un tant soit peu, ou même si vous n'y tenez pas, toutes les personnes ayant eut un quelconque rapport avec vous, disparaîtront de la Terre, comme l'a fait Arisawa. Je sais que vous êtes intelligente. Je sais que vous comprenez ce que je suis en train de vous dire. Vous avez un avenir brillant devant vous et avez l'occasion de devenir quelqu'un, alors écoutez mes ordres et oubliez toute cette histoire. N'en parlez à personne, car sinon, nous serons intransigeants. »

Orihime eut le souffle coupé. Son sourire s'évapora, ses grands yeux gris s'ouvrirent, alors qu'elle arrêtait de respirer. Son sang se glaça dans ses veines et elle leva vers lui un visage figé et dépourvu de toutes émotions qui visiblement, l'ébranla. Elle venait de se souvenir. Le lycée... Rukia, dans la salle de cours, avec Ichigo et ce deuxième type... Celui qui l'avait surpris... Le visage de Ichigo... « Shirosaki »... Son agression... Et... Tatsuki...

Elle se rappelait de tout, enfin presque. Certains détails restaient flous, comme les visages des deux lycéens qu'elle n'avait jamais vus, comme les phrases qu'Ichigo avait prononcées ou encore comme la façon dont Tatsuki s'était retrouvée dans le vide. Mais elle s'en rappelait. Ça y est, elle se souvenait.

« Vous m'avez compris ? Fit-il en n'attendant évidemment aucune réponse de sa part. Sachez que nous sommes partout. Si vous révélez tout cela à n'importe qui, cette personne mourra sur le champ, et vous aussi. »

Orihime l'écoutait, avec un visage de marbre. Oui, elle était intelligente, il avait raison. Et elle était assez douée pour distinguer le bluff et le mensonge du sérieux. Et là, il n'y avait pas plus sérieux que cet homme. Alors elle prenait tout ce qu'il disait, enregistrait chaque parole et laissait la douleur envahir son être sans la moindre résistance. Chaque parcelle de son corps se mit à se fissurer, les craquelures se mirent à dessiner sa personne.

Puis, il se releva et remit ses lunettes sur son nez.

« Tatsuki a fait une mauvaise chute dans l'escalier du lycée. Vous étiez restée en bas. Elle vous avait affirmer avoir oublier sa veste dans la salle. Vous avez attendu, puis vous êtes précipitée quand le bruit à retentit. Elle était déjà morte. Vous avez appelez les secours avant de vous évanouir, en état de choc. Vous n'avez pas vu Rukia Kuchiki dans cet établissement ce soir-là et personne d'autre non plus. Vous vous êtes réveillée à l'hôpital, on vous a fait des test, et vous êtes partie. C'est ce qui est écrit sur votre rapport des faits, et aussi sur les écrits des légistes. L'enquête est close, ce fut un tragique accident. Et ne pensez pas pouvoir en parler à la police ou qui que ce soit d'autre, je vous répète, nous sommes partout. Absolument par-tout. »

Et là, Orihime tilta. L'homme continua son monologue, elle ne l'écoutait plus. C'était donc pour protéger Rukia, ou plutôt la réputation de sa famille.

Et alors que le discours continuait, le corps de la rouquine fut secoué de petits spasmes. Mais cette fois-ci, elle ne pleurait pas. Non, elle rigolait. Les yeux écarquillés, elle rigolait. C'était une blague, hein ? Tout ça ne pouvait pas être vrai, n'est-ce pas ?

Ce fut le déclic.

Le visage de la rouquine se plissa et se contracta, combinant colère, désespoir et humour. C'était affreusement effrayant. Elle porta ses mains à son visage et se tira les joues, puis les cheveux, se labourant la peau.

Tatsuki n'était pas morte, c'était impossible. Tatsuki était chez elle, paisiblement allongée dans son canapé, à regarder la télévision avec son père et sa mère qui l'aimaient énormément. Tatsuki allait bientôt l'appeler pour se faire une sortie ciné ou lui proposer de venir dormir à la maison. Tatsuki et elle partiraient dans quelques jours dans le Sud du Japon avec ses parents pendant près de deux semaines, et elle les remercierait mille fois de l'avoir emmenée. Et à la rentrée, Tatsuki et elle iraient ensemble jusqu'au lycée et Orihime la tirerait par la main pour monter les escaliers.

Tout cela était faux. C'était tout bonnement impossible et inconcevable. Orihime n'était pas face à cinq hommes qui la menaçait sous peine de mort de ne rien révéler sur l'atroce meurtre de sa meilleure amie juste pour protéger la réputation d'une us !famille de riches qui serait salie si le monde apprenait que leur fille adoptive était en réalité une petite putain.

Non, c'était impossible, puisque Tatsuki n'était pas morte. C'était un cauchemar, un horrible cauchemar. Et bientôt, Orihime allait se réveiller. Non, pas bientôt, maintenant.

Et soudainement, Orihime se laissa tomber au sol, imposant à son corps une intense douleur qui résonna dans ses entrailles. Mais cette souffrance, ce mal, n'était rien comparé à celui qui torturait son cœur.

Et là, elle se fracassa sa tête contre le carrelage avec une force inouïe.

« Je vais me réveiller. Je vais me réveiller ! »

Passant outre la douleur, elle continuait à cogner son propre crâne contre le dur sol, ignorant le liquide rougeâtre qui le colorait maintenant. Une image tournait en boucle dans son cerveau endommagé. Et en revoyant mentalement le corps déformé de sa meilleure amie gisant sur le béton, baignant dans son propre sang, Orihime se mit à hurler. Ils venaient tout bonnement de détruire, de réduire à néant la fille déjà meurtrie qu'elle était devenue.

 

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« Bienvenue en Enfer, Bébé. »

Poussant un hurlement de frayeur, elle se redressa vivement, réveillant au passage la douleur qui torturait ses côtes. Elle s'atténuait, avec les jours, et les plaies qui parsemaient son cou, ainsi que sur son crâne, cicatrisaient petit à petit. Cela faisait trois jours qu'Orihime était sortie du comas, mais cela faisait également trois jours qu'elle était plongée dans un état second, totalement comparable avec son comas.

Inoue n'était plus cette jeune fille emplie de compassion, de gentille et de tendresse. Elle n'était plus cette lycéenne au sourire accroché à ses lèvres, dotée d'un optimisme incroyable et d'un altruisme à toutes épreuves. Elle n'avait plus cette envie de croquer la vie à pleines dents. La vie, elle n'en voulait plus. Maintenant, elle était seule. On lui avait tout pris. Tout ce qu'elle avait eu un jour avait fini par disparaître. Et aujourd'hui, Tatsuki était partie. Et même si elle refusait de l'entendre et de l'accepter, elle devrait tôt ou tard faire face à la réalité.

Orihime était un ange. A son insu, certes, mais un ange quand même. (???) Elle avait toujours aidé les autres, avait toujours fait passer le bonheur d'autrui avant le sien. Mais aujourd'hui, son cœur était vide. Tout amour l'avait quitté. On lui avait coupé ses ailes, retiré ses plumes, on lui avait brisé toute raison d'être et on l'avait largué dans les plus profondes des Ténèbres, là où personne ne pourrait jamais la retrouver. L'ange avait été déchu, et maintenant, il tombait, tombait, tombait et était tiré vers les Enfers.

Depuis son réveil, Orihime n'avait pas versé une larme. Elle s'était fracassé le crâne contre le sol lors de sa « grosse crise » comme l'avaient appelée les infirmières, mais elle n'avait pas laisser apparaître la moindre trace de tristesse sur sa face figée. Elle n'avait pas dit mot, se contentant de hocher la tête de temps en temps, quand cela s'avérait vraiment nécessaire. Et à vrai dire, personne ne s'en souciait.

Orihime était détruite. Elle repoussait la réalité et la douleur qui allait avec, pour s'éviter la plus insupportable des souffrances. C'était pour cela qu'elle se répétait intérieurement que Tatsuki était toujours là, avec elle. Elle avait déjà perdu son frère, elle ne supporterait pas de perdre son seul rattachement au monde des Hommes. Alors elle avait braqué son cœur et son esprit et avait préféré le vide à la désolation, le néant au désespoir.

Le téléphone avait sonné, une fois. Sa tante, qui avait également été visitée par les « hommes en noirs », bien qu'ils aient tenus un discours différent, l'avait appelée. Pas pour prendre de ses nouvelles et l'aider à surmonter cette épreuve, non, mais pour lui informer qu'elle avait un nouveau studio, un nouveau lycée, qu'elle devait maintenant se débrouiller, ne pas leur attirer d'ennui et que si jamais il arrivait quoi que ce soit à sa famille, par sa faute, elle le paierait très cher. Ce long monologue ponctué de sanglots et de hurlements hystériques avait duré assez longtemps, mais à aucun moment, la voix de crécelle de sa tante ne s'était inquiétée de l'état de la jeune fille.

 

Trois autres jours passèrent ainsi. Orihime ne mangeait plus et les infirmières furent forcées de l'alimenter par transfusion, pour ne pas la laisser pourrir. Elles la voyaient dépérir à petit feu, mais aucune d'entre elles ne chercha à l'aider ou à lui parler. La rouquine apprenait tout doucement à réutiliser ses membres engourdis et négligés qui avaient perdus de leurs capacités et se réappropriait son corps. On lui fit passer un tas d'examens, de tests, on lui nettoya la cicatrice qui ornait maintenant son torse, ainsi que celles qui gorgeaient maintenant son corps entier et son crâne, on la bourrait de médicaments tous les jours, et on la désinfectait de la tête aux pieds. Inoue passait son temps allongée sur son lit, à fixer le mur bleu opposé, sans penser, sans bouger. Elle se coupait du reste du monde et se focalisait sur le silence et la couleur de cette façade au papier peint légèrement écaillé. Elle fuyait le sommeil et encaissait la fatigue, étant donné qu'elle ne pouvait pas aligner trois heures de repos sans être réveillée par un violent cauchemar qui la faisait hurler, le seul moment de la journée où elle parlait.

Elle était littéralement détruite et traumatisée. Elle avait perdu l'usage de sa voix, et ses beaux yeux gris qui frôlaient aujourd'hui le blanc ne reflétaient que le vide qui la dévorait petit à petit de l'intérieur. Elle se laissait mourir, s'abandonnait à la solitude, au néant, et personne n'intervenait.

Le seul moment de la journée qu'elle appréciait, c'était quand Haruna venait la voir, pendant la nuit. La seule infirmière qui se souciait vraiment d'Orihime avait été retirée du service, et virée de l'établissement, pour une raison qu'elle ignorait. Elle se faufilait donc discrètement, lui fournissant des médicaments pour la suite, l'aidant, lui parlant, mais à chaque fois, le manque de temps et les rondes du personnel la forçait à fuir. C'était uniquement durant ces courtes périodes qu'une lueur apparaissait dans les prunelles de la lycéenne, et Haruna le remarquait évidemment. Mais au bout de quelques jours, Orihime remarqua qu'il fermait maintenant sa porte à clés, et son seul échappatoire à la solitude disparut, une fois encore.

Une autre infirmière était donc venue lui annoncer qu'à cause de l'intervention de ces hommes, son passage à l'hôpital serait effacé par je ne sais quel tour de magie, et que du coup, elle ne pourrait pas avoir de suivi et d'ordonnances pour son opération. D'où le stock de produits que lui avait fourni Haruna, anticipant l'inévitable.

Lorsqu'Orihime posa un pied hors de l'hôpital, elle ne comprit pas de suite où elle était ni dans quel monde elle se trouvait. Le soleil ne lui paraissait plus si lumineux, il ne la réchauffait plus. L'aube lui semblait moins claire, beaucoup plus sombre qu'elle ne l'était auparavant. Le vent était maintenant plus violent à ses yeux, plus dur, moins clément. Le ciel avait l'air moins pur, comme souillé par ses propres ténèbres. Le bruit semblait sourd à ses oreilles. Le monde était soudainement devenu terne à ses yeux.

Elle ne regardait plus les enfants jouer avec une étincelle brillant au fond de ses yeux, elle ne caressait plus tous les animaux qui passaient à un rayon de moins de quinze mètres, elle ne contemplait plus le ciel en déblatérant des conneries sur le fait qu'elle voulait être un oiseau et elle ne regardait plus non plus les vendeurs de beignets, de donuts et de toutes autres sucreries. Les couleurs et la gaieté n'avaient plus de sens. La joie, elle ne connaissait plus.

Orihime avait perdu le goût de vivre. Et ce fut d'un pas lent, sans même avoir jeté un seul regard aux alentours qu'elle arriva à la porte de son studio en question. Elle poussa le battant déjà ouvert, toutes ses affaires étaient bien là. Elle ne prit pas la peine d'examiner les lieux, ou de ranger ses affaires. Non, elle se contenta de sortir le cadre comportant la photo de son grand-frère, la posa bien en évidence sur un meuble de bois noir, avant de s'écrouler sur le sol froid et d'y rester, allongée, les yeux grands ouverts et rivés sur l'image. Orihime resta toute la journée ainsi, se levant uniquement pour aller aux toilettes, et finit même par s'endormir contre le parquet.

Personne n'était là pour elle. Elle n'avait plus rien. Au fond d'elle, elle ne voulait pas souffrir, elle ne voulait rien ressentir. Son cœur s'était donc barricadé derrière un mur de briques inébranlable qui se fortifiait avec le temps. Ayant pour seule amie la solitude, elle cessait d'exister et s'abandonnait au néant, là où plus rien ne l'atteignait. Les volets fermés, elle passa ses vacances scolaires dans l'ombre et n'en sortit pas. Elle n'avait plus rien à faire de sa vie et attendait patiemment que quelqu'un ait besoin d'elle ce qui, évidemment, n'arriva pas. Les jours défilaient, tous aussi ternes et sombres que les précédents.

Elle n'avait plus la notion du temps et ne se rendait compte de rien. Plus d'une semaine passa ainsi, dans un silence des plus complets. Elle ne mangeait qu'un ridicule bout de pain de temps en temps accompagné d'un verre d'eau. Elle se lavait de temps en temps, sans voir les jours passés, et se désinfectait ses différentes plaies avec négligence. Dormir était devenu inconcevable pour elle. Elle fuyait le sommeil, effrayée à l'idée d'être de nouveau hantée par ces mêmes cauchemars qui la brisaient un peu plus à chaque fois. Alors elle luttait, du mieux qu'elle pouvait, mais quand la fatigue devenait trop forte, elle ne pouvait rien faire et d'horribles images venaient s'insinuer dans son esprit, pareilles à d'effroyables serpents. Le reste du temps, elle le passait à fixer le vide, immobile, impassible, les yeux dépourvus de la moindre émotion.

Aujourd'hui, nous étions le 25 Mars. Et pour la première fois depuis longtemps, Orihime fit quelque chose de sa journée. La fatigue la torturait, et sa volonté ne suffisait plus. Il fallait qu'elle bouge pour rester éveillée. Rentrant pour la première fois dans la chambre qui était la sienne, elle se décida donc à ranger ses quelques vêtements dans le placard qui meublait la pièce. Ses muscles, devenus tous mous, la portaient avec peine, et elle devait faire de gros efforts pour déplacer les tissus. Un uniforme de lycéenne se trouvait suspendu à un cintre, dans le fond de son armoire. Elle le toucha. Il était composé d'une chemise blanche basique, décorée d'un petit blason au niveau du cœur, et d'une courte jupe plissée bleue marine, évasée et accordée à la veste blazer qu'elle se devait de mettre en hiver. Avec ceci, de simples jambières blanches et de petites chaussures grises foncées assorties au nœud papillon.

Orihime n'avait pas d'envies. Mais ce qu'elle ne voulait pas faire, c'était aller au lycée. Alors elle repoussa l'uniforme et le dissimula derrière un large pull d'hiver, préférant de nouveau la fuite à l'affrontement. D'un pas lent, elle se traîna aux toilettes, et alors qu'elle allait s'asseoir sur la cuvette, elle vit qu'inévitablement, après plus d'une semaine passée ici sans sortir, il n'y avait évidemment plus aucun papier : tous les rouleaux étaient vides. Elle eut beau fouiller les quelques placards de son appartement, il n'y avait plus rien, ni papier, ni nourriture, ni produits. Et puis elle allait devoir acheter ses fournitures scolaires, aussi. Elle n'avait pas le choix, elle devait sortir.

Alors, après s'être vêtue du premier pantalon qu'elle trouvait et d'un tee-shirt quelconque, elle enfila de confortables basket et sortit avec le peu d'argent qui lui restait. Ah oui, il y avait ça aussi, elle allait devoir se trouver un travail. Sur la table du salon, elle trouva son téléphone dépourvu de batterie et le mit à charger avant de partir.

Il avait beau faire chaud, son corps était glacé et elle frissonnait à chaque coin de rue. Heureusement pour elle, un supermarché se trouvait à seulement quelques pâtés de maison, elle s'y engagea. Une demi-heure plus tard, après avoir seulement prit l'essentiel, autrement dit, quelques cahiers, du papier toilette, des stylos et du riz, elle sortit avec ses gros sacs de course aux mains.

Elle eut beau voir de gros nuages noirs se former dans le ciel, elle ne pressa pas le pas, les yeux rivés sur le trottoir qui s'étendait devant elle. Quelques gouttes solitaires se mirent à tomber, si fines qu'elle les sentit à peine.

Mais sur le chemin, elle entendit de nombreux bruits et les cris enthousiastes qui tonnaient attirèrent son attention. Pour la première fois depuis qu'elle était sortie, Orihime leva la tête, sortit de ses pensées et considéra le groupe de gens qui s’agglutinaient près d'un bar, qu'elle n'avait pas remarqué à l'allée.

Ils étaient à peu près une dizaine, formant un cercle autour d'une femme aux longs cheveux oscillant entre le blond et le roux. Elle avait un visage sublime et un corps tout aussi parfait qui ferait baver le plus insensible des hommes. Si Orihime n'avait pas été plongée dans une sorte de dépression, elle aurait remarqué que la plupart d'entre eux avaient un peu bu. Mais la jeune fille était littéralement absorbée par le rayonnant sourire qui étirait les lèvres pulpeuses de la blonde vénitienne. Elle était si... Lumineuse.

Ils criaient, leurs verres à la main, se collant les uns aux autres, se donnant des accolades. Sous le porche du bar, les éclats de rire résonnaient et ils se mirent à chanter sous les yeux amusés des autres clients, dont certains qui se joignirent à eux. Les sourires qui illuminaient leurs visages respectifs étaient si sincères et si éclatants...

Orihime se figea et ouvrit légèrement la bouche. Avant, son cœur aurait été touché et réchauffé par tant de joie. Mais aujourd'hui, cela la faisait souffrir. La douleur commença à briser ses résistances, fissurant sa carapace et elle grimaça. Elle resta là, les yeux rivés sur ce groupe qui riait comme elle ne pourrait plus jamais le faire.

  • Kampaï, entendit-elle. Aux dix-neuf ans de Rangiku !

  • Kampaï !!!

Orihime referma la bouche. La pluie coulait maintenant à flot sur son corps déjà trempé. Les gouttes ruisselaient sur son visage, remplaçant ses larmes qui refusaient de couler.

 

 

L'homme était atrocement effrayant. Son teint était si blanc, si pâle, que c'en devenait effroyable. Ses cheveux roux semblaient perdre de leur couleur, petit à petit, pour s'orienter vers un écœurant gris clair et ses yeux s'emplissaient de noir et de Ténèbres, contrastant avec ses iris colorées d'un infect jaune malsain. Le monstrueux sourire carnassier qui étirait ses lèvres lui fendait sauvagement le visage, pour venir frôler ses oreilles. Il était terrifiant. Effroyablement terrifiant. Plus terrifiant que n'importe qui.

Il se pencha et plongea son innommable regard jaunâtre dans celui de sa victime.

«Oh oui, fit-il en ricanant de sa voix abominablement grinçante. J'aime quand t'as cette putain d'expression, tu l'sais ça ? Ça m'excite de lire tout ce désespoir, toute cette tristesse en toi. Ça te va si bien !»

Et là, il tendit sa main cadavéreuse vers elle.

 

« NON !!! » 

Essoufflée et au bord de la crise cardiaque, Orihime se redressa avec violence de son petit fûton. Des gouttes de sueur perlaient sur son front, et son cœur menaçait de sortir de sa poitrine. Comme à chaque fois qu'elle faisait cet horrible cauchemar, la jeune fille avala un verre d'eau d'une traite et se passa les mains sur le visage. Avec force, elle appuya ses paumes moites sur ses fragiles paupières, faisant naître des milliers de petits points lumineux dansant sous sa peau, comme pour faire disparaître ces horribles images de son champ de vision.

Dès lors qu'elle eut reprit son calme, l'impassibilité réapparut sur son visage et son expression se figea pour le restant de la journée. Elle repoussa son drap et passa une main dans ses cheveux, main qui resta coincée, pour cause de nœuds. Quand s'était-elle coiffée pour le dernière fois ?

Orihime se leva et considéra l'uniforme qui trônait sur son bureau, bien en évidence. Ah oui, c'était la rentrée aujourd'hui. Nous étions le premier avril. Une nouvelle année, de nouvelles personnes... A cette simple idée, sa poitrine se serra. Elle appréhendait tant, au fond d'elle, même si elle ne laissait rien paraître. A vrai dire, elle aurait tout fait pour ne pas avoir à y aller. Alors, quand elle vit sur l'horloge qu'elle avait une vingtaine de minutes de retard, elle poussa un soupire, décidant de prendre la fuite, à nouveau. C'était plus facile.

Pieds nus, elle s'aventura dans son talon et resta immobile quelques temps. Elle alluma sa télévision, non pas pour la regarder, mais juste pour qu'il y est un bruit de fond, et qu'elle n'ait pas l'impression d'être aussi seule qu'elle l'était. Et alors qu'elle se dirigeait vers la salle de bain, elle vit son vieux téléphone posé sur le meuble, en train de charger depuis des jours.

Elle le débrancha et l'alluma. La sonnerie retentit, et l'instant d'après, son écran d'accueil affichait un nouveau message. Son cœur rata un battement quand elle comprit de qui il s'agissait. Les parents de Tatsuki. Ils l'avaient appelé à plusieurs reprises et avaient fini par laisser un message vocal.

Avec réticence, elle le mit en marche et approcha l'appareil de son oreille comme s'il était sur le point d'exploser. Et lorsqu'elle entendit la voix fébrile de la mère de sa meilleure amie, elle manqua de s'écrouler. Elle avait énormément de mal à parler et les efforts qu'elle faisait pour ne pas fondre en larmes s'entendaient même de l'autre côté du fil. Lorsqu'elle prononça le prénom d'Orihime, sa voix se brisa, elle craqua, s'effondra et la jeune fille entendit son mari qui derrière, l'épaulait et la soutenait. Il prit le téléphone quelques secondes, parla également à Orihime, affirmant qu'il voulait savoir si elle allait bien.

Orihime écarquilla ses yeux, brutalement rattrapée par la réalité, sa propre réalité. Elle venait de se prendre une gifle magistrale, un boulet de canon, et tous ses efforts pour repousser la douleur s'évanouirent au fil de l'enregistrement.

Sa mère reprit la parole. A travers ce message, la jeune Inoue pouvait ressentir toute la souffrance qu'avaient ressentis -et ressentaient encore- ses parents. Ils souffraient, certainement plus encore qu'elle, et la culpabilité l'envahit aussitôt. Elle, elle avait fui. Elle, elle avait refusé la réalité. Elle, elle avait choisi la facilité. Mais eux, ils y avaient fait face. La mère de Tatsuki ne s'en doutait pas, mais ce message venait de briser la carapace de la meilleure amie de sa défunte fille. Ce message venait d'une certaine façon, de lui sauver la vie.

« Tatsuki est... Elle est à Karakura. Dans le ci... Cimetière de Karakura. Je... Je t'en prie, va la voir. Ne... Sanglota-t-elle. Ne reste pas seule. Tu peux venir, Orihime... Tu peux venir ici, quand tu veux ! »

Et après quelques mots très émouvants, elle raccrocha. Orihime reposa fébrilement le téléphone sur le meuble et resta immobile. Pendant plus de cinq minutes, elle resta figée, à observer le mur, secouée de brusques spasmes. Puis, brutalement, elle fit volte-face et enfila ses chaussures à une rapidité hallucinante. Sans même se soucier d'être vêtue d'un simple pyjama, elle claqua la porte de son appartement et le ferma avec précipitation, d'une main tremblante.

Dehors, elle eut un temps de réflexion. Elle n'était pas dans son ancien appartement. Orihime habitait encore à Karakura, mais dans une zone bien plus lointaine. Alors... La gare ! Elle marcha sans relâche d'un pas pressé jusqu'à la gare routière, sans relever les regards que les gens lui lançaient. Ses jambes étaient faibles et sa régression de capacités musculaires se faisait sentir, mais elle prit sur elle et puisa dans ses ressources. Et c'est alors qu'elle remarqua que la région dans laquelle elle vivait n'était pas des plus communes. A à peine quelques rues de la sienne se trouvaient des quartiers plutôt... Agités, dirons-nous.

Les vitres des voitures étaient brisées, les poubelles étaient renversées sur la route et la plupart des passants, pour la majorité masculin, la regardaient avec de grands yeux. Nombre d'entre eux étaient en groupe, posés sur le capot des voitures, bouteilles et joints à la main. Orihime n'y prêta pas attention. En temps normal, elle aurait été effrayée, scandalisée, et aurait changer de chemin. Mais elle ne semblait pas réaliser ce qui se passait autour d'elle et aujourd'hui, elle se fichait bien de savoir ce qui se tramait dans ses sombres rues. Après tout, elle n'avait plus rien à perdre.

Son attention ne fut attirée que lorsqu'elle remarqua une étrange tâche bleue sur le sombre paysage. Sans toutefois arrêter sa marche, elle considéra le jeune homme à l'extraordinaire chevelure bleue, en train de tabasser quatre autres gaillards qui ne firent pas long feu. Malgré le feu de l'action, il prit le temps de la regarder, et lorsqu'elle croisa son regard bleu glacial, elle y lut une fureur enflammée qui aurait du lui faire froid dans le dos. Mais elle ne semblait pas le considérer réellement, et sans ciller, continua son chemin.

Lorsque la jeune rouquine descendit du bus, elle accéléra considérablement la cadence. Elle savait parfaitement où se trouvait le cimetière de Karakura, pour y avoir passées des journées entières, et ce depuis des années. Et au bout d'un moment, elle se retrouva à courir, traçant comme si sa vie en dépendait. Ses poumons étaient surmenés, ses jambes menaçaient de lâcher à tout instant, son cœur s'emballait, mais elle ne ralentissait pas le rythme. Il en était hors de question. Elle gravit les collines en retrouvant peu à peu ses émotions et ses pensées, se ressassant mentalement les paroles de Madame Arisawa, ces paroles qui l'avaient bouleversée. Tout lui revenait, à présent. Elle revenait à la réalité.

Une dizaine de minutes après, elle évoluait précipitamment entre les tombes, recherchant le caveau qui l'intéressait. Elle se souvint être venue, une fois, il y a longtemps, pour l'enterrement de la grand-mère Arisawa. Et bientôt, elle le trouva. Orihime fit un premier pas, essoufflée, les cheveux en bataille, son corps surmené. Puis un second. Elle s'avança, hésitante, les jambes flageolantes. Plus elle s'approchait, plus son corps tremblait. Elle ferma les yeux l'espace d'un instant et quand elle les rouvrit, elle était à quelques centimètres de la pierre tombale.

En lisant les symboles écrits sur la façade, la volonté toute entière d'Orihime fut brisée. Tout s'arrêta.

Tatsuki Arisawa.

Son cœur, qu'elle avait protégé et barricadé, réapparut et la douleur fut telle que ses genoux flanchèrent instantanément. Son visage se décomposa et dans un gémissement, elle s'écroula contre la pierre froide, complètement effondrée. Son souffle se coupa tant la douleur était intense, ses genoux se cognèrent contre le marbre et sa barrière de défense contre les émotions s'effondra instantanément.

Au plus profond de soi, c’est une déchirure par où t'envahit la nuit en plein midi.

Orihime, qui avait repoussé la réalité pendant presque un mois y était maintenant brusquement confrontée. Elle avait refusé de souffrir et s'était repliée sur elle-même, se répétant sans cesse que Tatsuki était encore là. Mais là, elle devait se faire à l'idée. Les symboles qui ornaient la pierre tombale étaient clairs. Elle venait de réaliser que sa meilleure amie avait réellement disparue, et n'était plus de ce monde.

Oui, Tatsuki n'était plus là. Elle ne viendrait plus jamais toquer à la porte de son logis pour l'emmener en cours. Elle ne l’appellerait plus jamais à la fin de ses entraînements de judo pour lui raconter une anecdote. Elle ne la réprimanderait plus à chaque action idiote que faisait Inoue, comme sauter du premier étage et s'accrocher à la gouttière pour descendre dans la cour. Elle ne s'indignerait plus lorsque celle-ci mettrait du chocolat dans ses haricots rouges. Elle ne serait plus jamais là pour elle. Plus jamais.

A cette idée, la poitrine toute entière de la rouquine se retourna et elle manqua de s'étouffer. Cette brutale prise de conscience faillit la tuer sur place. Effondrée, elle colla son front contre la paroi de la pierre et pour la première fois depuis sa mort, des larmes coulèrent de ses yeux écarquillés. Toutes ses larmes qu'elle avait retenues et conservées depuis tout ce temps s'évadèrent de la prison qu'étaient ses yeux et vinrent s'écraser sur les fleurs encore fraîches de l'enterrement de son urne.

Tatsuki avait disparue, pour toujours. Plus jamais elle ne la verrait se mettre en colère. Plus jamais elle ne la verrait jouer au foot. Plus jamais elle ne verrait son magnifique sourire, qui apparaissait de temps en temps. Plus jamais elle ne la verrait combattre. Plus jamais elle ne verrait son éclatant visage et ses longs cheveux noirs. Plus jamais elle ne croiserait son incroyable regard bleu foncé qui lui donnait l'impression de pouvoir soulever des montagnes.

Tous leurs moment partagés ne seraient plus que souvenirs et jamais elles ne deviendraient adultes ensemble, comme se l'était si souvent imaginé la jeune lycéenne. Elle s'était représentée, elle, aux côtés de Tatsuki lors de la remise des diplômes ; en témoin au mariage de sa meilleure amie, vêtue d'une somptueuse robe blanche assez simple qu'elle l'aurait catégoriquement forcée à porter ; elle s'était représentées, toutes les deux, amenant leurs enfants à la même école le matin, et faire du shopping, même du sport ensemble le samedi ; elle s'était représentée aux futures compétitions internationales de judo, dans les tribunes, en train de féliciter son amie qui gagnerait haut la main. Elle s'était imaginé des tas de scènes, des tas d’événements. Mais tout cela n'arriverait jamais.

Maintenant, Orihime était seule. Complètement seule.

Elle avait perdu sa meilleure amie. Elle avait perdu une perle. Elle avait perdu sa sœur.

L'oxygène avait du mal à entrer dans ses poumons. La rouquine porta une main à son cœur. C'était si douloureux. Plus douloureux que tout ce qu'elle avait pu ressentir dans sa vie. On lui avait pris Sora, et maintenant, c'était Tatsuki.

Tu déplores ta tristesse, tu maudis l'éphémère.

Une rivière de larmes s'écoulait maintenant sur son visage déformé par le désespoir. Et là, elle se mit à hurler. Elle hurla de souffrance et de désolation, elle hurla de tristesse et d'affliction. Elle hurla toute la douleur qu'elle avait en elle, maudissant le monde entier de lui avoir supprimé sa seule raison de vivre. Elle haletait, criait, gémissait sous le soleil qui la narguait en brillant de plus belle.

Pourquoi cela lui était-il arrivé à elle ? Pourquoi elle ? Pourquoi Tatsuki ? Pourquoi ? Orihime ne s'en remettrait jamais. Cette fois-ci, elle ne se relèverait pas. La douleur était insupportable, la culpabilité l'envahissait peu à peu. Elle ne pourrait jamais enduré tout cela. Le vide se creusait dans son cœur, laissant la douleur y pénétrer violemment, elle le sentait distinctement.

Vinrent s'ajouter à ça la colère, la rancœur incroyable qu'elle se mit à alimenter à l'égard de celui qu'elle connaissait sous le nom d'Ichigo Kurosaki. Il lui avait pris l'être le plus cher qu'elle avait. Elle ne lui pardonnerait jamais.

Orihime donna un faible coup de poing sur le sol et cria d'une voix brisée et teintée de détresse :

« TATSUKI ! »

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