Quand souffle le vent d\'automne...
La neige recouvrait petit à petit le sol et les toits de la ville, l’air ambiant étant juste assez froid pour lui permettre de tenir à contrecoeur, mais pas assez du moins pour épaissir la fine couche qui offrait au paysage un léger manteau blanc.
Yuna leva les yeux vers les arbres dénudés de leurs feuilles, soufflant dans ses petites mains pour les réchauffer. Elle trouvait l’environnement triste sans les teintes plus ou moins accentuées de vert, comme au printemps, ou en été, ou les couleurs se dégradaient pour former des amas et des mélanges inoubliables. Yuna aimaient bien passer des heures à observer les différentes nuances qu’un bourgeon peut avoir lors de la saison du renouveau, ou l’explosion de vie qu’une simple fleur de cerisier pouvait offrir au regard. Mais l’Automne, c’était une autre histoire.
Ses couleurs chatoyantes, ses teintes délicates de rouge frangé d’or ou de pourpre et d’orange, mélange de vert, de jaune et de brun chaud que cette saison donnait aux feuilles des arbres, ce vent discret, mais froid et vif qui annonçait les frimas de l’hiver dont les doigts de givre dénudaient déjà les arbres de leurs robes de feuillage…
Bien sur, Yuna aimait le blanc, mais pour elle, vert, brun, jaune, rose, rouge… Toutes ces couleurs étaient celles de la vie, et l’on ne pouvait se passer de ces couleurs…
Le blanc la rendait un peu nostalgique, aussi.
Parce qu’il lui rappelait Sianadel.
La fillette ne l’avait pas revu depuis ce jour où elle lui avait serré les doigts après s’être présentée. Elle n’arrivait pas à comprendre la raison pour laquelle il avait soudain fui, laissant Yuna désemparée, mais le cœur un peu apaisé. Sans qu’elle ne puisse dire pourquoi, la présence de cet être étrange l’avait calmée et réconfortée. Lorsque Hotaru l’avait retrouvée, Yuna souriait. Elle avait prit la main de sa mère et l’avait suivie en jetant un dernier coup d’œil dans son dos, mais il n’y avait vraiment plus personne…
Et maintenant, le mois de Novembre avait étendu sa couverture de givre sur le monde, précédent Décembre et ses grands froids. Yuna venait de fêter ses 6 ans.
Regardant la neige tomber et la sentant piqueter ses cheveux blonds d’étincelles blanches, elle sourit. Si seulement il pouvait y en avoir plus, elle pourrait faire un ange dans la neige !
- Yuna ! , lança sa mère depuis la maison, Ne reste pas dehors trop longtemps, tu risques d’attraper froid !
- Oui, Maman !
Tandis qu’Hotaru refermait la fenêtre qu’elle avait ouverte pour garder la chaleur à l’intérieur, le regard argenté de Yuna tomba sur une petite pousse surprise par le gel et le froid. Des cristaux des givres, étincelants de délicatesse, s’étaient posés sur la tige, la condamnant irrémédiablement au trépas.
Yuna s’accroupit et fixa la pousse tendre avec intensité. Puis, pour parfaire son équilibre, elle posa ses deux mains de part et d’autre de la plante emprisonnée dans un carcan de glace, ses doigts rougis par le froid s’enfonçant dans la mince couche de neige et lui brûlant la peau.
Soudain, elle sursauta.
Une intense chaleur semblait monter de la neige, juste sous ses paumes qu’elle avait l’impression d’avoir à vif. Il y avait également une légère vibration, mais qui semblait venir d’elle-même, de son corps, et se propager dans le sol gelé autour des racines de la plante…
Et sous ses yeux d’enfant émerveillés, la pousse grandit, des bourgeons apparurent et devinrent feuilles aux délicates nervures, juste avant qu’une fleur dont les pétales rouges contrastaient fortement avec la neige si blanche n’éclose. Et tout ça en quelques secondes…
D’abord stupéfaite, Yuna ouvrit ensuite de grands yeux subjugués, où brillait l’étincelle de l’excitation. C’était trop cool, ce truc !
Folle de joie, la fillette sauta sur ses pieds et courut jusqu’à la maison, ouvrant la porte brusquement, ce qui fit sursauter sa mère qui était occupée à se servir une tasse de thé au dessus d’un journal qui annonçait la mort mystérieuse d’une jeune femme, la veille. Le liquide bouillant se renversa sur la feuille, imbibant le papier qui le but comme l’aurait fait une éponge, le rendant illisible.
- Yuna ! , gronda sa mère, agacée, Mais qu’est ce qui te prend, enfin !
- Maman, regarde ! Je fais de la magie ! , s’écria la petite en faisant fi de la colère de sa mère.
Elle attrapa une plante en pot et plaça ses mains de part et d’autre de la tige avant de se concentrer de toutes ses forces.
Rien ne se passa.
Hotaru commença à taper du pied en fronçant les sourcils un peu plus.
Puis elle craqua.
- Ca suffit, Yuna ! , fit-elle d’un ton sévère, Tes plaisanteries ont trop duré et il faut savoir s’arrêter, parfois !
Yuna se recroquevilla sous son regard noir.
- Mais… Maman, je t’assure que…
- Ca suffit, j’ai dis ! Je ne veux plus rien entendre ! Il est temps que tu grandisses !
Le cœur de la fillette se serra et les larmes lui vinrent aux yeux. Pourquoi sa mère ne la croyait-elle jamais ?
Elle éclata soudain en sanglots et fila s’enfermer dans sa chambre avant de se réfugier sous la couette de son lit, serrant contre elle son vieux doudou et la peluche que sa grand-mère lui avait fabriquée pour son anniversaire. C’était un petit fantôme, tout simple, avec un petit sourire triste et des yeux en boutons de bottines, mais si mignon que Yuna l’avait tout de suite aimé. Elle n’avait pas de nom à lui donner pour l’instant, parce qu’elle hésitait encore.
Mais là, elle avait surtout besoin de réconfort.
Ses larmes coulaient, intarissables ruisseaux limpides sur ses joues encore froides tandis qu’elle se roulait en boule contre ses peluches. Pourquoi personne ne la prenait-il au sérieux ? Toute la joie d’avoir fait ce tour de magie avait disparu. Seul restait l’amertume, la peine et la colère…
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Sianadel était assit sur le toit d’une maison non loi, en bonne position pour voir la fenêtre de la chambre de Yuna, mais de sorte que celle-ci ne puisse le voir, lui.
Son ouïe fine avait capté la discussion houleuse, où plutôt la tirade colérique de la grande femme – sa mère, se souvint-il - puis avait entendu Yuna courir et se claquemurer dans sa chambre avant qu’elle ne se mette vraiment à pleurer. Ses sanglots se posaient à ses oreilles comme un oiseau rejoint son nid à la tombée du jour, ou comme une goutte de sang tombe sur le sable blanc du Hueco Mundo, le teintant de pourpre. Il n’arrivait pas à comprendre les larmes de cette fillette qui occupait ses pensées le plus clair de son temps et, s’il ne s’était pas manifesté à elle, c’était parce qu’il ne savait pas gérer ce genre de situation. Il n’avait jamais vu quelqu’un pleurer ainsi, ou peut être que si, mais son ancienne vie était si loin, à présent, que ses souvenirs s’étaient évaporés depuis bien longtemps, comme la brume d’un matin d’Automne…
En fait, avec Yuna, il avait l’impression de… redécouvrir ce monde.
Et les hommes.
Ceux qu’il avait l’habitude de manger, voilà qu’il commençait à s’intéresser à un membre de leur espèce, même si c’était un membre à part…
Derrière lui, sa queue, suffisamment puissante pour couper un Hollow en deux du masque aux pattes, fouetta l’air en sifflant, comme pour masque sa gêne.
Lorsque les doigts de Yuna avaient touché ses griffes, celles là qui l’auraient si facilement déchirée pour la faire hurler de douleur, une sorte de… lien s’était établi entre eux, seulement troublé par l’arrivée de plusieurs Shinigamis qui avaient senti sa présence. Et Sianadel aurait préféré affronter l’ensemble des capitaines de la Soul Society plutôt que d’avouer que…
Qu’il avait apprécié ce contact.
C’était comme s’il avait tenu, l’espace d’un fugitif instant, une bulle de vie entre ses griffes de mort, non, plutôt de la vie à l’état pur, innocente, délectable et si apaisante.
Il aurait pu garder à jamais les mains de cette petite fille prisonnières de ses doigts d’os, mais il savait ça impossible. Il était Hollow, elle était humaine. Elle était le jour, il était la nuit.
Il était la Mort, elle était la Vie.
Mais la Mort avait été tentée, et avait touché la Vie.
Une douleur sourde fusa de son estomac vide, lui envoyant des idées de carnages et de meurtres qu’il refoula sans ménagement. Il ne ferait pas de mal à cette fillette, pour repayer la gentillesse dont elle avait fait preuve à son égard.
Mais là, il avait faim, et devait trouver quelque chose à se mettre sous la dent.
Et vite.
Sianadel se ramassa sur lui-même et bondit le plus loin possible de chez Yuna, sinistre ombre de la faucheuse se découpant dans l’air du soir parsemé de flocons épars. Il atterrit sur le toit d’une supérette avec un choc sourd que les humains, bien sur, ne remarquèrent pas.
Il avait flairé quelque chose.
Une âme, pas très puissante, mais cela lui permettrait de tenir pour qu’il retourne rapidement au Hueco Mundo trucider le Vasto Lorde qui lui cherchait des noises depuis quelques jours…
Fauve de la nuit, machine à tuer silencieuse, Sianadel se glissa jusqu’à sa proie qui ne le vit qu’au dernier moment et qui lâcha un hurlement que personne ne put entendre.
C’était une jeune femme.
Le Vasto Lorde s’efforça de déguster chaque bouchée, tout en se disant que les âmes commençaient à lui paraître… fades et sans goût.
Ou bien l’étaient-elles depuis le début ?