Quand souffle le vent d\'automne...
- Yuna, dépêche toi ! Tu vas être en retard !
- Oui, Maman !
La fillette s’empressa d’enfiler ses bottines et sortit dehors dans l’air frais de ce matin d’Octobre, son souffle créant de petits nuages de condensation.
Elle cala son sac de classe un peu mieux sur son épaule et trottina pour suivre les enjambées plus grandes de sa mère.
Cela faisait deux semaines, à présent, qu’elle avait vu son « Monsieur au Masque ». Le lendemain de sa rencontre avec lui, elle était allée montrer l’endroit à sa mère, mais l’être avait disparu.
- Yuna, avait soupiré Hotaru en regardant autour d’elle d’un air dégoûté et inquiet, Tu es vraiment sûre que tu n’as pas rêvé ?
- Non, maman ! Il était là ! Je l’ai vu et je lui ai parlé !
- Yuna !... Assez, rentrons à présent.
Yuna s’était tue, puis avait fait demi-tour pour suivre sa mère hors de la ruelle. Elle était triste, mais ce n’était pas la première fois qu’Hotaru ne la croyait pas sur un tel sujet.
La fillette, en effet, depuis son plus jeune âge, voyait des choses que les autres ne percevaient pas. Elle pouvait toucher, sentir, entendre et voir d’innombrables choses invisibles aux yeux des autres.
Des fantômes.
De simples âmes, dont la poitrine était ornée d’une chaîne brisée. En fait, les rares amis que Yuna avait eu étaient des esprits, mais avec le temps, ils disparaissaient… La laissant seule de nouveau.
Hotaru la déposa à quelques pas de l’école, selon la demande habituelle de Yuna. La fillette aimait bien marcher avant d’être enfermée pour la matinée dans une salle de classe avec des enfants qui lui vouaient une profonde animosité et un mépris sans bornes. Le vent joua quelques instants dans ses boucles blondes tandis qu’elle regardait la voiture de sa mère disparaître au coin de la rue envahie par les feuilles mortes venues du parc non loin de là. Elle poussa un soupir, la gorge légèrement nouée à penser à cette nouvelle journée éprouvante. Les yeux baissés sur ses pieds, elle se mit en route sur ce chemin qu’elle connaissait à présent par cœur…
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Le soleil nimbait les arbres d’une parure de feu, ce soir là, la lumière réverbérée par les feuilles pourpres et or des géants sylvestres, lorsque la cloche annonçant la fin des cours et le calvaire de Yuna tinta désagréablement aux oreilles des écoliers.
Aussitôt, la fillette ramassa ses affaires, les fourra dans son cartable et sortit presque en courant, manquant de tomber à cause du croche patte qu’un garçon lui fit au passage en ricanant de sa blague si peu intelligente.
Elle fut parmi les premiers à poser le pied dehors et courut sans se retourner jusqu’au petit parc près de l’école et arborant de sublimes couleurs en cette saison. Là, elle s’effondra sur un banc et se mit à pleurer à chaudes larmes, son petit corps agité de soubresauts incontrôlables.
Elle en avait assez. Ce qui s’était passé aujourd’hui était la goutte qui avait fait déborder le vase. Qu’on lui vole ses cahiers, après avoir coupé une grosse mèche de ses cheveux d’un habile coup de ciseaux, pour que le tout finisse dans la cuvette des toilettes, c’était l’étincelle qui avait mit le feu au brasier. Elle aurait tellement voulu se venger, les humilier à son tour… Mais elle était seule, sans amis, sans alliés… Sans personne…
Elle hoqueta pour reprendre son souffle. Rien de ce que lui dirait sa mère ne l’aiderait, cette fois ci… Elle se sentait tellement pitoyable !
Le visage caché dans les mains, Yuna sentit alors une présence en face d’elle. Relevant la tête, elle se figea.
Le Monsieur au Masque.
Il était revenu.
Debout en face de la petite, la créature la fixait de ses yeux bleu nuit, les rayons du soleil allant frapper son armure blanche pour la pailleter d’or.
- Oh ! ..., bafouilla Yuna en s’essuyant les yeux, Vous… Vous allez mieux ?
Le Hollow hocha la tête sans piper mot.
- Eh bien… Tant mieux…Oui, tant mieux…
Elle renifla, puis eut un nouveau hoquet. Maudits pleurs qu’elle n’arrivait pas à ravaler ! Les larmes se remirent à couler et elle recacha son visage dans ses mains.
- Pa… Pardon… J’ai juste besoin de… de…
Elle releva les yeux et les écarquilla en voyant l’être étrange lui tendre un morceau de tissu.
Son mouchoir.
Il était toujours aussi blanc, si on oubliait les légers mouchetés écarlates sur le coté gauche.
- Je suis venu te rendre ça, fillette, déclara-t-il.
Il avait une voix étrange, que beaucoup auraient qualifié d’inquiétante, mais que Yuna trouva…
Apaisante ?
- Mais…C’est une cadeau…On ne rend pas les cadeaux, Monsieur…
Le Vasto Lorde fut désemparé. Un cadeau ? Il était revenu parce que le souvenir de cette petite fille humain revenait toujours, malgré ses efforts pour l’oublier en se plongeant dans la barbarie et le sang. Combien d’Adjuchas, de Gillians et de simples Hollows avaient péri pour sa simple soif d’oubli ? Il avait perdu le compte à partir du 32ème. Il avait même tué un de ses semblables, un Vasto Lorde tout juste né ! Il n’avait tout simplement pas pu résister devant une proie aussi facile… Mais rien à faire. Ni le sang, ni le cri d’agonie de ses victimes, ni la fièvre de la chasse, ni son instinct de prédateur ne lui avait permit d’abandonner ce souvenir si vivace dans sa mémoire…
Il en avait donc conclu que c’était ce bout de tissu qui le gênait et avait prit le risque de revenir dans le Monde Réel pour le rapporter à l’enfant qu’il avait cherché pendant trois jours. Bizarrement, il ne pouvait pas imaginer abandonner ce mouchoir dans le désert de mort de son monde…
Mais au fond de lui, n’était-il pas revenu dans l’espoir de la revoir ? Revoir celle qui avait été la seule à lui témoigner gentillesse et compassion ?
- Vous allez garder une marque ? , demanda la fillette en montrant le sternum du Hollow, sur lequel s’étendait une longue barre rougeâtre et irrégulière.
- …Une parmi tant d’autres…, répondit le monstre d’un ton neutre.
A l’entendre, on aurait dit qu’il s’en fichait, mais Yuna avait arrêté de pleurer et essuyait les dernières larmes accrochées à ses cils.
- …Je m’appelle Yuna. Yuna Senrô, se présenta-t-elle.
La créature la regarda en silence, et la petite rougit sous son regard sombre. Elle n’avait pourtant rien fait de mal…
Après un instant de profond silence, seulement troublé par le chant des oiseaux, le murmure du vent et la circulation lointaine, le Hollow finit par lâcher :
- … Sianadel.
Yuna eut un sourire, puis tendit la main pour serrer celle de la créature. Décontenancé, le Vasto Lorde regarda ces petits doigts pâles et fins qui se tendaient innocemment vers lui. Pourrait-il se contrôler ? Le parfum spirituel de son âme appétissante lui emplissait les narines depuis tout à l’heure, divine tentation à laquelle il se refusait de répondre. Par chance, il avait déjà mangé avant de venir, ce qui voulait dire que c’était plus de la gourmandise que de la faim dévorante…
Avec force hésitations, Sianadel déplia ses griffes et sentit les doigts de Yuna serrer les siens. Elle était chaude comme un petit chat et il sentait le sang tiède circuler sous sa peau.
La fillette, de son coté, ressentait une drôle d’impression. La peau dure de la créature n’était pas à température humaine, sans pour autant être glaciale. Elle était froide, d’accord, mais ni gluante, ni sèche.
C’était… Hors du commun.
Et apaisant.
Mais soudain, Sianadel, d’un coup raide comme s’il s’attendait à recevoir un coup, retira ses doigts et recula sous les yeux incrédules de Yuna. Avec un dernier regard interdit à la fillette, il se retourna et disparut si vite qu’il parut rejoindre le néant…