À ses yeux
Il est incroyable de voir à quel point le temps peut s'accorder à notre humeur. Par exemple, depuis plusieurs semaines, le temps est gris, pluvieux même, avec un orage prêt à éclater. Comme moi. Partout dans mon manoir il fait froid et on peut voir le vent venir frapper contre les carreaux. Comme à l'intérieur de moi.
Moi j'aime... Moi, je suis un imbécile faible. Même pas un imbécile heureux. Au fond ce que je demande c'est juste un regard, une émotion, une réponse. Je me demande... est-ce que les démons peuvent aimer ? Est-ce que Sebastian voudrait m'aimer ? Je ne pense plus qu'à ça...
Je ne mange presque plus ; je pense que j'ai maigri encore plus. Mais je ne fais plus vraiment attention à ça. Mon majordome pourrait s'inquiéter seulement ça fait un moment déjà que je me prépare seul. " Pour gagner en autonomie " à ce qu'il paraît... enfin, même si mes noeuds étaient mal fait, maintenant j'y arrive.
Mais je me perds... cependant, je me complais dans l'évocation de souvenirs, définitivement révolus hélas, dans l'évocation de ces moments où tout était simple, où tout était mieux... Et j'ai tout gâché.
Je ne sais plus quoi faire, je ne sais plus où aller, je ne sais plus qui je suis. Je brise tout ce que je touche, détruis ceux dont je m'approche. La dernière fois, Sebastian était là, à mes côtés, pour réparer les pots brisés mais maintenant il est partit loin de moi. J'aimerais le rappeler mais je me dégoute. Je suis faible et toxique pour les autres. L'amour... Au fond ce n'est qu'on poison qui, une fois en toi, te tue et te ronge de l'intérieur. Il se donne des airs doux, te fais croire à des merveilles mais ne rapporte rien ; il te rend fou.
Je déteste les autres, et ils me le rendent bien. Mais lui je l'aime trop. Tellement que je me dégoute. A en vomir. Mais malgré tout, je me subis, ravalant mes larmes. J'aimerais lui hurler ce que je ressens, me séparer de cette torture intenable ! Mais c'est impossible : je l'aime, il vaut me tuer. Je ne vis plus qu'à moitié, mes sentiments causeront ma perte. Mes pensées n'ont ni queue ni tête, elles n'ont pas de sens; je n'ai pas lieu d'être. Alors pourquoi est-ce que je continue de lutter ? Pourquoi je continue de vivre, de m'accrocher ? Qu'est ce qui cloche ?
Je ne fais plus rien, je me laisse dépérir même ! Alors... Qu'est ce que je fais encore là ?
Je ne comprends plus rien. Cela m'agace. Je me déplace, seul, dans mon manoir. J'ai envie de briser tout ce qui me tombe sous la main. Mais je vais me contenter de mon ego pour l'instant. Vous ai-je dit que j'étais égocentrique ? Aimer quelqu'un d'autre, c'est le reconnaître comme étant mieux, et quelque part au fond se dénigrer. Mais est-ce que je l'aime vraiment ? L'amour ne serait-il pas factice, inventé de toutes pièces par l'être humain pour faciliter sa survie ?
Mon esprit cherche une explication rationnelle à tout ça, mais en vain. Qu'est ce que je représente à ses yeux ? Qu'est ce que je suis ? Je m'acharne à le fuir mais je n'ai pas le choix.
A force de marcher, à force de tergiverser, me voilà devant ma salle de bains. J'entre. Il faut que je me calme, que je me ressaisise, que je m'éclairsisse les idées. J'ouvre le robinet d'eau froide, regardant l'eau glacée couler sur mes mains... lentement je me mouille le visage et une vague de vaste mélancolie m'envahit.
Lorsque je relève la tête, je me fige : l'espace d'un instant, le temps d'une seconde, je le vois dans un reflet de la glace. Je vois son sourire moqueur, insupportable. Je vois Sebastian.
Une colère sourde monte en moi et gronde quand brusquement je brise le miroir. Le verre se casse sous mon poing et vole en éclats. Certains bouts me coupent mais je ne le sens pas. Je suis loin de tout ça, détaché de mon corps. J'observe ma main ensanglantée, je regarde le sang glisser sur mes articulations devenues blanches. Quand soudain, je me sens tomber. Puis tout devient noir.
'Cause I'm only human.