BioShock - Une vie de souffrance

Chapitre 8 : Un duel au soleil

3716 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 28/12/2023 18:01

BioShock

Une vie de souffrance : Partie VIII

 

« J’ai modifié ma bathysphère pour en faire la plus rapide du coin, et voilà qu’ils nous pondent toutes ces restrictions. Plus de déplacements en bathysphère. Ah vraiment ? Je ne suis pas venue ici pour rester dans un aquarium. Peut-être qu’avec cet ADAM, je pourrai devenir ma propre bathysphère, mon propre appareil. J’incarnerai peut-être enfin la vitesse pure, qui sait ? Décoller et ne pas s’arrêter à la surface, mais continuer à voler. Comme un vent vivant. Ce serait incroyable… »


Naledi Atkins, ancienne aviatrice australienne


****


Reggie et ses hommes se tenaient devant nous, leurs armes pointées sur nous, le doigt sur la gâchette. Deux coups de feu ont éclaté, déchirant le silence qui régnait sur le plateau. A ce moment-là, j’ai fermé les yeux et j’ai serré la main d’Emily à lui en broyer les phalanges. Mes muscles se sont raidis. J’étais prêt, prêt à supporter la douleur de la balle qui m’avait traversé, prêt à sentir la vie quitter mon corps. Mais je ne sentais que mon cœur qui cognait à tout rompre dans ma poitrine. Alors que le tonnerre de la fusillade résonnait encore dans mes oreilles, les hommes aux côtés de Reggie ont abaissé leur canon, lentement. En levant les yeux vers eux, j’ai repéré les trous teintés de rouge qui occupaient le centre de leur front, scintillant sous la nitescence des projecteurs. Devant nous, ils se sont effondrés au sol, morts.

Je n’avais toujours aucune idée de ce qui se passait, à l’instar de Reggie. Après une ou deux secondes de choc, il a levé les yeux vers les plateformes suspendues au-dessus de nous, celles qui permettaient d’atteindre les barres d’accroche des projecteurs en cas de besoin. Il avait dû voir d’où venaient les tirs. En effet, à contrejour, une silhouette humaine se détachait. J’ai à peine eu le temps de plisser les yeux que Reggie s’est emparé de la mitraillette laissée par l’un de ses compagnons et s’est mis à tirer une salve de balles dans la direction de l’inconnu, comme un enragé.

« Hey toi ! Sors de ta cachette, enfoiré ! » a vociféré Reggie.

Des étincelles ont crépité lorsque les fragments de métal se sont logés dans les projecteurs et les garde-fou en acier. Tout à coup, les détonations m’ont foutu comme un coup de poing dans le ventre. Mon sang-froid a repris le dessus sur la terreur et l’incompréhension. La poussée d’adrénaline m’a fait oublier mon corps endolori. J’ai tiré Emily de sa torpeur en l’entraînant avec moi. Sa main, crispée de terreur, était comme soudée à la mienne. Je me suis jeté contre la porte de la loge et j’ai couru, avec Emily à ma suite. Des balles ont sifflé dans mes oreilles, égratignant le lambris qui tapissait les murs dans leur sillage. Emily a laissé échapper un cri aigu, presque aussi perçant que le son des balles.

« On n’en a pas fini, vous deux ! » s’est égosillé Reggie.

Il avait délaissé le mystérieux inconnu pour ses cibles de choix, c’est-à-dire nous. D’un instant à l’autre, il serait sûrement dans le couloir. La loge de Downs se trouvait devant moi, mais je savais que c’était un cul-de-sac. J’ai donné un coup d’épaule dans la porte en métal sur notre gauche, celle qui menait aux coulisses, derrière les faux bâtiments. Les tirs ont à nouveau fait rage. J’ai levé la tête et aperçu une ombre furtive qui s’élançait sur la plateforme pour les éviter, ses bruits de pas sur le métal s’enchaînant à un tempo endiablé et surréaliste. Notre mystérieux ange gardien était donc bien là-haut. Cependant, il était bien trop rapide pour être un simple être humain, c’était forcément un chrosôme. Mais pourquoi est-ce qu’il nous aidait, alors ?  

Après avoir fermé la serrure derrière nous, je me suis tourné vers Emily.

« Il faut qu’on rejoigne ce type, a-t-elle dit, en désignant du menton l’échelle en métal devant nous.

— C’est trop dangereux. Lorsqu’on gravira cette échelle, on sera exposés, sans moyen de nous défendre. Cachons-nous ici et laissons plutôt l’autre type s’occuper de Reggie depuis sa position. ».

De multiples voix s’élevaient depuis la grand-rue, masquées par celle de Reggie qui hurlait ses ordres. Ses renforts venaient d’arriver et ils s’apprêtaient à lancer une attaque coordonnée.  Combien étaient-ils ? Et puis merde ! Je n’avais pas le temps d’y réfléchir. J’ai serré les poings. C’était le moment de vérité. J’ai dégainé mon arme, sous le regard horrifié d’Emily. J’ai hoché la tête, pour essayer de la rassurer. Je savais ce que je faisais. Ou du moins, je le pensais. Le moment était venu de nous frayer un chemin par la force jusqu’à la sortie.

J’ai entrouvert la porte découpée dans le bois qui donnait sur l’intérieur du faux saloon pour jeter un œil. Derrière les fenêtres de la façade, je pouvais voir quatre hommes qui avançaient, fusils braqués sur les bâtiments autour d’eux, détaillant chaque recoin du regard. Reggie ne se trouvait pas parmi eux. Et cela m’inquiétait. J’ai relevé la tête vers la passerelle suspendue. Où était passé notre sauveur ? Je ne pouvais pas agir seul ; sans lui, c’était la mort assurée.

Comme une réponse lancée à mon égard, l’un des hommes s’est fait abattre sous mes yeux, une gerbe de sang éclaboussant le sable. L’inconnu ripostait, dissimulé dans l’ombre. A mon tour, cette fois, de me lancer dans l’action.

Après avoir intimé à Emily de surveiller la porte des coulisses, je me suis engouffré dans le saloon la tête baissée. J’ai enjambé le comptoir, évité le piano près de l’escalier et couru jusqu’aux fenêtres, mon flingue braqué sur eux. Mes deux tirs ont atteint leurs cibles – les deux hommes du milieu – en brisant la vitre. Je me suis empressé de m’accroupir sous les fenêtres avant qu’une pluie de balles ne s’abatte contre la façade. Un autre coup de feu a retenti et un grognement s’est fait entendre. Le quatrième était mort sans avoir pu riposter, pris de court par l’inconnu.

Mais lorsqu’une nouvelle canonnade provenant d’un Tommy Gun a rugi sur le plateau, j’ai compris que le combat n’était pas terminé. Les balles ne m’étaient pas destinées cependant, elles visaient l’étranger qui tenait les ennemis à distance depuis plusieurs minutes maintenant. La perspective de survivre assez longtemps pour le remercier me redonnait un peu d’espoir.

J’ai levé la tête, suffisamment pour apercevoir qu’il restait encore deux types, de l’autre côté de la rue, abrités dans l’épicerie. L’un d’entre eux continuait de tirer en direction du plafond. J’ai à peine eu le temps de comprendre où ils se situaient que le type à couvert près de la porte est sorti de sa cachette, une flammèche à la main. Il lui a suffi d’un geste du doigt pour enflammer le bar rempli de bouteilles derrière moi, manquant de peu de me cramer le crâne. Le feu se répandait déjà à une vitesse inquiétante. Il consumait et grimpait de marche en marche. Pire que ça : la porte par laquelle j’étais entrée était désormais inaccessible.

« Emily ! ai-je crié.

— Je vais bien John, a répondu la voix d’Emily, étouffée par le crépitement du feu, je vais trouver un moyen de t’aider ! »

Merde ! Il fallait continuer sans elle. Je trouverais bien un moyen de la rejoindre. Mais m’exposer maintenant signifiait la mort. Je devais changer de planque, et vite. La fausse façade ne tiendrait pas très longtemps face aux balles de mes ennemis ou à la fureur des flammes.

Pendant qu’ils étaient occupés à tirer sur l’inconnu, j’ai avancé pas à pas en direction des portes battantes de l’entrée en rasant les murs. Mais alors que je m’apprêtais à traverser, la vitre qui se trouvait au-dessus de moi a éclaté et une main ferme m’a agrippé par le col pour me tirer à travers. Mon instinct m’a dicté de m’accrocher à tout ce que je pouvais trouver, en vain. La poigne surpuissante s’est éloignée du col pour se rapprocher de mon cou, tandis qu’une autre main maintenait mon bras armé en l’air. Leur propriétaire, Reggie, a approché son visage rouge de colère du mien, resserrant un peu plus sa prise.

« Tu crois que t’es le plus fort parce que t’es un boxeur, pas vrai ? »

Sans me laisser le temps de riposter, il m’a projeté à travers la rambarde du perron. Un craquement a résonné dans mon épaule. La douleur sourde se répandait, de plus en plus forte à chaque roulade, me forçant à clore les paupières. Mon envolée s’est terminée, ma joue contre le sable rugueux. Groggy et confus, j’ai rouvert les yeux. Un goût métallique emplissait ma bouche. J’ai posé une main à terre, cherchant désespérément mon arme. J’étais prêt à me lever, malgré la douleur de mon épaule déboitée.

Les bottes de Reggie ont claqué sur les marches en bois.

« Sans l’ADAM, tu n’es rien, John, a vociféré Reggie en s’avançant vers moi. Tu as eu du pot, hier soir. Mais ta chance a tourné.

— J’ai pas besoin d’ADAM pour te démonter la gueule, Reggie », ai-je rétorqué en grognant de douleur, projetant un crachat sanglant sur le sol.

Je parvenais tant bien que mal à me mettre debout, à me hisser malgré la souffrance, mais je ne voyais toujours pas mon arme. Profitant de ma faiblesse, Reggie a envoyé son pied dans mon bras pour me mettre au sol une nouvelle fois. Mais cela ne lui a pas suffi. Il m’a asséné un nouveau coup, en plein dans les côtes. La choc m’a coupé le souffle. J’ai porté la main à mon ventre. A l’intérieur, j’avais l’impression que mes organes étaient en bouillie.

Reggie s’est arrêté, essoufflé.

« Tu vois, John. C’est ça ton problème. Tu sais jamais quand il faut te coucher.

— Tu peux crever, Reggie. »

 Lorsqu’ils ont vu que j’essayais une nouvelle fois de me relever, j’ai entendu les hommes de main de Fontaine, cachés dans l’épicerie, recharger leurs armes. Ma main à couper qu’il étaient aussi en train de s’injecter une dose d’EVE. Ils étaient prêts à m’achever, mais Reggie les a stoppés net.

« Non, les gars ! leur a-t-il hurlé, en tendant la main vers eux. Celui-là, il est à moi. Que l’un d’entre vous aille plutôt chercher la putain qui partage son lit et le fils de chien qui nous a canardé. »

Ils ont acquiescé. Du coin de l’œil, alors que je posais un pied à terre, j’ai aperçu l’un des types aux cheveux grisonnants se ruer vers les coulisses par la porte de derrière, l’autre restant derrière les fenêtres pour le couvrir, au cas où l’inconnu remonterait son joli minois. Je priais pour qu’Emily, où qu’elle soit partie, ne tombe pas face à eux. Quant à moi, je devais affronter Reggie, même si ça devait être mon ultime combat, même si je savais pertinemment que je ne pourrais pas tenir très longtemps. Il suffisait de le retenir encore un peu, pour laisser une chance à Emily de partir.

J’ai serré le poing droit, faisant fi de la douleur. Comme toujours. C’était bien la première fois que je me battais avec une seule main.  

« Allez, John ! a crié Reggie en se mettant en garde. Qu’on en finisse. »

J’ai contracté mon biceps, préparé mon coup, mais un tintement a attiré mon attention sur ma droite. Le sbire dans l’épicerie venait de tomber au sol. Derrière lui, à mon grand étonnement, il y avait Emily, une clef anglaise ensanglantée à la main, les yeux écarquillés.

« Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? » s’est exclamé Reggie.

J’ai à peine eu le temps d’assimiler le fait qu’Emily venait de s’occuper de l’un des gars de Reggie que le grincement d’une poulie au-dessus de moi m’a fait lever les yeux. C’est alors qu’en une fraction de seconde, une ombre a fondu depuis les airs sur Reggie en le mettant à terre, soulevant un nuage de poussière. Et c’est là que je l’ai vue, cette femme qui se tenait au-dessus de lui, son fusil à la main, la crosse tâchée du sang de Reggie. Elle a fait volte-face.

J’avais beau être désorienté et sonné, il ne m’a fallu qu’une seconde pour la reconnaître. Son attirail éloquent ne pouvait appartenir à personne d’autre qu’à Naledi Atkins. On pouvait vraiment dire qu’elle sortait du lot, avec sa combinaison de pilote verte par-dessus sa chemise blanche et sa lavallière en soie, ses bottes marron à lacets et ses gants noirs. Ses courts cheveux auburn avaient une petite mèche qui pendait sur le côté droit de son visage et une marque de beauté surmontait sa lèvre à gauche. Un casque d'aviateur et les lunettes assorties à sa tenue complétaient l’uniforme.

« C’est vous ! ai-je lancé, d’un ton incrédule.

— Je suppose, oui, a-t-elle répondu avec un petit sourire espiègle sur le visage et un fort accent australien.

— Mais qu’est-ce que vous faites là ? Et où est…

— L’autre type ? Je m’en suis occupé. C’est Ava qui m’envoie. »

J’ai posé les yeux sur Reggie à terre, la tempe couverte de sang. Son ventre se gonflait et se dégonflait, ce qui me confirmait qu’Atkins l’avait simplement assommé. Bon sang ! Je n’arrivais toujours pas à me remettre de mes émotions. Je devais la vie à cette fille. Et à Emily aussi.

Elle a lâché sa clef par terre et a couru vers moi en dévalant les escaliers de l’épicerie pour m’enlacer de toutes ses forces, heurtant mon épaule disloquée. Elle s’est ravisée avec gêne, en posant doucement sa main sur ma clavicule.

« Tu m’en dois une, John, a-t-elle chuchoté en riant.

— Peut-être qu’on peut dire qu’on est quittes, non ?

— On fera les comptes une fois là-haut », a-t-elle conclu en déposant un baiser sur ma joue.

Je me suis tourné vers l’aviatrice.

« Vous pouvez nous emmener au musée ?

— Bien sûr ! Je suis là pour ça, mon vieux.  

— Et qu’est-ce qu’on fait de Reggie ? Et de tous les autres ? a demandé Emily. On ne peut pas les laisser là, si ? »

Ça faisait un bout de temps que je la connaissais, mais Emily arrivait encore à m’éblouir, avec son empathie à toute épreuve. Je l’admirais vraiment.  

Atkins a posé les yeux sur le feu qui commençait à ronger le saloon. L’épaisse fumée qui s’en dégageait venait enfin de déclencher le système anti-incendie et une fine pluie s’abattait maintenant sur la grand-rue.

« Je préviendrai Ava qu’il y a eu un… (elle s’est raclé la gorge) un accident, ici. Elle fera le nécessaire. Enfin je l’espère. »

Je me demandais sincèrement ce qu’elle voulait dire par là parce que, tel qu’elle l’avait formulé, on aurait dit qu’il s’agissait d’une simple formalité. Ayant déjà eu affaire à Sullivan, je savais qu’il allait sûrement fourrer son nez là-dedans. Mais je connaissais aussi Ava Tate, et je savais que l’on ne pouvait rien lui refuser.

Au diable toutes ces histoires ! Peu importait ce qui se passerait à Rapture, à présent.

Emily et moi étions maintenant convaincus que nous serions bientôt loin d’ici, que nous laisserions derrière nous cette ville de malheur. Plus rien ne pouvait nous arriver.

 

*

*    *

 

La petite s’est assoupie dans mes bras. Elle dort paisiblement, maintenant. A dire vrai, je ne savais même pas que les filles de son… espèce avaient besoin de dormir. Est-ce que je devrai dormir, moi aussi, quand on aura fini de me transformer en monstre ? Je n’en sais rien. Et pourquoi se poser autant de questions ? Après tout, c’est à en devenir plus fou que je ne le suis déjà.

Je passe ma main tremblante dans ses cheveux et ramène l’une de ses mèches derrière son oreille. Entre mes bras, Eleanor paraît si délicate. En théorie pourtant, les petites filles dans son genre sont invincibles. Mais il suffirait seulement qu’un chrosôme s’en prenne à elle et retire la limace de son estomac pour nous envoyer tous les deux ad patres.

Quand je pense à cette petite, une infime partie de moi voudrait que je l’utilise pour me venger de ce que m’a fait sa mère, Sofia. Mais je ne peux pas m’en prendre à elle alors qu’elle n’a rien fait de mal. Ce n’est qu’une enfant, bon sang ! Elle n’est qu’un rouage, coincé dans un engrenage trop grand pour elle ; une cible de choix dans un monde qui en manque cruellement. C’est bien là la tare qui la poursuivra jusqu’à sa mort, une mort qui arrivera bientôt si je ne suis plus là pour la protéger. Bientôt, nous serons liés tous les deux, et je devrai rester à ses côtés pour la protéger, car si elle meurt, je mourrai aussi. Si son cœur s’arrête, le mien cessera de battre. A cause de notre lien, ma vie dépendra de sa résilience. C’est aussi simple que ça.

Dans ce cas, si tout est écrit d’avance, pourquoi renâcler face à l’évidence ? Pourquoi essayer de repousser l’inévitable, de réfléchir plus que de raison à un avenir dès à présent nimbé de ténèbres ? Parce que je suis encore humain, voilà tout.

Un léger spasme, sûrement dû au manque d’ADAM, finit par réveiller la petite. Elle lève son regard vers moi, ses énormes yeux jaunes sans vie se mettent à me fixer, distillant des frissons dans mon corps en pièces détachés.

« Désolé, lui murmuré-je, produisant une simple tonalité rauque.

— C’est pas grave, Papa », me répond-elle, comme si elle pouvait interpréter mon chant de baleine.

Je ne suis pas ton père, pensé-je en contractant les muscles de mon visage. J’ai déjà une fille.

J’étais en colère contre elle, en colère contre cette ville, en colère contre tout. Je n’ai rien à faire là. Si seulement ils me laissaient mourir, je pourrais rejoindre ma fille, lui dire à quel point je regrette de ne pas avoir été là pour elle, de ne pas avoir pu l’aider. 

« On va s’occuper des anges qui dorment, Monsieur P ? », s’amuse Eleanor en me fixant du regard.

Cette pauvre petite a le cerveau complètement grillé. Ces singes qui s’amusent à jouer à Dieu ont fait d’elle une coquille vide ! Je ne peux pas… Je ne peux pas la laisser toute seule. Elle a… besoin de moi.

« Tu n’as rien à faire là, ma chérie, tu le sais ça ? grommelé-je dans mon dialecte qu’elle seule pouvait comprendre.

— Je… (elle cherche encore ses mots, comme si parler normalement lui était insupportable) voudrais retourner chez Tante Gracie !

— Qui est cette… Tante Gracie ?

— La dame qui chante. »

La “dame qui chante” ? Une certaine “Gracie” ? Il doit forcément s’agir de Grace Holloway, la chanteuse de jazz du Point de chute dont Emily m’avait tant parlé ! Je ne vois qu’elle. Si seulement je pouvais lui ramener cette fille, elle serait certainement plus heureuse qu’ici. Malheureusement, une fois sorti de ces murs, je ne me souviendrai plus de rien et je crains fort qu’elle ne me reconnaisse pas sous le scaphandre qui me sert désormais de cage.

Et, alors que vient enfin le temps pour nous de la dernière opération destinée à nous lier, je dois me résigner à abandonner définitivement tout espoir de nous sortir de ce pétrin.

 

Tout ce qu’il me reste, à présent, ce sont mes souvenirs. Il faut que je les maintienne dans ma mémoire. C’est ce qui me rend humain. Lorsqu’ils en auront fini avec moi, je n’aurais plus rien. Je sais que mon histoire s’est mal terminée. Et je suis le seul encore en vie à pouvoir en témoigner.

 

Suite et fin au prochain épisode…

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