Version d'attente de Laocoon

Chapitre 20 : La grande Peste, deuxième !

1589 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 22/11/2021 23:33

Ils arrivèrent sur la corniche au lever de soleil. Un vent glacial les cueillit laissant présager que les mois avaient sans doute défilés depuis qu'Etienne était entré dans la valse. Circée avait du mal à se diriger précisément dans le temps et tout le monde s’inquiétait sans mot dire du temps écoulé. Ils n’avaient pas peur de vieillir, pas peur de mourir, ils n’avaient juste pas envie d’être passé à côté de l’essentiel. Ils ne voulaient pas avoir raté l’occasion de faire quelque chose. Azielle, Sol et 1802 étaient étrangement les plus angoissés. Ils prenaient l’aventure à cœur en dépit du fait que rien ne les concernaient. Ils se sentaient utiles pour la première fois depuis des années, un sentiment d’humanité qui les avaient quittés depuis longtemps et qui soudain refaisait surface avec l’impression de voler une deuxième enfance. Les rues étaient vides. Le mistral balayait la moindre feuille morte attardée. Les arbres nus griffaient furieusement le ciel chargé de nuages à peine gris. Ils avançaient moroses dans ce monde aseptisé, suivant Etienne en file indienne. Devant le cimetière Saint-Pierre, un marchand de chrysanthèmes avait installé sa charrette et il attendait les premières veuves, une flasque à la main, se dandinant d’un pied sur l’autre comme un pingouin. Dans la guérite du gardien, un homme somnolait. Ils passèrent sans être vus. De loin déjà, Etienne eut le sentiment que quelque chose clochait. La tombe de Mme Marcelle et ses voisines avaient été totalement absorbée par le tronc noueux d’un arbre à la cime ombrageuse. Lacejambe tourna autour comme un gosse autour d’un sapin de noël. Il prélevait des feuilles tombées aux pieds, caressait l’écorce sombre et grumeleuse. Il blessa le tronc de son couteau suisse et huma la sève fraîche.

-Essence inconnue ! jubila-t-il. Les quelques feuilles qui lui restent feraient penser à celle du frêne, mais l’écorce ne correspond pas du tout. Et sentez ! Un résineux ? On s’y méprendrait.

Etienne avait entreprit de l’escalader. 

-Il y a un trou énorme entre les branches principales. Je vais essayer de me glisser à l’intérieur. C’est sous cet arbre qu’il y avait le passage vers le monde d’en bas.

Eric se tordait le cou pour essayer d’apercevoir son frère tandis qu’Azielle, Sol, Merlin et 1802 tentaient vainement l’ascension du tronc. Courte échelle, pousse-au-cul, conseils et jurons, rien n’y faisait… Bertrand, lui, hermétique à toute agitation, grattait le sol à la recherche d’éventuels samares que l’humus n’aurait pas encore absorbés.

Etienne s’inséra dans la cavité. Il y faisait chaud et humide. Ses narines s’emplirent de bouffées forestières. Des mains, il tâta l’intérieur sombre. Il avança poussivement. Il sentit un peu tard le moment où le demi-tour ne serait plus possible. Il était maintenant entièrement engouffré à l’intérieur de l’arbre. A l’étroit, il progressait en rampant. D’abord aidé par la sensation de gravité, celle-ci s’estompa assez rapidement, il ne sut bientôt plus s’il montait ou descendait. Il oublia bientôt pourquoi et quand il était entré dans ce trou. Son dernier cauchemar lui revint en mémoire. Après avoir gravit cet arbre sans fin, il se retrouvait en son sein, prisonnier. Il voulut accélérer mais la lenteur s’imposait à lui. Il ne pouvait pas s’arrêter à cause de l’inconfort et ne pouvait pas non plus progresser plus vite car il était obligé de se traîner dans ce tunnel étroit qui semblait le retenir sciemment. La panique se refusait à lui. Dans son for intérieur il avait foi en une issue.

Plouf ! Son corps bienheureux tomba dans l’eau comme une pomme blette. Il but, sans se soucier de ce qu’était cette eau prenant conscience brutalement de sa déshydratation. Il nagea dans le noir, remontant à la surface pour prendre de l’air, longeant les racines de l’arbre qui se ramifiaient toujours plus fines se terminant en fils d’Ariane qui le menèrent jusqu’en haut du grand escalier de la gare. Il était de retour dans le monde d’en bas sans avoir fait ce qu’Athéna lui avait demandé. Il n’avait plus le livre et ne savait même pas comment il l'avait perdu. Sans monnaie d’échange pour pouvoir négocier la libération de son père, de son frère, de Circée, il s’effondra, mêlant son eau à celle qu’il venait de quitter. Il dormit, longtemps peut-être.

A son réveil, il était entouré d’objets curieux de lui. Un balai lui caressait tendrement les cheveux. Une couverture s’était lovée contre son corps presque nu. Il se releva d’un bond pris de malaise. Le manche du balais semblait avoir été rongé par les mites, la couverture n’était plus que de l’action- dentelles. Rouille, moisissure, usure, il était entouré d’objets moribonds qui tentaient de lui aspirer son âme pour reprendre vie. Il descendit les marches en courant. Dans le boulevard d’Athènes, les cadavres d’objets jonchaient les rues, les bâtiments en ruines croulaient sur eux même rendant leur accès impossible. Certains déversaient leurs entrailles à même le trottoir. Etienne se prit les pieds dans un service de couverts en argent vert de gris dont l’une des petites cuillères éructa violemment quand il lui marcha dessus. Les réverbères clignotaient, certains n’étaient déjà plus que de pâles lumignons. Il voulait fuir le plus loin de la ville-, s’il existait un extérieur-. Prendre la mer pourquoi pas… Mais quel bateau à l’agonie ne lui prendrait pas son âme en échange du passage ? Il eut une pensée pour Mme Marcelle. Si son objet était encore vivant, peut-être accepterait-elle de l’aider. Il tâta l’endroit de ses poches mais il n’en avait plus. Le carnet avait dû se perdre pendant sa descente. En réajustant le pagne qui avait été autrefois un pantalon, il trouva la fleur lumineuse qui lui avait servi de guide la première fois, elle s'était accrochée à un fil. Il la posa au creux de sa main mais elle n’était plus que lambeaux de pétales. Instinct de cannibalisme tribal ? Il l’avala comme si elle le lui avait demandé télépathiquement.

L’amertume passée, il commença à voir le monde qui l’entourait plus clairement. Les couleurs, les saveurs même de l’air s’intensifièrent avec violence. Il sut qu’il devait diriger ses pas vers le Panier.

Il remontait la République quand il fut alerté par des bruits de pas derrière lui. Il se retourna sans voir personne. Les talons ferrés raisonnaient de plus en plus fort dans la rue vide. D’autres cavalcades montaient des rues perpendiculaires. De plus en plus nerveux, il se retournait sans cesse sans voir ceux qui le poursuivaient. Il accélérait le pas. Et soudain, il les vit dans un halo moins maladif. Il avait été pris en chasse par une bande de chaussures aux vernis passé. Leur chef, une paire de mocassins blanc sale sembla lancer l’Hallali. Il arrivait au niveau du passage de Lorette qu’il prit à pleine vitesse. Le gang fut retardé par ce terrain accidenté que l’écroulement d’une partie de la voûte rendait encore plus chaotique. Après quelques ruelles prises en zigzag, la rumeur de claquettes s’estompa. Il ralentit, hors d’haleine. Aussi attentif qu’un gabian en vigie, il avançait laissant parler en lui ce qui semblait savoir où aller. Rue Ballard, il entendit une voix féminine appeler plaintivement.

-Eric ? Est-ce vous ?

Il leva le nez vers une fenêtre, au troisième étage. Sur la rambarde, comme prêt à faire le grand saut, un flacon de parfum l’interpellait.

-Non madame, moi, c’est Etienne.

-Je n’y croyais plus, mon petit ! La Vierge m’avait promis que je serais récompensée mais je ne voyais plus d’issue. J’allais en finir. Cela fait des mois que je suis vide. Avec cet escalier écroulé, impossible de descendre de chez-moi ! Tu me réceptionnes ? Etienne ?

-Allez-y Madame, j’amortis.

Le petit récipient se laissa tomber en une harmonieuse pirouette. Etienne le reçut douloureusement entre ces doigts mais ne le lâcha pas.

-Alors te voilà enfin Etienne. Qu’es-tu exactement ?

-Je ne préfère pas vous le dire M’dame, vous risqueriez de ne pas être très contente. Mais qu’est-ce qu’il se passe ici ? Qu’est-ce qui arrive à tous les objets ?

-C’est la Peste ! Les objets meurent par centaines chaque jour. Plus aucun ne nait depuis le début de l’épidémie ! Notre-Dame est fermée depuis quelques semaines. Le maître n’y est plus pour personne. Il se murmure qu’il nous a abandonné, mais qui croire ? La dernière presse est morte, il n’y a plus de journaux qui courent dans les rues…

-Si le maître est parti, il faut en avoir le cœur net ! 

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