Version d'attente de Laocoon
Lacejambe fut submergé, tout son être fut englouti. Il avait tant de fois relégué les croyances de son ami au rang de fables dépressives qu’il avait fini par le confiner dans le rôle que la société lui réservait à lui : marginal, incompris, farfelu sans consistance. Pourquoi avait-il fait cela ? Pour briller ? Par égocentrisme parce que seule sa douleur, seule sa nostalgie comptait ? Seul son Atlantide valait qu’on prenne la peine de le rechercher ? Toute l’amertume de la culpabilité se mélangeait à l’envie de célébrer cette renaissance à la vérité et à l’espoir. Lui terminait sa spirale alors que le Fenby qu’il avait devant lui renaissait. Le monde était tel que le voyait Fenby, beau, infiniment féérique, infiniment. Il le prit dans ses bras comme pour ne plus jamais laisser s’enfuir la foi loin de lui. En cet instant, la fleur qu’il avait jetée nonchalamment du haut du 102 rue Canebière pouvait revivre. Tout était possible encore et encore même si les erreurs se répétaient, rien n’était détruit car tout avait existé.
Le bonheur unilatéral de ces retrouvailles fit place à la fureur. Il fut pris de tournis, en scrutant les visages des voyageuses qui lui faisaient face ne voyant plus sous leur masque gracile que les traits vains de leur innocence feinte. Il se précipita sur elles, les agrippant par les cheveux et tournant avec elles comme pour les lancer au plus loin de lui, au plus loin de Fenby.
-Vous allez libérer Fenby, sorcières ! Il ne vous appartient pas, rendez-lui sa vie ! Il voulait juste croire en vous !
Ses compagnons se jetèrent sur le forcené pour tenter de maîtriser la crise de folie qui s’était emparée de lui. Les doigts empêtrés de fils d’or et de terre, écumant, ils le plaquèrent au sol tandis que les jeunes femmes se réfugiaient, diaphanes, derrière un Fenby tétanisé. Il réussit à se libérer d’un côté se relevant presque, il ordonna :
-Fuis Fenby, cours, ne te retourne pas, je t’attendrais là-bas, près des dieux pétrifiés ! Maintenant ! N’attends pas, elles te prennent ta jeunesse, elles te volent tes rêves ! Tu n’auras rien en échange ! Fuis, bordel, n’attends pas !
Fenby se mit à courir comme on le lui disait. L’instinct de survie adrénalisé par la folie de cet étranger qui le connaissait et qui lui intimait l’ordre de sauver sa peau d’un danger dont il n’avait pas conscience. Il courut aussi loin que ses jambes pouvaient le porter. Il disparut de leur vue et l’immense majesté de l’Olympe imposa son calme à l’assistance. Choquée, muette, vidée de toute substance la communauté des voyageurs resta assise autour de Bertrand qui était entré en transe méditative fixant le point de sortie de la silhouette de son ami. Personne n’osait dire quoi que ce soit, briser le silence aurait risqué de faire remonter des limbes le démoniaque accès de fureur qui venait de ravager leur conscience. Les voyageuses, se levèrent comme si un conciliabule mental venait d’entériner une motion unanime. Elles prirent un chemin opposé à celui de Fenby et disparurent à leur tour de la scène.
-C’était notre père ? hulula Etienne dans le silence nocturne, la voix encore malhabile. Personne ne répondit. Lacejambe se leva.
-Tu vas nous montrer le chemin, Etienne. Nous allons voir Athéna. Tu n’es pas responsable de tout ça, lui non plus. Il n’y a que moi, il n'y a jamais eu que moi mais nous sommes ensemble à présent. Il n’y a rien ici que des croyances mortes. Je suis fatigué. Je veux en finir et retrouver Fenby, mon Fenby celui que j’ai laissé derrière moi. J’ai cru que Vivaux allait tout changer, je l’ai suivi mais je n’ai fait que fuir plus loin, je n’ai rien réparé. Je ne sais pas d’où vient cette Athéna mais plus personne ne doit prendre Marseille en otage !
-Elle est avec Vivaux… Il a invoqué Athéna. Il veut fusionner le monde d’en haut et le monde d’en bas. Il veut que les hommes vivent éternellement incarnés dans des objets.
-Pas exactement ! opina 1802 qui était plongé dans la lecture du livre depuis l’incident. Le rituel consiste à utiliser l’ensemble des « forces du dessous » pour animer des statues en leur insufflant une âme ancienne qui serait contenue dans une espèce de plante qu’il faudrait récolter dans sa totalité sur la zone dans laquelle on désire que le dieu puisse interagir. Génial ! C’est un manuel pour créer des Dieux ! En plus il est indiqué comment leur rendre ensuite un culte et nous les rendre favorables ! On peut obtenir tout un tas…
-La ferme 1802 ! hurla Circée excédée. Comment peux-tu te réjouir de cette lecture ! Créer des dieux ? Les asservir ? Ce n’est pas ce que j’attends de la vie ! Je vous ai rejoints parce que je ne supportais plus toutes les contraintes que m’imposait la société ! Je ne vais pas participer à en mettre de nouvelles en place. Il faut détruire ce livre…
Eric se leva à son tour, écrasé qu'il était par leur station debout.
-Les forces du monde d’en dessous ? C’est l’enfer n’est-ce pas ?
L’ignorant, Etienne attrapa le bras de Circée tant pour l’apaiser que pour être sûr qu’elle l’écoute.
-Il n’est pas question que nous le détruisions, ce n’est qu’un objet. Il n’est une arme que par les mains qui l’utilisent. Nous n’allons pas l’utiliser ! il se tourna vers Eric se gonflant d’intensité. Le monde d’en dessous, ce sont toutes les âmes des Marseillais…
-…morts depuis une trentaine d’années. termina Lacejambe qui ne voulait pas perdre l’ascendant qu’il entendait prendre sur le petit groupe. C’est ça que Vivaux avait en tête finalement. Qui a écrit ce livre ?
-Aucune mention d’auteur. fanfaronne 1802.
-On s’arrache ? lance Sol. Il va bientôt faire jour, j’ai pas trop envie de griller sur ce rocher tout nu.
Azielle commença à frapper dans ses mains. Merlin prit le contretemps et Sol sortit sa percussion de sa housse.
-Allez, zou, direction MaRssssEille !