Version d'attente de Laocoon
Etienne fut déposé en bas d’un véritable puits de mine qui donnait dans un caveau du cimetière de Saint-Henri. Il en sorti en milieu de matinée ébloui de soleil et de normalité. Il croisa la rayonnante Marinette qui lui soutira un baiser à l’ombre d’un mûrier mais ne put lui enlever le poids qu’il avait sur le cœur. Elle le réprimanda moqueuse de ne pas avoir été aux tuileries mais elle le cru sans difficulté quand il invoqua des raisons de santé. Elle l’enveloppa de son châle et lui fit injonction d’aller se reposer au plus vite. Il ne se fit pas prier et gagna sa chambrette sous les combles.
Il s’assit en tailleur sur le lit et posa devant lui le livre que lui avait remis Athéna. Il n’avait aucune envie de s’adonner à des lectures occultes et il resta ainsi fermé devant le livre jusqu’à ce que le sommeil le surprenne. Sa tête partit en arrière d’un coup sec lui donnant une impression de chute démesurée. Il décida donc de s’accorder une petite sieste. Il cauchemarda, il grimpait indéfiniment branche après branche le long d’un arbre dont la cime se perdait dans les nuages. Il ne voyait pas le sol, perdu dans la brume. Il n’avait aucune sensation de vertige juste la désagréable sensation que son ascension ne cesserait jamais et n’avait même jamais commencé. Il s’éveilla alors qu’on tambourinait à sa porte. D’un réflexe, il jaugea l’heure en regardant au dehors. Il faisait nuit mais la Lune n’était plus là, il devait être très tard… Peut-être même déjà très tôt. Lorsqu’il ouvrit la porte, il n’y avait personne. Il allait refermer mais elle se rouvrit comme sous l’effet d’une bourrasque de mistral capricieux. Un coup d’œil à la fenêtre élimina l’hypothèse d’un courant d’air. Il eut la sensation d’être le roi des imbéciles, d’avoir abandonné son frère, son père tout le monde. Il en avait la gorge étranglée de remords. Eux étaient prisonniers de l’irascible Poséïdonias alors que lui s’octroyait une sieste ! Il alluma une chandelle afin de se mettre immédiatement à la lecture du traité d’occultisme. Même s’il était persuadé qu’il n’y comprendrait rien, il fallait qu’il essaye. Alors qu’il déchiffrait difficilement le titre à rallonge, les pages se mirent à se feuilleter toutes seules. Il s’éloigna de l’ouvrage empli de terreur. Les coups à la porte, le courant d’air, le livre qui s’agitait. Etait-il revenu dans le Marseille d’en dessous ? Il sortit le carnet de Lacejambe de sa poche et l’ouvrit à Poujade, pour commencer sans se faire agresser. Mais la voix de l’oiseau le prit de volet.
-Incroyable ! Me laisser comme ça seule ! Pas même un regard quand vous êtes passé ! J’ai dû rentrer à ciseaux ! Gougeât !
Il fut un peu rassuré, les objets conservaient leur apparence de vie même ici. Pour la porte, il était sans doute encore mal réveillé mais le livre avait sans doute une âme, cela serait sans doute plus simple finalement. Il se rassit et s’adressa à l’ouvrage :
-Bonsoir, je ne sais pas ce qu’Athéna veut que je réalise comme rituel, pourriez-vous vous ouvrir à la bonne page s’il vous plaît.
Comme il ne lui avait pas encore adressé la parole, Etienne pensa que le livre devait être très timide ou guindé alors il avait pris le ton le plus doux et le plus poli possible. Rien. La bougie se renversa. Le temps qu’il se précipite pour la remettre droite dans son bougeoir, des mots s’étaient inscrits dans la cire répandue sur la petite table : « Nous sommes là !» Etienne observa tout autour. Il ne croyait pas aux fantômes mais son sang se glaça. Le message était sibyllin ; peu de cire s’était répandue. Il reprit le livre pour le poser sur la table attendant que l’esprit se manifeste. Il perçut alors l’écho d’une musique lointaine. Il ouvrit la fenêtre. Des tambourinaires jouaient au loin, il les entendait de mieux en mieux. Il lui prit l’envie folle d’esquisser quelques pas de danse pour les encourager. Quelle procession pouvait commencer aussi tôt ? Il sourit oubliant sa tâche et, le livre sous le bras, esquissa quelques pas de mazurka sur le bureau. Légèrement penché à cause du plafond bas, essayant de voir par la fenêtre d’où provenait la musique. Elle était si forte maintenant qu’il aurait pu croire qu’elle se jouait dans son propre appartement. Il sauta au bas de son perchoir pour danser plus à son aise et c’est là qu’il les vit, il était entré dans la valse féérique. Surpris et joyeux il embrassa Eric l’initiant à la chorégraphie populaire qu’il avait engagé, il prit tour à tour, Bertrand et Circée comme partenaire. Bertrand lui prit le livre des mains et le glissa dans le sac de 1802.
-Nous partons pour l’Olympe puisque visiblement tu as des soucis avec Athéna ! lui lança-t-il quand ils se retrouvèrent les yeux dans les yeux, tournant mains dans les mains.
Circée chanta et de nouveau ils furent transportés au-delà du temps et de l’espace. Loin dans le passé, souhaita leur guide. Quand le paysage olympien commença à apparaître par touche pointilliste autour d’eux, ils aperçurent un autre cercle de danseurs à quelques pas de danse de là et les rejoignirent pour terminer leur transe en apothéose. Tout le monde s’écroula en rires et cabrioles à la dernière mesure. Les voyageurs, heureux de se rencontrer au milieu de ce nulle part minéral se donnèrent l’accolade dans l’azur déclinant, le cœur léger jusqu’à ce que trois regards identiques fusionnent. B.Fenby et E.Fenby, deux anglais au costume impeccable bien que leurs cols fussent légèrement plus ouverts que ne l’auraient exigé les convenances et leur antithèse, E.Lacejambe, se toisant mutuellement sans trop y croire.