Version d'attente de Laocoon
La petite communauté des voyageurs émergea des coussins alors que le soleil était presque arrivé à son zénith. Les quatre anciens s’adonnaient à une bataille de peinture quand Circée ouvrit à son tour un œil et s’étira. L’atelier était devenu une véritable œuvre pollockienne. Eric et Lacejambe s’enquirent rapidement du petit déjeuner. Ils allèrent fureter pour le groupe plus avant dans la maison. Les habitants l’avaient désertée, occupés ailleurs pendant la journée sans doute. Ils trouvèrent du pain, du beurre, du lait dans le garde-manger. Du café restait dans la cafetière italienne posé sur le poil. Eric se cuisina même des œufs. Il prit soin de tout nettoyer et remettre en place après son passage tandis que Lacejambe ne faisait aucun cas des miettes et liquides en tous genres qui éclaboussèrent joyeusement les tommettes quand il rapporta son butin dans la véranda. Après le petit déjeuner, il prit un air conspirateur.
-Les enfants, il va falloir retourner à Marseille ! Etienne a sûrement besoin de la famille. il claqua d’une main virile dans le dos de Fenby qui finissait de déguster son thé. Circée ? Tu nous as amené ici comment ?
-Eh bien, quand nous avons commencé à voyager, j’ai pensé que j’aimerai bien visiter Paris et rencontrer des artistes et dans ma tête je voyais plein de couleurs. Je ne sais pas peut- être sommes-nous à Paris puisque nous sommes dans l’atelier d’un peintre.
-Il nous faut en avoir le cœur net. triompha-t-il en se levant conquérant.
Il sortit et tout le monde à sa suite. Ils déambulèrent joyeusement dans les rues improvisant une batoucada à laquelle personne ne prêtait attention. Eric ouvraient des yeux ronds comme des billes au passage des automobiles colorés, attentif à chaque détail anachronique. Ils finirent par déboucher sur une rue dite de Paris ce qui les convainquit qu’ils étaient bien à Paris. Tempérant leur joie, Eric argua que l’époque était importante et qu’il fallait savoir comment ils avaient pu se retrouver projetés si loin dans le futur. Personne ne l’écoutait, ils semblaient déjà pris dans l’ivresse du voyage qui se profilait. Bertrand le rassura avant que la musique ne commence à s’endiabler :
-Ne t’inquiète pas, elle pensera à Etienne, cela devrait suffire. Préoccupe-toi plutôt de danser sinon tu ne seras bientôt qu'un vieillard perdu à Paris !
Et il lui attrapa les deux mains pour l’entrainer dans la ronde qui tournait autour de Sol. Les autres frappaient dans leurs mains en martelant le sol sourd de leurs pieds agiles. Etienne sentit bientôt la magie des notes cristallines de Circée étreindre son cœur l’attirant dans la valse comme un soleil. Elle entra dans le cercle, tourbillonnante et envoûtante. Sa mélopée s’élevait dans une langue ancestrale qu’elle-même ne comprenait que kinesthésiquement. Le goudron sembla fondre avant de former une plaque plus lisse que du verre, il commença à s’effriter pour éclater en millions de squames minérales dont émergea une forêt qui les souleva de terre. Ils dansèrent un moment dans les branches d’un grand platane tandis que les arbres tout autour tombaient les uns après les autres avec fracas. Circée cessa son chant quand il ne resta plus autour d’eux qu’une prairie glabre. D’un regard, elle enjoint Sol à lancer l’appel de fin. Ils retombèrent épuisés et heureux sur les branches du platane qui les avaient portés aux nues. Azielle laissait traîner un sourire canaille sur ses lèvres en regardant Eric reprendre son souffle. Lacejambe sauta le premier au bas du vénérable membre des Platanaceae. Il fit un ricochet dans le petit étang qui léchait ses racines. Un vol de canards outrés ourla la scène d’un son discordant qui remit les voyageurs en éveil. Ils tombèrent un a un comme des fruits mûrs-, Eric moins félin que les autres-.
-Nous sommes à maison Blanche ! Marseille ! Bravo Circée. Etienne ne doit pas être loin ! Cherchons. Eric fit la moue devant tant d’enthousiasme tandis que les autres se dispersait dans la pénombre.
-On se donne rendez-vous là si on ne trouve rien d’ici une demi-heure.
-Bien, bien Eric ! L’âme d’un général ce petit Fenby, j’adore !
Ne sachant s’il était sarcastique, cynique ou bien réellement enjoué, Eric poursuivit.
-Si on le retrouve comment on prévient les autres ?
- Je ne sais pas moi faisons la chouette. lança Lacejambe déjà loin.
Les autres répondirent par un concert de « houhou » plus ou moins réussis se terminant par des éclats de rire qui mirent à mal l’hypothèse qu’une quelconque considération ait jamais effleuré Bertrand Lacejambe à son endroit. Mal à l’aise sous le regard borgne de la Lune, il fut rassuré par la main moite d’Azielle qui vint chatouiller la sienne.
-Tu cherches avec moi ? Je n’ai pas envie de me balader seule par une si belle nuit.