Version d'attente de Laocoon
Les ciseaux indiquèrent à Etienne de se rendre à Notre Dame de la Garde, qu’il rejoignit sans mal ce lieu étant connu de tous les marseillais. Même sans soleil, il arriva essoufflé et suant au pied de la basilique. La vierge était éclairée par un jeu de lumières placées sur son socle. Les ciseaux l’interpellèrent.
- Maître, un humain, fils de Bertrand Lacejambe souhaite s’entretenir avec vous.
L’immense statue tourna la tête vers les minuscules insectes qui avaient interrompus sa médiation et leur adressa la parole.
-Le Maître sait, il peut entrer… Seul.
- Bien, posez-moi ici Etienne, près du porche. Je serai là en cas de problème.
Etienne haussa les sourcils, posa la paire de ciseau avec précaution sur la marche usée et pénétra dans la basilique alors que la porte lui cédait le passage. Il faisait froid à l’intérieur. Des bancs émanaient une prière continue qui bourdonnait, lointaine, si bien qu’on se sentait seul malgré leur présence toute proche. De la voûte pendait des centaines de maquettes de bateaux, exvotos sans objet, qui jouaient à la bataille navale, emmêlant leurs fils, joutant joyeusement et sans éclats. A mesure qu’il progressait vers l’autel, les pavés devenaient glissants, une légère couche de givre recouvrant les premières rangées de fidèles. Son corps hérissé de chair de poule et ses pieds nus quémandaient une protection.
- Tu devrais te couvrir. L’enjoint la statue de Saint Joseph sur son passage. Il s’empara de la nappe blanche disposée sur l’autel. Elle émit un petit cri rauque lorsqu’il s’en empara. Il s’excusa vaguement mais s’en couvrit tout de même les épaules avant de poursuivre vers la sacristie. Sa main resta collée à la poignée lorsqu’il l’actionna. Il s’en détacha avec un petit gémissement alors qu’il finissait de pousser la porte du pied. A l’intérieur, une femme l’attendait, drapée dans une étole blanche comme neige. Autour d’elle, tout semblait avoir été vitrifié.
-Héros, je t’attendais. Je suis heureuse que mon message te soit parvenu. Tu es amené à faire de grandes choses pour la cité.
-Où est le maître ?
-Je suis le Maître. Enfin nous sommes le Maître.
-En effet. répondit l’étole. Nous t’avons fait venir pour que tu portes notre culte au dehors. Marseille doit savoir.
-Savoir quoi ?
-Que la vie est dans les objets.
-Mais qui êtes-vous ?
-Enfin, ton père ne t’a-t-il donc pas parlé de moi ? Je suis son ami d’enfance ! Je pensais que nous avions renoué ensemble et puis il a été emporté par la reine ! Cette traîtresse. J’avais réussi à chasser le diadème et la voilà qui me ravit l’âme la plus précieuse !
-Je souhaite que mon culte soit réveillé, Etienne. Nous autres dieux anciens avons survécu sous forme végétale pendant des millénaires et Vivaux a su me faire renaitre, moi Athéna à partir des Marinas. Mais, il n’a pu achever son œuvre, tu dois nous aider à faire revenir Artémis et Apollon. Alors, nous pourrons de nouveau marcher sur la Terre et reprendre ce qui nous est dû.
-Non. Je ne ferai rien, Bertrand Lacejambe, mon frère et… peu importe, les fées les retiennent. Je n’obtiendrais leur libération que si vous arrêtez de voler les âmes !
Le courroux de la déesse fit descendre encore la température. Etienne prit la fleur lumineuse entre ses doigts espérant qu’elle lui donnerait un peu de chaleur, en vain. Athéna le fustigeat :
-Nous ne volons pas les âmes. Le diadème, c’est le diadème qu’il faut combattre !
-Je ne sais même pas ce que c’est ! C’est lui qui commande à la reine que vous cessiez votre trafic.
-Il les veut toutes pour lui ! Il les prend toutes et après qu’en fait-il ? Personne ne le sait !
-Bien, bien, bien je pense qu’on tourne en rond. Je vais, je vais…
Etienne mit la fleur dans sa poche, se frictionna les joues et tenta de sortir de la sacristie. La porte était bloquée par le gel. Athéna rit de sa tentative ce qui fit remonter la température.
- Etienne. Nous allons te montrer ce que nous avons découvert. Ne fuis pas, tu ne rejoindrais pas la surface sans notre aide. C’est nous qui t’avons amené ici. Laisse-nous te convaincre. Il sera bien temps ensuite d’aller chercher Monsieur Lacejambe.
La porte s’ouvrit devant Etienne qui sauta au dehors trop heureux de retrouver une température plus clémente. Athéna passa ensuite devant lui. Il la suivit. Ils marchèrent jusqu’au bas des marches effectuant à rebours le pèlerinage qu’il avait tant de fois arpenté avec Mme Banos. En bas les attendait un attelage sans chevaux qui galopa dès qu’ils furent installés sur ses confortables coussins recouverts de taffetas prune. Etienne eut rapidement mal au cœur. Le paysage défilait à toute allure. Arrivé à Saint-André, le village qui jouxtait celui de son enfance, ils prirent un tunnel dont il ne connaissait pas l’existence, derrière l’église paroissiale. Ils cheminèrent moins vite, ils remontaient vers la surface au grand soulagement de son passager forcé. Ils débouchèrent au pied d’une petite corniche, face à une vaste étendue plane où s’accumulaient des tas d’ordures et encombrants en tous genre. Le coche s’immobilisa et Athéna en sortit avec cérémonie.
-Vois ce que tes semblables font !
-Une décharge… Mes semblables enterrent leur ordures c’est ce qui vous gêne ?
Athéna frappa de son indexe son plexus, lui coupant le souffle.
-Ils gaspillent, ils gâchent, ils maltraitent les objets. Dans notre royaume les objets reprennent un caractère sacré. L’homme doit le respect aux artefacts qu’il créé sinon, pourquoi nous, être divin, vous devrions-nous quelconque considération !
-C’est ici que vous venez chercher vos habitants ? pouffa Etienne sans pouvoir se retenir.
Il reprit vite son calme, faisant passer son fou rire pour un éternuement. Athéna lui tendit un livre :
-Tiens, lit ceci, respecte le rituel et nous t’aiderons à retrouver ton père et ton frère.
-Quoi ici ?
-Monte, nous allons te ramener chez toi.